Après la seconde guerre mondiale, la France a pris une décision majeure : nous avons choisi de faire de notre pays une puissance agricole. Les gouvernements successifs ont alors conduit les politiques publiques qu'ils jugeaient pertinentes pour y parvenir : organisation de l'exode rural, soutien à la mécanisation de l'agriculture, développement des produits phytosanitaires, remembrement et soutien à la concentration foncière et, bien entendu, intégration de l'agriculture dans le grand jeu du commerce mondial et de la finance globalisée. De fait, l'objectif fixé a été atteint : en quelques décennies, les lois, décrets et politiques fiscales et budgétaires successives ont fait de notre agriculture paysanne une agriculture industrielle. Ce modèle agricole contingent est le fruit d'un choix politique – pas celui des paysans, que l'on a arrimés à ce modèle, mais bien celui des gouvernants qui se sont succédé.
Or, ce que nous avons fait, nous pouvons le défaire. Si nous avons pu réinventer notre modèle agricole une fois, nous pouvons le réinventer à nouveau, et c'est d'autant plus nécessaire que le modèle agro-industriel est à bout de souffle. Il est au bord du précipice parce qu'il détruit les conditions pourtant indispensables à son maintien.
Il détruit le climat. Si le secteur agricole est comptable de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, le changement climatique a également des effets considérables sur l'agriculture : avancement des calendriers culturaux, bouleversement du régime des précipitations et de la disponibilité de la ressource, multiplication des événements climatiques extrêmes menaçant les cultures.
Il détruit la biodiversité, ensuite. En participant à son effondrement, le modèle agro-industriel met en péril notre souveraineté alimentaire. Pour ne citer qu'un exemple parmi tant d'autres, le nombre d'oiseaux parmi les espèces vivant dans les milieux agricoles a décliné de près de 60 %, alors que nous savons pertinemment le rôle qu'ils jouent pour l'agriculture, notamment dans la régulation des ravageurs.
Il détruit la vie des paysans, enfin. Poussés au surendettement, ils se suicident par dizaines chaque année. Poussés au productivisme, ils utilisent des produits phytosanitaires qui les empoisonnent. Malgré leurs efforts acharnés, ils sont contraints de vendre à perte. Ce ne sont pas les normes environnementales qui les tuent, c'est le cynisme de ceux qui veulent que rien ne change !
Il n'y a pas d'agriculture viable dans un monde plus chaud de 4 degrés ou dans un pays où le vivant se meure ; il n'y a pas d'agriculture viable si celle-ci tue les paysans.