La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Suite de la discussion d'un projet de loi
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (n° 1514 rectifié, 1674).
À la demande de la commission spéciale, en application de l'article 95, alinéa 4, du règlement, l'Assemblée examinera par priorité les articles 16 à 18 et les amendements portant article additionnel après l'article 17 à l'issue de la discussion des amendements portant article additionnel après l'article 6.
Hier soir, l'Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s'arrêtant à l'amendement n° 930 à l'article 5.
Sur cet amendement et ceux qui lui sont identiques, je suis saisi par le groupe Renaissance d'une demande de scrutin public.
Sur l'article 5, je suis saisi par le groupe Rassemblement national d'une demande de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Je suis donc saisi de trois amendements identiques, n° 930 , 931 et 932 , qui font l'objet de deux sous-amendements.
La parole est à Mme Agnès Carel, pour soutenir l'amendement n° 930 .
Il tend à permettre au juge de prononcer une mesure éducative d'interdiction d'accès aux réseaux sociaux à l'encontre d'un mineur reconnu coupable d'une des infractions visées au nouvel article 131-35-1 du code pénal.
Lorsqu'un mineur se rend coupable d'une infraction, le juge a la lourde tâche de prononcer la peine la plus pertinente pour éviter toute récidive. À ce titre, il a la possibilité de prononcer l'une des mesures éducatives prévues par le code de la justice pénale des mineurs, notamment l'interdiction de paraître dans le lieu où l'infraction a été commise. L'amendement ouvre la possibilité pour le juge de prononcer une peine similaire dans le monde numérique. Lorsqu'un jeune a détourné l'utilisation d'un réseau social pour en faire un outil, voire une arme, au service de son infraction, le juge doit pouvoir prononcer le bannissement du réseau. Tel est l'objet de l'amendement.
La parole est à Mme Marie Guévenoux, pour soutenir l'amendement n° 931 .
Comme celui de Mme Carel, il vise à permettre au juge de prononcer une mesure éducative visant à bannir un jeune du réseau social utilisé pour commettre une infraction.
Le sous-amendement n° 1125 vise à supprimer, à la fin du quatrième alinéa de l'article 5, les mots : « y compris si ces services n'ont pas constitué le moyen unique ou principal de cette commission » : ils ne sont pas nécessaires puisque le texte précise déjà que les comptes utilisés pour commettre l'infraction peuvent être concernés par une interdiction. Quant au sous-amendement n° 1116 , il complète l'alinéa afin de prévoir l'information de la victime de l'interdiction d'accès aux réseaux sociaux prononcée à l'encontre de l'auteur de l'infraction.
Sous réserve de l'adoption de ces deux sous-amendements, je suis favorable aux amendements, qui complètent les mesures du plan interministériel de lutte contre le harcèlement à l'école et le cyberharcèlement présenté par le Gouvernement et étendent les outils à la disposition du juge saisi du cas d'un mineur harcelé en ligne.
La parole est à M. le ministre délégué chargé du numérique, pour donner l'avis du Gouvernement.
Je remercie Mme Carel, Mme Guévenoux et M. Balanant pour ces propositions qui prolongent en effet le plan interministériel de lutte contre le harcèlement à l'école et le cyberharcèlement, présenté le 27 septembre dernier par Mme la Première ministre. Grâce à ces amendements sous-amendés par Mme la rapporteure, le juge pourra désormais prendre une mesure éducative judiciaire, correspondant à la peine complémentaire de bannissement, à l'encontre d'enfants de moins de 18 ans.
Le groupe Gauche démocrate et républicaine est opposé à ces amendements qui élargissent la peine de bannissement aux mineurs. Nous l'avons déjà dit : non seulement nous nous interrogeons sur la faisabilité du dispositif, mais nous nous inquiétons du risque de généralisation du contrôle d'identité en ligne et des atteintes à la liberté. Alors que la commission des lois avait restreint la liste des délits pour lesquels une peine complémentaire pouvait être proposée, nous déplorons l'adoption, hier soir, d'amendements de la majorité étendant dangereusement son champ d'application aux provocations publiques et directes à commettre certaines infractions graves d'atteintes aux personnes et aux biens.
Ici, il s'agit clairement d'étendre le dispositif aux événements politiques, conformément au souhait exprimé par le Président de la République au mois de juillet dernier de limiter, voire de couper, l'accès aux réseaux sociaux lors d'épisodes de violences urbaines. Je le dis solennellement : depuis le début de l'année, plusieurs ONG de défense des droits numériques ont recensé quatre-vingts coupures d'accès à internet ou à des réseaux sociaux dans vingt et un pays du monde. Si la France appliquait la même politique, elle rejoindrait un club composé de régimes au palmarès démocratique très peu enviable, tels la Russie, la Birmanie, l'Iran, la Chine ou encore la Guinée.
Les coupures d'accès à internet ou aux réseaux sociaux sont souvent utilisées pour tenter de mettre fin à des mouvements de protestation. J'ai en mémoire l'affaire Mahsa Amini, en septembre 2022 : après que cette jeune fille iranienne a été battue à mort par la police des mœurs pour un voile mal ajusté, un mouvement de protestation a éclaté, mais les autorités ont rapidement coupé la messagerie WhatsApp et l'accès aux réseaux sociaux.
Sous couvert de mesures de sécurité, le Gouvernement veut instaurer un dispositif tout à fait disproportionné et dangereux pour le respect des libertés fondamentales.
Je veux rappeler une réalité du droit français à nos collègues de gauche : pour toute peine complémentaire, une condamnation a déjà été prononcée. Elle n'a donc rien d'arbitraire puisqu'elle est décidée par un juge en complément – comme son nom l'indique – d'une autre peine. Pour la bonne tenue et la bonne compréhension de nos débats, mais aussi pour rétablir la vérité sur le projet de loi, je tenais à le réaffirmer. La peine complémentaire de bannissement n'est pas une décision arbitraire !
J'entends vos craintes, madame Bourouaha. Vous agitez toujours le même chiffon rouge : la démocratie serait en péril ! Mais c'est précisément le contraire. Sur les réseaux sociaux, la liberté d'expression est telle qu'elle dépasse parfois les bornes. Avec ce projet de loi, je le répète, nous nous bornons à rappeler ses limites, au nom de notre charte de valeurs…
…et de droits fondamentaux, au nom aussi du respect de la vie et de la sécurité de chacun.
L'article 5 prévoit une bonne disposition, dont le juge aura demain la possibilité de se saisir pour réguler l'espace public numérique.
Je mets aux voix les amendements identiques, sous-amendés, n° 930, 931 et 932.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 70
Nombre de suffrages exprimés 60
Majorité absolue 31
Pour l'adoption 36
Contre 24
Je suis saisi de trois amendements identiques, n° 737 , 928 et 929 , qui font l'objet de deux sous-amendements.
Sur ces amendements, je suis saisi par le groupe Renaissance d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Marie Guévenoux, pour soutenir l'amendement n° 737 .
Dans la continuité des précédents amendements et de ceux que nous avons adoptés hier soir, il est proposé ici de permettre au juge, lors du placement sous contrôle judiciaire d'un mineur, de lui interdire de se connecter au réseau social utilisé pour commettre l'infraction.
Le 27 septembre, la Première ministre a présenté le plan interministériel de lutte contre le harcèlement à l'école et le cyberharcèlement. J'ai une pensée particulière pour Nicolas, cet adolescent de 15 ans victime de harcèlement scolaire, qui, malgré les alertes de sa famille, a mis fin à ses jours pour en finir avec son calvaire.
L'école doit rester un sanctuaire pour les élèves. Le harcèlement n'y a pas sa place, et il n'a pas sa place non plus en dehors de l'école. Malheureusement, nous le savons, les réseaux sociaux sont utilisés par certains pour harceler leurs camarades à la maison, en dehors des horaires scolaires. Nous devons nous donner les moyens de lutter contre ce fléau insupportable.
En complément des mesures déployées pour mieux détecter et prévenir le harcèlement, l'amendement n° 929 propose de permettre au juge, dans le cadre du contrôle judiciaire d'un mineur, de lui interdire d'accéder aux réseaux utilisés pour commettre l'infraction.
Ces deux sous-amendements répondent à la même logique que les sous-amendements précédents : le n° 1123 supprime une information inutile ; le n° 1117 vise à informer la victime de l'interdiction d'accès aux réseaux sociaux prononcée à l'encontre du mineur mis en cause.
Avis favorable sur les trois amendements identiques sous réserve de l'adoption de ces sous-amendements.
J'émets un avis favorable sur les amendements, sous-amendés par Mme la rapporteure, qui, comme les précédents, complètent utilement le plan interministériel de lutte contre le harcèlement à l'école et le cyberharcèlement – celui-ci associe non seulement le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse et le ministère chargé du numérique, mais aussi le ministère de la santé et de la prévention, le ministère des sports et des Jeux olympiques et paralympiques et le ministère de la justice.
Mmes Guévenoux et Carel l'ont souligné, il est très important que la peine d'éloignement du réseau social sur lequel le harcèlement a été commis intervienne dès le début de l'enquête, sans attendre le prononcé de la peine, parfois après de longs mois d'enquête.
Alors que nous achevons la discussion des amendements à l'article 5, permettez-moi de répondre aux inquiétudes exprimées par Mme Bourouaha il y a quelques minutes. Cet article prévoit en effet une peine d'un type nouveau : une peine complémentaire et privative par avance de liberté, en matière d'expression. Toutefois, comme je l'ai rappelé à maintes reprises, cette peine est entourée de très nombreuses garanties.
Tout d'abord, c'est le juge qui la prononcera, après avoir prononcé une condamnation. Dans le cas du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention, la peine complémentaire sera prononcée à condition qu'une enquête ait été ouverte.
Ensuite, cette peine ne pourra pas dépasser six mois. Elle pourra être portée à un an en cas de récidive, mais nous avons veillé avec les rapporteurs, grâce à des amendements examinés en commission spéciale et en séance, à ce que sa durée n'excède pas six mois lors d'une première infraction.
En outre, la liste des délits qui ouvrira la possibilité au juge de prononcer une telle peine est limitée à des délits frappés d'une peine d'au moins deux ans de prison.
Enfin, quatrième et dernière garantie importante, la suspension du compte portera uniquement sur celui à partir duquel l'infraction a été commise. Il n'est ni prévu, ni souhaitable, qu'une personne condamnée soit empêchée d'accéder aux réseaux sociaux sur lesquels elle n'a pas commis de délits.
J'ajoute, si vous me le permettez, une cinquième garantie, car des inquiétudes se sont exprimées au début de l'examen des amendements sur l'article 5 concernant les données collectées pour l'application par les plateformes de la mesure de suspension. Notre droit prévoit déjà une telle collecte : l'article 6 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) dispose clairement que les plateformes ont le droit de conserver certaines données de nature à permettre l'identification de leurs utilisateurs pour pouvoir répondre à des perquisitions judiciaires, comme l'adresse IP ou la signature du navigateur ou du téléphone portable ; mais les plateformes ne peuvent en aucun cas, pour assumer ces obligations, aller au-delà de ce que permet le droit – en particulier le règlement général sur la protection des données (RGPD) et la LCEN. Nous avons donc des garanties importantes pour que ce dispositif – d'un nouvel ordre, il est vrai – ne contrevienne pas aux libertés fondamentales ni à la Constitution.
L'examen du texte confirme ce que nous redoutions, en particulier au vu de ces dispositions – qui démontrent d'ailleurs l'impréparation tant des rapporteurs que du ministre : il est en effet inquiétant que vous ayez besoin de préciser, par sous-amendement, que l'interdiction d'accès ne doit concerner que le réseau social ayant été utilisé pour commettre l'infraction, quand on sait que vous avez passé plusieurs mois à imaginer ce dispositif de censure sur les réseaux sociaux.
Un point m'inquiète particulièrement, sans que vos arguments ne parviennent à me rassurer – c'est la raison pour laquelle j'invite à rejeter non seulement ces amendements, mais tout l'article 5 :
Mme Sarah Legrain applaudit
vous n'êtes toujours pas capables de nous confirmer que ces décisions ne prendront pas la forme d'une punition collective, visant par exemple toute la famille désignée par une adresse IP. Vous n'êtes pas capables de rendre opérante la lutte contre le cyberharcèlement scolaire, car ce n'est pas, en réalité, votre premier souci. Vous ne connaissez même pas la réalité de ce qu'est le cyberharcèlement scolaire. .
Protestations sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR
Le cyberharcèlement est le fait d'un groupe et se produit dans la durée : ce n'est pas une seule personne qui en harcèle une autre. C'est une bande, un groupe de jeunes, qui harcèle une autre personne, parfois même sans s'en rendre compte. Savez-vous qu'il suffit parfois d'un retweet pour participer à une opération de cyberharcèlement ? Un retweet, et vous pouvez être condamné.
C'est complètement disproportionné : pour un seul geste, des personnes pourront être condamnées et privées d'une liberté fondamentale. Vous ne pouvez garantir que des libertés fondamentales essentielles ne puissent être remises en cause par des décisions de justice. Vous prétendez faciliter le travail du juge ; c'est faux, vous allez le compliquer, au contraire. Incapables que vous êtes de lutter contre le cyberharcèlement scolaire, vous lui refilez la patate chaude en lui renvoyant la responsabilité ,…
Protestations sur les bancs du groupe Dem
…après en avoir fait de même avec le personnel scolaire. Vous vous dédouanez de vos responsabilités !
« Elle a raison ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
…prétendre que nous ne connaissons pas le cyberharcèlement scolaire.
Nous sommes pourtant un certain nombre, ici, à avoir travaillé sur le sujet, madame Chikirou.
Mme Sophia Chikirou s'exclame.
Vous venez d'ailleurs de montrer votre incompréhension du contenu de ces amendements, dont le but est de protéger nos enfants, tout simplement. Il est vrai que le harcèlement scolaire peut prendre la forme du harcèlement de meute, que nous avons défini dans la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes comme un acte commis par un auteur conscient de faire preuve de harcèlement, même si un seul message est envoyé ; car il peut suffire d'une seule fois pour détruire un enfant. Parlez-en à Mila, à Lindsay, à ces enfants qui n'en pouvaient plus…
…et qui, de jour comme de nuit, se faisaient harceler sur les réseaux sociaux, jusqu'à décider, parfois, de commettre l'irréparable. Parlez-en aussi à leurs parents, qui ont vu s'effondrer les résultats scolaires de leurs enfants, puis ces derniers sombrer ,
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem
et, enfin, arrêter de vivre ! Je ne peux pas accepter ce que vous venez de dire, madame Chikirou.
M. Sophia Chikirou s'exclame.
Le harcèlement scolaire est un fléau pour notre société, car les enfants qui en sont victimes perdent confiance en eux-mêmes, en leurs camarades ,…
« Nous sommes d'accord ! » sur les bancs du groupe LFI – NUPES
Mme Sophia Chikirou mime un joueur de violon.
Madame Chikirou, vous rendez-vous compte de ce que vous êtes en train de faire ? Pour vous, tout cela, c'est du pipeau ?
Mme Sophia Chikirou proteste.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
Chers collègues, nous n'allons pas commencer la séance ainsi. Je vous prie de respecter les orateurs. Madame Chikirou, vous avez eu la parole, nous vous avons écoutée : il est inutile de hurler pendant qu'un autre intervenant s'exprime.
En vertu de l'article 70, alinéa 3, de notre règlement, il est strictement interdit d'interpeller un autre député.
Rires et exclamations sur les bancs des groupes RE, Dem, HOR et LR.
Nous devons nous adresser et répondre seulement au ministre ou aux rapporteurs. M. Balanant a interpellé Mme Chikirou – en déformant ses propos, qui plus est, ce qui a provoqué une scène de chahut.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – Exclamations sur les bancs des groupes RE, Dem, HOR et LR.
Je souhaite répondre aux propos que nous venons d'entendre – sans nommer quiconque. Il convient de faire preuve d'une certaine rigueur et d'une forme d'honnêteté intellectuelle. Je ne peux pas laisser dire que ce texte serait impréparé : nous avons rencontré cent experts, dans le cadre de plus de cinquante auditions ; cela fait des semaines que nous travaillons sur ce texte, depuis la fin du mois d'août. Je remercie d'ailleurs l'ensemble des députés de la commission spéciale qui se sont engagés en amont sur ce sujet.
Applaudissements sur les bancs des commissions ainsi que sur ceux des groupes RE, Dem et HOR.
Le dépôt de sous-amendements serait, à vous entendre, le signe de cette impréparation ; mais entre la commission spéciale et la séance, il y a des échanges : cet art du compromis, c'est ce qu'on appelle la démocratie ,
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem
et heureusement qu'il existe ! De plus, l'un de ces sous-amendements est rédactionnel, l'autre vise à mieux informer la victime ; je ne crois pas que leur contenu puisse poser le moindre problème.
Je crois enfin, comme l'a brillamment rappelé mon collègue Erwan Balanant, que nous n'avons pas de leçons à recevoir en matière de cyberharcèlement, alors que depuis que nous avons entamé l'examen de ce texte la semaine dernière, la gauche de l'hémicycle vote régulièrement contre les mesures que nous proposons.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Je vous rappelle que 6 % des enfants au collège sont victimes de harcèlement : la solution que vous proposez, c'est de ne surtout rien faire et de maintenir la situation en l'état. Nous ne sommes clairement pas de ce côté.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, RE et HOR.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 154
Nombre de suffrages exprimés 114
Majorité absolue 58
Pour l'adoption 81
Contre 33
L'amendement n° 737 , sous-amendé, est adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 155
Nombre de suffrages exprimés 154
Majorité absolue 78
Pour l'adoption 80
Contre 74
L'article 5, amendé, est adopté.
Durant le mandat précédent, nous avons créé le délit de « sextorsion » pour protéger nos enfants de la pression qui pouvait être exercée à leur encontre pour obtenir des images les représentant dans des situations à caractère sexuel, susceptibles d'être utilisées par un maître chanteur. Cette mesure concerne seulement les mineurs, car à l'époque, nous avions pensé que le consentement entre les adultes suffirait à prévenir de telles situations. Or, on le sait, le consentement n'est pas toujours éclairé, et certaines personnes peuvent accepter de communiquer des images sans imaginer qu'elles seraient utilisées par autrui dans le cadre d'un chantage.
À travers cet amendement ainsi que plusieurs autres, dont la rédaction diffère, mais qui visent le même objectif, je vous propose créer le délit de sextorsion entre adultes, pour protéger les personnes majeures qui se verraient extorquer des images à caractère sexuel sans leur consentement. Cette réflexion est aussi dictée par l'actualité : à Saint-Étienne, un adjoint du maire a été victime de chantage à la vidéo intime. Ce travail n'aboutira peut-être pas aujourd'hui, mais il est important de l'entamer.
La parole est à Mme Astrid Panosyan-Bouvet, pour soutenir l'amendement n° 570 .
Le délit de sextorsion visant les victimes mineures existe depuis 2021. Il s'agit d'en étendre le champ aux personnes adultes.
La parole est à Mme Caroline Yadan, pour soutenir l'amendement n° 980 .
Nous souhaitons en effet que le délit de sextorsion, qui est déjà inscrit dans le code pénal pour les victimes mineures, puisse également concerner les adultes. L'effet des violences en ligne est d'autant plus préjudiciable qu'elles laissent, on le sait, des traces indélébiles sur internet, pendant des années, voire des décennies faisant ainsi peser au-dessus de la tête des victimes une épée de Damoclès, car les images risquent de resurgir à tout moment.
Il est de repli et va dans le même sens que le n° 841, avec une rédaction différente. Je pense qu'il faut vraiment avancer sur cette question.
La parole est à M. Jean-Claude Raux, pour soutenir l'amendement n° 583 .
Peut-être qu'une personne de votre entourage a déjà été victime de sextorsion. C'est le cas de l'une de mes collaboratrices, lorsqu'elle était étudiante – et donc majeure –, et qui m'a incité à m'appuyer sur son exemple.
La sextorsion peut prendre plusieurs formes. Pour ne vous citer qu'un exemple, il peut s'agir d'un mail, reçu sur une boîte universitaire, affirmant que si le destinataire ne paie pas la somme demandée, des images intimes de type pornographique seront diffusées sur ses pages personnelles sur les réseaux sociaux, dont l'auteur du message connaît les codes. Généralement, les sommes sont demandées en bitcoins ; mais comme l'a rappelé M. Balanant, il s'agit bien de chantage. Ce phénomène touche, en plus des mineurs, des jeunes majeurs, surtout des femmes, ainsi que les personnes LGBTQI qui n'ont pas fait leur coming out. Les témoignages et les signalements sont de plus en plus nombreux ces dernières années.
Ce délit spécifique existe déjà dans le code pénal pour les personnes mineures. J'apporte mon soutien pour combler le manque de protection des victimes majeures.
La parole est à Mme Véronique Riotton, pour soutenir l'amendement n° 533 .
Il s'agit de protéger principalement les femmes, qui sont souvent victimes de ces chantages. Les exemples sont nombreux ; mais ce qu'il faut retenir, c'est qu'ils concernent la vie intime des personnes. Le but est donc également d'interpeller les jeunes et les adultes et de les appeler à éviter des transferts d'images pouvant donner lieu à des chantages abominables.
L'enjeu de l'ensemble de ces amendements est de supprimer tout seuil d'âge s'agissant du délit de sextorsion, qui ne s'applique pour l'instant que si la victime est mineure : le chantage, c'est autant à moins qu'à plus de dix-huit ans. On ne peut pas laisser le droit en l'état.
L'amendement n° 852 de M. Vincent Seitlinger est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
Je remercie les auteurs des amendements d'avoir abordé ce débat. Je suis parfaitement sur la même ligne : il est en effet nécessaire d'aller plus loin en sanctionnant plus fortement la sextorsion. Je demanderai cependant le retrait de tous ces amendements au profit du n° 1044 de Mme Riotton, que doivent compléter deux sous-amendements identiques de M. Balanant et de moi-même, et qui crée une circonstance aggravante au chantage. En effet, vous proposez de créer une infraction autonome sur le modèle de ce qui existe déjà pour les mineurs depuis la loi du 21 avril 2021 – le délit de corruption sur mineur ne permettant pas de couvrir l'ensemble des cas de figure advenus depuis le développement des réseaux sociaux – alors que, je le rappelle pour que tous les collègues soient suffisamment éclairés, la sextorsion est déjà juridiquement sanctionnée au titre du chantage, passible de cinq années d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende, et que la problématique n'est pas la même pour les majeurs et pour les mineurs puisque la vulnérabilité de ces derniers explique qu'il puisse être nécessaire de les protéger d'eux-mêmes, c'est-à-dire de prévoir les cas où un mineur a volontairement donné à un adulte des images de lui à caractère sexuel sans réaliser qu'il se mettait en difficulté. Il me semble que pour les personnes majeures, le sujet des amendements en discussion, la question se pose différemment parce qu'elles ont des capacités de discernement dont ne disposent pas les mineurs. Je voudrais à cette occasion saluer mon collègue Erwan Balanant pour tout son travail depuis plusieurs années sur ce sujet pour sanctionner davantage la sextorsion.
Le Gouvernement propose également aux défenseurs de ces amendements en discussion commune de les retirer au profit de l'amendement n° 1044 de Mme Riotton, modifié par le sous-amendement n° 1081 de Mme la rapporteure et par le sous-amendement n° 1089 de M. Balanant. En effet, comme l'a rappelé Mme la rapporteure, il existe déjà un délit de chantage qui couvre le champ de ces amendements. Le Gouvernement s'inquiète par ailleurs des effets de bord que pourrait générer la création d'une nouvelle infraction pour réprimer spécifiquement le chantage sexuel puisque les juridictions pénales pourraient alors être conduites à en conclure que celui-ci n'était pas inclus dans l'incrimination déjà existante du chantage générique, et à relaxer en conséquence des prévenus pour des infractions commises avant l'entrée en vigueur de la présente loi. Je rappelle que l'amendement susmentionné de Mme Riotton propose de créer, à partir du délit de chantage, une circonstance aggravante permettant de faire passer la peine de prison de cinq ans à sept ans et l'amende de 75 000 euros à 100 000 euros lorsque le chantage est de nature sexuelle et commis au travers d'un service de communication en ligne.
À chaque fois que l'on propose de créer un nouveau délit, on nous oppose toujours le même argument : la nouvelle incrimination est déjà incluse dans le droit en vigueur. Et quand il s'agit du garde des sceaux, c'est encore pire : il répond systématiquement niet ! Mais il faut définir avec précision les interdits dans le code pénal, sachant que celui-ci est le code des interdits de la société. Et la sextorsion est un acte qui n'existait pas auparavant, un chantage très particulier. Je défends avec d'autant plus de conviction la nécessité de créer en l'espèce un délit autonome qu'on m'avait opposé le même argument quand j'avais proposé de créer le délit de harcèlement scolaire, prétextant que ce type d'infraction était déjà prévu dans le code pénal au titre du harcèlement moral. Mais ce n'était évidemment pas la même chose, le Gouvernement et le législateur l'ont reconnu depuis. Donner un nom aux mots a son intérêt. Savoir qu'un texte spécifique prend en compte et protège la victime d'une sextorsion est très important pour elle et change complètement les choses. Ce n'est pas un chantage comme un autre en ce qu'il touche à l'intimité la plus profonde ; c'est très puissant. J'ai eu l'opportunité de rencontrer plusieurs victimes de sextorsion et je peux témoigner qu'elles sont vraiment profondément blessées que leur intimité ait été ainsi mise en cause. Par conséquent, définissons un interdit nouveau et inscrivons-le à ce titre dans le code pénal, et les victimes en seront mieux protégées, ce code étant, je le redis, la définition des interdits de notre société.
Le groupe LFI va rejoindre sur ces amendements, une fois n'est pas coutume, la position du Gouvernement. Il ne nous paraît en effet pas judicieux de créer en l'occurrence une nouvelle infraction alors que le délit de chantage existe déjà, pour preuve l'affaire de la sextape Benzema qui a fait les choux gras des médias il y a quelques années, celui-ci étant justement condamné. Par contre, il nous paraît important de prévoir dans ce type de chantage– donc principalement les sextapes – une circonstance aggravante et nous soutiendrons l'amendement n° 1044 de Mme Riotton.
Mais, au-delà de cette question, nous en appelons au ministre de la justice – j'espère que le message parviendra jusqu'à ses oreilles – pour que les circonstances aggravantes soient plus souvent retenues : je pense, par exemple, à la circonstance aggravante en cas d'homophobie. Une sextorsion revenant non seulement à violer l'intimité d'une personne mais aussi à l'« outer » avec une sextape est en effet un acte homophobe. Or la circonstance aggravante d'homophobie n'est quasiment jamais retenue, qu'il s'agisse d'une agression dans la rue, d'une sextorsion ou de quoi que ce soit d'autre. Il en est de même pour la circonstance aggravante de sexisme, c'est-à-dire lorsque c'est la femme qui est spécifiquement visée par la sextorsion. Notre droit prévoit pourtant dans ces deux cas l'outil juridique de la circonstance aggravante, un outil qui pourrait être systématiquement utilisé car non, il n'est pas acceptable de discriminer les gens, que ce soit pour leur orientation sexuelle, pour leur identité sexuelle ou parce qu'ils sont racisés, ou encore pour quelque autre raison.
L'amendement n° 841 n'est pas adopté.
L'amendement n° 848 n'est pas adopté.
Sur amendement n° 1044 , je suis saisi par le groupe Renaissance d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Je suis saisi de deux amendements, n° 451 et 1044 , pouvant être soumis à une discussion commune. L'amendement n° 1044 fait l'objet des sous-amendements identiques n° 1081 et 1089 .
La parole est à Mme Béatrice Descamps, pour soutenir l'amendement n° 451 .
Il vise à créer une peine spécifique à l'encontre des auteurs de sextorsion. Cette escroquerie, qui consiste à menacer de dévoiler des photos ou des vidéos intimes contre rémunération, est de plus en plus répandue. Si elle s'apparente au chantage, elle est plus intrusive et le préjudice moral des victimes donc beaucoup plus important. Il vous est proposé de rehausser les peines lorsque le chantage exercé concerne la diffusion ou la transmission d'images, de vidéos ou d'autres représentations à caractère pornographique.
La parole est à Mme Véronique Riotton, pour soutenir l'amendement n° 1044 .
Il a le même objectif que les amendements précédents, mais celui-ci a été signé par l'ensemble des députés de notre groupe. Il s'agit de prévoir une circonstance aggravante lorsque le délit de chantage « est commis par l'utilisation d'un service de communication au public en ligne ou par le biais d'un support numérique ou électronique et qu'il porte sur des images ou des vidéos à caractère sexuel », et de porter en conséquence les peines à six ans d'emprisonnement et 90 000 euros d'amende.
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir le sous-amendement n° 1081 .
Je vais laisser M. Balanant soutenir son amendement qui est identique, monsieur le président.
La parole est à M. Erwan Balanant, pour soutenir le sous-amendement n° 1089 .
Je vous remercie, madame la rapporteure. Il s'agit de prévoir les bons quanta de peine et donc de rehausser les sanctions prévues dans l'amendement. Ce sera une avancée mais, pour les raisons que j'ai déjà expliquées, une avancée minime. Je suis toujours très étonné d'entendre qu'il ne faudrait pas créer de nouvelles qualifications pénales. Je le redis : une telle création permet de définir un nouvel interdit. Et il s'agit en l'occurrence de faits qui n'existaient pas jusqu'à récemment, et donc pas à l'époque où le législateur a créé le délit de chantage. Je prends note qu'on avance tout de même puisque ce type de chantage sera mieux sanctionné, mais est-ce que cette nouvelle disposition protégera davantage les victimes ? Je n'en suis pas sûr. Reconnaître la spécificité de la situation de la victime contribue à sa reconstruction. Je peux vous assurer qu'on reviendra un jour ou l'autre sur le sujet de la sextorsion et qu'il y aura, j'en suis certain, un délit spécifique dans le code pénal.
Ce sera une demande de retrait pour l'amendement de M. Naegelen qu'a soutenu Mme Descamps, pour les raisons exposées précédemment, au profit de l'amendement n° 1044 de Mme Riotton sous-amendé. Le rapporteur général et moi-même jugeons préférable de privilégier la circonstance aggravante pour ce type de chantage plutôt que de suivre l'argumentation développée par les signataires des amendements de la discussion commune précédente. Ce sera une belle avancée pour les femmes notamment, et plus généralement pour tous ceux qui sont victimes de sextorsion.
Voilà un amendement et deux sous-amendements qui visent à apporter une réponse plus ferme au problème de sextorsions et qui s'appuient sur le délit de chantage en y ajoutant en l'espèce une circonstance aggravante. Je propose à Mme Descamps de retirer l'amendement déposé par M. Naegelen, au profit de l'amendement n° 1044 parce qu'il est mieux-disant : le « caractère sexuel » a en effet une portée plus large que le « caractère pornographique ». Et les sous-amendements, que M. Balanant a admirablement présentés ,
Sourires
permettent d'ajuster les quanta des peines de manière à avoir un nouveau dispositif plus efficace en la matière. Certes, il ne portera pas le nom de « sextorsion », mais je pense que tout le monde aura bien compris que c'est bien cet acte qu'il vise.
L'amendement n° 451 n'est pas adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 118
Nombre de suffrages exprimés 118
Majorité absolue 60
Pour l'adoption 117
Contre 1
L'amendement n° 1044 , sous-amendé, est adopté.
Il vise à renforcer, en cas de condamnation pour cyberharcèlement et haine en ligne, la peine complémentaire de suspension du ou des comptes ayant servi à commettre le délit prévue à l'article 5 du présent projet de loi. Nous proposons que le blocage du compte devienne une mesure de contrôle judiciaire, ce qui permettra au juge d'instruction ou au juge des libertés et de la détention (JLD) de demander la suspension du compte pendant le temps de l'instruction. Un tel dispositif ne peut qu'être cohérent puisque les mesures de contrôle judiciaire ont justement pour objet d'empêcher la récidive.
Nous avons déjà évoqué ce sujet à quelques reprises ces derniers jours. Votre dispositif n'est pas limité dans le temps ; il reviendrait donc à prononcer une peine de bannissement des réseaux sociaux pour un temps particulièrement long, ce qui enfreint la liberté fondamentale d'expression. Avis défavorable.
C'est à la fois la durée de la peine de bannissement et son étendue qui posent problème. Si cet amendement était adopté, l'ensemble des comptes détenus par la personne qui s'est rendue coupable d'une infraction sur un réseau social donné seraient suspendus. Cela semble disproportionné eu égard au respect de la liberté d'expression. Avis défavorable.
J'entends vos arguments sur la durée de la peine ; l'amendement pourrait d'ailleurs être retravaillé en ce sens. Mais, si vous craignez la portée que notre dispositif pourrait avoir sur l'ensemble des comptes, en ce qui me concerne, j'assume parfaitement de priver celui qui s'est rendu coupable de harcèlement en ligne de la possibilité d'accéder à tout autre réseau social. Si vous harcelez votre voisine sur Facebook, alors vous ne devriez pas pouvoir récidiver sur Twitter.
Celui qui n'est pas d'accord sur ce point ne peut pas prétendre lutter contre le cyberharcèlement.
L'amendement n° 28 n'est pas adopté.
L'article 138 du code de procédure pénale donne au juge d'instruction ou au juge des libertés et de la détention le pouvoir de restreindre la liberté d'une personne qui est mise en cause pendant la durée de l'instruction ; celle-ci peut notamment se voir interdire l'accès à certains lieux physiques. Par analogie, nous souhaitons permettre au juge d'interdire la fréquentation de certains lieux de l'espace numérique, c'est-à-dire de se connecter sur certains sites ou d'utiliser certaines applications. Cet amendement, qui a été inspiré par notre collègue sénatrice Laurence Rossignol, nous semble pertinent eu égard aux évolutions que l'espace numérique connaît aujourd'hui.
Nous avons déjà admis la possibilité de prononcer ce genre de peines, mais pour une durée de six mois. Votre dispositif, lui, ne prévoit aucune limite temporelle, ce qui reviendrait à prononcer une peine de bannissement des réseaux sociaux pour un temps trop long au regard de la restriction de liberté que cela représente.
Il est vrai que l'on devrait pouvoir empêcher les cyberharceleurs de récidiver sur d'autres réseaux sociaux ; votre préoccupation est à cet égard légitime. J'insiste, cependant : votre dispositif, qui n'est pas limité dans le temps, s'avère particulièrement attentatoire aux libertés fondamentales. Voilà pourquoi j'émettrai un avis défavorable.
L'amendement n° 1003 n'est pas adopté.
La parole est à M. Laurent Esquenet-Goxes, pour soutenir l'amendement n° 837 , qui fait l'objet de sous-amendements.
Cet amendement du groupe Démocrate, que je sais être soutenu par de nombreux collègues sur d'autres bancs, prévoit l'expérimentation de mécanismes de médiation sur les réseaux sociaux.
Bien que les utilisateurs soient en permanence exposés à des contenus offensants, un jeune sur trois ne signale pas les agressions dont il est victime. Face aux difficultés que représente l'action en justice, il est urgent d'élaborer de nouvelles solutions : la médiation entre utilisateurs volontaires, dispensée par des associations, peut en faire partie. Cette nouvelle voie de résolution amiable des conflits permettrait de recueillir la parole de la personne heurtée et inviterait l'utilisateur à réfléchir à ses messages et à son comportement.
L'intérêt premier d'une médiation est d'apporter une modération consentie par l'émetteur ; c'est une façon d'encourager les usagers à revenir sur leurs comportements cyberviolents. Les méditations seraient essentiellement adressées aux auteurs de contenus harcelants ou offensants suscitant une charge mentale, soit les contenus « gris », qui n'apparaissent pas comme manifestement illicites : il s'agit par exemple de moqueries ne relevant pas du registre de l'insulte, de piques constantes entre les membres d'un même groupe, ou encore de propos empreints de clichés qui ne tombent pas dans le champ des délits prévus par la loi.
Si nous devons agir au niveau national, c'est parce que la question de la médiation entre utilisateurs n'est actuellement pas abordée en droit européen, lequel se contente de renvoyer à un mode extrajudiciaire de règlements de contentieux entre plateformes et utilisateurs. L'heure est cependant favorable au développement des modes alternatifs de règlement des conflits, qui, à la différence de la médiation pénale, interviennent au stade précontentieux. L'amendement s'inscrit dans cette dynamique.
J'adhère en tout point à l'expérimentation suggérée par nos collègues du groupe Dem qui, suivant une proposition de l'association Respect Zone, avec laquelle je travaille également, souhaitent développer la médiation dans l'espace numérique. Les modes alternatifs de règlement des différends (MARD), la médiation, le processus collaboratif, mais aussi les rencontres restauratives sont susceptibles de contribuer à l'apaisement de la société, en poussant l'auteur des faits délictueux à prendre connaissance de la gravité de son acte et en permettant à la victime de se réparer.
À l'heure où la violence, qu'elle soit verbale, symbolique ou physique, est devenue un mode d'expression courant dans notre société, il est essentiel d'apaiser les esprits et de retrouver les moyens de dialoguer, d'échanger, d'entendre – de nous entendre –, de converser, de comprendre, d'expliquer, de se confronter ; bref, de communiquer pour aboutir à des échanges pacifiés.
Cette évolution doit être suivie par le plus grand nombre de citoyens, mais surtout – et c'est là le but de mes sous-amendements –, elle doit être accompagnée par des professionnels dignes de ce nom. On ne s'improvise pas médiateur. Or l'amendement proposé par mon collègue Esquenet-Goxes ne mentionne pas l'intervention de médiateurs expérimentés. Il se trouve que l'activité de médiateur n'est pas réglementée : en effet, aucune condition de diplôme n'est exigée, mais cela devrait changer grâce aux propositions du Conseil national de la médiation (CNM).
L'exposé sommaire de l'amendement n° 1074 , qui sera défendu tout à l'heure, précise que « la médiation entre utilisateurs volontaires [sera] dispensée par des associations expertes en droit et reconnues dans la lutte contre les cyberviolences. » Ces associations sont tout à fait qualifiées pour dispenser des formations sur la cyberviolence, ou même pour animer des stages de citoyenneté. Mais les acteurs qu'elles recrutent n'ont, sauf exception, pas reçu une formation qualifiante de médiateur, qui exige une expertise particulière.
Ainsi, il est essentiel de s'assurer que la médiation est dispensée par des professionnels formés à cet effet – c'est l'objet du sous-amendement n° 1110 – ou, le cas échéant, par des professionnels spécialement formés à la justice restaurative – ce que prévoit le sous-amendement n° 1109 . Je rappellerai que la justice restaurative, dans le cadre d'une infraction pénale, met en lien les victimes et les auteurs des faits – pour une même affaire ou des affaires différentes.
Je voudrais tout d'abord saluer le travail qui a été accompli par Laurent Esquenet-Goxes sur le sujet des plateformes de médiation ; et je n'oublie pas Mme Yadan, dont je connais l'engagement dans la lutte contre le harcèlement en ligne. Ici, vous proposez un dispositif nouveau de médiation des litiges en ligne qui serait mis en œuvre par des associations, en partenariat avec les plateformes. Il me semble intéressant en tant qu'étape préalable à la saisine des tribunaux, qui apporteront une réponse pénale. J'y suis même tout à fait favorable car, depuis le début de l'examen de ce texte, j'ai souvent défendu l'idée de disposer d'un panel de sanctions, d'options et de dispositions pour encourager les comportements vertueux. En ce sens, l'amendement du député Esquenet-Goxes y répond parfaitement : j'émets donc un avis favorable.
J'en viens au sous-amendement n° 1110 . Je précise à l'intention notre collègue Yadan qu'il est déjà fait mention des médiateurs. Cela suffira à garantir que des personnes formées travailleront avec les victimes : en effet, la médiation est un métier déjà reconnu. Toutefois, j'entends votre argument. Voilà pourquoi je m'en remettrai à la sagesse de l'Assemblée.
En revanche, il me semble que le sous-amendement n° 1009 , qui part d'une bonne intention, pourrait rendre plus confus le rôle des plateformes. Car l'objectif est bien de faire en sorte que la médiation se situe en amont du procès pénal, qu'elle soit une première étape. L'amendement de notre collègue Esquenet-Goxes tend ainsi à la résolution amiable des différends, qui doit donc intervenir avant la tenue du procès. Or la justice restaurative intervient après un procès pénal. Je demanderai donc le retrait de ce sous-amendement.
Je veux à mon tour saluer le travail de Laurent Esquenet-Goxes sur cette question. Malheureusement, l'avis du Gouvernement sera défavorable, pour une raison simple : cet amendement contrevient aux engagements européens de la France, en particulier le règlement sur les services numériques – ou Digital Services Act (DSA). Et lorsque le législateur européen tranche certaines questions, le législateur français n'est pas fondé à venir retricoter ces arbitrages, ces dispositions nouvelles.
Que se passerait-il si cet amendement était adopté ? La disposition nouvelle serait notifiée à la Commission européenne qui, immanquablement, écrirait au gouvernement français quelques mois plus tard pour lui demander de l'abroger. Vous comprendrez que, pour cette raison évidente d'inconventionnalité, je ne peux pas émettre d'avis favorable.
En revanche, la mesure est très positive sur le fond. D'ailleurs, on peut s'attendre dans les années qui viennent à voir ces solutions de médiation se développer. Ce qui est inconventionnel, c'est de les rendre obligatoires, de les imposer aux plateformes, alors même que le législateur européen n'a pas souhaité le faire.
S'agissant de l'association Respect Zone, qui a été citée par Mme Yadan, je préciserai que le Gouvernement et le Président de la République soutiennent ses actions. La preuve, c'est que le 10 novembre dernier, lors de la création du Laboratoire pour la protection de l'enfance en ligne, Respecte Zone était présente parmi les associations invitées à proposer des expérimentations.
Reste qu'un an plus tard, aucune plateforme n'a donné suite à ses propositions. Comment l'interpréter ? Cela peut signifier que nous devrions mettre davantage de pression sur les plateformes pour qu'elles acceptent d'adopter cette solution, ou alors que Respect Zone devrait faire évoluer son dispositif afin qu'il soit perçu plus favorablement par les plateformes. Celles-ci ont tout à gagner de l'expérimentation ou, en tout cas, du développement de la médiation sur leurs propres services, puisque c'est une manière d'atténuer les violences et la haine en ligne.
Enfin, avec la réserve citoyenne que nous vous proposerons d'instituer par un amendement ultérieur, nous créons un cadre susceptible de conforter et d'encourager les associations comme Respect Zone qui, grâce à la médiation, au signalement et à l'accompagnement des victimes, contribuent au quotidien à la pacification de l'espace numérique.
Madame la rapporteure, je vous remercie pour votre avis de sagesse sur le sous-amendement n° 1110 .
S'agissant de la justice restaurative, vous avez raison, mais il n'est pas nécessaire, pour qu'elle soit mise en œuvre, qu'il y ait une plainte ; un acte de procédure suffit. Cela peut être une simple main courante ; je pense que chacun est susceptible d'en déposer une. Il me semble que, dans la mesure où l'on s'inscrit dans un cadre potentiellement pénal, la justice restaurative s'appliquerait mieux que la simple médiation. C'est pourquoi, même si j'entends ce que vous dites, je ne retirerai pas le sous-amendement n° 1109 .
Certes, monsieur le ministre, nous risquons de nous faire retoquer par la Commission mais ce qui serait intéressant, si nous adoptions cet amendement, c'est le message que nous enverrions tant aux plateformes qu'à l'Union européenne. Ce serait une manière de dire que la France se penche sur la question des modes de résolution amiable des différends, que ces outils-là nous intéressent grandement. Vous savez comme moi, d'ailleurs, que le ministre de la justice a prévu, dans sa réforme de la justice, une partie réglementaire sur le développement de la médiation et des modes de résolution amiable. Peut-être avons-nous là l'occasion de délivrer un message important pour nous et pour l'ensemble de la société, qui, en ces temps obscurs, est bien bouleversée.
Je regrette d'avoir à vous contredire, madame la députée, mais ce n'est pas quand la France contrevient à ses engagements européens qu'elle gagne du crédit sur la scène européenne. C'est quand le Président de la République et ses gouvernements ont fait sortir la France de la procédure pour déficit excessif que notre pays, en retrouvant du crédit sur la scène européenne, a pu, lorsque la crise de la covid est intervenue, convaincre ses partenaires européens de lever en commun une dette. C'était une première dans l'histoire européenne.
Le rendez-vous pour faire bouger l'Europe, ce sera le 9 juin, à l'occasion des élections européennes. Je vous rappelle qu'en 2019, les candidats de la majorité présidentielle avaient annoncé qu'ils se battraient pour créer un statut particulier pour les grandes plateformes de réseaux sociaux. Le règlement européen sur les services numériques lui a donné corps.
Cette majorité l'a fait, mais ses membres l'ont fait en Européens, c'est-à-dire en allant convaincre nos partenaires européens qu'il fallait aller plus loin, harmoniser les pratiques par le haut et, par le consensus, instaurer de tels règlements. Je vous mets en garde contre la tentation d'enfreindre nos engagements européens pour nous faire entendre de l'Europe. Il faut, à l'inverse, faire œuvre de conviction et, autant que nous le pouvons, nous conformer à ces engagements. C'est ainsi que la voix de la France pourra se faire entendre au sein des instances européennes.
L'amendement n° 837 est adopté.
La parole est à M. Laurent Esquenet-Goxes, pour soutenir l'amendement n° 1074 , qui fait l'objet de sous-amendements.
Étant donné que mon précédent amendement a été adopté, je retire celui-ci.
Je suis saisi de six amendements, n° 327 , 509 , 536 , 607 , 944 et 1054 , visant à supprimer l'article.
Sur ces amendements, je suis saisi par le groupe Rassemblement national d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Christelle Petex-Levet, pour soutenir l'amendement n° 327 .
Il tend à supprimer l'infraction d'outrage en ligne telle que prévue par l'article 5 bis.
Cette infraction nouvellement créée présente en effet des risques sérieux d'inconstitutionnalité, en raison de sa sortie du régime de la loi sur la liberté de la presse. La qualification d'outrage sexiste telle que rédigée dans le présent projet de loi rejoint l'injure réprimée par ladite loi. Pourtant, ce régime adapté aux infractions d'abus de la liberté d'expression ne s'appliquera pas. Les injures en ligne auront ainsi une prescription allongée, les responsables seront désignés selon les règles du droit commun et l'ensemble des modes de poursuite sera ouvert.
Il apparaît, en outre, que l'arsenal répressif est suffisamment développé pour lutter contre les outrages en ligne. Une telle superposition nuirait à l'intelligibilité et la prévisibilité de la loi pénale.
La parole est à Mme Ségolène Amiot, pour soutenir l'amendement n° 509 .
L'article 5 bis pose selon nous plusieurs problèmes.
Premièrement, l'outrage en ligne est en effet déjà largement couvert par des notions telles que les violences psychologiques, les injures, les diffamations, le harcèlement ou l'outrage sexiste. Dans notre arsenal judiciaire, il y a largement de quoi faire.
Deuxièmement, l'article prévoit pour cette infraction spécifique une amende forfaitaire délictuelle. Nous avons déjà dénoncé les AFD à l'occasion d'autres textes. Dans ce cas précis, elle nous paraît extrêmement dommageable : ce ne sera plus un juge qui déterminera si le propos tenu était un outrage ou non, ce sera la police qui décidera s'il faut appliquer une amende et inscrire l'infraction dans le casier. Il n'y a plus de notion de jugement par un juge judiciaire.
Voilà pourquoi nous proposons cet amendement de suppression.
La parole est à M. Aurélien Lopez-Liguori, pour soutenir l'amendement n° 536 .
Par cet article, vous souhaitez instaurer une amende forfaitaire délictuelle pour un délit que vous inventez, l'outrage en ligne. Cela nous semble un moyen de sanction inapproprié.
Nous pensons que lorsqu'un délit est commis en ligne, il est nécessaire d'effectuer une enquête, qui pourra être longue, faute de moyens – je rappelle que moins de 30 équivalents temps plein (ETP) travaillent pour Pharos. Il y a besoin d'un juge, qui donne son appréciation sur des situations parfois difficiles. Tout cela est incompatible avec l'amende forfaitaire délictuelle, qui est un moyen de réponse direct, immédiat, sans procès, sans passage devant un juge.
J'ajoute que le Défenseur des droits estime que l'AFD déroge à plusieurs principes fondamentaux : l'opportunité des poursuites, le droit d'accès au juge, les droits de la défense et l'individualisation des peines.
De surcroît, on va faire appel à la police administrative et il y a un risque d'attenter à la liberté d'expression.
Il est nécessaire de prendre le temps d'examiner l'affaire et de passer par un juge. D'où cet amendement de suppression.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
La parole est à Mme Soumya Bourouaha, pour soutenir l'amendement n° 607 .
Le groupe GDR demande lui aussi la suppression de cet article et de l'extension de l'amende forfaitaire délictuelle à certaines infractions du droit de la presse commis en ligne, comme la diffamation et l'injure à caractère raciste, sexiste et homophobe.
La procédure de l'amende forfaitaire, qui permet de prononcer une sanction pénale en l'absence de procès, déroge à plusieurs principes du droit pénal et de la procédure pénale, tels que le respect de la présomption d'innocence, le contradictoire, les droits de la défense, l'individualisation des peines et le droit d'accès au juge. Nous ne sommes pas les seuls à le dire : de nombreuses organisations syndicales et associations de défense des droits de l'homme, comme le Syndicat de la magistrature ,
« Ah, la référence ! » sur les bancs du groupe RN
le Syndicat des avocats de France, la Ligue des droits de l'homme, Médecins du monde, et j'en passe, demandent la suppression de cette procédure inéquitable et arbitraire, qui s'apparente à une peine automatique, sans recours effectif au juge, sans accès à la défense, et qui crée un profond sentiment d'injustice chez les personnes visées. Le Défenseur des droits recommande d'ailleurs de revenir à une procédure judiciaire pour tous les délits, de manière à respecter le droit et l'égalité entre les usagers.
Enfin, l'arsenal répressif est déjà suffisamment développé pour lutter contre les outrages en ligne. Il est à craindre qu'en se superposant au dispositif existant, l'article nuise à l'intelligibilité et à la prévisibilité de la loi pénale.
Le groupe Écologiste propose lui aussi de supprimer l'article.
La généralisation des AFD, c'est la banalisation des amendes. L'an passé, des personnes ont été convoquées au poste de police pour avoir écrit « Macron démission ! » sur Twitter. Avec cette généralisation, pour de l'humour, des critiques ou des avis, une amende pourrait être prononcée, sans même passer par un juge ! C'est un pouvoir bien trop grand de censure et d'intimidation, dont l'administration pourrait abuser. Nous sommes déjà dotés d'un riche arsenal de lutte contre l'outrage en ligne. Il est inutile, voire abusif, d'en rajouter.
Le Conseil national des barreaux (CNB) a en outre souligné qu'il y avait un fort risque que cette superposition nuise à la validité de la loi, qui pourrait être jugée anticonstitutionnelle.
La parole est à M. Erwan Balanant, pour soutenir l'amendement n° 1054 .
Le groupe Démocrate souhaite lui aussi la suppression de l'article 5 bis . Qui trop embrasse mal étreint !
En commission spéciale, nous avons adopté un article 5 ter qui sanctionne les outrages sexistes et sexuels. Il me semble que ce faisant, nous avons atteint un point d'équilibre, qui nous permet de faire progresser l'idée que les réseaux sociaux ne sont pas un lieu d'impunité.
Pourquoi le présent article va-t-il trop loin ? Parce qu'on s'aventure dans des qualifications pénales qui ne sont pas facilement constatables. L'outrage sexiste et sexuel, ce qu'on appelle le harcèlement de rue dans la vraie vie, est facilement constatable. Là, on risque d'avoir affaire à des questions qui relèvent normalement de la dix-septième chambre du tribunal judiciaire de Paris. Quand on voit les débats qui agitent celle-ci, par exemple sur les questions de diffamation ou d'injure publique, il est évident qu'elles ne peuvent pas être réglées par une AFD. Certaines qualifications sont ainsi punies par de fortes peines d'amende – 4 000 euros, par exemple. Et là, elles relèveraient d'une AFD de 300 euros seulement ? Cela ne marche pas !
Applaudissements sur certains bancs du groupe RN.
Nous nous engageons dans un débat assez long, que nous avons déjà eu en commission spéciale. Le rapporteur général et moi sommes absolument contre ces amendements de suppression de l'article 5 bis .
Beaucoup d'arguments ont été développés. Je rappelle néanmoins que la commission spéciale a entièrement réécrit l'article. Il convient désormais de bien faire la distinction entre le texte issu du Sénat et celui adopté par la commission spéciale.
En l'état, l'article prévoit une amende forfaitaire de 300 euros pour certains types de propos haineux tenus en ligne : injures ou diffamations publiques racistes, c'est-à-dire à raison de l'origine, de l'appartenance ou de la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; injures ou diffamations publiques sexistes, homophobes, handiphobes, transphobes, c'est-à-dire à raison du sexe, de l'orientation sexuelle, de l'identité de genre ou du handicap.
Ce n'est pas un allégement de la répression, comme nous avons pu l'entendre. L'introduction de cette amende ne signifie pas que les infractions seront moins sévèrement punies, loin de là. Je tiens à souligner que les peines d'emprisonnement restent en vigueur. L'objectif de cette amende est de combler un vide juridique, de punir des actes qui échappent complètement à la justice.
Par ailleurs, le montant de l'amende, 300 euros, peut paraître élevé. En réalité, il est proportionné au regard des amendes infligées pour d'autres infractions. Ainsi, l'usage de stupéfiants est puni d'un an d'emprisonnement et peut donner lieu à une AFD de 200 euros.
Je tiens à rappeler le débat en cours à propos de la lutte contre l'impunité en ligne. Les statistiques actuelles montrent bien que très peu de cas de propos haineux font l'objet de poursuites. Or le dispositif que nous proposons permettra précisément de lutter contre le sentiment d'impunité en ligne.
J'en viens aux arguments relatifs à la solidité constitutionnelle. Notre dispositif a été conçu pour être conforme aux prescriptions du Conseil constitutionnel. Pour sa mise en œuvre, on peut tout à fait envisager la création d'une unité spécialisée d'agents verbalisateurs, comme il en existe dans de nombreux autres domaines. Ces agents travailleront en étroite collaboration avec le parquet, ce qui garantira une application harmonieuse du dispositif.
Je prends le temps de répondre aux interrogations soulevées lors de la présentation des différents amendements de suppression.
Madame Petex-Levet, en défendant l'amendement de M. Gosselin, vous avez en réalité critiqué la version de l'article 5 bis adoptée par le Sénat, que nous avons modifiée en commission. Notre version est plus robuste ; elle prévoit un dispositif plus adapté et mérite d'être discutée en tant que telle. Si nous supprimons l'article 5 bis, nous aborderons la commission mixte paritaire (CMP) avec la seule version du Sénat, sans rien proposer d'autre. C'est pourquoi je vous invite à retirer votre amendement.
Mesdames Amiot et Bourouaha, vous estimez que la législation actuelle est suffisante, ainsi que vous l'avez indiqué à plusieurs reprises. Pourtant, les statistiques actuelles montrent bien que les infractions commises en ligne ne sont pas toutes poursuivies. L'ignorer, c'est ignorer un problème social majeur qui se pose en ligne. Pensez-vous que la réponse pénale est adaptée à tous ces propos racistes, messages sexistes et autres injures transphobes qui circulent sur internet ? Pour notre part, nous entendons y remédier par l'article 5 bis .
Monsieur Lopez-Liguori, vous avez fait une erreur : vos arguments portent sur le texte qui est issu du Sénat, et non sur celui qui a été adopté par la commission.
M. Aurélien Lopez-Liguori fait un signe de dénégation.
Les préoccupations relatives à l'identification des acteurs et à l'opportunité des poursuites ont déjà été prises en compte dans notre dispositif ; nous en avons débattu en commission.
Ce n'est pas ce qu'il a dit sur le fond ! Il faut écouter, madame la rapporteure !
Madame Belluco, j'ai deux éléments de réponse à apporter à ce que vous avez dit en défendant l'amendement de M. Taché.
D'une part, le Conseil constitutionnel n'a pas censuré le principe même du recours à l'AFD pour l'outrage sexiste ou sexuel. Or la caractérisation de ce délit laisse place à une marge d'appréciation qui peut paraître, à bien des égards, supérieure à celle qui existe dans le cas des injures ou diffamations publiques à caractère raciste. Pour que l'outrage sexiste ou sexuel soit constitué, je le rappelle, cela suppose que les propos ou les comportements litigieux aient porté atteinte à la dignité de la personne, en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou qu'ils aient créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Dès lors que l'on a ouvert la possibilité de recourir à l'AFD pour l'outrage sexiste ou sexuel, je ne vois pas pourquoi l'on refuserait de le faire pour les injures ou diffamations publiques à caractère raciste.
D'autre part, vous omettez vous aussi de prendre en compte le dispositif adapté retenu par la commission. Les arguments que vous avez développés se rapportaient davantage au texte issu du Sénat qu'à celui de la commission.
Monsieur Balanant, vous avez soulevé la question de la durée de la peine d'emprisonnement, mais en vous fondant sur une mauvaise interprétation : le Conseil constitutionnel permet le recours à l'AFD pour des infractions qui sont punies jusqu'à trois ans d'emprisonnement. Votre argument est donc erroné. Du point de vue constitutionnel, l'AFD n'est pas plus robuste dans le cas de l'outrage sexiste ou sexuel au motif que cette infraction est punie d'une amende, et non d'une peine de prison.
Pour toutes ces raisons, je demande le retrait des amendements de suppression, sans quoi mon avis sera très défavorable. J'espère que certains collègues entendront les arguments que j'ai pris le temps d'exposer et accepteront de retirer leur amendement, de sorte que nous débattions de l'article 5 bis, qui permettrait d'infliger enfin des amendes pour toute une série de propos haineux tenus en ligne. Le dispositif est tout à fait adapté.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
L'enjeu, ici, est de pouvoir traiter plus rapidement les délits commis en ligne, en recourant à l'AFD, comme il est déjà possible de le faire dans certains cas prévus par notre droit. Dès le début de l'examen du texte au Sénat, le Gouvernement s'est montré ouvert à ce que l'on cherche une solution pour qu'il soit possible, dans des cas bien circonscrits, de prononcer une AFD.
Le Sénat a proposé la création d'un nouveau délit, l'outrage en ligne. Toutefois, celui-ci posait deux problèmes majeurs, ce qui a amené le Gouvernement à donner un avis défavorable. D'une part, le champ des faits susceptibles d'être sanctionnés par une AFD était très étendu, et certains faits visés n'étaient manifestement pas illicites. Or, l'AFD étant prononcée non pas par le juge, mais par les forces de l'ordre, il faut que le délit soit facile à caractériser. Le dispositif prévu par le Sénat semblait donc très difficile à appliquer. D'autre part, cela risquait de conduire à la déqualification de certains délits : leur auteur aurait pu se voir infliger une simple amende de 300 euros, alors même qu'il s'agit d'actes particulièrement graves.
Un certain nombre de députés, notamment les rapporteurs, soutiennent l'objectif de faire cesser, grâce au recours à l'AFD, des comportements qui propagent la violence et la haine en ligne. Lorsque le texte a été soumis à l'Assemblée, deux propositions ont été mises sur la table.
La première, celle de M. Balanant, consiste à se fonder sur un délit existant, l'outrage sexiste ou sexuel, et à définir pour ce délit une neuvième circonstance aggravante, le fait qu'il soit commis en ligne. Or, en cas de circonstance aggravante pour ce délit, il est possible de prononcer une AFD. Ce dispositif présente un avantage : le délit est globalement considéré comme facile à caractériser. Il présente néanmoins un inconvénient : le champ est limité à celui de l'outrage sexiste ou sexuel – lequel correspond toutefois, à mon avis, à une part importante de ce que nous pouvons observer en ligne.
La deuxième proposition, celle de M. le rapporteur général, de Mme la rapporteure et de Mme la questeure Marie Guévenoux, consiste à créer un nouveau délit, sanctionnant les injures ou diffamations publiques discriminatoires commises en ligne. Le champ de ce délit est beaucoup plus restreint que celui du délit prévu par le Sénat. À cet égard, je suis d'accord avec vous, madame la rapporteure : les présentations des amendements de suppression que nous avons entendues semblent se référer au délit prévu par le Sénat, dont le champ était très étendu, plutôt qu'au délit introduit à l'initiative des rapporteurs et de Mme Guévenoux, dont le champ est beaucoup plus restreint.
En commission spéciale, face à ces deux propositions, le Gouvernement a suggéré aux rapporteurs et à Mme Guévenoux de retirer leurs amendements au profit de ceux de M. Balanant et de ses collègues. La commission a choisi d'adopter les deux séries d'amendements identiques.
S'agissant de ces amendements de suppression, le Gouvernement s'en remet à la sagesse de l'Assemblée. Il souhaite laisser le temps au Parlement de trancher entre les deux propositions.
Je remercie la rapporteure et le ministre délégué pour leurs explications détaillées, qui permettent de bien comprendre ce dont nous parlons.
Contrairement à ce que j'ai pu entendre, l'article 5 bis ne vise pas à empêcher les gens de crier « Macron, démission ! » Ils pourront continuer à le faire, rassurez-vous.
Je vous en prie, le sujet est sérieux.
L'article vise en revanche à protéger des centaines de milliers de Français qui subissent des injures ou de la diffamation à raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur religion, et à faire en sorte que ceux qui se livrent à ces injures ou à cette diffamation soient effectivement sanctionnés.
Il faut faire appliquer la loi ! Pour cela, il faut des moyens pour la justice !
Quelle est la réalité ? Des centaines de milliers de Français subissent des injures ou de la diffamation en ligne, mais peu de cas reçoivent une issue judiciaire.
Seuls 20 % des cas donnent lieu à des poursuites. Lorsqu'il y a des poursuites, l'instruction dure de dix mois à trois ans. Dans la moitié de ces affaires, seule une amende est prononcée. Dès lors, que font les victimes d'injures ou de diffamation ? Elles attendent, pour porter plainte, que la situation se détériore jusqu'à un point insupportable. En réalité, de nombreuses victimes ne saisissent pas la justice.
Nous ne proposons ni une peine au rabais ni le tout-répressif. Nous voulons faire en sorte qu'une amende soit effectivement infligée. Au fond, le modèle est un peu celui de l'AFD pour l'usage de stupéfiants : nous voulons que celui qui a commis pour la première fois des actes de cyberharcèlement soit condamné à payer une amende, afin qu'il se sente responsable de ces actes et se rende compte de ce qu'il a fait.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE. – M. le rapporteur général et Mme la rapporteure applaudissent aussi.
À l'Assemblée nationale, dans le jardin des Quatre Colonnes, se trouve une statue de Montesquieu. Dans un ouvrage bien connu, De l'esprit des lois, celui-ci a proposé le concept de séparation des pouvoirs. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle sa statue a été installée dans ce jardin : pour que, chaque fois que nous rejoignons cet hémicycle, nous nous souvenions que notre rôle consiste aussi à garantir l'indépendance de la justice.
Lorsque vous recourez à l'AFD, quel que soit le sujet considéré, vous supprimez l'intervention de la justice et, par là même, la possibilité d'un échange contradictoire, le droit à une défense et l'individualisation de la peine en fonction de la situation.
Nous souhaitons tous ici, hormis peut-être quelques collègues qui siègent de l'autre côté de l'hémicycle, combattre le racisme, l'homophobie, le sexisme et l'handiphobie.
« Nous l'avons vu ce week-end ! », « Et le Hamas ? » et « Vous n'avez pas honte ? » sur les bancs du groupe RN.
Toutefois, on ne mène pas ce combat de manière efficace lorsque l'on empêche l'accès à la justice. Tel est le sens des amendements de suppression déposés par de nombreux groupes, y compris le groupe Dem, qui appartient à la majorité.
Monsieur Balanant vous l'a très bien dit, nous défendons ici le principe de la séparation des pouvoirs, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. D'après cet article 16, un pays dans lequel cette séparation n'est pas effective « n'a point de Constitution ». Il faut rejeter l'article 5 bis en adoptant les amendements de suppression.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
La parole est à M. Paul Midy, rapporteur général de la commission spéciale.
Nous vous demandons de rejeter ces amendements de suppression. Grâce à ce projet de loi, nous entendons combattre le cyberharcèlement et la violence dans l'espace numérique. À cette fin, nous devons disposer de sanctions graduées.
Nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation actuelle : dans 95 % des cas, il ne se passe rien ; dans 5 % des cas, – si vous êtes Hoshi ou Eddy de Pretto et que vous avez du temps et de l'argent –, vous parvenez, au bout de trois ans, à faire condamner dix personnes sur les millions qui vous ont harcelé en ligne.
Monsieur Léaument, il est question ici d'injures ou de diffamation qui sont manifestes.
Pour que l'AFD puisse être infligée par un policier, il faut que l'infraction soit manifeste. Pardonnez-moi pour la vulgarité des propos que je vais rapporter, mais il s'agit d'injures telles que « Sale pute, je vais te crever ! » ,…
Exclamations prolongées sur divers bancs
…« Sale négresse, je vais te crever ! », « Sale pédé, je vais te crever ! », « Sale juif, je vais te crever ! ».
Dans la vie réelle, si un policier voit un individu se faire frapper ou insulter, ou une femme se faire violer, il intervient ; lorsque l'infraction est manifeste, il n'attend pas que le juge intervienne. Bien évidemment, l'AFD ne doit s'appliquer que dans les cas manifestes.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
J'en viens au risque de sous-qualification de la peine. L'AFD n'a pas vocation à se substituer à la voie judiciaire. Quand les victimes de harcèlement déposent plainte, la justice s'en saisit, mais le dépôt de plainte est malheureusement très rare. Nous proposons donc une solution supplémentaire pour faire appliquer la loi : permettre aux policiers d'être proactifs dans une situation manifeste dont ils auraient connaissance.
Cela n'empêche en aucun cas l'engagement d'une procédure judiciaire. De plus, un amendement que nous examinerons plus tard devrait permettre au parquet de s'autosaisir systématiquement en cas d'émission d'une amende forfaitaire délictuelle. Je rappelle que ces amendes peuvent faire l'objet d'un recours en justice. Nous ne faisons que donner une option supplémentaire pour mettre de l'ordre dans l'espace numérique.
Enfin, pour répondre à M. Balanant, les deux solutions ajoutées par la commission, l'article 5 bis et l'article 5 quater, reposent, elles aussi, sur des amendes forfaitaires délictuelles. Pourtant, je ne vois pas d'amendements de suppression sur ces articles.
Soit on est contre le principe d'une amende forfaitaire délictuelle, soit on est pour. On ne peut pas être pour l'amende prévue à l'article 5 quater dans le cas où quelqu'un dirait : « Sale pute, je vais te crever » ,
« Oh ! » sur les bancs du groupe RN
Brouhaha montant sur les bancs des groupes RN et LR
Je suis désolé de tenir des propos vulgaires, mais c'est cela, la réalité !
Si vous supprimez l'article 5 bis, vous retirez à la police la possibilité d'agir sur « sale pédé » et « sale juif ». Je veux que cela soit dit et que vous votiez en connaissance de cause.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE. – Mme la rapporteure applaudit également.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 214
Nombre de suffrages exprimés 210
Majorité absolue 106
Pour l'adoption 138
Contre 72
Les amendements de suppression n° 327, 509, 536, 607, 944 et 1054 sont adoptés ; en conséquence, l'article est supprimé et tous les amendements déposés sur l'article tombent.
Applaudissements sur les bancs des groupes RN, LFI – NUPES, LR et Écolo – NUPES
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante.
Nous avons abordé, avant la suspension, la question de la proportionnalité des sanctions en cas d'infraction commise sur les réseaux sociaux. Il est vrai que l'efficience d'une règle édictée par exemple contre le harcèlement scolaire ou le cyberharcèlement réside non seulement dans la proportion et la certitude de la sanction, mais aussi dans la justesse de celle-ci. De ce point de vue, nous avons une marge de progression.
Concernant le sujet qui nous intéresse – la capacité donnée au juge des enfants de prononcer une sanction de stage –, je propose d'aller plus loin en incluant dans ce stage une formation morale et civique qui me semble essentielle et qui devrait faire partie intégrante du processus d'apprentissage des enfants – à l'école, mais aussi à la maison, où ils en manquent cruellement. Cette formation comporterait un volet de sensibilisation aux risques liés au harcèlement et au cyberharcèlement. Souvent, les auteurs sont ignorants et ne sont pas responsabilisés sur le sujet.
Dans un second temps, je propose que le juge des enfants puisse prononcer une telle mesure et ordonner la confiscation de l'appareil qui a servi à commettre l'infraction – en général, le téléphone – dès l'âge de 11 ans, au lieu de 13 actuellement. Les études actuelles, qui sont de plus en plus argumentées, prouvent que c'est à l'âge de 11 ans, quand ils entrent au collège, que les enfants accèdent au téléphone portable et aux réseaux sociaux. Il serait curieux de faire la distinction entre les élèves de 11 ou 12 ans et les autres, alors que tous ces collégiens utilisent de la même façon les réseaux sociaux.
M. Romain Daubié applaudit.
La parole est à Mme Isabelle Périgault, pour soutenir l'amendement n° 330 .
Proposé par notre collègue Gosselin, il vise à encourager le développement de peines complémentaires ou alternatives adaptées aux enjeux du cyberharcèlement, au regard du nombre croissant d'infractions commises en ligne. Dans cette perspective, il s'agit d'instaurer la possibilité pour le juge des enfants, statuant en chambre du conseil, sur réquisitions du procureur de la République, si les circonstances et la personnalité du mineur le justifient, de condamner un mineur âgé d'au moins 13 ans à une peine alternative. Cette peine serait notamment un stage de sensibilisation comportant un volet sur les risques liés au harcèlement scolaire, à l'espace numérique et au cyberharcèlement.
La parole est à Mme Christelle Petex-Levet, pour soutenir l'amendement n° 448 .
De nos jours, le cyberharcèlement est un vrai fléau et les infractions commises en ligne sont de plus en plus nombreuses. Identique à celui proposé par Philippe Gosselin, cet amendement tend à encourager le développement de peines complémentaires ou alternatives, en donnant au juge des enfants la possibilité de condamner les mineurs d'au moins 13 ans à ce type de peine.
Ce texte nous invite notamment à nous poser la question suivante : comment interdire dans le monde numérique ce qui est interdit dans la vie réelle, en prévoyant des peines adéquates et en adaptant des textes parfois anciens au défi des nouvelles technologies, ainsi que des réseaux sociaux et numériques ?
Nous proposons de compléter l'article L. 121-4 du code de la justice pénale des mineurs afin de permettre au juge de prononcer une peine consistant en un stage de sensibilisation aux risques liés au harcèlement scolaire ainsi qu'au cyberharcèlement. Comme j'ai coutume de le dire, une bonne peine est une peine qui est comprise et acceptée par l'auteur des faits, mais qui permet aussi de protéger la société en évitant au maximum leur réitération.
Les juges avec lesquels j'en ai discuté m'ont expliqué que, l'éventail des peines possibles dans ce genre de cas étant assez restreint, ils avaient tendance à se contenter de simples rappels à la loi, ce qui me paraît insuffisant. Ces stages de sensibilisation permettraient de mieux protéger la société en faisant œuvre de pédagogie.
La parole est à Mme Soumya Bourouaha, pour soutenir l'amendement n° 608 .
Suivant une préconisation du Conseil national des barreaux, il vise à favoriser le développement de peines complémentaires ou alternatives adaptées aux enjeux du cyberharcèlement. Nous souhaitons permettre au juge des enfants, statuant en chambre du conseil, sur réquisitions du procureur de la République, si les circonstances et la personnalité du mineur le justifient, de condamner un mineur âgé d'au moins 13 ans à une peine alternative. Il pourrait s'agit d'un stage de sensibilisation comportant un volet sur les risques liés au harcèlement scolaire, à l'espace numérique et au cyberharcèlement.
Rappelons qu'en ce qui concerne les mineurs, les peines doivent tendre à leur relèvement éducatif et moral, à la prévention de la récidive et à la protection de l'intérêt des victimes. Pour notre part, conformément au principe de primauté de l'éducatif sur le répressif, nous souhaitons favoriser les peines complémentaires et alternatives. Au regard du nombre croissant d'infractions commises en ligne, il nous paraît opportun de favoriser les stages de sensibilisation qui permettent une éducation aux dangers liés au cyberharcèlement.
La parole est à M. Jean-Claude Raux, pour soutenir l'amendement n° 949 .
Tout au long des débats sur ce texte, nous avons parlé de comportements délictueux et inacceptables sur internet, qui doivent être identifiés et sanctionnés. Notre système judiciaire doit s'adapter à ce milieu, lui imposer les exigences et les principes du réel. En instaurant des sanctions, nous devons toujours penser non pas la dissuasion – qui n'a jamais fonctionné – mais au progrès. Avons-nous contribué à faire de la personne jugée et sanctionnée un meilleur utilisateur du numérique ? C'est à cette aune que nous proposons de rendre possibles et même d'encourager les peines alternatives. Comme le CNB, nous pensons que le meilleur moyen de changer les comportements est de recourir à des stages concrets de sensibilisation aux risques liés au harcèlement scolaire, à l'espace numérique et au cyberharcèlement.
Mme Sandra Regol applaudit.
La parole est à Mme Fabienne Colboc, pour soutenir l'amendement n° 1061 .
Nous proposons d'élargir les options du juge des enfants, en lui donnant la possibilité de condamner un mineur à un stage de sensibilisation comportant un volet spécifique sur les risques liés au harcèlement scolaire, à l'espace numérique et cyberharcèlement. Il s'agit de favoriser une réponse pénale mieux adaptée aux réalités du cyberharcèlement et de permettre aux mineurs de faire un usage responsable des réseaux.
Puisque je reprends la parole après l'examen de l'article 5 bis, je voudrais vous dire tout mon regret que cet article ait été supprimé. C'est vraiment une occasion manquée de lutter contre les violences en ligne.
Nous en venons à un autre sujet sur lequel je tiens à rappeler l'état actuel du droit. L'article 121-4 du code de la justice pénale des mineurs dispose que « le juge des enfants, statuant en chambre du conseil, peut, sur réquisitions du procureur de la République, si les circonstances et la personnalité du mineur le justifient, condamner un mineur âgé d'au moins 13 ans » à effectuer un stage.
Vous proposez de modifier cet article. Je n'y suis pas favorable pour trois raisons.
Premièrement, il ne me semble pas judicieux d'abaisser de 13 à 11 ans l'âge des mineurs concernés car l'objet de ce texte n'est pas de réformer la responsabilité pénale des mineurs. Dans le cadre de la réforme du code de la justice pénale des mineurs, nous avons d'ailleurs instauré une présomption de non-discernement et donc de non-responsabilité pour les enfants âgés de moins de 13 ans. Le code de la justice pénale des mineurs ne permet pas le prononcé de peine, y compris de stage, avant cet âge. À ce stade, il ne me paraît pas opportun de prévoir une telle peine.
Deuxièmement, je vous signale que l'article 5 ter A, que nous avons introduit en commission spéciale, prévoit la possibilité d'une peine de stage pour les délits punis d'un an d'emprisonnement. Il s'agit d'un « stage de sensibilisation au respect des personnes dans l'espace numérique et à la prévention des infractions commises en ligne, dont le cyberharcèlement ». Cette peine pourra être prononcée à partir de l'âge de 13 ans, ce qui satisfait certaines de vos demandes.
Troisièmement, tels que les amendements sont rédigés, le stage serait réservé aux seuls mineurs. Or l'article 5 ter A va plus loin puisqu'il prévoit que mineurs et majeurs pourront effectuer ce type de stage.
Pour toutes ces raisons, je demande le retrait de ces amendements ; à défaut, j'émettrais un avis défavorable.
Même avis. Aux auteurs d'amendements qui ne l'auraient pas noté, je signale la création par la commission spéciale de l'article 5 ter A qui complète l'article L.131-5-1 du code pénal, en prévoyant un « stage de sensibilisation au respect des personnes dans l'espace numérique et à la prévention des infractions commises en ligne, dont le cyberharcèlement. » Certains amendements sont satisfaits par cette mesure introduite en commission spéciale par le biais d'un amendement de la rapporteure.
Pour notre part, nous allons voter contre l'amendement n° 293 de la collègue Moutchou, qui prévoit d'abaisser de 13 à 11 ans l'âge à partir duquel un enfant devient justiciable. Une telle mesure nous paraît disproportionnée, voire dangereuse puisqu'elle offre la possibilité, pour tout délit, de juger un enfant de 11 ans comme s'il était plus âgé. Gardons en tête qu'à cet âge-là, on n'est pas fini, on est en cours d'apprentissage, on peut faire des erreurs sans s'en rende compte, on peut blesser autrui sans le souhaiter. Ne permettons pas de juger des enfants de moins de 13 ans.
Les amendements suivants prévoient des peines alternatives pour des personnes qui encourent un an de prison. Peut-être serait-il préférable de penser à ces stages de sensibilisation bien avant d'en arriver à la peine de prison. Cette possibilité de peine alternative et d'éducation permet de trouver une réponse aux difficultés et aux agressions que peuvent rencontrer les jeunes dans le cyberespace.
L'amendement n° 293 n'est pas adopté.
Certainement perfectible, il vise à ce que l'on se serve mieux du permis internet et à ce qu'on le fasse évoluer pour qu'il s'applique au cyberharcèlement, ce qui permettrait de ne pas multiplier les outils.
C'est un amendement d'appel. Vous mentionnez bien que le Gouvernement « se penche » sur cet outil destiné aux élèves de CM2, mais qu'il ne crée pas de norme ni d'obligation. M. le ministre délégué vous dira peut-être si le Gouvernement souhaite rendre ce permis obligatoire pour les élèves de CM2. Le débat est intéressant mais, à ce stade, il ne peut se concrétiser dans la loi. Demande de retrait, sinon avis défavorable.
Actuellement, la certification Pix – le service public en ligne pour évaluer, développer et certifier ses compétences numériques tout au long de la vie – est obligatoire à la fin du collège et à la fin du lycée. C'est l'adoption d'un amendement de Mme Carel qui a permis de la rendre obligatoire à l'entrée au collège. La question se pose d'étendre ces modules de sensibilisation à d'autres publics, notamment aux enfants de CM2, mais aussi aux parents et aux professeurs. Nous ne sommes pas encore en mesure de le faire, mais c'est certainement la prochaine étape que nous visons.
L'amendement a atteint son objectif, qui était de susciter le débat. Je vais le retirer.
L'amendement n° 544 est retiré.
La parole est à Mme Perrine Goulet, pour soutenir l'amendement n° 446 , qui fait l'objet d'un sous-amendement.
Il nous arrive d'être un peu débordés par l'usage que font nos enfants d'internet. Une fois ce texte adopté, certains parents pourront voir leur fils ou leur fille condamné pour un usage inapproprié d'internet. Après la condamnation, peut-être auront-ils besoin d'être accompagnés et de suivre ce stage de sensibilisation, afin de mieux encadrer leur enfant. C'est à dessein que j'ai utilisé le verbe « peut prescrire » : la mesure doit être perçue non comme une condamnation complémentaire mais comme une aide pour les parents ; ce sera au juge d'évaluer s'ils ont besoin d'une aide pour accompagner leur enfant.
La parole est à Mme Caroline Parmentier, pour soutenir le sous-amendement n° 1137 .
Il vise à substituer le mot « prescrit » aux mots « peut prescrire ». Dans son amendement, Mme Goulet propose de sensibiliser les parents dont l'enfant mineur a été condamné en leur permettant de suivre le stage de sensibilisation au respect des personnes dans l'espace numérique et à la prévention des infractions commises en ligne. Pour respecter l'esprit de cet amendement de bon sens, il convient de le sous-amender afin que le stage de sensibilisation soit systématiquement étendu aux titulaires de l'autorité parentale lorsque la personne condamnée est mineure.
Mme Laure Lavalette applaudit.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement et sur le sous-amendement ?
Je salue votre volonté de mettre les parents – dont beaucoup sont démunis – autour de la table, de les intégrer dans le processus et de les rendre plus responsables en prévoyant que, lorsque le condamné est un mineur, la juridiction peut également prescrire un stage de sensibilisation aux titulaires de l'autorité parentale.
Comme cela a été rappelé, la commission spéciale a créé un stage de sensibilisation au respect des personnes dans l'environnement numérique à destination des auteurs d'infractions commises en ligne. Je ne peux pas être favorable à l'amendement ni au sous-amendement, car le stage en question est une peine, qui ne saurait s'appliquer qu'à l'auteur de l'infraction. La responsabilité pénale du fait d'autrui que nous créerions en adoptant l'amendement et le sous-amendement n'existe pas dans notre droit. Les parents ne peuvent pas être condamnés pénalement pour des faits commis par leurs enfants : ils ne sont responsables que sur le plan civil.
Je veux toutefois vous rassurer sur un point : nous prévoyons bien, dans ce projet de loi, d'impliquer davantage les parents, par le biais de l'amendement n° 770 de notre collègue Bruno Studer, qui prévoit d'informer les parents des agissements problématiques de leurs enfants en ligne. Nous améliorerons donc le droit existant pour mettre les parents dans la boucle. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
Pour compléter les explications de la rapporteure, j'ajoute qu'il faut à la fois responsabiliser les parents et leur donner des outils pour accompagner leurs enfants dans le monde numérique. L'amendement de M. Studer prévoit en effet de les alerter en cas de faits susceptibles de constituer une infraction. L'extension du module de sensibilisation Pix, que nous évoquions à l'instant avec M. Daubié, permettra également de sensibiliser les parents qui le souhaitent. Enfin, dans le cadre du plan interministériel de lutte contre le harcèlement à l'école et le cyberharcèlement, il est prévu de généraliser le label « P@rents, parlons Numérique » délivré par les associations familiales à des initiatives ou à des structures qui proposent des lieux d'écoute et d'accompagnement à la parentalité numérique. Le plan présenté par la Première ministre le 27 septembre dernier comporte donc bien plusieurs dispositifs destinés aux parents. En revanche, pour les mêmes raisons que celles développées par la rapporteure, j'émets une demande de retrait ou, à défaut, un avis défavorable.
L'article 5 ter A est adopté.
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl, pour soutenir l'amendement n° 23 .
Par souci de cohérence avec les amendements que j'ai défendus lundi, je reviens brièvement sur la question du consentement. Il me semble important, lorsqu'on entend sanctionner la diffusion non consentie d'un deepfake, de préciser que le consentement de la personne concernée doit être obtenu de façon expresse, cette notion figurant déjà dans la section du code pénal que nous entendons compléter.
Je suis ravie de reprendre ce débat sémantique. Dès lors que nous avons rejeté votre proposition à l'article 4 bis, il ne me semblerait pas cohérent de l'accepter pour l'article 5 ter . Plus fondamentalement, le dispositif impose déjà de recueillir le consentement de la personne dont l'image est diffusée. Le fait d'exiger un consentement exprès ne me semble pas améliorer la rédaction et serait même de nature à créer un flou. La notion de consentement exprès s'oppose en effet généralement à celle de consentement tacite. Or l'éventualité d'un consentement tacite n'existe pas dans le cas d'un deepfake, le montage étant par définition réalisé sans la collaboration de la personne représentée. J'émets donc un avis défavorable.
L'amendement n° 23 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Nous avons déjà débattu de cette question à l'occasion de l'examen de l'article 4 bis : il s'agit d'être plus précis en remplaçant le mot « reproduisant » par le mot « représentant », qui décrit mieux la réalité des hypertrucages.
Par souci de cohérence avec la rédaction de l'article 4 bis, la commission spéciale a émis un avis favorable. J'émets tout de même une réserve à titre personnel : le mot « représenter » étant plutôt associé à la vue, il me paraît difficile de représenter les paroles d'une personne. Peut-être faudrait-il donc retenir la formulation « représentant l'image ou reproduisant les paroles d'une personne ». Il s'agit cependant là d'une question de vocabulaire, qui n'a pas empêché la commission spéciale d'émettre un avis favorable.
L'amendement n° 950 , accepté par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Il s'agit en quelque sorte d'un amendement de précision relatif à la charge de la preuve. Nous souhaitons préciser, après l'alinéa 2 de l'article 5 ter, que la plateforme aura l'obligation de contacter l'auteur ou l'éditeur de la vidéo signalée. Nous voulons qu'une mesure concrète s'impose formellement aux plateformes pour qu'elles ne puissent pas s'exonérer de leurs responsabilités.
J'évoquais, en défendant mon amendement précédent, la nécessité d'adapter le droit aux nouvelles technologies. Cette remarque s'applique aussi aux deepfakes, que la technologie ne permettait pas de réaliser il y a quelques années et, encore récemment, dont beaucoup d'entre nous ignoraient jusqu'à l'existence.
L'amendement vise tout simplement à inverser la charge de la preuve en demandant à l'éditeur de démontrer le consentement de la personne concernée. Cette inversion, qui prévaut dans d'autres domaines du droit, permettrait évidemment de renforcer les droits de la personne filmée.
Il a été élaboré en lien avec le Conseil national des barreaux. Une des lacunes du texte concerne la responsabilité des plateformes : que l'État se soucie des contenus qu'elles diffusent, c'est bien, mais si ces acteurs pouvaient, à l'occasion, être jugés eux-mêmes responsables, ce serait encore mieux. Il leur revient par exemple de s'assurer que l'auteur d'un deepfake a bien recueilli le consentement de la personne concernée. Cette dimension fait quelque peu défaut au texte : les plateformes doivent assumer leurs responsabilités.
La parole est à M. Victor Habert-Dassault, pour soutenir l'amendement n° 1069 .
Comme les précédents, il vise à responsabiliser davantage les plateformes et à inverser la charge de la preuve en exigeant de l'auteur qu'il démontre, dans un délai de quarante-huit heures, qu'il avait bien obtenu le consentement de la personne concernée. Le droit de la victime s'en trouverait ainsi renforcé.
Je comprends votre intention de mettre les plateformes dans la boucle, mais j'émets un avis défavorable, pour trois raisons. D'abord, ce dispositif ne me semble pas avoir sa place dans le code pénal ni dans la définition du deepfake à caractère sexuel : il porte plutôt sur la question du retrait des contenus, abordée à d'autres endroits du texte et que nous avons d'ailleurs déjà évoquée.
J'ajoute que, sur le fond, un tel mécanisme se heurterait au droit européen, qui interdit d'adopter des dispositions revenant à instituer une obligation de surveillance généralisée des contenus.
Si nous souhaitions les adopter, vos amendements devraient donc être retravaillés.
Enfin, je m'interroge sur le caractère opérationnel d'un tel dispositif, qui conduirait en quelque sorte à ériger les plateformes en juges de la véracité du consentement. Pour toutes ces raisons, j'émets un avis défavorable.
Avec ces amendements, nous abordons la question de la responsabilité des plateformes. Il importe, me semble-t-il, de mettre au fin au sentiment d'impunité de certaines d'entre elles, en adoptant ces amendements.
De surcroît, après l'adoption de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 et de la loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024, je m'étonne d'entendre Mme la rapporteure – même si, bien entendu, elle ne représente pas directement le Gouvernement – s'élever contre l'éventualité d'une surveillance généralisée des contenus. Peut-être aurons-nous l'occasion d'y revenir, mais l'accumulation des dispositifs législatifs que la majorité nous a contraints à adopter tend précisément vers une société de la surveillance généralisée, je vous le garantis !
J'entends vos propos, madame la députée, mais des membres de votre groupe se sont inquiétés à de très nombreuses reprises, depuis le début de l'examen du texte, de voir les plateformes récolter des données permettant d'identifier leurs utilisateurs. En la matière, deux modèles s'affrontent : celui qui prévaut aujourd'hui en Europe et qui consacre le principe d'absence de surveillance généralisée, lequel figure dans le règlement sur les services numériques ; et un autre, que certains appellent de leurs vœux et qui consiste à renforcer considérablement la responsabilité des plateformes en faisant d'elles des éditeurs.
Pour l'heure, le modèle applicable en Europe reste celui de l'interdiction de toute surveillance généralisée et ne permet pas d'obliger les plateformes à solliciter certaines informations auprès de leurs utilisateurs ou à les recueillir à partir de leurs contenus. C'est ce qui explique l'avis défavorable de la rapporteure, auquel se joint le Gouvernement.
Nous avons évoqué maintes fois, au cours de l'examen du texte, et encore à l'instant, la notion de responsabilité. Il s'agit ici de l'appliquer aux deepfakes : actuellement, le droit punit ceux qui les diffusent, mais pas la personne produisant un hypertrucage en vue de le porter à la connaissance du public. Cela paraîtrait pourtant assez logique, dès lors qu'il faut bien que le montage ait été généré par quelqu'un : même s'il a été réalisé par une intelligence artificielle, comme celle du laboratoire Midjourney, par exemple, celle-ci doit faire l'objet de demandes pour générer l'image souhaitée.
Si la loi punit déjà les personnes qui diffusent cette image dans un but malveillant – puisqu'on peut évidemment générer des images avec une visée artistique, voire documentaire –, l'amendement vise à infliger une peine plus lourde à la personne qui se trouve à l'origine du deepfake. Ce n'est en effet pas le cas actuellement, ce que je regrette.
Nous avons déjà eu ce débat à propos d'un précédent amendement. L'avis de la commission était alors défavorable ; il l'est encore cette fois-ci.
D'une part, le champ de l'infraction a été bien défini en commission. D'autre part, pour revenir plus précisément sur votre argumentation, la production aux fins de diffusion – que vous visez – correspond au fond, en droit pénal, à la complicité par aide ou assistance. Par conséquent, l'ajout que vous suggérez me semble presque superfétatoire.
L'amendement n° 862 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Soumya Bourouaha, pour soutenir l'amendement n° 604 .
Il porte sur un phénomène qui touche particulièrement les femmes et qui nous inquiète terriblement : la diffusion de faux nus d'adolescentes générés par une intelligence artificielle.
Vous savez peut-être qu'il y a quelques semaines, en Espagne, une dizaine de jeunes filles ont porté plainte après avoir été victimes de la diffusion de fausses images générées par une application d'intelligence artificielle, capable de produire des photomontages très réalistes.
Rappelons que, selon une étude réalisée en 2019 par la société néerlandaise Sensity, spécialisée dans les questions liées à l'intelligence artificielle, 96 % des fausses vidéos en ligne comportent de la pornographie non consensuelle, mettant en scène, le plus souvent, des femmes.
Si nous sommes satisfaits que l'article 5 ter pénalise le partage des deepfakes présentant un caractère sexuel, nous souhaitons aggraver la peine prévue lorsque ces contenus mettent en scène des mineurs.
Vous avez raison, la situation que vous évoquez est dramatique pour de nombreuses personnes – majoritairement des femmes. Je rappelle au passage qu'avec ce texte, nous défendons aussi les droits des femmes. Croyez bien que j'y suis très attachée et que je suis très vigilante sur ce point.
Cependant, mon avis sur votre amendement est défavorable parce que le texte prévoit déjà, pour la publication de deepfakes générés par une intelligence artificielle, une peine de trois ans d'emprisonnement, un quantum maximal très élevé, ce qui permet au juge d'adapter la peine effectivement prononcée à la gravité des faits et aux circonstances – celles que vous mentionnez pourront tout à fait être prises en considération.
Il n'est donc pas nécessaire de prévoir une nouvelle circonstance aggravante qui pourrait porter les peines jusqu'à cinq ans d'emprisonnement. Avis défavorable.
L'amendement n° 604 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'article 5 ter est adopté.
L'amendement n° 519 de M. Idir Boumertit, portant article additionnel après l'article 5 ter, est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
Elle a repoussé cet amendement. Cependant, à titre personnel, j'émets un avis de sagesse.
C'est un bon amendement, il est dommage qu'aucun député ne l'ait soutenu. Le Gouvernement donne un avis de sagesse.
L'amendement n° 519 est adopté.
Je suis saisi de plusieurs amendements identiques, n° 1126 rectifié , 1128 rectifié , 1129 rectifié , 1131 rectifié , 1132 rectifié , 1134 rectifié et 1136 .
La parole est à M. le ministre délégué, pour soutenir l'amendement n° 1126 rectifié .
L'amendement n° 1126 rectifié est retiré.
La parole est à Mme Marie Guévenoux, pour soutenir l'amendement n° 1128 rectifié .
Il vise à créer une réserve citoyenne du numérique. Vous savez qu'il existe dans notre pays une réserve civique qui permet à chaque Français de plus de 16 ans de défendre les valeurs de la République. Elle compte déjà plusieurs réserves thématiques – défense et sécurité, police nationale ou encore éducation nationale.
Sur ce même modèle, nous proposer donc de créer, toujours dans le cadre de la réserve civique, une réserve citoyenne du numérique, dont l'objectif sera de concourir à la transmission des valeurs de la République, au respect de l'ordre public, à la lutte contre la haine dans l'espace numérique et à des missions d'éducation, d'inclusion et d'amélioration de l'information en ligne.
La parole est à Mme Agnès Carel, pour soutenir l'amendement n° 1129 rectifié .
Je tiens tout d'abord à saluer le travail transpartisan mené à la suite des émeutes de juin dernier et en prévision de l'examen de ce texte.
Je n'apprendrai à personne le rôle déterminant joué par les réseaux sociaux dans ces émeutes. Il faut se doter de moyens pour mieux anticiper et mieux réagir à ces nouvelles façons de se rassembler en vue de commettre des infractions.
Tel est l'objet du présent amendement qui vise à créer une réserve citoyenne du numérique qui aura pour mission de participer à la lutte contre la diffusion de contenus de haine ou de violence sur internet. Jouant un rôle de vigie, cette réserve citoyenne pourra prévenir ou signaler les contenus de cyberharcèlement, de violence, de provocation à la violence ou de discrimination sur les réseaux numériques.
Sur les amendements n° 1128 rectifié et identiques, je suis saisi par le groupe Renaissance d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Aurélien Taché, pour soutenir l'amendement n° 1131 rectifié .
Nous avons abordé la question de la réserve citoyenne du numérique au cours des réunions auxquelles vous nous aviez conviés, monsieur le ministre délégué, afin de discuter ensemble des moyens à mettre en œuvre pour éviter, lorsqu'une situation est tendue, qu'internet ne vienne alourdir le climat.
Vous avez alors, assez justement, repoussé toutes les solutions brutales telles que la coupure des messageries ou encore des réseaux sociaux. Vous avez aussi expliqué que vous aviez demandé à vos services d'étudier le discours des associations qui s'expriment dans les villes, dans les quartiers populaires et dans les lieux fréquentés par les jeunes concernés. Or les associations qui appelaient au calme étaient plus nombreuses que celles qui appelaient à la violence. La philosophie qui sous-tend cette initiative m'avait semblé intéressante.
Pouvez-vous me confirmer que la réserve citoyenne du numérique que vous allez créer relèvera de ce même état d'esprit et ne se rapprochera pas d'une police de la pensée, comme peuvent le laisser entendre les propos tenus par Mme Guévenoux pour défendre son amendement,…
…c'est-à-dire une énumération des valeurs de la République à l'image de ce que répète le Gouvernement ? Dans ce deuxième cas, l'état d'esprit n'est pas le même. Une clarification de votre part me semble donc nécessaire.
Les amendements n° 1132 rectifié de M. Erwan Balanant et 1134 rectifié de M. Christophe Naegelen sont défendus.
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l'amendement n° 1136 .
Identique à ceux qui viennent d'être défendus, il vise à créer une réserve citoyenne numérique. Je suis en total accord avec les arguments de mes collègues, je ne vais pas donc pas les répéter. Je tiens simplement à remercier le Gouvernement d'avoir également déposé un amendement dans ce sens en séance. Ce débat est important, nous l'avons déjà eu au cours de notre discussion.
Il faut saluer cette initiative qui, après les nombreuses avancées obtenues en commission – je pense à la peine de stage – constituera un des grands apports de l'examen de ce projet de loi en séance. La réserve citoyenne numérique permettra de lutter contre la diffusion de contenus de haine ou de violence sur internet en s'appuyant sur des personnes engagées qui ont déjà l'habitude de mener ces actions, sur des concitoyens intéressés par ces questions et qui veulent faire d'internet un espace numérique plus stable et plus respectueux de chacun.
Je rappelle que cet amendement n'avait pu être examiné en commission car il avait été déclaré irrecevable. Nous n'avions alors pas pu débattre de ce sujet. À présent que ces amendements ont été déposés, j'espère que vous apporterez tout votre soutien à cette mesure qui, je le répète, représente un apport important pour notre texte.
Je remercie les groupes Démocrate (MODEM et indépendants), Écologiste – NUPES, Renaissance, Horizons et apparentés et Libertés, indépendants, outre-mer et territoires d'avoir déposé une nouvelle fois ces amendements. Le Gouvernement a estimé qu'ils étaient de nature à apporter une réponse face aux contenus en ligne qui ont pu être en lien avec les violences urbaines que notre pays a connues début juillet.
Parmi les constats établis par le groupe de travail transpartisan qui a rassemblé une quinzaine de groupes parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat, on a noté, comme vous l'avez souligné, monsieur Taché, que, sur l'ensemble des messages relatifs aux violences urbaines que nous avons dénombrés, les messages appelant au calme étaient huit fois plus nombreux que ceux appelant à la violence.
Cela nous rappelle que, même si les feux de l'actualité sont souvent braqués sur ceux qui se laissent aller à propager la haine et la violence, il existe aussi des citoyens qui s'engagent au quotidien, notamment au sein d'associations, pour apporter de l'apaisement et de la pacification dans l'espace numérique, soit en proposant des solutions de médiation – je vous renvoie au débat que nous avons eu tout à l'heure à l'occasion de l'amendement n° 837 de M. Esquenet-Goxes – soit en accompagnant les victimes, comme le font par exemple les associations e-Enfance, consacrée à la protection de l'enfance, ou Stop Fisha, qui aide les femmes victimes de sextorsion ou de harcèlement, mais la liste n'est pas exhaustive.
De même qu'il existe des associations qui contribuent, de manière bénévole et volontaire, à pacifier la société dans le monde physique, plusieurs associations, peut-être moins connues, jouent donc ce rôle au quotidien dans l'espace numérique.
La réserve citoyenne du numérique sera utile aux associations qui l'intégreront car l'État leur ouvrira l'accès à certains dispositifs, notamment le site de recrutement des bénévoles jeveuxaider.gouv.fr, et facilitera peut-être, à terme – si nous trouvons, avec le ministère chargé de la vie associative, les voies et moyens pour y parvenir –, le recours aux services civiques. Cette réserve proposera également un accompagnement aux associations qui sont appelées, dans le cadre de l'application du règlement relatif, à jouer le rôle déterminant de signaleur de confiance.
Pour toutes ces raisons, je salue le dépôt, par plusieurs groupes, de ces amendements auxquels le Gouvernement est bien sûr très favorable.
Ce dispositif ressemble assez étrangement à celui, qui existe actuellement, des conseillers numériques – qui, eux, ne sont pas bénévoles. Leur fonction est d'accompagner les citoyens dans l'usage critique d'internet mais aussi dans l'accès aux services publics – ce qui est encore plus important, voire absolument nécessaire, surtout à l'heure de la dématérialisation.
Certes, ces conseillers ne sont pas assez nombreux – c'est incontestable –, ce qui ne permet pas de lutter contre les problèmes posés par la dématérialisation tous azimuts. Nous supposons cependant que, dans le cadre du projet de loi de finances, ces postes seront maintenus sans difficulté, voire que d'autres postes de conseillers seront créés.
Venons-en à votre nouvelle proposition : la réserve citoyenne du numérique. Mais de quoi s'agit-il donc ? Qui en fait partie ? Comment les personnes sont-elles sélectionnées, recrutées bénévolement ? Comment sont-elles formées et accompagnées ? Où exercent-elles leur activité ? J'en passe et des meilleures.
Vous comprenez bien qu'une expression telle que « réserve citoyenne du numérique » ne constitue en rien une politique publique. Malgré les échanges que nous avons actuellement, nous ne savons absolument rien de ce que recouvre ce dispositif.
Puisque nous sommes un peu tatillons, et que nous avons la langue pointue, nous nous demandons si les moyens associés à ce dispositif ne risqueraient pas, comme le fameux fonds Marianne – qui reposait aussi sur l'idée de défendre les valeurs de la République – d'être employés de façon fort discutable. Vous avez bien compris où nous voulions en venir.
J'aimerais réagir à votre interpellation, monsieur Taché. Le ministre vous a parfaitement répondu en mettant en avant le rôle de médiateur que joue la réserve civique, comme vous l'avez probablement observé à travers les réserves communales de sécurité civile qui agissent dans les villes. Mais je suis assez surprise que vous m'accusiez de proposer un amendement visant à introduire une police de la pensée. J'ai simplement dit que la réserve citoyenne du numérique devait contribuer à faire respecter l'ordre public et à lutter contre les incitations à la haine – missions qui ne me semblent pas relever d'une police de la pensée –…
…et transmettre les valeurs de la République. Est-ce ce dernier point qui vous pose problème ? Le fait de transmettre des valeurs telles que l'égalité homme-femme ?
Exclamations sur quelques bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
Monsieur Taché, vous ne pouvez pas m'accuser de vouloir faire régner une police de la pensée – ou alors vous-même avez un problème avec la pensée.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Je salue le travail transpartisan mené dans cette assemblée sur la réserve citoyenne du numérique, en concertation avec le Gouvernement, qui est également à la manœuvre en la matière.
Cette réserve citoyenne permettra de valoriser le travail d'associations telles que Stop Fisha ou e-Enfance, qui œuvrent bénévolement au quotidien à limiter la violence dans l'espace numérique.
Nous complétons ainsi la palette de mesures prévues par le texte. Celle-ci inclut l'éducation et la formation ; la médiation – pensons à notre vote d'il y a quelques heures – ; la responsabilisation des plateformes, conformément au règlement DSA ; la sanction des actes de cyberharcèlement, avec le bannissement des réseaux sociaux ou une amende plus lourde, prévue à l'article suivant.
Notre palette doit être complète, car aucune approche ne suffira seule contre le cyberharcèlement. En travaillant tous ensemble nous pourrons améliorer quelque peu la situation en ligne. Comme l'a excellemment indiqué la rapporteure, nous sommes donc très favorables à ces amendements.
Je mets aux voix les amendements identiques n° 1128 rectifié , 1129 rectifié , 1131 rectifié , 1132 rectifié , 1134 rectifié et 1136 .
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 79
Nombre de suffrages exprimés 78
Majorité absolue 40
Pour l'adoption 55
Contre 23
Les amendements identiques n° 1128 rectifié , 1129 rectifié , 1131 rectifié , 1132 rectifié , 1134 rectifié et 1136 sont adoptés.
Il vise à modifier le code de procédure pénale, afin de permettre la levée de l'anonymat des auteurs d'injures ou de diffamations publiques sur internet – actuellement, celle-ci est impossible, ce qui empêche les victimes de poursuivre les suspects en justice. Nous alignerions ainsi la législation s'appliquant à ces infractions à celle prévue pour les crimes et les délits.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement n° 337 .
Identique au précédent, il vise à lever l'anonymat dans les cas visés.
Revenons-en à la réserve citoyenne du numérique. Je n'ai pas d'objection de principe à sa création et j'ai voté l'amendement la permettant. Il a été adopté, tant mieux, ne rouvrons pas le débat, d'autant que les réserves citoyennes sont des dispositifs d'un grand intérêt. Toutefois, je rappelle que celles-ci existent désormais dans la police, la gendarmerie, outre les différentes armes. Nous avons voté hier la création d'une réserve citoyenne pénitentiaire…
N'oublions pas non plus la réserve sanitaire. Cela finit par faire beaucoup de réserves, créées sans que nous sachions de quel vivier elles bénéficieront ! Il faudra identifier celui-ci, qui n'est peut-être pas si large qu'on le croit.
Vous le savez, j'ai toujours le souci du plus faible, du renforcement des droits des victimes, qu'il s'agisse d'instaurer des quantums d'indemnisation ou de leur faciliter les procédures.
Le présent amendement concerne les infractions mentionnées dans la loi du 29 juillet 1881, la loi « presse », et vise à alléger la charge de la preuve et à faciliter l'identification des auteurs de cyberharcèlement.
Comme à mon habitude, je serai à l'écoute des arguments de M. le ministre délégué et des rapporteurs, afin de protéger les personnes harcelées.
L'amendement n° 962 de M. Aurélien Taché est défendu.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements identiques ?
La question de l'identification des auteurs d'infraction en ligne est très importante. Sur le fond, la commission approuve pleinement votre démarche : il est anormal que les injures anonymes formulées sur internet restent impunies.
Pour qu'elles soient sanctionnées, nous pourrions soit prévoir une peine d'emprisonnement pour tous les délits d'expression commis sur internet, soit étendre les possibilités de réquisition – vous optez pour cette seconde solution.
Bien que la commission soit favorable à votre démarche, je précise, pour la bonne information de notre assemblée, que votre démarche pose une difficulté. Dans un arrêt du 2 mars 2021, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé que seule la lutte contre la criminalité grave justifie l'exploitation, dans le cadre d'une procédure pénale, des communications électroniques d'un suspect, afin de le localiser.
Nous pouvons supposer que cette limitation ne vaut que pour la localisation du suspect, l'obtention d'informations précises sur sa vie privée, et ne concerne pas la simple identification. Puisque vos amendements ne visent que celle-ci, leur conformité au droit européen ne devrait pas poser problème. Une incertitude subsiste néanmoins. Ce dispositif, auquel la commission est favorable, mérite d'être étudié. Il reste toujours un « mais », monsieur Gosselin…
Le Gouvernement émet un avis très défavorable sur ces amendements – des amendements similaires avaient été retirés en commission. Essayons de vous convaincre.
L'article 77-1-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 24 décembre 2020, rendait possible les réquisitions de données informatiques pour tous types de délits, de presse ou non, sans justification par l'urgence ni limite dans le temps. Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition, dans sa décision n° 2021-952.
Le Gouvernement et le Parlement ont donc restreint les possibilités de réquisition, en créant l'article 60-1-2 du code de procédure pénale et en révisant l'article 77-1-1 du même code, par la loi du 2 mars 2022, dite loi « Balanant ». Désormais, la réquisition des données de connexion n'est permise que pour les délits passibles d'au moins un an d'emprisonnement, s'ils ont été commis en ligne, et pour ceux passibles de trois ans d'emprisonnement, s'ils n'ont pas été commis en ligne. Autrement dit, depuis la censure du Conseil constitutionnel, la réquisition est impossible, dès que la peine de prison susceptible d'être prononcée est inférieure à un an.
Or vos amendements visent à rendre possible les réquisitions pour des délits de presse passibles de simples amendes. Ils tombent donc dans le champ d'inconstitutionnalité, au vu de la décision du Conseil constitutionnel.
En outre, la Cour de justice de l'Union européenne, dans un arrêt du 2 mars 2021, dit « Prokuratuur », limite plus fortement les réquisitions que le Conseil constitutionnel, n'autorisant celles-ci que dans les dossiers de criminalité grave, et sous le contrôle du juge. Ainsi, le droit français en vigueur irait moins loin que la CJUE en matière de protection des droits de la défense.
La Chancellerie a donc créé un groupe de travail pour résoudre ce problème. Les signataires de ces amendements, ainsi que Mme la rapporteure, ont raison : nous avons besoin de pouvoir procéder à des réquisitions, au moins pour les délits passibles de peines supérieures à un an d'emprisonnement – peut-être pour des délits moins graves –, afin de retrouver les auteurs et de les sanctionner.
Toutefois, en l'état actuel du débat, ces amendements ne passeront ni le contrôle de constitutionnalité, ni celui de conventionnalité. La solution, qui devra être trouvée rapidement, est entre les mains du garde des sceaux ; ses services travaillent activement.
M. Éric Bothorel applaudit.
Malgré l'avis de Mme la rapporteure et même si je comprends ces amendements, M. le ministre délégué dit vrai : ils sont anticonstitutionnels, on l'a vu, et anticonventionnels.
Dans un arrêt récent – pris il y a moins d'un mois et demi –, la Cour de justice de l'Union européenne place même la barre encore plus haut que M. le ministre délégué ne l'a dit : elle estime qu'un délit tel que la corruption d'agent public, passible dans notre droit de dix ans de prison et 1 million d'euros d'amende, n'est pas suffisamment grave pour justifier qu'un procureur ordonne la réquisition des données informatiques d'un suspect.
Il faut donc trouver une solution, un patch constitutionnel et conventionnel. J'avais déposé un amendement à la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, avec le soutien du garde des sceaux. Finalement, je l'ai retiré, au profit de la création d'une mission flash, dont les travaux commenceront dans les semaines qui viennent, en lien avec la Chancellerie, afin d'aboutir à une proposition de loi transpartisane avant la fin de l'année.
Le vote sur ces amendements qui ne sont ni constitutionnels ni conventionnels, serait donc prématuré. Il vaut mieux attendre d'avoir corrigé ces problèmes, dans une proposition de loi transpartisane, qui permettra de faire évoluer la loi.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et RE.
Les jeunes disent « j'avoue, j'avoue ». Pour ma part, je n'avouerai pas sous la torture, mais je reconnais que les arguments du ministre délégué ont du poids.
Ce n'est pas celui qui a le plus de poids – je parle des kilogrammes ; mais vous nous égarez sur un chemin qui n'a aucun intérêt pour nos débats. Soyons sérieux.
Pour parler rondement
Sourires
et comme cela a été dit, les amendements posent un problème de constitutionnalité et de conventionnalité.
Ces arguments juridiques sérieux, que je ne conteste pas, laissent toutefois le problème entier ; il faut trouver les voies et moyens de le résoudre. Je sais que le garde des sceaux étudie le sujet. Parfait, mais nous ne pouvons nous en remettre seulement à son travail et à celui des membres de la mission flash. Je souhaite donc que le sujet soit traité pendant la navette parlementaire sur le présent texte – un engagement en ce sens de votre part, monsieur le ministre délégué, ferait évoluer nos positions sur ces amendements. Il est important qu'une mesure appropriée soit intégrée au texte.
N'ayant pas le poids d'Éric Dupond-Moretti, je ne prendrai pas d'engagement à sa place.
Sourires
Cela dit, je comprends pourquoi ces amendements ont été déposés : l'efficacité d'un certain nombre de mesures que nous avons adoptées dépend de la possibilité de mener des réquisitions. Si les rapporteurs sont d'accord, profitons donc de la navette, notamment des travaux précédant la réunion de la commission mixte paritaire sur ce texte, pour obtenir le plus grand nombre de garanties. Si la solution est trouvée d'ici à l'adoption définitive du texte, nous pourrons même l'y intégrer.
Actuellement, il n'est possible d'émettre un signalement concernant des propos injurieux ou diffamatoires formulés sur certaines plateformes numériques que si l'on dispose d'un compte sur celles-ci.
Nous avons travaillé avec le Conseil national des barreaux sur le présent amendement, afin de permettre à tout individu mis en cause sur une plateforme de procéder à un signalement, même s'il ne dispose pas d'un compte.
Sur l'article 5 quater, je suis saisi par le groupe Renaissance d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Naïma Moutchou, pour soutenir l'amendement n° 295 .
Finalement, ces amendements participent à la même réflexion que les amendements identiques précédents. J'entends vos arguments sur les obstacles juridiques et sur la conception européenne du droit sur ce sujet. Mais qu'en est-il de la conception française de la liberté d'expression ? Il est important de l'évoquer dans cet hémicycle : chacun a le droit de s'exprimer, bien entendu, pourvu qu'il ne commette pas d'abus.
Il convient donc de restaurer l'accès à la justice pour tous, en identifiant l'auteur des faits. Dans cet esprit, les amendements visent à permettre à tous – comme dans la vie de tous les jours – de signaler une infraction, même en l'absence de compte sur les réseaux sociaux concernés. Ils défendent donc notre conception de la liberté d'expression.
Il a été rédigé en lien avec le CNB. Nous défendons la liberté d'expression, mais celle-ci s'arrête là où les autres libertés sont bafouées. En outre, chacun est responsable de ses propos. Il faut que nos concitoyens puissent se défendre, quitte à ce que l'on instaure un minimum de contraintes, et que ceux qui ont vu ou lu des propos qui méritent d'être signalés puissent le faire. La formule retenue est finalement d'inspiration libérale et nous semble répondre aux enjeux du texte.
Quand nous votons une loi, nous devons collectivement nous interroger sur la simplicité de sa mise en œuvre et sur son effectivité. Le projet de loi va clairement dans le bon sens. Notre amendement vise à faciliter les démarches de ceux qui souhaitent dénoncer des infractions sans forcément disposer de comptes sur les plateformes ou sites.
L'amendement n° 954 de M. Aurélien Taché est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
Je comprends tout à fait l'intention des auteurs des amendements – ils souhaitent que l'on puisse faire un signalement sans avoir à créer un compte. Mais la question qu'ils soulèvent relève de l'interprétation des règlements européens, sur laquelle le Gouvernement pourra sans aucun doute nous éclairer. Il appartient au législateur français de veiller au respect de ces règlements, particulièrement de l'un de ceux qui ont déjà été négociés.
En outre, vos amendements méritent d'être retravaillés car vous n'insérez pas le dispositif dans la loi pour la confiance dans l'économie numérique, où il pourrait trouver sa place. Mais il s'agit sans doute d'amendements d'appel, qui tendent à ce que le Gouvernement nous éclaire sur les modalités du signalement.
Enfin, votre rédaction ne me semble pas opérationnelle : vous souhaitez que le signalement puisse se faire sans connexion à la plateforme. Si je comprends l'intention – éviter d'avoir à créer un compte –, et sans vouloir me faire l'avocate des plateformes, comment leur reprocher de souhaiter qu'on se connecte à leur site ou à leur réseau pour effectuer le signalement qu'elles doivent ensuite traiter ?
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
L'idée est bonne, mais mon avis sera défavorable car l'article 16 du DSA, qui fixe le cadre dans lequel doit s'inscrire le signalement, ne permet pas de créer des obligations nouvelles.
En outre, certaines plateformes permettent déjà d'effectuer des signalements sans création de compte : ainsi, sur YouTube ou Twitter, devenu X, vous pouvez signaler des contenus illicites au titre du DSA, même sans compte. Ce n'est pas vrai pour toutes les plateformes. Sur Instagram, ce n'est pas possible mais, de toute façon, on ne peut consulter les contenus de cette plateforme sans se connecter à son compte. En revanche, quelques plateformes dont les contenus sont publics – par exemple Facebook – n'autorisent pas les signalements sans création d'un tel compte.
Je vous propose de plaider en faveur de votre proposition lors de nos prochaines discussions avec l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et avec les acteurs régulés au titre du DSA. Le défi technique n'est probablement pas insurmontable et, vous avez raison, c'est essentiel pour faciliter les signalements, et mobiliser la responsabilité des plateformes.
Je maintiens mon amendement, n'ayant pas saisi en quoi il entrerait en contradiction avec le droit de l'Union européenne – sur ce point, vous ne m'avez pas convaincue. En outre, les plateformes sont parfaitement capables sur le plan technique d'organiser cette mesure en ligne.
Enfin, vos arguments me gênent car ils sont contraires au message que nous souhaitons défendre. Alors que nous voulons traiter les réseaux sociaux comme le monde réel car le numérique n'est pas le Far West, on risque de créer un régime à deux vitesses : au quotidien, si vous constatez une infraction, on ne va pas vous reprocher de la signaler si vous êtes sur le mauvais trottoir ou derrière une fenêtre ! Nos amendements visent à permettre à tous de signaler une infraction à la LCEN, même sans compte, car chacun a la liberté, ou non, de s'inscrire sur ces plateformes.
L'amendement n° 13 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 85
Nombre de suffrages exprimés 83
Majorité absolue 42
Pour l'adoption 69
Contre 14
L'article 5 quater, amendé, est adopté.
La parole est à Mme Marie Guévenoux, pour soutenir l'amendement n° 770 .
Il s'agit d'un amendement de Bruno Studer, travaillé après nos en commission. Il vise à informer et à responsabiliser les parents lorsque leur enfant se sert d'un réseau social pour commettre un acte de cyberharcèlement, en obligeant ce réseau à informer le titulaire de l'autorité parentale que son accès à internet a servi à cyberharceler, mais également à l'alerter sur les sanctions auxquelles il pourrait s'exposer, ainsi que son enfant, si sa responsabilité venait à être mise en cause.
M. le rapporteur général applaudit.
Madame la questeure, je vous remercie de défendre cet amendement de notre collègue Bruno Studer. Lors des débats en commission, nous en avons examiné une première version, dont la rédaction a été modifiée afin de recentrer le dispositif sur l'avertissement aux parents.
Il s'agit d'un sujet d'importance, très concret et crucial. Les parents doivent être informés quand leurs enfants ont publié un contenu constitutif de cyberharcèlement. Il faut rappeler aux parents leurs responsabilités, y compris leur responsabilité civile. Avis très favorable.
Je vous remercie, madame Guévenoux – ainsi que M. Studer – d'avoir poussé le Gouvernement à essayer de trouver une solution à ce problème très important : l'information des parents de jeunes auteurs de cyberharcèlement. Bien souvent, les parents ne savent même pas quand leur enfant est victime, ou auteur, de cyberharcèlement, notamment scolaire. Le Gouvernement est favorable à cette rédaction.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 81
Nombre de suffrages exprimés 78
Majorité absolue 40
Pour l'adoption 78
Contre 0
L'amendement n° 770 est adopté.
L'article 6 instaure un dispositif global visant à protéger les utilisateurs contre diverses infractions commises en ligne et susceptibles de leur causer des préjudices, notamment financiers. L'article prévoit que, lorsqu'une infraction est constatée sur un site, l'internaute qui tente de s'y connecter est alerté par un message, délivré à la demande de l'autorité administrative par les fournisseurs de navigateurs internet. C'est bien, mais encore faut-il ne pas s'être abonné à l'insu de son plein gré, sans visuel vous informant de votre consentement. Malheureusement, cela arrive – on ne s'aperçoit de rien jusqu'au moment l'on voit que son compte bancaire est débité de plusieurs dizaines d'euros tous les mois.
Le dispositif peut ensuite aboutir à un blocage administratif du site. Mais l'éditeur du contenu litigieux peut exercer un recours ; le blocage est alors suspendu durant la période d'instruction, ce qui est regrettable. Il est important de protéger les utilisateurs même pendant la durée de ce recours. Si l'utilisateur reçoit un message d'avertissement lors de la phase de préblocage, il doit continuer à être informé du risque qu'il court en cas d'accès à l'adresse électronique de ce service, même pendant le recours. Nous sommes face à des filous et un peu de coercition ne nuit pas !
Cela dit, mon groupe votera l'article, qui tend mieux protéger les Français contre les fraudes en ligne les plus répandues.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Cet article prétend résoudre un problème massif : les arnaques en ligne. Or disons-le clairement : ce type de pratique est d'abord le fait de professionnels de l'arnaque. C'est pourquoi ce que vous proposez ne peut pas fonctionner. Les arnaqueurs en ligne sont capables de changer d'adresse et de nom de domaine en moins de vingt-quatre heures ! On ne peut donc pas les identifier facilement.
Que proposez-vous ? De constituer des listes de sites qui arnaquent les Français et de lancer des alertes quand nos concitoyens s'y connectent. Mais entre-temps les sites en question auront changé dix fois d'identité. Vous n'attraperez pas les arnaqueurs de cette façon.
Nous plaidons pour que les internautes soient avertis immédiatement. N'est-ce pas plutôt de la compétence de la plateforme cybermalveillance.gouv.fr, qui dispose d'une grande expertise pour identifier les sites frauduleux ?
Ne prétendez pas que ces listes seront mises à jour quotidiennement, d'autant que l'injonction de fermeture n'interviendra qu'après sept jours. Le dispositif que vous proposez est donc inefficace et inopérant. En outre, il ouvre la voie à une sorte de censure d'État sur certains sites internet.
Les arnaqueurs professionnels trouveront toujours le moyen de contourner les filtres, vous pouvez en être sûrs. Je le dis aux Français qui nous regardent et qui se sont fait arnaquer – comme nous tous – par ce genre de pratiques : il est certain que le dispositif prévu à l'article 6 sera inopérant et inefficace. Vous ne lutterez pas contre les arnaques en ligne de cette façon. Nous vous invitons à alerter les internautes et à les prévenir par des messages.
C'est tout l'inverse ! Mme Chikirou dit tout à la fois qu'il ne faut pas instaurer ce filtre et qu'il faut l'appliquer plus rapidement. Permettez-moi de vous rappeler les grands principes de l'article 6.
Tout d'abord, les professionnels de l'arnaque ne sont pas si professionnels. Les arnaques sont souvent empreintes de naïveté et bénéficient d'un certain laisser-faire : même des attaques peu sophistiquées sont couronnées de succès. Les arnaqueurs sont tranquilles : ils n'ont même pas besoin de changer souvent d'URL, puisque justement ils ne sont pas détectés – faute d'un dispositif comme celui que prévoit l'article 6. Ainsi, même quelqu'un qui relève sa boîte aux lettres électronique tous les quinze jours court le risque de recevoir un message avec une fausse adresse d'un site ressemblant à celui d'ameli.fr ; il sera la millième ou la cinq cent millième victime d'une arnaque peu élaborée, mais qui rapporte beaucoup d'argent.
La première vertu du dispositif prévu à l'article 6 consiste à ne pas réinventer ce qui fonctionne déjà, comme les systèmes de filtrage embarqués dans certains navigateurs. C'est d'ailleurs dans cet esprit qu'il a été élaboré, puis modifié en commission ; à l'origine, le texte le prévoyait plutôt des mesures de blocage, mais les retours de l'écosystème professionnel et de certains de nos concitoyens ont été pris en considération, pour aboutir à un dispositif proportionné et efficace.
L'enjeu du système de filtrage réside moins dans des spécificités techniques, que nous nous garderons de traiter ici, que dans son agilité en matière de primo-détection et de recensement des adresses de compromission. Certains dispositifs développés par de grands acteurs du secteur numérique, comme Google, fonctionnent d'ailleurs de cette manière et sont opérationnels ; ils recueillent le consentement de l'utilisateur par le biais d'une extension installée sur un navigateur. Le dispositif de filtrage prévu à l'article 6 repose exactement sur le même principe : il identifiera très rapidement les adresses de compromission et demandera aux acteurs du secteur de les intégrer à leurs outils. Nous faisons le pari qu'avec ces actions rapides, nous serons à même de protéger mieux encore nos concitoyens. Voilà ce que prévoit l'article 6.
Il est très important de créer ce filtre anti-arnaque, parce que 50 % des arnaques ont lieu en ligne ; chaque année, 18 millions de Français sont concernés et 9 millions perdent de l'argent à cette occasion. Bien sûr, ce filtre ne permettra pas d'éviter 100 % des arnaques : il y a toujours des criminels qui vont plus vite que la police. Mais s'il permet d'éviter 60 ou 80 % de leur volume, des millions de Français auront été aidés.
Madame Chikirou, permettez-moi de prendre un exemple, comme je l'ai fait pour vous expliquer le fonctionnement du double anonymat lors d'une connexion à un site pornographique. Un cas fréquent consiste à envoyer un SMS visant à vous faire payer une fausse amende ; comme moi, vous en avez dû en recevoir beaucoup ! Dès l'envoi des premiers SMS, un signalement sera effectué et les URL y figurant seront inscrites sur la liste des sites frauduleux. Les toutes premières personnes qui cliqueront sur ces URL passeront à travers les mailles du filet ; mais il est rare que l'on paie une amende dans les secondes qui suivent la réception du SMS ! On s'en occupe dans les heures, voire les jours qui suivent.
Vous dites que les URL seront modifiées : bien au contraire, elles restent identiques pendant plusieurs jours, jusqu'à ce que les destinataires cliquent dessus. Si ce filtre permet d'éviter à 60 %, voire 80 %, des millions de Français qui se font arnaquer la perte d'une partie de leur pouvoir d'achat, ce sera une très belle avancée.
M. Didier Parakian applaudit.
La parole est à M. Louis Boyard, pour soutenir l'amendement de suppression n° 565.
Nous maintenons nos arguments : il y a des failles dans le dispositif prévu à l'article 6 ; mais nous ne parviendrons pas à vous convaincre. Je vais donc aborder le sujet par un autre angle.
Permettez-moi de vous lire quelques citations : « Cette mesure créera un précédent et donnera aux navigateurs la capacité technique de réaliser tout ce qu'un gouvernement pourrait vouloir restreindre ou criminaliser dans une juridiction donnée, et ce, pour toujours », nous alerte Mozilla. Bastien Le Querrec, juriste de La Quadrature du net, avertit : « Si la France, avec son poids dans l'Union européenne, montre que ça marche, des pays comme la Pologne ou la Hongrie pourraient s'en inspirer. Chaque pays va vouloir son bout de censure. »
Notre premier argument consiste à dire que ce dispositif est inopérant. Le second, majeur, consiste à expliquer que la création de cet outil technique permettra aux navigateurs de censurer sur internet ; ce n'est pas un détail ! L'enfer est pavé de bonnes intentions : vous pensez en avoir ; moi, je pense que vous êtes dangereux pour les libertés publiques. Mais il y aura pire que vous. La loi s'inscrit toujours dans une histoire longue. Qui sait quels seront les gouvernements futurs ? Qui sait quels outils et quelles armes nous pourrions mettre entre des mains qui attenteraient aux libertés publiques ?
Voilà ce sur quoi nous voulons vous alerter : votre dispositif est inopérant et dangereux. Il faut être prudent avec les libertés publiques, avec les outils et les armes que l'on pourrait fournir aux futurs ennemis de la liberté. Nous appelons à la suppression de l'article 6, non seulement parce qu'il est inopérant, mais aussi parce qu'il est très dangereux pour les libertés présentes et probablement pour les libertés futures.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Avis défavorable sur cet amendement de suppression. Avec l'ensemble des députés du groupe La France insoumise, vous proposez de ne pas examiner l'article 6, de ne pas même tenir de débat au sujet des arnaques en ligne. Comme l'a rappelé le rapporteur général, 18 millions de nos compatriotes en sont victimes chaque année et 9 millions accusent une perte financière. Je ne comprends pas : vous souhaitez supprimer le dispositif prévu à l'article 6, mais vous ne proposez rien d'autre.
J'entends vos craintes relatives à la liberté d'expression, mais elles me semblent infondées, comme nous l'avons démontré à plusieurs reprises tout au long de l'examen du texte – nous continuerons à le faire. Le filtre anti-arnaque est entouré de nombreuses garanties. Il débute avec un simple message d'avertissement – « attention, ceci est une arnaque » – lorsque l'on clique sur un lien qui aboutit à une arnaque en ligne. Je ne comprends pas pourquoi vous vous opposez à ce message d'avertissement.
Le recours de l'éditeur du site internet est immédiatement suspensif, ce qui constitue une autre garantie. Il n'y a donc aucun risque que des sites légaux soient bloqués. Nous avons beaucoup de chance en France et en Europe, parce que les libertés fondamentales bénéficient d'une haute protection – j'espère que vous serez d'accord avec moi à ce sujet – puisqu'elles sont contrôlées par des juridictions dont l'indépendance est reconnue : le Conseil constitutionnel, le Conseil d'État et la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). La liberté dans l'espace numérique n'est donc pas menacée en Europe.
Vous avez évoqué certains acteurs du secteur, mais je regrette que vous n'ayez pas assisté à certaines auditions ; vous auriez ainsi pu nuancer votre argumentaire. Après les avoir tous auditionnés, nous avons abouti à un dispositif équilibré.
Mme Agnès Carel applaudit.
Pas vraiment ! Le blocage d'un site ne constitue pas un simple avertissement !
Tout élargissement de ce filtre anti-arnaque à des infractions non évidentes ou à des interdictions arbitraires serait à coup sûr censuré par le Conseil constitutionnel. N'ayez aucune crainte, il s'agit simplement d'envoyer un message d'avertissement. J'invite donc tous les députés à rejeter cet amendement de suppression, qui nous empêcherait d'avoir ce débat important pour nos concitoyens.
Mme Sophia Chikirou s'exclame.
À mon tour, j'invite les députés à repousser cet amendement de suppression. Madame Chikirou, monsieur Boyard, j'ignore si je saurais vous rassurer…
…mais permettez-moi de vous communiquer quelques éléments de réponse. Ce dispositif sera utile, madame Chikirou ; vous parlez d'arnaqueurs professionnels, mais les enquêtes menées – notamment par les journalistes de Brut – démontrent que nous avons affaire à des amateurs plutôt qu'à des professionnels. Ils déclenchent des attaques en arrosant des dizaines de milliers de nos concitoyens – voire plus – de faux SMS les invitant à cliquer sur un lien qui les oriente vers un site internet dont le seul but est l'hameçonnage, c'est-à-dire le pillage des données personnelles ou bancaires. Pourquoi recevons-nous autant de SMS de ce type ? Parce qu'ils fonctionnent très bien !
M. Éric Bothorel applaudit.
Il suffit de déployer ces filets avant de les relever et obtenir ainsi des fichiers de données personnelles ou bancaires, qui s'échangent à prix d'or sur le darknet. À quelles fins ? Principalement à des fins d'usurpation d'identité.
Au premier abord, cliquer sur le lien figurant dans le SMS – comme nous avons tous hésité à le faire – ne porte pas à conséquence : après avoir communiqué nos données, personnelles ou bancaires, rien de particulier ne se produit. Mais quelques mois plus tard, une fois ces données transmises à un autre arnaqueur, professionnel ou amateur, celui-ci se fait passer pour notre conseiller bancaire, nous appelle en connaissant toutes nos informations bancaires – ce qui nous met en confiance – et nous fait faire des virements contre notre gré. Nous avons beaucoup de mal ensuite à les faire annuler, puisque notre consentement est réputé avoir été acquis. En raison de cette usurpation d'identité, certains de nos concitoyens se retrouvent parfois pris dans la spirale du surendettement, en dépit de leur volonté.
Quand ce n'est pas leur sort personnel qui est en jeu, cela peut être celui de l'entreprise, de l'hôpital ou de la collectivité locale dans lesquels ils travaillent : des cyberattaques d'ampleur sont engagées grâce aux données ainsi collectées, qui permettent d'entrer dans les systèmes informatiques, de détruire les sauvegardes, d'encrypter les données et de paralyser ainsi toute activité. Le filtre anti-arnaque prévu à l'article 6 rendra beaucoup moins rentables et profitables ces opérations consistant à envoyer de SMS en nombre, pour espérer piller des données personnelles.
Venons-en aux remarques de M. Louis Boyard. Quand on prend des mesures de blocage administratif, il faut effectivement faire attention à ce qu'on fait. Avec le Conseil d'État, nous avons essayé de concevoir un dispositif équilibré ; la commission spéciale nous a permis de progresser dans la définition des infractions visées et des sites correspondants. Par ailleurs, Éric Bothorel, qui a beaucoup travaillé sur ces sujets, a amené la commission spéciale à préciser le rôle des navigateurs, dont il est vrai qu'il fallait le calibrer correctement. Alors que les fournisseurs d'accès à internet peuvent bloquer, mais pas filtrer, les navigateurs peuvent filtrer et bloquer, mais n'ont guère envie de recevoir des injonctions en ce sens. La rédaction issue des travaux de la commission spéciale, qui sera certainement améliorée grâce à nos débats, nous permet d'envisager un bon équilibre.
Enfin, la France n'est pas le premier pays à se doter d'un tel dispositif : la Belgique, le Canada et le Royaume-Uni, qui sont des démocraties respectueuses des libertés fondamentales, ont eux aussi fait ce choix, pour éviter d'exposer leur population aux arnaques aux faux SMS massifs. Concentrons-nous sur le dispositif, déterminons de quelle manière l'améliorer, mais gardons-nous de le rejeter avant même d'avoir examiné les amendements.
Nous demandons la suppression de l'article 6 parce que nous ne sommes pas isolés du reste du monde ; la France est un microcosme au sein du macrocosme qu'est l'économie mondialisée. La loi que nous élaborons aura un impact sur les navigateurs, mondialisés, que nous utilisons, et risque également d'en avoir un sur le reste du monde. Pendant les auditions – je remercie Mme la rapporteure d'avoir bien noté ma présence à la quasi-totalité d'entre elles –, nous avons entendu l'alerte qui a été donnée. Nous sommes une démocratie, mais des pays non démocratiques n'attendent qu'une chose : que nous mettions le pied dans la porte, afin de suspendre et bloquer certains sites internet selon leur bon vouloir.
En l'occurrence, tel ne serait peut-être pas le cas en France, où cela resterait sans conséquence.
Les fournisseurs de navigateur internet indiquent que, pour le moment, ils parviennent à faire bloc et à empêcher que, dans certains pays du monde, qui ne sont pas des modèles de démocratie, l'internaute ait accès à tous les sites, notamment ceux qui défendent le droit à l'IVG – interruption volontaire de grossesse – ou promeuvent l'information sur les droits des personnes LGBT.
Reste que, si nous mettons le pied dans la porte, en contraignant les fournisseurs de navigateur internet – nous serions le premier pays à le faire –, nous ouvrirons une porte dangereuse dans les démocraties et, surtout, dans les pays qui ne sont pas démocratiques. Il faut vraiment garder cela en tête. Nous avons proposé d'autres options, notamment les messages d'alerte.
Si nous mettons le pied dans la porte, nous enverrons le signal à tous les criminels, artisans comme amateurs, qu'ils devront aller chercher le pognon ailleurs qu'en France car nous leur compliquerons la vie.
Monsieur Boyard, je regrette que vous ayez cité un billet du blog publié par la fondation Mozilla un peu daté, car il est relatif au projet de loi initial et ne tient donc pas compte des modifications votées en commission spéciale. Désormais, le dispositif distingue les différents fournisseurs et prévoit que les fournisseurs de navigateur internet auront uniquement un rôle de filtrage et non de blocage – M. le ministre délégué l'a rappelé.
Enfin, comme vous avez évoqué Mozilla – ce n'est pas moi qui l'ai convoquée dans nos débats –, vous ne pouvez ignorer que, depuis 2005, le navigateur utilise un outil de même nature, développé par Google : Google Safe Browsing. Je suis surpris que vous fassiez davantage confiance à Google pour déterminer les URL qui se verraient appliquer ce dispositif plutôt qu'à l'État.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
L'amendement n° 565 n'est pas adopté.
Nous commençons l'examen de l'article 6, qui est un article phare du projet de loi. Il crée un dispositif de filtrage anti-arnaque, qui doit permettre d'éviter à des millions de Français de se faire arnaquer – je pense aux faux remboursements par Ameli ou les impôts, ou encore aux faux surcoûts des colis.
L'amendement de mon excellent collègue Christophe Blanchet vise à ajouter les délits de contrefaçon, prévus à l'article L. 716-10 du code de la propriété intellectuelle, à la liste des infractions visées par ce dispositif. Je rappelle que la contrefaçon représente 10 milliards d'euros de pertes fiscales – qu'il s'agisse de l'IS (impôt sur les sociétés), de la TVA ou de cotisations – par an. Le dispositif peut s'appliquer à ce délit.
Sur les plateformes, on peut trouver des bonnes affaires qui seront, en fait, des contrefaçons. Je donne un exemple que chacun comprendra : si une paire de baskets d'une marque bien connue, dont le logo est une virgule, est vendue à 10 euros, l'internaute saura qu'il s'agit d'une contrefaçon ; si cette même paire est soldée à 70 ou 80 euros au lieu de 120 ou 140 euros, il pensera que c'est une bonne affaire du net, alors qu'il s'agit d'une contrefaçon. Nous devons lutter contre la contrefaçon et, plus largement, contre les réseaux qui la nourrissent.
L'amendement n° 1035 de M. Kévin Mauvieux est défendu.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements identiques ?
Je vous remercie d'ouvrir le débat relatif à la lutte contre la contrefaçon en ligne. Je connais l'engagement de notre collègue Christophe Blanchet sur cette question. Malheureusement, je donnerai un avis défavorable à ces amendements pour trois raisons.
La première est que vos amendements détourneraient le dispositif de son objet, l'exposant à un risque de censure constitutionnelle. La deuxième est qu'ils laissent une marge d'appréciation trop importante à l'administration car la notion de contrefaçon fait souvent l'objet de débats. Nous affaiblirions le dispositif du point de vue constitutionnel, en prévoyant un filtrage administratif plutôt que le recours à la voie judiciaire.
Enfin, le dispositif prévu à l'article 6 vise des arnaques évidentes, sans contrepartie pour l'utilisateur. Or tel n'est pas le cas de la contrefaçon, qui s'accompagne d'une contrepartie, bien qu'illégale, pour l'utilisateur. L'appréciation de cette contrepartie doit faire l'objet d'une enquête, elle ne peut être filtrée de manière rapide, en appliquant le dispositif que nous avons créé.
J'espère que la lutte contre la contrefaçon en ligne fera l'objet d'autres débats, afin de répondre à tous les points que vous avez soulevés et qui doivent être entendus. Malheureusement, ce n'est pas l'objet de ce texte. Je vous invite à retirer votre amendement ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.
J'entends les arguments pédagogiques, de qualité, par lesquels la rapporteure a exprimé sa volonté de lutter contre la contrefaçon. Néanmoins, comme je ne suis pas le premier signataire de l'amendement, je ne peux le retirer.
Les amendements n° 305 de M. Aurélien Lopez-Liguori et n° 108 de M. Philippe Latombe sont défendus.
Par cet amendement de repli, nous souhaitons supprimer les mesures de blocage d'accès à des sites pouvant être décidées par l'autorité administrative, dans le cadre de l'instauration du filtre anti-arnaque.
Du point de vue de la sécurité, le Gouvernement compte s'appuyer sur une liste noire, mise à jour en temps réel par les différentes autorités cyber. Or celle-ci ne sera pas infaillible puisque rien ne permet d'assurer que tout nouveau site frauduleux sera automatiquement repéré. Ainsi, selon Jacques Henno, spécialiste des nouvelles technologies, « à partir du moment où les cyber-hackers créent un nouveau site, la liste noire est caduque ». Garantir aux usagers la mise en œuvre d'un filtre anti-arnaque par ce dispositif est, au mieux, hypocrite, au pire, un mensonge.
Je vous explique pourquoi. En ma qualité de membre de la commission des affaires étrangères, je me suis rendu dans plusieurs pays pour rencontrer des migrants, dans la perspective de l'examen de votre futur projet de loi sur l'immigration. J'ai recueilli des témoignages afin de porter la voix de ces personnes. J'ai rencontré un homme qui passe ses journées à créer des sites et à envoyer des SMS frauduleux. Il m'a montré le type de SMS qu'il envoyait à longueur de temps et m'a expliqué tout simplement comment il s'y prenait pour soutirer de l'argent ou pour récupérer des papiers appartenant à des personnes habitant en Europe.
Au lieu de dresser la liste des sites frauduleux, vous devriez renvoyer directement les personnes sur le site cybermalveillance.gouv.fr, afin de leur expliquer la situation. Elles seraient non pas informées mais instruites.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
La parole est à Mme Soumya Bourouaha, pour soutenir l'amendement n° 623 .
Si nous partageons pleinement la volonté de lutter contre ces arnaques en ligne, nous considérons que le filtre anti-arnaque ne doit en aucun cas conduire à une restriction abusive des libertés de communication, C'est la raison pour laquelle nous proposons de supprimer les alinéas 8 à 13 de l'article 6. Ils prévoient que l'autorité administrative pourra, par une décision motivée, enjoindre au fournisseur d'accès à internet, aux fournisseurs de système de résolution de noms de domaine et aux fournisseurs de logiciels de navigation, de bloquer l'accès aux sites figurant sur une liste de sites manifestement cybermalveillants.
Tout blocage de site devrait être autorisé par un juge judiciaire – nous l'avons souvent rappelé –, afin de vérifier que la demande n'est ni erronée ni abusive au regard des libertés fondamentales. Divers organismes, notamment la Cnil – Commission nationale de l'informatique et des libertés – ou des associations nous alertent sur ce point.
Alors que vous souhaitez protéger les libertés, vous affaiblissez considérablement le dispositif.
Vos amendements visent à supprimer la mission des fournisseurs d'accès à internet à l'égard des éditeurs de site qui n'ont pas communiqué les éléments pour les identifier. Ainsi, il conduit à empêcher toute possibilité de blocage de sites, dont les concepteurs n'ont même pas respecté leurs obligations d'identification. Or pour que le dispositif soit efficace, il est nécessaire que, dans un deuxième temps, les FAI puissent bloquer le site.
En revanche, nous avons débattu en commission des navigateurs. Étant donné qu'ils ne sont pas tous capables de bloquer les éditeurs de site, il faut aborder cette question différemment, ainsi que le prévoit ce texte. Avis défavorable.
Quelles que soient vos explications techniques, qui, du reste, ouvrent un débat relatif au rapport entre les plateformes plus modestes et les grandes plateformes et à la nécessité pour les plus petites de se mettre sous l'égide des plus grandes, le problème de l'évitement du juge reste entier. En effet, vous confiez un pouvoir exorbitant à une entité qui n'est pas judiciaire.
Depuis le début de l'examen du texte, nous sommes sur une ligne de crête, en particulier s'agissant des dispositifs relatifs à la protection des enfants et des mineurs face aux contenus à caractère pornographique. Nous devons absolument continuer à avancer sur cette ligne de crête. Nous devons trouver un équilibre entre la protection des citoyens et des consommateurs, et l'attribution de pouvoirs exorbitants à une entité qui n'est pas le juge judiciaire.
Nous ne sommes peut-être pas en désaccord sur le fond. La question, ce sont les moyens qu'on donne à la justice, notamment les moyens d'investigation. Je n'évoquerai pas ceux de la police judiciaire ; vous connaissez notre avis sur cette question et sur la position de M. Darmanin, qui remet en cause son indépendance, ce qui est un véritable problème. Il faut également donner des moyens aux magistrats, afin qu'ils puissent réagir plus rapidement. C'est ainsi, c'est compliqué ; nous devons accepter de nous confronter à cette complexité.
S'agissant des citoyens, il est trop facile de sortir de l'hémicycle, en prétendant que les enfants, les consommateurs, nos concitoyens seront protégés, alors que c'est faux ou que le coût de cette protection sera exorbitant.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Nous proposons de modifier un dispositif en vigueur. Je vous rappelle que Pharos agit sur certains contenus, en demandant aux plateformes de les retirer. Le fait qu'une autorité administrative puisse agir n'est pas nouveau puisque, en cas de péril imminent, fort heureusement, ce n'est pas le juge qui retire le contenu.
Ce dispositif est analogue. En effet, un risque de péril imminent pèse sur l'internaute car s'il clique sur le lien et qu'il accède à la page URL, il sera victime d'un vol de données ou d'argent.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 77
Nombre de suffrages exprimés 77
Majorité absolue 39
Pour l'adoption 10
Contre 67
Dans la version initiale du projet de loi, avant son examen en commission, il était prévu que l'accès aux sites concernés soit directement bloqué par les navigateurs. Mais, au cours de vos échanges avec certains de leurs représentants, notamment ceux de la fondation Mozilla, vous vous êtes aperçu, monsieur le ministre délégué, chers collègues de la majorité, que ce n'était pas une bonne idée. En effet, ils vous ont indiqué que si la France leur demandait de bloquer des sites pour lutter contre les arnaques, d'autres pays leur demanderaient de faire de même pour d'autres motifs, relevant probablement de la censure politique.
Vous avez donc renoncé à cette mesure ; dont acte. Mais faites encore un petit effort ! En effet, dans le texte de la commission, il est prévu de confier à l'administration française la tâche que vous souhaitiez assigner aux navigateurs. Or, l'administration, aussi illustre soit-elle, n'est pas totalement indépendante, à la différence de la justice ; elle dépend d'un pouvoir politique.
Lui confier, sous le couvert de bonnes intentions – la lutte contre les arnaques –, la décision de fermer des sites internet, c'est introduire dans notre droit la possibilité qu'elle le fasse, demain, pour n'importe quel site.
Oui, cher collègue Bothorel, Pharos peut agir en cas de danger imminent, mais lorsqu'il s'agit de pédocriminalité ou de terrorisme. En l'espèce, nous parlons de questions qui relèvent davantage du quotidien. Si l'on adopte une telle procédure pour le filtre anti-arnaque dans le domaine commercial, qu'est-ce qui empêchera de l'étendre à bien d'autres domaines, à tout et à n'importe quoi ?
Il faut donc renoncer à cette mesure et laisser à la justice le soin de décider quel site doit être fermé. Ne confiez pas ce pouvoir à l'administration, qui, de surcroît, ne le souhaite certainement pas, car des dérives seront constatées et elle sortira de son rôle. Encore une fois, c'est à la justice de décider.
Cette discussion illustre notre principal point de divergence sur le texte. Je fais partie de ceux qui souhaitent que nos concitoyens soient avertis, lorsque c'est le cas, que le site sur lequel ils se rendent et vers lequel ils ont été attirés par des messages concernant la vignette Crit'air ou un colis mal livré, par exemple, est malveillant.
La philosophie du dispositif est d'instaurer un filtrage par voie administrative et non par voie judiciaire. Quoi que vous en pensiez, ce dispositif est entouré de nombreuses garanties : une personnalité qualifiée contrôle l'action de l'autorité administrative, le recours est immédiatement suspensif, les délais sont très encadrés, le champ des infractions est limité et celles-ci sont aisées à constater.
Nous visons uniquement les sites manifestement malveillants, les faux sites qui ont pour objet exclusif de voler les utilisateurs. Vous n'êtes pas d'accord, soit. Je pense, quant à moi, à tous ceux de nos concitoyens qui, éloignés d'internet, reçoivent sans cesse de multiples SMS frauduleux qui leur sont envoyés pour voler leur argent, leur identité, etc. Nous souhaitons qu'ils soient avertis ; vous ne le souhaitez pas. Avis défavorable, bien entendu.
L'amendement n° 91 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Nathalie Oziol, pour soutenir l'amendement n° 567 .
Cet amendement de repli vise à rendre facultatif pour l'utilisateur le blocage de sites répertoriés comme frauduleux par l'autorité régulatrice.
L'article 6 crée en effet un précédent en faisant des navigateurs les auxiliaires de censure de l'État. Or, on ne peut laisser un tel pouvoir de censure dans les mains de n'importe quelle autorité. Si la volonté du législateur est de protéger les citoyens des arnaques présentes sur le web, cette protection ne doit pas se faire au détriment de la confiance que peuvent avoir les utilisateurs dans leur navigateur. C'est pourquoi il paraît plus équilibré de rendre ce filtre anti-arnaque facultatif.
C'est l'objet de cet amendement, qui laisse le soin à l'autorité administrative d'établir une liste des sites potentiellement frauduleux qui soit compatible avec des extensions pour navigateurs permettant à l'internaute de faire le choix de bloquer ou non l'accès à ces sites. Cette solution permet de préserver la liberté du net et la confiance des internautes dans leur navigateur tout en leur proposant une protection supplémentaire contre les sites malveillants.
Encore une fois, l'enjeu du dispositif est moins technologique que pratique : il s'agit d'être agile et de gagner du temps. C'est la raison pour laquelle nous recourons à une autorité administrative. Si vous n'agissez pas rapidement, vous laissez du temps aux attaquants et vous leur permettez de continuer à faire des victimes en masse. Nous avons les montres ; eux, ont le temps – c'est un peu ainsi que cela se passe. Le véritable enjeu, c'est de gagner du temps, d'être agile ; il dépasse la question technologique.
On leur laisse du temps parce que, depuis un certain nombre d'années, on ne veut pas donner les moyens nécessaires à la justice.
Connaissez-vous le nombre des sites concernés ? Ce n'est pas possible !
Celle-ci est capable – dans de tout autres domaines, il est vrai – de recourir à un traitement des infractions en temps réel et de prendre des décisions très vite.
Par conséquent, si les magistrats avaient les moyens, c'est-à-dire si les lois de finances les leur accordaient – ce qui permettrait d'augmenter les rémunérations et, ce faisant, de susciter à nouveau l'intérêt pour ces métiers –, je vous garantis que nous n'en serions pas là, à tortiller à propos de telle entité administrative. C'est à la justice, au pouvoir judiciaire, de prendre ce type de décisions.
Ce n'est pas la première fois – et c'est aussi le problème – que nous en discutons. À l'instar de ce qui se passe pour la surveillance généralisée, loi après loi, on soustrait à l'autorité judiciaire un certain nombre de décisions. Ce n'est pas possible dans la République !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Aurélien Taché applaudit également.
L'amendement n° 567 n'est pas adopté.
Les amendements identiques n° 773 rectifié , de Mme la rapporteure, et n° 784 rectifié, de M. Éric Bothorel, sont des amendements de clarification rédactionnelle.
Les amendements identiques n° 773 rectifié et 784 rectifié , acceptés par le Gouvernement, sont adoptés.
La parole est à Mme Soumya Bourouaha, pour soutenir l'amendement n° 610 .
Cet amendement reprend les préconisations émises par la Cnil, laquelle souligne, dans sa délibération du 20 avril 2023, que « le projet de loi vise, sans les hiérarchiser, trois dispositifs distincts de filtrage à partir d'une liste d'adresses électroniques suspectes fournie par l'autorité administrative : le filtrage par les fournisseurs d'accès à internet, par les fournisseurs de systèmes de résolution de noms de domaine et, enfin, par les fournisseurs de navigateurs web. Ces trois méthodes présentent des atteintes aux libertés qui sont différentes car elles n'offrent pas les mêmes possibilités de contrôle par l'utilisateur ni de précision dans le filtrage mis en œuvre. »
La Cnil considère donc que, parmi les trois modalités contenues dans le projet de loi, le filtrage devrait être réalisé en priorité au sein du navigateur, dans la mesure où ce dispositif est le seul qui offre la possibilité à l'utilisateur d'exercer un contrôle.
Cet amendement a donc pour objet, d'une part, de prévoir que le filtrage est réalisé au sein du navigateur et, d'autre part, de permettre que le dispositif de filtrage reste à la main de chaque utilisateur. Il est indispensable de s'assurer que l'objectif légitime de garantir la cybersécurité ne conduise pas, en pratique, à une restriction excessive des libertés fondamentales.
L'amendement n° 610 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Cet amendement vise à renvoyer au pouvoir réglementaire la définition des conditions d'introduction du recours devant la personnalité qualifiée.
L'amendement n° 776 de Mme la rapporteure est un amendement de coordination.
L'amendement n° 776 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
Sur le vote de l'article 6, je suis saisi par les groupes Renaissance et La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Sébastien Delogu, pour soutenir l'amendement n° 574 .
Nous proposons que soit dressée la liste des adresses des sites internet qui ont été bloqués en raison d'actes de cybermalveillance. Défavorables au dispositif qui vise à contourner le juge judiciaire pour bloquer l'accès à des sites internet, nous proposons que le nom des sites bloqués par l'autorité administrative puisse être connu, dans un souci de transparence.
Il est dommage, madame la rapporteure, que vous fassiez preuve de malhonnêteté intellectuelle en prétendant que nous ne cherchons pas à défendre l'intérêt des gens. Tout comme vous, nous sommes mobilisés pour faire bouger les lignes.
Mon honnêteté intellectuelle m'incite à vous dire que votre amendement est presque satisfait puisqu'en commission – si vous avez suivi les débats –, nous avons adopté un brillant amendement d'Éric Bothorel qui prévoit que les adresses électroniques auxquelles est appliqué le filtre seront rendues publiques par l'autorité administrative,…
…dans un format ouvert, soixante-douze heures après l'envoi de la notification ou de l'injonction, dans une liste unique régulièrement mise à jour. J'espère donc, honnêtement, que vous retirerez votre amendement.
Même avis que la rapporteure.
En avançant dans l'examen du texte et le déroulé de vos arguments, nous entendons que vous ne nous entendez pas s'agissant du rôle du pouvoir judiciaire. Et va se poser une autre question : celle de l'effectivité et de la rigueur qui présidera à l'établissement de cette fameuse liste noire.
À mon tour de soulever une question, que m'inspirent des événements qui se sont produits le week-end dernier, même s'il ne s'agit pas du tout des mêmes crimes et délits. Samedi, une plateforme a retiré 1 million de contenus. Combien de magistrats supplémentaires pensez-vous qu'il nous faudrait pour traiter le retrait d'1 million de contenus ?
M. Laurent Croizier, M. Bruno Millienne et M. Ian Boucard applaudissent.
L'amendement n° 574 n'est pas adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 78
Nombre de suffrages exprimés 78
Majorité absolue 40
Pour l'adoption 67
Contre 11
L'article 6, amendé, est adopté.
La parole est à Mme Mireille Clapot, pour soutenir l'amendement n° 790 .
Vous êtes-vous déjà imaginé ce qu'est le travail d'un modérateur de contenus ? Chaque jour, il voit défiler des images potentiellement violentes ou choquantes qui peuvent affecter son bien-être ou sa santé mentale. Certes, la tâche des modérateurs est en partie réalisée par l'intelligence artificielle, mais une intervention humaine demeure nécessaire.
Par cet amendement de Bruno Studer, nous proposons donc que les plateformes en ligne adoptent, sous l'égide de l'Arcom, des chartes portant sur le suivi et le soutien des modérateurs de contenus en ligne. Il s'agirait d'une avancée importante pour leur bien-être au travail et leur santé mentale. Ces chartes comporteraient notamment une obligation de formation, la mise en place d'un suivi psychologique et une plus grande reconnaissance de leur contribution à la protection des usagers des plateformes en ligne.
Merci de défendre cet amendement de Bruno Studer, très impliqué sur cette question. Vous souhaitez permettre un environnement de travail sain, éthique, dans un secteur en évolution très rapide. La question de la santé mentale des modérateurs est bien trop peu prise en compte. Avis évidemment favorable.
Vous pouvez, bien entendu, adopter cet amendement, mais il se situe, en réalité, sur le terrain du droit du travail.
La France peut modifier les normes qui s'appliquent aux travailleurs établis sur son sol, mais elle aura du mal à imposer une telle modification dans d'autres pays. Je n'opposerai pas, cette fois, à l'amendement l'argument de son incompatibilité avec le DSA, car il s'agit, non pas des modalités de traitement des contenus illicites, mais de la santé mentale des modérateurs.
Je m'en remets donc à la sagesse de l'Assemblée, sachant, encore une fois, que, si l'Arcom peut demander qu'une charte soit établie pour les modérateurs travaillant en France, je ne suis pas certain qu'elle puisse demander que cette charte soit étendue à l'ensemble des modérateurs travaillant, dans le monde, pour ces grandes plateformes.
N'en déplaise à M. le ministre délégué, la France compte de très nombreux modérateurs et modératrices qu'il faut en effet protéger. Nos assistants parlementaires, par exemple, assurent également une fonction de modération de nos réseaux sociaux – je vous invite donc à vous soucier également de la santé mentale de ces derniers.
La santé mentale reste le parent pauvre du droit du travail : ainsi ne reconnaissons-nous malheureusement toujours pas le burn-out. Et nous n'examinons pas d'assez près la situation de ceux qui occupent, souvent très ponctuellement, la fonction de modérateur, très ponctuellement parce que, précisément, ils arrivent très vite à saturation, au burn-out – j'y insiste –, voire, pire, à la dépression.
Pour la protection des travailleurs – sur le sol français évidemment –, il faut donc absolument adopter cet amendement.
M. Sébastien Delogu applaudit.
L'amendement n° 790 est adopté.
La parole est à M. Laurent Croizier, pour soutenir l'amendement n° 491 .
Les arnaques en ligne, le cyberharcèlement, l'hameçonnage ou le piratage de compte sont malheureusement monnaie courante sur internet. Le rapporteur général nous l'a rappelé : 50 % des arnaques sont commises en ligne, 18 millions de Français se font arnaquer chaque année et 9 millions d'entre eux y perdent de l'argent.
Il est par conséquent important de sanctionner avec une grande sévérité les auteurs de ces arnaques. Mais il est tout aussi important de prévenir et d'informer de ces risques afin que chacun sache comment s'en protéger. C'est pourquoi je souhaite que nous impliquions les plateformes de services en ligne dans la prévention des arnaques.
Sur le même principe que l'obligation d'afficher les mentions légales, nous voulons simplement que la loi exige des plateformes qu'elles affichent, par exemple en pied de page, un lien direct vers la plateforme cybermalveillance.gouv.fr. Cette contrainte ne me semble pas considérable, tant cette plateforme est de qualité : elle permet l'accès aux bonnes pratiques pour se protéger des cybermenaces ; elle permet aussi le signalement d'une escroquerie en ligne ou un contenu illicite, en les redirigeant vers Pharos ; enfin elle permet le dépôt de plainte sur la plateforme de traitement harmonisé des enquêtes et signalements pour les e-escroqueries (Thesee) du ministère de l'intérieur.
On a là un moyen assez rapide et très simple de multiplier l'information à destination des Français.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem, RE et HOR.
Votre amendement part d'une bonne intention. Nous en avons discuté en des termes presque similaires en commission mais, et je le regrette, je vais donner un avis défavorable. On dépasse ici de beaucoup, en effet, le champ des plateformes : on touche à tous les sites commerçants en ligne et c'est donc une obligation très large qui pèsera non seulement sur les grands sites mais aussi sur de très nombreux petits sites. Votre proposition me paraît par conséquent disproportionnée.
D'autre part, votre amendement ne me semble pas conforme au droit européen.
Nous soutenons l'amendement. Comme celui de M. Raux, qui n'a pas été défendu, il vise à installer sur les sites une alerte, un pictogramme ou quoi que ce soit d'autre qui permette d'aller vers la plateforme cybermalveillance.gouv.fr. L'idée est bonne : il est utile que tous les sites commerciaux puissent proposer un lien vers cette plateforme, qui vise les sites malveillants. Ainsi, conscient des arnaques auxquelles il peut être exposé, l'internaute a la possibilité de se protéger.
Un site d'arnaque serait par ailleurs d'autant plus facilement identifiable qu'il ne comporterait pas ce lien, à l'inverse d'un site honnête qui, lui, le proposerait. Ce pourrait donc être un moyen de distinguer les sites. Avant de faire un achat, avant de donner le numéro de sa carte bleue, avant de donner des informations personnelles – qu'il s'agisse du numéro de carte nationale d'identité ou autre –, l'utilisateur pourrait, en cas de doute, directement vérifier.
Malheureusement, tout le monde ne connaît pas cette plateforme, même si le nombre de visites a explosé l'an dernier. Aussi la mesure proposée par notre collègue est-elle pédagogique et contribuerait-elle à lutter plus efficacement contre les sites d'arnaque.
Nous avons intérêt à responsabiliser l'ensemble des plateformes sur la lutte contre les cybermenaces et les arnaques. Je rappelais qu'afficher les mentions légales sur l'ensemble des sites internet ne posait pas de problème. Les sites auraient tout intérêt à contribuer de la manière que nous proposons à la lutte contre la cybermalveillance, c'est même leur volonté. La contrainte ne me semble pas excessive, et l'adoption de notre amendement montrerait, j'y insiste, notre attachement collectif à poursuivre cette lutte.
L'amendement n° 491 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Violette Spillebout, pour soutenir l'amendement n° 274 .
Cet amendement a été rédigé après les violences urbaines. Nous nous souvenons du rôle joué alors par les réseaux sociaux qui, souvent, ont relayé des messages d'appel à la haine, d'incitation à la violence, à un moment très difficile pour les forces de l'ordre. Les représentants des plateformes, des réseaux sociaux, des fournisseurs d'accès, des administrations – sous l'égide du ministère de l'intérieur – se sont réunis pour agir très vite et bloquer ces contenus d'appel à la haine.
Nous proposons simplement de formaliser ce groupe de contact pour qu'il se réunisse tous les six mois et pour qu'il établisse des liens très fréquents avec la direction de la transformation numérique du ministère de l'intérieur et avec le ministre délégué chargé du numérique. Il faut agir, lutter contre les appels à la haine, contre la propagande terroriste et contre les risques de troubles à l'ordre public pendant les crises majeures.
Nous souhaitons donc formaliser cette sorte de force d'intervention. Nous savons que les réseaux sociaux et les plateformes sont prêts à s'y investir aux côtés de l'État. C'est pourquoi, après les violences urbaines évoquées précédemment, il nous semble important que cette coordination voie le jour.
Merci, chère collègue, de montrer que la volonté d'avancer en la matière est commune. Toutefois votre amendement étant satisfait, je vous demande de le retirer, faute de quoi j'émettrai un avis défavorable.
Nous parvenons au terme de l'examen des titres I et II pour lesquels j'ai eu l'honneur d'être rapporteure. Je saisis l'occasion qui m'est offerte pour vous remercier pour la qualité des débats.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR ainsi que sur les bancs des commissions.
Je remercie en particulier le président de la commission spéciale, le rapporteur général et son équipe, mais aussi le ministre délégué, ou encore les porte-parole des groupes avec qui j'ai eu le plaisir d'échanger des points de vue. Je remercie enfin nos brillants administrateurs, Ludovic, Raphaël et Inès, sans oublier la belle équipe qui m'entoure au quotidien. En laissant la place à la brillante Mireille Clapot, je vous souhaite de très bons débats.
Mêmes mouvements.
J'en profite à mon tour pour féliciter le travail réalisé en commission spéciale comme en séance par Louise Morel en tant que rapporteure pour les articles 1 à 6.
Pour répondre à Mme Spillebout mais aussi aux amendements précédents qui n'ont pas été défendus ou encore à des sollicitations régulières d'Éric Bothorel à propos du groupe de contact, outil mis en place par Bernard Cazeneuve quand il était premier ministre, pour lutter contre la diffusion de contenus faisant, par provocation, l'apologie du terrorisme après les attentats de 2015 ou l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine en 2020, je vous annonce qu'avec le ministre de l'intérieur nous avons décidé d'activer le groupe de contact à la suite des tout récents événements survenus au Moyen-Orient, amenés à durer et à avoir des conséquences en matière de propagation en ligne de contenus à caractère terroriste.
M. Éric Bothorel applaudit.
Ce groupe de contact rassemblera au minimum les représentants des plateformes de réseaux sociaux et ceux des fournisseurs d'accès à internet, comme le suggère l'amendement, qui est donc satisfait. Je remercie la représentation nationale d'avoir poussé le Gouvernement à reprendre cette bonne habitude, qui sera utile à la fois dans le cadre du conflit au Moyen-Orient mais également pour traiter d'autres types de propagation de violences en ligne, tel celui que vous avez évoqué dans la présentation de votre amendement.
L'amendement n° 274 est retiré.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures.
La séance est reprise.
Je vous informe que nous en venons à l'examen des articles 16 à 18, examinés par priorité.
La parole est à Mme la rapporteure de la commission spéciale pour les titres V et VI, pour soutenir l'amendement n° 942 .
En préambule, je tiens à remercier le président de la commission spéciale et le service de la séance d'avoir accepté l'examen par priorité des titres V et VI du projet de loi.
Le présent article 16 porte sur le Peren, le pôle d'expertise de la régulation numérique, qui est placé sous l'autorité conjointe des ministres chargés de l'économie, de la communication et du numérique et dont la mission est de conduire des expérimentations et des recherches. Je souhaite d'ailleurs, en votre nom à tous, saluer l'expertise reconnue des femmes et des hommes qui le composent.
M. le rapporteur général applaudit.
En renforçant la capacité de collecte de données du Peren, nous faciliterons la détection de risques systémiques au sein de l'Union européenne.
Quant à cet amendement, qui est de précision, il vise à garantir que le pôle pourra également analyser les applications mobiles développées par les plateformes – sachant que son adoption ne remettrait pas en cause les amendements adoptés en commission spéciale relatifs aux sous-traitants de ces plateformes et aux fournisseurs de systèmes d'intelligence artificielle.
Je vous souhaite la bienvenue, madame la rapporteure, et je me joins à l'hommage que vous venez de rendre à la vingtaine de personnes qui composent l'équipe du Peren, pôle qui a vocation à prendre encore plus d'importance dans les années à venir.
En effet, le Peren sera chargé d'appliquer l'une des dispositions nouvelles du règlement européen sur les services numériques, en l'occurrence la reddition des comptes par les grandes plateformes, ou plus précisément le partage de leurs données avec des chercheurs. Ces derniers pourront ainsi analyser le fonctionnement et les défaillances des plateformes et faire la lumière sur certaines dérives. Nous les dénonçons actuellement de manière intuitive, mais l'accès aux données permettra de les objectiver et donc de les corriger.
L'avis du Gouvernement est favorable.
L'amendement n° 942 est adopté.
La parole est à Mme Sophia Chikirou, pour soutenir l'amendement n° 717 .
Pour notre part, nous sommes très réservés – pour ne pas dire opposés – sur l'allongement des délais de conservation des données par le Peren. Outre la question de la conservation des données personnelles, nous devons tous ensemble nous interroger au sujet des centres de données – j'en ai parlé la semaine dernière en présentant la motion de rejet préalable du projet de loi. En effet, nous ne pouvons pas continuer à faire comme si le numérique n'était pas concerné par le changement climatique et n'avait pas une empreinte écologique considérable.
À l'heure actuelle, nous collectons et conservons des données indéfiniment, ce qui est un problème. Pour ma part, je suis pour limiter leur conservation à leur utilité immédiate ou à une période restreinte car, j'insiste, il n'est pas tenable de les conserver indéfiniment dans des centres de stockage. Il est véritablement nécessaire de s'interroger sur ce point.
Alors que le texte ne répond en rien aux enjeux de souveraineté numérique et de protection des données personnelles, les enjeux écologiques tendent, eux aussi, à passer à la trappe avec l'adoption de dispositions qui ignorent le problème, voire qui aggraveront la situation. C'est la raison pour laquelle nous défendons cet amendement n° 717 , qui vise à limiter le temps de conservation des données. Nous nous opposerons d'ailleurs tout au long de l'examen du projet de loi – nous allons bientôt aborder la question des clouds – à ce qui visera à prolonger indéfiniment leur conservation.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Je reconnais bien là vos arguments, madame Chikirou, et votre volonté de protéger l'anonymat et la planète. En l'espèce, vous souhaitez limiter la durée de conservation des données utilisées par le Peren à six mois pour les expérimentations et à deux ans pour les recherches.
S'agissant des expérimentations, je répéterai la petite plaisanterie que j'avais faite en commission spéciale alors que Charles III était en visite en France : vous êtes plus royaliste que le roi, car même la Cnil ne demande rien de tel. Or pourquoi irions-nous plus loin que ce qu'elle demande ? Le délai de neuf mois est un compromis.
Quant aux activités de recherche, le délai de cinq ans est tout à fait logique étant donné que la durée d'une thèse est de trois à quatre ans et que peut s'y ajouter une année d'échange entre pairs. Nous arrivons donc à cinq années, laps de temps également approuvé par la Cnil.
Je demande donc le retrait de l'amendement ; à défaut, l'avis sera défavorable.
L'amendement n° 717 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'article 16, amendé, est adopté.
La location de meublés de tourisme par l'intermédiaire de plateformes numériques telles que Airbnb est en progression constante. Ce phénomène entre en concurrence avec le secteur hôtelier et désorganise profondément le marché immobilier dans les zones tendues, qu'il s'agisse des grandes métropoles, comme Paris, ou des zones littorales.
Grâce à la loi Alur – loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové –, les communes des zones tendues qui en expriment le besoin peuvent instaurer un encadrement strict des locations saisonnières, en contraignant les plateformes à leur transmettre le nom des loueurs, l'adresse des meublés et leurs numéros de déclaration, et à leur préciser si les meublés constituent la résidence principale des loueurs ; il s'agit de vérifier que l'offre est bien conforme à la loi.
Dans un contexte de crise du logement qui expose les Français à de graves difficultés, notamment dans les grandes métropoles, nous sommes bien évidemment favorables au déploiement d'un contrôle strict de la location de meublés de tourisme qui, selon nous, doit rester très marginale. Cela étant, face à la dégradation du pouvoir d'achat, à la difficulté d'entretenir un bien immobilier et à l'explosion des charges, nous n'ignorons pas que la location périodique d'un logement peut constituer un revenu d'appoint non négligeable pour certains de nos concitoyens.
Nous sommes par ailleurs évidemment préoccupés par la concentration des données des Français entre les mains de certaines plateformes numériques toutes puissantes. Cependant, faciliter l'accès des communes à ces données ne doit pas exposer nos compatriotes à des dérives, s'agissant notamment des résidents de petites communes, où l'anonymat est plus difficile à assurer. Nous aurions donc souhaité davantage de garanties s'agissant de la confidentialité des données des particuliers communiquées aux communes, et nous estimons que le délai de consultation prévu par cet article doit être ramené à six mois après une année de mise en location.
La parole est à M. Laurent Croizier, pour soutenir l'amendement n° 824 .
Comme vous le savez, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) disposent également de la compétence du tourisme. À ce titre, il semblerait logique au groupe Démocrate d'étendre aux EPCI l'accès aux données utiles à la conduite d'une politique publique en matière de tourisme et de logement, tel que le prévoit, pour les communes, l'article L. 324-2-1 du code du tourisme.
Pour mémoire, l'article 17, qui est le seul du projet de loi à concerner les collectivités, prévoit la centralisation des données relatives aux locations de meublés de tourisme, faisant bénéficier ce sujet très sensible des bienfaits du numérique. À l'heure actuelle, le système permettant aux communes d'accéder aux données des plateformes est lourd et archaïque. Il pénalise les services administratifs, sachant – cela a été dit – que l'engouement croissant des touristes pour des locations chez l'habitant entraîne une inflation des demandes d'accès aux données. Nous avons eu la chance de tester la centralisation des données dans cinq communes et ce système sera élargi à 350 autres villes éligibles, l'outil ayant été plébiscité. En outre, je signale qu'une législation européenne similaire est en cours d'élaboration, c'est pourquoi je souhaite que nous restions dans un cadre maîtrisé.
S'agissant du présent amendement, je tiens à vous remercier pour votre travail, monsieur Croizier. Vous souhaitez que les établissements publics de coopération intercommunale, lesquels sont en effet compétents en matière de tourisme, aient également accès à la plateforme de centralisation des informations. Rappelons que conformément à l'article L. 631-9 du code de la construction et de l'habitation, le changement d'usage d'un local d'habitation doit, dans certaines communes, être autorisée par l'organe délibérant de l'EPCI compétent en matière de plan local d'urbanisme. Dans ces conditions, il me paraîtrait cohérent que les EPCI aient accès aux mêmes données que les communes.
L'amendement n'a pas été examiné en commission spéciale, mais je lui donne un avis favorable à titre personnel.
Grâce à l'adoption, en commission spéciale, de l'amendement n° 893 de Mme la rapporteure, lequel a créé le nouvel alinéa 6 de cet article 17, les données générées par la plateforme unique seront agrégées puis rendues accessibles pour une durée limitée à deux ans. Nous avons ainsi franchi une première marche dans le partage et la diffusion des données. Le présent amendement vise à clarifier encore davantage le texte et à aller plus loin en ouvrant l'accès à ces données aux EPCI. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de l'Assemblée.
L'amendement n° 824 est adopté.
L'objectif de l'article 17 est de permettre aux collectivités de mieux contrôler les locations réalisées par l'intermédiaire de plateformes sur leur territoire. Nous proposons que les préfets aient accès aux mêmes données concernant ces locations, ce qui semble d'autant plus indispensable que le préfet de département est compétent pour le recensement de logements vacants et qu'il est garant de la salubrité et de la tranquillité publiques.
La parole est à Mme Ségolène Amiot, pour soutenir l'amendement n° 721 .
Il vise à corriger un probable oubli : la gouvernance de l'organisme centralisateur, qui doit être désignée par un décret en Conseil d'État, n'est pas précisée dans le texte. Nous proposons de le faire par cet amendement en précisant que le préfet territorialement compétent aura accès aux mêmes données que les communes et sera associé au pilotage de l'organisme centralisateur. Il aura ainsi notamment accès aux informations concernant les logements vacants, dont le recensement fait partie de ses compétences, et qu'il peut réquisitionner si besoin.
Ce sujet a été évoqué en commission. Il est prévu que les données soient accessibles en source ouverte sous forme agrégée, ce qui me semble satisfaire, en partie, vos demandes. Il ne me semble pas nécessaire que les préfets aient accès aux mêmes informations que les communes, puisque ce sont elles qui sont en première ligne.
Avis défavorable.
Avis défavorable.
Je ne vois pas pourquoi ces informations ne devraient pas être partagées avec une autorité publique détenant une compétence sur le logement. Il ne peut s'agir que d'un oubli puisque l'État a une vision et une capacité de pilotage qui dépassent celles de la commune.
Mon département, le Calvados, compte plusieurs communes touristiques. Le préfet dispose d'une vision plus agrégée que celle des communes et peut, par exemple, observer des constantes dans l'évolution des locations. Vous avez donné un avis favorable à un amendement sur les intercommunalités, pourquoi le préfet ne pourrait-il pas lui aussi disposer d'un droit de regard et recevoir ces informations ?
L'article 17 modifie le code du tourisme pour créer un organisme de centralisation des données relatives à la location de meublés de tourisme. Nous y sommes très favorables, car cette disposition constitue un premier pas vers la création d'un fichier centralisé de ces données dans un contexte d'explosion des taux de non-conformité.
Dans la mesure où l'objectif de cet article est de permettre aux collectivités de mieux contrôler les locations par l'intermédiaire de plateformes sur leur territoire, la logique impose de transmettre automatiquement les données aux communes, sans quoi un grand nombre d'entre elles risquent de ne pas effectuer les démarches nécessaires. C'est d'ailleurs une des demandes de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF).
La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour soutenir l'amendement n° 1022 .
Cet amendement, qui a également été conçu avec des associations d'élus, vise à la transmission automatique des données relatives à la location de meublés aux communes ayant mis en œuvre la procédure d'enregistrement, afin de remédier à tout oubli et éviter ainsi des trous dans la raquette.
La systématisation des données que vous proposez signifie que les communes continueront à recevoir des e-mails avec des fichiers Excel. Le système que nous proposons permettra aux agents territoriaux – que je salue, car ils réalisent souvent un travail de l'ombre qui n'est pas reconnu – de choisir qui recevra les données et à quel moment, ce qui me semble beaucoup plus logique.
Avis défavorable.
En complément à l'argument de Mme la rapporteure, j'ajoute que l'automatisation de la transmission des données contrevient à l'esprit de l'article 5 du RGPD, qui pose les principes de limitation des finalités et de minimisation des données.
Le point soulevé par Mme la rapporteure concernant l'ergonomie est important. Nous proposons de mettre en place une plateforme sur laquelle les communes pourront se connecter pour accéder à des données, ce qui est préférable à un système d'envoi de fichiers Excel par e-mail qui ne respecte pas le principe de minimisation des données. Les communes n'ont pas forcément besoin de toutes les données et nous ne devons pas forcer l'envoi de données à caractère personnel. Avis défavorable.
Ce sujet est sensible. Certaines communes sont horripilées par la pression qu'exerce sur leur foncier et les loyers la multiplication des locations Airbnb. Toutes ne sauront pas que ces données sont à leur disposition et celles qui le sauront ne feront pas nécessairement les démarches pour y accéder.
Dans le Calvados, certaines petites communes du Pays d'Auge ne disposent du secrétaire de mairie qu'une demi-journée par semaine. Ceux-ci seront bien contents de ne pas avoir à s'inscrire sur un site. En outre, le maire d'un village de 250 habitants peut ignorer que sa commune compte une quinzaine de logements loués sur Airbnb.
L'automatisation de la transmission des données ne coûte pas grand-chose alors qu'elle facilite la vie et permet de lutter contre la spéculation, qui est l'objectif que nous partageons.
Cet amendement très simple vise à donner aux communes une meilleure visibilité pour le pilotage de leurs politiques d'urbanisme et de logement. En effet, par manque de visibilité, de nombreuses communes n'ont pu appliquer, dans le délai imparti jusqu'au 1er octobre 2023, la surtaxe d'habitation pour les meublés non occupés, c'est-à-dire les logements loués par Airbnb, ce qui représente un manque à gagner.
Les collectivités doivent en outre disposer des données nécessaires pour vérifier la conformité des déclarations d'Airbnb sur les taxes de séjour collectées aux montants qu'elles ont effectivement perçus.
Pour donner davantage de visibilité aux communes sur les données nécessaires au pilotage de leurs politiques budgétaire, fiscale et de logement, nous proposons donc par cet amendement que les données concernant les locations restent accessibles jusqu'à vingt-quatre mois après la période de location plutôt que jusqu'au 31 décembre de l'année suivant cette période.
La parole est à M. Frédéric Falcon, pour soutenir l'amendement n° 354 .
Cet amendement de repli vise à réduire à six mois le délai de consultation, ce qui semble raisonnable. Dans le contexte de crise et d'inflation que nous connaissons, évitons de stigmatiser systématiquement les petits bailleurs ayant recours à la location saisonnière à titre accessoire, comme ceux de mon département – qui n'est pas très riche – à Narbonne, Gruissan ou Port-la-Nouvelle. La location de leur appartement quelques semaines par an leur permet de payer les charges et de conserver leur bien.
Il est assez intéressant d'avoir une discussion commune sur deux amendements qui proposent à peu près le contraire l'un de l'autre.
Ce n'est pas nous qui avons choisi de les mettre en discussion commune !
Ils l'ont été car ils portent sur le même sujet. Je décrypte : d'un côté, le groupe La France insoumise souhaite étendre la durée pendant laquelle les communes ont accès aux données afin de pouvoir les traiter et les analyser ; de l'autre, le groupe Rassemblement national souhaite réduire cette durée à six mois.
Le maintien de la rédaction actuelle, qui prévoit un délai allant jusqu'au 31 décembre de l'année suivant celle de la période de location, me semble être un bon compromis.
Les associations d'élus nous ont demandé une simplification de l'accès aux données. Elles n'ont pas mentionné la question de la durée de leur conservation. Notre priorité doit donc être la bonne mise en œuvre de l'interface de communication des données entre les plateformes et les communes plutôt que le changement des règles de la durée d'accès aux données.
Avis défavorable.
Je persiste à essayer de vous faire voir la vertu de notre amendement : une durée d'accès de vingt-quatre mois permettrait aux communes non seulement un meilleur usage statistique de ces données mais également de décider l'année prochaine en conseil municipal de l'application de la surtaxe d'habitation – qui représente une majoration de cet impôt pouvant aller de 5 % à 60 %, ce qui n'est pas rien – afin de renforcer le budget municipal.
Votre proposition maintient les communes dans le brouillard. Ce n'est pas un service que vous leur rendez !
Sourires.
Mme la rapporteur l'a souligné, ces amendements traduisent deux visions diamétralement opposées : d'un côté, le groupe Rassemblement national veut protéger la rente des petits propriétaires, qui se font des choux gras avec des locations temporaires de meublés, en proposant d'effacer les données concernant ces dernières au bout de trois mois ; de l'autre, nos collègues proposent d'étendre le délai de disponibilité de ces données, ce qui me semble d'autant plus logique que la rétroactivité est de cinq ans en droit fiscal. Pourquoi vouloir effacer ces données si vite, si ce n'est pour protéger la France des petits propriétaires – ce qui n'est pas surprenant de la part du Rassemblement national ?
Nous ne défendons pas la location saisonnière à outrance ni les plateformes numériques. Nous cherchons une voie d'équilibre entre la lutte contre les abus et la protection des petits propriétaires…
…qui sont aujourd'hui pris à la gorge et qui doivent, pour conserver leur bien, avoir recours, quelques semaines par an, à la location saisonnière. Je vous invite à visiter mon département, qui est très pauvre : vous verrez que les propriétaires de studio-cabines à Leucate ou Gruissan le louent deux ou trois semaines par an afin de pouvoir payer leurs charges de copropriété et la taxe foncière, dont le montant a explosé après la suppression de la taxe d'habitation. Dans ces cas, il ne s'agit pas de rentiers, mais de membres de la petite classe moyenne qui essayent de survivre.
Intéressez-vous aussi aux classes moyennes qui n'arrivent pas à se loger !
La parole est à Mme Soumya Bourouaha, pour soutenir l'amendement n° 636 .
Nous proposons par cet amendement de recentrer le dispositif sur son cœur de cible car l'objectif de la centralisation des données relatives à la location de meublés de tourisme n'est pas d'abord de faciliter la conduite de leur politique touristique par les communes, mais de lutter efficacement contre le développement anarchique des offres de meublés de tourisme, en réduisant le taux de non-conformité du parc de locations proposées par les plateformes, un taux dont je rappelle qu'il atteint 34 % à Paris et 46 % à Lyon, et qui est certainement voué à augmenter, tout comme les prix des nuitées, du fait des Jeux olympiques.
Il s'agit de faire du dispositif un instrument de pilotage de la politique du logement, conjointement aux mesures fiscales destinées à supprimer les avantages dont bénéficient aujourd'hui les locations de meublés de tourisme non labellisées, afin de remettre nombre de ces logements sur le marché de la location de longue durée.
Quel est l'avis de la commission ?
J'ai mieux compris en vous écoutant l'arrière-plan de votre amendement, qui ne m'était pas apparu clairement à la lecture.
Ce dispositif ne sert pas qu'à la politique de logement puisqu'il prend aussi en compte les obligations à respecter au titre du code du tourisme. Et les meublés de tourisme, même si visiblement vous n'êtes pas favorables à ce type de logement, contribuent à mettre sur le marché des nuitées d'hébergement pour les touristes, dans un contexte où la France est une destination touristique très prisée, qui s'apprête, en outre, à accueillir de grandes manifestations, comme les Jeux olympiques.
Il est certain que cette situation a des conséquences sur le logement et il faut que ces données puissent être exploitées pour permettre éventuellement de répondre à des questions relevant de la politique du logement, mais il s'agira avant tout de répondre aux questions relevant de la politique de tourisme, et les élus que nous avons auditionnés nous ont bien dit qu'ils avaient besoin d'avoir une vision globale à cet égard. Je ne comprends donc pas pourquoi vous voulez priver les communes de ces données, qui portent à la fois sur le logement et sur le tourisme. Mon avis est donc défavorable.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Le groupe LFI – NUPES juge cet amendement fort intéressant, car il devrait permettre d'éclairer un dialogue qui est, comme souvent, quelque peu compliqué. Il envoie à notre sens deux messages : le premier, c'est la transparence, c'est-à-dire pas de décret mais un échange avec le Parlement pour savoir comment et quel type de données vont être transmises au nouvel organisme ; le second, c'est que ce dispositif est un outil important – même si nous avons échoué dans notre proposition d'une transmission systématique des données aux communes – pour déterminer les politiques du logement.
Après le rejet de plusieurs amendements, nous nous interrogeons : quelles sont les raisons pour lesquelles vous ne voulez pas accepter le partage de ces données avec ceux qui sont en charge, dans notre pays, de ces politiques publiques, malgré tous les bâtons que vous leur mettez dans les roues, en particulier lorsqu'il s'agit de logements publics ? Pourquoi refuser un partage avec les communes et les intercommunalités, voire avec le préfet, dans un esprit de transparence et afin qu'ils disposent d'outils de pilotage pour mieux appréhender les politiques de logements publics ?
C'est bien sympathique de rappeler que la France est un pays touristique. Dont acte. Mais c'est aussi un pays qui doit loger ses habitants, et l'on sait bien à quel point ce type de location favorise l'augmentation de l'ensemble des loyers, laquelle rend moins accessible, voire inaccessible dans certains endroits, le logement.
J'en reviens à ce que j'ai dit précédemment et la boucle sera bouclée : vous avez mis en pièces, particulièrement au travers de la loi Elan – la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique – le logement public. Celui-ci ne peut plus loger la France telle qu'elle est, pour reprendre des propos tenus lors de l'avant-dernier congrès HLM.
M. Jean-François Coulomme, M. Aurélien Saintoul et Mme Soumya Bourouaha applaudissent.
Je tiens à réagir aux propos de la NUPES. Ses membres ont défendu tout l'après-midi les libertés et la préservation des données, mais dès qu'il s'agit de contrôler les données des petits propriétaires dans un but clairement fiscal et en vue de promouvoir une politique du logement qui est clairement confiscatoire, il n'y a plus de problème ! C'est deux poids, deux mesures : au nom de la liberté d'expression, on défend tout autant l'accès aux données publiques que le droit aux abus sur les réseaux sociaux, mais contre les petits propriétaires, tout est permis. C'est assez contradictoire.
L'amendement n° 636 n'est pas adopté.
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l'amendement n° 798 .
C'est un amendement de cohérence, qui précise que le décret définissant les fameuses données dont nous parlons sera pris en Conseil d'État.
La parole est à Mme Soumya Bourouaha, pour soutenir l'amendement n° 620 .
Dans le prolongement de mon amendement précédent, celui-ci vise à systématiser la transmission des données aux communes afin de leur permettre de mieux contrôler les locations de meublés de tourisme. Si nous voulons être efficaces dans le contrôle de ces locations, nous ne pouvons nous contenter d'un parallélisme avec le locatif classique. Rappelons qu'aujourd'hui les intermédiaires de location de meublés de tourisme ont l'obligation de transmettre les informations dans un délai d'un mois, uniquement aux communes qui en font la demande, ce qui est un obstacle en soi. Nous ne comprenons pas que le nouveau dispositif de centralisation des données adopte un schéma identique.
On a déjà eu ce débat en commission. Le texte prévoyait initialement que la commune pouvait demander les données à l'organisme unique, et c'est tout à l'honneur du Sénat d'avoir modifié la rédaction pour prévoir que toute commune qui le souhaite ait un accès direct à la plateforme de l'organisme unique plutôt que de devoir faire une demande spécifique. Je pense qu'un bon équilibre a été trouvé. Il n'est pas nécessaire de transmettre ces données à des communes qui ne souhaitent pas les exploiter. C'est donc un avis défavorable.
Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Je commencerai en vous demandant, monsieur le président, pourquoi mon amendement n° 682 est tombé. En effet, l'amendement de la rapporteure qui vient d'être adopté ne me semble pas avoir de lien avec ce que je proposais, à savoir l'obligation pour les plateformes de transmettre aux communes, via l'organisme public unique, les données précises que j'avais listées.
L'amendement adopté ayant modifié l'alinéa 4, il n'était plus possible d'examiner le vôtre qui en proposait une nouvelle rédaction.
Je trouve particulièrement frustrant que, pour des raisons uniquement légistiques, on rate un débat politique aussi important que celui de savoir quelles sont les données que les plateformes doivent transmettre aux communes.
Sourires sur divers bancs.
Mais on ne va pas être frustrés très longtemps puisque l'on va vous écouter sur l'amendement n° 620 .
Pour la beauté du geste, je vais tout de même défendre l'amendement. Je considère toujours qu'il est tombé inopportunément parce que savoir si les plateformes doivent transmettre ou non le nom et le prénom du loueur, l'adresse postale du meublé et d'autres données mentionnées dans mon amendement, c'est important quand on sait que 43 % des annonces immobilières sur Airbnb sont frauduleuses, que les plateformes nous ont dit pendant les auditions qu'elles ne procéderaient pas aux contrôles elles-mêmes, que c'était aux communes de le faire, tandis que ces dernières nous ont expliqué – je pense notamment à Paris, à Lyon et à d'autres communes engagées dans la lutte contre les dérives d'Airbnb – qu'elles avaient besoin de ces données. C'est pour le moins dommage qu'on ne puisse pas avoir un débat politique sur ce sujet.
Je rappelle, pour conclure, que quelqu'un qui ne siégerait probablement pas sur nos bancs s'il était député, M. Roux de Bézieux, a déclaré que le logement était la prochaine bombe sociale à retardement. Et, quand j'entends le ministre du logement lui-même s'inquiéter du fait que la fiscalité sur les locations proposées sur Airbnb n'est pas la même que sur d'autres types de location et que je vois que, sur un texte qui prétend renforcer la lutte contre ces dérives, on ne peut pas débattre d'un amendement aussi important, qui permettrait aux communes de disposer de suffisamment de données précises pour faire le travail que les plateformes ne font pas, je m'inquiète.
Monsieur Taché, le Gouvernement s'est posé la même question que vous au moment de rédiger le texte, et c'est au terme d'échanges, notamment avec le Conseil d'État, qu'il s'est résolu à ne pas retenir à ce stade une liste de données de la nature de celle que vous proposiez, la liste devant ultérieurement être incluse dans l'API, l'interface de programmation qui tiendra lieu de solution définitive.
À cela deux raisons : la première, c'est le défi technique que représente l'élargissement de la plateforme expérimentale à une plateforme qui va désormais être accessible à 350 communes ; la seconde, comme la rapporteure l'a dit tout à l'heure, c'est la dimension européenne du sujet, sachant qu'on est ici en train d'anticiper sur l'application d'un règlement européen sur les transmissions de données en matière de location touristique. C'est pourquoi on s'est abstenu de préciser dans le texte les données qui seront concernées par cette API.
Cela étant dit, je peux d'ores et déjà vous assurer que, dans le cahier des charges de départ, qui a servi de point d'appui pour le travail technique, les données évoquées dans l'article auquel renvoie votre amendement, à savoir le nombre de jours de location, le nom du loueur, l'adresse, le numéro d'enregistrement du meublé et le caractère de résidence ou non de celui-ci, constituaient le socle minimal. C'est ce que le Gouvernement aurait inscrit dans le texte, mais qu'il s'est abstenu de faire pour les deux raisons que j'ai indiquées.
En résumé, c'est un travail technique qui n'a donc pas à être d'ores et déjà figé dans la loi, d'autant qu'un règlement européen est en préparation.
L'amendement n° 620 n'est pas adopté.
La parole est à M. Arthur Delaporte, pour soutenir l'amendement n° 1023 .
Cet amendement de repli vise à ce que les données soient transmises annuellement après la première demande de la commune, faute de l'être automatiquement dès le départ. Ainsi, une fois qu'elle aura fait la démarche, elle ne sera pas obligée de la renouveler chaque année.
Vous avez reconnu, monsieur le ministre délégué, que les communes pouvaient parfois être surchargées par les démarches à effectuer, et il s'agirait donc d'une forme de semi-automaticité de ces transmissions de données, sachant qu'il n'y aura pas de problèmes à faire le lien avec d'autres sujets, les communes disposant déjà d'un certain nombre de données liées aux individus – je pense aux données cadastrales, etc. Mais il s'agirait ici d'informations précises pour leur permettre de lutter contre un phénomène devenu majeur.
C'est aussi l'occasion de répondre au député du Rassemblement national qui évoquait « les petits propriétaires ». Cette expression est fréquemment employée parce qu'elle semble plus sympathique que celle de « propriétaire », on pense à une personne qui a économisé toute sa vie, etc.
S'agissant des locations Airbnb, notre collègue Inaki Echaniz a travaillé avec des membres de la majorité à un texte – on espère que celui-ci sera inscrit à l'ordre du jour et qu'il permettra de mieux réguler ce marché. En tout cas, on voit bien qu'il y a parmi ces loueurs des multipropriétaires aux biens extrêmement conséquents. Il n'y a pas que des petits propriétaires, et ceux-ci ne doivent pas servir de paravent pour occulter la réalité et empêcher toute régulation.
Vous proposez de cranter dans la loi un dispositif qui ne va peut-être pas convenir à toutes les communes si certaines d'entre elles veulent avoir les nouvelles données à un intervalle plus fréquent. C'est trop rigide. C'est donc une demande de retrait ; à défaut, l'avis serait défavorable.
Tout à l'heure, on nous dit qu'on ne transmettrait pas ces données, que cela n'avait pas d'intérêt, mais je rappelle tout de même que c'est le Gouvernement qui est responsable, au travers du projet de loi de finances et des dotations, de la dévolution de moyens suffisants aux collectivités, y compris aux petites communes. Bref, je le répète, on n'y comprend plus rien.
Pour notre part, nous considérons qu'il s'agit bien d'un amendement de repli comme l'a dit notre collègue, car une transmission au moins annuelle,…
…ne devrait pas alourdir, comme vous semblez vous en préoccuper, le travail des agents. De plus, cet amendement permettrait aux communes qui le souhaitent de prendre connaissance de ces données en ouvrant le document qui leur serait envoyé.
Pourquoi ne voulez-vous pas que ces éléments soient transmis aux communes ? Cela fait environ dix fois que nous vous posons la question, et nous n'avons toujours pas de réponse. C'est une blague quand vous nous dites que cela n'intéresse pas les communes, les petites ou les grandes – que sais-je !
Je vous renvoie au RGPD !
L'ensemble des associations d'élus réclament ces informations car, à l'évidence, la multiplication des plateformes comme Airbnb leur pose problème. J'insiste : pourquoi, fondamentalement, refusez-vous de transmettre ces éléments-là aux communes,…
…d'autant que vous venez de les corriger à l'instant ? Nous comprenons parfaitement ce que vous venez de nous expliquer, monsieur le ministre délégué, mais une dernière fois : pourquoi ?
L'amendement n° 1023 n'est pas adopté.
Toujours dans cette logique de repli, nous souhaiterions au minimum que l'ensemble des plateformes qui proposent ce type de locations fassent converger leurs données de manière automatique et exclusive au travers de cet organisme.
Cet amendement a été rejeté en commission. L'objectif, en centralisant et en informatisant les données via l'organisme unique, est de permettre aux communes de ne plus solliciter directement les plateformes et de faciliter l'accès aux données.
Je tenais tout de même à vous dire que votre demande consistant à préciser que l'organisme unique est celui qui peut transmettre les données est intéressante. L'amendement n° 133 de M. Rolland, qui va être présenté tout à l'heure, précise que les communes doivent s'adresser à la plateforme de centralisation des données : voilà qui devrait satisfaire votre amendement. Je demande donc qu'il soit retiré ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.
L'amendement n° 718 n'est pas adopté.
Cet amendement de mon collègue Raux est presque similaire à celui que j'avais déposé et s'avère plus solide d'un point de vue légistique : ça tombe bien !
Monsieur le ministre délégué, si j'ai bien compris votre réponse tout à l'heure, vous ne souhaitez pas à ce stade figer les choses sur le plan technique et suggérez plutôt de nous laisser le temps de voir s'il est opportun d'inscrire dans la loi telle ou telle donnée. Par cet amendement, nous vous demandons seulement d'ajouter le nom et le prénom du propriétaire du bien immobilier et, le cas échéant, l'adresse URL de l'annonce de location du meublé concerné. Si l'on ne transmet pas ces éléments à l'« API meublés », qui va faciliter le travail entre les communes et ces plateformes, autant dire tout de suite qu'on veut lutter contre les locations Airbnb mais pas trop quand même !
Si l'API ne dispose même pas du nom du propriétaire du bien ou de l'adresse URL de l'annonce, rien ne changera. Nous allons en effet créer un dispositif qui déchargera les plateformes, car les communes n'auront plus à les solliciter – on se demande si l'article n'est pas fait pour ça ! À part ça, il n'y aura absolument aucune avancée. L'autorité que nous nous apprêtons à constituer pourra être sollicitée par les communes ; quant aux plateformes, elles seront tranquilles.
Mais que faites-vous du contrôle que les communes ont mis en place pour essayer de lutter contre ce type de locations, alors qu'il existe déjà une législation très défaillante et une fiscalité avantageuse pour les meublés Airbnb ? On retrouve ces locations dans énormément d'endroits, et pas uniquement en milieu urbain. C'est pourquoi je suis un peu surpris d'entendre certains défendre les petits propriétaires en milieu rural qui n'auraient plus que la solution des meublés saisonniers pour parvenir à boucler leurs fins de mois.
Avec Airbnb, les prix du foncier augmentent – et assez vite, c'est partout la catastrophe. Au Pays basque, en ce moment, des gens manifestent car ils ne parviennent plus à se loger. Si nous voulons véritablement lutter contre les locations Airbnb, faisons une chose simple : inscrivons dans la loi le nom du propriétaire du logement ou, à défaut, l'adresse URL de l'annonce. Ce n'est pas très compliqué, nous pouvons le faire dès maintenant et nous aurons ainsi la preuve que nous souhaitons, tous ensemble, réduire ce phénomène et faciliter le droit au logement.
Je commencerai par rectifier les choses. Nous parlons beaucoup de la même plateforme, à savoir Airbnb – j'espère que vous ne répétez pas son nom pour lui faire de la publicité !
Sourires.
Mais nous pourrions en citer bien d'autres, telles que Booking, Abritel ou Expedia. Il y en a plusieurs dizaines en réalité, certaines opérant à l'échelle locale.
À vrai dire, je suis un peu surprise, et même vexée ; je m'efforcerai toutefois de tenir un propos dénué de tout affect. J'étais contente d'avoir pu introduire en commission un amendement qui élargissait les données à l'ensemble des données utiles à la conduite des politiques publiques de logement et de tourisme.
J'avais bien pris le soin d'inclure le logement, justement parce que le présent article ne formule que des obligations au titre du code du tourisme. À l'issue des auditions que nous avons menées, comme au travers des remontées dans nos circonscriptions, nous avons pris conscience que le logement devait être pris en compte. Bref, j'étais contente de cet ajout, mais voilà que vous souhaitez restreindre le dispositif : c'est dommage ! Certes, nous renvoyons un certain nombre de précisions à un décret, car nous ne pouvons pas tout inscrire dans la loi mais, en l'occurrence, vous restreignez beaucoup trop le dispositif. Avis défavorable.
L'amendement n° 585 n'est pas adopté.
La parole est à M. Aurélien Lopez-Liguori, pour soutenir l'amendement n° 301 .
Il vise à préciser que pour les demandes de décompte individualisé, c'est à la plateforme « API meublés » que les communes doivent s'adresser.
Je veux répondre aux propos qui ont été tenus dans l'hémicycle sur les petits propriétaires qui mettent en location leur bien sur la plateforme Airbnb. Dans les zones tendues – c'est le cas de la ville de Sète, dans ma circonscription –, les locations Airbnb sont un vrai problème car elles sont utilisées plus de 90 jours par an, et parfois plus de 120 jours. Le marché s'en trouve saturé, si bien que les jeunes ne peuvent plus se loger ou sont obligés de quitter leur ville.
Cette réalité, je la vis tous les jours. Les Sétois – souvent des jeunes ou des primo-accédants – viennent m'expliquer qu'il leur est impossible de trouver un logement ou qu'ils ne peuvent pas acheter, ce qui fait forcément augmenter les prix de l'immobilier. Aujourd'hui, à Sète, le mètre carré est évalué à 5 000 euros et il peut atteindre 10 000 euros dans certains endroits comme le mont Saint-Clair. Or Sète, ce n'est pas Paris : je parle bien d'une ville de province !
Il existe de toute évidence un problème avec Airbnb. Toutefois – et cela fait écho aux propos de mon collègue Falcon –, dans une zone touristique comme Gruissan, qui n'est pas une zone tendue, les locations Airbnb peuvent assurer aux petits propriétaires un complément de revenu en dessous de 120 ou de 90 jours. Pardon d'insister mais, hormis ce cas, les locations Airbnb sont bel et bien un problème, en particulier dans les zones tendues.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Si je comprends bien, vous souhaitez à nouveau préciser que toutes les demandes devront transiter par l'organisme unique. Or cette précision apparaît déjà à différents endroits du texte. J'ai dit tout à l'heure que l'amendement n° 133 de M. Rolland pouvait convenir, sa rédaction étant plus précise, mais il n'a pas été défendu. Malheureusement, je vais émettre un avis défavorable.
Sur cet amendement, j'émettrai le même avis que la rapporteure, à moins que M. Habert-Dassault ne le sous-amende pour retrouver la rédaction de l'amendement n° 133 de son collègue Rolland – je me permets de faire cette suggestion car il s'agissait d'un amendement du groupe Les Républicains.
Monsieur Habert-Dassault, souhaitez-vous sous-amender l'amendement n° 301 de M. Lopez-Liguori ?
Sourires.
L'amendement n° 301 n'est pas adopté.
La parole est à M. Victor Habert-Dassault, pour soutenir l'amendement n° 132 .
Il vise à assurer une certaine cohérence avec l'objectif de l'article 17, à savoir procéder à une centralisation des données devant être transmises aux communes éligibles. Les communes n'auront plus besoin de s'adresser à chaque plateforme pour obtenir des informations sur les meublés de tourisme loués sur leur territoire : elles pourront directement les consulter au travers d'un portail unique.
Par cet amendement, vous voulez retirer aux communes la possibilité de demander un décompte individualisé. Ce faisant, vous supprimez aussi une disposition très intéressante adoptée en commission, prévoyant que la commune soit alertée lorsqu'un meublé est loué plus de 120 jours par an comme résidence principale. Bien que ce ne soit pas l'objet du texte qui nous occupe, je rappellerai qu'au-delà de 120 jours les locations de résidence principale doivent cesser. Il y avait clairement un inconvénient pour les communes à passer du temps sur les différentes plateformes pour y vérifier que les locations n'excédaient pas 120 jours – 90 jours d'un côté, 50 jours de l'autre, etc. C'est dommage de supprimer cette avancée : avis défavorable.
Cet amendement est très intéressant. Je le répète, ce sont les zones tendues qui posent le plus de problèmes. Je reprendrai l'exemple de Sète : le maire de la ville n'a malheureusement pas fait grand-chose pour l'hôtellerie sur le territoire ; les touristes sont donc contraints de se tourner vers Airbnb. Aujourd'hui, on est incapable de savoir véritablement si les logements sont loués plus de 120 jours, donc de vérifier si les propriétaires ne se transforment pas en professionnels de la location de meublés saisonniers. Cet amendement a l'intérêt de permettre au maire d'avoir toutes les données en main pour frapper les propriétaires – sans forcément taper dans leur poche – qui ne se déclarent pas en tant que professionnels.
Je crois, cher collègue, que vous avez mal lu l'amendement qui nous est soumis puisqu'il vise exactement la solution inverse. En l'occurrence, notre collègue Habert-Dassault nous propose de supprimer le dispositif qui permet au maire d'être immédiatement alerté lorsqu'un meublé est loué plus de 120 jours dans l'année. Or, dans l'idéal, il faudrait prévenir les maires que des propriétaires sont en train de passer d'un statut d'amateurs proposant des locations ponctuelles à celui de loueurs professionnels. Il faut donc absolument voter contre cet amendement et conserver l'alinéa tel qu'il est rédigé, car il permet justement d'alerter le maire sur les situations d'abus.
L'amendement n° 132 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Mireille Clapot, rapporteure, pour présenter l'amendement n° 799 de précision rédactionnelle.
Il vise à ce que la règle des 120 jours s'applique dès lors que le meublé est déclaré comme résidence principale du loueur.
L'amendement n° 799 est adopté.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra