La séance est ouverte à 14 heures 30.
Présidence de M. Sacha Houlié, président.
La commission poursuit l'examen des articles du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration (n° 1855) (M. Florent Boudié, rapporteur général ; Mme Elodie Jacquier-Laforge, M. Ludovic Mendes, M. Philippe Pradal, M. Olivier Serva, rapporteurs)
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Article 13 (Suite) (art. L. 411-5, L. 412-7 à L. 412-10 [nouveaux], L. 413-2, L. 413-7, L. 424-6, L. 424-15, L. 432-2, L. 432-3, L. 432-4, L. 432-12, L. 432-13, L. 433-1, L. 433-2, L. 433-3-1 [nouveau] et L. 433-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Introduction de nouveaux critères encadrant les titres de séjour fondés sur le respect des principes de la République, l'absence de menace grave à l'ordre public et la résidence habituelle en France
Amendement CL1717 de M. Philippe Pradal
Cet amendement vise à élargir l'égalité entre les femmes et les hommes, principe de la République que les étrangers doivent respecter, à toutes les égalités que nous devons respecter collectivement – l'égalité selon la religion, l'origine, l'orientation sexuelle ou l'égalité sociale, notamment contre les castes. Cette précision paraît importante pour oublier le moins d'aspects possible.
La commission adopte l'amendement.
Amendement CL128 de M. Éric Pauget
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL1718 de M. Philippe Pradal
Le présent amendement revient sur les modifications apportées en séance par le Sénat, consistant à lier la compétence du préfet. Il importe de maintenir la capacité d'appréciation de celui-ci et de limiter la compétence liée, de façon à respecter le principe de l'appréciation in concreto de chaque situation.
La question fait aussi l'objet de mon amendement CL976 et des amendements CL471 et CL1056 de M. Ciotti. Nous considérons que le mot « peut » que vous voulez introduire prive le préfet d'un pouvoir de décision, ce qui est regrettable : le représentant de l'État doit pouvoir retirer une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle, dès lors que l'étranger constitue une menace à l'ordre public.
Dès lors que, dans le texte, il est spécifié que l'avis du préfet doit être fondé sur une décision motivée, il ne s'agit pas d'un pouvoir discrétionnaire affranchi de tout, et l'on peut tout de même faire confiance au préfet pour respecter le droit. Une formule plus affirmative est donc préférable : « La carte de séjour temporaire ou pluriannuelle est, par une décision motivée, retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public. »
Vous posez bien les termes du débat, mais l'amendement vise à rétablir la capacité d'appréciation du préfet, un pouvoir qui n'est ni discrétionnaire ni automatique. La rédaction donne la possibilité au préfet d'apprécier les circonstances qui lui permettront de justifier, sous le contrôle du juge, l'attribution ou non du titre. La rédaction issue des travaux du Sénat, qui n'était pas celle du projet de loi initial, crée une compétence automatique : le pouvoir d'appréciation du préfet ne pourrait pas s'appliquer, hormis sur le contenu des circonstances. Il me paraît plus robuste, juridiquement et constitutionnellement, de recréer ce pouvoir entre les mains du préfet.
Votre exposé sommaire insiste sur la nécessité que le préfet dispose d'une « pleine capacité d'appréciation de chaque situation ». Mais cette dernière est garantie dès lors qu'il y a une décision motivée. Le mot « peut » dégrade ses marges de manœuvre, quand le texte entend lui en redonner contre ceux qui menacent l'ordre public. Votre exposé sommaire sert donc plus ma vision qu'il ne défend la vôtre.
La commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'amendement CL1376 de M. Emmanuel Mandon tombe.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement CL374 de Mme Edwige Diaz.
Amendement CL1719 de M. Philippe Pradal
Cet amendement supprime le caractère facultatif de l'existence d'un trouble à l'ordre public pour caractériser l'atteinte aux principes de la République, que le Sénat avait introduit en séance. C'est sur la base de ce trouble que le préfet pourra exercer pleinement ses droits dans le cadre du pouvoir discrétionnaire que nous venons de rétablir.
La commission adopte l'amendement.
Amendement CL436 de M. Laurent Jacobelli
Les principes édictés à l'article L. 412-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) relèvent du bon sens et leur non-respect par l'étranger signifie que celui-ci ne doit pas se maintenir sur notre territoire. Le projet de loi, en permettant à l'autorité administrative de nier la condition de gravité d'une atteinte caractérisée à l'exercice d'un de ces droits et libertés, ouvre donc une brèche qui risque de rendre cet article inopérant.
Par ailleurs, cet article ne résout nullement la problématique des étrangers rejetant nos valeurs et les droits et libertés fondamentales de la nation. Pour ces deux raisons, cet amendement propose d'écarter l'autorité administrative de l'appréciation de la condition de gravité, mais également d'étendre la présomption de gravité aux appels à porter atteinte aux principes édictés au premier alinéa de l'article L. 412-8.
Avis défavorable car les situations visées sont déjà traitées par les textes. En supprimant la capacité d'appréciation, on fragilise le dispositif.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL1367 de Mme Marjolaine Meynier-Millefert
Cet amendement, travaillé avec la Fédération des acteurs de la solidarité, tend à supprimer les alinéas 17 et 18 introduisant la possibilité de retirer un titre de séjour à un réfugié résidant régulièrement en France depuis plus de cinq ans lorsqu'il est volontairement retourné dans son pays d'origine.
En supprimant ces alinéas, vous ôtez la possibilité de retirer leur carte de résident non seulement aux personnes qui ont perdu leur statut de réfugié, mais aussi à celles qui sont retournées volontairement dans leur pays ou à celles qui demeurent présentes et qui constituent une menace pour l'ordre public. Cette rédaction fragilisant l'article, je vous demande de retirer l'amendement.
L'amendement est retiré.
Amendement CL429 de Mme Edwige Diaz
Dans un entretien au Journal du Dimanche en août 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer Gérald Darmanin a affirmé qu'« un étranger qui commet un acte de délinquance grave doit être expulsé très vite, parce qu'il crache sur le sol qui l'accueille ». Dans la continuité de ces propos, le Rassemblement national considère que tout étranger qui constitue une menace pour l'ordre public doit être expulsé du territoire national, parce que la France subit assez de délinquance et de criminalité pour endosser celles d'une population étrangère. Les Français sont à 88 % favorables à ce que l'on facilite l'expulsion des étrangers en situation irrégulière en cas de non-respect des principes de la République. Il est donc temps de permettre l'éloignement des étrangers qui constituent une menace pour l'ordre public : c'est ce que prévoit l'amendement.
Avis défavorable. La condition de gravité de la menace pour l'ordre public est nécessaire, comme le Conseil constitutionnel l'a jugé de façon constante depuis 1997. Il s'agit là d'un point d'équilibre que nous devons conserver.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL471 de M. Éric Ciotti
L'alinéa 23 dispose que « le renouvellement d'une carte de séjour pluriannuelle peut, par une décision motivée, être refusé si l'étranger ne peut prouver qu'il a établi en France sa résidence habituelle ».
Dès lors que la décision du préfet est motivée et que l'étranger ne peut pas prouver qu'il a établi sa résidence habituelle en France, pourquoi utiliser le mot « peut » ? Quel problème y aurait-il à utiliser une tournure plus affirmative, disant que le renouvellement « est » refusé ? Je ne comprends pas votre réticence – j'irai même jusqu'à parler de frilosité – à accepter que les choses soient dites clairement et que les préfets aient tous les moyens pour agir comme il se doit.
Je regrette de ne pouvoir présenter d'argument plus convaincant que celui que j'ai déjà exposé : le mot « peut » permet de préserver le pouvoir discrétionnaire du préfet.
En légistique, lorsque l'on rédige un article au présent et que l'on indique par ailleurs que la décision est motivée, la motivation ne peut porter que sur la décision à compétence liée, non sur l'opportunité de prendre la décision. Si l'on veut que la motivation permettre de connaître les raisons de la décision, il vaut mieux que cette compétence soit laissée au préfet.
La commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis du rapporteur, elle rejette l'amendement CL1056 de M. Éric Ciotti.
Amendement CL976 de Mme Annie Genevard
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL1720 de M. Philippe Pradal
C'est un amendement de cohérence, puisque les titulaires de la carte de séjour pluriannuelle « passeport talent » n'ont pas à être soumis à la condition de résidence habituelle en France. Cela n'aurait pas de sens car ils ont vocation à être mobiles. C'est aussi un enjeu d'attractivité pour notre pays.
La commission adopte l'amendement.
Amendement CL1121 de Mme Estelle Youssouffa
Il vise à considérer comme résidant en France de manière habituelle l'étranger qui y séjourne pendant neuf mois, et non plus six, comme proposé dans le projet de loi.
Ce délai de six mois est habituel, notamment pour la notion de résidence retenue par le fisc ou le code de la sécurité sociale. Il est opportun de le conserver.
La commission rejette l'amendement.
Amendements identiques CL129 de M. Éric Pauget et CL461 de M. Michel Guiniot
Il s'agit de rétablir la possibilité de refuser de délivrer une carte de séjour pluriannuelle à un étranger en situation régulière en France si ce dernier a manifesté le rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République.
L'alinéa 49 que vous voulez supprimer n'a pas pour objet d'empêcher le refus de délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle en cas de rejet des principes de la République : il s'agit plutôt d'une mesure de coordination rédactionnelle, de façon à éviter que le Ceseda ne retienne des formules différentes pour ce qui est des principes de la République et parce que la mention paraissait redondante avec le reste de l'article 13. Des suppressions similaires ont d'ailleurs été prévues aux alinéas 15 et 16. Mais je vous rassure, le refus de délivrer et de renouveler une carte de séjour pluriannuelle dans ce cas, et son retrait, sont prévus dans le nouvel article L. 412-7 et suivants du Ceseda. C'est pourquoi je vous suggère de retirer les amendements.
Cela démontre bien, en en creux, qu'il faut être prudent face à ce genre de formules vagues. Imaginez un ministre aux fonctions importantes, qui soit blanchi : on pourrait interpréter cela comme un non-respect des principes de la République ! La part d'interprétation joue, et cela ouvre la porte à l'arbitraire.
La commission rejette les amendements.
Elle adopte l'article 13 modifié.
Après l'article 13
Amendement CL1244 de M. Laurent Marcangeli et sous-amendements CL1748 et CL1768 de M. Philippe Pradal
L'amendement vise à refuser l'octroi de visas court ou long séjour aux personnes qui n'ont pas soldé leurs dettes fiscales, sociales ou contraventionnelles en France. C'est simple justice. Mon groupe connaît l'engagement des agents des services diplomatiques et consulaires : il faut leur donner accès à ces informations afin qu'ils puissent refuser l'octroi d'un visa tant que les demandeurs ont de telles dettes.
Vous prévoyez une compétence liée des autorités amenées à délivrer le visa : mon sous-amendement CL1748 la transforme en possibilité. Le CL1768 précise de quelles dettes il s'agit.
La commission adopte successivement les sous-amendements et l'amendement sous-amendé.
Amendements CL681 de M. Mansour Kamardine
Dans la même veine que l'amendement CL1107 que nous avons adopté ce matin, il est proposé que tout étranger sollicitant la délivrance d'un visa à destination de toute partie du territoire national s'engage sur l'honneur à respecter l'intégrité territoriale de la République. Cela fait écho, vous l'avez compris, à la situation de Mayotte.
J'avais donné un avis favorable à cet amendement de Mme Youssouffa ainsi qu'au CL629 de M. Kamardine qui portait sur le même sujet. Je pense que la rédaction modifiée de l'article 13 répond à la question. Votre amendement inclut en outre les demandes de visas de très courte durée, ce qui peut créer une difficulté.
La commission rejette l'amendement.
Article 13 bis (nouveau) (art. L. 441-4- et L. 441-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Augmentation de la durée de contribution effective à l'entretien et à l'éducation d'un enfant français en Guyane et à Mayotte pour l'octroi d'une carte de séjour temporaire
Amendements de suppression CL1721 de M. Philippe Pradal, CL928 de M. Boris Vallaud et CL1066 de Mme Francesca Pasquini
Les dispositions de cet article, qui concernent les outre-mer, ont davantage leur place au sein du titre VI du projet de loi.
La commission adopte les amendement et l'article 13 bis est supprimé.
En conséquence, les amendements CL388 et CL1085 de M. Fabien Di Filippo tombent.
Après l'article 13 bis
Amendement CL727 de Mme Élisa Martin
La sélection par l'argent à l'entrée en France ne nous paraît pas une bonne chose. On ajoute encore une condition restrictive, cette fois en demandant à un parent d'enfant français d'apporter la preuve de sa contribution financière. Or cette preuve a un caractère relatif et est difficile à apporter. C'est la raison pour laquelle nous nous opposons à cet obstacle supplémentaire à la régularisation.
L'entretien de l'enfant est une condition nécessaire et indissociable de celle tenant à l'éducation et à l'accompagnement de l'enfant : c'est le devoir qu'exerce tout parent, prévu à l'article 371-2 du code civil. Cette obligation relevant de l'autorité parentale, la supprimer pour l'un ou l'autre parent paraît difficile. L'autorité parentale et le devoir que nous avons à l'égard des enfants, comme la République, ne se divisent pas.
Nous en sommes d'accord. C'est la raison pour laquelle la mesure semble superflue. La contribution est parfois difficile à identifier, surtout s'il est question d'une contribution financière isolable. Si l'on en vient à chercher dans les factures de cantine…
La commission rejette l'amendement.
TItre ii bis (NOUVEAU) agir pour la mise en œuvre effective des décisions d'Éloignement
Article 14 A (nouveau) (art. L. 312-3-1 (nouveau) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et art. L. 515-13 du code monétaire et financier) : Restrictions à la délivrance de visas de longue durée et conditionnalité de l'aide au développement envers les États délivrant un nombre particulièrement faible de laissez-passer consulaires
Amendements de suppression CL48 de M. Benjamin Lucas, CL841 de M. Andy Kerbrat, CL929 de M. Boris Vallaud, CL1433 de Mme Stella Dupont et CL1577 de Mme Nadia Hai
Il s'agit de supprimer l'article 14 A, qui prévoit un net durcissement de la délivrance de visas, ainsi qu'une restriction de l'aide au développement envers les États peu coopératifs en matière migratoire. Augmenter les montants d'aide si le pays collabore pour ce qui est de la réadmission ou du contrôle des frontières reviendrait à détourner l'aide de son objectif initial de réduction de la pauvreté, en vertu de l'article 208 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Poser comme condition à l'aide publique au développement (APD) la coopération migratoire des pays tiers va à l'encontre des principes d'efficacité de l'aide, consignés dans la Déclaration de Paris, le Programme d'action d'Accra, le Partenariat de Busan et celui de Nairobi, dont la France est signataire. Or cette signature l'engage.
L'article 14 A, ajouté par le Sénat, entend conditionner l'aide au développement de la France à la coopération des États en matière de lutte contre l'immigration irrégulière. Pour le dire poliment, il est étrange de penser que l'aide au développement, grâce à laquelle la France permet à des citoyens de vivre et de travailler dans leur pays, sera subordonnée au fait que ces pays luttent contre l'immigration irrégulière. Cela ne prend pas en compte la situation de ces États, ni la question des échanges commerciaux que nous pouvons avoir avec eux. Si vous voulez parlez d'immigration, il faudra bien un jour que vous vous posiez la question du capitalisme et de la manière dont nous participons à l'épuisement des matières premières de certains pays.
Cet article subordonne la délivrance de visas à une condition insupportable : celle que le pays concerné délivre des laissez-passer consulaires, ceux qui permettent le retour dans son pays d'un sans-papiers délinquant. C'est un chantage odieux. Il serait bien plus utile de refuser d'accorder des visas aux seuls dirigeants de ces pays ! Nous demandons la suppression de l'article.
Conditionner la délivrance de visas ou l'aide publique au développement à la coopération en matière de délivrance de laissez-passer consulaires constitue un non-sens. Cela affecte les personnes souhaitant voyager, étudier ou travailler en France sans peser de manière concrète sur les relations diplomatiques que nous avons avec le pays concerné. Comme l'a dit ma collègue, il serait plus pertinent de cibler les responsables du pays d'origine, qui s'opposent à la délivrance de ces laissez-passer. Il convient donc de supprimer l'article.
L'article, introduit par les sénateurs Les Républicains, révèle une incohérence de leur part. Les sénateurs et députés LR ont en effet sillonné l'ensemble des ambassades pour critiquer les mesures prises en 2020 – M. Ciotti par exemple est allé critiquer au Maroc les mesures du ministre de l'intérieur. Font-ils partie du personnel diplomatique ou de l'Assemblée nationale ? J'espère qu'ils adopteront ces amendements de suppression car les visas et l'aide au développement sont des éléments de rayonnement de la France, qui sont essentiels aux relations diplomatiques. Il ne paraît pas opportun de les inclure dans une conditionnalité de la politique migratoire.
Je suis défavorable à ces amendements de suppression.
Cette conditionnalité, ou du moins ce lien entre les laissez-passer consulaires et les visas, est une pratique dont la diplomatie et la politique migratoire françaises ont besoin. Dans la lecture que j'ai des institutions de la Ve République, la politique diplomatique de notre pays n'est pas conduite par le Parlement, même si elle y est débattue. Il n'en demeure pas moins que nous devons apporter des signaux de soutien.
Cet article qui lie la délivrance des visas à la coopération en matière de laissez-passer consulaire en est un élément important. Nous avons vu dans le passé que cet outil permet d'amener à la coopération certains États. Je ne souscris pas au terme de chantage, qui laisse croire à une force, à un tribunal de l'opinion publique. Reste que, dans une relation diplomatique, un État a parfois besoin d'exprimer fortement sa position afin que l'autre l'entende et la prenne en compte. La diplomatie est aussi une question de rapport de force.
Je rappelle que 53,7 % des laissez-passer consulaires ont été obtenus dans un délai utile pour permettre l'exécution des mesures : augmenter cette proportion permettrait certainement d'avoir un meilleur taux d'exécution.
Selon Christophe Léonzi, l'ambassadeur chargé des migrations, l'aide publique au développement est une donnée impérative pour soutenir les pays d'origine des migrants. Il importe que cet objectif soit partagé par le Parlement. Il s'agit donc non pas d'un chantage mais de réaffirmer que l'aide publique doit avoir pour objet de permettre aux populations de vivre, travailler, se développer dans leurs pays plutôt que de les quitter pour gagner le nôtre.
Je suis également défavorable à ces amendements de suppression, sur la base à la fois de l'utilité de l'article et de ce que font nos voisins européens.
L'article ne prévoit pas que l'État ne donne pas de visa si des laissez-passer consulaires ne sont pas délivrés : c'est une possibilité, non une obligation ou une injonction au Gouvernement.
Lorsque l'on négocie avec des États étrangers le retour de leurs compatriotes, notamment ceux qui doivent être expulsés pour des raisons d'ordre public, ils répondent qu'ils appliquent les règles d'un État souverain, et que rien dans le droit français ne permet de diminuer le nombre de visas en échange de la reprise des négociations consulaires, comme le Président de la République l'a fait. C'est une mesure qui marche avec de nombreux pays d'Afrique – les Comores, par exemple – ou d'Asie.
On peut comprendre la réticence des pays à récupérer certains de leurs ressortissants. Je mets moi-même plus de temps à accepter qu'un État étranger, souvent d'Asie ou d'Amérique, nous renvoie un tueur ou un pédophile : je demande s'il est bien Français, j'examine la situation, et surtout j'essaye de négocier quelque chose en échange. Les relations entre États sont faites d'intérêts et pas seulement de grandeur d'âme et de bienséance. La relation consulaire entre dans le cadre d'un ensemble de relations diplomatiques. À certains moments, on peut comprendre que, malgré des difficultés consulaires, on continue des relations diplomatiques, par exemple pour des raisons qui relèvent de la lutte contre le terrorisme ou de la puissance économique ou culturelle. À d'autres moments, on peut mettre cette menace dans la balance.
Supprimer l'article 14 A affaiblirait donc la position de la France et du ministère de l'intérieur dans ces négociations.
Par ailleurs, l'union européenne elle-même utilise cette arme vis-à-vis de pays comme la Gambie ou l'Irak, pour lesquels la délivrance de visas est conditionnée par l'obtention des laissez-passer consulaires. Il serait donc étonnant que la France s'en prive.
La commission des affaires étrangères a posé une question importante, celle des passeports diplomatiques. Je donnerai d'ailleurs un avis favorable aux amendements qu'elle a déposés sur ce sujet. Mais se pencher sur la question des passeports diplomatiques et donc des dirigeants ne doit pas nous conduire à omettre celle de la population, car c'est souvent elle qui fait pression sur les dirigeants.
Cela a été dit et redit par les représentants de nombreux groupes : sans relations diplomatiques et sans rapport de force avec les pays concernés, nous ne pourrons pas réaliser les reconduites à la frontière. Comment leur renvoyer leurs ressortissants, s'ils refusent de laisser atterrir l'avion ? Aucun pays ne se réjouit de reprendre ses ressortissants délinquants ou criminels. Ce rapport de force est donc nécessaire pour concrétiser les obligations de quitter le territoire français (OQTF).
Rappelons également que les pays visés sont, outre ceux qui délivrent un nombre particulièrement faible de laissez-passer consulaires, ceux qui ne respectent pas un accord bilatéral qu'ils ont signé – je pense aux traités avec les pays du Maghreb. Les États doivent respecter la parole qu'ils ont donnée.
Au-delà des visas, l'article 14 A mentionne aussi l'aide publique au développement. Là encore, il n'y a rien d'automatique : l'article donne simplement à la France la possibilité d'agir au cas où un État ne respecterait pas un accord bilatéral ou multilatéral. Cela ne semble pas délirant non plus. Je rappelle à cet égard que lorsque le conseil de défense a entériné l'augmentation considérable qu'a connue l'APD récemment, en la portant à 0,55 % du PIB, il a posé comme condition l'existence de relations diplomatiques ou consulaires.
L'article 14 A est tout à fait nécessaire à la mise en application de notre politique en matière de reconduites à la frontière. Ne nous privons pas de cette arme.
Cet été, lors de l'opération Wuambushu, les autorités comoriennes ont non seulement dénoncé l'accord qu'elles avaient signé en 2019 avec la France, suspendant le retour de leurs ressortissants en situation irrégulière présents à Mayotte, mais elles ont également encouragé les Comoriens à s'y rendre par bateau. La seule chose qui a fait plier le président Azali Assoumani, c'est la menace d'un arrêt de la délivrance des visas. Il me semble important, dans un contexte de menace et de chantage migratoire, de donner à l'État tous les moyens légaux qui lui permettront d'y faire face.
Il faut que les Français comprennent que l'immigration massive est liée non seulement à l'absence de maîtrise de nos frontières, qui sont grand ouvertes, mais aussi au problème du retour au pays des personnes qui n'ont pas vocation à être sur le sol national. Il est vrai que l'impossibilité de les expulser tient principalement au refus des pays d'origine de reprendre leurs ressortissants et de délivrer à la France les laissez-passer consulaires. Avec Marine Le Pen, nous proposons depuis longtemps de rendre systématique dans ce cas l'arrêt de la délivrance des visas ainsi que la suspension de l'aide au développement et de l'ensemble des autres aides internationales indirectes.
Cette situation n'est pas acceptable. Si la France ne tape pas du poing sur la table, elle ne se fera pas respecter. Je voudrais quant à moi que nous allions plus loin que ce que propose M. le ministre et que ces sanctions soient généralisées au-delà des seuls pays avec lesquels nous avons signé des accords.
L'approche incitative implique une relation inégale entre les pays, qui s'oppose à une démarche partenariale et renforce des rapports de domination préexistants. Cette vision peut avoir des effets contre-productifs sur les déplacements de population et nourrir le ressentiment des habitants de ces pays à l'égard des États européens et de la France.
Une politique restrictive en matière de visas a pour objectif de « punir » un État tiers dont la coopération diplomatique dans un domaine n'a pas été appréciée. Pourtant, c'est la population elle-même qui est la première à en pâtir. Dans certains pays, cela provoque le départ par des voies irrégulières, potentiellement dangereuses, de personnes qui avaient vocation à emprunter des voies sûres et légales. La politique restrictive en matière d'octroi de visas peut donc avoir pour conséquence de renforcer les filières d'arnaque aux visas ou de traite des êtres humains. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire de supprimer cet article.
Les Républicains estiment que la France a besoin de moyens de pression pour exécuter les OQTF et obtenir les laissez-passer consulaires, par deux biais : la restriction des visas, en particulier pour les dirigeants, et la limitation des aides publiques au développement. Il y va du respect du contribuable français, alors que l'aide publique au développement s'est accrue.
Alors que l'Agence française pour le développement (AFD) intervient en Albanie depuis 2019, 1 882 OQTF seulement ont été exécutées à destination de ce pays en 2022, sur 6 833 prononcées, et 5 660 Albanais ont demandé l'asile en France. Alors que l'AFD a engagé 3 milliards d'euros en Côte d'Ivoire, 126 OQTF ont été exécutés en 2022 sur 4 629 prononcées, et 5 800 Ivoiriens ont demandé l'asile. Pour le Bangladesh, qui a reçu 1,14 milliard d'euros d'aides depuis 2013, 45 OQTF ont été exécutées sur les 5 720 prononcées.
Mme Hai nous a accusés de tous les maux s'agissant de la restriction des visas aux ressortissants de pays du Maghreb. Or ce que nous dénoncions avant toute chose, c'est que le Maroc et l'Algérie soient mis dans le même sac alors que le premier délivre deux fois plus de laissez-passer consulaires que la seconde !
Cet article propose simplement de mieux articuler nos objectifs migratoires et nos outils de politique étrangère – ce que fait déjà très bien l'Union européenne. Le Gouvernement français a déjà utilisé le levier des visas en 2022 à l'égard des pays d'Afrique du Nord, avec un certain succès. Déterminer des objectifs de politique migratoire dans le cadre de l'aide au développement, c'est aussi un moyen d'aider nos partenaires en matière de contrôle de leurs frontières, de politique d'état civil et d'accueil des réfugiés, comme ils nous le demandent. Cet article mérite donc d'être débattu.
Il convient cependant de faire en sorte que ces leviers soient davantage utilisés à l'encontre des États et des décideurs qu'à l'encontre des populations et des sociétés civiles. C'est le sens des amendements qu'a déposés la commission des affaires étrangères.
L'aide publique au développement est essentiellement constituée de prêts. Elle ne doit pas être liée à la délivrance de laissez-passer consulaires. En 2021, monsieur le ministre, vous avez voulu instaurer un chantage de ce type vis-à-vis des pays du Maghreb : cela a nui à la qualité de nos relations diplomatiques avec eux. En outre, l'action de l'AFD contribue au rayonnement de la France dans des pays où sont présents des entrepreneurs français qui utilisent les ressources locales, notamment le pétrole. Au Mozambique, Total contribue, par l'expropriation de terres, au déplacement des populations vers le Nord – et l'on se demande ensuite pourquoi celles-ci fuient vers l'Europe !
Vous avez raison, monsieur le ministre : ce chantage se pratique dans les relations entre États. Doit-il pour autant être gravé dans la loi ? Vous allez dégrader les relations entre la France et les pays en voie de développement, auxquelles contribue justement l'aide publique au développement. Quant à la délivrance des visas, l'exemple de l'Algérie prouve que cet outil ne fonctionne pas : le nombre de laissez-passer consulaires a largement baissé. Si de telles mesures peuvent être utilisées, je l'admets, il me semble néfaste de les graver dans la loi.
Le groupe Renaissance rejettera les amendements de suppression. Pour nous, l'article 14 A est en effet un outil indispensable pour pouvoir éloigner les étrangers qui doivent être renvoyés dans leur pays d'origine. Pour cela, nous avons besoin de pouvoir établir, si nécessaire, un rapport de force au travers des leviers que sont les visas et l'aide publique au développement.
Les amendements déposés par Benjamin Haddad, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, permettront d'ajuster la rédaction de l'article s'agissant notamment des passeports diplomatiques ou des passeports de service, mais aussi d'exclure les étudiants de son application. Nous les voterons volontiers.
La question du rapport de force, en matière diplomatique, peut se poser. Mais jusqu'où aller, et à quel prix ? J'ai pu constater que l'Algérie avait cessé pendant un temps de délivrer des laissez-passer consulaires, à tel point qu'on pouvait se demander pourquoi continuer d'envoyer des Algériens dans les centres de rétention administrative (CRA). Votre objectif, dans ce rapport de force, monsieur le ministre, est d'accroître le nombre d'expulsions. Mais que devient notre relation avec l'Algérie sur tous les autres sujets ? Ce seul objectif justifie-t-il d'empêcher des Algériens d'assister à des enterrements ou des mariages en France ? Nos rapports avec ce pays comme avec d'autres sont très dégradés, il serait temps de chercher à les améliorer.
Je ne pense pas que le rapport de force soit de nature à améliorer la collaboration entre les États. La décision que vous avez prise de réduire le nombre de visas délivrés aux ressortissants des pays du Maghreb, monsieur le ministre, relevait davantage de l'invitation à dialoguer que de la sanction. Je sais en effet que vous ne considérez pas ces pays comme des adversaires mais comme des partenaires qui peuvent nous aider à améliorer le taux de reconduites à la frontière. Le recours à une sanction inscrite dans la loi serait totalement contre-productif et nuirait à nos relations bilatérales. Vous auriez plutôt intérêt à discuter dans le cadre de conventions bilatérales.
Je veux d'abord redire que l'article 14 A ne contraindrait pas l'État à stopper la délivrance de visas mais lui donnerait la possibilité de le faire. Aucun pays ne serait visé en particulier : l'ensemble de ceux qui ont signé un accord bilatéral ou multilatéral avec la France pourraient l'être. Vous savez d'ailleurs, madame Hai, que nous n'avons pas arrêté de délivrer des visas pour les ressortissants algériens ou marocains mais divisé leur nombre par deux. Peut-être cette décision a-t-elle rendu plus difficiles les déplacements, mais l'objectif est aussi, précisément, que la population fasse pression sur ses dirigeants.
Quel intérêt aurions-nous, madame Faucillon, à garder sur notre sol des délinquants multirécidivistes qui ne sont pas français et que leurs propres pays refusent ? Personne ne pourrait l'expliquer à la population ! Lorsqu'on est aux responsabilités, il faut savoir prendre des décisions, fussent-elles difficiles aux yeux de certains. C'est tellement vrai que Jean-Pierre Brard, vingt ans député du parti communiste, m'a écrit pour apporter son soutien au conditionnement de la délivrance de visas et de l'aide publique au développement.
J'ai également entendu une contre-vérité s'agissant de l'efficacité de ces mesures. Je vous renvoie sur le sujet, monsieur Bilongo, au rapport de M. Le Fur, rapporteur spécial de la commission des finances pour la mission budgétaire Aide publique au développement – et député de l'opposition. Sur la base des chiffres que lui ont transmis le ministère de l'intérieur et des outre-mer et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, il établit que le taux de délivrance de laissez-passer consulaires est passé, entre 2021 et 2022, de 6 % à 46 % pour l'Algérie, de 43 % à 54 % pour le Maroc et de 41 % à 44 % pour la Tunisie. Ce sont des évolutions significatives, dont nous pourrions nous réjouir et remercier ces États. Chacun sait en effet que c'est avec les pays du Maghreb que nous rencontrons des difficultés : en 2022 en effet, le taux de délivrance de laissez-passer consulaires s'est établi à 96 % pour la Côte d'Ivoire, à 93 % pour la Guinée et à 75 % pour le Sénégal. Des taux de 46 % ou 44 % ne sont certes pas suffisants, ce qui justifie les dispositions de l'article 14 A, mais ils sont en forte progression.
Vous ne pouvez pas me reprocher de ne pas appliquer les OQTF ou d'envoyer du monde en CRA si vous refusez de donner au ministère de l'intérieur les moyens d'améliorer la situation – à moins que vous ne défendiez, comme le font certains groupes politiques, la régularisation de tous les sans-papiers, y compris des délinquants. C'est une position tout à fait respectable, mais c'est un autre sujet. (Plusieurs députés du groupe LFI-NUPES s'exclament.) Vous avez tout de même voté contre les articles 9 et 10, vous voulez supprimer la rétention administrative et vous avez défendu un amendement de régularisation de tous les sans-papiers !
Le conditionnement est un outil essentiel, qui a montré son efficacité.
La commission rejette les amendements.
Amendements identiques CL267 de la commission des affaires étrangères, CL1245 de M. Laurent Marcangeli et CL1346 de Mme Maud Gatel
Cet amendement propose d'ajouter à la liste des visas dont la délivrance pourrait être refusée les visas de court séjour sollicités par les titulaires de passeports diplomatiques ou de service, ressortissants d'États délivrant un nombre particulièrement faible de laissez-passer consulaires ou ne respectant pas un accord bilatéral ou multilatéral de gestion des flux migratoires. Il s'agit de cibler, autant que possible, les décideurs, les dignitaires et les gouvernements de pays non coopératifs plutôt que les populations.
Il nous semble que le fait de viser les titulaires de visas diplomatiques serait un bon moyen d'inciter les États peu coopératifs à coopérer davantage, et qu'il est plus juste d'influer sur les décideurs que de pénaliser la population.
Même si des évolutions rédactionnelles me semblent nécessaires d'ici l'examen du texte en séance, j'ai plaisir à émettre un avis favorable à ces amendements.
Le groupe Les Républicains votera ces amendements, estimant qu'il peut être utile de viser les dirigeants des pays. Par ailleurs, il y a peut-être eu 46 % de laissez-passer consulaires délivrés par l'Algérie en 2022, monsieur le ministre, mais seulement 962 OQTF appliquées sur 26 147 ! La réalité, c'est que la France demande très peu de laissez-passer consulaires à l'Algérie – à peine 10 % de nombre d'OQTF délivrés à l'encontre de ressortissants algériens. Comparons ce qui est comparable.
La commission adopte les amendements.
Présidence de Mme Caroline Abadie, vice-présidente de la commission.
Amendement CL510 de M. Sébastien Chenu
En contrepartie d'un effort financier considérable de la part des Français, il est légitime de demander aux pays aidés de s'engager à reprendre l'ensemble de leurs ressortissants résidant illégalement en France. Un amendement déposé à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2024 proposait la création, pour chaque pays recevant une aide économique ou financière française, d'un indicateur relatif au taux de reprise des ressortissants expulsés de France ; il a été rejeté.
S'agissant des montants de l'aide française au développement, le Gouvernement avait annoncé qu'il s'efforcerait d'atteindre 0,7 % du revenu national brut en 2025, et 22 milliards d'euros par an. Pour rappel, les recettes de la taxe d'habitation ont rapporté 24,3 milliards en 2020. Au premier trimestre 2022, seulement 6,9 % des OQTF étaient exécutées, en partie du fait du refus de certains pays de délivrer les laissez-passer consulaires.
Le présent amendement vise donc à établir les bases d'une relation de confiance avec les États soutenus par l'argent des Français. À force de ne plus rien exiger, la France n'est plus respectée.
Avis défavorable. La rédaction actuelle du texte vise les États délivrant un nombre « particulièrement faible » de laissez-passer consulaires, et non pas seulement « faible », comme le propose l'amendement. Plus précise et plus équilibrée, elle donnera la possibilité à l'État de mener une action ciblée et efficace plutôt qu'une action générale, moins efficace.
Notre groupe s'oppose au dispositif que le Rassemblement national propose de durcir, et qui revient à pénaliser des individus en raison du comportement de l'État dont ils sont ressortissants. C'est une idée un peu étrange, qui témoigne d'une vision particulière de la liberté.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL1588 de Mme Nadia Hai
Faisant suite au rejet des amendements de suppression de l'article, cet amendement de repli vise à supprimer les alinéas 1 à 4, afin que la délivrance des visas ne soit pas conditionnée par celle des laissez-passer consulaires. Les visas sont déjà des titres de séjour accordés de façon totalement subjective. Nul besoin d'inscrire dans la loi une politique de sanction en la matière.
L'amendement prévoit néanmoins de conserver les alinéas 5 et 6, qui disposent que l'AFD peut prendre en compte la qualité de la coopération des États en matière de lutte contre l'immigration irrégulière dans la répartition des concours qu'elle attribue.
Mme Hai minimise la portée qu'aurait son amendement : les quatre premiers alinéas sont en effet ceux qui donneront le plus de pouvoir au Gouvernement – dans le cas, je le répète, où un État ne respecterait pas un accord qu'il aurait signé librement.
Nous aurons de nouveau ce débat en séance, car je reste convaincue que cette mesure ne permettra pas d'obtenir davantage de laissez-passer consulaires. J'invite mes collègues à bien réfléchir d'ici là, car Les Républicains nous tendent un piège : les propos qu'ils tiennent à l'Assemblée et dans les ambassades portent atteinte au rayonnement et aux intérêts de la France. Ils contribuent à la montée du sentiment antifrançais au Maghreb et en Afrique.
L'heure est grave, quand Mme Hai et les Insoumis se retrouvent du même côté ! Comme elle l'a dit très justement, comme Carlos Martens Bilongo, ce qui est en cause, c'est l'image de notre pays à l'étranger. Mais allons plus loin : certains migrants quittent leur pays pour des raisons économiques ; or la France participe parfois elle-même à affaiblir économiquement ces pays ! L'APD, sur laquelle il y aurait sans doute beaucoup de choses à redire, a au moins le mérite d'améliorer les choses.
Vous êtes en train de dire aux habitants de certains pays que nous subordonnons notre aide publique au développement à un chantage infâme au retour des délinquants sans papiers. Ce faisant, d'une part vous abandonnez à leur sort les populations les plus fragiles, d'autre part vous nourrissez une détestation de la France. Nos relations internationales en sortiront abîmées.
Il n'est pas acceptable d'entendre que le fait de sanctionner des pays qui ne délivrent pas assez de laissez-passer consulaires nuirait à l'image de la France. Aujourd'hui, l'image de la France est celle d'un pays laxiste qui se fait marcher dessus – un peu le paillasson du monde ! Il est important de réaffirmer que nous ne nous laisserons pas faire et que nous pouvons sortir les gros bras.
Les députés du Rassemblement national nous expliquent depuis lundi qu'ils ne soutiennent pas Giorgia Meloni mais Matteo Salvini. Rappelons à ceux qui ne le connaissent pas que ce charmant monsieur un peu particulier – c'est un nostalgique de M. Mussolini – a un bilan en tant que ministre de l'intérieur : sur les 100 000 expulsions qu'il avait promises, il n'en a réalisé qu'un peu plus de 7 000.
Je rappelle aussi que M. Salvini fait partie du gouvernement de Mme Meloni…
Contrairement à ce qu'affirment M. Léaument et Mme Keloua Hachi, la France ne va pas sanctionner les pays qui ont besoin d'elle en matière d'aide au développement, mais ceux qui ont signé un accord avec elle. Ces pays se sont engagés librement pour demander à la France une aide qu'elle leur apporte bien volontiers – en matière d'aide publique au développement, de développement économique, de politique migratoire ou encore d'accueil d'étudiants. Comme pour tout accord – un accord international n'est jamais unilatéral, ce n'est pas un contrat léonin – ils l'ont fait en échange de contreparties, dont des conditions de retour au pays de leurs ressortissants, que la France inclut désormais dans tous les accords qu'elle signe. Voilà tout l'objet de cet article : il ne s'agit pas d'une action unilatérale ciblant une population, il s'agit de faire respecter les termes d'un accord signé librement par un pays souverain.
Dans le domaine diplomatique, les engagements sont souvent réciproques. Les États-Unis et la Chine pratiquent cette réciprocité dans le cadre des accords économiques. C'est le cas aussi par exemple de l'Algérie : un Français ne peut pas y créer une entreprise sans s'associer à un Algérien. C'est normal, cela relève de la souveraineté des États. Tous les gouvernements, y compris les gouvernements socialistes, adoptent certaines exigences dans le cadre des accords multilatéraux ou bilatéraux qu'ils signent.
Nous avons besoin de cet article 14 A pour appliquer notre politique migratoire. Il ne dévalorise pas la France : au contraire, il lui fournit une arme qui renforce son pouvoir diplomatique.
La commission rejette l'amendement.
Amendements identiques CL265 de la commission des affaires étrangères et CL1348 de Mme Maud Gatel
La commission des affaires étrangères propose d'exclure les étudiants des mesures de restriction de délivrance de visas prises en cas de non-coopération de leur État d'origine en matière de politique migratoire. Ils participent au rayonnement de nos universités et de notre recherche et contribuent à notre économie.
Avis favorable sur le fond. La forme demande sans doute d'être retravaillée, ce que je vous propose de faire d'ici à la séance.
Vous souhaitez retirer les visas étudiant des rapports de force avec les pays réticents à délivrer des laissez-passer consulaires : très bien, mais il faut se garder d'une vision un peu lénifiante. Certes, les étudiants étrangers contribuent au rayonnement de la France – avec 100 000 visas étudiant délivrés chaque année, notre pays ne semble d'ailleurs pas être en perte de vitesse. Mais, parmi ces étudiants, tous ne sont pas assidus. C'est la raison pour laquelle nous avons voté la condition du caractère réel et sérieux des études pour la délivrance de visa.
Prévoir cette exception dans la loi risque de nous priver de la possibilité de restreindre un jour la délivrance de visas étudiant, alors que rien ne nous empêche, si ce n'est pas inscrit dans la loi, d'accepter toutes les demandes qui sont faites.
Je suis heureuse de voir que l'accueil d'étudiants étrangers nous tient à cœur. Leur présence est importante pour notre pays ainsi que pour leur pays d'origine, pour plusieurs raisons – on a évoqué notamment le classement de Shangaï. Il n'est donc pas très cohérent de l'avoir oublié au moment d'exiger une caution spécifique et de majorer les droits d'inscription, et nous regrettons de ne pas avoir été entendus sur ces sujets.
La commission adopte les amendements.
Amendements identiques CL269 de la commission des affaires étrangères et CL1350 de M. Erwan Balanant
Cet amendement, qui s'inspire de l'instrument européen de coopération, propose de se donner l'objectif de consacrer 10 % de notre aide au développement à l'augmentation des capacités migratoires de nos partenaires. Il s'agit, hors de toute conditionnalité, de les aider à mieux maîtriser leurs frontières, à mieux accueillir les réfugiés, à développer leur état civil par exemple. Ainsi, la Tunisie n'a pas de politique d'asile ni de maîtrise de ses frontières.
Voulez-vous vraiment utiliser l'APD pour financer les garde-côtes de Tunisie, sachant toutes les exactions, les violences, y compris les viols, qu'ils commettent ? Je vous invite vraiment à vous documenter sur la question. L'aide au développement doit servir à la santé, à l'assainissement, pas à garder les frontières.
La commission adopte les amendements.
Amendements identiques CL261 de la commission des affaires étrangères et CL1355 de M. Bruno Fuchs
Avis favorable à ces amendements qui suppriment des alinéas prévoyant une contrainte supplémentaire.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l'amendement CL394 de M. Fabien di Filippo tombe.
Amendement CL474 de M. Éric Ciotti
Il s'agit de pouvoir réduire notre aide au développement à destination des États qui délivrent un nombre particulièrement faible de laissez-passer consulaires. Lier l'APD à la bonne volonté des États est une demande que nous formulons depuis des années. Les dispositions des articles 9 et 10, qui facilitent l'éloignement de certains étrangers protégés, seront en effet inutiles si le pays d'origine de la personne que nous voulons expulser refuse de le reprendre. Nous sommes donc très favorables à l'article 14 A et à l'extension de ses dispositions aux visas sollicités par les détenteurs d'un passeport diplomatique, car ils sont des leaders d'opinion et peuvent faire bouger les lignes. Je trouve également intéressante la disposition introduite au Sénat par les centristes et prévoyant la prise en compte des efforts déployés par les États pour lutter contre l'immigration irrégulière.
Demande de retrait ou avis défavorable car cet amendement est satisfait par l'alinéa 4 dans sa rédaction issue du Sénat, que nous n'avons pas modifiée.
Madame Genevard, vous avez souligné l'importance des articles 9 et 10 pour l'expulsion et l'éloignement des étrangers délinquants, auxquels vous auriez pu ajouter l'article 13. Aujourd'hui, si nous éloignons 2 500 étrangers délinquants par an, il en reste 4 000 que nous ne pouvons pas expulser en raison de réserves d'ordre public que nous impose la loi française elle-même. Celles-ci ont été levées par les articles 9 et 10. Ces articles conduiront donc à une augmentation des expulsions et des éloignements, quand bien même l'article 14 A ne serait pas adopté. Bien sûr, ce dernier nous permettra d'aller beaucoup plus loin et de nous armer dans la bataille avec les autres États, j'entends le lien que vous faites à ce propos, mais il n'est pas raisonnable de dire que les articles sur la levée des réserves d'ordre public seraient vains s'il n'est pas adopté.
Il faut également se demander à quoi peut servir l'aide publique au développement. Il peut être utile par exemple d'inciter les États partenaires à développer leur état civil, en particulier biométrique – nous pourrions y travailler en séance. Cette question a été abordée lors de la discussion sur la grande loi votée lors du précédent quinquennat. Cela permettrait d'avoir beaucoup plus de retours positifs sur les demandes de laissez-passer consulaires. L'APD serait alors un bon moyen d'améliorer l'exécution des OQTF, mais sans qu'il y ait besoin de la réduire.
Pour ce qui est du ministère de l'intérieur, nous le faisons déjà. La loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) contient des dispositions concernant une aide budgétaire internationale, qui n'est pas une aide au développement et qui finance, notamment par l'intermédiaire de Civipol, des améliorations de l'état civil – les États sont demandeurs – ou l'équipement de la police aux frontières. Nous aidons par exemple les Comores à acheter et faire fonctionner les bateaux de leurs garde-côtes, ou encore la Tunisie. Nous pourrons y travailler avec les rapporteurs, si vous le souhaitez.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte l'article 14 A modifié.
Article 14 B (nouveau) (article L. 414-1-1 (nouveau) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Information des organismes de sécurité sociale et de Pôle emploi des décisions d'OQTF et obligation de radiation une fois la décision devenue définitive
Amendements de suppression CL50 de M. Benjamin Lucas, CL842 de M. Thomas Portes, CL931 de M. Boris Vallaud et CL1439 de Mme Stella Dupont
Nous proposons de supprimer cette disposition ajoutée par le Sénat prévoyant la suppression des allocations chômage en cas de refus de titre de séjour. Le droit au chômage indemnisé est en effet attaché à la personne. Certains individus peuvent avoir travaillé et cotisé pendant plusieurs années. Ils ont, à ce titre, participé au financement de la sécurité sociale et ont des droits au chômage. Nous nous opposons à votre vision utilitariste. Vous qui nous faites depuis ce matin des leçons de respect des valeurs de la République, commencez par respecter les droits de ceux qui ont travaillé et cotisé.
Cet article introduit une mesure de bon sens en prévoyant l'information des organismes concernés d'une décision du préfet confirmant la situation irrégulière d'un étranger. La rédaction pourra sans doute en être améliorée en séance, mais je suis défavorable à sa suppression.
Ce projet de loi est décidément à sens unique : il crée toujours plus de devoirs pour les personnes étrangères tout en leur donnant toujours moins de droits.
La délinquance, dont le Rassemblement national s'émeut, risque d'être favorisée par cette disposition qui va enfoncer encore plus dans la précarité des gens en les privant de leurs droits au chômage. Arrive un moment où, quand on n'a plus de ressources, on est amené à commettre un larcin ici ou là, pour des raisons de survie ! Ce texte dépouille ces gens de tellement de droits et de moyens pour vivre dignement qu'il les pousse à cela.
Une fois de plus, une partie de la majorité s'allie à la NUPES pour assouplir le texte. Ils refusent que le préfet, après une décision de refus ou retrait d'un titre de séjour ou encore d'expulsion, en informe les organismes de sécurité sociale, les caisses d'allocations familiales et Pôle emploi afin que ceux-ci puissent radier la personne. C'est pourtant la moindre des choses ! Il s'agit d'une personne qui n'a pas de raison de se maintenir sur le territoire.
Plutôt que d'augmenter continuellement les impôts des Français, vous devriez explorer les pistes d'économie liées aux aides versées aux étrangers, qui, selon l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), s'établissent à 9 milliards pour les allocations familiales, 5 milliards pour les aides au logement et 6 milliards pour le RSA. Les Français pourraient ainsi récupérer un peu de leur argent.
L'indemnisation du chômage, ce n'est pas de l'argent des Français qui va aux étrangers : elle est due à toute personne, française ou étrangère, en situation régulière ou irrégulière, qui a cotisé. La philosophie de notre système social est celle de l'assurance, pas de la charité. Les droits au chômage sont un droit acquis au titre d'un travail, ils ne peuvent être liés à un papier ou à une nationalité. Nous ne pouvons pas priver ces personnes d'un droit qu'elles ont largement gagné.
Madame Diaz, vous n'avez pas bien suivi les débats : le rapporteur a donné un avis défavorable aux amendements de suppression déposés par la NUPES. De quelle alliance parlez-vous ?
Pour le reste, il est tout à fait normal qu'une personne n'ayant plus le droit de séjourner en France ne puisse avoir les mêmes droits que si elle était en situation régulière – et pas seulement pour les prestations chômage, mais pour toutes les prestations des organismes de sécurité sociale ; nous l'assumons. Mais nous prévoyons un délai de carence de trois mois qui permettra d'assurer, le cas échéant, la continuité des soins – sachant qui plus est que nous avons rétabli l'aide médicale de l'État.
Je comprends que vous ayez pris l'exemple des prestations chômage, car il pourrait paraître comme étant le plus scandaleux. Mais l'article ne concerne pas que les prestations chômage, qui sont une prestation contributive financée par les Français comme par les étrangers en situation régulière, mais l'ensemble des prestations, contributives ou non. J'ajoute que ces prestations ne sont pas retirées automatiquement à tout étranger en situation irrégulière, mais seulement lorsque la personne doit quitter le territoire national pour cause de désordre public, au titre de la police du séjour et de l'article 13 du projet de loi. Personne ne comprendrait, par exemple, que les prestations sociales de la personne qui a assassiné la petite Lola continuent à être versées. J'avais donc pris le 17 novembre 2022, à la demande du Président de la République, une instruction visant à la suspension du versement, qui a d'ailleurs été intégralement validée par le Conseil d'État.
M. Dumont a évoqué nos relations avec ce grand pays ami qu'est l'Algérie. Selon les derniers chiffres dont je dispose, qui remontent au premier semestre 2023, 13 260 OQTF ont été prononcées à l'encontre de citoyens algériens, dont 6 122 exigeaient un laissez-passer consulaire puisqu'elles n'étaient pas exécutées de façon volontaire dans le délai imparti – nous aurons d'ailleurs l'occasion de nous interroger plus loin dans le texte sur le taux d'exécution volontaire des OQTF. Nous avons demandé à ce titre au gouvernement algérien 2 808 laissez-passer consulaires. Plus de 900 de ces demandes ont été acceptées – j'en remercie le gouvernement algérien –, mais n'oublions pas que le délai moyen est de trois mois. Ces chiffres ne sont pas extraordinaires, mais ils montrent une amélioration ainsi que la continuité du travail diplomatique avec l'Algérie. L'ensemble des documents concernant ce travail ont été transmis à Mme Stella Dupont et M. Mathieu Lefèvre dans le cadre de leurs travaux d'évaluation de la mission Immigration, asile et intégration.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL1134 de Mme Estelle Youssouffa
Cet amendement tend à ce que la décision de refus ou de retrait d'un titre de séjour ou d'expulsion soit également communiquée automatiquement aux centres communaux d'action sociale, aux organismes chargés de la gestion des logements sociaux et à l'ensemble des mairies du département. Nous constatons en effet que certains étrangers se contentent, après la décision, de changer de commune, profitant du manque de coordination des différents acteurs publics. À Mayotte, certaines familles font ainsi le tour de l'île. Quand un droit est retiré, les autorités doivent pouvoir prendre les mesures adéquates.
Je suis sensible à la logique de votre amendement. Toutefois, il se heurterait aux limites des capacités opérationnelles de communication des préfectures et de traitement des communes. Je vous demande de le retirer afin de le retravailler ; à défaut, avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Présidence de M. le président Sacha Houlié.
Amendement CL867 de M. Yoann Gillet
Chers collègues bien-pensants de gauche, la France n'a pas vocation à être un guichet social pour clandestins. Nous proposons par cet amendement de réduire le délai de carence prévu par l'article 14 B pour radier les clandestins, qui est de trois mois. Le limiter à l'expiration du mois en cours serait plus raisonnable. Cela permettrait d'assurer une radiation rapide et effective afin d'éviter qu'un clandestin puisse tirer profit des prestations sociales.
Avis défavorable : un tel délai est opérationnellement intenable et remettrait en cause l'équilibre de l'article.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte l'article 14 B non modifié.
Article 14 C (nouveau) (articles L. 732-2 et L. 732-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Extension de la durée maximale d'assignation à résidence d'un étranger faisant l'objet d'une OQTF
Amendements de suppression CL51 de M. Benjamin Lucas, CL843 de Mme Élisa Martin, CL932 de M. Boris Vallaud et CL1356 de M. Emmanuel Mandon
Je m'interroge sur la psychologie des sénateurs : comment ont-ils pu penser à faire payer leur assignation à résidence aux personnes concernées ? Pourquoi pas leur faire payer le stylo du juge ! Je ne comprends vraiment pas comment cette disposition a pu devenir un article dans un projet de loi.
Encore une disposition pensée pour rendre la vie des étrangers encore plus infernale et pour rogner sur leurs droits ! Cet article porte une atteinte disproportionnée au droit fondamental d'aller et venir en permettant de prolonger l'assignation à résidence jusqu'à deux fois une période de quarante-cinq jours, soit un total de cent trente-cinq jours. Et, comme toutes les autres dispositions de ce projet de loi, cela ne résoudra rien : au bout des cent trente-cinq jour, rien n'aura changé.
Le droit actuel suffit déjà amplement au respect des assignations à résidence. La sévérité des mesures prévues par l'article 14 C est donc du pur affichage, d'autant que l'État aurait les plus grandes peines à les appliquer.
Avis défavorable à la suppression de cet article bien que sa rédaction puisse être améliorée sur deux points, d'une part en prenant en compte l'insolvabilité des intéressés, d'autre part en exigeant une motivation spéciale pour le dernier renouvellement de quarante-cinq jours. J'ai déposé deux amendements en ce sens.
Je soutiendrai ces amendements du rapporteur. En effet, le Sénat n'a pas entendu les arguments du Gouvernement sur l'insolvabilité de certains assignés à résidence, alors que le coût d'une assignation à résidence en hôtel peut être très élevé. En revanche, je dois dire à Mmes Rousseau et Martin que des personnes très riches peuvent être assignées à résidence, notamment dans des cas d'expulsion pour fraude fiscale ou pour intelligence avec l'ennemi. Je ne tiens pas à ce que nous payions leurs nuits d'hôtel. J'en profite pour saluer la cohésion des arguments et la solidarité de groupe de la NUPES, avec M. Mélenchon premier ministre à sa tête.
Je ne vois rien de scandaleux à demander à des personnes de payer leur assignation à résidence si elles ont un revenu ou du capital. Je rappelle que ce n'est pas de la rétention : la plupart des personnes concernées travaillent, même si elles doivent passer la nuit dans le lieu prévu et éventuellement pointer au commissariat. Ces personnes doivent être éloignées pour des raisons d'ordre public mais c'est l'État qui paye non seulement leurs nuits d'hôtel, mais les policiers affectés à leur surveillance. Ce peuvent être par exemple des personnes condamnées pour terrorisme et assignées à résidence par décision de justice à l'issue de leur peine d'emprisonnement dans l'attente du rétablissement de relations diplomatiques avec leur pays d'origine.
Madame Rousseau, évitons de nous insulter entre parlementaires, tout le monde s'en trouvera mieux. Il est possible que les sénateurs s'interrogent eux aussi sur votre façon de penser.
Cet article n'aura en réalité pour conséquence que de renforcer l'exclusion et la précarisation des personnes assignées à résidence. Celles-ci se trouvent d'ailleurs dans une sorte de limbes : elles ne peuvent être ni régularisées, ni expulsées. Elles sont maintenues sur le territoire français tout en étant exclues de l'ensemble de leurs droits. L'assignation à résidence est une privation de liberté demandée par l'État français et il ne revient pas à la personne concernée d'en assumer la charge financière.
Demander aux personnes concernées de payer leur assignation à résidence est totalement irresponsable quand on sait que certaines sont obligées de fuir leur pays, ravagé par la guerre ou par le capitalisme.
Cet article illustre bien la philosophie du texte, inspirée par le Danemark, érigé en modèle pour les questions migratoires par le porte-parole du Gouvernement M. Véran. Je vous mets en garde : ce pays, qui a repris des idées à l'extrême droite, a adopté une loi permettant la saisie d'une partie des biens dont disposent les gens lors de leur arrivée sur son territoire national. Une telle mesure a été prise dans notre pays lors d'années bien sombres de notre histoire.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL1592 de M. Philippe Pradal
Il s'agit de l'amendement qui précise que les frais liés à l'assignation à résidence sont pris en charge par l'État si la personne est insolvable.
Je rappelle que l'objectif de la mesure d'assignation à résidence d'une personne qui fait l'objet d'une OQTF est bien de l'inciter à partir d'elle-même : il ne s'agit pas de créer un statut supplémentaire.
La commission adopte l'amendement.
Amendement CL1602 de M. Andy Kerbrat
Nous n'avons pas réussi à faire supprimer cet article profondément abject. Nous vous demandons donc d'essayer au moins de limiter la casse en matière de respect du droit.
Dans une logique de fausse efficacité, vous prévoyez la possibilité de prolonger de quarante-cinq jours l'assignation à résidence, par deux fois, soit une durée totale de cent trente-cinq jours. Comme lorsqu'il s'est agi d'augmenter la durée de la rétention en CRA, vous prétendez que cela permettra d'expulser plus facilement les gens.
J'observe d'ailleurs que dès que l'on parle des CRA, le ministre quitte la salle. C'est bien pratique.
Toujours est-il que ce type de prolongation ne fonctionne pas, puisqu'il faut obtenir un laissez-passer consulaire et que des recours sont intentés – car, oui, les étrangers ont des droits. Même si le Sénat a essayé de le rétablir, le délit de séjour irrégulier – qui a conduit Mme Genevard à dire qu'une ligne rouge avait été franchie – ne figure plus dans ce texte.
Je pense sincèrement que vous êtes en train de criminaliser excessivement le traitement des étrangers en France et que vous supprimez leurs possibilités de recours. C'est l'objectif de l'assignation à résidence : les empêcher de se défendre.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Amendement CL1593 de M. Philippe Pradal
L'amendement prévoit que la troisième période de quarante-cinq jours d'assignation à résidence fait l'objet d'une décision spécialement motivée de l'administration, puisqu'il s'agit d'une durée particulièrement longue – en espérant que la personne concernée sera partie avant.
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte l'article 14 C modifié.
Article 14 D (nouveau) (art. L. 711-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Unicité de l'attribution de l'aide au retour
Amendements de suppression CL52 de M. Benjamin Lucas, CL848 de Mme Andrée Taurinya et CL1358 de M. Emmanuel Mandon
Nous souhaitons supprimer cet article qui, une fois de plus, stigmatise les personnes étrangères en amalgamant délinquance et immigration.
On veut faire croire que les personnes utiliseraient de manière malhonnête l'aide au retour dont elles doivent bénéficier dans le cadre d'une OQTF. On alimente ainsi le fantasme selon lequel les étrangers viendraient chez nous pour profiter de toutes les aides sociales, y compris l'aide au retour, forcément pour rester clandestinement, et forcément pour perpétrer des crimes et des délits.
Cet article a simplement pour but de donner une valeur législative à un dispositif qui a déjà été instauré par décret. Avis défavorable.
La commission rejette les amendements.
Elle adopte l'article 14 D non modifié.
Après l'article 14 D
Amendement CL1531 de Mme Annie Genevard
Cet amendement des députés Les Républicains prévoit que les transferts vers l'étranger de sommes touchées par les demandeurs d'asile au titre de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) seront interdits et pénalement sanctionnés.
Même si l'ADA représente un budget de plus de 300 millions, il est vrai que les sommes versées par personne sont modestes. Mais cet amendement cible les fraudeurs, car certaines filières présumées d'immigration sont en réalité des filières de détournement d'allocations. En l'espèce, une filière clandestine ukrainienne et une autre moldave ont détourné plus de 560 000 euros à la fin de l'année 2022. C'est autant d'argent qui est pris aux demandeurs d'asile qui devraient pouvoir en bénéficier.
Il me paraît très sain de lutter contre la fraude.
Je comprends l'esprit de cette mesure, mais son application serait particulièrement délicate. Comme vous l'avez reconnu, les sommes en question sont modestes et si elles sont transférées à l'étranger, il sera très difficile d'établir qu'elles proviennent de l'ADA. Avis défavorable.
Nous ne sommes pas les seuls à alerter sur ce danger puisqu'en 2019, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a mis en place pour l'ADA une carte de paiement sans possibilité de retrait d'espèces ni de paiement en ligne, ce qui permet de limiter les virements bancaires vers l'étranger. Le danger avait été identifié. Nous proposons simplement une mesure à caractère opérationnel.
Après tout, la France essaie depuis un moment de limiter la fraude sociale, qui, selon la Cour des comptes, a atteint 8,5 milliards. Voilà un exemple de fraude qui doit être sévèrement sanctionnée, par une sanction pénale. Surtout, il faut prendre les mesures nécessaires pour empêcher qu'elle perdure. Tout cela relève tout de même du bon sens.
Soyez un peu raisonnable, madame Genevard. Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous dites. Alors que la fraude fiscale est évaluée à plus de 100 milliards en France, vous vous en prenez aux gens qui sont venus travailler tout seuls et qui envoient leur modeste écot à l'étranger, ce qui permet à leur famille de rester dans leur pays d'origine ! Mais si vous coupez ces flux financiers, vous risquez de créer un appel d'air, un véritable aspirateur même !
Plus sérieusement, on voit très bien quelles sont vos priorités. Ce n'est pas de lutter contre une fraude fiscale qui se mesure en dizaines de milliards, mais de vous focaliser sur les quelques dizaines de millions qui permettent d'alimenter des villages au fin fond de l'Afrique.
La commission rejette l'amendement.
Article 14 E (nouveau) (art. L. 751-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Extension des cas de placement en rétention des étrangers soumis au règlement « Dublin »
Amendements de suppression CL1594 de M. Philippe Pradal, CL850 de M. Thomas Portes, CL1034 de M. Benjamin Lucas, CL1361 de M. Emmanuel Mandon et CL1434 de Mme Stella Dupont
L'article 14 E étend les cas de placement en rétention des étrangers soumis au règlement Dublin III.
Comme vous le savez, les négociations en cours avec nos partenaires européens sur le pacte sur la migration et l'asile sont très avancées. Cet article ne correspond pas à la position défendue par la France et pourrait affaiblir notre position dans ces négociations. Il faut donc le supprimer.
Nous ne sommes pas d'accord avec l'extension des possibilités de placement en rétention administrative des étrangers « dublinés ». Leurs parcours et leurs situations sont suffisamment complexes et douloureux pour ne pas en rajouter.
Une fois de plus, Élisa Martin a dit l'essentiel. Compte tenu de ce qu'ont enduré ces personnes pendant leur trajet, cette mesure constitue une sanction de plus, sans intérêt du point de vue de l'accueil et de l'inclusion. Nous sommes donc favorables à sa suppression.
Cet article vise à étendre les possibilités de placement en rétention administrative des personnes sous procédure Dublin. Je rappelle qu'un tel placement ne doit pas devenir la norme, mais bien demeurer une mesure de dernier recours.
Comme l'a indiqué le rapporteur, il est nécessaire d'attendre l'achèvement des négociations sur la refonte globale des textes européens relatifs aux migrations dans le cadre du pacte sur la migration et l'asile. Je pense donc qu'il faut supprimer cet article.
Nous nous opposerons évidemment à la suppression de cet article qui a été introduit par le Sénat.
C'est l'occasion d'attirer l'attention sur la question des « dublinés ». On sait qu'il s'agit d'un véritable problème et que le système actuel ne fonctionne pas. Un grand nombre de demandeurs d'asile relèvent potentiellement du règlement Dublin parce qu'ils ont déjà déposé une demande dans un autre pays de l'Union européenne. On compte ainsi 11 000 demandeurs d'asile en France qui ont déjà fait une telle demande en Autriche en 2022, et à peine 3 000 ont été renvoyés.
Cela souligne les difficultés d'application de ce règlement dans un espace Schengen où les frontières sont ouvertes – et c'est tant mieux. Cette proposition du Sénat permettrait d'appliquer plus efficacement le règlement Dublin.
La commission adopte les amendements et l'article 14 E est supprimé.
En conséquence, l'amendement CL286 de M. Yoann Gillet tombe.
Article 14 F (nouveau) (art. L. 824-4, L. 824-5, L. 824-6 et L. 824-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Renforcement des sanctions pénales en cas de non-respect des prescriptions de l'assignation à résidence
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement de suppression CL54 de M. Benjamin Lucas.
Amendement CL934 de Mme Élisa Martin
La tendance est d'ajouter sans cesse des sanctions, des contraintes et des privations de liberté supplémentaires – car le régime de l'assignation à résidence, dans certains cas, autorise certes à se rendre au travail pendant la journée, mais il s'agit tout de même d'une restriction à la liberté d'aller et venir. Nous ne souhaitons pas que l'assignation à résidence soit une tracasserie supplémentaire pour ceux que l'on voudrait renvoyer vers un improbable chez eux.
Avis défavorable : la sanction fait partie des mesures parfois nécessaires pour rendre effectif le respect d'une règle.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte l'article 14 F non modifié.
Article 14 G (nouveau) (art. 78-3 du code de procédure pénale) : Extension à la Guyane de la durée maximale dérogatoire de huit heures de la rétention aux fins de vérification d'identité
Amendements de suppression CL1722 de M. Philippe Pradal et CL55 de M. Benjamin Lucas
Je propose de supprimer cet article pour pouvoir ensuite le replacer dans le titre VI, relatif aux outre-mer. Le rapporteur Olivier Serva présentera un amendement à cet effet.
La commission adopte les amendements l'article 14 G est supprimé.
En conséquence, l'amendement CL962 de Mme Andrée Taurinya tombe.
TITRE III Sanctionner l'exploitation des étrangers et contrôler les frontières
Article 14 (art. L. 823-3 et L. 823-3-1 [nouveau] du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et art. 706-73 du code de procédure pénale) : Criminaliser la facilitation en bande organisée de l'entrée, de la circulation et du séjour irréguliers d'étrangers
Amendement de suppression CL964 de M. Thomas Portes
Nous nous opposons tous aux réseaux de passeurs qui profitent de la misère humaine pour se faire de l'argent sur le dos des personnes qui fuient leur pays – que ce soit en raison du climat, de la guerre ou des menaces qu'elles subissent. Mais il a été démontré dans le passé qu'augmenter le quantum de peine n'a pas d'effet sur cette délinquance.
Encore une fois, il faut avant tout se demander pourquoi les gens partent de chez eux. Personne ne décide spontanément de quitter sa maison pour traverser la Méditerranée en étant obligé de recourir à des réseaux de passeurs.
J'aurais aimé que des amendements s'intéressent à ceux qui font des profits dans les pays de départ. Vincent Bolloré, à travers le commerce du bois, a financé des guerres au Libéria et en Sierra Leone. C'est cela qui crée les réseaux de passeurs, car les gens sont obligés de fuir à cause des financiers français qui ont exploité leur pays.
Je suis très surpris que vous proposiez de supprimer la criminalisation des réseaux de passeurs. En réalité, vous ne souhaitez pas que ces personnes soient durement condamnées à de lourdes peines de prison, afin de démanteler des filières qui organisent la traversée de la Méditerranée ou de la Manche.
Je suis moi aussi vraiment surpris par cet amendement du groupe LFI, qui propose de supprimer un article qui accroît les sanctions contre les réseaux de passeurs qui mettent en danger les migrants. Je pensais que cette mesure serait consensuelle !
Vous démontrez une nouvelle fois que votre seul objectif est d'être contre tout, pas de protéger les personnes. Avis défavorable.
Il est évidemment nécessaire de criminaliser les réseaux de passeurs.
Ceux qui organisent les traversées de la Manche et de la mer du Nord sont installés dans les pays voisins. Ils achètent des moteurs sur internet et envoient des malheureux en mer par tous les temps, sur des rafiots, parfois sans gilets de sauvetage. Ils font mourir des gens, et vous voudriez les exonérer de leurs responsabilités ? Bien sûr qu'il faut en faire un crime et qu'il faut les sanctionner, et ce pour une raison très simple : il ne faut plus qu'il y ait des morts dans la Manche. Cet article est un instrument absolument essentiel pour y parvenir, même si ce n'est pas le seul.
Cet amendement de suppression est une folie pure et simple.
Le groupe Renaissance s'opposera lui aussi à cet amendement totalement irresponsable. Il est incroyable que les représentants de La France insoumise refusent de sanctionner les réseaux criminels de passeurs. Je tiens à préciser d'une part que les citoyens qui s'engagent dans des ONG humanitaires ne sont absolument pas visés par cet article, et d'autre part que le Conseil d'État a été très clair : « les peines retenues par le projet ne sont pas manifestement disproportionnées à la gravité des agissements qu'il entend réprimer. »
J'ai entendu M. Dumont dire aux auteurs de l'amendement qu'ils étaient les amis des passeurs. Je vais vous dire quels sont leurs véritables agents, voire leurs banquiers : ce sont ceux qui, depuis quarante ans, considèrent qu'une législation brutale et répressive est nécessaire en matière d'immigration. En effet, plus on rend difficile la traversée de nos frontières, plus on dégrade les conditions d'accueil sur le territoire français, plus les passeurs augmentent leurs tarifs. En réalité, les trente lois sur l'immigration adoptées en quarante ans ont eu pour seul effet de mettre plus d'argent dans leurs poches.
Il est donc complètement hypocrite de bomber le torse en répétant que l'on va combattre les passeurs alors que l'on mène des politiques publiques qui les enrichissent. Quant aux associations, nous aurons l'occasion de dire qu'elles ne sont absolument pas protégées par ce dispositif alors qu'elles méritent de l'être.
Il y a beaucoup de mauvaise foi dans les réponses qui sont apportées à cet amendement.
Premièrement, il existe déjà des dispositions pour réprimer ceux qui pratiquent ce trafic d'êtres humains.
Deuxièmement, toutes les études montrent qu'aggraver les peines ne sert à rien pour lutter contre les comportements délinquants. Vous n'arrêtez pas d'augmenter les peines, tout en vous plaignant que la criminalité augmente : posez-vous des questions sur votre politique !
Troisièmement, cet article vise aussi les associations qui viennent en aide aux migrants et qui parfois, c'est vrai, les aident à franchir la frontière, simplement pour éviter qu'ils meurent. C'est bien de cela qu'il s'agit et c'est ce que vous voulez criminaliser.
Arrêtez d'être de mauvaise foi ! Tout le monde veut lutter contre la criminalité en bande organisée et contre le trafic d'êtres humains. Cela fait partie de nos convictions humanistes fondamentales ! Mais on ne lutte efficacement contre l'immigration, si tel est bien votre objectif, qu'en créant les conditions pour que les gens puissent rester chez eux – notamment en arrêtant de piller les pays d'émigration.
Cet article est extrêmement important. Nous avons décidé de le rédiger avec le garde des sceaux, que je remercie, à la suite du naufrage dramatique du 24 novembre 2021 dans la Manche.
Les peines qui sont prononcées contre les passeurs ne sont pas très importantes, non pas parce que les magistrats seraient laxistes, mais bien parce qu'ils appliquent la loi. En effet, être passeur, c'est-à-dire demander à des femmes, des enfants, des vieillards, de l'argent pour leur faire passer une frontière, n'est sanctionné par le code pénal que de cinq ans de prison et 30 000 euros d'amende. Vous conviendrez que ce n'est pas très dissuasif, pour une activité très lucrative. Comme l'ont montré la direction générale de la sécurité intérieure et celle de la sécurité extérieure, l'argent obtenu sert aussi à financer d'autres activités criminelles, telles que le trafic de stupéfiants, le proxénétisme ou le terrorisme. Les trafics se nourrissent entre eux.
Cet article prévoit donc de faire passer la qualification de délit à crime, en punissant les passeurs de quinze ans de prison, peine portée à vingt ans s'il y a eu un mort. C'est à la hauteur des drames qui se produisent. Supprimer cet article est absurde et il est incompréhensible que La France insoumise le propose.
Les associations ne sont absolument pas concernées – sauf si elles demandaient une rémunération aux gens pour leur faire passer une frontière, ce qu'elles ne font évidemment pas. La rémunération est bien l'un des éléments constitutifs de l'infraction. Les associations, qui doivent par ailleurs respecter la règle de droit, ne sont donc en aucun cas visées par ce texte. N'essayez pas de faire croire autre chose.
Enfin, j'indique à M. Lucas que le gouvernement de M. Scholz a également choisi de criminaliser les passeurs. Or les Verts allemands font partie de la coalition et participent au gouvernement. Mon homologue allemande – qui est membre du SPD et qui est une femme d'autorité et de bien – a souhaité que nous procédions en commun à la criminalisation des passeurs soutenue par la coalition. Je constate donc que lorsque les Verts exercent des responsabilités, ils veulent criminaliser les passeurs.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL1334 de M. Christophe Blanchet
Cet amendement a pour objectif de lutter efficacement contre la traite d'êtres humains. Il convient de s'assurer que le crime ne paye pas.
Vous proposez d'ajouter la peine complémentaire de confiscation des avoirs criminels aux sanctions visant les passeurs.
Si votre objectif est de rendre obligatoire le prononcé de cette peine, je crains que cela ne présente un risque d'inconstitutionnalité. Mais votre amendement est satisfait, car le Ceseda prévoit que de telles peines peuvent être prononcées. Demande de retrait.
L'amendement est retiré.
Amendement CL933 de M. Boris Vallaud
Cet amendement vise à supprimer la référence à une contrepartie directe ou indirecte, ce qui permettrait d'étendre l'immunité aux actes consistant à fournir des conseils ou de l'accompagnement juridique, linguistique ou social, ainsi qu'à toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire. Nous sommes résolument contre ceux qui monnaient le passage d'une frontière, ce qui est un crime. Mais l'aide humanitaire aux migrants illégaux doit être préservée.
Le champ de l'exemption humanitaire est clairement défini dans cet article. Le Conseil constitutionnel est vigilant, comme il l'a montré dans sa décision du 6 juillet 2018 à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Or, si l'on adoptait votre amendement, des entreprises pourraient accompagner des migrants contre rémunération.
Il n'y a aucune remise en question de l'exemption humanitaire dans ce texte, car l'aide humanitaire est par définition sans contrepartie. Votre amendement est satisfait. Demande de retrait ou avis défavorable.
L'amendement est retiré.
Amendement CL243 Mme Cyrielle Chatelain
S'il y a beaucoup de raisons d'être fier d'être français, la principale d'entre elles est la devise Liberté, Égalité, Fraternité qui figure au fronton de nos mairies.
Cet amendement demande donc que le principe de fraternité soit reconnu. Or, lorsqu'on porte assistance à une personne qui a faim, qui est en danger, qui est blessée et a besoin d'être protégée, s'il s'agit d'un migrant, on risque jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende – seulement parce que l'on veut soulager un peu sa détresse.
Les écologistes s'opposeront sans cesse à la criminalisation de la fraternité. Reconnaître explicitement le principe de fraternité est le gage du respect des valeurs républicaines et de l'idéal d'universalité des droits de l'homme.
C'est exactement le droit en vigueur. Dans la décision que j'ai précédemment évoquée, le Conseil constitutionnel a jugé que « Il découle du principe de fraternité la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national. » Et c'est exactement ce que prévoit l'article L. 823-9 du Ceseda.
L'amendement est donc pleinement satisfait. Demande de retrait ou avis défavorable.
Si tel était le cas, le code pénal ne comporterait pas certaines infractions et il n'y aurait pas eu de procès contre Cédric Herrou ; des dizaines, voire des centaines de militants qui cherchent à aider des personnes en danger ne se retrouveraient pas dans des situations difficiles. La réalité des faits contredit vos arguments.
C'est précisément l'affaire Herrou qui a donné lieu à la QPC au cours de laquelle le Conseil constitutionnel s'est appuyé sur le principe de fraternité. L'amendement est satisfait.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL405 de M. Aurélien Lopez-Liguori
Si nous voulons être efficaces en matière de lutte contre l'immigration illégale, il faut évidemment réprimer davantage les passeurs et leurs éventuels complices. Mais il faut aussi évidemment avoir une politique globale et notamment couper les pompes aspirantes.
En la matière, Marine Le Pen est largement plébiscitée par les Français et elle a un programme clair. Si 80 % des Français réclament des décisions fermes en matière d'immigration, ce n'est pas sans raisons. Ils veulent que l'on agisse.
Avec cet amendement, nous proposons de limiter l'exonération de responsabilité pénale de ceux qui viennent en aide aux migrants. Afin qu'il n'y ait pas d'abus, cette exonération ne doit valoir que pour l'aide humanitaire consistant à remettre des biens propres à permettre la survie de l'étranger.
Une telle restriction me semble contraire à l'esprit de la mesure proposée par cet article, mais aussi à la jurisprudence dégagée par le Conseil constitutionnel sur le principe de fraternité. Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL995 de M. Benjamin Lucas
Nous voulons garantir que les associations humanitaires puissent sauver des vies. Elles font souvent un travail que les États devraient assurer.
À l'inverse de ce que vient de dire le représentant de l'extrême droite en voulant jeter la suspicion sur le travail des humanitaires, je veux faire part de notre admiration pour les ONG et pour tous les bénévoles qui, en Méditerranée et dans les Alpes, dans nos villes et nos villages, remplissent une mission d'humanité et font vivre les valeurs et la devise de la République bien mieux que certains qui sont ici. Cela nous donne un peu d'espoir, alors que l'on voit le débat public être englouti par les thèmes et les termes de l'extrême droite et d'une droite radicalisée face auxquelles le Gouvernement et la majorité ont choisi la reddition en rase campagne.
Comme je l'ai déjà indiqué à plusieurs reprises, les associations qui fournissent une aide humanitaire aux étrangers sont couvertes par l'exemption pénale prévue à l'article L. 823-9 du Ceseda. Votre amendement est satisfait, ce n'est pas la peine de réécrire le droit. La jurisprudence du Conseil constitutionnel garantit qu'il n'y a aucun risque pour ceux qui jouent un rôle humanitaire. Demande de retrait.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte l'article 14 non modifié.
Après l'article 14
Amendements identiques CL174 de M. Benjamin Lucas et CL893 de M. Philippe Brun
Nous proposons d'instaurer un délit d'entrave au droit d'asile.
Il serait constitué lorsqu'un individu : perturbe l'accès au territoire français dans le but de faire obstacle à l'étranger qui demande à entrer en France au titre de l'asile ; perturbe l'accès aux établissements, administrations ou juridictions compétents en matière d'asile, la libre circulation des personnes à l'intérieur de ces locaux ou les conditions de travail des personnels ; communique à l'étranger ou diffuse, y compris par voie électronique ou en ligne, des allégations ou indications de nature à l'induire intentionnellement en erreur sur ces droits ; ou exerce des menaces ou tout acte d'intimidation.
Nous nous souvenons de ces milices fascisantes – les amis du Rassemblement national – qui étaient allées jouer à la police des frontières à Montgenèvre et au col de l'Échelle. Il serait d'ailleurs opportun de s'interroger sur la provenance des moyens qui leur ont permis de louer un hélicoptère pour aller faire étalage de leur racisme et de leur xénophobie. Il y a matière à enquêter sur leurs réseaux de financement.
Il faut effectivement créer un délit d'entrave au droit d'asile, de manière à pouvoir sanctionner les individus qui commettent sciemment des actes de cette nature. Une telle incrimination mérite de figurer clairement dans ce texte.
Je comprends parfaitement vos propositions et l'enjeu est important. Mais il faut tout d'abord garantir que ce dispositif ne s'applique pas aux forces de l'ordre dans le cadre de leur légitime activité – seules ces dernières peuvent interdire à quelqu'un de rentrer sur le territoire national.
Ensuite, le droit en vigueur permet déjà de sanctionner ceux qui entravent, de façon scandaleuse, l'exercice du droit d'asile. Il est ainsi possible de dissoudre le groupe en question – ce qu'a fait le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin dans le cas de Génération identitaire. En outre, le fait de contrôler les frontières, d'édifier des obstacles ou de reconduire des migrants à la frontière tombe sous le coup du délit d'immixtion dans une fonction publique.
Des améliorations peuvent cependant être envisagées, et je laisse le soin au rapporteur général de vous les décrire. Avis défavorable.
Toutes les actions des groupes d'ultra droite qui empêchent d'accéder à des établissements, à des administrations ou à des juridictions qui veillent sur ce trésor conventionnel et républicain qu'est le droit d'asile méritent en effet de trouver une sanction.
Je vous propose de retirer vos amendements et de travailler ensemble sur la question en vue de la séance publique. À titre personnel – mais je crois que c'est partagé par un grand nombre de députés – je souhaite que ce texte introduise un délit d'entrave au droit d'asile. Ce serait une première : des outils juridiques existent déjà, qui sont efficaces, mais ils ne permettent pas de sanctionner spécifiquement une telle entrave.
Le Gouvernement est favorable à l'intégration d'un tel dispositif – à condition d'en exclure bien évidemment les forces de l'ordre – car les actions visées nourrissent aussi l'activité des passeurs. Dans les Hauts-de-France, notamment, certains d'entre eux entravent les dépôts de demandes d'asile pour que l'aventure rémunératrice puisse se poursuivre vers l'Angleterre. Un travail collectif s'impose, en effet, d'ici la séance publique.
Je me réjouis que cette préoccupation soit partagée mais nous ne retirerons pas pour autant notre amendement, dont l'adoption permettra de disposer d'une base de travail commune.
Il n'y a effectivement pas de raison que nous le retirions pour que vous puissiez déposer le vôtre : autant effectivement que cet amendement soit adopté, quitte à ce qu'il soit modifié en séance publique. Vous avez déjà témoigné de votre volonté de coconstruction en acceptant des propositions LR, il serait dommage de faire autrement avec des propositions issues, cette fois, de la gauche. Poussé par la droite radicalisée, vous avez adopté des pans entiers du programme de Mme Le Pen. Sur cette question humanitaire et républicaine qui nous réunit tous, je vous demande une preuve d'amour, pas une déclaration !
L'adoption de ces amendements pourrait-elle pénaliser les associations No Border qui, dans la jungle de Calais – le plus grand bidonville d'Europe – créée par la gauche socialiste, passaient après les agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) pour inciter les migrants à ne surtout pas déposer de demande d'asile et à poursuivre vers le Royaume-Uni ? Qu'en pensent leurs auteurs ?
Je donne déjà beaucoup de preuves, sinon d'amour, du moins d'affection. Sur ce texte, elles sont quotidiennes. Songez, par exemple, à l'interdiction de la rétention des mineurs !
Votre rédaction soulève un certain nombre de difficultés qu'ont également soulignées le rapporteur, le ministre et M. Dumont, fût-ce sur un mode facétieux. Si je vous invite au retrait, c'est pour que nous travaillions ensemble à un amendement que nous pourrons soutenir, mais que nous n'endosserons pas : c'est vous qui le déposerez pour la séance.
Outre les difficultés évoquées s'agissant des forces de l'ordre, M. Dumont a eu raison de relever que des associations entreraient dans le périmètre de ces amendements.
La commission rejette les amendements.
La réunion est suspendue de dix-sept heures à dix-sept heures vingt.
Article 15 (art. L. 511-22 et L. 521-4 du code de la construction et de l'habitation) : Durcir les sanctions contre l'habitat indigne
Amendement CL787 de Mme Fatiha Keloua Hachi
Cet amendement vise à étendre aux étudiants étrangers les dispositions de l'article 15 qui protège les personnes vulnérables de la mise à disposition de logements insalubres. Les étudiants, et encore plus les étudiants étrangers, sont aujourd'hui systématiquement la cible des marchands de sommeil.
L'article 15 vise à accroître la répression des marchands de sommeil qui exploitent la vulnérabilité des occupants. Or, tous les étudiants étrangers ne sont pas forcément vulnérables. S'ils sont reconnus tels, ils entrent dans le champ du dispositif, comme un travailleur ou qui que ce soit. Votre amendement est donc satisfait. Retrait ou avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL808 de Mme Annie Genevard
Cet article procède à une modification d'ordre général du code de la construction et de l'habitation. Nous souscrivons à l'alourdissement des peines des marchands de sommeil, qui est légitime et souhaitable. En revanche, nous proposons de supprimer la fin des alinéas 4, 6, 8 et 10, où l'on ajoute, après avoir parlé des personnes vulnérables, « notamment un ressortissant étranger en situation irrégulière ». La vulnérabilité est une notion bien connue en droit, qui peut aussi bien concerner l'âge que la maladie, la grossesse, la déficience physique ou psychologique. Pourquoi une telle spécification ?
Je ne suis pas sûr que la suppression de cette mention produise les effets que vous désirez : la Cour de cassation a déjà jugé qu'un étranger en situation irrégulière est une personne vulnérable, au sens de l'article du code pénal qui sanctionne l'exploitation de la vulnérabilité en soumettant les personnes à des conditions de vie indignes. Avis défavorable.
Une telle explication n'a aucun sens. Si vous commencez une liste, il faut la compléter : les handicapés, les jeunes en rupture sociale, les personnes démunies, les femmes en situation de grossesse… Les étrangers en situation irrégulière ne peuvent pas être les seules personnes vulnérables.
Une fois n'est pas coutume, nous sommes d'accord avec cet amendement des Républicains. Une telle spécification aurait été compréhensible dans le Ceseda, elle ne l'est pas dans celui de la construction et de l'habitation.
Il n'en demeure pas moins que la lutte contre les marchands de sommeil est essentielle. Je sais ce qu'il en est dans ma circonscription à Grigny, et en particulier à Grigny 2, qui est une immense copropriété. Il faut punir ceux qui ont ce type de comportement.
Ces dispositions s'appliqueront à toutes les personnes vulnérables, notamment aux ressortissants étrangers en situation irrégulière. Il s'agit d'un simple complément.
Cet article est très important. Lutter contre les marchands de sommeil, c'est lutter contre un écosystème maffieux qui fait beaucoup de victimes – il est évident que les étrangers en situation irrégulière ne sont pas les seules personnes vulnérables.
Cet article est issu de propositions du Gouvernement et des sénateurs François-Noël Buffet, LR, et Ian Brossat, du groupe communiste. S'il mentionne les étrangers en situation irrégulière, c'est parce que c'est d'eux qu'il s'agit dans le projet de loi. S'il est possible, d'ici à la séance publique, de le compléter en listant les personnes vulnérables, faisons-le, mais en l'état, la notion de vulnérabilité ne s'applique pas aux étrangers en situation irrégulière, qui sont pourtant dans une situation très fragile. Par exemple, comme ils ne peuvent pas percevoir d'aides au logement, ils sont contraints de recourir au parc informel. Ils sont aussi dans un écosystème où l'entrepreneur voyou qui les embauche est souvent de mèche avec des marchands de sommeil.
Quoi qu'il en soit, retravaillons la rédaction pour la séance, soit pour enlever cette précision, ce qui ne me semble pas opportun, soit pour la compléter. Mais il n'y a pas de mauvaise intention dans cet article.
En l'état du droit, la notion de vulnérabilité ne peut pas être appliquée aux étrangers en situation irrégulière, comme l'a reconnu la Cour de cassation. Le Sénat a donc souhaité consolider l'existence d'une disposition législative permettant de les associer.
Il serait bon de clarifier ce point d'ici à la séance publique. Si nous supprimons cette précision, c'est l'interprétation de la Cour de cassation qui s'appliquera. Si nous dressons une liste exhaustive, nous ne manquerons pas de nous heurter aux difficultés habituelles en finissant par manquer la cible.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte l'article 15 non modifié.
Article 15 bis (nouveau) (art. L. 425-11 [nouveau] du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Délivrance d'une carte de séjour temporaire lors du dépôt d'une plainte pour soumission à des conditions indignes d'hébergement
Amendements de suppression CL133 de M. Éric Pauget, CL495 de M. Antoine Villedieu et CL1505 de Mme Annie Genevard
La lutte contre les marchands de sommeil est légitime, mais nous n'en sommes pas moins surpris par cet article prévoyant d'accorder un titre de séjour « vie privée et familiale » valable un an aux étrangers qui portent plainte contre les marchands de sommeil. Je ne vois pas en quoi la création d'une filière supplémentaire pour accorder des titres de séjour serait pertinente. Surtout, un tel mécanisme peut être contre-productif car il risque de faire exploser le nombre de dénonciations, y compris calomnieuses, qui contribueront à engorger les tribunaux.
Une telle disposition est absolument inacceptable car elle ouvre un droit automatique à la régularisation des étrangers, fussent-ils victimes de marchands de sommeil. Un principe juridique veut que nul ne puisse se prévaloir de sa propre turpitude : on ne peut pas, parce qu'on est en situation irrégulière, avoir droit à un titre qu'on ne pourrait pas obtenir de façon régulière ! Nous ne manquerions d'ailleurs pas de voir surgir très rapidement les conséquences de cette nouvelle filière, car les passeurs ont une parfaite connaissance des évolutions de notre droit. Chaque fois que nous ouvrons une faille, ils s'y engouffrent.
Je n'en ai pas moins voté l'article 15, car la lutte contre les marchands de sommeil est absolument fondamentale.
Il est très difficile de prouver que tel ou tel est un marchand de sommeil. Il en va de même pour les proxénètes – d'où la possibilité, pour une personne prostituée en situation irrégulière, de bénéficier d'un titre de séjour de six mois si elle dénonce son proxénète, afin que nous puissions vérifier si les faits sont avérés et qu'elle puisse être réaccompagnée dans un cadre légal. Ce dispositif est très efficace. D'abord, il ne débouche sur un véritable titre de séjour que dans moins de 500 cas par an : on est loin du raz de marée. Surtout, il nous permet de recueillir des témoignages permettant de constituer le délit ou le crime, et donc de condamner des coupables et de démanteler des filières.
Il y a des marchands de sommeil dans de nombreux quartiers un peu vieillissants, mais nous avons beaucoup de mal à constituer le délit. Cela relève des maires, qui sont démunis. C'est pour cette raison que cet article, voté à l'unanimité au Sénat, prévoit qu'une carte temporaire de séjour – qui n'ouvre pas droit au regroupement familial – puisse être accordée à un étranger en situation irrégulière qui dénoncerait un marchand de sommeil. Alors qu'il est généralement arrivé par une filière, il pourra sortir de ses griffes et être raccompagné avec le soutien de l'État – je songe aux aides au retour de l'Ofii – ou dans le cadre d'une OQTF volontaire.
J'aurais pu comprendre que vous proposiez que l'étranger « peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire », au lieu de « se voit délivrer ». Mais je ne comprends vraiment pas ces amendements de suppression. Outre l'exemple que j'ai déjà cité, il y a celui de la personne en situation irrégulière victime de violences conjugales, qui se voit délivrer un titre de séjour si elle porte plainte. Cette disposition a été introduite par un amendement de Mme Marie-George Buffet dans la loi confortant le respect des principes de la République, que vous avez voté : moins de 300 personnes ont été concernées depuis sa promulgation, mais des enquêtes et des gardes à vue ont été ainsi rendues possibles.
Cet article est conforme à l'esprit du texte. Il prend acte de ce qu'est un écosystème irrégulier, il met un terme à une hypocrisie et assèche les flux.
La suppression de cet article serait en effet insensée car il permet de lutter contre les marchands de sommeil, qui exploitent des personnes en grande précarité.
Je note combien les préjugés du Rassemblement national sont profonds : selon Mme Diaz, ces personnes qui sont aux mains des marchands de sommeil sont par principe des menteuses qui se livreront à des dénonciations calomnieuses ! C'est à rapprocher de l'amendement que vous avez défendu il y a quelques jours pour que les patrons de petites entreprises ne soient pas sanctionnés s'ils embauchent des travailleurs irréguliers. Vous êtes toujours du côté de ceux qui exploitent la misère du monde.
Lorsque j'avais des responsabilités à la tête d'une université, j'ai vu des étudiants vivre à huit dans des studios de 6 mètres carrés, dormant à tour de rôle par tranches de trois ou quatre heures. Nous nous en sommes aperçus lorsque la tuberculose a fait son apparition dans ces lieux insalubres. En situation de pénurie de logements, des propriétaires peu scrupuleux louent de tels logements à des prix exorbitants. Il est donc important de pouvoir les dénoncer, pour des raisons sanitaires aussi bien que de simple dignité humaine. Et je ne crois pas un instant à des dénonciations massives ou abusives, tant la crise du logement est profonde.
Nous ne voterons pas ces amendements.
Les personnes qui résident dans ces logements sont d'abord des victimes, lesquelles, de surcroît, disposent de peu de moyens pour dénoncer leurs conditions de vie. Si elles le font, elles s'exposent à être elles-mêmes dénoncées, puisqu'elles sont en situation irrégulière, et à tomber dans une précarité plus grande encore. Nous ne pouvons pas nous y résoudre.
Nous devons donc les protéger, et bien définir les conditions de cette protection. Nous venons de renforcer les sanctions contre les marchands de sommeil, mais cela ne suffirait pas si nous ne pouvions faire en sorte que des enquêtes et des poursuites soient engagées. Pour ce faire, le parquet a besoin du témoignage des victimes et les faire sortir de leur situation irrégulière libérera leur parole.
J'avais voté contre cet amendement de Mme Buffet sur les épouses de polygames car j'y voyais un aspect d'encouragement.
Le nombre de logements insalubres s'élève à 600 000 selon la Fondation Abbé Pierre et à 2,5 millions selon l'Insee. Imaginez le nombre de titres de séjour susceptibles d'être délivrés, fussent-ils d'un an ! Et au bout d'un an, que ferez-vous de ces personnes ?
Cette marchandisation de la dénonciation peut être dangereuse et donner lieu à de nombreux abus.
Il faut sanctionner plus durement encore les marchands de sommeil. Il faut aussi aider les collectivités à jouer leur rôle, qui est central, dans cette lutte. Il existe un dispositif, le permis de louer, qui est facultatif. De nombreux maires l'utilisent, mais ils font face à d'importantes difficultés financières puisqu'il est entièrement à la charge des collectivités. Les maires doivent avoir plus de moyens afin que ces permis puissent être généralisés. Il faut aussi que les sanctions, ensuite, soient appliquées.
L'amendement de Mme Genevard me gêne profondément parce qu'il place sur le même plan la personne vulnérable en situation irrégulière et les filières organisées de marchands de sommeil. Une personne en situation irrégulière ne peut pas porter plainte. Voter cet amendement permettrait aux filières de marchands de sommeil de continuer à prospérer tranquillement.
Ce n'est pas seulement l'insalubrité des logements qui est en cause. Cet article précis et exigeant vise des « conditions d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine » et impose le dépôt d'une plainte.
L'amendement de Mme Buffet n'a pas constitué le moindre encouragement à quoi que ce soit, puisque seulement 300 titres de séjour ont été accordés à ce titre.
Hier, le Rassemblement national s'est opposé à toute pénalisation des employeurs voyous faisant travailler des personnes en situation irrégulière. Vous vouliez même créer une dérogation pour ceux qui le font dans les entreprises de moins de onze salariés. Et aujourd'hui, vous vous opposez à une disposition pénalisant un hébergeur, un propriétaire, un bailleur qui profiteraient du trafic d'êtres humains ! On ne peut pas vous reprocher de manquer de cohérence, vous êtes contre tous les outils permettant de lutter contre cet écosystème irrégulier.
Le nombre de logements insalubres n'est pas un argument, madame Genevard, ce n'est pas cela que vise l'article. Il dispose que « L'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre des faits constitutifs de l'infraction de soumission à des conditions d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine, mentionnée à l'article 225-14 du code pénal, se voit délivrer une carte de séjour temporaire ». Cet article du code pénal concerne quant à lui « Le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur, à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine ». La question de l'insalubrité est certes essentielle, elle permet de sanctionner des propriétaires qui ne font pas les travaux nécessaires, mais en l'espèce nous parlons d'atteinte à la dignité humaine.
Je ne sais pas exactement quel est le nombre de logements concernés mais il ne s'élève certainement pas à 2,5 millions : il faut que la personne soit en situation irrégulière, qu'elle occupe un logement non déclaré, que les conditions d'hébergement soient incompatibles avec la dignité humaine et que le loueur connaisse la vulnérabilité ou l'état de dépendance de la personne. Vous avez commencé à 600 000 logements, vous comptez maintenant en millions… L'inflation frappe aussi dans ce domaine !
Le problème, ce ne sont pas les personnes mais les filières d'immigration irrégulières. Madame Genevard, ne pas voter cet amendement, c'est empêcher que l'on mette au jour les filières d'immigration illégales !
Les membres du Rassemblement national, quant à eux, n'ont manifestement pas envie de lutter contre les flux d'immigration irrégulière organisés par les passeurs et les gens qui profitent pécuniairement de la situation. Le rapporteur général a justement souligné la cohérence entre leur défense des patrons qui embauchent des personnes en situation irrégulière et leur refus de s'en prendre à ceux qui louent des logements indignes à des personnes vulnérables. Voilà un faisceau d'indices qui les met du côté des passeurs et des irréguliers. On en vient à se demander s'ils ne sont pas contents qu'il y ait des irréguliers pour pouvoir les dénoncer ! Tout cela est assez incompréhensible.
Les arguments de Mme Genevard sont bien différents : elle craint que cette disposition ne pousse beaucoup de gens à déposer plainte pour obtenir un titre de séjour. Je crois pouvoir la rassurer. D'abord, déposer plainte n'est pas si simple, surtout pour des personnes en situation irrégulière, et est porteur de conséquences. Ensuite, la dernière phrase de l'article précise que la carte « est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. » Si la personne a menti, ce sera un fait aggravant pour ne pas la régulariser.
Les faits ont montré que l'amendement de Mme Buffet n'avait pas eu les conséquences redoutées. De mémoire, je crois que moins de 400 personnes ont bénéficié d'une carte de séjour pour avoir dénoncé des faits de polygamie et de violences intrafamiliales. À ce jour, quelque 500 procédures sont en cours et j'ai déchu y compris de leur carte de résident des personnes coupables de polygamie, grâce à la dénonciation de ces femmes. Objectivement, je pense que cet article va vraiment nous aider à lutter contre les flux irréguliers.
La commission rejette les amendements.
Amendements CL1642 de M. Sacha Houlié et CL1709 de M. Ludovic Mendes (discussion commune)
Je propose une rédaction plus englobante du dispositif imaginé par Ian Brossat. Il s'agit d'étendre les dispositions de l'article L. 425-1 du Ceseda, relatif à la traite des êtres humains et au proxénétisme, aux cas de soumission de personnes vulnérables à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine. La carte de séjour temporaire serait délivrée dès le dépôt de la plainte ou le témoignage dans une procédure pénale, comme c'est déjà prévu, mais aussi dès la saisine de l'inspection du travail. Cette logique est à l'exact inverse de celle du Rassemblement national, qui entendait couvrir les faits de traite humaine par des employeurs voyous.
Je précise qu'en modifiant l'article L. 425-1 plutôt qu'en en créant un nouveau, nous rendons applicables les autres dispositions en vigueur, parmi lesquelles la délivrance d'une carte de résident si la personne accusée est définitivement condamnée. Je retire mon amendement au profit de celui du président, qui me semble mieux rédigé.
Monsieur le ministre, vous reprochez à Mme Genevard une tendance inflationniste dans ses chiffres, mais c'est bien vous qui avez déclaré, en novembre 2021, qu'il y avait 600 000 ou 700 000 clandestins en France, puis en novembre 2023 qu'ils seraient 600 à 900 000 !
Ce qui nous gêne dans cette disposition, c'est qu'il suffira de déposer plainte pour se voir délivrer automatiquement une carte de séjour « vie privée et familiale » d'un an, même si la plainte est parfaitement infondée. Nous craignons des dépôts de plainte abusifs. Nous sommes contre cet article, dans sa version initiale comme dans cette nouvelle rédaction.
J'ai rédigé un rapport sur l'habitat indigne en 2019. C'est la fondation Abbé Pierre qui estime à 600 000 le nombre de logements insalubres. La délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement en dénombre plutôt 400 000, dont la moitié sont occupés par leur propriétaire et ne sont donc pas concernés par cette disposition.
Ce sont les mêmes filières qui font venir les gens de façon clandestine et qui les logent de manière indigne. Pour combattre les logements insalubres, il faut combattre les filières qui vont avec : c'est l'objet de cet article.
L'amendement CL1709 est retiré.
La commission adopte l'amendement CL1642 et l'article 15 bis est ainsi rédigé.
En conséquence, les autres amendements sur l'article tombent, de même que les amendements CL797 de Mme Eva Sas et CL1392 de Mme Sabrina Sebaihi, après l'article 15 bis.
Après l'article 15 bis
Amendements identiques CL904 de M. Boris Vallaud et CL505 de M. Julien Bayou
Cet amendement, suggéré par France terre d'asile, vise à reconnaître un droit au séjour aux victimes de conditions de travail indignes, de travail forcé ou de réduction en servitude ayant déposé plainte.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL1322 de M. Mathieu Lefèvre
Cet amendement vise à permettre la délivrance d'une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » d'une durée d'un an à un étranger déposant plainte ou témoignant contre un passeur dans une procédure pénale, sous réserve qu'il ait rompu tout lien avec cette personne. L'objectif est de faciliter la dénonciation des réseaux de passeurs.
Cet amendement est cohérent avec ceux que nous venons de voter et il est bienvenu sur le principe, mais sa rédaction me semble poser deux problèmes. D'une part, il ne donne pas les mêmes suites à la procédure, à savoir l'obtention d'un titre de séjour s'il y a condamnation pénale. D'autre part, le champ retenu me semble très large, puisqu'il y a plus de 2 000 victimes d'aide au séjour irrégulier chaque année. Je vous invite donc à le retirer et à le retravailler en vue de la séance.
L'amendement est retiré.
Amendement CL647 de Mme Andrée Taurinya
Nous souhaitons réaffirmer que l'accès au titre de séjour de protection pour les personnes victimes des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme doit être automatique, et non soumis à la condition de rupture avec la personne qui commet ces actes.
La notion d'emprise doit être rappelée ; elle engendre des mécanismes psychologiques qui peuvent empêcher la personne de couper avec l'environnement toxique et illégal dans lequel elle évolue. L'emprise peut s'exercer dans le cadre de la sphère privée et intime, mais également dans un cadre professionnel ou pseudo-professionnel.
Suivant l'avis de M. Ludovic Mendes, rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Amendements identiques CL1710 de M. Ludovic Mendes, CL862 de M. Boris Vallaud et CL1115 de Mme Sandrine Rousseau
Il s'agit de mieux protéger les étrangers victimes de traite des êtres humains ou de proxénétisme qui se sont engagés dans un parcours de sortie de la prostitution – défini par la loi de 2016. Actuellement, ces étrangers, essentiellement des femmes, peuvent se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour d'une durée minimale de six mois ; je propose de la porter à un an et de mieux les accompagner.
Il est très difficile de sortir de ces réseaux de proxénétisme, surtout quand ils sont organisés par les familles, comme c'est souvent le cas des filières nigérianes. Il faut du temps aux victimes pour se reconstruire et pour entamer un parcours adapté. Il en faut pour dénoncer son oncle ou sa tante, son cousin ou sa cousine devant un tribunal. C'est pourquoi je propose d'aller plus loin que ce que prévoit la loi de 2016.
Il faut effectivement porter à un an la durée du titre de séjour délivré aux personnes qui sont engagées dans un parcours de sortie de la prostitution. Quand on a vécu un parcours de migration et des expériences de prostitution particulièrement traumatisantes, sous la coupe d'un proxénète, il faut du temps pour se reconstruire et pour déposer plainte.
Monsieur le rapporteur, vous ne m'avez pas expliqué pourquoi vous étiez défavorable à mon amendement CL647. Insérer le mot « automatiquement » coûterait-il plus cher ?
La commission adopte les amendements.
Amendement CL759 de Mme Danièle Obono
Nous demandons que soit reconnue la qualité de victime au travailleur dont il est constaté qu'il exerce de façon dissimulée son emploi par la volonté de son employeur, et qu'il obtienne une régularisation de plein droit.
Cet amendement s'inscrit dans la logique des articles L. 425-1 et suivants du Ceseda, qui reconnaissent le statut de victime et accordent une régularisation aux personnes victimes de traite des êtres humains et de proxénétisme.
Votre amendement est satisfait par l'article 8 et le sera aussi si l'amendement CL1564, que j'avais déposé après l'article 8 et qui sera retravaillé en vue de la séance, est adopté. Je rappelle que le travail dissimulé est un délit et que si l'employeur qui s'en rend coupable est étranger, il perdra lui-même son titre de séjour. Nous disposons de tous les outils nécessaires, dans ce texte et ailleurs, pour répondre à votre préoccupation. Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL641 de Mme Danièle Obono
Nous proposons que la délivrance d'un titre de séjour de protection soit automatique pour les personnes victimes de violences conjugales dont l'auteur est définitivement condamné. C'est une demande formulée par les associations d'aide aux femmes précaires et immigrées.
Avis défavorable. Le caractère automatique de la délivrance d'un titre est en totale contradiction avec l'examen que chaque situation requiert. Comme pour les victimes de proxénétisme ou de traite des êtres humains, la délivrance d'une carte de résident s'agissant des victimes de violences conjugales ne doit pas être automatique.
La commission rejette l'amendement.
Article 16 (art. L. 821-6 et L. 821-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Extension de l'obligation de contrôle documentaire des transporteurs à l'autorisation de voyage prévue par le règlement européen 2018/1240
Amendement de suppression CL966 de Mme Élisa Martin
Nous souhaitons supprimer l'article 16, qui étend l'obligation de contrôle documentaire des transporteurs.
Cet article dispose que les compagnies de transport de voyageurs interrogent le nouveau système informatique d'entrée/de sortie (EES) institué par la Commission européenne aux frontières de l'Union ainsi que le système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (Etias), tous deux étant censés entrer en vigueur d'ici à la fin de l'année. Cela implique qu'en plus du document de voyage et du visa si la nationalité l'exige, l'entreprise de transport devra contrôler l'autorisation de voyage Etias des passagers ressortissants de pays tiers non soumis à visa.
Ce projet dit e-Borders a suscité dès sa conception la méfiance des observateurs indépendants, tant il semble avoir résulté d'une intense campagne de lobbying des sociétés privées de contrôle des populations, Thalès en tête, sans réelle plus-value en matière de sécurité.
Suivant l'avis de M. Ludovic Mendes, rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Elle adopte l'article 16 non modifié.
Article 16 bis A (nouveau) (art. L. 232-1, L. 232-4, L. 232-5, L. 232-7 et L. 232-7-1 du code de la sécurité intérieure) : Inclusion des données relatives aux équipages dans le champ de collecte des données de voyage
Amendements de suppression CL56 de M. Benjamin Lucas et CL967 de Mme Danièle Obono
Cet article vise à durcir encore le texte et à rendre l'immigration plus difficile en étendant le traitement de données de l'Agence nationale des données de voyage. À l'encontre d'une logique d'intégration, cet article témoigne d'une attitude purement répressive à l'égard des primo-arrivants.
Monsieur le rapporteur, nous aimerions que vous justifiiez vos avis défavorables, surtout lorsqu'on aborde, comme c'est le cas ici, de nouveaux sujets.
Avis défavorable. C'est mon droit que de ne pas répondre précisément sur chaque amendement quand j'ai déjà exprimé ma position de manière globale sur un sujet donné, d'autant que nous avons un peu toujours les mêmes débats.
Cet article, ajouté par le Sénat mais qui figurait dans la première version du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur de mars 2022, nous paraît tout à fait cohérent et adapté.
La commission rejette les amendements.
Elle adopte l'article 16 bis A non modifié.
Après l'article 16 bis A
La commission adopte l'amendement rédactionnel CL1711 de M. Ludovic Mendes, rapporteur.
Article 16 bis (nouveau) (art. L. 332-2, L. 333-2, L. 352-3 et L. 361-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Suppression du jour franc avant d'être réacheminé en cas de refus d'entrée sur le territoire
Amendements de suppression CL936 de M. Boris Vallaud et CL1033 de M. Benjamin Lucas
Cet article supprime le jour franc avant l'expiration duquel un étranger ne peut être réacheminé, s'il en fait la demande, en cas de refus d'entrée sur le territoire. Nous demandons sa suppression.
Ce jour franc est essentiel. Il permet notamment aux étrangers de contacter des associations qui peuvent les aider à faire valoir leurs droits. Cet article est une entrave au droit d'asile.
J'ai pu constater, en tant que rapporteur de la mission flash sur le bilan de la zone d'attente temporaire installée sur la presqu'île de Giens, que l'utilité du jour franc n'était pas évidente. Je rappelle que cette zone a accueilli de manière exceptionnelle, en novembre 2022, les migrants du navire Ocean Viking affrété par l'association civile européenne de sauvetage en mer SOS Méditerranée.
Ce jour franc conduit à ce que l'étranger soit placé en zone d'attente même quand une solution de réacheminement immédiate existe, ou même quand il y aurait d'autres solutions, ce qui en réalité peut le mettre en difficulté. Du reste, supprimer le jour franc ne ferait nullement obstacle à ce que l'étranger exprime sa volonté de demander l'asile à la frontière, ce qui suspendrait le réacheminement.
La suppression du jour franc ne changera donc rien aux droits des étrangers et elle permettra de mieux les accompagner à leur arrivée sur notre territoire. Avis défavorable.
La commission rejette les amendements.
Elle adopte l'article 16 bis non modifié.
Article 17 (art. L. 812-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Permettre l'inspection visuelle des véhicules particuliers par les officiers de police judiciaire en zone frontalière
Amendements de suppression CL282 de M. Benjamin Lucas et CL968 de M. Andy Kerbrat
Nous voulons supprimer les dispositions liberticides prévues à l'article 17, qui ajoute une pierre de plus à l'édifice de la criminalisation des associations d'aide aux personnes migrantes.
Pour mémoire, le Conseil constitutionnel, dans ses décisions du 12 janvier 1977 et du 18 janvier 1995, a rappelé que la possibilité de procéder à la fouille de véhicules devait être entourée de garanties effectives, faute de quoi il serait porté atteinte à la liberté individuelle.
Par ailleurs, de nombreuses associations témoignent d'un harcèlement incessant de la part des autorités dans la perspective de les dissuader de porter assistance aux étrangers dans le besoin.
Vous voulez autoriser les douaniers à inspecter les voitures particulières susceptibles de transporter des migrants en zone frontalière, alors que ce n'est pas autorisé à ce jour. Cet article prouve une nouvelle fois que vous voulez faire des lois spéciales qui ne s'appliquent qu'aux étrangers et qui dérogent au droit commun.
Le code douanier a été modifié cet été à l'unanimité ; il permet désormais aux douaniers d'inspecter des véhicules légers, contenant jusqu'à neuf places.
La police peut contrôler les camions et les véhicules de tourisme. Comme les passeurs le savent, ils transportent désormais les migrants dans des véhicules légers. Supprimer cet article ne serait pas une bonne chose : cela retirerait à la police des moyens de lutter contre les filières de passeurs. Ce que nous voulons, c'est à la fois protéger les étrangers et lutter contre les passeurs. Les policiers pourront désormais, comme les douaniers, réaliser une visite sommaire pour s'assurer que le véhicule ne transporte pas de personne en situation irrégulière.
Comme sur l'article 14, on constate que nos collègues sont complètement déconnectés de la réalité et qu'ils n'ont aucune idée de ce que sont le crime organisé et ses réseaux. Cet article ne s'attaque pas aux personnes qui essaient d'entrer sur notre territoire de façon irrégulière, dont la situation est souvent dramatique, mais aux réseaux de passeurs. Ces derniers utilisent des véhicules légers parce qu'ils savent qu'ils ne seront pas contrôlés : à nous d'adapter la loi.
Cet article est très important pour mon territoire. Les migrants qui sont amenés par les passeurs pour tenter de traverser la Manche et la mer du Nord pendant la nuit ne sont pas ceux qui stagnent dans le Calaisis. Ils sont amenés depuis la Belgique, voire les Pays-Bas, quelques heures, voire quelques minutes avant d'embarquer sur un small boat et d'aller à la mort. Avec cet amendement de suppression, vous faites en sorte que le business des passeurs puisse continuer.
Il est essentiel que les forces de l'ordre puissent contrôler les véhicules pour sauver des vies. Monsieur le ministre, serait-il envisageable d'étendre cette disposition aux zones littorales ?
Il importerait de faire une distinction entre les missions de la police aux frontières et celles de la douane. Les douaniers nous ont dit clairement qu'ils étaient opposés à se voir assigner une mission de police.
Nous ne sommes pas du tout favorables à la suppression de cet article car nous faisons confiance aux forces de l'ordre, qui font un travail remarquable dans des conditions très difficiles, au même titre que les douaniers. Les uns et les autres ont vocation à protéger les Français. Nous sommes particulièrement gênés par les relents antiflics de l'amendement de M. Lucas, selon lequel les associations feraient l'objet d'un « harcèlement incessant » des forces de police. Une fois encore, c'est une façon de victimiser les associations immigrationnistes en criant à la criminalisation de leur action.
Cet article est très important pour lutter contre l'immigration irrégulière et les passeurs. Pour contourner les contrôles des policiers, des gendarmes, et même des douaniers – j'y reviendrai – les passeurs ont changé de stratégie : ils n'utilisent plus désormais des camions, mais des véhicules plus petits, de moins de neuf places, pour transporter des migrants. Ce que vous avez décrit est tout à fait exact, monsieur Dumont : dans le Nord, où il n'y a ni les Alpes, ni les Pyrénées à franchir, une partie des migrants passe la frontière quelques minutes seulement avant de s'embarquer sur des bateaux.
Cet article doit nous permettre de nous adapter à cette nouvelle stratégie en autorisant les policiers à contrôler les véhicules légers pour vérifier si des étrangers essaient d'entrer illégalement en France.
La mission des douaniers n'est pas de lutter contre l'immigration irrégulière, mais de contrôler les marchandises. Bien sûr, lorsqu'ils constatent une tentative d'immigration irrégulière et qu'ils trouvent des personnes dans un camion, ils les en font descendre. Les policiers, eux, ont vocation à contrôler les personnes. Or ils n'ont pas les moyens juridiques, en France, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays européens, de procéder à ce contrôle. C'est pourquoi cet article 17 est très important.
Monsieur Dumont, il serait sans doute abusif d'étendre cette disposition à l'ensemble du littoral français : la façade atlantique, par exemple, n'est pas vraiment concernée. En revanche, il faut voir s'il serait possible qu'elle s'applique sur la bande littorale qui va, grosso modo, de Dunkerque aux îles anglo-normandes, ou sur la bande littorale de Mayotte. Si cela semble envisageable, on pourrait créer un nouvel article, avant ou après l'article 17 : je suis prêt à y travailler d'ici la séance.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL1712 de M. Ludovic Mendes
Je propose de supprimer les alinéas 3 et 4 de cet article, qui disposent que la visite sommaire d'une voiture particulière est possible lorsqu'il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que celle-ci transporte une personne ayant commis ou tenté de commettre une infraction relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France. Exiger des « raisons plausibles » risque de limiter considérablement l'effet de cette mesure. Cela conduirait aussi à basculer du champ administratif au champ judiciaire et aboutirait à des miroitements avec les dispositions du code de procédure pénale en matière de vérifications et de contrôles.
La commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'amendement CL1032 de M. Benjamin Lucas tombe.
Amendement CL1226 de Mme Estelle Youssouffa
Cet amendement vise à autoriser les inspections de véhicules maritimes au même titre que de véhicules terrestres. À Mayotte aussi, les réseaux de traite d'êtres humains s'adaptent constamment pour échapper aux contrôles de la gendarmerie et inventent de nouvelles méthodes. Désormais, ce sont les plaisanciers qui font passer les migrants.
Je suis plutôt séduit par votre proposition, mais je vous invite à retirer votre amendement pour le retravailler en vue de la séance. En effet, vous y reprenez l'expression de « raisons plausibles », que nous venons de supprimer. Vous ne prévoyez pas non plus le cadre procédural minimal.
Cette proposition est excellente. De nombreux voiliers arrivent à Mayotte en provenance de Madagascar, notamment de Nosy Be. Des Français sont à bord, qui transportent des jeunes filles qui sont destinées à la prostitution. Cela a causé des troubles à l'ordre public à Mramadoudou il y a quelques jours. Il est essentiel de lutter contre ce fléau. Ce sont des Français qui ont pignon sur rue, des gens comme vous et moi qui tiennent ces réseaux et s'enrichissent sur le dos ces pauvres filles.
L'amendement est retiré.
Amendement CL258 de M. Yoann Gillet
En 2022, près de quatre-vingts migrants ont été interpellés par la police nationale à Mulhouse dans un train en provenance de Bâle. Avec l'ouverture totale des frontières, le train est devenu un moyen de circulation prisé des migrants pour se rendre en France. Si les officiers de police judiciaire (OPJ) de la police nationale ou de la gendarmerie peuvent procéder à des vérifications d'identité, rien n'est prévu pour les agents de la sécurité ferroviaire. Or, du fait de leurs nombreuses autres missions mais aussi du manque d'effectifs, les forces de l'ordre traditionnelles ne sont pas en mesure d'assurer la sécurité dans les transports ferroviaires – en 2021, 5 330 actes de violence verbale ou physique, soit 14 actes par jour, ont été commis contre les agents de la SNCF. Les agents de la sûreté ferroviaire de la SNCF (Suge) sont des acteurs essentiels de la sécurité dans les gares ; ils doivent avoir les capacités juridiques de procéder à ces contrôles. C'est ce que propose cet amendement.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Elle adopte l'article 17 modifié.
Article 18 (art. L. 612-6, L. 612-7 et L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Encadrer le refus de visa aux étrangers ayant fait l'objet d'une OQTF au cours d'un séjour antérieur sur le territoire français
Amendements de suppression CL285 de M. Benjamin Lucas, CL937 de M. Boris Vallaud et CL969 de Mme Andrée Taurinya
Une collègue du Rassemblement national a dénoncé un prétendu discours anti-flic de ma part et de celle de certains de mes collègues. Quand je dénonce du harcèlement organisé, je fais référence à des consignes qui obligent nos forces de police à accomplir des tâches inutiles, alors qu'elles seraient plus utiles ailleurs. Les agents de police sont également victimes de ces consignes de harcèlement permanent.
En déplacement à Briançon, il y a quelques semaines, j'ai rencontré un escadron de gendarmerie de Toulouse qu'on avait envoyé faire la course à des exilés dans des montagnes gelées dans le but d'arrêter des personnes qui, de toute façon, reviendront – on ne fait pas demi-tour si facilement quand on a traversé la moitié du globe pour venir ici. Cette absurdité pose un problème même à nos forces de l'ordre.
Vous créez un motif de refus de visa pour les étrangers qui se sont vu délivrer une OQTF depuis moins de cinq ans et qui ne peuvent démontrer qu'ils ont quitté le territoire dans les délais impartis. La mesure nous paraît disproportionnée dans la mesure où elle est automatique et concernera des personnes dont le retard d'exécution n'est que très faible et motivé par de justes raisons. C'est pourquoi nous proposons la suppression de cet article.
Nous nous opposons à l'extension de la durée maximale pendant laquelle l'interdiction du retour sur le territoire produirait des effets. Le Sénat a proposé de la passer de trois ans initialement à cinq, et même exceptionnellement à dix. Nous voyons ici encore comment le ministère de l'intérieur instrumentalise le critère de la menace à l'ordre public et l'érige en doctrine du Gouvernement.
Nous rappelons aussi que les mesures d'éloignement doivent être entérinées par l'autorité administrative et tenir compte de la durée de la présence de l'étranger sur le territoire ainsi que de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France. On en revient en quelque sorte à l'individualisation de la peine. Notre vision de la justice est donc à l'opposé de celle du ministre.
L'avis du Conseil d'État est très net : l'article 18 ne pose aucune difficulté. Celui-ci ne porte que sur l'augmentation de la durée maximale de l'interdiction de retour, et non sur les motifs justifiant une telle décision.
L'objectif de ce projet de loi est de rendre aux décisions d'OQTF leur pleine effectivité. Permettre à un étranger visé par une OQTF d'obtenir un visa seulement trois ans après son expulsion va à l'encontre de cet objectif qui est, par ailleurs, au cœur de la démarche de simplification prévue à l'article 21.
L'article 18 est équilibré : d'un côté, il favorise la lutte contre l'immigration illégale en assurant une meilleure effectivité des décisions d'OQTF et, de l'autre, il garantit une certaine équité en empêchant qu'une OQTF interdise définitivement à un étranger d'obtenir un visa pour la France. Porter la durée maximale d'interdiction de retour à cinq ans s'inscrit parfaitement dans cet équilibre. C'est pourquoi le groupe Renaissance votera contre les amendements de suppression.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL1521 de Mme Annie Genevard
Nous proposons de supprimer tout délai maximum d'une interdiction de retour sur le territoire français, principalement concernant les personnes qui représenteraient une menace grave pour l'ordre public.
Supprimer toute limite maximale à l'interdiction de retour est contraire au droit européen. Avis défavorable.
Parmi cette litanie de propositions visant à s'affranchir du droit européen, on peut en comprendre certaines, mais c'est plus compliqué quand il s'agit de la Cour européenne des droits de l'homme.
Un autre élément retient notre attention : vous visez particulièrement les Algériens. Si nos liens avec ce peuple frère ont été très abîmés, je crains que cela ne soit le fait de la France. Votre volonté de présenter les Algériens comme une menace grave n'améliorera pas nos relations avec eux.
J'entends l'argument du rapporteur sur l'inconstitutionnalité de la mesure : c'est une façon de vous dire que, pour être efficace, il faut précisément réformer la Constitution.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL1713 de M. Ludovic Mendes
Il s'agit de réécrire la fin de l'article 18 en y intégrant l'article 10 bis que nous avons supprimé un peu plus tôt à l'initiative du rapporteur Pradal. Cette disposition entend fixer à dix ans la durée maximale de l'interdiction de retour en cas de menace grave pour l'ordre public, comme le permet la directive « retour », avec un mécanisme de réexamen périodique, sur le modèle de ce qui existe en matière d'expulsion. Cela permettra de vérifier l'adéquation de la mesure à l'évaluation de la menace et de la situation personnelle de l'étranger.
Sauf erreur de ma part, l'avis du Conseil d'État est de ne pas retenir cette disposition parce que l'autorité consulaire peut déjà s'enquérir des conditions d'exécution d'une OQTF et en tenir compte pour accueillir ou rejeter une demande. Cette modification de l'article 18 risquerait de fragiliser le pouvoir discrétionnaire de l'autorité consulaire et d'entraîner de nouveaux contentieux. J'aimerais quelques explications sur ce point.
Pensez-vous vraiment que c'est de cette manière que l'on protégera le pays et que l'on dissuadera une personne qui a décidé de s'exiler de venir en France ? Ce que révèle, article après article, amendement après amendement, ce débat, c'est que nous sommes hors sujet. Pour bien le traiter, il faut l'aborder par l'accueil et par les raisons qui poussent les personnes à s'exiler – tout en rappelant que ce ne sont pas les pays du Nord qui reçoivent le plus de migrants.
Madame Dupont, vous parlez de l'article 18 initial, qui a été totalement réécrit. En l'état, il répond à vos attentes.
La commission adopte l'amendement.
Amendement C973 de M. Thomas Portes
Mon amendement vise à imposer au préfet de motiver la durée d'interdiction de retour sur le territoire français et de tenir compte de la situation personnelle de l'intéressé.
Je saisis l'occasion pour répondre aux députés du Rassemblement national qui ont demandé que les cheminots pratiquent un contrôle dans les trains : dès 2017, les cheminots se sont opposés aux consignes de la direction allant en ce sens, considérant que leur mission de service public n'impliquait pas de pratiquer la délation ni de se livrer à la chasse aux migrants.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte l'article 18 modifié.
Après l'article 18
Amendement CL1522 de Mme Annie Genevard et amendements identiques CL253 de M. Yoann Gillet et CL1318 de M. Mathieu Lefèvre (discussion commune)
Nous proposons que le délai de départ volontaire à compter de la notification d'une OQTF soit réduit à sept jours.
Notre pays compte plus de 700 000 personnes en situation irrégulière, et même plus de 1 million selon certaines études. Le taux d'exécution des OQTF est mauvais : 6,9 % seulement cette année, ce qui est proche du néant et fait de la France l'un des plus mauvais élèves d'Europe. Alors que les violences, les crimes et les délits commis par des étrangers explosent, un message clair et presque incitatif leur est ainsi envoyé : mettez un pied en France et vous aurez la quasi-certitude de pouvoir vous y installer définitivement. Trois mois après son départ de la préfecture de police de Paris, Didier Lallement dresse un constat sans appel : à Paris, un délit sur deux est commis par un étranger, souvent en situation irrégulière. Le lien entre immigration et insécurité ne peut plus être ignoré.
L'administration peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire, les OQTF devenant alors immédiatement exécutoires. Ce n'est pas en réduisant de moitié le délai que celles-ci seront davantage appliquées. Le 21 novembre dernier, le ministre Gérald Darmanin a expliqué devant nous les raisons de ce faible – en apparence – taux de retour, démontrant clairement que ce n'était pas un problème de délai. De plus, une telle disposition ferait courir un risque de perturbation des délais de recours. Avis totalement défavorable.
En 2023, la part des étrangers mis en cause par la préfecture de police s'élève à 37 % : la délinquance étrangère à Paris a reculé de quatre points en un an, et de treize points depuis 2020. Qu'ils soient en situation régulière ou irrégulière, les étrangers participent donc pour un gros tiers à la délinquance à Paris et en petite couronne, laquelle représente elle-même 60 % de la délinquance générale. Plutôt que de nous lire votre note, qui a dû être rédigée en 2020, vous pourriez féliciter le Gouvernement, monsieur Gillet, pour cette baisse de treize points de la délinquance étrangère.
Je n'ai pas très bien compris d'où sortait votre chiffre de 1 million : quelle est votre source ? Chaque année, 110 000 à 120 000 mesures administratives sont prononcées, qui ne sont pas toutes des OQTF – il y a par exemple des interdictions de retour sur le territoire français (IRTF). Vous déplorez que 7 % seulement des OQTF soient exécutées, mettant dans le même panier les départs volontaires et forcés. Or les chiffres que nous fournissons à l'Assemblée nationale et au Sénat ne concernent que les départs forcés. Si vous additionnez tous les départs de l'espace Schengen – puisqu'ils ne sont pas comptabilisés à l'intérieur de cette zone –, cela représente 18 % à 20 % selon les années. Ce n'est pas beaucoup mais c'est le taux le plus important de l'Union européenne. Avec 20 000 reconduites à la frontière par an, nous faisons mieux que la Grande-Bretagne qui, lorsqu'elle était membre de l'Union européenne, en faisait 4 000 par an, et mieux que l'Italie de Mme Meloni, qui en fait beaucoup moins. En dépit des difficultés, et elles sont nombreuses, la France demeure donc le premier pays en la matière.
Enfin, vous faites semblant de croire que je pourrais exécuter toutes les OQTF. C'est totalement faux : plus de 60 % d'entre elles font l'objet d'un recours, lequel est suspensif. Ce n'est pas le délai d'exécution des OQTF qui doit être réduit, mais celui des recours – ce sera l'objet des prochains articles du présent texte –, car la procédure dure une à deux années. Les chiffres que vous avez indiqués sont donc totalement faux.
Nous sommes tous d'accord que des efforts sont nécessaires, et le présent texte est la démonstration que le Gouvernement en a pris conscience. Pour votre part, vous dites des inepties, des contre-vérités, sans jamais citer vos sources ; c'est bien dommage parce que le débat était intéressant.
Vous avez beau le nier, la surreprésentation des étrangers dans les violences, dans la délinquance et dans nos prisons est une réalité. Vous ne ferez pas croire le contraire aux Français. Nous attendrons les chiffres définitifs avant de nous réjouir d'une éventuelle amélioration ces derniers mois, car nous connaissons votre propension à la manipulation.
S'agissant des OQTF, vous êtes bien gentil de dire que ce sont les recours qui vous empêchent d'en faire davantage, mais vos prédécesseurs faisaient largement mieux que vous, alors que la législation n'a pas évolué en la matière. Il ne faut pas raconter tout et n'importe quoi. Vous nous accusiez un peu plus tôt de miser sur les problèmes pour gagner les élections : si c'est le cas, croyez bien que la nullité de votre bilan nous permettra de l'emporter en 2027 !
Je suis choquée par la faiblesse des interventions des députés du Rassemblement national.
L'amendement de Mme Genevard coche toutes les cases d'un message politique qui ne trompe personne : stigmatisation des Algériens, OQTF, rétention, tous les termes visent à démontrer la fermeté des Républicains, qui ne sont pas au pouvoir. Délivrer des milliers d'OQTF, réduire les délais à sept jours – pourquoi pas trois jours ou vingt-quatre heures ? –, tout cela ne changera absolument rien au problème de l'exécution des OQTF ni à l'arrivée massive de migrants climatiques ou fuyant la pauvreté.
Monsieur le président, j'aimerais vous dire que nous sommes tous fatigués. Ce sujet, très grave, suscite chez nombre d'entre nous beaucoup d'émotions parce qu'il affecte de nombreuses personnes, que certains d'entre nous accompagnent dans leur circonscription – c'est mon cas. Nous sommes donc un peu à fleur de peau et je souhaite que vous en teniez compte dans l'organisation des débats.
L'amendement de nos collègues Républicains nous sidère par la phrase finale de son exposé sommaire, imprimée en gras : « Cette disposition est applicable aux ressortissants algériens. » En stigmatisant ainsi un pays, c'est vraiment le racisme qui s'exprime. C'est tellement grave que je vais publier cet amendement et le distribuer dans ma circonscription pour que les gens comprennent à quel point on a passé un cap dans le racisme. J'ai une pensée pour toutes les personnes issues de la communauté algérienne.
La commission rejette successivement les amendements.
Article 18 bis (nouveau) (art. L. 312-1 A [nouveau] du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Refus de délivrance d'un visa à l'étranger ne pouvant justifier du respect des modalités d'exécution d'une OQTF prononcée depuis moins de cinq ans
Amendements de suppression CL57 de M. Benjamin Lucas, CL938 de M. Boris Vallaud, CL974 de Mme Élisa Martin, CL1204 de M. Davy Rimane et CL1364 de Mme Mathilde Desjonquères
Je souhaite livrer à notre sagacité collective cette réflexion qui m'est venue en entendant le collègue du Rassemblement national affirmer qu'il y avait trop d'OQTF non exécutées : c'est peut-être tout simplement qu'on en délivre trop ! Cela démontre l'absurdité de la politique brutale et répressive de notre pays. Il faut être réaliste et pragmatique.
Je suis, moi aussi, particulièrement choqué que l'on stigmatise ainsi les Algériens et les Franco-Algériens qui vivent en France. Le débat politique, madame Genevard, n'autorise pas tout et mérite de la décence. Je regrette que les Républicains aient perdu leur boussole républicaine.
Parce qu'une personne n'a pas quitté le territoire français, elle ne pourra pas y revenir pendant un certain nombre d'années : je voulais appeler votre attention sur l'absurdité de cette disposition et sur l'engorgement supplémentaire des tribunaux qu'elle ne manquera pas de créer. Tout n'est que tracasserie, dans ce que vous proposez. Nous sommes bien plus réalistes que vous.
Nous proposons la suppression de cet article, car l'autorité consulaire a d'ores et déjà la possibilité de s'enquérir des conditions d'exécution d'une OQTF et d'en tenir compte pour accéder ou non à la demande de visa.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette les amendements.
Elle adopte l'article 18 bis non modifié.
Après l'article 18 bis
Amendement CL975 de Mme Danièle Obono
Certaines dispositions de ce texte relèvent du fichage et de la surveillance des étrangers. C'est la raison pour laquelle nous proposons un moratoire en la matière dans les départements frontaliers.
Par ailleurs, nous ne sommes pas complètement dupes : comme pour l'autorisation de la vidéosurveillance automatisée (VSA) dans la perspective des Jeux olympiques, nous savons que des intérêts financiers et industriels sont derrière tout cela.
Votre amendement vise les départements frontaliers mais quid des aéroports qui n'y sont pas situés, comme ceux de Roissy, Lyon-Saint-Exupéry ou Metz-Nancy-Lorraine ? Avis défavorable.
Un mot d'explication sur la référence à l'Algérie : personne n'ignore ici les relations particulières et exorbitantes du droit commun qui unissent la France et l'Algérie en matière d'accueil des ressortissants algériens. Il ne s'agit pas de stigmatiser mais de reconnaître un état de fait, tout simplement. Plusieurs groupes politiques considèrent qu'il faut revoir l'accord de 1968 ; Édouard Philippe lui-même s'est exprimé sur ce sujet, qui sera l'objet du premier texte de la niche des Républicains. La diabolisation et la stigmatisation de l'opinion d'autrui quand elle n'est pas la vôtre, voilà ce qui est insupportable.
Il n'y a aucune volonté de diaboliser le propos des Républicains. Nous souhaitons simplement souligner le caractère anticonventionnel de la mesure proposée et réagir à la référence très spécifique aux Algériens, qui constitue bien une stigmatisation – votre amendement ne visait pas à réviser l'accord de 1968.
Cela vous étonnera peut-être, madame Genevard, mais je pense, moi aussi, que l'on pourrait rouvrir le débat sur l'accord de 1968. En proposant de le dénoncer, entendez-vous revenir au dispositif qui était en vigueur avant cette date, à savoir la libre circulation entre les deux pays afin de permettre le retour de ceux qui le souhaitent en France ?
La commission rejette l'amendement.
TITRE IV Engager une réforme structurelle du système de l'asile
Article 19 (art. L. 521-6, L. 531-21 et L. 531-32 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Expérimentation de pôles territoriaux « France asile »
Amendements de suppression CL944 de M. Boris Vallaud, CL972 de M. Andy Kerbrat et CL1512 de Mme Annie Genevard
D'une manière générale, nous avons une réflexion critique sur la création des pôles territoriaux France asile. Nous ne sommes évidemment pas opposés à la simplification ni au raccourcissement du parcours administratif des demandeurs d'asile. Toutefois, il peut y avoir une discordance entre le désir d'accélération de la procédure de reconduite de ceux qui ne seraient pas éligibles à l'asile et la nécessité de prendre connaissance de ce qui s'est effectivement passé et d'accompagner les récits de ces populations particulièrement vulnérables.
Certaines questions de fond, structurelles, se posent quant à la création des pôles France asile, dont le détail est mal assuré dans l'étude d'impact, qui ne dit pas grand-chose de cette expérimentation. Le statut de ces pôles, le lien hiérarchique entre leurs agents et ceux de la préfecture dès lors qu'ils seraient dans les mêmes locaux, les missions dévolues aux agents de même que leur statut mériteraient d'être précisés – ainsi, on me fait observer que l'enregistrement du formulaire de demande d'asile ne peut être fait par des agents de catégorie B.
Il nous paraît important de rappeler que le droit d'asile impose à la France de mettre sous protection, d'une façon inconditionnelle, des personnes qui sont en danger dans leur pays. L'évaluation de ce danger passe par le récit, ce qui implique de créer les conditions dans le temps, dans l'espace et dans l'organisation pour recueillir celui-ci. Le raccourcissement du délai ne doit pas être une entrave à la possibilité de connaître ses droits et de bénéficier d'un endroit privilégié où l'on pourra être entendu et déposer son récit. La confusion induite par ces pôles France asile nous inquiète, d'autant que le raccourcissement du délai ne paraît pas être au bénéfice des demandeurs d'asile.
Nous proposons de supprimer l'article 19, car la création des pôles territoriaux France asile peut mettre en difficulté les préfectures.
L'article 19 a pour principal objectif d'améliorer la lisibilité de la procédure de demande d'asile pour les demandeurs eux-mêmes. Un agent de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) sera présent pour les aider à effectuer leur demande ; il sera mieux armé que ne le sont les agents de préfecture, notamment pour aider au choix de la langue dans laquelle se tiendra l'entretien individuel – l'interprétariat pose parfois un problème s'agissant de ressortissants de certaines régions ou de certains pays comme l'Afghanistan ou le Bangladesh.
Par ailleurs, un délai suffisant doit être maintenu entre l'introduction de la demande et l'entretien personnel du demandeur d'asile avec un agent de l'Ofpra. L'entretien en question se fera toujours à Montreuil.
L'Ofpra sera toujours indépendant, l'article L. 121-7 du Ceseda le garantit.
Monsieur Vallaud, un agent de l'Ofpra de catégorie B accompagnera le demandeur. Quelque 150 agents seront recrutés dans les territoires concernés. Ils auront pour tâche d'organiser l'enregistrement de la demande d'asile, assortie d'un récit sommaire.
Avis défavorable.
L'article a pour objet de traiter tout plus vite, alors que l'on parle de personnes dont les demandes doivent être étudiées avec soin. Le dispositif nous apparaît à bien des égards dangereux, notamment parce qu'il remet en cause – nous persistons à le dire – l'indépendance de l'Ofpra vis-à-vis des préfectures. Ces derniers jours, les agents de l'Office ont fait grève pour réclamer la garantie de cette indépendance ; c'est bien que la question se pose. L'indépendance est une condition primordiale pour assurer une bonne instruction, individualisée, des dossiers. Nous soutenons les amendements de suppression de cet article, qui participe à la dégradation des garanties procédurales attachées à la demande d'asile.
La NUPES refuse la création de pôles territoriaux France asile car ils seraient de nature à accélérer la procédure. Elle critique le principe que plus on juge vite, plus on expulse vite. Par cet amendement, elle fait la démonstration de son dégoûtant fonds de commerce, qui consiste à surfer sur la précarité et l'incertitude administrative.
La NUPES a bien compris que, plus longtemps les étrangers en situation irrégulière restent sur notre territoire, plus ils ont de chances de travailler et d'être régularisés. Ils ont plus de chances aussi d'y fonder une famille, ce qui rendra leur expulsion plus difficile. Ils peuvent vous dire merci pour la loi que vous êtes en train de faire passer. En l'absence de volonté du Gouvernement de réduire les filières d'immigration, la NUPES impose aux Français son idéologie, aussi funeste que coûteuse. Ce sera sans nous !
Nous nous opposerons à ces amendements. Aujourd'hui, un demandeur d'asile doit se présenter à une structure d'accueil gérée par des associations avant de faire sa demande auprès d'un guichet unique, à la préfecture ; il se voit ensuite délivrer des conditions matérielles par l'Ofii, après quoi sa demande est examinée par l'Ofpra. La multiplicité des interlocuteurs et des sites porte le délai moyen d'examen des demandes à 122 jours. Avec la création des pôles France asile et le regroupement des acteurs, le Gouvernement, soutenu par la majorité, propose de simplifier les démarches et de raccourcir les délais d'instruction de la demande d'asile, sans que la qualité de celle-ci en soit affectée.
Je peine à comprendre les oppositions qui viennent d'être exprimées. Certes, cette mesure simplifiera la procédure – sachant que le Sénat a veillé à maintenir un délai de vingt et un jours entre l'introduction de la demande d'asile et l'entretien personnel – mais, surtout, contrairement à ce que vous avez dit, elle assurera une très grande protection. Dès l'enregistrement, un agent de l'Ofpra, de catégorie B – et non un agent de la préfecture – s'assurera d'un certain nombre d'éléments fondamentaux, nécessaires à l'élaboration du futur récit détaillé qui sera présenté lors de l'instruction de la demande, en région parisienne. Il vérifiera la situation de vulnérabilité et la langue – il est essentiel de le savoir dès le départ –, et recueillera les premiers éléments du récit sommaire.
Vraiment, on rapproche l'Ofpra du demandeur d'asile à la fois par la simplification, qui fera certes gagner du temps avant les vingt et un jours, mais surtout en plaçant immédiatement un agent de cette institution auprès du demandeur. Celui-ci pourra naturellement, par la suite, compléter son récit sommaire. Lors de l'instruction, il pourra livrer son récit détaillé et ajouter tout élément nouveau, éventuellement grâce à l'accompagnement dont il aura bénéficié.
Je n'ignore pas les craintes des agents de l'Ofpra. Les six sites qui seront choisis pour être pilotes seront des préfectures permettant d'installer immédiatement des locaux indépendants pour l'Office. Dans les autres préfectures, des aménagements capacitaires très importants devront être effectués pour garantir cette indépendance physique.
La commission rejette les amendements.
Suivant l'avis du rapporteur, elle rejette l'amendement CL1507 de Mme Michèle Tabarot.
Amendement CL434 de Mme Edwige Diaz
Si on veut lutter contre l'immigration, il faut commencer par arrêter de créer de nouveaux organismes de recours, car cela conduit à l'explosion du volume du contentieux des étrangers. En 2019, ce dernier représentait 20 % de l'ensemble des affaires enregistrées au Conseil d'État – contre 13 % en 2014 –, plus de 41 % du contentieux total des tribunaux administratifs en 2021 et 54 % de celui des cours administratives d'appel. Devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), on est passé de 29 000 à 59 000 affaires entre 2009 et 2019. Plutôt que de traiter les conséquences de votre politique en multipliant les expérimentations et les recours, concentrez-vous sur les causes du problème, en faisant procéder aux demandes d'asile auprès des autorités consulaires du pays d'origine, comme le demande le Rassemblement national.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Amendements CL1411 de M. Ludovic Mendes et CL1344 de M. Erwan Balanant (discussion commune)
L'amendement CL1411 a pour objet de revenir à la version initiale de l'article 19, qui vise à assurer un déploiement progressif des pôles territoriaux France asile, sans passer par l'expérimentation, les sites pilotes en tenant lieu. La création des trois premiers a été annoncée à Cergy, Toulouse et Metz. L'expérimentation renverrait à un cadre temporaire qui ne garantirait pas le recrutement des agents, leur déploiement sur les territoires et la mise en place des procédures. J'ai été convaincu par les explications des représentants du ministère sur les modalités de déploiement des guichets uniques ainsi que par nos échanges avec le directeur général de l'Ofpra. Une expérimentation de quatre ans ralentirait les choses alors que la réforme vise à faciliter et à accélérer l'introduction de la demande d'asile.
Placer des agents dans les trente-trois guichets uniques de demande d'asile (Guda), au plus près des territoires, permettra de mieux accompagner les ressortissants et rendra la procédure beaucoup plus rapide, non seulement pour nous, mais aussi pour eux. On parle, faut-il le rappeler, d'êtres humains qui attendent parfois bien trop longtemps avant de rencontrer un agent de l'Ofpra à Montreuil.
J'ai du mal à comprendre les réticences exprimées par des gens qui connaissent bien la procédure, qui nous disent passer leur temps à accompagner les demandeurs d'asile. Pour l'avoir fait également, j'ai mesuré combien le parcours était complexe. Or la disposition proposée vise à simplifier et à améliorer la procédure. Je retire mon amendement au profit de celui du rapporteur.
Cette proximité me paraît également intéressante. Néanmoins, à la suite des auditions que j'ai menées au sujet de France asile, en tant que rapporteure spéciale sur la mission Immigration, asile et intégration, je continue à m'interroger. Je serais plutôt favorable à une expérimentation, car on ne connaît pas l'impact précis de cette mesure, qui entraînera une révolution administrative. Qui exercera l'autorité hiérarchique, fonctionnelle sur les deux agents de l'Ofpra détachés auprès de chaque Guda ? Je continue à me poser des questions sur le coût, l'efficacité et les modalités de gestion et d'organisation de ce service.
L'amendement CL1344 est retiré.
La commission adopte l'amendement CL1411.
En conséquence, l'amendement CL781 de Élisa Martin tombe.
Amendement CL1028 de M. Benjamin Lucas
Cet amendement, proposé par le Comité contre l'esclavage moderne (CCEM), vise à ce que les agents de l'Ofii chargés d'évaluer la vulnérabilité des demandeurs d'asile suivent une formation actualisée sur le cadre légal de la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d'exploitation par le travail et sur l'identification des victimes. Cet amendement est la traduction des observations faites par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) et par le Groupe d'experts du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (Greta).
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Amendement CL847 de Mme Élisa Martin
On nous dit que les agents de l'Ofpra disposeront de locaux indépendants au sein des préfectures, mais il faudra nous indiquer où se trouvent, dans le projet de loi de finances, les 10 à 12 millions nécessaires. Sans adhérer à la logique globale de France asile, nous demandons des garanties quant à la qualité de l'instruction de la demande et du récit, ce dernier occupant une place centrale. Nous souhaitons que le demandeur puisse être accompagné par un certain nombre de personnes, énumérées dans l'amendement.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Amendement CL1369 de Mme Caroline Yadan
Lors d'une visite en centre de rétention administrative (CRA), il y a quelques semaines, j'ai noté qu'une dizaine de personnes fichées S étaient répertoriées. Ne pourrait-on pas allonger les délais, sans préjuger d'une mesure judiciaire, dans le cas où leur éloignement constituerait une perspective raisonnable ?
La commission adopte l'amendement.
En conséquence, les amendements CL978 et CL960 de Mme Élisa Martin tombent.
Amendements CL169 et CL170 de M. Éric Pauget
Ces amendements visent à lutter contre le maintien illégal des clandestins déboutés du droit d'asile par la création d'un pôle international France asile. L'amendement CL169 rendrait celui-ci complémentaire des pôles nationaux ; le CL170, le substituerait à l'un d'entre eux. Il est préférable d'étudier les demandes d'asile depuis l'étranger plutôt que sur le sol national. À titre d'exemple, une personne désireuse de se rendre en France, en particulier à Mayotte, depuis Madagascar ou les Comores, déposerait sur place sa demande d'asile auprès des services consulaires français, ce qui éviterait d'avoir à la reconduire dans son pays d'origine en cas de décision défavorable.
Vous citez, dans votre exposé sommaire, l'exemple du Royaume-Uni dont l'ONU a dénoncé la loi adoptée en 2023, considérant qu'elle contrevenait au droit international en matière d'accueil des réfugiés. Cette seule raison rend vos amendements inacceptables. De surcroît, vous envisagez que l'entretien personnel ait lieu directement au sein de ce pôle international, sans aucune garantie, notamment quant au délai de préparation ouvert au demandeur. Sachant qu'il faut un certain temps pour établir son récit et exposer les raisons de la demande d'asile, il en résulterait une dégradation des conditions d'examen de la demande. Avis totalement défavorable.
La loi britannique avait pour objet d'envoyer les déboutés du droit d'asile au Rwanda ; on parle ici du dépôt de la demande d'asile.
Ces amendements anticipent l'adoption très probable par le Parlement européen du règlement relatif à la gestion de l'asile et de la migration : le texte en cours de négociation prévoit que le plus grand nombre possible de demandes d'asile soient déposées aux frontières de l'Europe. Il faut s'inscrire dans ce cadre internationalisé et imaginer de nouveaux dispositifs, à l'image des camps installés dans les îles grecques pour mettre à l'abri les demandeurs d'asile, sous le regard de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) et des États membres de l'Union. Le type de mécanisme qui est proposé permettrait d'assurer une meilleure gestion des demandes et de renvoyer plus facilement les personnes déboutées.
Nous voilà au cœur du sujet : comment assurer aux demandeurs d'asile que leurs demandes seront instruites dans les meilleures conditions possible ? De notre point de vue, la régionalisation introduite avec France asile ne garantit pas la présence d'associations qui, avant même la production du récit sommaire, puissent dire le droit – et vous refusez d'inscrire cette garantie dans la loi. Pour vous, elle constitue la procédure la plus facile et adéquate. Soit. Il faudra quand même nous dire où vous trouverez les 10 ou 12 millions nécessaires.
L'instruction de la demande d'asile se fera dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui, à l'Ofpra, en région parisienne. Il est question ici de l'introduction de la demande. En même temps que l'un des trente-trois Guda actuellement répartis sur le territoire national s'occupera de la délivrance des conditions matérielles de séjour, dans les mêmes bâtiments mais dans des locaux séparés, il sera possible d'introduire la demande d'asile. À ce stade, il n'y a pas besoin d'avocat, puisqu'il ne s'agit que de fournir des informations sur son identité, sa langue, etc. Le droit à une assistance est garanti lors de l'instruction.
Dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) – que vous n'avez pas votée, madame Martin –, nous avons acté les moyens nécessaires à la déconcentration de l'Ofpra. En 2024, 5,3 millions d'euros alloués aux espaces France Services seront consacrés notamment aux aspects capacitaires sur les sites expérimentaux ; les montants passeront ensuite à 12,8 millions en 2025, 18,5 millions en 2026 et 19,4 millions en 2027. Ainsi sera doté l'ensemble des locaux spécifiques de l'Ofpra, dont les agents seront placés sous l'autorité hiérarchique du directeur général de l'Office – la distance ne fait rien à l'affaire. Entre 100 et 170 équivalents temps plein (ETP) devraient être créés spécifiquement pour assurer l'accueil de proximité lors de l'introduction des demandes. Vous voyez bien que le dispositif est protecteur sur le plan procédural et qu'il bénéficie de moyens substantiels, tant en emplois qu'en capacités immobilières, engagés par l'État sur la durée. J'ai obtenu sans difficulté toutes les précisions que j'ai demandées à ce sujet.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL276 de M. Yoann Gillet
Avec près de 131 000 demandes d'asile en 2022, la France est le deuxième pays d'accueil en Europe. La demande d'asile n'a jamais été aussi forte. Le droit d'asile est dévoyé et les premières victimes en sont les personnes qui peuvent réellement prétendre à l'asile. Le directeur général de l'Ofii, Didier Leschi, a confirmé que la France est l'un des pays les moins sévères dans l'examen des demandes d'asile. Des déboutés dans d'autres pays européens, comme l'Allemagne, la Suède, l'Autriche ou le Danemark, obtiennent souvent plus facilement en France le statut de réfugié, mais nombreux sont ceux qui tardent à demander l'asile en arrivant sur notre territoire. Aussi proposons-nous de réduire à quinze jours le délai dans lequel on peut déposer une demande d'asile.
Selon Jordan Bardella, les femmes afghanes ne sont pas une plus-value pour la France ; s'il avait été au pouvoir, il n'en aurait pas accueilli, a-t-il dit. Que nos collègues du Rassemblement national cessent donc de nous faire croire qu'ils défendent les droits des femmes et qu'ils la ramènent un peu moins sur le droit d'asile !
Pourquoi quinze jours ? Pourquoi pas douze, sept ou un ? Pour déterminer ce délai, vous fondez-vous sur votre connaissance de la situation des gens lorsqu'ils arrivent en France pour demander l'asile ? Vous n'en avez aucune ! Votre unique obsession est de faire dégager le plus vite possible les étrangers originaires de pays extra-européens, car ce sont tous, à vos yeux, des criminels en germe.
De pareilles âneries sont hallucinantes. Madame Miller, je comprends que nous ne partageons pas les mêmes idées ; je peux comprendre aussi qu'on ne croie pas les sondages rendant compte de l'avis des Français sur l'immigration. Ne vous inquiétez pas, les Français vous rappelleront la réalité le 9 juin prochain.
En plus d'avoir été du petit nombre de députés qui ont participé aux auditions, nous avons rencontré un certain nombre de professionnels : tous estiment que le délai est trop long et que quinze jours suffisent. Oui, nous écoutons les professionnels du secteur, qui sont les premiers à pouvoir proposer des mesures bonnes pour la France et acceptables pour les demandeurs d'asile.
La commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement CL1027 de M. Benjamin Lucas.
Amendement CL247 de Mme Cyrielle Chatelain
Les demandeurs d'asile sont en situation de grande vulnérabilité lors de leur arrivée en France, à plus forte raison lorsqu'ils sont transgenres ou intersexes. Ces derniers sont souvent originaires de pays où les personnes LGBTQIA+ sont persécutées et où il leur est impossible d'exprimer leur identité de genre ; ils ont besoin d'une procédure adaptée. C'est pourquoi nous souhaitons que leur demande soit enregistrée avec la mention du sexe correspondant à l'identité de genre ainsi que, le cas échéant, le prénom correspondant à cette identité.
L'amendement vise également à autoriser la modification de la mention du sexe par une déclaration de la personne ayant demandé la protection internationale dans les vingt et un jours qui suivent l'enregistrement de la demande. Aujourd'hui, la déclaration de l'identité de genre se fait sur la base de la perception des agents de l'Ofpra. C'est la responsabilité de la France que de permettre cela, et nous en sortirions grandis.
Je comprends votre point de vue mais il n'est déjà pas recevable par les règles générales de l'état civil. De plus, l'un des rôles de l'Ofpra lors de l'introduction de la demande est d'établir l'état civil du demandeur. Si, dès cette première étape, une distorsion est introduite entre l'état civil de naissance et celui qui figure dans le dossier, l'instruction de la demande risque de devenir complexe. Mais rien n'empêche, une fois obtenu l'asile, de faire changer son état civil. Demande de retrait ou avis défavorable.
Cet amendement met l'accent sur l'attention et le soin qu'il faut porter au demandeur d'asile et à la procédure qu'il doit suivre. J'en profite pour dire que la présence physique de l'interprète auprès du demandeur est indispensable et que nous refusons l'emploi de la vidéo pour la conduite des entretiens. Si le projet de loi offrait toutes les garanties procédurales, sur ces sujets comme sur d'autres, nous pourrions accepter la territorialisation, mais ce n'est pas le cas.
Les personnes qui fuient leur pays en raison de cette discrimination, en particulier les personnes transgenres, ont souvent connu un parcours très difficile. Arriver en France sous l'identité de genre initiale peut se révéler compliqué pour elles. Ce que nous proposons n'est rien d'autre qu'une mesure d'accueil qui permettrait de mettre en avant les valeurs de la France à l'étranger.
Je suis d'accord avec vous sur ce point, mais on a besoin de l'état civil du pays de naissance pour créer le dossier. En l'état, on ne peut pas faire autrement. Cela n'empêche pas de réfléchir à une évolution. En 2018, nous avons changé la loi pour protéger les personnes transgenres ou homosexuelles qui étaient maltraitées, emprisonnées ou chassées. C'est bien que nous cherchons à les protéger.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL945 de M. Hervé Saulignac
Il vise à inscrire dans la loi une obligation de formation des agents de l'Ofii et de l'Ofpra relative à la traite des êtres humains à des fins d'exploitation par le travail et aux violences spécifiquement infligées aux femmes migrantes. La CNCDH considère que les mesures prises par la France en matière d'information, de sensibilisation et de formation des professionnels à ce sujet sont insuffisantes.
Depuis le début de nos débats, les collègues du Rassemblement national nous jettent à la figure des sondages. Il n'y a pas que les sondages, il y a aussi, il y a surtout les études. J'en citerai deux.
L'une, du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii), démontre que les étrangers ne sont pas surreprésentés parmi les délinquants. L'autre, une synthèse des études de l'évolution de l'indice de confiance des Français vis-à-vis de l'étranger depuis les années 1980, calculé à partir 98 questions et 1 016 données, démontre qu'il n'a jamais été aussi élevé.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL970 de Mme Andrée Taurinya
Nous avons rencontré des personnes ayant vécu un parcours migratoire qui ont fait état de leur difficulté à comprendre les documents qui leur sont adressés. Les rédiger dans les quatre ou cinq langues véhiculaires est insuffisant. Il faut les rédiger dans la langue maternelle du requérant, à tout le moins dans une langue qu'il comprend.
Voilà encore un problème soulevé par la territorialisation des demandes d'asile : les pôles territoriaux France asile devront disposer d'interprètes en nombre pour accompagner les demandeurs d'asile. La vidéo-audience, à nos yeux, n'est pas une solution, non seulement parce qu'elle est un ornement, mais aussi parce que le recueil du récit exige de la subtilité et ne peut s'embarrasser de l'interposition des écrans.
La commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement CL981 de Mme Andrée Taurinya.
Amendements CL134 et CL163 de M. Éric Pauget
Tandis que nous achevons nos débats sur l'asile, j'aimerais rappeler quelques chiffres. En 2022, 43 % des 131 000 demandes d'asile ont fait l'objet d'un avis favorable de l'Ofpra. Plus de la moitié ne sont donc pas légitimes. C'est l'une des raisons qui motivent le souhait du groupe Les Républicains de procéder à l'instruction des demandes d'asile aux frontières du pays. Au demeurant, cette disposition figure dans la réforme constitutionnelle que nous appelons de nos vœux.
L'amendement CL134 vise à rendre irrecevable toute demande d'asile déposée par un étranger définitivement condamné à une peine de prison ferme par la justice française. L'amendement CL163 est un amendement de repli.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.
Elle adopte l'article 19 modifié.
Après l'article 19
Amendement CL1446 de Mme Stella Dupont
Il vise à assurer une répartition territoriale géographique équilibrée des directions territoriales de l'Ofii. La répartition de ses trente et une directions territoriales n'est pas satisfaisante. Rapporteure spéciale des crédits de la mission Immigration, asile et intégration, j'ai constaté que les départements de l'Essonne et des Yvelines, pourtant confrontés à une forte demande, en sont dépourvus. Les treize départements de la région Occitanie relèvent de deux directions territoriales. L'introduction des pôles territoriaux France asile me semble offrir l'occasion de renforcer le maillage territorial de l'Ofii.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Amendements CL105 de M. Thibaut François, CL440 et CL441 de M. Yoann Gillet (discussion commune)
L'amendement CL105 permet de limiter le dévoiement du droit d'asile et de protéger les Français. Il prévoit la suppression du dépôt des demandes d'asile sur le sol métropolitain ou ultramarin. Limiter le traitement des demandes d'asile au réseau diplomatique et consulaire français permettrait d'aller en ce sens.
En 2022, pas moins de 330 000 franchissements irréguliers des frontières extérieures ont été dénombrés, soit une hausse de 64 % par rapport à 2021. Devenues de véritables passoires, nos frontières sont prises d'assaut. Elles sont soumises à une pression migratoire inédite qui ne cesse de s'intensifier.
Cette intensification massive a pour conséquence un détournement du droit d'asile. En 2012, 61 000 demandes d'asile ont été déposées ; leur nombre est passé à 156 000 en 2022, et devrait atteindre 200 000 en 2024. Ce que nous remettons en cause, ce n'est pas le droit d'asile mais son dévoiement.
Pour mettre un terme au dévoiement de la politique du droit d'asile, les amendements CL440 et CL441 visent à faire du retour dans le pays d'origine après obtention du statut de réfugié un motif de retrait de ce dernier. Comme sans doute chacun d'entre nous, je rencontre régulièrement des professionnels. Je suis de surcroît rapporteur pour avis des crédits de la mission Outre-mer. Certains réfugiés rentrent dans leur pays d'origine pour les fêtes de fin d'année ou pour la fête nationale, avant de revenir sur le territoire français, ce qui démontre qu'ils n'y sont pas en danger et que le droit d'asile, en l'espèce, est bel et bien dévoyé.
Avis défavorable.
L'amendement CL105 aurait pour effet de modifier en profondeur l'organisation des services consulaires et d'obliger à leur accorder des moyens supplémentaires significatifs. Il mettrait à mal le rôle de l'Ofpra, qui est indépendant de tous les ministères, conformément à nos engagements internationaux en matière d'asile. Le système en vigueur est le plus équilibré et le plus pertinent possible.
S'agissant des amendements CL440 et CL441, le site de l'Ofpra indique : « Dans certains cas de nécessité impérieuse, les personnes placées sous la protection de l'Office peuvent être amenées à retourner dans leur pays d'origine. Vous devez solliciter un sauf-conduit auprès de la préfecture de votre lieu de résidence ». Tout ressortissant étranger auquel a été accordé le bénéfice de l'asile peut donc perdre ses droits s'il ne respecte pas ses obligations.
Les dispositions proposées sont donc inutiles, en plus d'être contraires aux conventions de Genève, donc inconstitutionnelles. Le système en vigueur est bien pensé et fonctionne. L'article 19 permet de l'améliorer.
Cher collègue Gillet, vous semblez être passé à côté de l'examen de l'article 12 bis A ; peut-être même ne l'avez-vous pas voté. Or il prévoit le retrait du statut de réfugié d'une personne ayant indiqué avoir coupé ses liens avec son pays d'origine au motif qu'elle y était persécutée ou discriminée et qui s'y rend pour les vacances.
Par ailleurs, contrairement à ce que vous dites, vous remettez en cause le droit d'asile, dès lors que vous vous opposez au dépôt des demandes d'asile sur le territoire national. Pour faire adopter le pacte sur la migration et l'asile, il a fallu que les États membres de l'UE s'accordent sur une fiction juridique selon laquelle les ressortissants de pays tiers se présentant aux frontières de l'UE ne sont pas entrés dans l'UE. En contrepartie, chaque État s'est engagé à enregistrer tout demandeur d'asile – à l'heure actuelle, cette tâche incombe aux pays d'arrivée, au premier rang desquels l'Italie et la Grèce.
Le Rassemblement national est contre le droit d'asile selon la nationalité du demandeur – pour les Ukrainiens, oui, pour les Syriens, non ! Demander que les demandes d'asile soient demandées auprès du réseau consulaire et des ambassades, c'est ne rien comprendre à ce qu'est la demande d'asile. Comment les Syriens pourraient-ils demander l'asile en France alors que l'ambassade est fermée ? Monsieur Gillet, ce que vous proposez est absurde !
Vous dites avoir rencontré les personnels de l'Ofpra ; ils sont en grève contre l'introduction des pôles territoriaux France asile. Nous ne devons pas avoir rencontré les mêmes !
Que nos collègues du Rassemblement national demandent l'examen des demandes d'asile hors de France ne manque pas d'intérêt. Cela revient à approuver la décision du Conseil européen relative au pacte sur la migration et l'asile, qui prévoit l'examen des demandes d'asile aux frontières de l'UE. Nous sommes heureux d'entendre que vous êtes, vous qui parlez sans cesse des élections du 9 juin prochain, favorables au pacte sur la migration et l'asile. Après l'euro et le « Frexit », nous ne sommes plus à un revirement près sur l'Europe avec le Rassemblement national !
Si j'étais taquin, je rappellerais que les seuls membres du Parti populaire européen (PPE) ayant voté contre le pacte sur la migration et l'asile sont les Républicains, mais je m'abstiendrai.
Monsieur le président, vous vous abstiendrez d'autant plus que le pacte sur la migration et l'asile n'a pas encore été adopté par le Parlement européen.
Pour reprendre l'exemple de la Syrie précité, les migrants qui en viennent passent par la Turquie, où nous avons une ambassade. Plusieurs pays reçoivent les demandes dans leurs ambassades, ce qui montre que cela n'a rien d'impossible. En outre, cela permet de préserver le droit d'asile, pour en réserver le bénéfice à ceux qui en ont réellement besoin et lutter contre son dévoiement.
Ce dont vous parlez n'existe pas. Il n'existe aucune solution qui permette aux migrants de demander le droit d'asile hors de France, ni en Turquie ni ailleurs. La demande d'asile, par principe, ne peut être déposée que sur le territoire de la République. Les organismes consulaires peuvent délivrer un visa permettant de se rendre en France et d'y déposer une demande d'asile.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL1511 de Mme Annie Genevard
Il vise à rétablir les caractéristiques propres de la procédure accélérée dédiée aux demandes d'asile des ressortissants de pays considérés comme sûrs. Elle doit être nettement distincte de la procédure normale, dédiée aux ressortissants de pays considérés comme non sûrs et dont le taux de protection probable est élevé, ceux-là même auquel le présent texte prévoit de faciliter l'accès au travail.
Il est impératif de réduire l'attractivité de la demande d'asile auprès des personnes qui ne sont pas réellement menacées dans leur pays d'origine. Je rappelle que moins de la moitié des 131 000 demandeurs d'asile qui se sont présentés en 2022 bénéficient d'une protection au titre de l'asile.
Avis défavorable. Le placement systématique en CRA de demandeurs d'asile originaires de pays considérés comme sûrs porte une atteinte disproportionnée à leurs droits et constitue une rupture d'égalité flagrante avec les autres demandeurs d'asile.
Les ressortissants de pays considérés comme sûrs font d'ores et déjà l'objet d'une procédure accélérée. Au demeurant, certains d'entre eux, si peu nombreux soient-ils, obtiennent l'asile pour des raisons politiques. Comment imaginer que nous placions en rétention administrative un journaliste ou un opposant politique ressortissant d'un pays considéré comme sûr alors même qu'il nous demande une protection ?
La Russie a toujours été considérée comme pays sûr. Accepterions-nous de placer en CRA un journaliste ou un opposant politique russe ? Certes non. Tel serait pourtant l'effet de l'adoption de l'amendement.
Chers collègues du groupe Les Républicains, allez au bout de votre logique ! Je ne veux pas vous faire un procès d'intention, mais il s'agit du troisième amendement issu de vos rangs dont l'exposé des motifs précise en gras « Cette disposition est applicable aux ressortissants algériens ». J'ignore quel problème vous avez avec les ressortissants algériens, mais cibler une nationalité pose problème. Ces amendements sont racistes.
Monsieur le rapporteur, la Russie n'est plus considérée comme un pays sûr au regard de l'asile.
La difficulté est évidente pour des pays tels que l'Albanie et la Géorgie, dont le nombre de demandeurs d'asile qui en sont originaires a augmenté respectivement de 21 % et de 104 % en trois ans. Ces deux pays font partie du top 10 des pays d'origine des demandeurs d'asile, alors même que leur taux de protection est à peine supérieur à 1 %.
Nous considérons qu'il faut garder sous la main leurs ressortissants, qu'il est difficile de retrouver et de renvoyer chez eux, Albanais mis à part. Outre le CRA, la résidence surveillée et l'assignation à résidence permettent de savoir où ils se trouvent. Le fait est que nous ne parvenons pas à juguler les demandes d'asile de ressortissants de pays considérés comme sûrs, dont le nombre augmente.
La commission rejette l'amendement.
Article 19 bis A (nouveau) (art. L. 531-36, L. 531-38 et L. 531-39 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Modalités de clôture du dossier de demande d'asile
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette les amendements de suppression CL58 de M. Benjamin Lucas, CL946 de M. Boris Vallaud, CL1206 de Mme Emeline K/Bidi et CL1393 de Mme Sabrina Sebaihi
Amendement CL770 de M. Andy Kerbrat
Il vise à modifier l'article 19 bis A qui, sous couvert d'éviter les demandes d'asile abusives, vise à limiter les pouvoirs d'examen de l'Ofpra, conformément à la logique qui sous-tend la régionalisation de l'Ofpra, comme l'a démontré notre collègue Élisa Martin.
La modification de l'article L. 531-36 du Ceseda par la droite sénatoriale oblige l'Ofpra à clôturer la demande si le demandeur l'informe de son retrait. La régionalisation de l'Ofpra brise la possibilité des demandeurs d'asile de demander l'asile.
Avis défavorable. Vous n'avez, semble-t-il, pas compris l'article 19 bis A. Il paraît tout à fait légitime que l'Ofpra puisse clôturer, en appréciant chaque situation individuelle, les demandes d'asile dans les cas précis et en tenant compte des limitations énumérées à l'article L. 531-38 du Ceseda, que vous proposez de supprimer.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte l'article 19 bis A non modifié.
Article 19 bis B (nouveau) (art. L. 542‑4 et L. 542‑7 [nouveau] du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Systématisation du prononcé d'une OQTF et interruption de la prise en charge des soins au titre de la protection universelle maladie (PUMA) pour les déboutés du droit d'asile
Amendements de suppression CL1413 de M. Ludovic Mendes, CL59 de M. Benjamin Lucas, CL768 de Mme Andrée Taurinya, CL947 de M. Boris Vallaud, CL1345 de M. Erwan Balanant, CL1371 de Mme Marjolaine Meynier-Millefert, CL1440 de Mme Stella Dupont et CL1623 de M. Sacha Houlié
L'article 19 bis B prévoit que le rejet définitif d'une demande d'asile ait pour effet l'application d'une OQTF et l'interruption immédiate de la prise en charge des soins au titre de la protection universelle maladie (Puma). Or, d'après le rapport d'information sur la question migratoire du sénateur Buffet, le taux d'exécution des OQTF en 2021 est de 5,7 %. L'article 19 bis B vise donc à priver de soins des personnes dont la grande majorité restera sur le territoire français.
Les mots me manquent pour dire la mesquinerie et l'ignominie de cet article adopté au Sénat, qui présente un danger pour la santé des personnes concernées, pour la santé publique, pour la dignité des individus et pour l'honneur de notre République. Cet article doit être supprimé.
Cet article doit être supprimé. Chacun en a compris l'idée : comme nous sommes submergés, il faut immédiatement refouler tous les étrangers, qui vont nous envahir et nous remplacer ! Nous refusons l'application systématique d'une OQTF, assortie de la suspension des soins dispensés au titre de la Puma.
Depuis cinq jours que nous examinons le texte, nous n'avons toujours pas vraiment parlé d'accueil. Il n'est question que de mesures coercitives et répressives. Or il faut prendre soin des gens qui viennent chez nous.
Il faut supprimer cet article. Le rejet définitif d'une demande d'asile ne doit pas emporter l'arrêt des soins. Il s'agit d'une mesure de protection publique et de protection de l'être humain qui est en toute personne.
Avis favorable. L'article 14 B, dont nous avons rejeté la suppression il y a quelques heures, garantit le maintien des droits au titre de la Puma pendant trois mois. De surcroît, l'article 19 bis B soulève des difficultés opérationnelles pour les préfectures et ne tient compte ni de la situation individuelle des demandeurs, ni de leur vulnérabilité.
Si cet article n'est pas supprimé, aucun recours auprès de la CNDA ne sera possible : si l'Ofpra refuse la demande d'asile, dehors !
Je regrette, mais l'article 19 bis B est essentiel. Nous vivons dans une fiction : moins de la moitié des déboutés de leur demande d'asile font l'objet d'une OQTF – en 2022, ils étaient 36 980 sur 74 704 déboutés. Ces gens restent en France dans l'illégalité, et nous ne savons qu'en faire. Avec le présent projet de loi, l'alternative ne sera pas être protégé ou être expulsé, mais être protégé ou devenir clandestin. Cela ne fonctionne pas. Il faut rendre automatique la délivrance d'une OQTF en cas de refus définitif de la demande d'asile.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l'article 19 bis B est supprimé.
La séance est levée à 20 heures 05.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Henri Alfandari, M. Erwan Balanant, M. Carlos Martens Bilongo, M. Florent Boudié, Mme Clara Chassaniol, M. Jean-François Coulomme, Mme Mathilde Desjonquères, Mme Edwige Diaz, Mme Elsa Faucillon, Mme Anne Genetet, Mme Annie Genevard, M. Yoann Gillet, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Marie Guévenoux, M. Sacha Houlié, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, Mme Fatiha Keloua Hachi, M. Andy Kerbrat, M. Philippe Latombe, M. Gilles Le Gendre, Mme Constance Le Grip, M. Antoine Léaument, Mme Marie Lebec, M. Benjamin Lucas, M. Sylvain Maillard, M. Laurent Marcangeli, Mme Élisa Martin, M. Thomas Ménagé, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, Mme Danièle Obono, M. Emmanuel Pellerin, M. Thomas Portes, M. Éric Poulliat, M. Philippe Pradal, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Sandra Regol, Mme Sandrine Rousseau, M. Thomas Rudigoz, M. Philippe Schreck, M. Olivier Serva, Mme Sarah Tanzilli, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, M. Boris Vallaud, M. Guillaume Vuilletet, Mme Caroline Yadan
Excusés. - M. Ian Boucard, M. Éric Ciotti, Mme Emeline K/Bidi, Mme Naïma Moutchou
Assistaient également à la réunion. - M. Sébastien Chenu, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Stella Dupont, M. Jérôme Guedj, M. Benjamin Haddad, Mme Nadia Hai, Mme Estelle Youssouffa