La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quatorze heures.
La centrale à charbon de Saint-Avold, dans le département dont j'ai l'honneur d'être député, représente près de 500 emplois, aujourd'hui menacés : des femmes et des hommes que vous avez mis au chômage en 2022 en la fermant ; des ouvriers que vous avez rappelés trois mois après pour la relancer et qui ont répondu présent ; des salariés et des sous-traitants qui ont sauvé le réseau électrique français, mis en péril par votre décision absurde de fermer Fessenheim.
Avec Jordan Bardella, nous avons rencontré ces travailleurs la semaine dernière. Ils sont inquiets, ainsi que leurs familles : le président Macron a annoncé, le 24 septembre dernier, au journal télévisé de vingt heures, que les centrales à charbon encore en activité en France seraient converties à la biomasse d'ici à 2027, mais votre gouvernement ne leur a donné aucune information. La centrale risque donc de fermer en 2025. Ils sont inquiets aussi car le président Macron a promis de développer l'hydrogène en France, mais le Gouvernement refuse d'apporter son soutien au projet d'usine qui pourrait sauver leur emploi. Ne pas respecter ces promesses serait une trahison, un mépris pour ces femmes et ces hommes, un gâchis pour les projets de technologies vertes visant à produire de l'hydrogène à partir de la biomasse.
Les salariés de la centrale à charbon de Saint-Avold veulent continuer de travailler. Ils ne réclament pas que le président Macron les reçoive en grande pompe au château de Versailles ; ils attendent simplement qu'il tienne ses promesses. Mes questions sont donc simples : oui ou non, convertirez-vous les centrales à charbon françaises, dont celle de Saint-Avold, à la biomasse ? Oui ou non, soutiendrez-vous le développement de la filière hydrogène dans notre pays, notamment à Saint-Avold ? En d'autres termes, allez-vous tenir ou trahir les promesses du président Macron ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Dans le cadre de la planification écologique, nous sommes engagés dans une grande politique de transition énergétique visant à lutter contre les émissions de CO
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Mais je n'ai pas perçu le même sentiment chez vous...
Cette évolution a évidemment un impact sur les filières industrielles et les emplois, tout comme la conversion du parc automobile thermique vers l'électrique. Les salariés concernés ne se lèvent pas le matin pour polluer, mais pour travailler et faire tourner l'économie française.
Il est hors de question de les stigmatiser…
…ou de les abandonner – nous faisons exactement l'inverse. Nous avons d'ores et déjà engagé des transformations, mais il reste deux centrales à charbon, à Cordemais et à Saint-Avold. Le ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie, Roland Lescure, travaille donc quotidiennement avec leurs propriétaires, EDF et GazelEnergie, pour construire des projets de reconversion. Ces projets sont multiples : je confirme que la biomasse est une piste sérieusement explorée pour l'avenir,…
…notamment par le rapport de Réseau de transport d'électricité (RTE), mais il pourrait y en avoir d'autres. En tout état de cause, le message est clair : dans ce processus, nous serons aux côtés des salariés et des acteurs de la filière économique, notamment les sous-traitants, et nous les accompagnerons dans leur reconversion. Car nous avons une conviction : la transition écologique et énergétique doit se faire avec et pour les Français, et non contre eux.
Telle est la voie dans laquelle nous sommes engagés.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Nous voulons tous sortir du charbon. Tenez la promesse du président Macron de convertir la centrale de Saint-Avold à la biomasse !
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Hier, dans cet hémicycle, je me suis demandé quel serait le scénario du pire pour la Nouvelle-Calédonie Kanaky. Malheureusement, le pire est arrivé : nous déplorons aujourd'hui des morts, ce que personne ici ne souhaitait. Nous savions que le risque était grand, mais, malgré nos appels, vous avez décidé de maintenir le projet de loi constitutionnelle et voilà où nous en sommes : le Conseil de défense et de sécurité nationale a été réuni ce matin, l'état d'urgence va être déclaré, les forces militaires vont être renforcées dans les prochaines heures – l'État reconnaît une situation insurrectionnelle.
Nous relayons l'appel à l'apaisement émis par la plupart des forces politiques locales. Monsieur le Premier ministre, vous avez une très lourde responsabilité dans les événements actuels !
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR – NUPES, LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
Depuis plusieurs semaines, nous vous appelons à interrompre le processus. La reprise du dialogue doit maintenant être la priorité. Malheureusement, le courrier du Président de la République ouvre un espace très restreint et contredit les belles paroles d'hier selon lesquelles le dialogue doit être privilégié. Entre le moment où les parties seront invitées à se rencontrer – d'ici quelques semaines, selon ce courrier – et la réunion du Congrès, les acteurs locaux et l'État n'auront que quelques jours pour s'entendre sur un projet global. C'est inacceptable, inadmissible, irresponsable !
Mêmes mouvements.
Ferez-vous enfin ce qu'il faut pour que la spirale dans laquelle la Nouvelle-Calédonie est entraînée cesse une fois pour toutes ?
Mêmes mouvements – Plusieurs députés des groupes GDR – NUPES, LFI – NUPES et Écolo – NUPES se lèvent.
Je me suis déjà exprimé dans cet hémicycle sur les violences inacceptables qui ont lieu en Nouvelle-Calédonie depuis plusieurs jours.
Mme Sophia Chikirou s'exclame.
Depuis, ces violences ont fait plusieurs victimes, auxquelles je rends hommage. J'adresse le soutien du Gouvernement à leurs familles. Je le répète, en aucune circonstance la violence n'est tolérable ni justifiable.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem. – M. Stéphane Rambaud applaudit également.
C'est la raison pour laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, a annoncé l'envoi de renforts sur place pour garantir la sécurité. Je salue l'ensemble des forces de sécurité, policiers et gendarmes, engagées pour assurer l'ordre en Nouvelle-Calédonie.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe SOC.
Je le redis : la priorité est de retrouver l'ordre, le calme…
…et la sérénité. Je proposerai tout à l'heure, lors de la réunion du Conseil des ministres, à seize heures trente, un décret visant à instaurer l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie afin que l'ordre soit rétabli dans les plus brefs délais.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Des renforts des forces de sécurité intérieure arriveront dans l'archipel dans les prochaines heures.
Je l'ai rappelé hier : nous avons toujours privilégié le dialogue avec les parties prenantes
« C'est faux ! » sur les bancs du groupe SOC
et nous continuerons de le faire, car je crois profondément au dialogue. Le processus en cours et le texte adopté hier par l'Assemblée nationale en sont issus.
Tout le monde ne soutient pas le projet de loi constitutionnelle, mais il est issu d'un processus conduit par Gérald Darmanin…
…et a été adopté par le Sénat et l'Assemblée nationale. Le Président de la République a été clair : nous proposons à l'ensemble des acteurs calédoniens une rencontre avec le Gouvernement
Mme Sophia Chikirou s'exclame
avant la réunion du Congrès parce que nous voulons que le dialogue se poursuive. Si nous étions dans l'état d'esprit que vous décrivez, le Congrès serait déjà convoqué puisque les deux chambres ont adopté le projet de loi constitutionnelle dans les mêmes termes. Le Président de la République a fait le choix d'attendre, pour que les acteurs politiques locaux rencontrent le Gouvernement.
Protestations sur quelques bancs du groupe RE.
Dans les prochaines heures, je leur proposerai une date pour les recevoir à Matignon en compagnie du ministre de l'intérieur et des outre-mer. C'est une solution politique globale pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie qu'il nous faut construire dans la continuité du processus engagé.
En tant que chef du Gouvernement, j'y prendrai évidemment toute ma part.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – Exclamations sur les bancs des groupes LFI – NUPES et GDR – NUPES.
Ma question porte sur la sécurité des Jeux olympiques et paralympiques (JOP), mais, puisqu'il s'agit de sécurité, permettez-moi de souligner l'angoisse qui est la nôtre sur tous les bancs face à la situation en Nouvelle-Calédonie. Je vous lance un appel, monsieur le Premier ministre : soyez au centre du consensus ,
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC
devenez l'acteur principal du compromis que chacun doit chercher en Nouvelle-Calédonie.
S'agissant de l'organisation des JOP, je précise d'emblée que nous ne faisons pas partie des grincheux que fustigeait hier M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer. Nous sommes, comme tous les Français, ravis d'accueillir cette manifestation extraordinaire. Je souhaite simplement poser les questions que beaucoup se posent.
Il semble désormais évident que la cérémonie d'ouverture ne se déroulera pas sur la Seine. Le Président de la République a étonné jusqu'aux organisateurs en évoquant son plan B et même son plan C. En outre, le recrutement massif d'agents de sécurité au titre de la réserve opérationnelle de la police nationale se déroule apparemment dans des conditions peu exigeantes. La presse s'est fait l'écho du recrutement de personnes connues de la justice pour escroquerie, vol, trafic de stupéfiants, violence en bande organisée, refus d'obtempérer ou même outrage envers personne dépositaire de l'autorité publique.
L'orateur s'interrompt quelques instants.
Vous pourrez retrouver facilement les témoignages de certains policiers dans la presse, du moins si cela vous intéresse…
« Honnêtement, la situation est catastrophique », déclare un lieutenant de CRS sous couvert d'anonymat. Un délégué syndical indique : « Dans ma zone, des gars ont voulu regarder les dossiers des nouveaux réservistes, ils ont immédiatement été convoqués par l'IGPN [Inspection générale de la police nationale]. » Sonia Fibleuil, porte-parole de la direction générale de la police nationale (DGPN), reconnaît elle-même que le facteur humain ne permet pas de sécuriser les recrutements. Ajoutons les appels d'offres de sécurité privée non pourvus, la crainte de défections de dernière minute…
…et le récent et alarmant rapport du Sénat sur la lutte antidrones : rassurez-nous, monsieur le Premier ministre !
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Sourires.
Les Jeux olympiques et paralympiques que nous avons la chance d'accueillir cette année à Paris sont l'événement du siècle.
Cet été, le monde regardera la France. En réalité, il la regarde déjà et il entend les déclarations des uns et des autres sur leur organisation. Je me désole d'observer que les déclarations les plus négatives viennent systématiquement de la classe politique française et des oppositions !
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Pour des raisons de politique politicienne nationale, elles cherchent à utiliser cet événement pour affaiblir le Gouvernement, mais c'est l'image de la France qu'elles ternissent !
Il y a quelques mois, la maire de Paris a déclaré que nous ne serions pas prêts pour les Jeux en matière de transports : elle parlait de la prolongation du RER E et du projet Eole à la porte Maillot. Ses déclarations ont fait le tour du monde ; on m'en a parlé lors de mes déplacements à l'étranger. Il y a dix jours, j'ai inauguré, en sa présence, la prolongation du RER E à la porte Maillot !
Mêmes mouvements.
Je me souviens aussi, il y a quelques mois, avoir entendu des responsables politiques de l'opposition affirmer que le village olympique ne serait pas prêt à temps. Il a été inauguré par le Président de la République en temps et en heure, tout comme la piscine olympique.
Il y a quelques mois, des responsables de l'opposition nous expliquaient que l'arrivée de la flamme à Marseille, au milieu de centaines de milliers de personnes, se traduirait par une catastrophe sécuritaire et opérationnelle : ce fut au contraire un spectacle magnifique, qui a fait le tour du monde et la fierté de la France !
Applaudissements prolongés sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR. – Mme Émilie Bonnivard fait le signe de ralliement de Jul.
Plutôt que de jeter en permanence l'opprobre sur la grande fête que seront les Jeux olympiques et paralympiques, plutôt que de semer le doute par vos déclarations – nous avons tous une part de responsabilité –, saluons l'extraordinaire travail des organisateurs de ces jeux, saluons toutes les Françaises et les Français qui se mobilisent sur le parcours de la flamme partout en France et saluons nos forces de l'ordre, qui seront sur le pont cet été pour que ces jeux se passent dans les meilleures conditions possible. Soyons au rendez-vous de l'histoire !
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Hier, un commando doté d'armes de guerre a abattu deux surveillants de l'administration pénitentiaire et en a grièvement blessé trois autres.
Ce plan macabre et froid visait à profiter d'une extraction pour faire s'évader un détenu qui revenait du tribunal.
Ces assassinats d'une violence inédite ont choqué notre pays et l'ont plongé dans une grande tristesse. Nos pensées vont aux familles et aux 43 000 collègues des victimes, qui agissent à l'ombre des murs de nos prisons pour assurer la sécurité de la nation – leur travail a une valeur inestimable.
Mmes et MM. les députés se lèvent et applaudissent.
Aujourd'hui, ils se mobilisent nationalement pour exprimer leur solidarité, ce que nous ne pouvons que comprendre.
Les deux agents décédés laissent derrière eux des familles endeuillées et des orphelins dans une grande détresse. Notre sympathie leur est acquise ; la dette de la nation à leur égard est immense.
L'extraction de Mohamed Amra a mobilisé cinq agents et deux véhicules. De niveau trois sur les quatre échelons de la sécurité des escortes, elle était proportionnée au profil du détenu, qui n'était pas un détenu particulièrement signalé (DPS). L'année dernière, l'administration pénitentiaire a procédé à 130 000 extractions ; celle d'hier n'aurait pas dû se terminer ainsi.
Loin des profiteurs qui instrumentalisent déjà ce drame d'une violence inédite, le président de la commission des lois, Sacha Houlié, proposera demain le lancement d'une mission flash consacrée aux transfèrements et aux extractions pénitentiaires. Hier, la violence a franchi un seuil, et il faut adapter ces moments de grande vulnérabilité que sont les extractions à ce nouvel état de fait.
Outre la question de la surpopulation carcérale, dont nous sommes conscients, il s'agit de mettre à l'ordre du jour de nos réflexions le sujet des extractions et de la protection des personnels.
Vous avez lancé une traque sans merci pour retrouver le fuyard et ses complices : que pouvez-vous dire à la représentation nationale sur ces vingt-quatre heures de recherches ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe Dem.
L'attaque qui a eu lieu hier dans l'Eure est une déchirure : une déchirure pour les familles et les proches des deux agents sauvagement assassinés et des trois agents grièvement blessés ; une déchirure pour l'ensemble des agents de l'administration pénitentiaire, qui pleurent leurs collègues et se sont réveillés ce matin inquiets. Je me mets à leur place : aujourd'hui, ils se disent tous que cela aurait pu leur arriver à eux.
C'est aussi une déchirure pour la République. C'est bien elle qui était visée, c'est notre ordre républicain qui a été pris pour cible, ce sont nos lois que les auteurs de cette attaque pensent pouvoir bafouer impunément. Mais on ne s'en prend pas à la République impunément !
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR. – Mme Émilie Bonnivard applaudit également.
Non, on ne bafoue pas les lois de la République, on ne tue pas impunément !
Des moyens massifs ont été déployés pour retrouver les auteurs de cette attaque ignoble. Le plan Épervier a été déclenché ; plus de 450 policiers et gendarmes sont mobilisés. Je ne peux évidemment vous en dire davantage ici, mais l'enquête progresse. Je le dis aux auteurs : nous vous traquons, nous vous retrouverons, et nous vous punirons. Ils paieront, oui ils paieront, pour ce qu'ils ont fait !
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LR, Dem et HOR.
Nous serons au rendez-vous.
Je pense aux familles, au côté desquelles nous nous tiendrons. L'administration pénitentiaire, choquée, est aussi en deuil. Hier, déjà, le ministre de la justice s'est rendu à Caen pour échanger avec les collègues des victimes. En ce moment même, il reçoit l'intersyndicale autour des enjeux de la sécurité de l'administration pénitentiaire. Nous avancerons avec les syndicats en identifiant tous les moyens de renforcer la sécurité des agents et le soutien que nous pouvons leur apporter. Nous le leur devons, nous le devons à la République, nous le devons à notre pays.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LR. – Mme Martine Froger applaudit également.
Dans les collectivités dites d'outre-mer, les questions relatives à la propriété foncière revêtent une dimension extrêmement sensible pour des raisons historiques, sociologiques et géographiques. En cherchant à pallier les insuffisances de la loi du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer, dite loi Letchimy, la loi du 9 avril 2024 relative à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement a déclenché un véritable séisme.
Alors que le délai de droit commun pour la prescription acquisitive demeure de trente ans dans le reste de la France, la nouvelle loi prévoit une exception en outre-mer en permettant à tout occupant, de bonne ou de mauvaise foi, d'accéder à la propriété d'un bien immobilier s'il peut attester de son occupation pendant dix ans.
Cette disposition provoque émoi et inquiétude légitimes au sein de nos populations, des professionnels et de l'ensemble de la classe politique. Ma question est simple : pourquoi avoir cautionné une telle dérogation au droit commun, en particulièrement s'agissant d'une mesure inopportune, alors que dans tant d'autres cas – vie chère, tarifs aériens, accès à l'eau, priorité à l'emploi local – nos demandes de dérogations sont systématiquement rejetées par votre gouvernement ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Marcellin Nadeau applaudit également.
Vous m'interrogez sur les difficultés que rencontrent les familles martiniquaises lors du règlement des successions, notamment les problèmes d'indivision. En Martinique, l'acquisition foncière est un sujet extrêmement sensible. Les contestations foncières d'ordre privé, qui y sont courantes, génèrent des tensions et, parfois, un sentiment d'injustice.
Mon gouvernement s'est saisi de cette question. Lors du comité interministériel des outre-mer qui s'est tenu en juillet 2023, il a été décidé d'aborder de front le sujet de la facilitation des sorties d'indivision. L'une des questions soulevées est celle de la prescription trentenaire, qui touche au respect de la propriété privée, protégée par la Constitution. La loi sur l'habitat dégradé de 2024 résout une partie de ces difficultés en prolongeant jusqu'en 2038 le régime dérogatoire créé par la loi Letchimy en 2018. Plusieurs autres mesures ont été prises pour améliorer et renforcer les dispositifs qui permettent de sortir de l'indivision.
Au-delà de ces nouvelles dispositions juridiques, le préfet de Martinique a pris l'initiative d'organiser après-demain une conférence de concertation locale chargée de formuler des propositions pour améliorer le traitement des indivisions bloquées. Une mission d'appui et d'expertise de haut niveau secondera les travaux de cette conférence – c'est la décision qui a été prise.
Vous voyez que nous agissons. Je souhaite que vous puissiez prendre toute votre part dans cette concertation organisée par le préfet. C'est un dossier que je suivrai de très près : nous continuerons à agir dans l'intérêt des familles, du territoire, et de la République.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Malheureusement, encore une fois, les décisions précèdent la concertation.
À l'heure où la spéculation et la prédation foncières génèrent une flambée des prix sans précédent, excluant de fait nos compatriotes de l'accès au foncier ; à l'heure où le marché de l'immobilier est contrôlé à plus de 90 % par des personnes qui ne sont pas originaires d'un territoire d'outre-mer et où nos terres sont vendues au plus offrant sur internet ; à l'heure où des prescriptions acquisitives abusives perpétrées auprès de personnes isolées ont rendu le contexte social explosif, le remède que vous avez décidé de nous administrer risque d'aggraver le mal ! Le prix à payer pour sortir de l'indivision ne doit être ni la dépossession, ni la spoliation.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur quelques bancs du groupe Écolo – NUPES, plusieurs députés de ces groupes se levant.
En février dernier, vous annonciez mettre en pause le plan Écophyto, ce qui revient à suspendre purement et simplement la politique de réduction des pesticides en France. Depuis trois mois régnait un faux suspens : la France renoncerait-elle définitivement à toute ambition en matière de réduction des pesticides ?
Aux Françaises et aux Français qui s'inquiètent des substances toxiques qui empoisonnent leur vie, je confirme le plus clairement possible que c'est bien la funeste décision que vous avez prise.
Avec la publication la semaine passée du nouveau plan Écophyto 2030, vous enterrez l'ambition initiale d'Écophyto, qui était de diviser par deux l'usage des pesticides. En changeant d'indicateur,…
…vous préférez casser l'outil de mesure qu'assumer votre renoncement.
À titre d'illustration, si l'on prend les chiffres de l'année 2021, l'utilisation de votre nouvel indicateur conduirait à une mesure de l'utilisation des pesticides inférieure de 30 % à celle calculée en utilisant l'ancien indicateur. Autrement dit, les objectifs de votre nouveau plan Écophyto seront quasiment atteints du seul fait de cette baisse artificielle liée au changement d'indicateur, sans que les pratiques agricoles soient modifiées.
Ce nouvel indicateur n'est pas qu'un choix technique, c'est aussi un sujet démocratique : il permettra à votre gouvernement d'afficher des chiffres flatteurs de réduction des pesticides en dehors de toute baisse réelle de l'utilisation des substances toxiques. C'est une falsification des données de santé publique.
Mmes Cyrielle Chatelain, Julie Laernoes et Sandrine Rousseau manifestent leur assentiment.
Rappelons quelques faits : en trente ans, le nombre de cancers a doublé en France. Il existe par ailleurs une forte présomption d'un lien entre l'exposition à plusieurs pesticides et le développement de cancers, de lymphomes et de leucémies, y compris chez l'enfant.
Ma question est donc simple – plusieurs centaines de chercheurs, de soignants, d'associations de patients et de défense de l'environnement vous l'ont posée ces derniers jours. Reconsidérerez-vous le choix de cet indicateur frauduleux ? Comptez-vous enfin privilégier la santé publique ou, pour reprendre les termes des scientifiques qui vont ont interpellé, persisterez-vous à choisir le cancer ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
On n'est jamais dans l'outrance avec l'extrême gauche – en tout cas, on n'est jamais déçu !
Nous n'avons pas de leçons à recevoir de votre part sur la question environnementale.
Je le dis sincèrement : je suis très fier de ce qui a été fait par cette majorité depuis 2017.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Jusqu'en 2017, j'étais engagé au sein d'une autre formation politique.
Certes, mais les écologistes faisaient partie de la majorité à l'époque de François Hollande. Or, entre 2012 et 2017, pendant que vos amis étaient au Gouvernement, l'usage des pesticides a augmenté de 20 % en France ! Je le dis d'autant plus volontiers que j'étais alors conseiller ministériel.
Je suis très fier de la baisse de l'usage des produits phytosanitaires qui a eu lieu depuis 2017 à l'initiative du Président de la République et de la majorité actuels.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE – Exclamations sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Eh oui, c'est vrai ! L'usage des produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques de catégorie 1 (CMR 1), soit les produits phytosanitaires les plus dangereux, a même baissé de 95 % :
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR. – Exclamations sur les bancs du groupe Écolo – NUPES
vous devriez vous en réjouir, le saluer ! On peut débattre et s'opposer tout en étant capable de reconnaître quand des choses vont dans la bonne direction.
Nous avons toujours pour objectif de continuer à réduire l'usage des produits phytosanitaires, notre détermination est intacte. Comment y arriver ? Pour vous c'est très simple : pour réduire l'usage des produits phytosanitaires, il faut réduire le nombre d'agriculteurs.
Vives protestations sur les bancs du groupe Écolo – NUPES. – Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Avec vous, il n'y aura plus de produits phytosanitaires, car il n'y aura plus d'agriculture ! C'est la solution que vous proposez aux Français. Qu'il y ait les mêmes aliments sur les étals français, avec les mêmes résidus phytosanitaires – tant qu'ils ont été produits ailleurs qu'en France, cela vous est égal ! C'est la réalité.
Nous assumons de mener une politique pragmatique…
…en cherchant des solutions, plutôt que de brutaliser tout le monde en permanence, sans obtenir aucun résultat. C'est grâce à ce pragmatisme que nous avons réussi à faire baisser l'utilisation de ces produits.
Nous n'avons pas non plus de leçons à recevoir en matière de confiance des scientifiques, alors que les déclarations de votre candidate aux élections européennes ont été, encore récemment, démenties par tous les scientifiques !
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR et sur quelques bancs du groupe LR. – Exclamations sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Mme Marie Toussaint cherche à agiter les peurs et à instrumentaliser des données, dans des déclarations qui ont été dénoncées par des scientifiques. Il n'y a vraiment pas de quoi être fier ni donner des leçons dans cet hémicycle !
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Je vous ai posé une question très précise sur les méthodes d'évaluation et vous n'y avez pas répondu.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Continuez donc à faire campagne tranquillement, sans répondre aux questions des députés !
M. le Premier ministre s'interrompt.
Je vous laisse terminer, madame la députée, vous avez l'air d'avoir besoin de… C'est bon ?
Exclamations sur de nombreux bancs.
Est-ce que je peux m'exprimer, madame la députée ? J'aimerais que la NUPES me permette de m'exprimer calmement sur cet important sujet.
Exclamations et claquements de pupitres sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
Je regrette sincèrement que la NUPES cherche systématiquement à couvrir la voix du Gouvernement. De la part de ceux qui donnent des leçons de démocratie matin, midi et soir, c'est fort de café !
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR et sur plusieurs bancs du groupe LR.
S'agissant de l'indicateur, nous avons travaillé avec les représentants des agriculteurs…
…et ceux des associations environnementales. La France avait choisi de retenir un indicateur qui n'est utilisé par aucun autre pays en Europe.
Nous avons fait le choix – que j'assume totalement – de reprendre l'indicateur utilisé par les autres pays européens, dans lesquels il ne pose d'ailleurs aucun problème particulier à vos amis écologistes. Même lorsque ces derniers participent aux gouvernements, ils défendent l'indicateur de risque harmonisé HRI 1 que nous avons retenu. S'ils le défendent, c'est bien qu'il est pertinent !
Pour être pragmatique et efficace, il faut avancer en bon ordre avec les autres pays européens.
Malheureusement, vous n'aimez pas davantage l'Europe que vous n'aimez la science.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR. – Exclamations sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Permettez-moi tout d'abord de souhaiter un joyeux anniversaire à notre collègue Jimmy Pahun.
Sourires.
La France est l'un des pays européens les plus complexes sur le plan administratif. Cela coûte aux entrepreneurs et aux chefs d'entreprise du temps – toujours –, de l'argent – certainement, puisque l'inflation normative pèserait près de 3 % du PIB – et de l'anxiété – souvent.
Depuis sept ans, nous avons essayé de résoudre ce problème, avec la loi pour un État au service d'une société de confiance, dite Essoc, en 2018 ; avec la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Pacte, en 2019 ; et avec la loi d'accélération et de simplification de l'action publique, dite Asap, en 2020. Pourtant, force est de reconnaître que l'objectif n'est pas encore atteint. Pire encore, nous entretenons, nous, décideurs publics et législateurs, cette inflation normative. Pour le dire plus crûment : un amendement, c'est un formulaire Cerfa supplémentaire.
Votre gouvernement a fait de la lutte contre la norme superflue une priorité, symbolisée par le projet de loi de simplification que nous examinerons prochainement. Les députés du groupe Démocrate saluent ce texte et contribueront pleinement à son amélioration.
L'une des clés de la simplification est l'implication de l'ensemble des parties prenantes lors de chaque étape de création de la norme. Que pensez-vous de la création de référents PME, à même de prendre en considération ce sujet dans chaque administration.
Nos normes sont de plus en plus marquées par les règles élaborées au niveau européen ; c'est heureux pour le développement de nos entreprises à l'échelle européenne. À cet égard, nous proposons de réduire de 25 % la charge administrative en Europe : pour chaque norme européenne adoptée, une norme européenne devra être supprimée. Nous devons œuvrer en ce sens, parce que nous avons besoin d'un véritable choc de simplification.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.
J'ai une conviction, que j'ai exprimée ici même à l'occasion de ma déclaration de politique générale : notre pays croule encore trop sous les normes, trop nombreuses et trop complexes. Je sais que vous partagez cette conviction, monsieur Laqhila, puisque nous avons eu l'occasion d'en parler à de nombreuses reprises.
Pour un patron de PME, près de huit heures sont consacrées chaque semaine aux démarches administratives, soit une journée de travail entière. Nous parlions tout à l'heure des agriculteurs, dont on sait à quel point, ces dernières décennies, ils ont malheureusement été conduits, réforme après réforme, à passer parfois plus de temps devant leur écran que dans leurs champs.
L'excès de normes bride l'entrepreneuriat et l'innovation, et brime les Français. J'ai donné un mot d'ordre : simplifier, partout où c'est possible, la vie des Français et celle des entreprises. Simplifier, comme nous le faisons depuis 2017, en étant à l'écoute des Français et des entrepreneurs, en répondant concrètement à leurs problèmes, en facilitant véritablement leurs démarches et en améliorant réellement la vie.
Pour y parvenir, j'ai demandé au ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire,…
…de bâtir un grand projet de loi de simplification. Nous sommes partis des demandes et des attentes des entrepreneurs, dans le cadre d'une vaste consultation.
Nos solutions, celles qui figureront dans le futur projet de loi, viennent d'abord du terrain et des entrepreneurs. Ce sont leurs suggestions, leurs idées et leurs propositions de simplification qui seront traduites dans ce texte.
Nous allons nous lancer dans une grande chasse aux Cerfa ; ces formulaires sont depuis longtemps une passion administrative française. Il en existe plus de 1 800 : c'est beaucoup trop. Aussi, j'ai chargé le ministre de mener la traque aux Cerfa inutiles et de mettre fin, progressivement, à leur usage au cours des prochaines années.
Nous allons créer un test PME pour évaluer systématiquement l'impact de toute nouvelle norme sur les entreprises et pour écarter celles qui seraient trop lourdes et inutiles. Cette mesure correspond à une demande formulée par la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Elle garantit que désormais, les PME seront systématiquement associées, dès l'origine, à la conception des normes qui les concernent.
Nous allons prendre des mesures pour mieux protéger les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME) dans leurs relations avec les banques et les assureurs. Les entrepreneurs ne comprennent pas – moi non plus – pourquoi ils ne bénéficient pas des mêmes offres en tant que particuliers et en tant que chefs d'entreprise.
Nous allons relever les seuils au-dessus desquels des contrôles de concentration sont déclenchés. Cette mesure attendue est nécessaire et utile pour permettre aux PME de croître sans se heurter immédiatement à un mur de contrôles supplémentaires.
Ce ne sont que quelques mesures figurant dans ce projet de loi ; nous pouvons l'améliorer et l'enrichir en élaborant d'autres mesures et en faisant d'autres propositions. Je compte pour cela sur vous, monsieur Laqhila, dont je connais l'engagement, et sur l'ensemble de la représentation nationale. Ce travail doit aussi être mené au niveau européen ; c'est une piste de réflexion et un axe de travail qui ont été rappelés par le Président de la République lors de son discours de la Sorbonne.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.
Les prix des billets d'avion pour les outre-mer sont trop élevés : dans les mêmes conditions, un aller-retour entre Paris et Pointe-à-Pitre coûte 867 euros, pour huit heures de vol, alors qu'un aller-retour entre Paris et Los Angeles coûte 686 euros, pour onze heures trente-cinq de vol. Il y a quelque chose qui cloche.
Je me suis rapproché du principal fournisseur de kérosène dans le bassin Antilles-Guyane et des dirigeants des compagnies aériennes. J'ai constaté que le voyageur ultramarin est littéralement la poule aux œufs d'or, pour ne pas dire le dindon de la farce, du financement des infrastructures ferroviaires françaises. Pourtant, il n'y a pas de trains en circulation outre-mer, pa ti ni !
Figurez-vous que le passager ultramarin paye la taxe de solidarité, dite Chirac, versée par les compagnies aériennes pour financer des investissements de l'État en matière ferroviaire. Pourquoi ne pas exonérer de cette taxe les compagnies aériennes opérant des rotations entre l'outre-mer et l'Hexagone ? Nous parlons de millions d'euros.
Une autre taxe, versée par les compagnies aériennes, est répercutée sur le prix du billet : la taxe de sûreté et de sécurité. Dans d'autres pays, elle est payée par l'État. Encore une piste pour diminuer le coût du transport.
Venons-en ensuite au coût du kérosène, fixé librement par les vendeurs de carburants ; il représente environ 30 % du prix d'un billet d'avion. Pourquoi ne pas encadrer le prix du kérosène par arrêté préfectoral, comme c'est le cas outre-mer pour les autres carburants ?
Il y aurait également à redire sur l'impossibilité pour la raffinerie des Antilles de s'approvisionner ailleurs qu'en mer du Nord ; c'est loin ! Nos voisins sud-américains comptent pourtant parmi les plus grands producteurs de pétrole au monde – pétrole qu'ils vendent moins cher ! Monsieur le Premier ministre, voici des pistes d'économies que je pose sur la table. Je compte sur vous pour les saisir.
Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.
Vous avez raison, la question de la desserte aérienne de la Guadeloupe et, plus largement, des outre-mer est cruciale. Avec l'ensemble du Gouvernement, nous sommes très vigilants à ce sujet. Vous m'interrogez sur la taxe dite Chirac ; celle-ci finance depuis 2006 l'aide au développement. En 2020, elle a été majorée d'une écocontribution permettant de financer la décarbonation des mobilités des Français, grâce à des investissements dans des infrastructures de transports durables, notamment le transport ferroviaire. Cette taxe représente 1,50 euro par billet en classe économique ; c'est bien loin du prix total du billet que vous avez évoqué, mais cela constitue un sujet sur lequel nous devons continuer à travailler.
Le Gouvernement fait tout pour rendre les vols entre l'Hexagone et les outre-mer accessibles à tous les ultramarins ; nous poursuivrons nos efforts en ce sens. Plusieurs mesures ont déjà été prises pour limiter les coûts des vols desservant l'outre-mer notamment l'extension des dispositions relatives à la TVA et des obligations de compensation des émissions applicables aux vols intérieurs : c'est une première forme de soutien.
Par ailleurs, certaines règles européennes ne sont pas applicables, notamment l'obligation d'incorporation de carburant d'aviation durable pour les vols au départ de l'outre-mer, ou l'intégration au marché carbone européen. Cela permet de limiter le prix des billets entre les outre-mer et l'Hexagone.
Nous agissons également pour rendre plus accessible le transport aérien pour nos compatriotes d'outre-mer grâce à une augmentation de 50 % de l'aide à la continuité territoriale, appliquée en 2024.
Mme Danielle Brulebois et M. David Valence applaudissent.
C'était une revendication des députés ultramarins siégeant sur tous les bancs, qui s'étaient mobilisés pour sa concrétisation.
Enfin, le dernier comité interministériel des outre-mer (Ciom), auquel je faisais référence il y a un instant, a lancé une réflexion globale sur les prix des billets d'avion. Je souhaite qu'elle se poursuive et qu'elle intègre la question du prix du kérosène, comme vous nous y avez invités. Je connais votre engagement à ce sujet, comme celui d'autres parlementaires, et je compte sur vous pour nous faire des propositions en la matière, afin que nous puissions progresser ensemble.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Les parlementaires qui exercent ou ont exercé un mandat local connaissent l'importance des zones de revitalisation rurale, les ZRR. Ce mécanisme incitatif a fait l'objet d'une réforme dans le cadre de la loi de finances pour 2024, dont l'article 7 portait création du zonage France ruralité revitalisation (FRR).
Les conséquences de cette création n'ont visiblement pas été totalement appréhendées, ni par le Gouvernement ni par le Sénat, qui a voté cet article. Malgré le rattrapage de certaines communes, prévu par la loi, de nombreuses situations injustes perdurent.
Ainsi, la commune de Briouze dans l'Orne appartient à l'intercommunalité Flers Agglo, qui ne figure pas dans le zonage FRR pour des raisons de densité. Toutefois, Briouze ne peut pas être rattrapée parce que son bassin de vie est considéré comme trop dense au sens de l'Insee. Un comble pour cet ex-chef-lieu de canton de 1 500 habitants, situé au cœur de la ruralité du bocage, dans une région agricole, qui accueille le dernier marché aux veaux de l'Orne – qui se tient tous les lundis et auquel vous êtes invité.
Comment expliquer à ses habitants et à ses élus qu'ils ne seront plus considérés comme vivant en zone rurale à partir du 1er
Comme Briouze, dans la France entière, dans l'Allier ou le Jura par exemple, d'autres communes vivent mal ce nouveau classement, ou plutôt ce déclassement. Il faut dire que l'impact en est redoutable : fin de la bonification de la dotation de solidarité rurale, perte des incitations fiscales pour les entreprises et surtout pour les professionnels de santé, dans des territoires déjà profondément touchés par la désertification médicale.
Afin de sortir de cette impasse, ne pourriez-vous pas étendre aux 2 000 communes sortant du dispositif le moratoire que vous avez déjà annoncé pour la Saône-et-Loire ? Cela laisserait le temps au Gouvernement, aux parlementaires et aux associations d'élus de réviser cette réforme dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, afin qu'elle soit plus juste et plus pertinente. Monsieur le Premier ministre, la France rurale et le député des champs que je suis comptent sur vous.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Chaque semaine, je me déplace sur le terrain et ces derniers jours encore, j'étais à Pirou dans la Manche et à Beaugency dans le Loiret.
Je me déplace chaque semaine et je m'efforce de le faire autant que possible dans les territoires ruraux. Vous le rappelez d'ailleurs à juste titre, madame Bonnivard, je me suis récemment rendu en Savoie et plus précisément dans la vallée de la Maurienne, pour constater l'avancement du chantier de construction de la liaison ferroviaire entre Lyon et Turin.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Je m'écarte du sujet, mais ce qui importe et que je voulais évoquer, c'est évidemment la France rurale. Cette France qui, depuis plusieurs décennies maintenant, ressent malheureusement un éloignement plus grand encore que celui qu'elle doit à la géographie du pays, et pour cause : on y constate un recul des services publics, de l'activité commerciale et de la vie elle-même.
Notre responsabilité – qui est immense –, c'est de renouer avec la France rurale, de lui apporter davantage. C'est bien ce que nous avons commencé à faire dès 2017. Évidemment, tout n'est pas parfait, mais le programme Petites villes de demain, le plan France ruralités et les maisons France services changent beaucoup de choses sur le terrain.
Il faut aller plus loin, il faut continuer à avancer. Je suis ouvert à toutes les propositions ; je sais d'ailleurs que vous en avez déjà fait et que vous continuerez à en faire.
La réforme des ZRR a été votée par le Sénat et soutenue par la majorité sénatoriale, alors que j'étais ministre de l'éducation nationale – je ne l'ai donc découverte qu'en tant que Premier ministre et je ne m'en cache pas. Je le dis et le dirai à nouveau devant les sénateurs : ils nous reprochent souvent une distance aux territoires, mais ils ont bel et bien voté cette réforme.
Toujours est-il que dès ma nomination, j'ai bien senti que la réforme des ZRR ne passait pas.
Me rendant à l'évidence, j'ai donc immédiatement demandé à Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, d'instaurer un moratoire et de travailler sur les nouveaux critères de classement en ZRR.
Je me suis déjà entretenu avec vous, monsieur Nury, comme avec Mme Louwagie, autre députée de votre département. Nous avons évoqué la commune de Briouze et admis qu'il était incompréhensible que sa situation ne la rende plus éligible au dispositif ! J'ai déjà pu le dire à la ministre Dominique Faure et je l'affirme devant vous : je souhaite que nous trouvions dans les toutes prochaines semaines une solution autre que le moratoire déjà décidé. Il est en effet hors de question que des communes rurales soient aujourd'hui lésées, sans qu'on puisse le comprendre ou l'expliquer.
Nous serons bien évidemment aux côtés de Briouze, de votre département et de la France rurale.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe LR.
La rénovation énergétique des bâtiments est l'une des clés de la réussite de la transition écologique et pour l'encourager, nous nous sommes dotés en 2020 de l'outil MaPrimeRénov', qui a fait la preuve de son efficacité : en 2022, il a permis la réalisation de plus de 65 000 rénovations.
Ce dispositif représente des montants importants – 2,4 milliards d'euros en 2023 et 4 milliards d'euros alloués en 2024 –, mais nous regrettons qu'émerge avec lui une forme d'écodélinquance. Nous avons tous eu écho des nombreuses fraudes dont ont été victimes les particuliers ; plus grave encore, la cellule Tracfin a signalé au ministre des comptes publics, M. Thomas Cazeneuve …
Sourires
M. Jean-René Cazeneuve sourit.
…que plus de 400 millions d'euros de fraude ont été constatés en lien avec ce dispositif. Les écodélinquants qui en sont responsables sont en train de s'organiser en mafia et l'affaire n'est pas sans évoquer celle des quotas carbone, sujet d'une récente série télévisée ; elle nous rappelle que certains profitent de la lutte de la force publique contre le changement climatique. Certaines mesures ont déjà été prises, comme l'introduction de labels ou l'intervention d'accompagnateurs, mais sont-elles réellement efficaces ? Sachant également que certains auditeurs réalisent plus de 1 000 diagnostics par an, ma question sera très simple : l'État dispose-t-il des moyens lui permettant d'assurer le contrôle et la viabilité du dispositif MaPrimeRénov ? Quelles sont les pistes d'amélioration de la labellisation, de la formation des professionnels et de l'accompagnement de nos concitoyens ? Nous devons recevoir la garantie qu'un euro investi par l'État est un euro efficient !
Vous avez raison de le rappeler : 400 millions d'euros, c'est le montant présumé de la fraude à MaPrimeRénov, détectée par les services de la cellule Tracfin en 2023. Ces 400 millions d'euros pourraient avoir été volés à nos services publics ; ces 400 millions d'euros pourraient avoir été volés aux Français. Car la réalité, c'est bien que la fraude est un impôt caché appliqué aux Français qui bossent, qui se lèvent tous les matins, qui sont toujours au rendez-vous de leurs responsabilités, qui ont le sentiment d'avoir tous les devoirs quand d'autres ont tous les droits, qui respectent les règles et les lois, mais qui se font avoir par des fraudeurs.
Vous vous en souvenez, en tant que ministre délégué chargé des comptes publics, j'avais engagé un plan historique de lutte contre les fraudes. Toutes les fraudes étaient ciblées, notamment celles aux aides publiques, apparues ces dernières années, combattues par une mesure importante, intégrée à la loi de finances pour 2024 : un régime de sanction rapide, non conditionné au dépôt de plainte. Ce régime est nouveau et s'applique dès cette année. Concrètement, on peut désormais s'attaquer massivement aux fraudes aux aides publiques et les sanctionner fermement, en infligeant, dans les cas les plus graves, des pénalités pouvant atteindre 80 % du montant de la fraude.
Évidemment, je souhaite que la lutte contre la fraude en général et contre la fraude aux aides publiques en particulier aille plus loin, que la suspension du versement des aides en cas de suspicion de fraude soit systématisée, que la lutte contre la fraude aux certificats d'économies d'énergie soit renforcée, en permettant au pôle national en charge de leur traitement de refuser l'ouverture d'un compte et de prendre des sanctions. Je souhaite également que le label « reconnu garant de l'environnement » (RGE) soit retiré aux entreprises coupables de fraude ou encore que les pouvoirs d'enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) soient renforcés et que ses agents puissent utiliser une identité d'emprunt pour détecter les fraudeurs.
La lutte contre la fraude à MaPrimeRénov' est l'une de mes plus vives préoccupations, car alors que j'étais ministre des comptes publics, j'ai reçu les premières alertes de la cellule Tracfin, dès décembre 2022. J'avais immédiatement mandaté une inspection à ce sujet et procédé à tous les signalements nécessaires.
Nous irons plus loin, en utilisant les outils que vous avez votés et qui sont issus du plan que j'avais présenté, mais également en creusant les pistes que je viens d'évoquer. Thomas Cazenave, le ministre délégué chargé des comptes publics de mon gouvernement, est particulièrement mobilisé sur ce dossier. Nous sommes d'ailleurs ouverts à toutes les propositions qui nous seront faites.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à quatorze heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Caroline Fiat.
L'ordre du jour appelle la prestation de serment devant l'Assemblée nationale d'une juge suppléante à la Cour de justice de la République.
Aux termes de l'article 2 de la loi organique sur la Cour de justice de la République, les juges parlementaires « jurent et promettent de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes et de se conduire en tout comme dignes et loyaux magistrats ».
Madame Blandine Brocard, je vous de bien vouloir vous lever et, levant la main droite, de répondre par les mots : « Je le jure. »
Mme Blandine Brocard se lève et dit : « Je le jure. »
Acte est donné par l'Assemblée nationale du serment qui vient d'être prêté devant elle.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem, LR et HOR. – M. Sébastien Jumel applaudit également.
La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Le projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture poursuit une double ambition : d'abord, fixer un cap clair et lisible aux agriculteurs ; ensuite, adapter nos politiques publiques agricoles, afin de relever deux défis immenses et émergents pour notre souveraineté alimentaire.
Le premier d'entre eux, c'est le défi démographique, celui du renouvellement des générations. Le constat est clair, connu et unanimement partagé : seuls deux départs à la retraite d'agriculteurs sur trois sont remplacés et, d'ici à dix ans, près de la moitié des chefs d'exploitation pourraient partir à la retraite. Par conséquent, d'ici à 2030 – mais aussi pour les années qui suivront –, nous devrons être capables de former davantage de futurs chefs d'exploitation, de salariés agricoles et d'acteurs du conseil, de la formation et de l'accompagnement, en particulier des ingénieurs et des vétérinaires. C'est indispensable afin d'assurer la reprise des exploitations, de maintenir et de développer notre capacité de production agricole et agroalimentaire dans les exploitations, les filières et les territoires.
Il est également indispensable de réfléchir à une évolution de la sociologie des agriculteurs. En effet, de plus en plus de personnes qui s'installent ne viennent pas du milieu agricole. Elles ont – disons-le – des aspirations partagées par la société toute entière et auront sans doute des parcours moins linéaires.
Ce défi est une formidable opportunité de mener les transitions indispensables. Contrairement à ce que d'aucuns prétendent, la crise agricole de ces derniers mois n'a pas opposé agriculture et environnement. Elle a mis en lumière le fait que les agriculteurs demandent à être accompagnés face aux grands bouleversements du monde et du siècle. Je pense, en tout premier lieu, au dérèglement climatique, mais aussi à la biodiversité, aux risques sanitaires qui s'amplifient, aux risques géopolitiques et aux incertitudes immenses qu'ils créent tant pour notre souveraineté que pour nos agriculteurs.
Cela nous impose d'accélérer l'évolution des systèmes de production, en investissant dans la formation, la recherche et le déploiement massif, rapide et opérationnel des innovations dans toutes les exploitations agricoles. Cela nous impose de placer l'agriculture au cœur des stratégies de mobilisation de la biomasse, nécessaires à la décarbonation de notre économie. Cela nous impose de réfléchir aux transitions alimentaires, afin de créer des débouchés pour les filières et les productions, en lien avec les évolutions de la consommation, non seulement en France, mais dans le monde. Enfin, cela nous impose de nous interroger avec exigence et lucidité – en évitant de créer des contraintes administratives ou normatives inutiles – sur la viabilité économique et climatique future des modèles agricoles, afin de préserver la diversité de notre agriculture.
Ces conditions sont essentielles pour lutter pied à pied contre les dépendances, dont souffrent les agriculteurs, aux facteurs de production, aux modes de consommation, à l'évolution des marchés, aux impacts du changement climatique qui s'intensifie chaque jour. Ces conditions sont – également et surtout – essentielles afin que les agriculteurs décident, de manière souveraine, des choix de production et des conditions essentielles pour préserver leur revenu. En réalité, ces changements dépassent de loin les frontières de l'exploitation, et exigent de trouver des solutions à l'échelle d'un territoire, des filières et de tout un écosystème.
Dans ce contexte et pour tenir compte de ces enjeux, le projet de loi affirme avec clarté l'importance stratégique de l'agriculture, en la déclarant d'« intérêt général majeur ». Il définit également un cadre global de politique publique, en vue d'atteindre l'objectif de souveraineté alimentaire. La manière dont nous concevons cet impératif fait l'objet de l'article 1
Je salue le remarquable travail parlementaire mené en commission pour enrichir le projet de loi. En préambule du débat parlementaire, je souhaite préciser, en m'appuyant sur ces apports essentiels que le Gouvernement soutiendra, ma conception de la souveraineté alimentaire et ce que je souhaite pour notre agriculture. La souveraineté alimentaire est la capacité d'assurer des besoins essentiels – c'est-à-dire le besoin de se nourrir et la capacité non de subir des interdépendances, mais de les maîtriser et de les choisir, d'être maître de son destin.
C'est, dès lors, reconnaître que des interdépendances existent pour certains produits et que la situation géopolitique nous oblige à les repenser. C'est, dès lors, dans un contexte de changement climatique, de crises géopolitiques successives et de retour des impérialismes, assumer que nous avons intérêt à nouer de nouveaux partenariats, afin d'éviter de subir des interdépendances. En outre, en tant que Français et Européens, nous avons un rôle à jouer, dans le monde, en matière de sécurité alimentaire.
Nous avons une responsabilité : éviter que certaines zones du monde, notamment la rive sud de la Méditerranée ou l'Afrique, ne soient prises en otage, sous la menace de l'arme alimentaire, ce qui créerait des désordres internationaux.
Le point essentiel du débat est que la souveraineté alimentaire, ce n'est ni l'autarcie alimentaire ni le repli sur soi. Ce n'est pas considérer que produire pour soi suffit. Ce n'est pas faire le pari que nous pourrons, à la fin, nous abstraire de toute interdépendance.
En effet, il faut nous préparer à ce que, durant des années, un certain nombre de productions soient déficitaires, en raison d'accidents climatiques ou sanitaires. C'est désormais le lot de toutes les agricultures du monde, y compris la nôtre. Il faut nous y préparer en renforçant notre résilience, alors que nous nous considérions comme un îlot mondial où la production était stable. Nous devrons assumer des interdépendances au niveau européen, afin de faire face à des dérèglements qui nous pénaliseraient une année et, la suivante, pénaliseraient nos voisins. Nous devons couvrir ce risque alimentaire et agricole.
Nous avons besoin de réfléchir à nos interdépendances, de les assumer, mais également d'en combattre certaines, notamment notre interdépendance en matière d'engrais, vieille de trois ou quatre décennies, qui est dangereuse. C'est pourquoi j'ai la conviction que la question énergétique, qui permet de produire, notamment des engrais, et celle de la souveraineté alimentaire sont intrinsèquement liées.
Au fond, le fil rouge est que l'alimentation – donc l'acte de production – est un atout géostratégique. En conséquence, l'article 1
Il convient cependant de lier la souveraineté aux transitions, sans quoi, nous irions à l'échec. Cela veut dire qu'il n'y a ni souveraineté contre les transitions ni souveraineté sans les transitions. Cela veut également dire que les transitions sont au service non d'une idéologie de la décroissance, mais de la souveraineté.
« Très bien ! » sur les bancs du groupe RE.
Face aux défis que nous devons relever, ce serait une faute. Nous ne pouvons décréter que nous mènerons des transitions, tout en imposant, à coups d'incantations magiques, de déclamations ou d'injonctions, plus de contraintes aux agriculteurs – cela reviendrait à renoncer à l'impératif de souveraineté.
Depuis des décennies, cette situation a une conséquence dont il faut sortir : à force de vouloir toujours faire mieux que les autres, nous nous retrouvons à importer des pratiques dont nous ne voulons pas. L'enjeu est bien de réfléchir à ces grandes transitions – non au niveau national, mais, à tout le moins, à l'échelle européenne –, de les accompagner, de les soutenir, y compris financièrement, afin de construire des modèles qui fonctionnent sous la contrainte climatique.
Voilà donc l'orientation en matière de souveraineté que prévoit le projet de loi. Elle s'appuie sur les politiques appliquées depuis 2017.
En particulier, trois batailles ont été engagées et que nous continuerons de mener : la protection du revenu agricole, avec notamment les lois Egalim – du 30 octobre 2018, du 18 octobre 2021 et du 30 mars 2023 –régissant les relations dans le secteur agricole ; la bataille en faveur d'une concurrence plus équitable à l'échelon européen comme au niveau international ; l'accompagnement des transitions.
Je viens de l'évoquer, et je ne me paie pas de mots, j'ai obtenu un budget historique pour l'agriculture et la forêt. Plus de 1 milliard d'euros supplémentaires seront consacrés, cette année et les suivantes, à l'accompagnement de la planification écologique. En matière agricole, il s'agit, très concrètement, d'allouer des financements en faveur de l'autonomie protéique, des haies, de la décarbonation des serres et de l'élevage, du soutien à l'agriculture méditerranéenne, ou encore de la recherche d'alternatives afin de sortir des impasses en matière phytosanitaire.
Par ce projet de loi, nous engageons de nouvelles batailles, en actionnant des leviers qui devaient l'être davantage, eu égard aux défis que nous devons relever : l'orientation et la formation, l'installation et la transmission, et la simplification.
Naturellement, je ne prétends pas que le projet de loi, à lui seul, relève l'ensemble des défis auxquels est confrontée l'agriculture – du reste, vous ne m'avez d'ailleurs jamais entendu le dire. À ma connaissance, aucun projet de loi n'y est parvenu. Néanmoins, il affirme des principes, fixe un cadre d'accompagnement des acteurs, et propose une adaptation de nos politiques publiques, en cohérence avec celles que nous appliquons depuis 2017 et celles sur lesquelles nous travaillons depuis 2022, en tenant compte de la crise agricole.
En revanche, je ne peux laisser dire, comme j'ai pu l'entendre, que le projet de loi passerait à côté de sujets essentiels. La question de la promotion et de l'attractivité des métiers agricoles, et celle de la découverte, dès le plus jeune âge, des réalités de la vie des agriculteurs sont essentielles. Elles le sont d'autant plus qu'une partie de la société a perdu de vue ce que font les agriculteurs, voire les caricature ou les stigmatise, sur fond de méconnaissance des réalités scientifiques ou du vivant.
La question de l'enseignement agricole, et de la manière dont seront formés les agriculteurs est essentielle, car c'est ce qui fait la force de notre agriculture depuis plus de soixante ans – je salue l'ensemble des agents qui travaillent dans l'enseignement agricole. C'est nécessaire car nous avons besoin de conforter la dynamique positive de l'enseignement agricole pour former 30 % d'apprenants supplémentaires d'ici à 2030.
C'est le Gouvernement qui aurait besoin de compétences supplémentaires pour mener la transition écologique !
Ces jeunes auront besoin de nouveaux outils. Il leur faudra acquérir de nouveaux réflexes et de nouvelles compétences pour relever les défis climatiques et géopolitiques, mais aussi pour gérer leur entreprise, en améliorant leurs conditions de travail et leur qualité de vie.
En commission, vous avez fixé un cap clair : l'effort qu'il est nécessaire de fournir en matière de formation pour assurer le renouvellement des générations. Améliorer l'accompagnement de ceux qui souhaitent s'installer et encourager une relation plus étroite entre eux et ceux qui cherchent à céder leur activité sont également des points essentiels. Je salue également l'amendement de votre rapporteur, qui fixe comme objectif de maintenir un plancher de 400 000 exploitations. D'abord, il s'agit de maintenir notre capacité de production dans tous les territoires, en donnant la priorité non à l'agrandissement, mais à l'installation. C'est un choix clair et assumé. Ensuite, nous ne devons pas descendre au-dessous d'un seuil critique d'agriculteurs, pour maintenir un dialogue avec la société et permettre aux Français d'appréhender la réalité de cette activité.
Enfin, la simplification est essentielle si l'on veut que l'agriculture soit compétitive, et si l'on veut mettre fin à des injonctions parfois contradictoires. Comme moi, vous avez été au contact des agriculteurs lors des mobilisations du début d'année. Vous avez pu les entendre et constater que la simplification est au cœur de leurs attentes.
Car simplifier, c'est faire confiance. C'est donc témoigner d'une forme de reconnaissance et de compréhension. C'est aussi permettre aux agriculteurs de ne pas s'embourber dans des amas de règles parfois contradictoires, et ainsi de se concentrer sur leur mission essentielle : produire, pour nous nourrir.
Toutes les avancées contenues dans ce projet de loi s'appliqueront – si vous le votez – en outre-mer, tant en matière de souveraineté que de formation, d'orientation, d'installation et de transmission, ou encore de simplification. Je connais les spécificités des territoires ultramarins, notamment les enjeux liés à l'autonomie alimentaire. Je serai naturellement à votre écoute dans le cas où il faudrait adapter certaines dispositions.
Comme je l'ai souligné en commission, ce projet de loi d'orientation fixe un cadre et s'inscrit dans une vision d'ensemble pour l'agriculture. Avant d'entamer l'examen du texte en séance publique, je sais le besoin – légitime – des parlementaires de disposer d'une vision globale de ce que le Gouvernement proposera, ou a déjà proposé, sur des sujets essentiels.
Concernant la protection du revenu agricole, la mission parlementaire menée par Anne-Laure Babault et Alexis Izard suit son cours, afin d'améliorer le cadre fixé par les lois Egalim. Des propositions seront formulées et mises sur la table avant l'été, pour que vous puissiez vous en emparer à l'automne.
Concernant la protection sociale, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 concrétisera les avancées permises par l'adoption de la proposition de loi de Julien Dive visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses. Il en respectera et l'esprit et la lettre – dans la continuité des deux lois « Chassaigne » – celle du 3 juillet 2020, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles en France continentale et dans les outre-mer, et celle du 17 décembre 2021 visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles.
Au sujet de la compétitivité, les plans France relance et France 2030 ont soutenu la modernisation de l'outil de production, à hauteur de près de 3 milliards d'euros. Nous avons mis en place des plans de souveraineté pour la filière des fruits et légumes – à hauteur de 200 millions d'euros –, pour les protéines végétales – 100 millions – et pour soutenir l'élevage – afin de produire au moins ce que nous consommons –, avec un avantage fiscal et social destiné à la filière bovine, qui représente 150 millions d'euros.
Nous avons renforcé le dispositif d'exonération de cotisations patronales pour l'emploi de travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (TODE), que nous allons pérenniser ; relevé le seuil pour bénéficier du régime des micro-bénéfices agricoles, dit « micro-BA » ; nous allons aller plus loin, en améliorant la déduction pour épargne de précaution (DEP) et en augmentant le dégrèvement sur la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB). Tous ces éléments seront intégrés dans la loi de finances initiale pour 2025, conformément à l'engagement du Premier ministre et du Président de la République.
Enfin, un texte législatif sera présenté d'ici à l'été sur les produits phytosanitaires. Il portera notamment sur l'évolution du conseil stratégique et les modalités de la séparation entre la vente et le conseil, conformément aux engagements du Premier ministre.
Le présent texte fixe donc le cadre au sein duquel nous prolongeons notre action en faveur des revenus ou de la compétitivité des agriculteurs.
Il propose à ces derniers des avancées très concrètes. Sans entrer dans le détail, j'en présenterai certaines, en saluant les enrichissements permis par les débats en commission.
Ériger l'agriculture au rang d'intérêt général majeur constitue une première avancée. C'était un engagement du Président de la République, ainsi qu'une attente des organisations professionnelles agricoles. Vous l'avez votée en commission. Elle produira des effets à long terme : l'impératif de souveraineté alimentaire sera pris en compte dans la définition des objectifs des politiques publiques ; il le sera également sur le terrain, dans l'évaluation, la réalisation et le développement des projets agricoles.
La réécriture de l'article 1er , à laquelle je m'étais engagé, permettra de préciser les leviers à activer pour que les politiques publiques atteignent cet objectif. Je salue le travail de votre rapporteure Nicole Le Peih et l'esprit collectif qui l'a caractérisé, tant sur la structure que sur le fond du texte, afin d'enrichir l'article des apports utiles de la commission, et de le clarifier.
Je tiens également à saluer les propositions des députés de la majorité, notamment Henri Alfandari du groupe Horizons, Frédéric Descrozaille du groupe Renaissance et Anne-Laure Babault…
…et de l'opposition.
Je vous sentais impatient. Je pense notamment à Julien Dive et ses collègues du groupe LR, qui ont permis de faire évoluer l'article en défendant des amendements dignes de notre dialogue exigeant, sur lesquels j'émettrai un avis favorable.
Le projet de loi permet aussi – deuxième avancée – de conforter la dynamique positive de l'enseignement agricole constatée depuis 2019. Cette année encore, un budget en augmentation de 10 % l'a accompagnée. Cela passe par une série de mesures visant à adapter ce système de formation, qui fait notre fierté, aux enjeux de souveraineté et de transitions, et à l'organiser pour qu'il contribue à former plus et mieux. Je citerai en particulier la création d'une nouvelle mission de l'enseignement agricole, susceptible de fournir un cadre aux personnels – dont je tiens à saluer l'engagement. Je pense aussi à la création d'un diplôme bac + 3, qui est attendu par les jeunes, comme l'a montré la concertation agricole organisée en 2023 et qui doit permettre d'attirer de nouveaux publics vers les métiers agricoles.
Troisième avancée : le texte permet d'accompagner et d'installer différemment les actifs agricoles – au sens large. Il permet également d'envisager une trajectoire économique pour les exploitations, dans un contexte de dérèglement climatique. C'est une nouvelle donne dont nous devons tenir compte. Elle suppose des nouveaux outils, qui devront être dénués d'éléments de complexité et pensés dans une logique d'accompagnement, comme celle qui a prévalu lors de la révolution agricole après la seconde guerre mondiale. Les agriculteurs ont alors été puissamment accompagnés, et non pas laissés à eux-mêmes, ce qui a fait la force de notre agriculture et développé sa capacité de transformation.
Je le dirai de la manière la plus claire qui soit : je ne veux pas que nous produisions de la contrainte. Je veux que les agriculteurs puissent, de manière responsable – parce qu'ils le sont – disposer d'outils d'aide à la décision parmi les plus performants et les plus adaptés. Les jeunes agriculteurs ont exprimé cette demande avec force ; d'où le diagnostic modulaire proposé à l'article 9 et la réécriture suggérée à la fois par le rapporteur Pascal Lecamp et par le député Julien Dive, ainsi qu'une partie du groupe LR.
La nouvelle rédaction sera soutenue par le Gouvernement parce qu'elle vient utilement clarifier et hiérarchiser les objectifs poursuivis par cet outil de diagnostic : savoir mieux préparer une cession ou une installation, et penser la résilience économique de son modèle face au changement climatique, non seulement à ces moments clés, mais aussi tout au long de la vie de l'exploitation. C'est simple, c'est clair, et c'est, je dois le reconnaître et le saluer, le travail parlementaire qui a permis de débarrasser et d'alléger la rédaction initiale de ses lourdeurs ou de dispositifs qui, en définitive, n'étaient pas forcément nécessaires. Les débats sur le diagnostic des sols en commission l'ont illustré.
La création du réseau France Services agriculture (FSA) permettra également de mieux accompagner et d'installer différemment. Lors de la concertation de 2023, les participants avaient fait part de leur forte attente d'un guichet unique d'accueil et d'une offre d'accompagnement pluraliste adaptée à chaque porteur de projet.
Au sein du titre III, j'évoquerai plus spécifiquement les groupements fonciers agricoles d'épargne (GFAE), tels qu'ils sont proposés par les rapporteurs – je salue l'engagement d'Éric Girardin à cet égard, après en avoir longuement débattu en commission.
Il ne s'agit pas d'une mesure isolée. Nous venons soutenir l'installation et l'accès au foncier à travers plusieurs dispositifs : le fonds Entrepreneurs du vivant est doté de 400 millions d'euros d'argent public, pour faciliter l'accès au foncier des jeunes générations ; les prêts garantis par l'État que vous avez votés lors du dernier budget et qui s'élèvent à 2 milliards d'euros seront déployés cette année, dont 400 millions seront fléchés vers les installations d'élevage ;…
…quant aux mesures annoncées par le Premier ministre pour assurer le soutien fiscal à l'installation et la transmission, elles se traduiront dans la loi de finances initiale pour 2025. La puissance publique mobilise l'équivalent de 2,5 milliards d'euros pour favoriser l'accès au foncier et l'installation – 2,5 milliards !
En complément de ce dispositif, nous proposons de mobiliser environ 100 millions pour faciliter l'installation des jeunes. Nous y reviendrons. Nous devons le faire, car sinon, une seule loi s'imposera : celle du plus riche, du plus fort, celle de l'agrandissement de toutes les exploitations, que nous voyons actuellement à l'œuvre. Néanmoins, nous ne devons pas être sourds aux inquiétudes et aux préoccupations, qui se sont traduites par le rejet de cet article en commission. Je n'y suis pas sourd, les rapporteurs non plus : nous avons commencé à le réécrire.
J'évoquerai pour conclure une quatrième avancée concrète permise par ce projet de loi : les éléments de simplification, tout aussi attendus par le monde agricole. Cela ne concerne pas uniquement ce projet de loi, comme le montrent la simplification de la politique agricole commune (PAC) et des règles relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE), votée le 25 avril dernier par le Parlement européen, à l'initiative de la France. L'attente était extrêmement forte en la matière. Elle ressortait des 3 000 propositions formulées par les agriculteurs dans le cadre du chantier de la simplification confié aux préfets. Il était nécessaire de remettre l'impératif de souveraineté au cœur du fonctionnement de la PAC. Nous avons commencé à le faire. Cet équilibre entre souveraineté et transitions, sur lequel nous travaillons au niveau européen, nous le recherchons aussi avec ce projet de loi.
Je rappelle que, comme je m'y suis engagé, toutes les ordonnances qui peuvent être inscrites « dans le dur » lors du débat parlementaire le seront, y compris en concertation avec vous. Des amendements ont été déposés dans ce sens.
Enfin j'insisterai sur les avancées proposées par le texte en matière de simplification.
La première, je l'ai évoquée, concerne l'adaptation du régime de répression des atteintes au droit de l'environnement, avec des procédures et des peines véritablement adaptées aux situations, des sanctions proportionnées et progressives, de manière à éviter des procédures infamantes pour les agriculteurs.
Cela permettra également de préciser la notion de droit à l'erreur. C'est le sens de l'article 13.
La deuxième concerne la réduction des délais de recours contentieux contre les projets agricoles pour l'élevage et les ouvrages hydrauliques, par exemple, avec l'adaptation de différentes procédures, comme la présomption d'urgence et la régularisation des vices de procédure, entre autres. Le but est que nous puissions dire clairement et rapidement aux agriculteurs si leurs projets seront validés ou non, et d'en finir avec des procédures longues et lentes, qui les découragent ; c'est aussi d'enrayer les actions de ceux qui, par idéologie, jouent avec ces procédures pour décourager les porteurs de projets, alors qu'ils ont besoin d'accès à l'eau.
Je citerai enfin la simplification et l'unification du régime applicable aux haies, afin d'en finir avec le maquis de réglementations – plus d'une dizaine, parfois contradictoires –, qui produit l'effet inverse de ce que nous recherchons, à savoir le maintien et le développement de la haie. Celle-ci est un élément paysager, utile à la biodiversité, utile pour accéder à l'eau et utile à l'ensemble des agriculteurs. Je remercie le rapporteur Pascal Lavergne pour son travail sur ce sujet, notamment.
Discuter d'un projet de loi d'orientation en matière agricole a une résonance particulière, certains d'entre vous le rappelleront sûrement, car cela renvoie naturellement aux grandes lois qui ont structuré la politique agricole française dans les années 1960. Depuis, d'autres lois d'orientation se sont inscrites dans cet héritage : en 1980, en 1994, en 1999 et la dernière en date, en 2006. Toutes ont participé à construire un édifice qui a contribué à faire de notre agriculture la meilleure du monde.
Sans se départir de ce qui a été construit, il faut, avec humilité, réinterroger les grandes politiques publiques à l'aune des défis actuels, pour préparer l'avenir sans rien ignorer des urgences du moment. Nous essayons de le faire avec le projet de loi d'orientation soumis à votre examen. Je le résumerai ainsi : souveraineté alimentaire et transitions comme objectifs, voire comme impératifs ; renouvellement des générations pour les concilier.
Je vous fais confiance pour mener un débat exigeant et constructif, dans un esprit de responsabilité, au service de l'avenir de notre agriculture. Je nous fais confiance pour retracer et donner une perspective claire, tant attendue par les agriculteurs, dans le respect de nos différences.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur les bancs des commissions, ainsi que sur quelques bancs des groupes LR, Dem et HOR. – Mme Hélène Laporte applaudit également.
La parole est à M. Éric Girardin, rapporteur général de la commission des affaires économiques.
Le destin de la France est intrinsèquement lié aux femmes et aux hommes dont le labeur quotidien façonne, depuis des siècles, nos territoires, et assure à nos concitoyens une alimentation diversifiée, durable, saine et équilibrée. Répondre aux besoins de l'agriculture française, c'est répondre aux besoins de la France et de ses outre-mer.
Notre agriculture, bien qu'elle soit reconnue comme l'une des meilleures du monde et la première productrice européenne, est au croisement d'importantes mutations.
Je veux rendre hommage aux agriculteurs. Chaque jour, ils s'adaptent et transforment leurs pratiques pour optimiser la qualité de notre alimentation, tout en rendant leurs exploitations plus résilientes et plus compétitives.
La réalité, c'est que notre agriculture est en danger. Nos agriculteurs évoluent désormais dans une société mondialisée, et cette transformation des pratiques ne peut se faire en occultant ce qui se passe autour de nous, en Europe comme dans le monde.
Nous faisons face à des distorsions de concurrence, tant sur le plan international qu'à l'échelle européenne. C'est cette situation qui a conduit récemment l'Europe à une crise agricole majeure. Dans ce contexte, la France a engagé une importante politique de soutien à l'agriculture. De longs mois de concertation avec les représentants du monde agricole, les élus et les services de l'État ont permis, après un travail de coconstruction, de dresser les contours d'un pacte d'orientation et d'avenir pour le renouvellement des générations en agriculture, et d'un projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture.
Les travaux menés ont mis en exergue que, dans les dix prochaines années, un agriculteur sur deux sera en âge de prendre sa retraite, et 45 % le seront dès 2026. Il y a donc urgence à garantir un renouvellement des générations, afin d'assurer la souveraineté agricole française. C'est pourquoi le projet de loi fixe le cap de la souveraineté alimentaire pour les dix prochaines années, en actionnant trois leviers sur lesquels les corapporteurs thématiques s'exprimeront : l'orientation et la formation, pour susciter des vocations agricoles tout en formant plus et mieux ; l'installation des agriculteurs et la transmission des exploitations, afin de pérenniser le modèle familial agricole ; enfin, la simplification pour sécuriser les projets et accélérer leur développement.
S'agissant du titre III, je suis convaincu que nous ne pouvons pas traiter de l'installation des agriculteurs ni de la transmission des exploitations sans évoquer la fiscalité.
En effet, l'activité agricole est une activité économique à fort investissement capitalistique, qui engendre généralement des revenus moyens assez faibles.
De plus, l'évolution du prix moyen du foncier constaté sur tout le territoire, combiné au poids de la fiscalité inhérente à la transmission, ralentissent le processus de cession. L'observation de la fiscalité appliquée aux droits de mutation fait apparaître les points saillants suivants : la France possède le deuxième taux marginal d'imposition le plus élevé d'Europe en matière de droits de mutation à titre gratuit (DMTG), et le quatrième taux marginal d'imposition le plus élevé d'Europe en matière de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ; elle détient le cinquième taux d'imposition le plus élevé d'Europe sur les plus-values immobilières, avec des abattements qui ne s'appliquent qu'après de très longues durées : vingt-deux ans pour les plus-values et trente ans pour les prélèvements sociaux. Par ailleurs, la France est l'un des derniers pays à disposer d'un impôt sur la fortune immobilière (IFI), qui pèse uniquement sur le foncier agricole. Ainsi, les différentes études concernant la pression fiscale annuelle moyenne sur les terres agricoles françaises démontrent qu'elle est l'une des plus élevée au monde. Or si notre volonté est de reconnaître que l'agriculture représente un intérêt général majeur pour notre pays, le moment de la transmission des exploitations agricoles ne doit pas être l'occasion d'un grand soir fiscal.
Nous devons, en amont, protéger les facteurs de production que sont les agricultrices et les agriculteurs – acteurs du vivant –, les actifs immobilisés et circulants, ainsi que le foncier. Forts de ce constat, nous devons, dès le projet de loi de finances pour 2025, d'une part alléger la fiscalité en matière d'installation et de transmission, et d'autre part harmoniser les dispositifs fiscaux applicables, quelle que soit la nature de l'activité agricole. Nous avons adopté en commission un amendement programmatique, qui vise à intégrer au prochain projet de loi de finances un volet consacré à la fiscalité applicable à l'installation et à la transmission des exploitations agricoles.
En complément de ce volet fiscal et en conséquence du constat démographique, j'insisterai sur un point majeur : la nécessité de développer un outil de portage foncier, afin de favoriser l'installation de nouveaux porteurs de projet. La création de cet outil m'apparaît indispensable, car la croissance du foncier nécessaire dans les prochaines années entraînera des besoins en financement de plusieurs dizaines de milliards d'euros. Cet outil permettra à des personnes non issues du milieu agricole de s'installer en agriculture et de financer la transition des exploitations, sans que le coût du foncier constitue un frein.
C'est la raison pour laquelle je veux insister, devant vous, sur l'importance capitale de créer un GFAE, destiné en priorité à l'installation de nouveaux agriculteurs, dans le cadre d'un bail rural à long terme et dans des conditions d'encadrement et de contrôle offrant toutes les garanties nécessaires aux exploitants.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem, ainsi que sur les bancs des commissions.
La parole est à Mme Nicole Le Peih, rapporteure de la commission des affaires économiques pour le titre Ier
Ils sont disposés à entendre les critiques, mais ils aspirent également à être écoutés, soutenus et compris, car ils ont consenti de nombreux sacrifices. Je viens d'une terre où le mot de sacrifice est chargé de sens ; une terre où les paysannes et les paysans ont été mobilisés dans toutes les luttes, jusqu'à affronter, après les horreurs des deux guerres mondiales, la dureté de la mondialisation. Nous leur devons beaucoup. Les agricultrices et les agriculteurs de notre pays méritent que nous parvenions à élaborer une loi transpartisane…
…à leur service, où seul prime l'intérêt général. Ce projet de loi, même s'il ne réglera pas tous les maux de l'agriculture,…
…vise ainsi à sécuriser le secteur agricole français, à préparer les transitions en cours et à répondre aux questions urgentes soulevées par le monde agricole. Une partie réglementaire sera par ailleurs nécessaire, puisque tous les problèmes ne relèvent pas du domaine de la loi.
Soutenir l'agriculture est bien notre priorité. C'est ce que soutient l'article 1
Nous vous proposerons une nouvelle rédaction de cet article 1
Mme Delphine Batho s'exclame.
Elle est le fruit de discussions avec de nombreux groupes que je tiens sincèrement à remercier. Cet article revêt une importance fondamentale ; il constitue le cœur du projet de loi, en précisant la notion de souveraineté alimentaire, en définissant les politiques publiques visant à la garantir, et en énonçant les actions concrètes à mettre en œuvre pour la réaliser. Il est essentiel de définir ce cadre, qui servira de fondement au reste du texte.
Deux nouveaux articles ont été ajoutés après l'article 1er . L'article 1er bis vise à inscrire l'agriculture parmi les intérêts fondamentaux de la nation mentionnés à l'article 410-1 du code pénal ; c'est un juste hommage rendu au monde paysan. L'article 1er ter, issu d'un amendement de notre collègue Éric Martineau, vise, quant à lui, à soutenir financièrement la constitution d'organisations de producteurs.
L'enjeu du renouvellement des générations en agriculture est considérable et réclame une action urgente. L'article 2 définit ainsi, pour la première fois, des objectifs programmatiques clairs pour les politiques d'orientation et de formation dans le domaine agricole : c'est une révolution. Plusieurs amendements adoptés en commission, dont celui de notre collègue David Taupiac, visent à fixer des objectifs chiffrés d'augmentation du nombre de personnes formées aux métiers de l'agriculture. Je relève également l'amendement de notre collègue agriculteur Dominique Potier, qui tend à préciser que les politiques publiques d'orientation et de formation en matière agricole incluent la promotion de l'agriculture biologique. L'agriculture et l'environnement sont non antinomiques, mais interdépendants.
Quant à l'article 3, il complète les dispositions du code rural et de la pêche maritime qui déterminent les missions de l'enseignement et de la formation professionnelle publique et privée aux métiers de l'agriculture. Cet article a été enrichi en commission notamment grâce à l'adoption des amendements de nos collègues Annie Genevard et Jean-Pierre Vigier. S'il est adopté, les établissements d'enseignement et de formation professionnelle agricoles privés devront disposer d'un atelier technologique ou d'une exploitation agricole, afin de mieux adapter la formation aux pratiques professionnelles existantes. Attention, toutefois : cette nouvelle rédaction de l'article L. 813-1 du code rural et de la pêche maritime ouvre une possibilité, mais ne constitue pas une obligation.
Toujours en vue d'enrichir le texte, la commission a adopté un amendement du président Chassaigne, visant à préciser que l'ensemble des filières de formation devaient inclure dans leurs référentiels des modules liés à la transition agroécologique et climatique, à l'agriculture biologique, ainsi qu'à l'ensemble des modes de production visant à garantir la durabilité des systèmes agricoles.
Enfin, l'article 4, adopté en commission sans modification, vise à intégrer la dimension agricole dans les contrats de plan régional de développement des formations et de l'orientation professionnelles (CPRDFOP).
Nos discussions ont permis d'enrichir le texte dans un climat apaisé. Essayons de maintenir cette atmosphère constructive : le monde agricole compte sur nous.
Mme Marie Pochon s'exclame.
Relevons le défi d'une agriculture écologiquement responsable, respectueuse des consommateurs, économiquement forte, et pérenne. Je compte sur vous.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur les bancs des commissions.
La parole est à M. Pascal Lavergne, rapporteur de la commission des affaires économiques pour le titre II et pour le titre IV.
Hier soir déjà, nous attendions de pouvoir débuter l'examen de ce texte.
Cela fait deux ans qu'on attend ! Si ce n'était que depuis hier soir, ça irait !
J'avoue que je l'ai vécu comme un ancien agriculteur, qui attend toute la journée le vêlage de sa vache qui se prépare, et qui finalement doit attendre toute la nuit, les premières contractions n'arrivant que cet après-midi.
MM. Éric Martineau et Pascal Lecamp, rapporteur, applaudissent.
Ça, c'est du vécu ! On ne devrait jamais quitter le plancher des vaches !
Nous voilà réunis, pour deux semaines, afin de parler de l'avenir de l'agriculture et des agriculteurs, piliers de notre alimentation et de notre nation. Nous avons connu ces dernières années des périodes troublées, qui ont révélé nos faiblesses et les défis à relever. Nous sommes parvenus à un moment critique, qui nous commande de répondre de manière inédite aux difficultés auxquelles le monde agricole est confronté.
Cette réponse passe par le texte que nous nous apprêtons à examiner. Ce texte, je le conçois comme le fruit de dialogues et de consultations ,
Mme Sophia Chikirou s'exclame
d'une écoute attentive de ceux qui nous nourrissent – car ce sont eux qui connaissent la réalité et les difficultés inhérentes à l'agriculture. Si les enjeux du texte sont multiples, son objectif est unique : répondre de façon efficace et pragmatique à ces difficultés. Je suis heureux de défendre deux volets de ce texte : le titre II, relatif à la formation – domaine que je partage avec Nicole Le Peih – et le titre IV, qui concerne la simplification.
La formation, à travers le titre II, doit répondre au besoin de renouvellement des générations d'agriculteurs et d'agricultrices en France, auquel les seuls descendants d'agriculteurs ne pourront suffire. Le projet de loi a donc pour ambition de mieux faire connaître les métiers de l'agriculture, de son amont jusqu'à son aval. Par ailleurs, adapter les formations agricoles aux enjeux de l'agriculture de demain est indispensable. Ainsi, parmi les mesures proposées en faveur de la formation et pour répondre au besoin de compétences, l'article 5 ouvre une voie à des formations, dans l'enseignement supérieur, conduisant à un diplôme national de premier cycle en sciences et techniques de l'agronomie. Dans un contexte de transitions écologique et énergétique, et plus largement environnementale, bien former les agriculteurs de demain aux défis techniques et technologiques – que ce soit au sein d'un établissement d'enseignement public ou privé – constitue une clé essentielle au renouvellement des générations.
En effet, être agriculteur en 2024, c'est faire face à des défis qui ont beaucoup évolué et qui ne se résument plus à la simple productivité : la rentabilité économique, le respect des réglementations, la gestion managériale et administrative ou la réduction de l'impact environnemental sont à concilier. Cette complexité est désormais structurelle dans les métiers de l'agriculture. Ainsi, nous devons libérer, sécuriser et surtout simplifier l'exercice de l'activité des agriculteurs. C'est l'objectif poursuivi par le titre IV. En l'espèce, ma vision des choses est claire ; il s'agit de rendre aux agriculteurs ce dont ils ont toujours été les premiers à faire preuve : le bon sens et le pragmatisme. Le titre IV propose de rendre la vie des agriculteurs moins difficile, tout en préservant l'environnement – deux domaines trop souvent opposés, à tort.
Agriculteur est un métier que j'ai choisi, alors que je n'étais pas issu d'une famille agricole. En 1997, je saute le pas et j'achète mes cinq premiers hectares de vignes, pour porter ma ferme, quinze ans plus tard, à une soixantaine d'hectares en vignes, prairies et maïs ensilage, afin d'alimenter un troupeau d'une cinquantaine de vaches allaitantes. Les veaux auxquelles elles donnent naissance finissent en bœufs, dont chaque morceau de viande est cuit sur la plancha du restaurant que j'ai adossé à ma ferme, pour capter le maximum de la valeur ajoutée de la production.
Arrêtez, vous allez nous faire saliver ! À déguster avec une bonne bouteille !
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Écolo – NUPES.
L'envie qu'a suscitée, lorsque j'étais enfant, ma rencontre avec une ferme, nous voulons la donner aux enfants partout en France, dès le plus jeune âge – et c'est dans le texte. La formation aux enjeux agronomiques et pédoclimatiques, nous voulons la donner à suffisamment de jeunes pour relever le défi du renouvellement des générations – et c'est dans le texte. La rencontre que j'ai eu personnellement la chance d'avoir avec le réseau des chambres d'agriculture, nous voulons en offrir la possibilité à un large éventail de personnalités et de projets différents, ouverts à tous les modèles, à travers France Services agriculture – et c'est dans le texte.
La constitution d'une base foncière suffisante a été pour moi longue, complexe, coûteuse, éprouvante – tel un parcours du combattant.
Mme Hélène Laporte s'exclame.
Il nous faut intégrer à ce texte un outil de portage du foncier ; je sais que nous saurons trouver un juste milieu pour convaincre majorité et oppositions, afin d'offrir à nos agriculteurs la possibilité d'acquérir du foncier.
M. Charles Sitzenstuhl applaudit.
…et deux excellentes semaines d'un travail qui – j'en suis sûr – rendra très fier les agriculteurs de notre pays, qui nous font le plaisir de nous nourrir tous les jours, deux fois par jour.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, LR et Dem, ainsi que sur les bancs des commissions.
La parole est à M. Pascal Lecamp, rapporteur de la commission des affaires économiques pour le titre III.
De longues journées de débat nous attendent. J'aimerais que nous ayons tous en tête le contexte qui nous y amène, et que plusieurs de mes collègues ont déjà rappelé.
Entre aujourd'hui et le vendredi 24 mai, la France aura perdu plus de 250 fermes. Ce sont près de trente agriculteurs qui, chaque jour, auront cessé leur activité et transmis à l'agrandissement ou, bien pire, n'auront trouvé aucun repreneur. C'est donc, dans un cas, notre modèle d'agriculture familiale qui est remis en cause et, dans l'autre, notre souveraineté alimentaire.
Votre ministre et vos rapporteurs souhaitent, avec ce projet de loi, préserver le modèle agricole français : sa diversité, la vitalité qu'il apporte à notre ruralité, mais aussi sa capacité à nourrir.
La France doit rester une terre d'élevage, une terre de pastoralisme, une terre céréalière, sylvicole…
…arboricole, viticole, maraîchère. Elle doit continuer à servir le développement des appellations d'origine et de l'agriculture biologique. Elle doit aussi protéger la productivité de son agriculture et la capacité de ses exploitants à vivre de leur travail.
C'est en cohérence avec cette vision que nous avons votée, en commission, l'inscription à l'article 8 de l'objectif d'atteindre un seuil de 400 000 exploitations agricoles en 2035.
Trois impératifs doivent nous permettre d'assurer ce renouvellement des générations.
Le premier est de soutenir la transmissibilité des fermes ainsi que leur évolution. Les changements climatiques et les impasses économiques auxquelles les agriculteurs font face sont des réalités. Le diagnostic modulaire, prévu à l'article 9 du projet de loi, doit nous permettre de les regarder en face et de nous projeter dans le futur. Je soutiendrai une évolution du dispositif proposé, fruit d'une réflexion collective, pour que ce diagnostic soit un outil au service de la viabilité économique, environnementale et sociale des exploitations.
Loin d'être une injonction supplémentaire adressée aux agriculteurs, comme cela a pu être compris, le diagnostic n'est pas obligatoire. La logique n'est pas punitive, mais ne doutons pas que les exploitants s'en saisiront pour éviter de futures impasses.
Notre second impératif est de nous adapter au profil des futurs installés, de les conseiller et de les accompagner, avec une pensée particulière pour ceux qui ne sont pas issus du milieu agricole et qui représentent maintenant près de 60 % des étudiants en formation.
Avec France Services agriculture, nous créerons une porte d'entrée unique pour tous les actifs agricoles, qui seront orientés en fonction de leur projet. L'intégration du futur cédant dans une démarche d'accompagnement, cinq ans avant son départ en retraite, permettra de préparer au mieux sa cessation d'activité et de le mettre le plus tôt possible en face d'un repreneur potentiel. FSA agrégera tous ceux qui, sur le terrain, œuvrent déjà à former et à accompagner. Il s'agit de mettre en commun toutes les énergies et de rassembler les informations dans un répertoire départemental unique nourri par tous, au service d'une meilleure lisibilité et d'une meilleure adéquation entre les besoins des projets et le conseil apporté.
La logique plurielle et la transparence seront les clés de la réussite et les chambres d'agriculture en seront les garants neutres, dans tous les départements de France métropolitaine et d'outre-mer. En commission, à l'initiative de vos rapporteurs, nous l'avons inscrit dans la loi et nous en avons clarifié le dispositif.
Notre troisième impératif n'est pas le moindre – last but not least, comme disent les Anglais : créer les conditions économiques du rachat des exploitations. Les agriculteurs sont aussi, je le rappelle, des entrepreneurs. Mais dans quel autre secteur commence-t-on sa carrière avec un endettement de près de 1 million, à 25 ans et parfois moins ?
Tout à fait. Les jeunes qui souhaitent s'installer doivent commencer par investir dans leurs machines, leur cheptel, leurs bâtiments. Or plus de 25 milliards d'investissement dans le foncier agricole seront nécessaires dans les dix prochaines années. Ce constat nous oblige à trouver des solutions pour lisser dans le temps la charge financière pesant sur les jeunes, et pour faire entrer des capitaux extérieurs, afin que les terres à vendre puissent trouver des repreneurs sans que soit compromise leur maîtrise par les agriculteurs.
À cette fin, ce texte a pour vocation de proposer, d'une part, des dispositifs de portage de GFAE, présentés par notre rapporteur général, et, d'autre part, l'ouverture du fonds Entrepreneurs du vivant, présenté par notre ministre.
Il a enfin pour objectif le développement du portage soutenu par des fonds publics, en particulier par ceux des banques du groupe de la Caisse des dépôts, au moyen notamment de la massification du fonds Élan, également adopté en commission.
Je conclus en rappelant que les outils présentés dans le titre III sont le fruit de plus de six mois de concertation et d'ajustements avec la profession agricole. Nous répondons à des besoins de terrain, et j'ose espérer que nous saurons prendre collectivement nos responsabilités dans l'examen et le vote de ce texte.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, RE et HOR.
La parole est à Mme Aurélie Trouvé, rapporteure pour observation de la commission des affaires européennes.
Comme vous le savez, nous avons assisté ces derniers mois au soulèvement de toute l'agriculture française. Les agriculteurs ont, avant tout, réclamé une chose : pouvoir vivre dignement de leur travail. C'est bien légitime.
En France, 10 000 exploitations agricoles disparaissent chaque année. En sept ans de présidence d'Emmanuel Macron, vous n'avez rien proposé qui permette d'enrayer cette destruction de l'agriculture familiale : elle se poursuit toujours au même rythme. Pour toutes ces raisons, on attendait la grande loi agricole du quinquennat, mais, il faut bien le dire : avec ce gouvernement, même si l'on n'attend pas grand-chose, on est quand même déçu.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et quelques bancs du groupe Écolo – NUPES.
Vous ne nous présentez pas du tout une loi qui permette aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail, qui rende possible le renouvellement des générations ou une meilleure installation des agriculteurs. Ce que vous nous proposez, en fait, c'est une loi taillée par et pour l'agrobusiness.
J'en arrive aux questions européennes et relatives à la notion de souveraineté alimentaire. La définition que vous en proposez est aux antipodes de celle que reconnaissent les Nations unies, fondée sur le droit de chaque pays de produire sa propre alimentation. Vous préférez, dans votre texte, une vision qui en est à l'opposé. C'est celle de Bruxelles et de l'Union européenne.
Dans ce fameux article 1er , vous faites du marché intérieur européen et des accords de libre-échange, qui instaurent une concurrence féroce, un horizon indépassable.
Ils ne pourront que creuser le déficit commercial de productions déjà déficitaires : je pense aux fruits et légumes, aux viandes, aux protéines végétales. Un rapport de la Commission européenne elle-même indique que les effets cumulés de tous les accords de libre-échange fragilisent ces productions.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Face à cette concurrence que vous soutenez, il faut s'attendre à ce que la balance commerciale de la France continue de s'effondrer, comme elle le fait depuis dix ans.
C'est pourtant bien le cas, regardez les chiffres. Nous sommes à l'opposé de la souveraineté alimentaire que vous prônez pourtant.
Vous prétendez installer des milliers de nouveaux exploitants. Qu'est-ce qui motive un jeune à s'installer ?
Tout le monde en sera d'accord : il lui faut de la terre, la perspective d'un revenu digne et des débouchés. Il n'y a rien de tout cela dans ce texte de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – Mme Marie Pochon applaudit également.
Vous n'agissez pas mieux dans le cadre de la politique agricole commune et de son application en France. Je rappelle qu'elle n'est malheureusement pas décidée dans cet hémicycle, mais uniquement par le Gouvernement.
Les montants d'aide à l'installation de la PAC, dont vous appliquez les modalités en France, sont insuffisants, comme le rappellent de nombreux syndicats agricoles. Pire encore, vous avez décidé qu'il revient aux régions de gérer ces aides : d'une région à une autre, les conditions d'octroi et les montants de ces aides à l'installation sont ainsi différents. Cela remet en cause, de manière évidemment inacceptable, l'égalité de traitement des jeunes agriculteurs au sein d'une même nation.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Le projet de loi arrive au moment d'un recul historique du volet environnemental de la PAC. Des États membres de l'Union européenne, dont la France, ont poussé pour que soient remis en cause les progrès accomplis depuis quarante ans. Ce tournant est très dangereux. Ainsi, il était obligatoire, pour pouvoir toucher des aides, d'avoir au moins 4 % de sa surface agricole en jachère, en haies, en bosquets ou en mares. Cette obligation, sous la pression de la France, vient de sauter. Cela favorisera une toute petite minorité d'agriculteurs qui ne respectent pas ces conditions, comme les très grands céréaliers, tandis que les éleveurs, qui vont même au-delà de ces normes, se voient, eux, obligés de continuer à maintenir les haies – ce qui est légitime quand on sait que 25 000 kilomètres de ces haies disparaissent chaque année.
Par votre projet de loi, vous faites encore pire, en faisant passer pour de la simplification administrative ce qui relève en fait du torpillage du droit de l'environnement.
M. Charles Sitzenstuhl s'exclame.
La seule et unique disposition que vous avez jugé bon d'introduire, finalement, c'est l'accaparement des terres agricoles par des fonds financiers. On sait ce que cela donne dans d'autres pays européens : l'augmentation des prix du foncier…
…et le développement de l'agriculture capitaliste au lieu de l'agriculture familiale.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Ce qui se joue, au fond, c'est le choix du modèle agricole que nous voulons. Le vôtre, c'est l'agriculture pour le grand marché voué à la compétition féroce – que le meilleur gagne ! – avec des exploitations de plus en plus démesurées qui respectent de moins en moins les règles sociales, environnementales et sanitaires.
Avec ce texte au détriment des travailleurs et du vivant, vous continuez de faire ce que vous faites depuis sept ans, en vous arrangeant pour que les débats cruciaux ne puissent avoir lieu.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES, dont plusieurs députés se lèvent.
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
Nous commençons aujourd'hui l'examen, très attendu par le monde agricole, d'un projet de loi qui a demandé six mois de concertations. Nos agriculteurs ont accompli des efforts considérables, notamment pour adapter leur mode de production aux nécessités de la protection de l'environnement. Notre pays a su conserver l'une des agricultures les plus performantes au monde : la première de l'Union européenne, dont elle représente, à elle seule, plus de 17 % de la production.
Elle doit pourtant faire face à de multiples défis : l'érosion du revenu agricole, les effets du dérèglement climatique et le vieillissement de la population active agricole. Ce projet de loi doit nous aider à les relever ensemble, pour donner un cap à notre politique agricole.
Cette loi est loin d'être la première dont nous débattons qui vise à soutenir notre agriculture. Pour mémoire, si la dernière loi d'orientation agricole date du 13 octobre 2014, notre majorité a conduit, depuis 2017, nombre de réformes législatives au service de notre agriculture : la loi Egalim du 30 octobre 2018, celle du 18 octobre 2021 et celle du 30 mars 2023.
Nous n'avons donc pas négligé ici, tant s'en faut, la question du revenu agricole et celle de la relation des producteurs avec les autres acteurs, en amont et en aval des filières – notamment avec la grande distribution.
Il en est de même pour ce qui est du foncier et de l'assurance récolte. Il y a moins de trois ans, nous votions la loi du 23 décembre 2021 portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires.
Nous avons également réformé le vieux système des calamités agricoles avec la loi du 2 mars 2022 sur l'assurance récolte.
Le projet de loi s'inscrit ainsi dans le prolongement des nombreuses réformes conduites au cours des dernières années.
L'un de ses axes les plus importants concerne le renouvellement des générations en agriculture. En vingt ans, l'âge moyen des agriculteurs est passé de 47 ans à plus de 51 ans. Il est donc crucial, pour l'avenir de notre agriculture de préparer et de faciliter l'installation de jeunes,…
…en les formant mieux aux métiers de l'agriculture et de l'agroalimentaire, en renforçant l'attractivité de ces métiers et en facilitant la reprise des exploitations.
Je me félicite que le titre II du projet de loi prévoie la création d'un nouveau diplôme de niveau bac + 3, afin de développer les compétences managériales et agronomiques.
Ce texte comporte aussi des mesures de simplification utiles, notamment en faveur de l'aquaculture et de la gestion des ressources en eau, ainsi que pour l'adaptation des procédures contentieuses et la gestion des haies, qui ont donné lieu, en commission, à de longs débats.
Je tiens à souligner en quelques mots la qualité du travail effectué par l'ensemble de nos rapporteurs en commission. Je voudrais rappeler l'ampleur des travaux que nous avons menés dans notre commission des affaires économiques. Près de 3 700 amendements ou sous-amendements avaient été déposés. Ont été déclarés irrecevables, au titre de l'article 45 de la Constitution – absence de lien avec les dispositions du texte en discussion –, 22 % d'entre eux.
Beaucoup de ces amendements traitaient de fiscalité, d'urbanisme, de chasse, de baux ruraux, de produits phytosanitaires ou de distribution et de publicité de produits agricoles.
D'autres textes devraient aborder au moins une partie de ces sujets. En outre, près de 7 % des amendements déposés ont été déclarés contraires à l'article 40 de la Constitution en matière financière.
Au total, plus de 2 200 amendements ont été débattus en commission, pendant plus de trente-six heures. Ils nous ont permis d'aboutir à un texte qui a sensiblement progressé, grâce aux apports de collègues de tous les groupes politiques…
…y compris ceux du groupe Écologiste – NUPES, à l'initiative de la motion de rejet, ce qui est surprenant.
La commission a adopté 184 amendements et a ajouté dix nouveaux articles au projet de loi initial, sur des sujets aussi divers que la sensibilisation des enfants à l'agriculture dès l'école primaire, la création d'un contrat d'associé dans une société agricole, l'exercice d'activités commerciales accessoires dans le cadre notamment des groupements agricoles d'exploitation en commun (Gaec), la présomption de bonne foi des agriculteurs en cas de contrôle de leur exploitation, ou les conditions d'extension des accords professionnels.
À l'inverse, la commission a supprimé l'article 12 sur les groupements fonciers agricoles d'investissement (GFAI).
Le Gouvernement s'est engagé à travailler avec notre rapporteur général à une réécriture de cet article, avec l'accord de certaines organisations syndicales.
Je voudrais conclure en appelant chacun des groupes qui composent cette assemblée à la responsabilité. Certes, à lui seul, ce projet de loi ne réglera pas toutes les difficultés du monde agricole.
Voter la motion de rejet préalable qui sera défendue dans un instant, ce serait balayer purement et simplement d'un revers de la main ce travail de coconstruction auquel vous avez vous-même participé ! Ce serait renier le fruit de notre travail collectif et responsable en commission, dont vous avez pourtant souligné la bonne tenue. Enfin, ce serait mépriser les organisations professionnelles agricoles qui ont, elles aussi, participé à l'enrichissement du texte.
J'espère que nous saurons collectivement dépasser les logiques partisanes et conserver l'esprit constructif qui a prévalu en commission pour répondre à leurs attentes et à celles du monde agricole. Force et courage ! Bons débats ! J'ai dit.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem.
J'ai reçu de Mme Cyrielle Châtelain et des membres du groupe Écologiste – NUPES une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5 du règlement.
La parole est à Mme Marie Pochon.
« On ne peut pas raconter des craques aux agriculteurs, il faut arrêter » disait Emmanuel Macron lors de sa visite au Salon de l'agriculture, en pleine mobilisation agricole.
Et c'est vrai : il faut arrêter de raconter des craques aux agriculteurs, et aux autres aussi d'ailleurs. C'est une sale habitude prise par nombre de nos dirigeants depuis sept ans, et sans nul doute depuis plus longtemps.
M. Grégoire de Fournas s'exclame.
Nous voilà face à ce fameux projet de loi, initialement d'orientation et d'avenir agricoles, qui devait fixer un cap, et répondre aux mobilisations ; un projet de loi dont la préparation a été rythmée par des concertations en grande pompe avec les acteurs du monde agricole, les associations, les élus, pour répondre au plus grand plan social que notre pays ait connu ces cinquante dernières années, aux suicides tous les deux jours, aux rendements en berne, aux ventes à perte, à la désertification de nos villages, à l'effondrement du vivant.
À peine deux mois plus tard, nous nous rendons compte – mais qui est surpris, au fond ? – que le Président de la République et ses fidèles nous ont encore raconté des craques.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Vous ne fixez aucune orientation pour l'agriculture, et il faudra attendre que le Président y réfléchisse, d'ici un an, a-t-il dit la semaine passée. C'est bien cela, monsieur le ministre ?
Après les craques sur les vertus des accords de libre-échange, les craques sur les prix planchers, les craques sur l'application des lois Egalim, après « Ce quinquennat sera écologique ou ne sera pas », pourquoi ne pas attendre que chaque paysan de ce pays soit occupé au travail de l'exploitation pour faire semblant de faire quelque chose ?
L'agriculture, après tout, c'est une priorité nationale uniquement quand on peut prendre la pose sur une botte de paille. C'est ensuite vite oublié. Et puis, ces salades occuperont bien les députés !
Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
D'orientation et d'avenir, cette loi en a perdu le nom, et le fond. D'installation, elle n'en souhaite pas, puisqu'elle ne fixe aucun objectif,…
…ne se dote d'aucune ambition et d'aucun moyen. Comme cela, c'est sûr, on ne court pas le risque qu'elle puisse servir à quelque chose !
De transition, elle n'en aime que l'idée abstraite, quand celle-ci se résume à quelques adjectifs peu contraignants ajoutés ici et là. Elle n'en aime que les jolis mots, puisqu'elle décide, sciemment, de nier les réalités scientifiques que sont l'effondrement des espèces, les limites planétaires et les impacts dévastateurs des changements climatiques – et à ce moment de notre histoire, c'est un choix politique criminel.
Le projet de loi déploie beaucoup plus d'énergie à poursuivre le détricotage, déjà entamé, du droit de l'environnement qu'à enclencher, enfin, la transition massive vers l'agriculture biologique, qui n'était même pas mentionnée dans le projet de loi initial.
Parce qu'elle fait partie de l'agroécologie !
Je pourrais aussi citer l'impréparation totale, de la réécriture d'articles entiers annoncée en commission à la publication de décrets, la veille du débat.
Je pourrais enfin citer vos formules pompeuses qui ne veulent juridiquement rien dire. Ainsi, vous créez un intérêt général majeur qui n'a aucune valeur en droit.
Vous renommez un diplôme existant en « bachelor agro ». C'est du français ?
Sourires sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
À l'article 13 bis, vous nous sortez du chapeau une présomption de bonne foi de l'exploitant agricole en cas de contrôle, qui sauverait nos agriculteurs d'une nouvelle menace imaginaire, celle de la présomption de mauvaise foi. De qui se moque-t-on ?
Je pourrais citer l'absence scandaleuse de toute mesure sur le foncier, afin d'empêcher les parlementaires d'amender et d'adopter des propositions ambitieuses pour protéger nos terres agricoles de la spéculation et de l'accaparement par les puissances financières.
Le foncier est pourtant au cœur du problème et votre seule proposition était la provocation honteuse de l'article 12, heureusement supprimé en commission par l'ensemble des groupes, après les alertes nombreuses des syndicats, des associations et de la Fédération nationale des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Fnsafer).
Enfin, rien non plus sur le revenu, sur la capacité des agriculteurs à fixer leurs propres prix pour ce qu'ils produisent et vendent, et sur leur capacité à vivre de leur travail dignement ! L'intérêt général majeur des agriculteurs est pourtant là.
Par cette motion de rejet préalable, nous vous proposons donc de couper court aux craques, aux balivernes et autres carabistouilles, de demander au Gouvernement de revoir sa copie et de revenir devant l'Assemblée avec un texte à la hauteur.
J'aurais tellement aimé que vous nous proposiez un texte qui réponde aux enjeux, qui ne nous oblige pas à déposer cette motion de rejet.
Comme beaucoup ici, sur tous les bancs de cette assemblée, je suis très attachée au monde agricole. J'y ai grandi, on m'a éduquée au rythme des bonnes et des mauvaises saisons, des vendanges, des regards inquiets sur le bulletin météo lors des gels tardifs, au bruit des canons à grêle installés partout dans la vallée.
J'y suis également attachée comme écologiste, et je suis effarée d'entendre revenir dans vos discours la démagogie antiécolo dès qu'il s'agit de faire la course avec le clan Le Pen.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe Écolo – NUPES et sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
L'agriculture, notre souveraineté alimentaire, la vie dans nos villages valent bien mieux que cela, qu'une instrumentalisation au profit de vos piètres stratégies électorales, qui ne fonctionnent par ailleurs… pas du tout !
Sourires sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Je suis élue depuis deux ans et cela fait deux ans que j'attends ce projet de loi, deux ans de crises et de colères accumulées pour les agriculteurs, deux ans durant lesquels vous avez persisté dans l'erreur et l'échec.
Deux ans ! Mais je pourrais dire dix ou vingt ans, car cela fait vingt ans que les agriculteurs et la société subissent vos échecs. Le modèle agricole productiviste que vous tentez coûte que coûte de maintenir en vie est à bout de souffle.
Sur les revenus, le bilan est si mauvais que vous venez d'affronter l'une des plus importantes mobilisations sociales agricoles des dernières décennies et que vous vous apprêtez à sortir une nouvelle loi Egalim, la quatrième sur le sujet en sept ans de mandat !
Sur l'environnement, votre bilan est catastrophique : l'agriculture est désormais le deuxième secteur émetteur de gaz à effet de serre, et les modes de production intensifiés, spécialisés, chimiques que vous avez promus ont provoqué un tel recul de la biodiversité, une telle pollution des ressources et milieux naturels qu'ils menacent notre capacité à continuer de produire.
Sur le renouvellement des générations, au cœur de ce texte, on peut difficilement faire pire puisque 100 000 exploitations ont disparu ces dix dernières années et qu'un exploitant sur trois partant à la retraite n'est pas remplacé. C'est un gigantesque plan social qui se joue dans nos campagnes.
Ce sont des milliers de familles démunies, d'agriculteurs endettés, de jeunes qui renoncent à reprendre la ferme familiale.
Ce n'est pas seulement l'agriculture qui meurt mais des communautés entières qui se retrouvent fragilisées, les usines et les commerces qui préfèrent aller voir ailleurs, les classes qui ferment ; ce sont nos villages qui se vident ; c'est le lien social qui s'étiole.
Il fallait travailler en commission ; vous les connaîtriez, nos propositions !
Votre échec, c'est aussi l'aggravation des inégalités entre les mondes agricoles. Car il n'y a rien de commun entre les grands céréaliers exportateurs, habitués des plateaux de télévision et des réunions ministérielles, et les petits éleveurs ovins pastoraux qui nourrissent nos territoires et entretiennent nos paysages.
Les gros, à qui vous parlez, captent la majorité des aides publiques pendant que les petits se partagent les miettes. Les gros contrôlent en parallèle les coopératives, les industries, pendant que les petits sont écrasés sous leur poids.
Les gros réclament de raser les haies et de réautoriser des pesticides, pendant que les petits revendiquent des prix rémunérateurs et la fin de la concurrence déloyale,…
…sans parler de la grande distribution, des industriels des produits phytosanitaires aux mains des Chinois, des Américains ou des Russes.
Ces agroindustriels s'enfuient peu à peu chercher de meilleurs marchés ailleurs, grâce à vos accords de libre-échange.
Entre les uns et les autres, il faut faire un choix. Comme toujours, avec votre idéologie ultralibérale, voici le vôtre : enrichir la minorité au détriment de la majorité.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES et LFI – NUPES. – M. Pascal Lavergne, rapporteur, s'exclame.
Devant une telle accumulation d'échecs, n'importe qui changerait d'orientation pour ne pas continuer à envoyer nos agriculteurs dans le mur. Mais assumer ces échecs, quelle idée ! Surtout si on peut y perdre des voix !
Vous n'assumez rien !
Heureusement, à l'opposé de votre inertie, de votre peur du changement, de votre manque de courage, les Françaises et les Français agissent : ils font par eux-mêmes et se débrouillent sans attendre l'appui des politiques publiques, pensées pour servir quelques capitaines d'industrie.
Dans la Drôme, d'où je viens, on sait ce que l'on doit à l'agriculture.
Les agriculteurs vont être contents quand ils entendront ce que vous dites !
Vignobles, abricotiers, lavande, élevages pastoraux, noyers, oliveraies : c'est là que nous puisons notre force – dans la beauté époustouflante de nos paysages, la résilience de notre territoire.
Chez moi, près de 30 % de la surface agricole utile est en bio. L'élevage ovin et caprin est pâturant. Les agriculteurs défendent des indications géographiques protégées (IGP) et des appellations d'origine protégée (AOP) de grande qualité. On bâtit la Biovallée, la première commission locale de l'eau en France, des initiatives inspirantes pour l'agroécologie, des foncières comme Terre de liens ou des épiceries coopératives.
On crée, on innove, pendant que vous subissez la décroissance que vous prétendez combattre. Ici, les jeunes qui cherchent à s'installer se bousculent.
Bien évidemment, tout n'est pas facile mais cela permet aux enfants drômois de bénéficier de repas sains, bio et locaux à la cantine, et l'on vit avec fierté le métier d'agriculteur.
Je tiens à rendre hommage à ces agriculteurs car ils ont contribué, et contribuent toujours au quotidien, chacun à sa place, à cette fierté.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Écolo – NUPES.
Je tiens à rendre hommage à ce secteur agricole qui fourmille d'innovations, d'initiatives collectives, et développe la coopération. Ainsi, les centres d'initiative pour valoriser l'agriculture et le milieu rural (Civam), réseau de près de 130 associations regroupant des agriculteurs et des ruraux, réfléchissent, partout sur le territoire, à des pratiques plus économes et autonomes, à la relocalisation de l'alimentation, aux façons de faire vivre les liens entre agriculteurs et citoyens au bénéfice des territoires.
Je pourrais aussi parler des coopératives d'utilisation de matériel agricole (Cuma), des organisations de défense des paysans, aux organisations syndicales agricoles, aux associations de consommateurs, de protection de l'environnement, de défense du bien-être animal, qui dialoguent et proposent des solutions communes et concertées pour répondre aux grands défis agricoles.
Ces initiatives donnent de l'espoir, de la fierté. Elles font revivre ces territoires à l'agonie que vos politiques ont détruits. Pourtant, vous marginalisez de telles initiatives, vous les pénalisez, voire les criminalisez. Elles n'ont jamais droit aux faveurs des soutiens publics, alors qu'elles bénéficient largement à l'ensemble de la société.
C'est la coopération qu'il faut privilégier, monsieur le ministre, pas la guerre commerciale et la compétitivité.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes Écolo – NUPES et LFI – NUPES.
Le monde agricole le sait depuis toujours, et c'est désormais criant en Europe.
C'est sans doute là notre plus grand désaccord. Pour vous, l'agriculture doit contribuer à la création de richesse et à la compétitivité de l'économie française. L'article 1
Oui.
Pour les écologistes, elle doit fournir une alimentation saine et durable à nos concitoyens.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Écolo – NUPES et LFI – NUPES.
Oui.
C'est ce qui vous fera choisir d'arrêter de produire du poulet en France pour en importer massivement d'Ukraine ou d'Amérique du Sud – là où le prix sera le plus compétitif – et pour spécialiser notre agriculture sur quelques productions nous permettant à notre tour d'exporter. C'est ce que vous osez appeler la souveraineté alimentaire !
Pour les écologistes, la boussole, ce sont des productions diversifiées, adaptées aux besoins des territoires, produites de façon écologique et fournissant un revenu digne aux producteurs.
C'est aussi respecter la souveraineté des autres pays plutôt que de subventionner des agroindustriels pour qu'ils inondent les marchés du sud, affament les paysans locaux et les conduisent à l'exil.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe Écolo – NUPES.
Pour vous, la tactique politique pousse à vanter la diversité des modèles en niant les faits scientifiques, qui prouvent que l'agroindustrie est destructrice, inadaptée et coûte un pognon de dingue en aides publiques et en dépollution, quand un autre – l'agroécologie – sert l'intérêt général.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Pour les écologistes, comme pour tous les groupes de la gauche, il faut assumer ce modèle vertueux et résilient et accompagner tous les agriculteurs vers l'agroécologie, afin de maintenir notre modèle d'agriculture familiale et pastorale.
Vous pensez résoudre tous ces chocs agricoles avec la mise en place d'un France Services agriculture ou la création d'un « bachelor agro ». Pour nous, la réponse réside dans les chances que l'on se donne pour réussir la transition agroécologique.
Vous êtes flous, nous sommes clairs et cohérents. Vous multipliez les échecs quand certains responsables agricoles, associatifs et politiques dessinent un chemin soutenable et désirable, partout où ils sont aux responsabilités.
Quand vous échouez à atteindre tous les objectifs fixés par les lois Egalim, dont celui de servir 20 % de produits bio dans les cantines – on atteint en moyenne péniblement 6 % –, toutes les villes écologistes dépassent largement les objectifs.
En quelques années, la part du bio a déjà augmenté de 50 % dans les grandes villes comme Lyon, Montpellier ou Bordeaux, mais aussi dans des plus petites comme Bègles – 71 % – ou Mouans-Sartoux – 100 %.
À Lyon, où on ne donnait plus de viande aux enfants dans les cantines !
Quand vous vous battez pour une PAC inégalitaire qui distribue 80 % des aides européennes à 20 % des fermes, les écologistes se battent pour des aides à l'actif qui favorisent l'installation. Quand vous laissez la filière bio dépérir en refusant de modifier l'écorégime de la PAC,…
…et mettent en place des innovations comme à Strasbourg où les ordonnances vertes permettent aux femmes enceintes de profiter de produits sains et aux maraîchers bio d'augmenter leurs débouchés pour leurs productions.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES et sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Quand vous artificialisez les terres agricoles et faites disparaître des fermes, le Grand Lyon protège 10 000 hectares et Nantes Métropole 14 000.
Quand vous signez tous les accords de libre-échange qui nourrissent la concurrence déloyale pour nos agriculteurs…
…et importez les fermes-usines en France, nous défendons l'élevage paysan, le « moins mais mieux » qui permet la survie de nos modèles herbagers et pâturants. Quand votre politique précarise et fait exploser les files des caisses alimentaires, les écologistes expérimentent à Grenoble ou à Dieulefit la sécurité sociale de l'alimentation.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Écolo – NUPES.
Quand vous vous satisfaites des ventes à perte et que vous enlevez ses moyens d'action à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), nous faisons adopter, contre vous et avec tous nos collègues ici réunis, la garantie de prix rémunérateurs pour les agriculteurs.
Mêmes mouvements.
Assurer la sécurité des agriculteurs, c'est protéger leur métier et leur santé ; c'est faire en sorte qu'en regardant leurs enfants, ils puissent espérer transmettre l'histoire d'une vie que représente souvent une ferme, parce qu'ils savent qu'ils leur légueront des métiers rémunérateurs, dans lesquels ils pourront s'épanouir, expérimenter, s'inscrire dans des écosystèmes vivants, produire une alimentation saine et de qualité, et en être fiers.
La crise profonde de notre modèle agricole n'est pas inéluctable. Elle résulte de vos choix politiques. Non, cette loi ne permettra pas davantage d'installations – vous le savez très bien. On ne mesurera d'ailleurs pas son efficacité en la matière. Vous avez même refusé de demander les bilans annuels des politiques d'installation conduites par les chambres d'agriculture – vous ne le souhaitez pas. Ce plan social, ces milliers de familles démunies d'agriculteurs endettés, ces jeunes qui renoncent à reprendre la ferme familiale : c'est votre choix politique, que vous n'assumez pas parce que vous le savez impopulaire, mais que vous faites.
Si Emmanuel Macron a raison de dire qu'il faut arrêter de raconter des craques aux agriculteurs, il ferait bien d'appliquer ce conseil à lui-même. Il faut arrêter les mots inutiles, les lois indigentes, les fausses promesses, les contresens, la maladaptation et les mensonges.
Les lois d'orientation agricole de 1960 et 1962 – dites lois Pisani – ont orchestré la modernisation de l'agriculture dans les années 1960, avant qu'Edgar Pisani lui-même reconnaisse et regrette, plusieurs décennies plus tard, les conséquences de l'industrialisation qui menaçait l'agriculture.
C'est la preuve que reconnaître des faits et assumer ses erreurs, c'est possible.
Mêmes mouvements.
Utiliser la loi pour donner de nouvelles orientations, c'est possible et c'est même la moindre des choses. Alors que la moitié des terres agricoles vont changer de mains dans les prochaines années, nous avons le pouvoir, donc le devoir de changer de cap : votons cette motion de rejet !
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES et sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Madame la députée, je viens de vous écouter avec attention et j'avoue ne pas bien vous comprendre.
Permettez-moi de vous rappeler qu'au terme de l'article 91 du règlement de l'Assemblée nationale, l'objet d'une motion de rejet préalable consiste à faire reconnaître que le texte est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou de faire décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer.
Ce texte est-il d'une quelconque manière contraire à une disposition constitutionnelle ? Assurément non.
Si vous déposez une telle motion, c'est donc que vous estimez qu'il n'y a pas lieu de délibérer. Mais pensez-vous vraiment que nous ne devrions pas réfléchir collectivement, en adoptant des mesures fortes et ambitieuses, à la trajectoire que nous souhaitons donner à notre agriculture et à nos agriculteurs dans les vingt ans qui viennent ? Car tel est bien l'objet d'une loi de programmation. Je suis d'accord avec vous sur le fait que ce projet de loi ne résoudra pas tous les problèmes auxquels les agriculteurs sont confrontés, à commencer par l'incertitude de pouvoir compter sur un revenu décent qui leur permette de vivre de leur travail.
Il n'a pas l'ambition de donner des réponses à l'ensemble des préoccupations des agriculteurs, surtout lorsqu'il s'agit de résoudre des problèmes vieux de dix, quinze ou vingt ans, voire davantage. Nous en convenons tous. Son objet est différent. Ce texte donne un cadre – celui de la souveraineté alimentaire et agricole – qu'il nous faut préserver et même renforcer, le covid et la guerre en Ukraine nous ayant rappelé combien nos économies étaient dépendantes de l'extérieur pour certains produits et par conséquent, combien elles étaient fragiles.
Une fois ce cadre posé, le titre Ier du projet de loi précise les trois leviers à actionner pour répondre aux défis de la souveraineté agricole et alimentaire, dont un des plus importants consiste à assurer le renouvellement générationnel en agriculture. Ces trois leviers – je l'ai dit à plusieurs reprises – sont la formation, l'installation et la simplification. La formation, détaillée dans le titre II, passe par une plus grande sensibilisation des jeunes aux métiers des secteurs agricole et agroalimentaire, qu'il faut enfin considérer comme de véritables débouchés, choisis en connaissance de cause et non uniquement par héritage familial. Pour renforcer cette sensibilisation, le texte prévoit des moyens humains et des outils juridiques afin qu'un véritable élan collectif, de l'État aux collectivités territoriales en passant par les chambres d'agriculture et tous les professionnels concernés, donne un nouveau souffle à l'enseignement agricole.
L'installation et la transmission, qui sont l'objet du titre III, sont également au cœur du dispositif que nous souhaitons bâtir afin de ne pas descendre en deçà des 400 000 exploitations que compte aujourd'hui notre pays.
Qu'il s'agisse d'accroître progressivement la mobilisation de fonds publics au soutien du portage du foncier agricole, du développement des investissements nécessaires à la transition agroécologique, de la formalisation d'un cadre permettant de réaliser des diagnostics d'accompagnement destinés à fournir des informations utiles aux exploitants agricoles lors des différentes étapes de la vie économique de l'exploitation, ou de la constitution du réseau France Services agriculture, ce projet de loi apporte des réponses pour faciliter les démarches des agriculteurs et leur installation.
Le titre IV, quant à lui, apporte des réponses ponctuelles à divers sujets, qui relèvent toutes d'une volonté de simplifier la vie des agriculteurs. Lorsque vous travaillez soixante heures par semaine, 365 jours par an, vous n'avez pas de temps à perdre en multipliant les dossiers, les démarches et les demandes. C'est l'objectif de l'effort de simplification qui doit naturellement se poursuivre dans les prochains mois et les prochaines années.
Madame la députée, c'est donc de tout cela que vous ne souhaitez pas débattre. Contrairement à ce que vous dites, je ne pense pas qu'il s'agisse de craques.
Ce serait envoyer un bien mauvais signal à nos agriculteurs que de leur montrer ainsi le désintérêt de la représentation nationale pour leur avenir collectif. Au contraire, face aux attentes légitimes des consommateurs s'agissant du prix et de la qualité des produits, à plus forte raison dans un contexte concurrentiel exacerbé, y compris au sein de l'Union européenne,…
…nous devons plus que jamais être aux côtés du monde agricole. D'ailleurs, avec plus 300 amendements déposés par votre groupe, madame la députée, vous avez manifesté votre souhait de débattre du sujet, ce que vous avez d'ailleurs fait en commission.
Cela me semble, là encore, quelque peu contradictoire avec le principe même d'une motion de rejet, à laquelle le groupe Renaissance s'opposera évidemment. Il est temps de discuter du texte.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.
Madame la députée Pochon, vous avez aligné pendant un quart d'heure un certain nombre de poncifs et de contrevérités ou d'inexactitudes dans la manière dont vous avez dépeint la réalité.
Mme Raquel Garrido s'exclame.
Je vais tenter d'y répondre brièvement. Tout d'abord, je suis toujours fasciné de voir une parlementaire vouloir se dessaisir de l'une de ses principales missions, à savoir faire la loi et améliorer ou amender les textes qui lui sont soumis.
Exclamations sur les bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
Vous allez aussi devoir accepter que nous ne soyons pas d'accord sur un certain nombre de sujets, notamment en matière agricole.
Ce n'est pas une raison pour fuir le débat !
En outre, parler de craques à propos d'un texte qui reprend l'intégralité des propositions législatives du pacte présenté en décembre dernier en Normandie et des dispositions reconnues utiles par beaucoup d'acteurs ayant participé à la concertation, c'est faire insulte au travail de construction collective réalisée avec les organisations professionnelles, l'enseignement agricole et le centre de recherche.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe RE.
Si vous qualifiez ce travail, réalisé patiemment depuis des mois et qui n'est pas le nôtre, mais celui de tous les acteurs du monde agricole, de craques, vous méconnaissez l'esprit de concertation qui a prévalu sur le pacte et la loi d'orientation agricole.
Nous avons tenu compte du contexte, cette crise agricole qui a révélé des problèmes. Premièrement, les agriculteurs veulent que leur métier ait du sens.
Tous les agriculteurs nous ont demandé de les aider à redonner un sens à leur métier. Second point : ils réclament des mesures de simplification,…
…alors que vous proposez plus de complexité et de contraintes. C'est la différence entre nous !
Je vous invite bien sûr à ne pas voter cette motion de rejet, mais je veux conclure sur un dernier point. Vous avez évoqué tout à l'heure ce qui est à vos yeux criminel. Ce qui, pour moi, est criminel, ce sont les propos de vos amis qui parlent de l'agriculture comme ils en parlent ; c'est de désarmer la production française alors que les risques qui pèsent sur notre souveraineté sont grands ; ;
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE et sur les bancs du groupe Dem
c'est d'être naïf, comme vous l'avez été dans le domaine nucléaire en nous rendant dépendants au gaz de puissances extérieures comme la Russie. Tout cela est criminel, madame la députée !
Exclamations sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Alors, au lieu de fuir le débat, je vous propose de confronter nos projets et nos modèles. C'est la seule chose qui compte pour les agriculteurs !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE et sur les bancs du groupe Dem.
Sur la motion de rejet préalable, je suis saisie par les groupes Socialistes et apparentés et Écologiste – NUPES d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Dominique Potier.
Si la motion de rejet socialiste avait été tirée au sort, nous aurions consacré tout notre propos au seul sujet du foncier agricole, sans pour autant négliger tous les angles morts, voire votre absence de réponse politique à la crise agricole que nous traversons. Nous n'aurions pas évoqué le renoncement au Pacte vert pour l'Europe, c'est-à-dire à l'assurance vie de la fertilité des sols et de l'agriculture pour les décennies à venir. Les socialistes auraient essentiellement parlé du foncier, parce que depuis 2010, 100 000 exploitations ont disparu et parce que tous les statisticiens confirment que dans les dix ans qui viennent, 150 000 fermes peuvent disparaître et autant d'emplois.
Ils en auraient parlé, parce que dans cette même décennie ce sont 10 millions d'hectares, soit un tiers de la surface agricole de notre pays qui va changer de mains. Dès lors, nous sommes face à une alternative : soit l'accaparement des terres et l'agrandissement des exploitations, qui se traduiront par un appauvrissement social, écologique et économique de tout le territoire national ; soit la relève générationnelle, avec l'installation de 150 000 agriculteurs qui nous permettra de conserver 500 000 exploitants dans notre pays. Nous pourrons alors garantir la souveraineté alimentaire, l'agroécologie, la production et la prospérité de notre agriculture. Voilà l'enjeu – et j'ai envie de dire : le seul.
Sur le terrain, nous observons le démembrement de propriétés, la dérive sociétaire du travail délégué et l'atonie de tous les contrôles des structures. Face à ces problèmes urgents que nous aurions pu tenter de résoudre par une grande loi foncière, vous nous proposez un texte qui nous paraît pour le moins inepte au regard de l'enjeu essentiel pour la génération qui vient. Monsieur le ministre, en votant la motion de rejet, les socialistes vous invitent à ne pas être le fossoyeur du ministre Pisani et à vous inscrire comme un de ses héritiers.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs du groupe Écolo – NUPES.
Notre groupe n'avait pas fait le choix de déposer une motion de rejet. Nous avons hâte de discuter, de batailler et d'essayer de faire évoluer le texte, sans trop d'illusions mais quand même… Nous avons écouté l'intervention de notre collègue Marie Pochon et nous partageons très largement ses propos. Nous avons aussi écouté les réponses apportées, notamment par rapporteur général : leur exégèse nous a finalement convaincus de voter cette motion de rejet.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES. – Sourires sur les bancs du groupe Dem.
Vous avez fait preuve d'un tel manque d'humilité et d'ouverture au débat ! Si je devais résumer votre projet de loi, monsieur le ministre, je vous comparerais à un torero muni d'une cape et d'une muleta – certes, pas trop rouge.
Rires sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Votre stratégie politique consiste en effet à attirer l'attention grâce à quelques mots-valises – souveraineté alimentaire, intérêt majeur supérieur –, qui sont non seulement vides de sens mais qui pourraient de surcroît se transformer en cercueils pour l'agriculture.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Quand vous parlez de souveraineté alimentaire mais que dans le même temps, vous affirmez qu'il faut respecter les accords internationaux, cela signifie que vous êtes favorable aux accords de libre-échange que nous condamnons et qui condamne notre agriculture.
Mêmes mouvements.
De la même façon, quand vous dites que l'agriculture est un « intérêt général majeur » de la nation, qu'est-ce que cela recouvre ? S'agit-il de lâcher tous les enjeux existants pour aller vers une agroécologie, vers une agriculture d'un autre type ? Voilà la question que nous nous poserons durant les débats.
Il ne faut pas oublier l'essentiel caché derrière les mots. Il ne faut pas se précipiter sur cette muleta, sur cette cape de torero, car de cap, vous n'en avez pas – ou en tout cas aucun qui corresponde à notre conception de la paysannerie !
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR – NUPES, Écolo – NUPES et sur quelques bancs des groupes LFI – NUPES et SOC.
Notre agriculture doit relever quatre défis. Le premier est démographique : c'est celui du renouvellement des générations. Nous ne pourrons pas continuer à produire en l'absence de bras. Le deuxième est économique : il s'agit de garantir un revenu décent à ceux qui travaillent la terre, tout en préservant la compétitivité de la ferme France. Le troisième est environnemental : l'agriculture doit à la fois s'adapter au dérèglement climatique et lutter contre lui. Le dernier consiste à préserver le foncier et à en garantir l'accès aux agriculteurs.
Le projet de loi d'orientation agricole dont nous commençons l'examen aurait dû proposer des réponses à ces quatre enjeux. Ce n'est pas le choix qu'a fait le Gouvernement ; le texte qui nous est présenté s'illustre avant tout par ses silences. Les quelques mesures qui le composent sont en majorité d'ordre réglementaire et nombre d'entre elles seront sans grande influence sur l'avenir de notre agriculture.
Nous partageons la déception des trois principaux syndicats agricoles. Cela dit, nous considérons qu'il est trop tôt pour mettre un coup d'arrêt à l'examen du projet de loi. Nous espérons toujours l'enrichir en faisant adopter certains de nos amendements. Certes, nos propositions relatives au revenu agricole ou au foncier ont été déclarées irrecevables, mais d'autres peuvent toujours faire leur chemin. Nous défendrons par exemple des mesures fiscales visant à faciliter la transmission des exploitations – comment, en effet, parler d'installation sans parler de transmission ? –, des dispositions visant à adapter les politiques agricoles aux spécificités territoriales, notamment dans les outre-mer, et des mesures de simplification.
Toutes ces propositions méritent d'être défendues. C'est pourquoi nous voterons contre la motion de rejet préalable et ferons dépendre notre vote final de leur adoption, comme nous l'avons fait en commission.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LIOT.
Les écologistes ne seront pas responsables de votre irresponsabilité. Les écologistes ne seront pas coupables de votre inaction. Les écologistes ne seront pas complices de la disparition de l'agriculture paysanne.
Ce n'est pas de gaieté de cœur que le groupe Écologiste a déposé une motion de rejet préalable.
M. Pascal Lavergne, rapporteur, s'exclame.
Nous assumons de ne pas nous satisfaire d'un projet de loi d'orientation qui oriente si peu, tout en détricotant si bien le droit de l'environnement.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Écolo – NUPES.
Face au mouvement social agricole, vous vous contentez de rendre une copie blanche, vide d'ambition, d'amélioration des conditions de vie et de valorisation des produits paysans. Il appelait pourtant à une forme de révolution, à sortir d'un système capitaliste industriel qui emprisonne, accapare et aliène, pour lui substituer un système humain qui rémunère, valorise et respecte.
Nous avons bon dos pour supporter les accusations fallacieuses, mais nous avons les épaules larges pour assumer une vision ambitieuse de l'agriculture.
Mêmes mouvements.
Le projet écologiste rémunère : il assure un revenu digne par des prix planchers – mesure que nous avons fait adopter. Le projet écologiste forme : il défend un enseignement agricole public renforcé et émancipateur qui prépare aux transitions dans les territoires. Le projet écologiste crée de l'emploi non délocalisable : il promeut une agriculture locale à taille humaine, loin des accords de libre-échange. Enfin, le projet écologiste protège :
Mme Émilie Bonnivard s'exclame
il réduit le recours aux produits chimiques, qui empoisonnent tant la terre que ceux qui la travaillent.
M. Pascal Lavergne, rapporteur, s'exclame.
Depuis des mois, avec tous mes collègues – parmi lesquels Marie Pochon et Benoît Biteau –, nous écoutons, rencontrons, proposons. Les écologistes ne vous laisseront pas, alors que vous reculez, faire croire que vous agissez en faveur des agriculteurs. En effet, s'il est adopté, ce texte ne permettra pas de nourrir la France, mais ses limites nourriront les regrets et les rancœurs. Revoyez votre copie !
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES. – M. André Chassaigne applaudit également.
Notre agriculture se trouve à un tournant majeur. Elle est confrontée à de nombreux défis, que le Gouvernement a pris à bras-le-corps en lançant dès la fin de l'année 2022 une grande concertation associant l'ensemble des acteurs, au niveau tant national que régional. Le texte que nous allons examiner résulte de ces nombreux mois de discussion, ainsi que des échanges que nous avons eus avec les agriculteurs lors des importantes mobilisations de ce début d'année. Il est très attendu par les agriculteurs ; je pense en particulier à ceux de ma circonscription du Bas-Rhin.
Le projet de loi propose d'abord de fixer des objectifs généraux pour les politiques publiques, afin d'assurer à la fois notre souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations. En effet, il n'y a pas de souveraineté alimentaire sans producteurs.
Il propose ensuite de renforcer la formation dans les métiers du vivant, afin de susciter de nouvelles vocations et de mieux accompagner les agriculteurs vers les transitions nécessaires. De même, il renforce l'accompagnement des installations, notamment par la création d'un guichet unique dédié. Enfin, il contient diverses mesures de simplification visant à desserrer l'étau normatif dans lequel les producteurs se sentent trop souvent emprisonnés.
Bien entendu, ce texte ne résoudra pas tous les problèmes de l'agriculture ; tel n'est pas son rôle. En réponse à la colère du début d'année, le Gouvernement a déjà largement agi. D'autres chantiers sont devant nous, comme la transmission des exploitations, qui appelle des mesures fiscales, la préservation des revenus agricoles avant les prochaines négociations commerciales, l'usage des produits phytosanitaires ou encore la question foncière. Néanmoins, le texte pose un cadre et nous donne des outils pour assurer l'avenir de l'agriculture, donc celui de notre souveraineté alimentaire. Voilà pourquoi il est tant attendu et pourquoi nous ne devons pas esquiver ce débat crucial.
Mme la présidente coupe le micro de l'oratrice, dont le temps de parole est écoulé. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Aux mois de janvier et février, la France et l'Europe ont connu l'une des plus grandes mobilisations agricoles recensées, qui dénonçait notamment le libre-échange anarchique et la décroissance agricole imposée par l'Europe d'Emmanuel Macron. Lors de cette mobilisation d'une ampleur exceptionnelle, les agriculteurs ont formulé des revendications très claires : garantie de prix rémunérateurs, lutte contre la concurrence étrangère déloyale, fin de la feuille de route décroissante européenne « de la ferme à la table » et fin des surtranspositions, notamment de celle qui s'apprête à causer l'effondrement des filières de la betterave, de la pomme, de la poire ou encore de la noisette.
À ces attentes légitimes, vous avez répondu par le refus d'instaurer des prix minimaux garantis, par le vote de traités de libre-échange par vos députés européens et par le placement de Pascal Canfin, chantre de l'écologie punitive et fossoyeur de l'agriculture française, à la quatrième place de votre liste pour les élections européennes.
Votre communication est devenue insupportable pour les agriculteurs, tant elle échoue à masquer votre incapacité flagrante à faire des choix courageux pour redresser notre agriculture en incontestable déclin. Au terme de dix-huit mois de consultation et d'une élaboration laborieuse, vous présentez devant notre assemblée un projet de loi prétendument d'orientation agricole, qui, de l'avis général, se distingue par sa vacuité. Pire encore, vous avez tenté d'y introduire des dérives graves, telles que la dépossession des agriculteurs du foncier agricole, que vous vouliez offrir à la spéculation de la finance. Le texte ne contient rien sur la concurrence déloyale, rien sur les surtranspositions, rien sur la décroissance agricole, rien surtout sur les prix rémunérateurs sans lesquels nous ne pourrons jamais relever le défi du renouvellement des générations.
Seuls deux membres de votre groupe étaient présents lors de l'examen du texte en commission ! Deux !
L'examen de votre texte indigent mériterait de s'arrêter là, mais nous refusons de nous priver de ces deux semaines qui nous permettront de dénoncer votre inaction et d'exiger de vous le nécessaire changement de logiciel que vous demandent les agriculteurs.
Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Ne vous y trompez pas : notre vote contre la motion de rejet préalable n'ôte rien au jugement très négatif que nous portons sur le projet de loi et qui, à moins d'un miracle, s'exprimera lors du vote final.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Votre prétendue grande loi agricole du quinquennat était attendue depuis près de deux ans, tant et si bien qu'en début d'année, les agriculteurs se sont mobilisés massivement pour revendiquer leur droit à vivre dignement de leur travail. Connaissant l'urgence d'agir pour fixer un cap clair et protecteur, notre cœur balance entre le rejet de ce texte délétère et le désir de débattre du fond.
J'écarte d'emblée les critiques selon lesquelles nous ne voudrions pas parler d'agriculture : depuis 2018, j'ai demandé sans relâche ici même que le plan stratégique national, déclinaison française de la PAC, soit soumis à l'examen de notre assemblée.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur quelques bancs du groupe Écolo – NUPES. – M. Marcellin Nadeau applaudit également.
Je réitère solennellement cette demande, car la réorientation des fonds européens constitue un levier majeur pour soutenir l'installation des nouveaux agriculteurs, le revenu agricole et la transition agroécologique.
Nous avons présenté un contre-projet de trente pages, construit avec et pour les paysans.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Nous aurions donc pu défendre pendant plusieurs semaines notre vision d'une loi d'orientation agricole à la hauteur des enjeux et présenter nos mesures en faveur du revenu agricole, de la lutte contre la concurrence déloyale ,
Applaudissements prolongés sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Marcellin Nadeau applaudit également
de l'installation de centaines de milliers d'agriculteurs, de l'autonomie des fermes et de l'accompagnement vers la sortie des pesticides chimiques.
M. Pascal Lavergne, rapporteur, s'exclame.
Hélas, vous avez choisi de présenter un texte rabougri, à rebours des revendications du monde agricole et des défis de notre siècle.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur quelques bancs du groupe Écolo – NUPES.
Vous bradez auprès des droites les faibles mesures environnementales existantes, en échange de leur soutien à votre politique de financiarisation des terres agricoles. En partenariat avec la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), seul syndicat qui milite pour la disparition de ses propres adhérents ,…
Rires et applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur plusieurs bancs du groupe Écolo – NUPES
…vous avez fixé votre cap : celui de l'effondrement programmé de l'agriculture familiale au profit de l'agrobusiness.
Le groupe La France insoumise est donc totalement opposé à ce texte qui menace l'avenir de l'agriculture, l'avenir des agriculteurs et agricultrices, ainsi que le vivant.
Mme la présidente coupe le micro de l'orateur, dont le temps de parole est écoulé. – Les députés du groupe LFI – NUPES se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC, Écolo – NUPES et GDR – NUPES.
La motion de rejet préalable déposée par les députés écologistes est totalement inappropriée étant donné la grave crise que subit le monde agricole et qui a conduit à la révolte paysanne des derniers mois. Son adoption aurait pour effet de clore brutalement le débat sur l'avenir de notre agriculture, pourtant si attendu par nos paysans.
Exclamations sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Nous ne pouvons les laisser dans un tel désarroi.
Le groupe Les Républicains défend une vision totalement différente : la vision d'une agriculture productive, d'excellence, innovante, rémunératrice et résiliente.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Seule cette agriculture nous permettra de retrouver notre souveraineté agricole et alimentaire. Notre vision s'oppose à celle des écologistes, qui est idéologique, dogmatique…
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR. – M. Pascal Lavergne, rapporteur, applaudit aussi.
La décroissance que vous préconisez n'est pas une solution viable. Nous devons avancer, innover pour fixer un cap à notre agriculture et pour redonner espoir aux agriculteurs, dans l'ensemble de nos territoires ruraux.
Les agriculteurs attendent avec impatience une loi d'avenir et d'orientation qui leur apporte rémunération digne et simplification administrative,…
…qui abroge toute surtransposition normative à la française tout en les protégeant de la concurrence déloyale et qui, par un volet fiscal, leur permette de transmettre leur outil de travail. Il est de fait – et nous le regrettons profondément – que ce texte ne va pas assez loin, notamment parce que le Gouvernement en a exclu les mesures fiscales, laissant le monde agricole sur sa faim. La discussion en séance publique doit toutefois avoir lieu pour permettre de nouvelles avancées faisant suite à celles obtenues en commission. Adopter cette motion reviendrait non seulement à faire reculer l'agriculture, mais aussi à désavouer les agriculteurs, qui méritent bien mieux que des positions dogmatiques et des jeux de politique politicienne.
Mme Émilie Bonnivard applaudit.
Travaillons donc ensemble pour construire un avenir meilleur pour notre agriculture et pour nos paysans. Notre soutien indéfectible va aux agriculteurs, qui sont les gardiens de notre souveraineté alimentaire et les premiers écologistes de leur territoire.
Pour ces raisons, le groupe Les Républicains votera la motion de rejet préalable.
Exclamations et rires. – Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES. – « Contre ! » sur plusieurs bancs du groupe LR.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Brouhaha.
Merci de faire silence afin que nous entendions les deux dernières explications de vote.
Madame Pochon, je peine à comprendre la position de votre groupe. Vous dites soutenir ardemment les agriculteurs, comme chacun d'entre nous. Pourtant, lorsque vous avez présenté une proposition de loi sur les prix planchers, vous avez défendu les positions d'une minorité des agriculteurs.
Aujourd'hui, vous souhaitez rejeter un texte qui va dans le bon sens et qui porte sur des sujets consensuels tels que la formation, en le qualifiant, comme le rapporte la presse, d'« inutile, vide, dangereux ». Est-il dangereux de parler de la sensibilisation des jeunes, de la formation des agriculteurs, notamment en matière de transition agroécologique, ou encore de souveraineté alimentaire ?
Certes, il est plutôt sain, en démocratie, que nous ne soyons pas d'accord sur toutes les mesures. En revanche, les agriculteurs ne peuvent comprendre que vous vous opposiez à l'ensemble du texte sans vouloir en débattre, sans espérer avancer sur ces questions. En fermant le débat, vous marginalisez votre parole et la voix de l'écologie auprès du grand public. Nous ne pouvons que le regretter, car votre combat est utile.
« Ah ! » sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Par ce projet de loi, nous souhaitons avancer en matière de formation, d'installation et de transmission, afin de répondre à l'enjeu prioritaire qu'est le renouvellement des générations en agriculture. Si nous n'y répondons pas, vous pouvez oublier la souveraineté alimentaire. Êtes-vous prêts, vous écologistes, à importer davantage de produits aux normes bien moins strictes que les nôtres ?
En effet, vous le savez, madame Pochon, nous avons le modèle le plus durable en Europe, voire au monde.
Par cette motion de rejet préalable, vous êtes dans la caricature : fondamentalement, ce texte n'est pas en totale opposition avec vos valeurs, quand le vrai danger pour l'écologie est la montée de l'extrême droite en France et en Europe.
Protestations sur les bancs du groupe RN.
Votre véritable combat est donc ailleurs. Vous avez néanmoins décidé de ne pas débattre du projet de loi ; nous sommes pour notre part résolus à le faire.
Pour toutes ces raisons, le groupe Démocrate votera contre la motion de rejet préalable.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et RE.
Le groupe Horizons et apparentés pense que les agriculteurs valent bien une nouvelle loi. M. le ministre nous a présenté tout ce qui a été réalisé ou le sera pour faire évoluer l'agriculture et favoriser, par la production, la souveraineté alimentaire. Les solutions sont réglementaires, européennes et, pour certaines, législatives. C'est pourquoi nous pensons qu'il faut débattre de ce projet de loi.
Nous voterons donc contre la motion de rejet préalable.
Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs du groupe RE.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 309
Nombre de suffrages exprimés 308
Majorité absolue 155
Pour l'adoption 84
Contre 224
La motion de rejet préalable n'est pas adoptée.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures.
Être souverain, c'est pouvoir prendre son destin en main. En matière d'agriculture, cela signifie pouvoir nourrir la France sans dépendre du reste du monde. Or, depuis plusieurs décennies, notre modèle agricole dévisse. La démographie recule inexorablement, ce qui a de lourdes conséquences non seulement sur l'alimentation, mais aussi sur l'aménagement du territoire, sur la ruralité, sur nos paysages et sur la biodiversité.
Le nombre d'exploitations agricoles est passé de 1,6 million en 1970 à 416 000 aujourd'hui : en l'espace de cinquante ans, notre pays a connu son plus grand plan social. La crise frappe aussi les revenus des agriculteurs, particulièrement fragilisés par deux décennies de dérégulation. En dépit des lois Egalim, la logique de construction des prix est toujours défavorable : les marges des uns sont les pertes des autres, ce qui conduit 18 % des agriculteurs à vivre sous le seuil de pauvreté. Heureusement, des associations comme Solidarité Paysans sont au chevet des plus fragiles.
Plus généralement, un modèle entier ne parvient plus à façonner son destin. Étranglée par la concurrence déloyale et par les injonctions paradoxales de la PAC – entre greenwashing et prime à l'agrandissement –, l'agriculture française ne sait plus être souveraine, malgré toute l'énergie de ceux qui la font vivre. En témoigne la composition de nos assiettes, de plus en plus mondialisées : 70 % des fruits consommés, 40 % des légumes et plus de deux tiers des produits de la mer sont importés. Le constat est rude et le malaise est grand.
Depuis des mois, des années, les agriculteurs donnent l'alerte : un sentiment gagne nos campagnes, celui d'être pris à son propre piège, entre les investissements trop lourds, la technocratie et l'impression d'être abandonnés par l'État, pourtant censé les protéger. Pourquoi en sommes-nous là, à déplorer que nous ne maîtrisions plus notre destin agricole ?
L'affaiblissement de l'État accompagnateur, le libre-échange et la dérégulation décrochent la palme de la responsabilité. Les phénomènes qui laminent notre souveraineté agricole sont connus. Pourtant, ils ne sont pas traités. La colère épaisse qui s'exprime depuis des mois dans nos campagnes et que l'on a entendue au Salon de l'agriculture n'a pas trouvé d'écho au Gouvernement. Il en a été de même pour la colère des pêcheurs, grande oubliée de ce projet de loi, alors que ceux-ci souffrent d'une érosion sans précédent de leurs revenus et de leurs effectifs.
De promesses en paroles, de paroles en échecs, il aura fallu du temps pour que vous présentiez ce qui devait constituer le nouvel arsenal législatif de notre souveraineté alimentaire et agricole. D'effets de manches en tribulations, la loi d'orientation, maintes fois réécrite et tant attendue, peut être un échec si l'on n'y prend pas garde. Ce n'est pas que le projet de loi soit dangereux ; il est simplement vide. En effet, vide de tous les sujets qui manquent, ce texte indigent se borne à des mesures cosmétiques. Il ne propose rien pour garantir une rémunération digne qui limite les marges de l'agroalimentaire et de la grande distribution ; il fait l'impasse sur les traités de libre-échange qui continuent d'amputer notre souveraineté agricole ; il ne propose rien pour la protection du foncier et l'amélioration de son accès ; surtout, il oublie de proposer un modèle qui réaffirme notre souveraineté.
Ce projet de loi s'inscrit dans le double discours permanent qu'a développé depuis sept ans le Président de la République au sujet de l'agriculture. La main molle et le verbe haut, il a toujours refusé de réguler les prix et de mettre un frein au dumping social et environnemental qui tue notre agriculture. Plutôt que de reprendre en main notre destin agricole, il a préféré les effets de style, multipliant les annonces furibondes sur les prix planchers et refusant tout moratoire sur l'Accord économique et commercial global (Ceta) – peut-être en sera-t-il de même pour l'accord avec le Marché commun du Sud (Mercosur). Les élans amoureux du Premier ministre pour l'agriculture devant une botte de foin ne trompent personne non plus.
Ce n'est pas en dénonçant les normes environnementales et sociales comme les vraies responsables de la crise agricole que le Gouvernement parviendra à faire oublier son allégeance aux traités de libre-échange, qu'il continue de négocier dans le secret des couloirs européens. Les agriculteurs ne veulent pas moins d'État, ils veulent mieux d'État, et des normes qui les protègent. L'abandon de toutes les normes ne les protégera pas des tomates espagnoles ou des fraises du Maghreb, car ce ne sont pas les normes qui permettent à la grande distribution de contourner les lois Egalim. Le rapport présenté en commission en atteste.
Face à vos contradictions, les députés communistes proposent un chemin vers la souveraineté agricole. Nous ne voulons pas d'un monde où, pour paraphraser Zola dans La Terre, plus rien n'appartiendrait au paysan, ni la terre, ni l'eau, ni le feu, ni même l'air qu'il respirerait, où il lui faudrait payer, payer toujours, pour sa vie, pour sa mort, pour ses contrats, ses troupeaux, son commerce, ses plaisirs.
C'est dans cet état d'esprit que le groupe GDR – NUPES tentera de combler le vide du texte.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR – NUPES et Écolo – NUPES, ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.
Pour commencer, permettez-moi de citer le grand Edgard Pisani, qui s'exprimait ainsi à cette tribune, en 1962, dans le cadre des débats autour du projet de loi d'orientation agricole – ses propos sont d'une actualité frappante, il n'y a que les échelles géographiques à changer :
« J'ai eu l'occasion de le souligner plusieurs fois à cette tribune. Il n'est pas inutile de le répéter. Nous assistons actuellement à un mouvement du sol qui échappe pratiquement de plus en plus à ceux qui le cultivent ou à ceux qui en ont besoin pour tomber entre les mains de ceux qui en possèdent déjà suffisamment, ou de ceux qui ne le cultivent pas et n'ont aucun lien avec lui.
« J'ai employé à cette tribune les termes d'accaparement et de dépaysannisation. Je répète que le sol français est actuellement la victime de ce double phénomène, contre lequel il nous faut lutter. […]
« Nous sommes aujourd'hui sans moyen, lorsque nous assistons dans une commune où existent une grande exploitation et plusieurs petites exploitations, pour éviter que toutes les ventes ne se fassent pas au profit de la grande et au détriment des petites. Nous sommes aujourd'hui sans moyen pour lutter contre le fait que la terre abandonne les mains paysannes pour devenir la propriété d'un certain nombre de personnes, ayant fort légitimement sans doute des moyens financiers, mais donnant à l'agriculteur le sentiment qu'il est frustré de son bien essentiel, la terre. »
Aujourd'hui, les enjeux se situent non plus à l'échelle des communes, mais à celle de grands territoires. Un vieux paysan socialiste du Toulois, mon territoire, avait cette fameuse formule : « Pour les libéraux, quand il n'y aura plus que deux paysans en Europe, il y en aura encore un de trop ».
Dans le mouvement permanent de la politique, nous nous trouvons confrontés à un choix inédit, du fait que 10 millions d'hectares, soit un tiers du sol français, vont changer de mains et que 150 000 paysans auront droit à la retraite. Ce choix devrait être la priorité absolue. Dans l'après-guerre, par la régulation et la maîtrise du marché du foncier, grâce à une alliance extraordinaire au sein d'un arc républicain qui s'étendait des communistes aux démocrates sociaux, nos aînés ont pu préparer la véritable prospérité.
L'enjeu actuel est la capacité de produire, qui nécessitera des cerveaux, des cœurs et des mains ; une capacité de produire autrement, dans le cadre d'une agroécologie qui protégera nos écosystèmes, fera de la nature une alliée et garantira la fertilité des sols, donc la nourriture de demain. La souveraineté française ne sera pas solitaire, elle doit être solidaire des autres peuples et agricultures, et contribuer à la sécurité collective de l'alimentation dans le monde. C'est cette vision que nous voulons défendre à l'occasion de l'examen du présent projet de loi d'orientation.
Chers collègues de la majorité, je vous parle les yeux dans les yeux.
L'orateur se tourne vers la droite de l'hémicycle.
Sourires.
Dans dix ans, lorsque nous verrons le désastre annoncé, ces 10 millions d'hectares accaparés qui appauvriront socialement, écologiquement et économiquement notre pays ,
Mmes Mathilde Hignet et Lisa Belluco applaudissent
pourrons-nous dire : « Et pourtant, nous avions adopté une loi d'orientation qui prévoyait des classes découverte, organisait un service unique d'accueil des candidats à l'installation et instaurait un stress-test de résilience climatique » ? Nous soutenons ces propositions, nous les avons même amendées et votées en commission, mais, si elles sont utiles, elles sont loin d'être à la hauteur de l'enjeu.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, Écolo – NUPES et GDR – NUPES.
La politique foncière est la politique mère de l'agriculture. Ses enjeux sociaux et écologiques sont majeurs ; en France, au Nigéria, en Amérique du Sud, partout le partage de la terre et des ressources est la garantie de la prospérité, de l'égalité et de la sécurité des peuples. Or, de tous côtés, on assiste à l'accaparement des terres, on constate un appauvrissement, on voit se développer des systèmes autoritaires. C'était le défi numéro 1 : vous l'avez esquivé.
J'ai dans les mains quinze amendements précis et techniques – il ne s'agit pas de plaidoyers idéologiques – que défend le groupe socialiste, fort de dix années d'expertise sur le sujet. Nous savons que le démembrement de propriété rend les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) impuissantes ; que la loi du 23 décembre 2021 portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, dite loi Sempastous, est insuffisante pour contrôler le phénomène sociétaire ; que le travail délégué, au travers de la sous-traitance, aboutit à une nouvelle répartition du capitalisme agricole.
Nous fermons les yeux devant tout cela. L'accaparement des terres est un incendie que nous alimentons au lance-flammes, par l'introduction des fonds spéculatifs. C'est une folie irresponsable ! Monsieur le ministre, je vous le dis solennellement : ne soyez pas le fossoyeur de l'esprit des lois Pisani, qui ont rassemblé la France dans un pacte agricole.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LIOT et Écolo – NUPES.
Votre tradition politique de démocrate-chrétien vaut mieux que cela. Soyez l'héritier de Pisani, soyez le défenseur de la paysannerie et d'une certaine idée de la France, d'une certaine idée de l'Europe. Il est encore temps de se ressaisir et de se mobiliser. Nous sommes disponibles pour ce combat, le combat pour le partage de la terre, pour l'agriculture, pour la fierté de nos paysans et pour la relève générationnelle ; à défaut, tous les articles de cette loi seraient vains.
Les députés du groupe SOC se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT et Écolo – NUPES. – Mme Mathilde Hignet applaudit également.
Il y a quelques mois, la colère du monde agricole éclatait, prenant par surprise le Gouvernement. Pourtant, au fil des mois, nous avions vu cette crise prendre de l'ampleur dans nos circonscriptions : on est passé des panneaux de villages retournés au blocage autoroutier, au déversement de fumier et aux défilés de tracteurs – en point d'orgue, il y a eu le Salon de l'agriculture.
L'automne dernier, lors de l'examen du projet de loi de finances, les premiers signaux étaient déjà là. Nous sommes plusieurs à vous avoir avertis des conséquences très négatives pour les agriculteurs de la suppression de l'avantage fiscal sur le gazole non routier (GNR). Nous vous avions demandé de revenir sur cette mesure – en vain.
Pour répondre aux revendications d'un mouvement qui s'est massivement répandu dans toutes les campagnes, nous attendions une grande loi agricole. Nous espérions qu'enfin se concrétiserait la promesse formulée par le Président de la République en 2022, et tant de fois repoussée.
Le présent projet de loi aurait dû être la matérialisation de la reconnaissance, tant attendue par les agriculteurs, de la place qu'ils occupent dans la société. Il aurait dû définir l'ambition agricole française et européenne voulue par le Gouvernement. En bref, il aurait dû répondre aux trois demandes majeures formulées par les agriculteurs : le revenu, le foncier et l'adaptation au changement climatique.
Nous avons été déçus. Rien sur le revenu des agriculteurs, leur première revendication, question pourtant vitale pour garantir l'attractivité d'un métier. Rien pour faciliter l'accès au foncier agricole, alors que l'on sait que cette question est cruciale pour le renouvellement des générations, plus particulièrement pour l'installation des profils non issus du milieu agricole.
Rien enfin sur l'accompagnement face au changement climatique qui bouleverse les cycles de la nature, alors que les agriculteurs sont les premières victimes des crises sanitaires, des aléas climatiques et de la dépendance aux produits phytosanitaires.
Les sujets les plus sensibles ont été laissés de côté ou renvoyés à d'autres textes dont on ne connaît ni le contenu ni le calendrier. Après une semaine de débats intenses en commission, nous arrivons aujourd'hui en séance avec encore beaucoup d'incertitudes. Alors que nous attendions avec impatience de pouvoir débattre de nos visions respectives, nous avons été contraints par l'aspect lacunaire et restrictif du texte ; en témoigne le nombre important d'amendements déclarés irrecevables, alors qu'ils traitaient de sujets qu'il ne nous semblait pas illogique d'aborder dans le cadre d'un projet de loi agricole, comme les mesures fiscales relatives à l'accès au foncier, la création d'un fonds dédié à la transition agroécologique ou encore l'expérimentation d'une aide au passage de relais pour les chefs d'exploitation.
Certes, le texte a évolué dans le bon sens sur certains points, comme la définition d'objectifs chiffrés en matière de formation, la promotion de l'agroécologie et de l'agriculture biologique ou la suppression des groupements fonciers agricoles d'investissement, un dispositif que nous jugeons dangereux et totalement inapproprié pour résoudre le problème foncier et qui n'a d'ailleurs été réclamé par aucune des organisations agricoles.
C'est bien parce qu'il a été supprimé par la commission que nous nous sommes abstenus lors du vote sur l'ensemble du projet de loi, pensant qu'il valait mieux discuter d'un texte sans cette disposition que de repartir de la copie initiale du Gouvernement.
Malgré ces quelques points positifs, nos priorités sont loin d'avoir été entendues. L'article 1
Nous appelons en outre à une plus grande adaptation des normes au contexte local. Il faut mettre fin à la logique selon laquelle c'est aux territoires de s'ajuster à des règles centralisées. Certaines réglementations environnementales, comme les dates de taille et de destruction des haies, d'épandage, de broyage et de fauchage des jachères, doivent être adaptées localement.
J'en terminerai avec un dernier regret, partagé par le Haut Conseil pour le climat : la politique agricole que vous menez fait rimer la nécessaire simplification avec un renoncement environnemental.
Pour notre part, nous croyons en la nécessité de la transition : il n'y aura ni avenir agricole ni production sans lutte contre le dérèglement climatique et sans protection de la biodiversité. En la matière, ce texte est loin d'être à la hauteur.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LIOT, GDR – NUPES et Écolo – NUPES.
Après la seconde guerre mondiale, la France a pris une décision majeure : nous avons choisi de faire de notre pays une puissance agricole. Les gouvernements successifs ont alors conduit les politiques publiques qu'ils jugeaient pertinentes pour y parvenir : organisation de l'exode rural, soutien à la mécanisation de l'agriculture, développement des produits phytosanitaires, remembrement et soutien à la concentration foncière et, bien entendu, intégration de l'agriculture dans le grand jeu du commerce mondial et de la finance globalisée. De fait, l'objectif fixé a été atteint : en quelques décennies, les lois, décrets et politiques fiscales et budgétaires successives ont fait de notre agriculture paysanne une agriculture industrielle. Ce modèle agricole contingent est le fruit d'un choix politique – pas celui des paysans, que l'on a arrimés à ce modèle, mais bien celui des gouvernants qui se sont succédé.
Or, ce que nous avons fait, nous pouvons le défaire. Si nous avons pu réinventer notre modèle agricole une fois, nous pouvons le réinventer à nouveau, et c'est d'autant plus nécessaire que le modèle agro-industriel est à bout de souffle. Il est au bord du précipice parce qu'il détruit les conditions pourtant indispensables à son maintien.
Il détruit le climat. Si le secteur agricole est comptable de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, le changement climatique a également des effets considérables sur l'agriculture : avancement des calendriers culturaux, bouleversement du régime des précipitations et de la disponibilité de la ressource, multiplication des événements climatiques extrêmes menaçant les cultures.
Il détruit la biodiversité, ensuite. En participant à son effondrement, le modèle agro-industriel met en péril notre souveraineté alimentaire. Pour ne citer qu'un exemple parmi tant d'autres, le nombre d'oiseaux parmi les espèces vivant dans les milieux agricoles a décliné de près de 60 %, alors que nous savons pertinemment le rôle qu'ils jouent pour l'agriculture, notamment dans la régulation des ravageurs.
Il détruit la vie des paysans, enfin. Poussés au surendettement, ils se suicident par dizaines chaque année. Poussés au productivisme, ils utilisent des produits phytosanitaires qui les empoisonnent. Malgré leurs efforts acharnés, ils sont contraints de vendre à perte. Ce ne sont pas les normes environnementales qui les tuent, c'est le cynisme de ceux qui veulent que rien ne change !
Il n'y a pas d'agriculture viable dans un monde plus chaud de 4 degrés ou dans un pays où le vivant se meure ; il n'y a pas d'agriculture viable si celle-ci tue les paysans.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES. – Mme Manon Meunier applaudit également.
L'agriculture industrielle est obsolète, mortifère. Parmi les chantres de ce modèle, certains se sentent aujourd'hui un peu coupables d'avoir contribué à son émergence – et c'est heureux –, mais d'autres ne voient pas, ou ne veulent pas voir, la réalité en face : c'est le cas de la majorité des gouvernements qui vous ont précédés et qui ont contribué à l'industrialisation de l'agriculture. Et vous poursuivez, monsieur le ministre, collègues de la majorité et des autres droites, cette course effrénée à l'industrialisation et à la productivité. Vous êtes obsédés par un productivisme incompatible avec les limites planétaires. Il ne vous suffit pas que l'agriculture soit chimique et mécanisée, il faut encore qu'elle soit robotique, génétique et numérique. Jusqu'où irez-vous ?
Quand un système vacille, il faut avoir le courage d'en inventer un autre plutôt que de s'acharner à essayer de le caler avec quelques béquilles qui le laissent malgré tout instable. Avec la crise environnementale, nous faisons face au plus grand défi que l'humanité ait jamais eu à affronter : nous avons l'occasion et la responsabilité historiques de tout changer, de transformer nos modes de production, de révolutionner nos modes de vie, de retisser des liens avec le reste du vivant.
Dans ce contexte, que faut-il attendre d'une loi d'orientation agricole, monsieur le ministre ? Que vous ayez le courage de renverser ce système, pour nos concitoyens, pour nos paysans. Or, alors qu'il faudrait tout faire pour installer des dizaines de milliers de nouveaux paysans, y compris ceux qui ne sont pas issus du milieu agricole, vous choisissez de faciliter la financiarisation de l'agriculture et l'accaparement des terres ; alors qu'il faudrait engager la sortie de l'agriculture industrielle, vous la renforcez et tentez d'empêcher tout recours contre les projets les plus mortifères, au premier rang desquels les mégabassines et les fermes usines ;
Mme Marie Pochon applaudit
alors qu'il faudrait accompagner massivement le basculement vers l'agroécologie, vous souhaitez que les atteintes à l'environnement ne soient plus sanctionnées ; alors qu'il faudrait garantir un revenu digne pour nos paysans, des prix plutôt que des primes, vous proposez… rien.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES. – Mme Manon Meunier applaudit également.
Avec cette loi, vous auriez pu être le ministre de la révolution agroécologique, de la grande réforme agraire, celle qui aurait rendu la terre aux paysans. Las ! Le sujet foncier n'est même pas abordé. Manifestement, vous n'avez pas plus le sens des responsabilités que celui de l'histoire. Vos propositions ne feront que précariser davantage encore l'immense majorité des paysans qui nous nourrissent, au bénéfice de quelques agro-industriels qui nous rendent malades.
Le groupe Écologiste se battra fermement contre votre projet mortifère et proposera une autre vision pour les paysans et le vivant.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES et SOC. – Mme Manon Meunier applaudit également.
Au cours des dix dernières années, plus de 100 000 exploitations agricoles ont disparu et, à l'horizon 2034, un tiers des agriculteurs auront pris leur retraite. En parallèle, nous constatons une tendance de fond : pour diverses raisons, la profession attire de moins en moins les jeunes. Nous sommes donc à la croisée des chemins entre le vieillissement de la population agricole et l'impérieuse nécessité d'installer des jeunes pour reprendre le flambeau de leurs aînés. Cet enjeu est d'autant plus crucial que les crises sanitaire et géopolitique ont démontré la nécessité de renforcer la résilience de notre agriculture. Or, sans relève générationnelle, cette ambition est totalement illusoire.
Il fut un temps – celui de mes grands-parents, même encore celui de mes parents – où chaque agriculteur était lui-même fils d'agriculteur. Cette époque est révolue et il ne faut pas le déplorer. En revanche, il convient d'accompagner cette transition en garantissant à tous les jeunes qui souhaitent s'installer l'accès à un foncier agricole en bon état et à prix abordable, un revenu juste au regard de l'investissement que représente ce métier, c'est-à-dire toute une vie, et un accompagnement digne de ce nom, que l'on soit issu d'une famille agricole ou non, car la gestion d'une exploitation fait de plus en plus appel à des connaissances techniques et que l'installation relève encore trop souvent du parcours du combattant.
Le texte issu de la commission contient dix-neuf articles qui répondent à ces enjeux, tout en simplifiant et en sécurisant l'exercice de l'activité agricole.
En matière de renouvellement des générations, l'objectif est d'abord de faciliter les transmissions et les installations. À cette fin, le texte prévoit un accompagnement individualisé de chaque personne qui souhaite s'installer ou travailler en agriculture, à travers un guichet unique baptisé France Services agriculture, qui permettra de systématiser la mise en relation entre cédants et repreneurs. Toujours pour faciliter l'installation des agriculteurs, nous avons adopté en commission la création d'une année d'essai renouvelable pour les jeunes qui souhaitent mûrir leur projet d'installation. Sur ce volet, je défendrai, à titre personnel, un amendement visant à rappeler que les politiques publiques en matière d'installation et de transmission doivent comprendre un volet de lutte contre l'accaparement des terres arables exploitables, notamment en encadrant les investissements étrangers dans le foncier agricole français. C'est en effet un sujet de préoccupation majeur dans mon département du Doubs, où des agriculteurs suisses investissent dans des exploitations ou terrains agricoles français, limitant ainsi les opportunités pour nos jeunes agriculteurs.
Afin de mieux préparer les futurs professionnels des secteurs agricole et agroalimentaire à des professions qui exigent de plus en plus de compétences techniques, le texte comporte également un volet formation, qui comprend notamment la création d'un diplôme agricole de niveau bac + 3. En outre, en vue de susciter des vocations, il prévoit la mise en place d'un programme de découverte des métiers de l'agriculture, et nous avons décidé, en commission, la création d'un module de sensibilisation à l'activité agricole dès l'école primaire.
Enfin, le projet de loi entend répondre aux revendications des agriculteurs, qui n'en peuvent plus des lourdeurs administratives et des complexités réglementaires. Dans la droite ligne de la simplification de la PAC adoptée par le Parlement européen, le texte contient un volet simplification, qui inclut la mise à plat des règles s'appliquant aux haies, la réduction des délais de recours contre les projets agricoles et les retenues d'eau, l'adaptation du régime de répression des atteintes au droit de l'environnement, des procédures et des peines allégées.
L'examen du texte en commission a aussi permis de nombreuses avancées, comme l'inscription dans la loi d'un droit à l'erreur pour les agriculteurs ou encore l'inscription de l'agriculture dans le champ de protection des intérêts fondamentaux de la nation.
Je tiens à saluer l'engagement du Premier ministre et du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en faveur de mesures concrètes et immédiates pour répondre, dès le début de la crise agricole, aux préoccupations des agriculteurs, ainsi que le travail du rapporteur général, Éric Girardin, et de nos trois collègues rapporteurs, Nicole Le Peih, Pascal Lavergne et Pascal Lecamp, qui ont œuvré à faire évoluer le texte dans une recherche constante du consensus.
Le groupe Renaissance est favorable à l'adoption du projet de loi. J'en appelle à des débats apaisés et constructifs, car ce texte est attendu par le monde agricole.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Après la tempête, le brouillard. Au vibrant concert hivernal des promesses faites aux agriculteurs français par le Président de la République et le Premier ministre, a succédé le clair-obscur d'un étonnant projet de loi dont on ne saurait dire s'il a été pensé pour favoriser l'agriculture ou pour accompagner son déclin. Le texte soumis à notre examen se veut une loi d'orientation, s'inscrivant ainsi dans le sillage des lois d'orientation agricole de la V
Bien en deçà des ambitions de ses prédécesseurs, ce texte se borne à apporter quelques aménagements juridiques mineurs en rapport avec le monde agricole, à travers des dispositions divisées en trois types : des dispositions programmatiques à la portée incertaine, et dont certaines ambiguïtés interrogent ; des mesures accessoires de simplification répondant à quelques cas de figure spécifiques dans certaines filières ; des dispositions qui, au lieu de l'alléger, accroissent le carcan juridique imposé aux agriculteurs.
L'article 1er consacre à juste titre, en réponse à une demande du monde agricole, la souveraineté alimentaire en tête du code rural, tout en prenant grand soin d'oublier de la définir. Il énonce que l'agriculture est « d'intérêt général majeur », qualificatif dont nous ignorons les conséquences effectives et qui n'a donc, pour l'heure, qu'une portée symbolique. Enfin, en mêlant de façon confuse les objectifs de souveraineté et les objectifs environnementaux, il ne facilite en rien leur bonne articulation, laquelle constituait pourtant tout l'enjeu du présent projet de loi.
Nous proposons de réécrire cet article afin d'établir une définition claire de la souveraineté alimentaire et d'élargir les objectifs programmatiques, en y intégrant l'exception agriculturelle en matière d'accords commerciaux, le renforcement des normes d'information du consommateur et la fin des surtranspositions.
La suite du projet de loi décline à l'infini votre obsession d'accroître la réglementation, apparemment dans l'objectif d'encadrer la vie agricole dans ses moindres détails, de l'entrée en exploitation jusqu'à la retraite. La profession d'exploitant agricole peine à trouver de nouveaux candidats ? La réponse est toute trouvée : instaurer un diagnostic de performance agricole, imposer aux agriculteurs un nouvel outil de contrôle administratif, sous la menace d'une suspension des aides. Nous refusons évidemment ces dispositions, dont nous proposons la suppression ; au minimum, il conviendrait de leur retirer tout caractère contraignant, pour ne pas restreindre encore davantage la liberté agricole.
Ce projet de loi était pourtant annoncé comme devant répondre à l'immense défi du renouvellement des générations dans les exploitations agricoles. Cela aurait impliqué d'aménager la fiscalité des transmissions en augmentant l'abattement sur l'assiette des droits de mutation à titre gratuit, en diminuant les droits de mutation à titre onéreux et en exonérant les plus-values immobilières comme le font l'Autriche, la Belgique et les Pays-Bas.
Pour soutenir la viabilité économique des exploitations agricoles, il est également nécessaire d'alléger la pression fiscale sur la détention du foncier. Nulle part ailleurs en Europe celle-ci n'est aussi taxée, par le biais de la taxe foncière sur les propriétés non bâties et de l'impôt sur la fortune immobilière.
Sur ces sujets fondamentaux, le projet de loi est malheureusement muet. Les Français et nos agriculteurs l'ont bien compris : lorsqu'il s'agit de défendre notre modèle agricole au bord du désastre, aucun « quoi qu'il en coûte » n'est de rigueur.
Monsieur le ministre, nos agriculteurs méritent mieux qu'une loi vide qui cache mal l'impuissance du Gouvernement. Vous vous êtes révélés politiquement incapables d'insuffler une nouvelle politique commerciale, à même de préserver notre production nationale ; de revenir sur les innombrables surtranspositions protégées par le sacro-saint principe de non-régression ; d'alléger la fiscalité sur l'agriculture, en raison du déficit public, dont vous portez la responsabilité puisqu'il a doublé depuis 2017.
Je terminerai par une métaphore. En cette période olympique, quel sportif accepterait de concourir dans une situation d'inégalité par rapport aux autres compétiteurs ? C'est pourtant ce que vous demandez aux agriculteurs français : ils doivent faire mieux que leurs concurrents internationaux, avec moins d'outils et plus de contraintes.
Nous ne pouvons nous satisfaire de ce texte, même si nous voterons tout ce qui sera susceptible de l'améliorer – hélas, il y a peu de choses. Il ne sera pas la grande loi de renouveau de l'agriculture française voulue par le Rassemblement national.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Liées l'une à l'autre, l'agriculture et l'alimentation, ô combien nécessaires à nos vies humaines, doivent être traitées avec sérieux. En cinquante ans, le nombre d'agriculteurs a été divisé par quatre. En vingt ans, la surface des fermes s'est étendue, passant d'en moyenne 40 hectares à 70 hectares. Dans moins de dix ans, un agriculteur sur deux partira à la retraite.
Nous devons traiter ce projet de loi avec courage. Le courage est une qualité que mes parents m'ont apprise ; c'est une vertu que l'on trouve dans les familles paysannes et que l'on enseigne au lycée agricole. Alors, soyons courageux et courageuses pour faire face aux défis que rencontre notre agriculture !
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et SOC. – Mme Sandra Regol applaudit également.
Revenu, concurrence déloyale, accès à la terre, changement climatique sont autant de défis auxquels ce projet de loi devrait répondre – mais il n'en est rien. Aujourd'hui, dans cet hémicycle, se rejoue un combat que nous voyons trop souvent dans nos campagnes : celui des petits contre les gros, qui fait que les terres vont à l'agrimanager plutôt qu'au petit paysan.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – Mme Cyrielle Chatelain et M. Dominique Potier applaudissent également.
Ministre macroniste, millionnaire, vous défendrez les intérêts des vôtres : ceux de l'agrobusiness.
Protestations sur les bancs du groupe RE et sur les bancs des commissions.
Députée Insoumise, travailleuse agricole, je défendrai l'intérêt des miens : celui des paysans et des paysannes, celui des ouvriers et employés de l'agriculture et de l'agroalimentaire.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Chacun d'entre vous, chers collègues, devra choisir. Quel projet de société voulons-nous ? Quel avenir pour l'agriculture française ?
Mme Aurélie Trouvé applaudit.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Comme souvent, vous confondez vision et verbiage – et du verbiage, le monde agricole est arrivé à saturation.
Les questions du revenu des agriculteurs et de la souveraineté alimentaire de notre pays ne sont toujours pas résolues. Au Salon de l'agriculture, Emmanuel Macron a repris notre proposition de prix planchers, mais il n'en a plus été question dans son discours à la Sorbonne, ni dans votre projet de loi.
Mêmes mouvements.
Encore des mots, toujours des mots.
Pire, vous déformez les idées du camp progressiste. Votre vision de la souveraineté alimentaire s'inscrit dans le cadre des traités internationaux, c'est-à-dire des accords de libre-échange.
Mme Manon Meunier applaudit.
Vous proposez de produire pour conquérir des marchés à l'export. Quelle tromperie !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Le mouvement paysan international a pourtant construit une définition commune de la souveraineté alimentaire, reconnue par l'ONU. L'ambition agricole française doit d'abord être de nourrir tous les habitants de notre pays, sans oublier les outre-mer. Nous le répétons : trop de gens ne mangent pas à leur faim dans la septième puissance mondiale.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Dominique Potier applaudit également.
Notre ambition est la souveraineté alimentaire de tous les peuples !
Le projet de loi ambitionne de renouveler les générations, mais vous n'avez pas pris en compte toutes les questions que se posent les porteurs de projet. De combien faut-il s'endetter pour faire ce métier ? Comment s'assurer que le foncier suive ? Comment concilier vie de famille et activité agricole ? Combien de temps faut-il pour obtenir une dotation jeunes agriculteurs (DJA) ?
Rien dans ce texte ne répond aux questions essentielles de l'installation, telles que l'accès au capital, le foncier, le revenu, la garantie d'une retraite digne après la cession de l'exploitation. Vous persistez dans la même direction, qui mènera l'agriculture familiale à sa perte. Pendant ce temps, les organisations de développement agricole s'évertuent à accompagner les futurs agriculteurs.
Avec le changement climatique, de plus en plus de candidats s'installent en agriculture biologique ; ce projet de loi n'a pas un mot pour eux.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Pas un mot, pas un sou, pas la moindre considération ! Ils sont pourtant l'avenir de notre agriculture et de notre alimentation.
Que dire de l'accès aux terres agricoles, principal frein à l'installation ? Rien dans le texte ne permettra de libérer des terres. Pire, la monétisation des terres agricoles a déjà commencé : une ferme sur dix est une société financiarisée. La création des groupements fonciers agricoles d'investissement que vous proposez élargira la brèche dans laquelle s'engouffrent investisseurs privés, banques et assurances pour accaparer les terres agricoles et en faire des objets financiers.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et Écolo – NUPES. – M. Dominique Potier applaudit également.
Votre obsession à tout privatiser conduira à tout monétiser, même le bien commun. L'eau notamment, bien commun indispensable à la survie de l'humanité, est sacrifiée au profit des lobbys de l'agrobusiness et de l'agrochimie.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Personne n'est dupe : l'objectif est bel et bien de laisser l'agrobusiness se déployer en détruisant ce qu'il nous reste de terres fertiles et de biodiversité.
Je terminerai par les mots d'André Pochon, paysan-chercheur des Côtes-d'Armor : « Les hommes ont toujours su vaincre les difficultés, et les nôtres sont relativement faciles à résoudre. Nous avons les moyens : le budget européen consacré à l'agriculture est colossal et nous savons comment l'utiliser. Nous avons l'expérience des pionniers de l'agriculture durable, de l'agriculture biologique. Nous savons ce qu'il faut faire pour retrouver l'eau pure et une alimentation saine. Il suffit d'en avoir la volonté, le courage politique de résister à la pression des marchands de tout acabit. Avoir ce courage, voilà le vrai défi ! »
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES. – Plusieurs députés du groupe LFI – NUPES se lèvent pour applaudir.
Ils s'appellent Bruno Cardot, Anne-Cécile Suzanne, François Arnoux, Charlotte Vassant, Cédric Viallemonteil, Guillaume Dive… Ce sont les agricultrices, les éleveurs, les salariés agricoles qui font chaque jour la force nourricière de la France. Ils sont 400 000 pour fournir céréales, viande, légumes et œufs à plus de 67 millions de Français. La tâche est immense. La capacité à nourrir l'ensemble du pays s'annonce comme l'un des plus grands défis des prochaines décennies, étant donné la chute vertigineuse des exploitants agricoles que connaît la France depuis cinquante ans.
L'agriculture pourrait être considérée comme la première industrie de France ; elle est pourtant celle qui rémunère le moins. Le rêve se cogne brutalement à la réalité : 70 heures de travail par semaine pour se verser à peine un Smic, la solitude face aux dégâts, les risques financiers permanents.
Pourtant, travailler la terre ou élever les bêtes est une passion, une manière de vivre ; c'est un métier qui prend aux tripes, mais qui ne se transmet plus. Tant que les agriculteurs ne pourront pas gagner dignement leur vie sans avoir à sacrifier leur existence, le renouvellement des générations restera hors de portée, malgré toutes les mesures techniques que vous prendrez pour encourager les installations. La jeunesse semble déjà porter le poids trop lourd des années, quand leurs parents tirent sur la corde, rongés par la culpabilité.
La pression s'est accrue en France de façon exponentielle, à coups de normes, de réglementations, de paperasse, d'administration, d'intrusion, de destruction, de contrôle, de flicage – quelle autre profession est surveillée chaque seconde par un satellite ?
On n'a cessé de rendre la vie impossible à ceux qui nous nourrissent. La preuve en est que les obligations se multiplient alors que l'accompagnement et les moyens nécessaires ne suivent plus. Ce n'est pas sérieux ! En accablant nos agriculteurs d'injonctions toujours plus délirantes, voire contradictoires, nous nous tirons une balle dans le pied.
Pour nos paysans, la coupe est pleine. Le mouvement de protestation des agriculteurs de janvier 2024 est inédit : il a concerné toutes les filières, toutes les régions, toutes les générations.
Ce mouvement a pris son terreau dans des années de crises non résolues. Au-delà d'une simple protestation, il était l'expression du ras-le-bol des agriculteurs français. Il y a donc urgence à agir.
Cependant, que de temps perdu à proposer des mesures insuffisantes, qui ne répondent pas à toutes les revendications de la profession, tout en retardant la présentation d'un texte en Conseil des ministres ! Depuis les premières annonces d'une loi agricole, une année et demie s'est écoulée, parsemée d'occasions manquées et d'évidents aveux de faiblesse.
Nous attendions une loi de programmation, qui définisse clairement un cap et arbitre entre souveraineté et dépendance, entre autonomie et subordination à l'administration, entre agriculteurs et organisations radicalisées. Or ce texte n'est pas de programmation ; il est au mieux d'installation.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Il est centré sur des mesures techniques et n'apporte aucune perspective s'agissant du revenu, de la fiscalité, du foncier, de l'employabilité, de la recherche et développement, des impasses techniques qui se multiplient dans de nombreuses filières.
C'est un projet de loi d'installation : assumez-le comme tel !
En ayant donné une loi de programmation comme horizon aux agriculteurs au plus fort de la crise, en laissant croire que vous répondiez à celle-ci alors que vous choisissez de saucissonner les réponses,…
…de perler les textes législatifs, de ne prendre qu'un bout du spectre des revendications du monde agricole, non seulement vous allez décevoir, mais vous pourriez raviver les braises de la colère.
Nous attendons vos engagements sur la fiscalité. Nous attendons vos corrections sur le partage de la valeur. Nous attendons vos choix sur les impasses techniques phytosanitaires.
Je salue l'esprit de construction qui a régi les travaux en commissions afin d'aboutir à une nouvelle mouture qui corresponde un peu mieux aux attentes de la filière. Je souligne particulièrement l'adoption de plusieurs amendements du groupe Les Républicains, représentant un quart des amendements adoptés, portant notamment sur la lutte résolue contre la décapitalisation de notre élevage, sur les premiers jalons de la reconnaissance du droit à l'erreur pour nos agriculteurs – il vous reste, monsieur le ministre, à le rendre effectif –, sur l'inscription ferme dans le code pénal de la préservation du potentiel agricole, en tant qu'enjeu vital pour la sécurité nationale ou sur l'intégration des établissements privés dans les missions de formation et de développement agricole. La suppression de l'article 12 relatif aux GFAI est également la conséquence d'un de nos amendements, déposé par Francis Dubois : ce dispositif risquait d'entraîner la mainmise de la finance sur la terre. S'agissant de l'article 13, vous vous êtes engagé à inscrire les dispositions dans le dur lors de l'examen du texte en séance.
Cependant, cela demeure insuffisant, car trop d'incertitudes planent sur le projet de loi. J'appelle à la prudence sur l'article 1er , qui nécessite un approfondissement substantiel. Nous posons une ligne rouge en ce qui concerne le diagnostic des sols prévu à l'article 9, qui ouvrirait la voie à de futurs contentieux.
J'en viens à tous les manques du texte. Nous revendiquons, par exemple, une exonération des droits de succession pour encourager l'installation en agriculture, ainsi qu'un plan spécifique en faveur de l'élevage…
…ou encore les zones intermédiaires et les zones de montagne. Nous insistons sur la nécessité d'assurer une stricte réciprocité entre les normes appliquées aux produits agricoles français et celles qui s'appliquent aux produits importés. Nous appelons à un toilettage complet des normes et des règles, qui créent des charges supplémentaires au quotidien pour les agriculteurs et grèvent la compétitivité de l'agriculture française. Autant de questions qui ne seront pas abordées au cours des débats.
Les déclarations et les annonces tapageuses ne sauraient dissimuler la déception croissante du secteur face à un gouvernement qui tarde à répondre à ses préoccupations. En conséquence, le groupe Les Républicains conditionnera son vote sur le texte à l'obtention de garanties concrètes de la part du Gouvernement, ainsi qu'au soutien effectif apporté à ses propositions.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
En janvier dernier, les agriculteurs ont fait entendre leur colère, latente depuis plusieurs décennies. Grâce à cela, les médias ont enfin parlé très largement de l'agriculture française, de ses difficultés et des perspectives qu'il nous appartient de construire ensemble.
La politique agricole du Gouvernement comprend plusieurs briques, dont le présent texte fait partie. Nous examinerons également, à l'automne, deux autres textes, l'un portant sur le revenu, l'autre, sur les produits phytosanitaires.
Nous entamons donc aujourd'hui l'examen du projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture. Le cadre du débat est clairement posé : il n'y aura pas de souveraineté alimentaire sans renouvellement des générations.
Un agriculteur sur deux partira à la retraite d'ici à 2030. Notre objectif est de préserver notre modèle agricole actuel, riche de sa diversité, et ses 400 000 exploitations. N'enfermons pas le débat entre productivisme ou décroissance. Il existe une voie pour une agriculture productive et respectueuse de l'environnement. Le renouvellement des agriculteurs est d'autant plus critique qu'il s'opérera dans un contexte de changement climatique, qui a d'ores et déjà des répercussions sur nos modes de production et de consommation. Cet enjeu majeur de transition agroécologique transparaît dans le texte initial, de manière forte.
Le projet de loi introduit plusieurs mesures clés, qui permettent de répondre aux enjeux d'aujourd'hui et de demain. Permettez-moi de saluer, à cette occasion, le travail des rapporteurs.
D'abord, le titre Ier fixe un cap aux agriculteurs. Il inscrit, d'une part, le caractère d'intérêt général majeur de l'agriculture et réaffirme son importance. Il apporte, d'autre part, une définition de la souveraineté agricole et alimentaire en introduisant la nécessité de garantir, tout au long de la chaîne agroalimentaire, nos capacités de production, de transformation et de distribution, en maîtrisant nos dépendances aux importations dans les filières stratégiques. Il nous faut assurer nos besoins essentiels, ne pas subir nos dépendances mais les choisir, et les penser en Européens, notamment. Si certains d'entre nous, à ma droite, imaginent que nous pouvons produire uniquement pour nous-mêmes, c'est un leurre,…
…qui, dans un contexte géopolitique complexe, est dangereux pour nos concitoyens. Au-delà du travail de réécriture de l'article 1er , qui a été mené après les travaux en commission, le groupe Démocrate soutiendra un sous-amendement visant à réintégrer les objectifs de la stratégie nationale pour la biodiversité, qui définit notamment une volonté de renforcer la surface agricole utile en culture biologique.
Le titre II, ensuite, développe la nécessité de sensibiliser, dès le plus jeune âge, à l'agriculture et de former tout au long de la vie. Le texte propose des solutions pour y répondre, à tous les niveaux de l'enseignement. Les articles en la matière ont rencontré un large consensus et j'aimerais saluer le travail transpartisan réalisé en commission pour amender le texte du Gouvernement. Dans ce titre II, le groupe Démocrate vous proposera d'adopter un amendement qui vise à donner une meilleure visibilité à la formation agricole auprès des collégiens et à permettre un meilleur maillage de la formation dans les territoires.
S'agissant du titre III, je tiens à saluer particulièrement le travail de notre rapporteur – issu du MODEM– Pascal Lecamp, qui n'a pas ménagé sa peine afin de trouver des consensus sur deux sujets complexes. Le premier concerne le diagnostic modulaire. Cet outil d'accompagnement fournira aux agriculteurs les clés de compréhension et d'action leur permettant d'opérer les changements nécessaires, afin que leur travail paie mieux et qu'il soit moins pénible et afin de s'adapter aux conséquences du changement climatique. Les nouveaux agriculteurs seront ainsi mieux armés lors des premières années de leur installation.
Le second concerne le groupement foncier d'épargnants. Les départs à la retraite libéreront, d'ici à dix ans, des millions d'hectares de terres agricoles, qui seront rendus disponibles pour installer de nouvelles générations, non issues du monde agricole notamment. Afin de les accompagner et de se prémunir contre tout risque de financiarisation, plusieurs verrous sont proposés, comme l'a exposé mon collègue Pascal Lecamp ; ils devraient répondre à certaines de vos inquiétudes.
Toujours en ce qui concerne le titre III, je tiens à saluer également l'amendement du rapporteur Pascal Lecamp, adopté en commission, qui introduit les notions de pluralisme et d'équité, valeurs chères au MODEM, dans le dispositif de France Services agriculture.
Enfin, en ce qui concerne le titre IV, le groupe Démocrate soutiendra les mesures de simplification demandées par les agriculteurs, mesures qui vont dans le bon sens.
Pour conclure, les crises sans précédent de ces dernières années ont été instructives. Elles ont transformé notre vision de l'économie, dont l'agriculture fait partie. Nous devons produire pour nous nourrir, pour être en mesure de gérer une situation géopolitique complexe et penser nos interdépendances. Pour répondre à cette nécessité de souveraineté alimentaire, la question du renouvellement des générations est la priorité. Un seul choix s'offre donc à nous pour nos débats à venir : travailler ensemble, de manière constructive, pour répondre aux attentes du monde agricole.
Le groupe Démocrate soutiendra le projet de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs du groupe RE.
Orientation, simplification et confiance : voilà notre triptyque pour les agriculteurs. Notre objectif est clair : apporter des solutions, afin de mieux répondre aux besoins des agriculteurs et de faire face aux défis du renouvellement des générations et de la transition climatique.
Le texte prévoit d'affirmer l'importance de la souveraineté alimentaire de la nation, en reconnaissant le caractère d'intérêt général majeur de l'agriculture sous toutes ses formes et de la pêche. Comme j'ai pu le constater dans le cadre des travaux de la mission d'information relative au modèle économique du secteur de la pêche – dont je suis, avec notre collègue Sébastien Jumel, le corapporteur –, le secteur de la pêche a bien besoin de ce soutien et de cette reconnaissance.
M. Sébastien Jumel applaudit.
Plusieurs évolutions sont proposées dans les domaines de la formation, de l'installation des jeunes agriculteurs, de la transmission des exploitations agricoles ou de la sécurisation et de la simplification de l'exercice de l'activité agricole, sur les plans administratif et juridique.
Le groupe Horizons et apparentés, par la voix d'Henri Alfandari, a défendu le renforcement des grandes orientations stratégiques de la nation en matière de souveraineté agricole et alimentaire, afin de souligner non seulement l'importance de la production agricole, mais aussi le rôle de l'agriculture en matière de production d'énergie, de préservation de l'environnement et de la biodiversité ou encore d'aménagement du territoire et de ruralité. Nous pourrons, je l'espère, consacrer en séance publique cette vision et cette ambition, grâce à une réécriture substantielle de l'article 1er ; je proposerai pour ma part quelques sous-amendements.
Le projet de loi prévoit de créer un diplôme national de premier cycle en sciences et techniques de l'agronomie, de niveau bac + 3. Notre groupe se réjouit de l'adoption, en commission, d'amendements qui visent à mieux prendre en considération l'enseignement agricole privé aux côtés du public et à valoriser l'enseignement agricole assuré par les maisons familiales rurales, au plus près des territoires.
En ce qui concerne l'article 9, la majorité de notre groupe soutiendra la version revisitée de Pascal Lecamp, rapporteur thématique.
L'idée d'appeler l'attention des repreneurs et de ceux qui les conseillent sur les aspects climatiques est louable. Pour ma part, je crains qu'elle n'alourdisse le processus d'installation.
L'ampleur des départs en retraite, donc des changements d'exploitants attendus au cours des dix prochaines années, nous impose de prévoir un dispositif de financement des installations, qui doit, selon nous, être associé à un outil de régulation du foncier. Nos débats nous permettront sans doute de trouver une solution satisfaisante, avec le soutien du Gouvernement, qui devra, s'il en est d'accord, lever le gage.
Le projet de loi vise également à sécuriser et à simplifier le cadre de l'exercice de l'activité agricole. L'article 13 permettra d'adapter l'échelle des peines et de transformer certaines sanctions pénales en sanctions administratives. Notre groupe a plaidé pour la reconnaissance effective du droit à l'erreur des agriculteurs, préférant la confiance et l'accompagnement à une approche répressive. Concrétisons ensemble ces avancées significatives pour nos agriculteurs.
Enfin, le groupe Horizons et apparentés entend simplifier et clarifier encore les définitions juridiques des haies et des zones humides, afin de faciliter le quotidien des agriculteurs et la prise en considération des réalités de terrain. Nous défendrons à nouveau des amendements en ce sens.
Dans la continuité de la mobilisation et des engagements pris par le Gouvernement et par la majorité à la suite du mouvement des agriculteurs, le présent projet de loi devrait permettre, grâce aux améliorations évoquées, de renforcer la place et la considération donnée à notre agriculture dans les priorités de la nation et de favoriser le renouvellement des générations. C'est pourquoi notre groupe s'attachera à être force de proposition afin d'engager toutes les améliorations possibles, sur ce texte comme sur ceux que nous examinerons dans les mois à venir, notamment en matière de revenu agricole.
Le groupe Horizons et apparentés est favorable au projet de loi et espère qu'un large consensus se dégagera pour soutenir les agriculteurs et adopter les amendements que nous versons au débat.
Applaudissements sur les bancs du groupe HOR, sur plusieurs bancs du groupe Dem, ainsi que sur les bancs des commissions.
Nous sommes réunis pour débattre d'un projet de loi de la plus haute importance : il touche directement à ce qui compose notre identité.
En tant que députée de la Vendée, je côtoie au quotidien, comme beaucoup d'entre vous, des agriculteurs, ces hommes et ces femmes qui ne raisonnent pas de travers, comme le disait Montesquieu. Ils sont les piliers de notre indépendance alimentaire. C'est pourquoi il me tient à cœur de témoigner de leurs revendications, tout à fait légitimes, et de leurs espoirs. Il est de notre responsabilité de ne pas ignorer ces voix venues des champs et des fermes de France.
Ce projet de loi, s'il suit les traces du pacte et de la loi d'orientation et d'avenir agricoles, n'est pas parfait et des améliorations substantielles devront être apportées en aval pour préparer un terreau fertile sur lequel l'agriculture de demain pourra s'épanouir. Les enjeux du texte sont majeurs, puisqu'ils concernent la sécurité alimentaire, la formation des nouvelles générations et la préservation des exploitations agricoles.
Cependant, il est essentiel de viser plus haut et plus loin, afin de redynamiser le secteur agricole français. Il a besoin d'un nouveau souffle, d'une nouvelle énergie ! Bien que je refuse de réduire le projet de loi à un simple pansement sur une jambe de bois, je veux dire ici que nos agriculteurs attendent et méritent davantage. Ils méritent une réelle ambition, une vision proactive plutôt que réactive. Il est regrettable d'attendre que les crises atteignent les portes de nos villes, que les tracteurs soient dans les rues de Paris, pour que l'urgence de la situation soit enfin reconnue.
Pourquoi tant de mépris envers les agriculteurs, qui nourrissent la France, dessinent et entretiennent ses paysages ? Ils demandent simplement un peu de considération, beaucoup moins de communication et, surtout, des actes concrets pour changer leur vie quotidienne.
Parlons de souveraineté alimentaire. Ce texte, bien qu'il pose les bases d'une réforme nécessaire, se montre toutefois trop timoré. La souveraineté alimentaire ne consiste pas seulement à produire suffisamment pour survivre aux crises, qu'elles soient climatiques, économiques ou sanitaires. Elle implique aussi de repenser nos liens avec l'Union européenne, de défendre des politiques agricoles qui protègent les producteurs et les consommateurs, plutôt que de les soumettre à un excès de normes, souvent déconnectées de la réalité du terrain.
En ce qui concerne le renouveau générationnel, même si le projet traite du sujet, nous devons aller au-delà de la simple sensibilisation. Il est crucial de transformer radicalement la perception de l'agriculture, de valoriser ce métier essentiel et de faire redécouvrir aux jeunes la noblesse de travailler la terre.
L'instauration d'un diagnostic modulaire, qui permet le déploiement de différents modules à différents moments de la vie de l'exploitation, est une bonne chose, notamment pour faciliter la transmission. Gare, toutefois, à ne pas créer une charge supplémentaire pour les exploitants, sous peine de nous détourner de l'objectif initial. Si nous souhaitons que les exploitations soient durablement viables et prêtes à être transmises aux générations futures, nous devons œuvrer avec bon sens et simplicité.
La création du réseau France Services agriculture, guichet unique à destination des agriculteurs, permettra de répondre enfin à la nécessaire simplification administrative. Toutefois, là encore, nous devons envisager des réformes plus profondes pour alléger le fardeau bureaucratique qui pèse sur les agriculteurs. Eux qui devraient se consacrer pleinement à nourrir la nation sont soumis à une paperasse illisible et technocratique !
Enfin, la question du foncier agricole ne peut être éludée indéfiniment. Il faudra, en temps et en heure, et avec le recul nécessaire, prendre à bras-le-corps cette problématique, insuffisamment abordée dans le projet de loi. Nous devrons, par exemple, garantir que la terre reste dans les mains de ceux qui la cultivent et éviter qu'elle soit en proie aux spéculations.
Certes, le projet de loi présente des avancées ; toutefois, ce que souhaitent avant tout nos agriculteurs, c'est de pouvoir vivre des fruits de leur travail, grâce à des prix rémunérateurs, fixés à leur juste valeur. Nous avons l'occasion, voire l'obligation, d'engager un plan d'action audacieux qui revitalisera l'agriculture française, assurera sa durabilité et rendra hommage à ces hommes et à ces femmes, véritables hussards des campagnes. Nous devons penser grand, agir avec courage et prendre des décisions audacieuses pour rendre au monde agricole sa place et son rang. Nous le devons à nos agriculteurs, à la France et aux Français.
M. Marc Le Fur applaudit.
Même si j'ai le sentiment que nous aurons le temps de débattre dans les heures et les jours qui viennent, je répondrai aux orateurs, dans l'ordre des interventions. Je vous remercie de vos contributions respectives, et cela malgré nos désaccords – c'est la démocratie et c'est très bien ainsi.
Monsieur Jumel, vous avez évoqué les concurrences déloyales. Or plus de 65 % des importations alimentaires de la France proviennent de l'Union européenne. Le problème principal vient non des accords de libre-échange ou des accords internationaux, mais d'un manque de compétitivité et de la surtransposition de règles que nous nous sommes nous-mêmes imposées. Ces règles, nous les avons laissées se distordre progressivement au sein d'un espace économique commun, l'Union européenne. Le projet de loi vise à répondre à cet enjeu.
Vous avez dénoncé des mesures cosmétiques. Il me semble que l'installation et la formation, auxquelles je sais que vous êtes attaché, ainsi que l'adaptation des exploitations agricoles au dérèglement climatique sont des questions centrales – je reviendrai ultérieurement sur le sujet foncier, auquel tient tant M. Potier. Idem pour la simplification, qui nous renvoie au point précédent. Je le répète : nous avons institué en France des règles qui entravent notre capacité à produire par rapport, non pas au reste du monde, mais au reste de l'Europe.
Monsieur Potier,…
Sourires.
…je comprends votre attachement au foncier et la place que vous lui accordez. Vous dites : le foncier, rien que le foncier.
Je crois que je caricature à peine : vous avez dit qu'il manquait tout, c'est-à-dire le foncier !
Pardonnez-moi, mais l'adaptation au changement climatique, la résilience des systèmes d'exploitation et la structuration des filières agricoles – nous avons un problème en la matière, vous le savez comme moi –, n'ont rien à voir avec le foncier et sont pourtant des nécessités.
De même, l'adaptation des filières aux évolutions de la consommation est centrale. Les surtranspositions, maladie française depuis des années, sont un problème pour l'installation des agriculteurs, que nous souhaitons encourager.
Par conséquent, ne dites pas « le foncier sinon rien » : nous risquerions de passer à côté de notre sujet – mais cela ne nous empêchera pas pour autant d'en débattre.
C'est vous qui avez supprimé l'article en question : cela vous prive d'une occasion de le faire. Quoi qu'il en soit, nous pourrons quand même débattre du sujet.
Ensuite, vous évoquez à juste titre les lois dites Pisani. Edgard Pisani, tout en reconnaissant des erreurs, maintient qu'il a eu raison d'agir ainsi. Je rappelle néanmoins que c'est au cours de cette période que le nombre d'exploitations a le plus diminué. Le gouvernement de l'époque a fait un choix assumé, celui de la mécanisation et de l'exode rural – l'industrie avait besoin de bras. L'épopée est complète. Le plan conçu par Edgard Pisani était pertinent dans une logique de planification : il considérait que la main-d'œuvre rurale migrerait vers les villes à mesure que l'industrie se développerait. Vous ne pouvez pas affirmer que c'était un outil puissant pour maintenir les exploitations.
Vous réécrivez l'histoire. C'était un outil puissant de transformation et de modernisation de l'agriculture dans un contexte particulier. Il s'agit d'un exemple de planification organisée, qui avait bénéficié du soutien de la profession agricole de l'époque – même si cela s'est opéré à bas bruit, sans grandes déclarations.
Monsieur Taupiac, vous prétendez que nous ne répondons pas à la crise agricole. Pourtant, comme vous avez pu le constater dans votre département, nous avons apporté des réponses immédiates à toutes les crises agricoles qui se sont présentées : les crises viticoles, la grippe aviaire, les crises bovines. Une crise appelle des réponses à court et à long terme. Vous ne pouvez pas nous faire grief de ne pas avoir mobilisé des moyens significatifs. Je le rappelle, en 2023, plus de 800 000 millions d'euros de crédits supplémentaires ont été alloués pour répondre à la crise. De nombreuses filières – je pense en particulier à la filière avicole au sens large – auraient disparu sans notre intervention. Près de 1 milliard d'euros ont été dépensés pour la sauver. Nous l'avons aidée cette année encore à renforcer la vaccination.
Outre ces mesures immédiates, plusieurs des dispositions du texte et, plus largement, les politiques publiques visent à répondre à la crise agricole dans la durée. Ne confondez pas le volet législatif et les politiques publiques – le législatif et le réglementaire. Rappelons que 4 500 amendements ont déjà été déposés et que le nombre d'articles a été doublé à l'issue du travail en commission. Si vous voulez que tout figure dans le texte, il ne ressemblera plus à rien. Nous devons concevoir à la fois des réponses législatives et des réponses réglementaires.
Je serais heureux de débattre un jour avec Mme Belluco de la notion d'agriculture industrielle. Combien de vaches, combien de veaux, combien de porcs, combien de volailles sont nécessaires pour qu'une agriculture soit qualifiée d'industrielle ? Vous décrivez un modèle mais si l'on regarde hors de France – sans aller jusqu'au bout du monde…
Laissez-moi finir !
J'aimerais que l'on définisse ce concept d'« agriculture industrielle ». D'ailleurs, mettons-nous d'accord : l'industrie, c'est une insulte ?
L'agroalimentaire, c'est un gros mot ?
Cette guerre faite à l'industrie est une erreur.
En revanche, nous pourrions chercher ensemble des solutions pour les personnes non issues du milieu agricole, les Nima. C'est d'ailleurs l'un des objectifs du projet de loi. Comme je l'ai souligné dans mon discours de présentation, la sociologie des exploitants agricoles évolue, et c'est pourquoi les dispositifs de formation et d'accompagnement doivent être adaptés, notamment grâce au réseau France Services agriculture et à la création de dispositifs d'accompagnement des nouveaux arrivants et de dispositifs d'accompagnement et de portage du foncier agricole visant à permettre à ceux qui n'en disposent pas d'y accéder.
Madame Laporte, vous avez affirmé que les dispositions juridiques du texte étaient mineures. Je ne pense pas qu'elles le soient, en particulier celles du titre relatif à la simplification.
Les dispositions relatives à la gradation des peines, aux haies, aux délais de contentieux et d'autres encore ajoutées grâce à des amendements défendus par certains d'entre vous ne sont pas mineures.
Quant à la souveraineté, je l'ai évoqué dans ma réponse à M. Jumel : la France est exposée non pas une concurrence extérieure aux frontières européennes, mais à une concurrence qui découle des surtranspositions qu'elle a produites pendant des années. Nous devons y remédier.
Madame Hignet, je m'efforcerai de ne pas être aussi caricatural que vous.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Sourires.
Premièrement, vous dites qu'il n'y a pas un sou. Pas moins de 1 milliard d'euros supplémentaires sont inscrits au budget 2024 : si ce n'est pas un sou, je ne sais pas ce que c'est ! En 2023, 800 millions supplémentaires ont été alloués pour répondre aux crises, 500 millions pour lutter contre la maladie hémorragique épizootique (MHE) et remédier aux problèmes de la viticulture, et vous dites qu'il n'y a pas un sou ? À partir de quelle somme – combien de milliards – considérez-vous qu'il y a un sou ?
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Vous alignez des mots qui ne veulent rien dire. Ils ne correspondent pas à la réalité budgétaire – je ne parle pas de celle que je vous promets pour 2025, mais de celle de 2024.
Deuxièmement, vous dites que nous allons privatiser l'agriculture.
Où avez-vous vu des kolkhozes en France ? Je sais que c'est votre modèle
Protestations et applaudissements ironiques sur les bancs des groupes LFI – NUPES, Écolo – NUPES et GDR – NUPES. – Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem
mais j'ai le regret de vous dire que l'agriculture en France est de nature privée.
Je ne caricature pas : Mme Hignet a dit que nous privatisions. Or l'agriculture est de nature privée en France : il me semble qu'il était important de le rappeler.
Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Monsieur Dive, vous affirmez qu'il s'agit d'un texte qui porte principalement sur l'installation. La vérité m'oblige à dire que tel était l'objectif du pacte d'orientation pour le renouvellement des générations en agriculture. Nous sommes d'accord au moins sur ce point : ce texte, principiellement et principalement, visait à favoriser l'installation des agriculteurs.
Entre-temps, il y a eu la crise agricole – cela ne vous aura pas échappé. Outre les mesures de politique publique que j'ai mentionnées, deux ajouts importants sont intervenus : l'article 1er , qui traduit notre vision de l'agriculture au travers de la souveraineté, et les mesures de simplification. Ces éléments sont venus compléter le projet de loi initial, qui visait à favoriser le renouvellement des générations en agriculture, comme le nom du pacte, présenté en décembre, l'indiquait. Il n'empêche que certaines dispositions qui figurent désormais dans le projet de loi étaient principiellement inscrites dans le pacte. À nous d'étoffer le texte en fonction de nos réflexions et de ce que nous avons perçu des réalités du terrain. J'assume donc totalement à la fois le volet installation et les éléments qui ont été ajoutés en réponse à la crise agricole – la totalité du texte ne relevant cependant pas d'une telle réponse.
Madame Babault, vous avez défini ce qu'était une voie d'équilibre. Dans ce texte, nous nous efforçons d'en suivre une entre production et souveraineté, d'une part, transition, d'autre part. Je l'ai souligné dans ma présentation : personne n'y gagnerait si l'on ne menait pas les deux combats en même temps. De nombreux territoires agricoles souffrent fortement du dérèglement climatique et des jours difficiles s'annoncent si nous n'arrivons pas à renforcer leur résilience, donc à engager une transition. Le modèle agricole changera, non parce que nous le souhaitons, mais parce que le climat l'imposera. La transition est nécessaire pour continuer à produire – et non pour s'engager dans un modèle de recul et de décroissance.
Vous avez évoqué à juste titre le diagnostic modulaire d'évaluation de la résilience des exploitations au changement climatique. Il fait partie des outils à mettre à la disposition des agriculteurs pour leur permettre de se projeter et de répondre aux questions suivantes : quel sera mon système avec un climat plus chaud de 2 ou de 3 degrés ? Comment résistera-t-il ? Faudra-t-il diversifier ? Quel est mon modèle en matière d'accès à l'eau ou de résilience face au manque d'eau ?
Monsieur Lamirault, vous avez évoqué la confiance et la souveraineté. Oui, nous devons y travailler. Pour ce qui concerne la souveraineté, la réécriture collective de l'article 1er a permis de mieux éclairer ce que nous attendons de l'agriculture – M. Alfandari auprès de qui vous êtes assis en sait quelque chose. Je pense que la crise agricole est une crise de sens. Ce texte est un projet de loi d'orientation et l'article 1er permet d'orienter la politique agricole au service d'une souveraineté renouvelée et retrouvée.
Quant à la question de la confiance, vous avez raison, elle renvoie à celle de la norme.
Je ne reviendrai pas sur l'enseignement agricole, public et privé ; nous avons réalisé des avancées utiles.
Je ne reviendrai pas non plus sur l'ensemble des sujets évoqués par M. Pacquot. Je le remercie pour ses propos sur l'équilibre recherché dans le texte, dont il a rappelé les objectifs et les principes, et sur les aspects sur lesquels nous devons continuer à avancer.
Mme Besse estime que les agriculteurs attendent des actes concrets. Elle sait que, dans son département, la puissance publique a été au rendez-vous pour répondre à la grippe aviaire par des actes concrets. Au-delà de la crise immédiate, cet épisode appelle une réflexion plus large : nous devons toujours raisonner dans une logique de souveraineté et de réponses à court et à long terme. Nous devons repenser notre modèle de production agricole afin d'éviter de nous trouver de nouveau dans une situation catastrophique au prochain épisode de grippe aviaire – car il y en aura d'autres.
Enfin, je partage ses vues sur la définition de la souveraineté. Nous avons bien avancé sur ce point.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem.
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
Avant que nous ne commencions l'examen des articles, je souhaiterais faire un peu de pédagogie sur les travaux conduits en commission.
Le titre Ier et son article 1er constituent sans nul doute le socle du projet de loi. La richesse des débats dont il a fait l'objet en commission des affaires économiques est la preuve de son importance. Ces débats ont permis d'aboutir à une rédaction consensuelle de l'article, qui est le fruit d'un réel travail de coconstruction de l'ensemble des groupes et la preuve que les clivages peuvent être dépassés. Le texte, qui dessine un cap clair pour le monde agricole, est organisé autour de trois piliers.
D'abord, il consacre l'agriculture, la pêche et l'aquaculture comme des activités d'intérêt général majeur, répondant en cela à une large demande des agriculteurs et de l'ensemble des filières.
Ensuite, il pose le concept de souveraineté alimentaire, qui reste à construire – mais les débats nourris que nous allons avoir nourriront notre réflexion et nous permettront, j'en suis sûr, d'aboutir à un résultat de qualité.
Enfin, le titre Ier consacre la politique d'installation et de transmission qui demeure essentielle pour le renouvellement des générations et donc pour l'avenir de la ferme France.
Nous pouvons maintenant entamer la discussion des articles avec l'ensemble des rapporteurs.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Rappel au règlement
Je me fonde sur les articles 98 et suivants relatifs à notre droit d'amendement. Nous sommes en effet confrontés à une situation aussi surprenante qu'inédite : un refus massif d'inscrire un nombre important de nos amendements dans la discussion des articles.
Les chiffres sont parlants : sur 5 141 amendements et sous-amendements déposés, 1 287 ont été déclarés irrecevables.
Autrement dit, on nous interdit d'aborder certains sujets. Ce n'est plus du parlementarisme rationalisé mais du parlementarisme…
Applaudissements sur les bancs des groupes LR et SOC.
Lors de la discussion des précédentes lois d'orientation – et j'en ai pratiqué quelques-unes –, on pouvait aborder des sujets qui ne figuraient pas dans le texte gouvernemental. Dans ce texte, parmi les sujets interdits, il y a les installations classées. Il s'agit pourtant d'un enjeu majeur…
…auquel je vous sais d'ailleurs sensible, monsieur le ministre, car il concerne les éleveurs. La vie quotidienne des éleveurs de porcs et de volailles et de plus en plus d'éleveurs de bovins est marquée par la gestion des démarches liées aux installations classées, notamment les autorisations.
Je voulais proposer des évolutions, fondées sur la confiance, destinées à donner davantage de liberté aux exploitants mais ce débat m'est interdit, au nom du funeste article 45. Comme aucun article du texte ne se rattache à ce sujet, je ne peux l'aborder.
J'aimerais que le problème que j'évoque soit inscrit à l'ordre du jour de la conférence des présidents et du bureau de l'Assemblée. Pourquoi nous interdire de débattre d'enjeux aussi lourds que celui des installations classées ? C'est un enjeu de fond, que d'autres textes nous permettront d'aborder, mais qui est d'un intérêt patent pour la discussion de ce projet de loi.
Nous ne pouvons pas plus discuter des dispositions fiscales alors qu'il est parfaitement possible d'en adopter en dehors des lois de finances.
Je tenais à faire cette mise au point alors que nous entamons la discussion des articles.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
Merci, monsieur le député. Nous avons pris bonne note de votre rappel au règlement.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
Il me revient l'honneur d'ouvrir le bal en présentant les premiers amendements de cette discussion. Je souhaite aborder d'emblée la notion de souveraineté alimentaire, que le Conseil d'État a estimée juridiquement floue. Elle mérite d'être mieux définie, comme nous le proposons dans ces deux amendements, mais nous estimons qu'au-delà des précisions rédactionnelles, c'est d'un véritable électrochoc que l'agriculture française a besoin à travers un changement de paradigme.
Considérant qu'un exemple concret vaut mieux que de longs discours, je vais rester comme d'habitude terre à terre. Attardons-nous quelques minutes, monsieur le ministre, sur le cas de la tomate, concentré des problèmes qui minent notre agriculture.
Sourires sur plusieurs bancs.
En cinq ans, les importations ont augmenté de 40 %. La main-d'œuvre est treize fois moins chère au Maroc et les exonérations de droits de douane n'ont jamais été remises en cause malgré la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. L'augmentation des coûts de l'énergie et la guerre des distributeurs ont fait le reste.
Dans ces circonstances, il me semble important d'affirmer d'emblée qu'il n'y a qu'une seule voie possible pour retrouver le chemin de la souveraineté agricole alimentaire : moins de charges, de normes et d'interdictions, plus de rémunérations et de confiance pour nos agriculteurs. Ce sont ces objectifs que nous devons avoir en vue tout au long de nos débats, en ne cessant de rappeler que l'agriculture française est la plus sûre au monde.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Vos amendements visent à modifier l'intitulé du titre Ier : l'amendement n° 202 vise à remplacer les termes « nos politiques » par les mots « les politiques publiques et les orientations générales » ; l'amendement n° 67 entend remplacer « nos » par « les principales ». Outre le fait qu'ils suppriment la dimension volontariste de la rédaction retenue en commission, j'ai du mal à comprendre comment l'on peut définir des orientations générales, d'autant que les travaux en commission ont permis d'apporter de nombreuses précisions.
Vos propositions de modification ne sont guère adaptées au contenu du projet de loi. J'émettrai donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
J'aurai le même avis que la rapporteure. Je me méfie des intitulés à rallonge qui finissent par faire perdre le fil de la cohérence d'un texte.
Vous avez fait une digression sur la tomate…
Certes, elle était intéressante mais pas complètement liée à l'amendement.
Reste que vos amendements ne correspondent pas au cœur de ce titre Ier . Je donne un avis défavorable.
Alors que nous entamons la discussion de ce projet de loi d'orientation agricole, il me paraît important de poser quelques jalons. Rappelons que nous importons 30 % de la viande que nous consommons, 40 % des légumes et 60 % des fruits. Les graines de moutarde viennent du Canada et le sucre, malheureusement, est importé du Brésil. Nous marchons sur la tête. Il est urgent d'agir !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.
Il vise à modifier l'intitulé du titre I
La formulation que nous proposons, de portée plus générale, est beaucoup plus en phase avec les objectifs que nous poursuivons. Le renouvellement des générations, retenu dans la rédaction actuelle, vise un simple remplacement des effectifs existants. L'installation et la transmission répondent à une ambition plus forte, qu'il est nécessaire d'inscrire dans le titre Ier .
La parole est à Mme Delphine Lingemann, pour soutenir l'amendement n° 3357 .
Je ne vais pas revenir sur les arguments de nos collègues. D'ici à 2030, 48 % des agriculteurs et des agricultrices actuellement en activité prendront leur retraite et il importe d'ajuster en conséquence les objectifs poursuivis par les politiques agricoles que titre I
Pour assurer la souveraineté alimentaire et atteindre les objectifs de transition écologique et climatique sur lesquels la France s'est engagée, le simple remplacement des agriculteurs en activité est insuffisant. Réorganiser les systèmes et les modes de production tout en faisant face à l'effondrement des actifs agricoles nécessite d'impulser une dynamique d'accroissement du nombre d'agriculteurs et d'agricultrices qui passe par une augmentation des installations et les transmissions. Les termes d'« installation » et de « transmission » doivent à l'évidence figurer dans le titre Ier .
Mme Lisa Belluco applaudit.
Ces amendements visent à modifier l'intitulé du titre Ier en faisant référence aux seules notions d'installation et de transmission en agriculture. De nature existentielle, le renouvellement des générations représente à mon sens une ambition plus vaste que l'installation ou la transmission des exploitations agricoles, cette dernière n'étant que l'une des politiques à mettre en œuvre pour assurer ledit renouvellement.
Par ailleurs, nous considérons que c'est en aval des discussions, une fois que les articles qu'il contient ont été amendés, qu'il importe de modifier le titre Ier et non en amont. On ne peut préjuger des changements qui seront adoptés. Ces amendements sont donc, comme les deux précédents, prématurés. Avis défavorable.
En écho à Mme la rapporteure, je dirai que les modifications que vous proposez restreignent l'ambition que vous avez réaffirmée en commission dans les articles suivants, à savoir le renouvellement des générations. L'installation et la transmission constituent des outils au service de cet objectif. Avis défavorable.
En ce début de discussion des articles, il est bon, comme le rappelait notre collègue du groupe Les Républicains, de poser des jalons. Mme Pochon évoquait la nécessité d'impulser une dynamique d'accroissement du nombre d'exploitations. Je sais, pour les suivre attentivement, que beaucoup de cercles proches de l'écologie politique fixent un objectif de 1 million. La seule question que je me pose, c'est de savoir comment y parvenir concrètement.
Le rappel que le ministre a fait est une invitation à l'humilité pour de nombreuses forces politiques de cet hémicycle : c'est dans les années 1980 et 1990 que la plus forte baisse du nombre d'exploitations a été enregistrée. C'est un véritable effondrement qui a eu lieu alors qu'on observe actuellement un ralentissement de ce mouvement de diminution qui a marqué les quarante dernières années.
Voilà qui rappelle la fameuse promesse de Hollande d'inverser la courbe du chômage…
Il importe d'avoir cela à l'esprit pour avoir un débat objectif et éclairé.
Quel que soit l'intitulé du titre Ier , les dispositions qu'ils recouvrent resteront une vaste tromperie. Rappelons l'ampleur du défi auquel nous sommes confrontés : 10 000 exploitations agricoles disparaissent chaque année, la moitié des agriculteurs partiront à la retraite dans les dix années à venir et il n'y a qu'une seule installation pour trois départs à la retraite. Or, dans ce projet de loi, il n'y a rien qui puisse changer la donne.
Qu'aurait-il fallu faire ? Comme l'a très bien dit notre collègue Potier, il faut avant tout s'attaquer à la question de l'accès au foncier et il n'y a rien à ce sujet dans votre texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Dominique Potier applaudit également.
Deuxièmement, il faut s'attaquer à la question des revenus des agriculteurs et il n'y a rien non plus dans votre texte. Vous aviez pourtant dit que vous les souteniez lorsqu'ils se sont mobilisés plusieurs semaines, pendant lesquelles nous étions à leurs côtés.
Troisièmement, il faut s'attaquer aux débouchés et il n'y a rien, là encore, dans votre texte.
En tant que coprésidente du groupe de suivi de ce projet de loi, j'ai pu constater que tous les groupes parlementaires soulignaient la présence dans le texte de très larges angles morts. Inscrire les termes de « renouvellement des générations » dans ce titre, c'est…
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Ce projet de loi est une honte. Quel que soit le titre retenu, nous ne serons pas dupes de la tromperie qu'il recouvre.
Après une épreuve à main levée déclarée douteuse, il est procédé à un scrutin public.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 107
Nombre de suffrages exprimés 94
Majorité absolue 48
Pour l'adoption 43
Contre 51
C'est un vrai rappel au règlement puisqu'il respecte l'article 58, alinéa 2. Je me fonde en effet sur l'article 100 du règlement, qui porte sur l'organisation des débats et sur la procédure d'examen des articles, amendements et sous-amendements.
L'un des amendements à l'article 1er , l'amendement n° 3952 ,
Il va toutefois en résulter une discussion illisible, loin des exigences constitutionnelles de clarté et de sincérité des débats auxquelles nous sommes tenus. Les sous-amendements seront successivement présentés par les collègues qui les ont déposés. Nous n'obtiendrons pas de réponse intelligible de la commission et du Gouvernement sur chaque sous-amendement. Au moment des votes, d'autant plus s'ils s'enchaînent rapidement, nous ne saurons donc pas sur quel sous-amendement nous serons en train de nous prononcer. Or certains comportent des dispositions très graves donc lourdes de conséquences. Par conséquent, pourrait-on exceptionnellement organiser la discussion des sous-amendements soit par alinéa, soit par grande partie de l'amendement sous-amendé ?
« Elle a raison ! » sur plusieurs bancs. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES et sur plusieurs bancs du groupe SOC.
La seule chose que je peux vous dire, avec toute l'honnêteté que vous me connaissez, c'est que j'espère simplement ne pas présider au moment où il faudra examiner ces sous-amendements !
Sourires sur plusieurs bancs. – M. Frédéric Mathieu applaudit.
En effet, cela sera très compliqué, quelle que soit la personne qui présidera alors : ayez une pensée pour elle le moment venu. C'est déjà compliqué quand il y a quinze sous-amendements !
Blague à part, nous ne pouvons pas procéder comme vous le proposez, même si j'entends bien votre demande. J'espère que nous n'atteindrons pas ces sous-amendements avant vingt heures ; nous pourrons déterminer pendant la pause la marche à suivre pour que le vote reste simple et compréhensible, peut-être en procédant sous-amendement par sous-amendement.
Sourires.
Nous entendons bien la demande de Mme la ministre Batho. Il me semble toutefois que nous pouvons procéder comme d'habitude, sous-amendement par sous-amendement. Les rapporteurs et le Gouvernement apporteront une réponse globale après chaque groupe de sous-amendements portant sur le même sujet.
En procédant de la sorte, le débat sera suffisamment éclairé. Je crains que, si nous suivons la proposition qui a été faite, le débat ne soit brouillé, et que la présidence peine à gérer les prises de parole, notamment à les compter si elle décide de retenir une intervention pour le sous-amendement et une intervention contre. Je recommande donc de faire comme d'habitude, c'est-à-dire d'examiner l'ensemble des sous-amendements qui réécrivent alinéa par alinéa l'intégralité de l'article 1er .
Nous commençons enfin l'examen en séance du projet de loi d'orientation agricole. Après une première annonce à l'automne 2022, il a été plusieurs fois repoussé malgré l'urgence – le désarroi que le monde agricole a exprimé sur les barrages routiers l'hiver dernier, et que l'on a sans doute trop vite oublié.
Force est de constater que le projet de loi initial passe à côté des revendications principales des agriculteurs : l'article 1er reconnaît le caractère d'intérêt général majeur – une notion floue – à l'agriculture et dévoie le brillant concept de souveraineté alimentaire en le vidant du sens qui est le sien depuis bientôt trente ans. Lorsque vous avez défini les enjeux, monsieur le ministre et monsieur le rapporteur, vous n'avez rien dit sur la rémunération des agriculteurs, ni sur la lutte contre la concurrence déloyale ou sur l'accès au foncier. Vous n'avez pas fait un geste non plus vers les oppositions lorsque vous avez proposé de réécrire l'article. La nouvelle rédaction est en somme le fruit de la souveraineté des droites et certainement pas de la collégialité des parlementaires.
Monsieur le ministre, il n'est pas admissible que ce projet de loi, en particulier son article 1er , contourne les revendications les plus élémentaires du monde paysan. Les spécificités de nos filières, de nos paysages et de nos savoir-faire, nos productions emblématiques et notre modèle français d'exploitation familiale méritent mieux.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et Écolo – NUPES. – M. François Ruffin applaudit également.
Avant de donner la parole à M. Jumel, et pour en revenir à la question du nombre important de sous-amendements, je vous propose, lors de la mise aux voix de ces derniers, que soient systématiquement rappelés le numéro du sous-amendement, son auteur, et l'avis de la commission et du ministre : vous saurez ainsi ce que vous êtes en train de voter. Je vous laisse en discuter entre vous.
La parole est à M. Sébastien Jumel.
Nous allons passer beaucoup de temps sur cet article et nous aurons l'occasion de tenter de le préciser et de dénoncer ses aspects flous et dangereux. J'appelle cependant votre attention sur le sujet central : la souveraineté alimentaire.
Il y a deux jours, j'ai visité une ferme à Esclavelles, une petite commune de Seine-Maritime. L'atelier laitier y a été transformé en atelier de concassage pour du béton produit par un sous-traitant de Vinci, avec les nuisances que cela implique pour les riverains et le dévissage que cela représente pour la commune. Monsieur le ministre, nous en avons parlé à plusieurs reprises : la région Normandie est la région productrice de lait par excellence – je pense au pays de Bray, dans lequel je suis élu, et au neufchâtel, symbole des appellations d'origine protégée (AOP) de qualité.
Il ne se passe pas un mois, pas une semaine, sans que des ateliers de ferme ne mettent la clé sous la porte. Traire des vaches deux fois par jour et sept jours sur sept pour des prix qui ne sont pas au rendez-vous, c'est évidemment devenu insupportable pour les agriculteurs concernés. On a même pu lire dans Les Échos que si l'on continuait à dévisser ainsi – et je vous épargne le dévissage encore plus prononcé de la filière bio – la France, qui exportait du lait, pourrait devenir à très court terme dépendante des importations laitières.
Comment cette loi visant à assurer une souveraineté alimentaire et agricole peut-elle concrètement protéger la filière laitière dans des territoires comme le mien ?
Dans l'émission « Un dîner presque parfait », les candidats notent chaque soir des menus préparés par les autres participants. Ce soir, monsieur le ministre, vous êtes l'hôte et nous sommes les convives. Cet article que vous nous proposez en guise d'entrée réussit à la fois à nous laisser sur notre faim et à nous écœurer. Vous prétendez qu'il s'agit d'un article programmatique. Au vu de l'ampleur des défis à relever, nous attendions en effet un article de planification – une telle ambition aurait été de bon ton.
Il faut que nous nous fixions des objectifs précis, mesurables, vérifiables et adaptables en matière d'installation et de priorités, mais aussi de moyens d'accompagnement financiers et humains. Nous devons favoriser la transition vers les modèles qui sont reconnus comme les plus vertueux socialement et écologiquement. Pour ce faire, nous avons besoin d'une feuille de route, tout comme nos agriculteurs. L'article que vous nous proposez ne programme rien, ne planifie rien ; il ne fixe aucun objectif chiffré, aucun cap.
Votre utilisation de la notion de souveraineté alimentaire est même malhonnête, tant elle méconnaît la définition du terme reconnue internationalement. Vous mettez notamment de côté toute dimension de solidarité internationale.
Le rapport de la commission des affaires économiques est clair : au-delà de sa dimension symbolique, l'intérêt juridique de la notion d'intérêt général majeur apparaît relatif.
En commission, vous vous êtes rendu compte que la rédaction de cet article ne convenait pas et qu'elle n'avait pas été suffisamment préparée ; vous en avez annoncé la réécriture d'ici à son examen en séance. Nous nous interrogeons sur cette méthode de travail, alors que vous nous dites considérer le sujet comme essentiel. Cela nous oblige aussi à déposer des centaines de sous-amendements dont l'examen sera confus.
Pour toutes ces raisons, et pour filer la métaphore jusqu'au bout, bien qu'à ce stade on soit plus dans « Cauchemar en cuisine » que dans « Un dîner presque parfait », nous vous décernons la note de un sur dix.
Exclamations sur les bancs des groupes RE, RN et LR. – Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES, LFI – NUPES et GDR – NUPES.
Pour ne pas que les agriculteurs soient les dindons de cette mauvaise farce, nous défendrons la suppression de cet article.
L'article 1
Je reviendrai sur cette notion tout à l'heure à l'occasion d'un sous-amendement.
Ce projet de loi consacre aussi le caractère d'intérêt général majeur de l'agriculture. L'objectif est de donner une protection juridique aux agriculteurs et de sanctuariser la production agricole. Ce texte réaffirme l'ambition d'une agriculture productive, exportatrice et moderne, qui prend aussi en compte l'impératif d'adaptation aux changements climatiques.
L'agriculture française se trouve dans une position paradoxale : contrairement à ce qui est souvent répété, y compris au sein de cet hémicycle, notre agriculture et notre secteur agroalimentaire restent très largement exportateurs – le surplus est de 8 milliards d'euros en moyenne chaque année. Nous avons des forces – les céréales, les semences, le sucre, contrairement à ce qui a été dit précédemment, les pommes de terre, les produits laitiers, les vins – et des fragilités – les fruits et légumes, certaines viandes et les produits de la pêche. Ces faiblesses sont indéniables, je le constate moi-même dans ma circonscription en Alsace. Nous devons consolider les filières qui vont bien et réparer celles qui sont en difficulté – c'est notre objectif.
Je me réjouis que cet article rappelle l'inscription de la politique agricole française dans le marché intérieur de l'Union européenne. C'est l'occasion de réaffirmer notre attachement à la politique agricole commune, qui est une grande réussite de la construction européenne. Depuis soixante ans, elle permet aux Européens et donc aux Français de disposer d'une nourriture de qualité en quantité suffisante.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Monsieur le ministre, j'ai bien écouté votre propos introductif dans lequel vous avez défini la souveraineté alimentaire : « La souveraineté alimentaire est la capacité à assurer des besoins essentiels – c'est-à-dire le besoin de se nourrir ; à ne pas subir des interdépendances, mais à les maîtriser et à les choisir […]. C'est, dès lors, reconnaître que des interdépendances existent sur certains de ces produits mais que la géopolitique nous oblige à les repenser. »
Vous avez prononcé le mot interdépendance pas moins de sept fois, sans jamais nous dire que la meilleure maîtrise des dépendances, c'est de pouvoir produire nous-mêmes, avec notre agriculture. Vous avez totalement renoncé à l'idée que l'agriculture française puisse satisfaire la majeure partie des besoins nationaux – ce qui n'a absolument rien à voir avec l'autarcie. Vous entérinez même le fait qu'il faudrait « se préparer à ce que nous soyons déficitaires sur un certain nombre de productions », comme si c'était inéluctable. Nous vivons un moment de grande clarification : vous ne croyez pas à la véritable souveraineté alimentaire. Votre position vous isole d'ailleurs sur le spectre politique puisque personne ne pense comme vous, y compris au sein de la majorité et de l'intégralité des syndicats agricoles.
Les agriculteurs auront donc compris ce soir qu'ils ne pourront jamais compter sur vous pour les défendre contre l'importation des tomates marocaines, de la viande ovine et du lait de Nouvelle-Zélande, des pommes de Pologne, du poulet et des céréales d'Ukraine, de la viande bovine du Mercosur – que nous importons déjà sans avoir signé de traité de libre-échange. Consolider, renforcer et sécuriser au maximum la production atteignable localement doivent être les premiers leviers pour parvenir à la souveraineté alimentaire. Nous défendrons cette ambition de bon sens lors de l'examen de cet article.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Cet article reflète bien votre manque de vision et d'un cap clair pour l'agriculture. En quoi qualifier l'agriculture d'intérêt général majeur aidera les agriculteurs à lutter contre les aléas climatiques, à obtenir un revenu digne et à entamer la bifurcation écologique ? Ça ne les aidera en rien. Le seul effet potentiel à craindre, c'est l'utilisation de ce caractère d'intérêt général majeur pour justifier des projets d'agrobusiness néfastes pour l'environnement.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Et que dire de votre définition de la souveraineté alimentaire, dont même le Conseil d'État ne voit pas l'utilité ? Elle fait la part belle aux accords de libre-échange.
En réalité, vous manquez de courage politique pour protéger notre agriculture de la concurrence internationale. Pourquoi vouloir réinventer l'eau chaude ? Une définition, reconnue par l'Organisation des Nations unies (ONU), existe déjà. Nous défendrons cette vision de la souveraineté alimentaire, forgée par les mouvements paysans internationaux des années 1990. Cette définition respecte le droit des peuples à définir leur système alimentaire et agricole, le droit à une alimentation saine, culturellement appropriée et produite avec des méthodes écologiques, durables et respectueuses des droits de l'homme.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Nous défendons une agriculture rémunératrice qui emploie des travailleurs et des travailleuses en nombre et qui propose des conditions de travail dignes ; une agriculture pratiquée par des agriculteurs et des agricultrices qui nous nourrissent et protègent le vivant.
Telle devrait être l'orientation de ce texte, plutôt que votre définition sortie d'un chapeau pour justifier le sacrifice de notre agriculture au profit du marché.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
La souveraineté alimentaire est un défi majeur pour l'avenir de notre pays. Je soutiens la réécriture de l'article 1er , qui élève l'agriculture, la pêche et l'aquaculture au rang d'activités d'intérêt général majeur.
Toutefois, force est de constater que cette disposition n'apportera pas de réponse concrète aux difficultés des agriculteurs. Quant au texte dans son ensemble, le compte n'y est pas. Votre projet de loi n'est pas à la hauteur des défis à relever pour libérer l'activité des agriculteurs ; il s'est éloigné de son ambition initiale. Il ne propose rien, ou si peu, sur la compétitivité du secteur ; rien, ou si peu, sur la surtransposition ; rien, ou si peu, sur le revenu des exploitants ; rien, ou si peu, sur la fiscalité.
Comment peut-on prétendre encourager l'installation et la transmission sans la moindre incitation fiscale ? À l'évidence, votre texte se paie de mots et ignore la colère légitime du monde agricole.
Notre responsabilité collective consiste pourtant à insuffler une nouvelle vision au secteur, à garantir sa durabilité et à assurer une sécurité alimentaire robuste. Plus que jamais, l'agriculture est à l'avant-garde du combat politique à mener pour reconquérir notre souveraineté. Nous devons réhabiliter l'acte de produire et rassurer les jeunes qui ont la vocation d'exercer ce beau métier.
Nous sommes fiers de nos agriculteurs, qui sont les premiers écologistes de France.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Cet article entend faire de la souveraineté alimentaire un objet structurant des politiques publiques. Il affirme le caractère d'intérêt général majeur de l'agriculture, du pastoralisme, de la pêche, de l'aquaculture, de la protection, de la valorisation et du développement de l'agriculture – sans oublier la sylviculture –, comme garantie de la souveraineté alimentaire de la nation, contribuant à la défense de ses intérêts fondamentaux.
Les membres du groupe Démocrate insistent sur le contexte dans lequel a été rédigé cet article 1er , caractérisé par l'exigence du maintien de la compétitivité des filières agricoles et par le soutien clair de la représentation nationale – les agriculteurs en ont besoin et ainsi nous leur envoyons un signal fort.
L'article 1
Dans cet esprit, les membres du groupe Démocrate, en soutien aux agriculteurs, défendront l'amendement n° 4610 qui vise à mieux définir la notion de souveraineté agricole et alimentaire et à mieux caractériser les objectifs des politiques publiques concourant à la protection de cette souveraineté agricole et alimentaire.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.
« Pas de pays sans paysans ! », tel est le cri d'alarme lancé par nos agriculteurs, devenus cet hiver des manifestants. Un cri qu'on ne peut oublier quand 20 % d'entre eux vivent sous le seuil de pauvreté et quand les retraités ne touchent que 864 euros par mois – une misère.
Chez moi, dans le Biterrois, les viticulteurs ne sont pas moins éprouvés, que ce soit à cause des intempéries, de la sécheresse, des maladies de la vigne, de la salinisation des terres ou de la concurrence déloyale qui fait rage, en premier lieu à cause de la francisation des vins espagnols. Nombre d'entre eux songent sérieusement à arracher leurs vignes ou à les troquer contre des panneaux photovoltaïques, quitte à balafrer nos paysages travaillés par des générations de mains qui ont aimé la terre, pour en faire leur terre.
Pire encore : trop souvent, les viticulteurs se sentent abandonnés par l'État, en raison d'aides qui ne viennent pas ou tardivement, de lourdeurs administratives, de contraintes liées à la transition écologique, d'exigences européennes à plusieurs vitesses et, parfois même, d'une justice pas toujours à la hauteur des dommages qui leur sont causés.
Le secteur du vin représente pourtant 440 000 emplois équivalents temps plein (ETP), 6,4 milliards d'euros de recettes fiscales, un chiffre d'affaires de 92 milliards d'euros et 10 millions d'œnotouristes par an. C'est le troisième secteur d'exportation excédentaire français. Surtout – ce sera le dernier chiffre –, 96 % des Français considèrent que le vin fait partie de l'identité culturelle de notre pays.
Il est possible de soutenir la filière viticole, en créant une administration unique pour gérer les surfaces exploitées, avec, au minimum, les mêmes règles de calcul ; en autorisant rapidement un statut de négociant en vin pour les vignerons ; en limitant à une seule par an les déclarations de stock ; et, surtout, en simplifiant le cadre administratif, pour en finir définitivement avec les doublons – entre autres mesures. Bref, il faut en finir avec les objectifs déclaratoires, les lois inutiles et les litanies d'amendements retoqués. Nos demandes, monsieur le ministre, sont celles de nos paysans.
Avant que nous ne commencions l'examen de l'article 1er , permettez-moi de rappeler son importance capitale : il consacre le caractère d'intérêt général majeur de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture, en vue de garantir la souveraineté alimentaire de la France. Il s'agit d'un fait politique majeur…
…qui vise notamment à reconnaître le rôle essentiel des agriculteurs dans la société et à les soutenir, tant dans l'exercice de leurs activités que dans le développement des projets agricoles. Trop souvent, les agriculteurs souffrent de procédures administratives trop longues, de multiples recours contre des projets ayant déjà fait l'objet d'une autorisation administrative, alors qu'ils sont pourtant indispensables à notre souveraineté agricole.
Cette inscription du caractère d'intérêt général majeur devrait permettre de soutenir les agriculteurs,…
…d'accélérer le traitement de ces dossiers si importants pour l'alimentation de nos concitoyens et de renforcer ainsi notre souveraineté agricole et alimentaire.
Puisque nous allons débuter l'examen de l'article 1er , permettez-moi de rappeler l'objectif qui a présidé à sa rédaction : réaffirmer, préciser et traduire en termes de politique publique ce qui relève de la souveraineté alimentaire.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué le caractère d'intérêt général majeur qu'il confère à l'agriculture. Certains, sur les bancs du groupe Les Républicains, s'interrogent sur la portée de cette mesure.
Elle doit bien en avoir une, puisque vous l'avez intégrée à votre programme pour les élections européennes ! Si elle n'avait aucun intérêt, personne n'en parlerait. Reconnaissez que nous avons cheminé, vous et nous, puisque ce caractère d'intérêt général majeur s'impose désormais dans les débats. C'est une bonne nouvelle, puisqu'il devra s'imposer au niveau national comme au niveau européen.
L'impact européen doit être débattu au niveau européen, c'est la hiérarchie des normes !
Je salue donc la reprise au vol de la proposition gouvernementale dans votre programme pour les élections européennes. Tout cela témoigne d'un véritable progrès.
J'aimerais ensuite répondre à vos propos sur l'article 1er , madame Pochon, mais si ça ne vous intéresse pas, car je vous vois accaparée par Dominique Potier, je n'argumenterai pas et me contenterai de donner des avis défavorables – on peut aussi ne pas se fatiguer.
Nous étions ensemble en commission, avec le président Travert, or je n'ai pas entendu la même chose que vous. Si le Gouvernement avait imposé sa rédaction de l'article 1
Vous n'avez pas participé à la réécriture, vous avez déposé des amendements, les uns après les autres.
Peu importe, je parlais de la méthode.
Exclamations sur les bancs des groupes SOC et Écolo – NUPES.
Mme Pochon a dit que nous avions été obligés de réécrire l'article 1er : en réalité nous avons choisi de le faire…
…pour répondre favorablement à la demande de certains députés. Nous assumons cette méthode.
Plusieurs d'entre vous ont regretté qu'il ne soit pas question de compétitivité et de fiscalité dans cet article. Au contraire, des mesures ont été annoncées concernant les taxes sur le foncier non bâti, la dotation pour épargne de précaution, la fiscalité sur les plus-values.
C'est bien le problème : vous auriez pu intégrer ces annonces au texte !
Certains points ne figurent pas dans le texte, mais sont soit dans l'atmosphère, soit déjà mis en œuvre. Ils relèvent de dispositifs qui figureront dans le projet de loi de finances ; des engagements ont été pris en ce sens.
Madame Ménard, je ne peux pas vous laisser dire que nous n'avons rien fait pour la viticulture : nous avons débloqué 1 milliard d'euros pour lutter contre les conséquences du gel, des centaines de millions pour la distillation, des centaines de millions d'euros pour la restructuration du vignoble.
M. Grégoire de Fournas s'exclame.
Monsieur de Fournas, essayons de ne pas commencer le débat avec des caricatures.
Exclamations sur les bancs du groupe RN.
Qu'est-ce que vous êtes gentil quand vous vous adressez à l'extrême droite, c'est touchant !
Oui, certaines années, nous produirons moins à cause du dérèglement climatique. En 2016, les inondations ont provoqué une diminution de 30 % de la production de céréales. Libre à vous de considérer que nous pouvons nous affranchir des aléas météorologiques et nous attendre à produire la même chose chaque année, mais moi, je l'assume : nous aurons besoin d'interdépendance.
L'interdépendance, cela signifie que les autres dépendront également de nous. Par exemple, en 2023, l'Italie et l'Espagne ont produit moins de céréales en raison d'un épisode de sécheresse : cela a créé une interdépendance. Les événements climatiques s'imposeront à nous, mais vous pouvez faire semblant de croire qu'ils n'existent pas.
Les interdépendances que j'ai évoquées se mesurent à l'aune du dérèglement climatique ; pas sur le temps long, mais d'une année sur l'autre. Parce que le caractère erratique de la production posera problème, nous avons besoin de la maîtriser et d'œuvrer à la résilience de nos systèmes.
Sur les amendements n° 35 et identiques, je suis saisie par les groupes Renaissance et La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Je suis saisie de treize amendements identiques, n° 35 , 2536 , 2826 , 2833 , 2902 , 2909 , 2923 , 2936 , 2938 , 2944 , 2970 , 2974 et 4656 , tendant à supprimer l'article 1er .
La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l'amendement n° 35 .
Un mot tout d'abord, au sujet de la méthode d'examen de ce texte. La proposition de Delphine Batho est frappée au coin du bon sens : réorganiser nos débats est à la portée de l'Assemblée. Je sais bien que ce n'est pas de votre fait, monsieur le ministre.
En ce qui concerne la réécriture de l'article 1er , nous aurions pu, avec un peu d'humilité, repartir de la définition de 2014 en la complétant avec quelques alinéas. Cela nous aurait évité de devoir réactualiser, dix ans après, le travail qui avait été effectué. Cette ambition, plus modeste, aurait peut-être été plus réaliste.
Il fallait évidemment procéder à une réécriture, afin d'éviter l'effet patchwork, mais la proposition faite en commission ne s'adressait qu'aux oppositions de droite…
Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC, LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
Puisque nous n'avons pas été associés, comment voulez-vous que nous exprimions autrement que par sous-amendements ?
Venons-en enfin à mon amendement, qui tend à supprimer l'article 1er . Je ne conteste pas la nécessité de disposer d'une définition de la souveraineté alimentaire, qui, si elle n'a pas de portée normative ou juridique, reste un exercice idéologique intéressant, de nature à motiver et réarmer moralement les agriculteurs.
En revanche, la notion d'intérêt général majeur nous pose un problème de droit. Alors que nous sommes justement censés faire le droit, l'intérêt général majeur est un objet juridique non identifié, qui pourrait soit agir comme un leurre – on se serait alors moqué du monde paysan –, soit avoir une véritable portée juridique – il remettrait alors en cause la hiérarchie des normes, jusqu'à la Charte de l'environnement, et constituerait donc un autre péril.
Défendre la suppression de l'article 1
Il se fonde sur l'article 100 du règlement. Je souhaite soutenir la demande faite par notre collègue Batho au sujet de l'organisation du débat des amendements et sous-amendements, notamment à l'article 1er . La lisibilité des débats est un enjeu démocratique fondamental : il y va de la compréhension des modèles et orientations que nous défendons par le monde agricole, le monde rural et l'ensemble des citoyens. Or si l'organisation suggérée par Delphine Batho rend nos débats intelligibles, celle que nous suivons actuellement ne le permet pas.
Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
Je vous invite également à vous prononcer sur la proposition d'organisation que je vous ai faite, sans quoi nous n'avancerons pas. Je m'adresse à chacun d'entre vous et vous remercie d'avance.
La parole est à Mme Anne-Laure Blin, pour soutenir l'amendement n° 2536 .
Monsieur le ministre, vous avez conçu l'article 1
En réalité, vous bercez nos agriculteurs d'illusions. Vous leur faites des promesses, mais votre texte risque de nourrir leur déception. Comme tous les Républicains je partage votre volonté, celle d'ériger l'agriculture en intérêt européen majeur.
Nous voulons toutefois le faire au niveau européen et abroger l'ensemble des textes qui ont reçu votre soutien à ce même niveau et dont M. Canfin s'est fait le premier défenseur.
Ces textes concourent à la décroissance que vous appelez de vos vœux et à laquelle nous nous opposons.
Votre article n'a aucune portée normative et les intérêts que vous prétendez défendre au profit de nos agriculteurs se heurteront à des préconisations et des contre-indications constitutionnelles, relatives à l'environnement. Les agriculteurs le savent très bien, de sorte que l'article 1
Les agriculteurs n'ont pas besoin de preuves d'amour, mais d'un vrai changement de paradigme, nous aurons l'occasion d'y revenir.
Les agriculteurs souhaitent également avoir la certitude de pouvoir, demain, jouir de la liberté d'entreprendre, de travailler dans leur exploitation et de vivre enfin du fruit de leur travail.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La parole est à Mme Manon Meunier, pour soutenir l'amendement n° 2826 .
Je souhaite insister sur les graves conséquences que pourrait avoir ce texte sur le modèle agricole familial tel que nous le connaissons. Graves, du fait de l'introduction de l'intérêt général majeur dans le droit.
Monsieur le ministre, votre cabinet lui-même a déclaré à l'Agence France-Presse (AFP) espérer que la notion d'intérêt général majeur pourra nourrir la réflexion du juge administratif quand il aura à trancher un litige relatif à un projet agricole, lorsque celui-ci est mis en balance avec un impératif écologique. Vous avouez donc tranquillement que cet article servira à contraindre les décisions et le pouvoir d'appréciation du juge administratif.
Je suis désolée d'avoir à vous l'apprendre, mais il n'appartient pas à l'exécutif de contraindre les décisions du juge administratif : monsieur le ministre, vous dérogez ainsi au principe de séparation des pouvoirs.
La question à se poser est surtout celle-ci : à qui profite le crime ? Pourquoi introduire la notion d'intérêt général majeur ? Elle permettra d'accélérer le traitement des contentieux et de les trancher en faveur de projets et de bâtiments industriels toujours plus gros, en faveur de réserves d'eau toujours plus grandes ! En somme, vous accélérez grâce à elle l'accaparement de l'agriculture par l'agro-industrie.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Chers collègues macronistes, nous vous invitons à voter cet amendement ou à renommer votre projet de loi en projet de loi d'orientation visant à arracher les terres agricoles des mains des agriculteurs, puis à les offrir à l'agro-industrie.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
La parole est à M. Loïc Prud'homme, pour soutenir l'amendement n° 2833 .
L'article vise à placer l'agriculture dans un marché ouvert à la concurrence libre et non faussée. Il favorise l'agrobusiness et non l'agriculture dont la vocation est de nourrir ou de préserver nos paysages ; il consacre une agriculture exportatrice, dans le cadre d'un marché agricole mondialisé, qui enferme nos paysans et nos paysannes dans une course – perdue d'avance – au moins-disant social et environnemental. Il se trouvera toujours un pays pour produire moins cher et plus salement que le nôtre : nous ne pouvons pas nous livrer à cette vaine compétition. De plus, il ne peut pas y avoir « en même temps » l'assurance d'une alimentation saine, sûre, accessible et locale et l'encouragement à la délocalisation et à l'industrialisation de notre production alimentaire.
Quelques exemples pour illustrer cette impasse : 30 % des élevages ont disparu entre 2010 et 2020, qui représentaient 80 000 ETP qui ont fondu comme neige au soleil. Par ailleurs, 3 % des élevages concentrent 60 % des animaux et même si vous ignorez ce que c'est, monsieur le ministre, on voit pousser ici ou là des fermes usines. La production de porc est désormais assurée par un nombre de producteurs divisé par deux, alors que la taille du cheptel est restée constante.
On parle de décapitalisation, mais en définitive, le nombre de têtes importe moins que le fait que les éleveurs soient nombreux, qu'ils gagnent leur vie et qu'ils élèvent des animaux en bonne santé pour produire une alimentation de qualité. Votre modèle encourage des filières de piètre qualité, dont la production est destinée à l'export. Encore un chiffre : 39 % de la production de la filière porcine va à l'exportation, pour être transformée en produits de mauvaise qualité.
La parole est à Mme Aurélie Trouvé, pour soutenir l'amendement n° 2902 .
S'il fallait une seule raison pour justifier la suppression de cet article, on la trouverait aux alinéas 4 et 6 de l'article 1er , qui ne reprennent pas la définition que donnent les Nations unies de la sécurité alimentaire – la capacité d'un pays à assurer sa propre production alimentaire –, mais s'inspirent des dogmes de la concurrence internationale. En effet, on y lit que la souveraineté alimentaire se comprend comme « la capacité à assurer son approvisionnement alimentaire dans le cadre du marché intérieur de l'Union européenne et de ses engagements internationaux ».
Tout est dit dans l'alinéa 6, qui résume l'ensemble de votre projet de loi : il ne vise pas à autre chose qu'à vouer l'agriculture à la compétitivité, c'est-à-dire à la compétition internationale par la baisse des coûts de production, par le dumping environnemental et par le dumping social et fiscal. Voilà toute la logique de votre texte !
Laissez-moi vous rappeler les fruits des accords de libre-échange que vous soutenez, notamment à l'accord passé avec le Canada, le Ceta : l'excédent commercial de l'agriculture française a chuté, passant de 3 milliards d'euros au début de la présidence d'Emmanuel Macron à 1 milliard d'euros aujourd'hui. Pour vous en convaincre, consultez les statistiques du service Agreste !
Les exportations vers le Canada ont progressé ! Il faut dire la vérité enfin !
Vous pouvez bien me répondre, il suffit de regarder les statistiques, de simples chiffres : les exportations nettes sont passées de 3 milliards d'euros à 1 milliard d'euros en sept ans de présidence d'Emmanuel Macron.
En ce qui concerne, la sécurité alimentaire, le nombre de personnes qui déclarent avoir faim dans ce pays est passé dans le même temps de 6 millions à 11 millions d'après le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc) : vous êtes…
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
La parole est à Mme Mathilde Hignet, pour soutenir l'amendement n° 2909 , tendant à supprimer l'article 1er .
À mon tour d'étayer les propos de nos collègues et de réaffirmer notre opposition à l'article 1er de ce projet de loi. L'une des raisons pour lesquelles nous rejetons votre définition de la souveraineté alimentaire, c'est votre insistance à vouloir faire contribuer l'agriculture à la souveraineté énergétique du pays. Que ce soit à titre principal ou subsidiaire n'y changera pas grand-chose : les agriculteurs ne sont pas des énergéticiens, tandis que la vocation des terres agricoles est de nourrir la population. Nous sommes loin d'y parvenir, puisque nous importons 71 % des fruits consommés sur le territoire français. Ainsi, il y a mieux à faire de nos terres agricoles que d'y implanter des méthaniseurs ou des panneaux solaires de manière anarchique.
Nous défendons une agriculture dont la première fonction est de nourrir la population. Lors de « l'agritour » que nous avons mené avec Damien Maudet, nous avons rencontré plusieurs agriculteurs et agricultrices, dont Benjamin, qui affirmait que tous ses collègues en filière industrielle devenaient producteurs d'énergie et non plus d'alimentation. Ce n'est pas moi qui le dis, mais un agriculteur du Morbihan !
Comme le montrent clairement les chiffres fournis par la Safer, les prix du foncier sont directement affectés par l'agrivoltaïsme : les terrains sous panneaux peuvent être six fois plus chers que les autres. Si nous nous demandions quel modèle, agriculture familiale ou agrobusiness, vous soutenez, cet article 1er nous fournit la réponse.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Répétons-le : l'article 1er , qui vise à inscrire la souveraineté alimentaire de la France dans le cadre du marché, et, plus généralement, ce projet de loi prennent parti pour un modèle agricole, celui de l'agroalimentaire dédié à l'export et au libre-échange. Or telle n'est pas notre conception de la souveraineté alimentaire puisque nous souhaitons l'asseoir sur la démocratie et sur le droit des peuples à définir eux-mêmes leur système alimentaire.
À l'inverse, vous nous proposez de donner un passe-droit aux intérêts privés et aux multinationales pour imposer leurs modèles dépassés. J'en tiens un exemple avec la holding Limagrain, qui produit du maïs semence dans la plaine de la Limagne, qui s'étend sur une partie du Puy-de-Dôme. Pour produire ce maïs semence, très gourmand en eau, Limagrain impose déjà aux agriculteurs l'usage de produits dangereux pour leur santé et pour l'environnement. Elle entend cependant aller plus loin, en construisant les deux plus grandes mégabassines de France, pour irriguer toujours plus de champs de maïs semence. Ces deux mégabassines ne profiteront qu'à trente-six agriculteurs, quand le département du Puy-de-Dôme compte 5 000 exploitants. Ce week-end, nous étions plus de 6 500 personnes – habitants et paysans – à alerter l'opinion publique à ce sujet, en manifestant, déterminés mais joyeux, contre ces mégabassines.
Le groupe Limagrain le reconnaît lui-même : il s'agit de solutions court-termistes. Tout ça pour quoi ? Sur 100 doses de semence qu'il produit, plus de la moitié part à l'export. Vous tenez donc l'exemple d'une multinationale qui pourra se prévaloir de l'intérêt général majeur pour imposer des méthodes de production anti-environnementales et, en définitive, exporter sa production. Je vous rappelle d'ailleurs que le maïs semence ne se mange pas.
On voit là toute l'hypocrisie de cet article et, plus généralement, d'un projet de loi qui semble avoir été écrit directement par les multinationales de l'agroalimentaire.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
La parole est à M. Frédéric Mathieu, pour soutenir l'amendement n° 2938 .
Je reviens à cette idée d'intérêt général majeur, qui montre l'appétence de la Macronie à réinventer l'eau chaude. Il y a plus de deux cents ans, c'est-à-dire pendant la Révolution française, et par la première Assemblée nationale, que l'intérêt général a été défini. Il n'y a jamais eu d'intérêt général majeur, d'intérêt général mineur, d'intérêt général simple, d'intérêt général dégradé ou encore d'intérêt général moins bien. On voit cependant, comme l'a rappelé Manon Meunier, que la véritable préoccupation des auteurs de ce projet de loi est d'établir une hiérarchie entre les différentes sensibilités à l'intérêt général. Votre cabinet, monsieur le ministre, a d'ailleurs déclaré à l'AFP que l'impératif écologique pourrait poser problème dans l'appréciation portée par le juge administratif saisi d'un recours contentieux portant sur une opération agricole telle que la construction d'une mégabassine.
Notre collègue a raison : l'inscription dans la loi d'une contrainte qui annihilerait le pouvoir d'appréciation du juge administratif ou judiciaire porte atteinte à la séparation des pouvoirs qui fait partie de l'identité constitutionnelle du pays. Par ailleurs, je suis au regret de vous apprendre que le droit à un recours effectif, que garantit la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, en fait également partie.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Lorsque notre collègue a répété les mots prononcés par votre cabinet, qui a dit vouloir contraindre le juge administratif, je vous ai vu hocher la tête avec un air satisfait. Auriez-vous l'amabilité d'exprimer cette satisfaction au micro, afin de nous aider à nourrir notre futur recours devant le Conseil constitutionnel ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon, pour soutenir l'amendement n° 2944 .
Comme l'ont très bien dit mes camarades, la notion d'intérêt général majeur nous pose véritablement problème. Nous insistons sur le fait qu'elle risque d'entraîner une régression environnementale et qu'elle pourrait conduire à faire des choix préjudiciables à l'environnement, à la durabilité de notre agriculture, à la sécurité économique des agriculteurs et à la souveraineté alimentaire du pays.
Les conséquences risquent d'être encore plus graves en outre-mer. Dans le domaine de l'agriphotovoltaïque, par exemple, des abus pourraient être commis. Certains pourraient s'emparer de terres en friche, grâce à des mégaprojets peu rentables sur le plan agricole, détournant ainsi l'objectif premier du projet de loi.
Pour rappel, d'après le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, il existerait un potentiel important en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, qui compteraient respectivement 12 000, 9000 et 8 000 hectares de terres en friche. Le dernier recensement agricole, réalisé en 2020, révèle une évolution préoccupante pour les territoires d'outre-mer. Depuis 2010, la surface utile a encore continué à reculer dans les départements et régions d'outre-mer (Drom), à l'exception de la Guyane. La notion d'intérêt général majeur pourrait également menacer la disponibilité de la ressource en eau et son juste partage, indispensables à une agriculture durable, en favorisant des opérations de pompage abusives dans les nappes phréatiques et les cours d'eaux. Nous savons les problèmes de sécheresse auxquels nous sommes confrontés : à La Réunion, l'eau vient souvent à manquer, à Mayotte, l'eau est rare… Par conséquent, supprimons cet article.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
« S'ils ne veulent plus de nous, il faut le dire ! » Voilà ce que m'a dit Yannick, agriculteur à Nedde. Il a raison de s'inquiéter. Depuis 2016, dans le Limousin, nous avons perdu des dizaines de milliers de bovins et, dans le même temps, vous négociez, signez, paraphez des traités de libre-échange avec le Canada et la Nouvelle-Zélande et bientôt avec le Mercosur.
En vérité, il y a une embrouille : lorsque vous parlez de souveraineté alimentaire, vous parlez non pas de produire – comme le voudrait le bon sens –, mais de se fournir. Peu importe qu'on s'approvisionne en France – dans le meilleur des cas – ou qu'on se fournisse en Nouvelle-Zélande, peut-être un jour en Asie ou en Amérique du Sud. Tant que nous n'aurons pas fixé un cap pour l'agriculture, nous ne nous en sortirons pas.
Vous avez évoqué l'intérêt général majeur et la souveraineté alimentaire. Or si vous vouliez vraiment protéger la souveraineté alimentaire et consacrer le caractère d'intérêt général majeur de l'agriculture, il faudrait favoriser les produits français plutôt que les produits néo-zélandais, par exemple.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Il faudrait installer des prix plancher, comme l'avait demandé Emmanuel Macron – mais vous n'êtes pas allé au bout de la démarche. Il faudrait, tout simplement, faire sortir l'agriculture du marché. Tant qu'on ne le fera pas, je le répète, on ne s'en sortira pas, on continuera de favoriser les mêmes personnes et la nourriture étrangère aux dépens des Français.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
La parole est à Mme Anne Stambach-Terrenoir, pour soutenir l'amendement n° 2974 .
J'aimerais que ceux qui nous écoutent comprennent pourquoi nous estimons que la notion d'intérêt général majeur, s'appliquant aux projets agricoles, est dangereuse. On pourrait penser qu'elle part d'une bonne intention, celle de garantir une alimentation pour toutes et tous, ce qui relève de l'intérêt général. Or tel n'est pas le cas. En réalité, cette notion permettra de déroger au droit de l'environnement. Elle permettra de justifier et de faciliter l'installation de structures agro-industrielles toujours plus grandes et plus polluantes ,
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES
en dépit des dégâts qu'elles peuvent causer.
Exemple type : les fermes usines que le texte favorise. Comme monsieur le ministre ne sait pas de quoi je parle, il s'agit de bâtiments fermés où sont entassés 1 000 veaux, 1 000 vaches ou plus de 20 000 porcs, et jusqu'à un million de volailles dans une ferme-usine de l'Oise.
« Où ? » sur de nombreux bancs du groupe RE.
Je parle de structures où l'espace vital d'une poule est égal à la surface d'une feuille A4, où les truies sont enfermées la moitié de leur vie dans des cages dans lesquelles elles ne peuvent même pas se retourner, où les animaux sont fragilisés. Par conséquent, ils se blessent, ils souffrent, ils tombent malades. Alors on les gave d'antibiotiques, ce qui augmente l'antibiorésistance dont nous souffrons tous. Ils développent également des comportements anormaux et agressifs parce qu'ils ne sont pas faits pour vivre entassés les uns sur les autres.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe Écolo – NUPES.
Pour lutter contre ces comportements, on leur coupe le bec, la queue, on meule leurs dents, bien souvent sans anesthésie. Il s'agit d'êtres sensibles, c'est écrit noir sur blanc dans le code rural.
Je ne parle même pas des pollutions causées par ces structures qui rejettent des quantités phénoménales de nitrates dans l'eau et d'ammoniac dans l'air. Alors que, selon un sondage Ifop du mois de janvier, 84 % des Français sont favorables à l'interdiction de ce type d'élevage industriel, vous voulez encore appuyer sur l'accélérateur.
Ce texte veut faire prévaloir non pas l'intérêt général, encore moins l'intérêt paysan, mais l'intérêt agro-industriel et financier ,
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES
…aux dépens de la santé environnementale et humaine, et au prix de la souffrance animale. Ça suffit !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur quelques bancs du groupe SOC.
Cet article, qui se veut programmatique, n'est rien d'autre qu'une liste d'intentions. Il ne fixe aucun cap ni ne prévoit de mesures concrètes en matière de revenu, de foncier ou d'installation que demandent les agriculteurs.
En commission, toutes nos propositions visant à fixer un objectif chiffré et à créer des outils de suivi des politiques publiques ont été rejetées. Vous ne voulez pas d'installation. Pis, votre définition de la souveraineté alimentaire expose nos agriculteurs à un dumping social et environnemental dangereux, au gré de vos accords de libre-échange.
Par ailleurs, persiste la mention de l'intérêt général majeur, qui, comme nous l'avons rappelé en commission, est une disposition juridique floue et démagogique. Elle n'a aucune valeur juridique. L'ajout d'une nouvelle notion, dont les contours ne sont pas définis, porte atteinte à l'exigence de lisibilité et de clarté du droit. Cela pose problème, alors même que l'objectif du texte, je le répète, est la simplification.
Par ailleurs, si cette notion impliquait que l'agriculture et la protection de l'environnement soient au même niveau, cela irait à l'encontre de l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement et du principe de non-régression en matière environnementale. Pour toutes ces raisons, et en accord avec votre volonté de simplification, nous vous proposons la suppression de cet article.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe Écolo – NUPES.
Quel est l'avis de la commission sur cette série d'amendements identiques ?
Permettez-moi quelques remarques. Je suis agricultrice. J'ai entendu les mots « destruction », « effondrement », « criminel », « honteux », « monstrueux », « cercueil », « fossoyeur ».
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem et sur quelques bancs du groupe LR.
Sauf les laitiers car, à cette heure-ci, ils sont au travail, comme 365 jours par an. Ils travaillent pour nous nourrir chaque jour, que ce soit le 1er et le 14 juillet, ou le 1er
Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Je vous remercie, madame la présidente. Je suis défavorable à ces amendements, dans la mesure où l'article 1
Vous souhaitez supprimer cet article car il fait, selon vous, référence à une notion juridique qui n'existe pas. C'est vrai. La notion d'intérêt général majeur est une innovation juridique. Elle vise seulement à consacrer l'importance spécifique de l'agriculture. Il faut être très clair sur ce point car certains exposés sommaires d'amendements disent le contraire.
Cet article ne remet pas en cause le principe constitutionnel de protection de l'environnement.
Comme vous le savez, la Charte de l'environnement a valeur constitutionnelle, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 juin 2008 relative à la loi relative aux organismes génétiquement modifiés (OGM). Le Conseil d'État l'a également affirmé dans son arrêt d'assemblée du 3 octobre 2008.
Les droits issus de la Charte ont donc une valeur supralégislative par définition.
Consacrer l'intérêt général majeur de l'agriculture ne modifie donc pas la hiérarchie des normes. Cette notion relève du niveau législatif. On ne fait que lui donner un éclairage particulier de telle sorte qu'en présence de plusieurs dispositions législatives, qui pourraient se contredire, l'agriculture fera désormais l'objet d'une attention spécifique. Cette qualification revêt donc une importance avant tout symbolique. Du reste, M. Potier a parlé tout à l'heure d'exercice idéologique intéressant.
Dans les faits, l'agriculture bénéficiera d'une visibilité – majeure, oserais-je dire – d'une importance qu'elle n'a jamais eue jusque-là.
Certains souhaitent supprimer l'article 1
Ce point est soulevé dans les amendements de nos collègues du groupe LFI – NUPES – je les ai bien lus. Vos amendements proposent une définition de la souveraineté alimentaire qui se fonde sur la résolution adoptée le 28 septembre 2018 par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales. Toutefois, c'est une définition parmi d'autres qui ne fait pas du tout consensus. D'ailleurs, vous le savez très bien, de nombreux pays ne l'ont pas votée – la Belgique, l'Italie, l'Allemagne et même la France.
Se focaliser sur cette seule définition ne me semble pas opportun. Si elle peut être évidemment débattue – c'est le cas –, elle ne rend pas pour autant l'article 1
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
La rapporteure a déjà évoqué de nombreux éléments, je serai donc bref. Vous souhaitez supprimer cet article car vous n'êtes pas d'accord avec la définition de la souveraineté qu'il propose. C'est votre droit. C'est le nôtre de considérer que nous avons besoin de cet article. Il fixe le cadre dans lequel doivent s'inscrire les politiques publiques qui concourent à assurer la souveraineté alimentaire et donne une définition de cette souveraineté.
Je ne peux donner qu'un avis défavorable à ces amendements. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen des différents amendements que vous avez déposés à l'article 1er .
Nous, nous disons pourquoi nous sommes contre cet article ! Vous ne dites pas pourquoi vous êtes pour, vous n'avez pas d'arguments !
J'avoue que j'ai du mal à suivre la gauche. Tout à l'heure, vous nous avez reproché de ne pas vous avoir associés à la rédaction de cet article que nous aurions écrit tous seuls.
Je souhaite informer nos collègues qui n'étaient pas présents en commission des affaires économiques que, la semaine dernière, nous avons travaillé sur cette rédaction et nous avons accepté plusieurs amendements, dont certains de M. Potier. Mais, je le répète, j'ai du mal à vous suivre.
Vous nous avez reproché de ne pas vous avoir associés à la réécriture de cet article, puis vous souhaitez le supprimer. Lorsqu'on veut jouer, il faut éviter de se mettre hors jeu tout seul. Nous associons les personnes qui ont bien voulu continuer à travailler avec nous. Or vous avez voté contre le texte en commission. Essayez donc de rester dans la course ; ensuite, nous verrons comment nous pourrons travailler ensemble.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Nous en avons discuté en commission des affaires économiques : la portée juridique de l'article 1er soulève un certain nombre d'interrogations. Il a néanmoins un mérite, celui de fixer un cadre. On peut toujours critiquer la nouvelle rédaction de l'article, en pointer les manques, mais nos débats en commission ont tout de même permis d'assurer quelques avancées : lutte contre la décapitalisation de l'élevage, préservation de la surface agricole utile, leviers fiscaux et bancaires destinés à accompagner l'installation des jeunes agriculteurs – que le Gouvernement devra prévoir dans le prochain projet de loi de finances. Veut-on renoncer à tout cela ? La réponse est non.
Je rappellerai également l'article 1
Mme Christelle Petex applaudit.
Je ne souhaite pas non plus que cette idée, reprise dans le présent texte, en soit retirée. Le groupe LR ne votera donc pas les amendements de suppression.
Je n'avais prévu que deux prises de parole : un pour, un contre. M. Dive m'ayant – brillamment ! – arnaquée, il y aura deux prises de parole supplémentaires en faveur des amendements.
Si l'on ne veut pas que les débats durent plus longtemps, chers collègues, il ne faut pas m'arnaquer !
Je relève votre souci d'équité, madame la présidente.
Pour répondre à notre collègue Pascal Lavergne, je rappellerai qu'au cours de l'examen de l'article 1
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Ensuite, madame la rapportrice, les agriculteurs, notamment les éleveurs, travaillent en effet 365 jours par an. Combien sont-ils rémunérés pour cela ? C'est la raison pour laquelle ils se sont mobilisés durant des semaines. Parce qu'un agriculteur se suicide tous les deux jours ! Parce que 18 % d'entre eux sont pauvres dans le pays ! C'est une honte ! Le présent texte devrait tenir compte de cette situation, mais il n'en est rien.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
Vous avez constamment combattu toutes les dispositions visant à garantir aux agriculteurs des prix rémunérateurs, notamment les prix planchers, alors même que le président Macron s'était lui-même engagé à les mettre en place lors du Salon de l'agriculture. Or ils ont disparu du débat public. Heureusement que le groupe Écologiste était là pour les inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée dans le cadre de sa niche parlementaire.
Mêmes mouvements.
La minorité présidentielle continue à défendre les accords de libre-échange, notamment le Ceta, contre l'avis de l'ensemble des autres groupes parlementaires.
J'évoquerai enfin le groupement foncier agricole d'investissement, que vous avez osé maintenir dans le texte, ce qui montre à quel point vous cherchez à livrer l'agriculture à la concurrence internationale et à transformer les exploitations familiales en agrifirmes. La vocation du GFAI n'est rien d'autre que l'accaparement des terres par les investisseurs financiers !
Mêmes mouvements.
Sur le fondement de l'article 100, alinéa 5 : « Lorsque plusieurs membres d'un même groupe présentent des amendements identiques, la parole est donnée à un seul orateur de ce groupe désigné par son président ou son délégué. »
Madame la présidente, vous avez tout à l'heure, pour gagner du temps, refusé qu'il y ait plus de deux intervenants, ce qui est votre droit et que je ne conteste pas. Dès lors, le règlement devrait s'appliquer de la même façon. Ne passons pas vingt minutes, comme ce fut le cas tout à l'heure, à subir des présentations identiques d'amendements identiques de la France insoumise, qui monopolise le débat et empêche les autres groupes de s'exprimer.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – M. Julien Dive applaudit également. – Protestations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Protestations sur les bancs du groupe RN.
J'ajouterai un argument en faveur des amendements de suppression : la clarté et l'intelligibilité de la loi. Mme la rapporteure vient de reconnaître que la mention de « l'intérêt général majeur » avait une simple portée symbolique, sans intérêt juridique.
Dans le même temps, la ministre Agnès Pannier-Runacher déclarait sur Public Sénat que cette notion était puissante d'un point de vue juridique. Elle ajoutait qu'il fallait certes respecter la Charte de l'environnement, mais dans la limite de la loi. Qu'une ministre de la République ignore que la Charte de l'environnement a une valeur constitutionnelle est assez honteux.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES et sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Il y aurait donc une vérité juridique dans cet hémicycle, et une vérité communicationnelle à l'extérieur ? Plus personne n'y comprend rien, sinon qu'il y a une énorme entourloupe, un mensonge ; il faut donc voter la suppression de l'article.
Mêmes mouvements.
Je ne réponds que maintenant à M. de Fournas car je ne voulais pas commettre d'erreur. L'article 100, alinéa 5, du règlement s'applique après décision du bureau de l'Assemblée, à la suite d'une discussion en son sein. Le président de séance ne peut décider seul de l'appliquer. Ma collègue Hélène Laporte, ici présente, connaît la procédure.
Pour ce qui est de la règle du « un pour, un contre », il appartient en revanche au seul président de séance de décider de l'élargir.
Quant au reproche qui m'est fait de laisser davantage de temps de parole au groupe auquel j'appartiens, vous pourrez tous reconnaître que je n'ai pas d'étiquette lorsque je suis au perchoir. Aucun groupe n'est plus légitime qu'un autre quand je préside la séance. Je tenais à le préciser. Il serait bon de ne pas remettre en cause la présidence, cher collègue.
Applaudissements sur plusieurs bancs.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 178
Nombre de suffrages exprimés 178
Majorité absolue 90
Pour l'adoption 50
Contre 128
Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à dix-neuf heures quarante-cinq.
La séance est reprise.
Je suis saisie d'une série d'amendements, n° 451 et suivants, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements n° 451 et 3036 sont identiques.
Les amendements n° 3952 et identiques font l'objet de nombreux sous-amendements.
La parole est à M. Jean-Luc Bourgeaux, pour soutenir l'amendement n° 451 .
Cet amendement vise à ajouter, au début du I de l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, un alinéa ainsi rédigé : « L'agriculture répond aux besoins essentiels de la population en assurant l'accès à une alimentation sûre, saine et diversifiée de bonne qualité et en quantité suffisante, produite dans des conditions économiquement et socialement acceptables par tous, favorisant l'emploi, la protection de l'environnement et des paysages, et contribuant à l'atténuation et à l'adaptation aux effets du changement climatique. La protection, la valorisation, le déploiement de l'agriculture ainsi que la protection des outils de transformation des produits agricoles sont reconnus d'intérêt général majeur et concourent à répondre aux besoins des générations présentes et futures. »
Notre collègue Bourgeaux a dit l'essentiel. J'ajouterai que notre proposition vise à mettre en avant la transformation des produits agricoles. On se trompe, en particulier nos collègues sur les bancs de la gauche, en considérant que l'agriculture est un domaine isolé. Il existe, en amont et en aval de ce domaine, des entrepreneurs de travaux agricoles et des salariés agricoles.
Prenons un exemple concret : dans ma circonscription se trouvent deux abattoirs qui emploient chacun 3 000 salariés. Ces derniers concourent à fournir des produits de qualité, en transformant l'animal en produit consommable ; ils représentent une grande chance pour nous tous. Il faut souligner que l'agriculture ne se réduit pas aux agriculteurs, mais inclut beaucoup d'autres emplois qui existent grâce à eux et à la production agricole – Mme la rapporteure, dont la circonscription inclut le canton de Pontivy, le sait aussi bien que moi. Nous devons l'affirmer pour sortir d'une conception trop restreinte du domaine agricole et agroalimentaire, ou d'une conception parfois caricaturale : les propos tenus tout à l'heure par une collègue du groupe La France insoumise font bien sentir qu'elle n'a jamais dû aller dans une ferme et qu'elle n'a jamais dû rencontrer d'agriculteurs. Ces derniers s'occupent de leurs animaux, les soignent, les nourrissent…
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir les amendements n° 140 – qui fait l'objet d'un sous-amendement – et 115, qui peuvent faire l'objet d'une présentation groupée.
Ces deux amendements ont le même objet. Les Socialistes, poursuivant l'effort de définition de la souveraineté alimentaire engagé à l'article 1er , ont tenté de rassembler les idées qui leur tiennent à cœur, et qui alimentent leur conception de l'intérêt général. Ces amendements rappellent que « la souveraineté agricole et alimentaire vise à assurer pour l'ensemble de la nation l'accès à une nourriture saine et diversifiée dont la qualité et la quantité respectent les recommandations du programme national de l'alimentation et de la nutrition ». Ils mentionnent également, comme M. Le Fur vient de le faire, les salariés de l'agroalimentaire, en amont et en aval de l'agriculture, et défendent l'idée d'un partage de la valeur. Ils ajoutent que la souveraineté agricole et alimentaire assure « le renouvellement des générations d'actifs en garantissant un accès à la terre pour tous et une allocation équitable des aides publiques ». Enfin, ils relient la souveraineté agricole au combat pour « une seule santé », celle de l'environnement et celle des hommes – notion reprise, on s'en réjouit, par l'amendement n° 3952 de M. Alfandari.
Ces amendements reprennent une autre idée originale défendue par les Socialistes, en conférant à la notion de souveraineté alimentaire une dimension universaliste, et en l'inscrivant dans un juste échange, appuyé sur les bases du commerce équitable. Nos exportations ne doivent en aucun cas détruire les capacités de production d'autres peuples. Notre souveraineté alimentaire n'est pas une souveraineté solitaire qui viserait à se protéger de l'extérieur tout en conservant nos capacités exportatrices, mais une souveraineté solidaire des autres agricultures et de l'ensemble des citoyens du monde dans leur capacité à se nourrir.
M. Laurent Jacobelli s'exclame.
La définition de la souveraineté alimentaire défendue par ces amendements est six fois plus courte que celle proposée par M. Alfandari ; elle en reprend l'essentiel et ne la contredit sur aucun point ; elle n'est pas bavarde mais synthétique, fait référence aux objectifs de développement durable, aux principes défendus par l'ONU et par les institutions européennes ; elle est solide et susceptible de nous rassembler. .
Mme Juliette Vilgrain applaudit
Il s'agit d'un sous-amendement d'appel, qui vise à reconnaître l'apport d'une certaine gauche à la notion de souveraineté alimentaire – il faut rendre à César ce qui appartient à César. Comme nous l'avons rappelé dans le rapport d'information déposé en février par la commission des affaires européennes sur la souveraineté alimentaire, que j'ai présenté avec notre collègue du groupe La France insoumise Rodrigo Arenas, cette notion a une histoire, liée à l'altermondialisme : elle a été définie en 1996, à Rome, par le mouvement de La Via Campesina. Cette définition, assez longue, touche cependant à l'essentiel et comporte une dimension universelle : se nourrir est un droit humain de base ; la souveraineté alimentaire est le droit de chaque pays de maintenir et de développer sa propre capacité de produire – la notion de production figure donc bien – son alimentation de base, en respectant la diversité culturelle et agricole. Je suis plutôt issu de la droite, mais cette définition me va très bien.
Cette définition est puissante parce qu'universelle ; elle n'appartient à aucune famille politique en particulier. En Europe, grâce à la politique agricole commune, nous avons atteint la souveraineté alimentaire ainsi définie, il y a une trentaine d'années, par le mouvement altermondialiste. En revanche, la question se pose toujours dans certaines parties de l'Afrique et de l'Asie. Nous pouvons donc inclure cette définition dans le corpus juridique français.
J'accepte volontiers le sous-amendement défendu à l'instant par notre collègue de la majorité ; son adoption réconcilierait notre droit avec La Via Campesina, qui constitue le corpus idéologique sur lequel les Socialistes ont bâti leur propre position.
L'amendement n° 116 ajoute à la réécriture de l'article 1
La parole est à Mme Aurélie Trouvé, pour soutenir l'amendement n° 3063 .
Je souhaite d'abord répondre à notre collègue du groupe Les Républicains : ne commençons pas à nourrir des visions caricaturales et des procès en incompétence. Derrière moi, vous avez une salariée agricole et trois ingénieurs agronomes.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES. – Exclamations sur les bancs du groupe RN et sur plusieurs bancs du groupe LR.
Pour ma part, je travaille dans ce domaine depuis vingt ans et je suis membre de l'Académie d'agriculture de France.
En ce qui concerne la définition de la souveraineté alimentaire, je suis tout à fait d'accord avec notre collègue de la minorité présidentielle : reprenons la définition altermondialiste ! C'est le sens de la réécriture générale de l'article 1
Or cette concurrence internationale est précisément ce qui mine la souveraineté alimentaire et les capacités de chaque pays à produire sa propre alimentation. Je veux vous répéter les chiffres officiels communiqués par Agreste, le service de la statistique du ministère de l'agriculture : le solde commercial agricole français – je parle bien de la France, cadre de la souveraineté alimentaire, et non de l'Union européenne – reste positif mais il est passé de 3,2 milliards d'euros en 2015 à 1,2 milliard d'euros en 2023, soit une division par près de trois en moins de dix ans.
La parole est à M. Loïc Prud'homme, pour soutenir l'amendement n° 3065 .
Il vise à réécrire l'article 1
La question se pose du partage des terres, afin de lutter contre la course à l'agrandissement : entre 2010 et 2020, le nombre d'exploitations a baissé de 20 %, et dans le même temps la taille moyenne des fermes a augmenté de 25 %, pour atteindre une taille moyenne de 69 hectares. Quasiment inexistantes il y a quelques décennies, les fermes de plus de cent hectares représentent aujourd'hui 3 % des fermes européennes, tout en occupant la moitié de la surface agricole utile (SAU), au détriment des petites fermes.
On assiste ainsi à l'émergence d'une agriculture de firme, qui fait main basse sur le bien premier des agriculteurs : la terre. Aujourd'hui, une ferme sur dix est une société financiarisée ; ces dernières cultivent 14 % de la SAU, soit le double de la surface qu'elles occupaient il y a vingt ans. L'ouverture aux investisseurs extérieurs leur permet de bénéficier de capacités financières et d'investissement agraire supérieures à celles des candidats à l'installation, qui n'ont plus les moyens d'acheter un foncier devenu inaccessible.
Ce projet de loi empirera ces difficultés d'accès à la terre parce que l'accaparement de cette dernière par des acteurs financiers non agricoles sera encouragé par l'instauration des GFAI, rebaptisés GFAE. Des firmes émergent, qui contrôlent l'ensemble de la chaîne de production : ainsi le groupe Altho, fabricant des chips Brets, a profité du départ à la retraite d'agriculteurs bretons pour transformer des fermes moyennes en sociétés à capital ouvert, et ainsi prendre le contrôle direct de terres travaillées par des ouvriers agricoles. Ce projet de loi favorisera la spéculation foncière : le prix moyen national est de 6 000 euros l'hectare, mais peut atteindre 20 000 euros dans certaines régions – un prix hors de portée pour l'agriculteur moyen.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra