La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Nous abordons l'examen des crédits relatifs à la justice (n° 1745, annexe 30 ; n° 1778, tomes III et IV).
La parole est à M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire.
Le projet de budget 2024 de la mission "Justice " respecte la trajectoire prévue par la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, adoptée définitivement le 11 octobre au Sénat. Il s'agit d'un budget en augmentation, de 13,72 % en autorisations d'engagement (AE) et de 5,10 % en crédits de paiement (CP). Hors contribution au compte d'affectation spéciale (CAS), les crédits de paiement du ministère de la justice s'établiraient à un peu plus de 10 milliards d'euros, en augmentation de 500 millions par rapport à 2023.
Dans le détail, hors titre 2, c'est le programme 166, Justice judiciaire, qui porte l'essentiel de la hausse des crédits, l'augmentation considérable des AE du programme 107, Administration pénitentiaire, s'expliquant pour une large part par le renouvellement des marchés de gestion déléguée, à hauteur d'environ 1 milliard d'euros. On peut noter également l'augmentation de 14 millions d'euros des frais de justice, dépenses que le ministère ne parvient pas à rationaliser malgré le lancement d'un plan de maîtrise en la matière.
En ce qui concerne l'administration pénitentiaire, la programmation immobilière déçoit. Les AE et les CP de cette ligne sont en baisse alors que le calendrier de mise en œuvre du plan « 15 000 » – 15 000 nouvelles places de prison à l'horizon 2027 –, désormais plan « 18 000 », devrait se traduire par un très fort volume d'engagements en 2024 et en 2025. Or nous constatons l'inverse puisque les crédits d'investissement diminuent en 2024 de 60 millions en AE et de 32 millions en CP. Une véritable dégringolade s'annonce même pour 2025, avec la chute de près de 80 % des AE, qui passent à 148 millions, avant de remonter en 2026 pour atteindre près de 1 milliard, notamment en raison des importants travaux de réhabilitation de la prison de Fresnes. Si ces variations sont normales lorsqu'il s'agit de grands projets d'investissement, le calendrier prête à interrogations. Ces signaux confirment le retard pris dans le plan de construction de nouvelles places de détention, comme je l'ai montré au printemps dernier dans mon rapport d'information sur la planification de la construction des prisons. Les investissements seront, pour l'essentiel, lancés en fin de programmation.
En ce qui concerne les emplois, les hausses prévues sont les bienvenues. Dans le programme 166, les dépenses de personnel sont en augmentation de plus de 8 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, notamment du fait de la création de 1 274 emplois pour renforcer les juridictions. Quant au programme 107, la hausse de 5,7 % des crédits du titre 2 est liée en partie à la création de 447 emplois, ainsi qu'aux nouvelles mesures catégorielles dont bénéficient les personnels pénitentiaires. Ces chiffres sont conformes aux prévisions de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, à l'exception de l'administration pénitentiaire qui voit ses autorisations d'engagement diminuer parallèlement au ralentissement observé dans les opérations de construction de places de prison, destinées à appliquer le principe d'encellulement individuel.
Néanmoins, rien n'assure à ce jour que la programmation retenue contribuera réellement à renforcer l'efficacité de la justice, qui se heurte régulièrement à d'importants problèmes structurels tels que le poids des restes à payer ou la non-maîtrise des dépenses. Deux récents rapports de la Cour des comptes sur l'aide juridictionnelle (AJ) et sur les centres éducatifs fermés (CEF) démontrent à quel point le ministère de la justice a du mal à transformer l'essai – si vous me permettez l'expression. Je réitère le souhait que le secrétaire général du ministère de la justice assume enfin pleinement le rôle d'instance de pilotage qui lui est assigné. La croissance des crédits ne fait que renforcer ce besoin, elle ne doit pas contribuer à le masquer.
Le rapport remis par Jean-Marc Sauvé à la suite des états généraux de la justice dresse un tableau particulièrement sombre : dégradation de l'institution judiciaire, souffrance du personnel, incompréhension des justiciables – les mots sont forts et évoquent une réelle désespérance collective. Les retards du plan de construction de nouvelles places de prisons ne sont plus tolérables étant donné la forte attente de nos concitoyens en matière de sécurité et d'efficacité de la chaîne pénale. Aussi, monsieur le garde des sceaux, quelles décisions envisagez-vous en matière d'organisation, de pilotage et de suivi afin que les hausses de moyens prévues dans ce budget pour 2024 aient pour effet concret et visible de diminuer les délais de jugement et de baisser le taux de surpopulation carcérale ?
Pour les différentes raisons que je viens d'évoquer, j'émets un avis défavorable sur les crédits de la mission "Justice" . Je souhaite ainsi alerter le ministère et le Gouvernement quant à la nécessité d'améliorer l'efficacité du pilotage de la justice.
Il est temps que la représentation nationale soit enfin écoutée sur ce point.
La parole est à M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
La semaine dernière, la commission des lois a émis un avis favorable sur les crédits de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse pour 2024. Pour la septième année consécutive, les budgets de ces programmes sont en hausse, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. J'en profite d'ailleurs pour saluer votre action, monsieur le garde des sceaux : vous avez amplement contribué à la pérennisation des hausses budgétaires et au soutien de ces deux administrations essentielles de la justice.
Je ne détaillerai pas l'évolution des moyens action par action ; je vous renvoie pour cela à mon rapport et à celui de M. le rapporteur spécial. Retenons surtout qu'en 2024 l'accent sera mis sur les dépenses de personnel : elles connaissent une hausse de près de 4 % dans le programme 182, Protection judiciaire de la jeunesse, et une hausse de 5 % dans le programme 107, Administration pénitentiaire. Ces hausses permettront de poursuivre les recrutements et de créer 447 emplois dans l'administration pénitentiaire et 92 dans la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ. Elles permettront également l'application de nombreuses mesures catégorielles, notamment le passage du corps des surveillants pénitentiaires de la catégorie C à la catégorie B. Cette réforme est très attendue par les acteurs et les actrices de terrain que j'ai rencontrés.
Dans la continuité de la charte du surveillant acteur – « Principes du surveillant pénitentiaire, acteur incontournable d'une détention sécurisée » – que vous avez signée en 2021, monsieur le garde des sceaux, le passage de cette profession en catégorie B confirmera l'évolution de ses missions, nous permettant ainsi de reconnaître pleinement le rôle essentiel des personnels de surveillance. Je l'ai dit en commission et je le redis à cette tribune : il s'agit d'une réforme historique, dont nous devons saluer l'importance et la pertinence. La troisième force de sécurité du pays que constitue l'administration pénitentiaire mérite toute notre reconnaissance. Avec cette réforme, nous sommes à la hauteur de l'engagement dont font preuve au quotidien ses personnels dans leurs missions complexes et essentielles.
Pour répondre par avance aux critiques qui ne manqueront pas de venir de certains bancs et à celles que le rapporteur spécial a déjà formulées, permettez-moi d'apporter quelques explications sur les crédits hors titre 2, c'est-à-dire hors dépenses de personnel. Ces crédits connaissent certes une diminution, mais elle s'explique par l'effet mécanique du ralentissement des décaissements dans le cadre du programme immobilier pénitentiaire. Après une année 2023 riche en livraisons de nouveaux établissements, l'année 2024 sera une année intermédiaire marquée par le lancement des grandes opérations de la seconde phase du plan « 15 000 ». Ces opérations seront donc bien engagées, mais conduiront plus tardivement aux décaissements. C'est en raison du rythme des travaux que ces dépenses ne sont pas prévues en crédits de paiement dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024.
Je vous rassure donc, chers collègues : il ne s'agit nullement d'un recul en matière d'immobilier pénitentiaire. Au contraire, là encore, les efforts consentis s'inscrivent pleinement dans la continuité des budgets précédents. Le plan « 15 000 » continue son chemin : à la fin de l'année, nous aurons créé le tiers des nouvelles places de prison prévues ; fin 2024, près de la moitié des nouveaux établissements pénitentiaires programmés auront été construits. Nous demeurons pleinement mobilisés et je sais que nous pouvons compter sur votre engagement, monsieur le ministre, pour atteindre les objectifs que nous nous sommes collectivement fixés.
Avant de conclure, permettez-moi d'ouvrir des pistes en évoquant un sujet sur lequel je me suis penché au cours des dernières semaines et qui mérite, je crois, de retenir l'attention de notre assemblée. Publiée en début d'année, une étude épidémiologique nationale sur la santé mentale a confirmé le constat empirique des professionnels de santé et des personnels pénitentiaires, qui ne cessent de nous alerter à ce sujet : en prison, la prévalence des troubles psychiatriques est bien plus importante que dans la population générale. Selon cette nouvelle étude, les deux tiers des hommes et les trois quarts des femmes détenus en maison d'arrêt présentent, à la sortie de prison, un trouble psychiatrique ou lié à la consommation de substances.
L'année 2024 marquera le lancement de la deuxième phase de construction des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) : c'est sans doute une partie de la réponse à cette problématique, mais nous devons nous en saisir et envisager, le cas échéant, des évolutions normatives ou organisationnelles. Comme le disait si bien Simone Veil lors de la création des centres médico-psychologiques (CMP) en maisons d'arrêt : « Les prisons doivent servir à amender les détenus et pas seulement à les punir. »
Je souligne, pour finir, l'importance de l'accompagnement psychologique des personnels pénitentiaires : étant donné la complexité de leurs missions, je ne les oublie pas.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.
La parole est à Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
C'est avec plaisir que je présente devant vous, pour la deuxième année consécutive, un budget de la justice et de l'accès au droit en forte hausse. Il est la traduction concrète de nos engagements devant les acteurs du monde de la justice pendant les états généraux, mais aussi devant les Français, il y a quelques semaines, lors de l'adoption définitive de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
Après une augmentation de 8 % en 2023, nous prévoyons une hausse de plus de 5 % en 2024 des crédits consacrés au fonctionnement de la justice et à l'accès au droit, ce qui les conduira à dépasser pour la première fois la barre symbolique des 6 milliards d'euros. Ces moyens supplémentaires permettront à l'institution judiciaire d'atteindre ses objectifs prioritaires : la réduction des délais d'audiencement et des stocks d'affaires en attente, l'amélioration des conditions de travail des agents et un meilleur accompagnement des justiciables.
Le programme 166, Justice judiciaire, fait l'objet d'une nouvelle hausse soutenue de ses crédits, de près de 10 %, qui correspond au financement des recrutements de personnel tant attendus par l'institution. Au total, près de 1 300 emplois supplémentaires sont programmés pour 2024 : 305 postes de magistrats, 340 greffiers et 513 professionnels destinés à former de véritables équipes autour des magistrats. Les mesures de revalorisation salariale engagées en 2023 sont par ailleurs maintenues et connaîtront leur première année pleine en 2024, avec une enveloppe catégorielle de 120 millions d'euros. Enfin, un effort budgétaire important est consenti pour resserrer le maillage territorial des maisons de justice et du droit, grâce à une hausse de plus de 9 % des crédits, et pour soutenir les associations d'aides aux victimes, dont l'enveloppe bénéficie d'une hausse de 4 %.
L'arrivée massive de nouveaux agents nous impose de redimensionner notre immobilier judiciaire et de veiller à la fiabilité et au bon dimensionnement de nos outils numériques. En la matière, un constat s'impose d'emblée : les moyens budgétaires qui leur sont consacrés présentent une trajectoire ambitieuse, avec une augmentation de 35 % des crédits de paiement de l'action 06 du programme 166. Cette hausse permettra de financer des rénovations et des extensions, ainsi qu'un nouveau plan de transformation numérique très attendu.
Notre immobilier judiciaire fait face à deux contraintes majeures : d'ordre symbolique, tout d'abord, du fait de la nécessité d'incarner la solennité de l'institution judiciaire ; une contrainte de volume, ensuite, en raison de l'accueil de nouvelles recrues. Plusieurs mécanismes sont déjà appliqués pour maximiser les espaces : la densification, le partage de bureaux ou la réserve foncière ou immobilière. Malgré tout, de façon temporaire, des prises à bail seront inévitables.
Il faut prendre en compte le principe de mutabilité des services publics dans le cadre de la programmation immobilière, afin de ne pas s'engager dans des opérations inadaptables à l'avenir. En outre, la gouvernance de l'immobilier judiciaire apparaît complexe et peu lisible pour les acteurs de terrain. Les mécanismes de déconcentration de la décision et des moyens au niveau régional et local, tels qu'institués par le garde des sceaux, sont donc les bienvenus. Enfin, il faut désormais prendre pleinement en considération les besoins des autres usagers de l'institution, les avocats et justiciables – particulièrement les victimes.
Ce fut le cas lors de la construction de la salle dite des grands procès qui, aménagée provisoirement pour accueillir le procès des attentats du 13 novembre, ne désemplit pas depuis. Il convient donc, pour la remplacer, de réfléchir à l'aménagement une grande salle d'audience pérenne, permettant d'accueillir des contentieux de masse, et qui, tout en symbolisant l'institution, assurerait à la fois la sécurité maximale et la prise en compte des besoins spécifiques des victimes.
S'agissant de la numérisation de l'institution judiciaire, je me réjouis du succès du premier plan de transformation numérique qui a permis aux personnels de disposer de matériels en quantité suffisante, adaptés à leurs besoins. Le second plan de transformation portera principalement sur le développement et le renforcement des applicatifs métiers. N'ayons pas peur de l'affirmer : le personnel peut être en souffrance face à des logiciels peu fiables, sous-dimensionnés et parfois peu ergonomiques. Ce plan de transformation est donc une impérieuse nécessité : il serait incompréhensible de consacrer des moyens au recrutement d'agents supplémentaires pour qu'ils dépensent leur énergie à trouver des solutions afin de faire fonctionner des outils numériques inadaptés. À l'avenir, il serait peut-être préférable d'installer des applications moins ambitieuses, mais plus fiables. Enfin, je salue l'internalisation partielle des capacités numériques et le recrutement de personnel technique, en cours de déploiement dans chaque juridiction.
Cette année encore, le budget de la justice est marqué par le respect : le respect de nos agents qui œuvrent chaque jour en faveur d'une justice utile et efficace, le respect des justiciables qui attendent – à juste titre – une justice plus rapide et plus à l'écoute et, surtout, le respect de la parole donnée à l'occasion des états généraux de la justice et de la loi d'orientation et de programmation. Nous pouvons en être fiers.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et HOR.
Nous en venons aux porte-parole des groupes.
La parole est à Mme Andrée Taurinya.
L'examen du projet de loi de réforme de la justice nous avait révélé vos intentions – garder le cap du tout-sécuritaire et du tout-répressif. Ce budget n'est donc pas une surprise pour nous ; il est conforme à votre politique : beaucoup d'annonces démagogiques et un budget qui ne réglera aucun des problèmes que connaît le service public de la justice.
Vous annoncez fièrement une hausse de 503 millions d'euros mais vous oubliez l'inflation, qui la ramène à une somme réelle de 220 millions d'euros, soit la moitié de celle dont vous vous gargarisez dans tous les médias qui vous invitent pour présenter ce budget que vous qualifiez d'historique.
Comment allez-vous utiliser ces crédits ? On aurait pu espérer vous voir écouter et prendre en considération les analyses et les revendications des associations, de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, de la Défenseure des droits et des personnels. Hélas ! Vous vous obstinez dans une orientation, celle du tout-carcéral, du tout-sécuritaire.
Pour la justice judiciaire, vous privilégiez comme toujours la justice pénale à la justice civile, avec 238 millions d'euros supplémentaires pour la première. Vous privilégiez les postes d'assistants, plutôt que de recruter en nombre suffisant des magistrats et des greffiers, pourtant nécessaires à la réduction des délais de traitement des instances ; greffiers et greffières qui, malgré vos annonces, continuent d'exprimer leur mécontentement concernant leur rémunération.
Cette année encore, l'administration pénitentiaire disposera du budget le plus élevé au sein de la mission – sept fois supérieur à celui alloué à l'accès au droit et à la justice, par exemple. Vous projetez la livraison de quatre établissements pénitentiaires en 2024, équivalent à 570 places de prison. Pourtant, dans son dernier rapport d'activité, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté affirme sans équivoque la nécessité d'instituer un mécanisme de régulation carcérale – et nous partageons son constat. Les nouvelles prisons sont déjà pleines, car plus on construit, plus on enferme ! Les solutions ne manquent pas, mais ce qui manque clairement, c'est, de votre part, la volonté politique.
Pour la protection judiciaire de la jeunesse comme pour l'administration pénitentiaire, une partie du budget est orientée vers la réalisation d'opérations immobilières d'ampleur, avec la construction de centres éducatifs fermés. C'est une nouvelle preuve de votre incapacité à vous appuyer sur une politique d'accompagnement plutôt que sur la répression et l'enfermement de mineurs.
La fermeture de ces centres serait un moyen de consacrer une partie de leurs coûts de fonctionnement et de construction au financement de mesures alternatives.
Le budget pour l'accès au droit et à la justice n'est pas plus glorieux : son augmentation est dérisoire et ne permet pas la valorisation de l'aide juridictionnelle ni de l'aide aux victimes d'infractions pénales.
Mme Caroline Abadie s'exclame.
Vous préférez consacrer l'argent public à la construction de lieux d'enfermement – prisons ou centres d'enfermement pour mineurs.
Monsieur le ministre, il est urgent de mettre fin à la précarisation du service public de la justice, garant principal de nos droits et libertés. Il faut des moyens financiers et humains significatifs afin de recruter massivement de nouveaux fonctionnaires et de proposer des rémunérations susceptibles de rendre ces métiers attractifs. S'agissant de l'échelle des peines et du sens de la peine, il faut changer de paradigme.
Y'a qu'à, faut qu'on !
Le ministère de la justice ne doit pas se transformer en entreprise immobilière ou de bâtiment, mais recruter et innover pour garantir les droits et les libertés des citoyens. Nous défendrons donc de nombreux amendements visant à réorienter le budget du ministère de la justice.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – Mme Eva Sas applaudit également.
Je vous prie de bien vouloir excuser Xavier Breton, l'orateur de notre groupe, qui, hélas, a été confronté à une difficulté l'empêchant d'être présent dans l'hémicycle cet après-midi.
Nous sommes face à un budget en trompe-l'œil : selon le point de vue que l'on adopte, on ne voit pas la même chose. Il est vrai que les crédits de la mission "Justice " augmentent de plus de 5 % en crédits de paiement mais, dans la mesure où l'inflation est au même niveau, il s'agit plutôt d'une stagnation.
S'agissant de la répartition des efforts, nous prenons acte d'un nombre important de créations de postes dans les services judiciaires et l'administration pénitentiaire, mais il faudra analyser la part respective des titulaires et des contractuels. Les crédits alloués aux investissements immobiliers s'élèveront à plus de 500 millions d'euros en 2024, mais c'est une baisse de 132 millions par rapport à l'année dernière.
En 2017, Emmanuel Macron s'était engagé à construire 15 000 nouvelles places de prison au cours de son mandat. Cet objectif a été ramené à 7 000, puis à 4 500. Dans les faits, seules 2 500 places supplémentaires ont été construites depuis 2017, si bien que la surpopulation carcérale ne baisse pas. Ainsi, selon les données récemment publiées par votre ministère, le nombre de détenus est reparti à la hausse au 1er octobre, avec 74 342 personnes incarcérées, contre 73 693 en septembre.
C'est la troisième fois depuis le début de l'année que le nombre de détenus franchit la barre symbolique des 74 000, alors que le nombre de places opérationnelles dans les prisons est de 60 850. Dans le cadre des débats sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice, notre groupe…
Mme Pécresse !
…a fait inscrire la construction de 3 000 places de prison supplémentaires, si bien qu'on ne devrait plus parler du plan « 15 000 », mais du plan « 18 000 ». En la matière, cependant, les annonces tonitruantes du ministère ne seront visiblement pas suivies d'effets.
Certains secteurs sont en souffrance. La Cour des comptes s'alarme ainsi du manque d'encadrement de l'aide juridictionnelle, destinée aux personnes aux revenus et patrimoine modestes afin de rétribuer les avocats qui les assistent. Elle dénonce l'absence de doctrine claire d'attribution de cette aide, le manque « d'indicateurs fiables et pertinents » permettant de piloter ces dépenses, ainsi que les « défaillances » dans le suivi de la gestion des procédures. En application de la loi de finances pour 2023, la Cour recommande également de mettre en place sans retard le dispositif de recouvrement des versements indus d'aide juridictionnelle garantie.
La hausse des crédits alloués aux associations d'aide aux victimes, de 4 %, est inférieure à l'inflation. Pourquoi ?
La Cour des comptes a également dressé un premier bilan des centres éducatifs fermés et des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). Là encore, le jugement est sévère : « les CEF et les EPM sont insuffisamment évalués, alors qu'ils mobilisent des moyens importants ». La Cour invite votre ministère à « accomplir un effort d'évaluation de leur efficacité et de leur efficience, mesurées notamment par les taux de récidive et de réitération et le suivi des actions de formation et d'insertion ».
Enfin, chacun sait que les systèmes informatiques de nos tribunaux sont encore, hélas, souvent défaillants, ce qui nuit au traitement des affaires.
J'évoquerai également le mouvement historique de protestation des greffiers lié à des promesses non tenues. Il a eu des négociations, mais les chiffres que vous avancez, monsieur le garde des sceaux, ne sont pas ceux qui nous sont rapportés sur le terrain : vous parlez d'augmentations de 300 euros par mois quand, à écouter les greffiers eux-mêmes, elles dépassent rarement 100 euros.
C'est faux !
Pourquoi un tel écart ? En outre, vous affirmez que 3 200 des 11 000 greffiers passeront en catégorie A : sur quels critères seront-ils choisis ? Il importe de montrer à nos greffiers que nous avons conscience de leur importance dans l'organisation judiciaire.
Au vu de tous ces éléments, le groupe Les Républicains votera contre le budget de la mission "Justice " pour 2024.
En préambule, en tant que Breton, j'ai une pensée pour tous les services de l'État, pour les forces de l'ordre, les pompiers, les adjoints communaux, les maires et tous les citoyens de ma région qui ont subi cette nuit une tempête d'une rare intensité.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et RE.
Avec une augmentation de 503 millions d'euros par rapport à 2023, soit + 5,3 %, les crédits alloués à la mission "Justice " sont sans précédent. J'avoue que j'ai donc du mal à comprendre votre refus de les voter car un tel budget est – les mots ont un sens – historique.
J'ai connu une justice qu'un garde des Sceaux qualifiait d'en voie de clochardisation. Or, depuis 2017, le budget de la justice a massivement augmenté tous les ans. Mme Taurinya affirme que, sur le terrain, les greffiers ne sont pas contents. C'était peut-être le cas… à un moment !
Mais un accord a été signé, leur rémunération va augmenter et leur statut va être ajusté.
Les magistrats ont également été augmentés et, je le répète, la hausse du budget est inédite. En tant que rapporteur du projet de loi d'orientation et de programmation, je me réjouis que son adoption le 10 octobre à l'Assemblée rende possible une hausse pérenne des moyens de la justice. Notre ambition ne s'arrête pas à la loi de finances pour 2024 puisque l'objectif est d'atteindre 11 milliards d'euros d'ici 2027, soit une hausse de 60 % ! Quand j'entends Les Républicains qui, à une époque, ont fermé les tribunaux d'instance refuser de voter en faveur d'une telle augmentation, j'avoue que les bras m'en tombent !
J'espère que ce budget marque la fin du délabrement de notre justice, dénoncée par les états généraux. C'est en tout cas la fin de plus de trente ans d'abandon, quand les crédits de ce ministère constituaient une variable d'ajustement – comme à l'époque où Mme Rachida Dati fermait des tribunaux.
Ce n'est pas notre choix. Nous faisons le choix de réarmer la justice de ce pays.
Ils avaient créé alors moins de 100 postes !
En effet, moins de 100, tandis que nous, à la fin de la programmation, nous en aurons créé 1 000, ainsi que 1 800 postes de greffiers. La conjoncture économique que nous connaissons n'est pourtant pas beaucoup plus propice ; c'est une simple question de choix ! Je le répète : nous faisons le choix de réarmer la justice.
Je reprends vos mots monsieur le garde des sceaux : cette loi et le budget afférent vont « renforcer notre justice, en la rendant plus proche, plus protectrice et plus rapide pour chacun de nos concitoyens ».
Cette proximité de la justice est primordiale. Chacun doit connaître ses droits et pouvoir les défendre. C'est la raison pour laquelle le groupe Démocrate se réjouit – entre autres augmentations – que le budget du programme Accès au droit et à la justice pour 2024 atteigne les 734,2 millions. Cet effort se traduit notamment par une augmentation de 16,1 millions du budget consacré à l'aide juridictionnelle, dont le montant total s'élève à 657,1 millions.
En parallèle, nous créerons l'année prochaine 327 postes de magistrats, 340 postes de greffiers et 400 postes d'attachés de justice. Cette accélération du rythme de recrutement et de création de postes renforcera sans aucun doute la proximité et la qualité de la justice.
Enfin, parce qu'il faut pouvoir connaître et accéder à ses droits dès le plus jeune âge, la politique judiciaire ne doit pas se désintéresser des enfants. La justice des mineurs et la protection de l'enfance doivent être au rendez-vous : nous devons leur donner les moyens d'accompagner au mieux les enfants concernés. Le code de la justice pénale des mineurs est un succès. En refondant le cadre dans lequel les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse interviennent, il permet désormais d'offrir une prise en charge et des réponses judiciaires adaptées.
Nous ne devons donc pas relâcher nos efforts. Le budget pour 2024 du programme Protection judiciaire de la jeunesse atteint les 950 millions : cette augmentation de 28 millions marque une nouvelle étape majeure.
Le groupe Démocrate votera donc ce budget sans aucune hésitation.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et RE.
Alors que le recours au 49.3 se banalise et laisse l'administration et l'exécutif seuls décideurs, monter à la tribune pour parler du budget en séance publique me coûte et crée en moi un malaise que je tiens à exprimer ici.
La présente mission s'inscrit dans la suite logique et attendue de la loi de programmation. La hausse de ce budget, qui se vérifie en 2024, permettra sans doute à la justice de sortir de l'indigence qu'elle connaît – c'est du moins ce que nous espérons. Le budget ne fait certes pas tout, mais une augmentation massive des moyens financiers et humains nous semble en effet être la priorité.
Il nous faut veiller à ce que la loi de programmation se concrétise chaque année. Il nous est en effet déjà arrivé de voir des crédits votés en novembre être gelés deux mois plus tard. C'est pourquoi un amendement de notre groupe vise à introduire une clause de revoyure au mois d'avril de l'année en cours.
Enfin, avant d'exprimer les quelques réserves ou observations que nous inspire la mission proprement dite, nous tenons à rappeler que plus des deux tiers des citoyens ne sont pas satisfaits du fonctionnement de la justice – ils mettent en avant les délais et l'illisibilité des décisions rendues – et que près des deux tiers considèrent que les juges ne sont pas indépendants du pouvoir politique. Les nominations à l'initiative du Gouvernement et la gestion même de l'autorité judiciaire devront être questionnées, en se gardant de tout esprit corporatiste ou de réflexe antijudiciaire. Nous n'abandonnons pas ces critiques, mais considérons que le renforcement des moyens de la justice est pour l'heure la priorité.
Je m'interroge sur les postes créés : les crédits sont là, mais encore faut-il qu'ils se traduisent par un recrutement massif, en particulier chez les magistrats. Les besoins s'élèvent à 2 800 postes de magistrat d'ici 2027, en prenant en compte les départs à la retraite. Il s'agit donc de recruter 700 magistrats par an. Même si les écoles tournent à plein régime, il faudra ouvrir la magistrature à d'autres professions du droit, en simplifiant encore les procédures et en combattant les préjugés. La question de l'attractivité de la magistrature mais aussi d'autres corps de la fonction publique se pose toujours.
Deux questions aussi sur les greffiers – notre vigilance a été constante à ce sujet, vous devez le reconnaître, monsieur le ministre. La catégorie A est-elle enfin, s'agissant de la Chancellerie, en tout point comparable à celle des autres ministères ? Les directeurs des services de greffe verront-ils leur situation évoluer dès 2024, avec effet rétroactif pour 2023 ?
J'ai un vrai regret en ce qui concerne la justice restaurative, qui ne connaît aucune majoration par rapport à 2023, puisque 36 millions sont alloués aux dépenses d'intervention d'aide aux victimes pour 2024. Alors qu'en France, la récidive atteint un taux de 40 %, au Québec, où la justice restaurative est couramment pratiquée, le taux de récidive des condamnés ayant participé à de tels programmes est de seulement 9 %. Cette réussite tient aux importants crédits qu'y consacre l'État.
Sur la question carcérale, on ne peut que faire un constat d'échec, la tendance étant au durcissement. On compte 74 513 détenus pour 60 666 places théoriques. Pas moins de 27 000 détenus sont incarcérés dans des établissements affichant un taux d'occupation supérieur à 150 % et, fin 2022, le taux d'occupation des maisons d'arrêt avoisinait 143 %. Il nous faut questionner notre modèle d'enfermement pour que la dignité des détenus ne soit pas bafouée. Le sens donné à la prison fonde le sens de la peine.
La détention, c'est aussi le temps de la réinsertion : le détenu ne restera pas toute sa vie en prison. Sans réinsertion, la question de la récidive et de la sécurité de la société reste entière.
Dans son rapport de 2023, la Cour des comptes dénonce la surpopulation carcérale persistante et s'interroge sur la politique d'exécution des peines : elle y constate une diminution de 23 % des courtes peines, une augmentation de 24 % de la durée d'incarcération et une hausse de 30 % de la détention provisoire. Les mesures alternatives à la prison doivent être développées, avec davantage de lieux d'accueil, de conseillers pénitentiaire d'insertion et de probation (CPIP) et d'éducateurs spécialisés. La Cour des comptes, qui n'est pas une institution fantaisiste,…
…recommande un dispositif statistique permettant de suivre l'évolution comparée des personnes bénéficiant d'un aménagement de peine et de celles effectivement incarcérées. Nous devons étayer nos dires par une évaluation rigoureuse des orientations alternatives de la politique pénale. Sans ces chiffres qui nous permettraient d'évaluer rigoureusement les orientations successives, nous ne pourrons pas convaincre l'opinion de sortir du tout-carcéral. Monsieur le garde des sceaux, je vous repose donc la question : mettrez-vous en place un tel dispositif ?
En ce qui concerne, enfin, l'aide juridictionnelle, les crédits augmentent, mais cela ne résout pas pour autant la grande question de l'accès financier à la justice ; la Cour des comptes relève en la matière un manque de pilotage. Nous demandons toujours avec insistance que les enfants de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) puissent bénéficier de l'assistance systématique d'un avocat. Mon groupe a déposé une proposition de loi en ce sens.
Telles sont quelques-unes de nos observations sur cette mission : nous reconnaissons et saluons la majoration des crédits qui lui sont alloués, en particulier s'agissant du personnel. Si nous ne nous opposons pas à ce budget, nous rappelons ici que les grandes questions précédemment évoquées devront à nouveau faire l'objet d'un débat.
Qu'est-ce qui distingue le juste de l'injuste ? La loi. Dans cette enceinte, notre tâche quotidienne est immense. Elle est immense parce que les lois que nous votons sont, chaque jour et chaque heure, interprétées et appliquées par les juges. Ils sont la voix de la loi et doivent rendre la justice au nom du peuple et de cette si belle institution qui porte le nom d'une vertu. Cet idéal intrinsèquement moral suscite légitimement des attentes importantes – qui sont parfois déçues.
Cette déception est, entre autres, le fruit d'un sous-investissement budgétaire dans la durée. La justice est devenue lente et procédurière ; un sentiment d'injustice s'est progressivement installé chez certains de nos concitoyens. Cette lenteur est le pire des maux ; elle génère violence et insécurité, et discrédite l'institution. Je connais pourtant l'engagement des personnels de justice : magistrats, professionnels ou non, avocats, greffiers, assistants de justice, services d'enquête – j'en oublie. Eux aussi sont parfois découragés.
Ce budget, comme le précédent, marque un tournant. Il redonne à la justice sa juste place : celle d'un service public central et incontournable, qui réconcilie avec l'État de droit. Il atteindra 10,8 milliards d'euros d'ici quatre ans, soit une hausse de plus de 20 % sur le quinquennat et 60 % en cumulé depuis 2017. Cette majorité n'a pas à en rougir, bien au contraire : nous pouvons être fiers…
…de nous être attelés à reconstruire et réhabiliter cette si belle institution, si longtemps reléguée au second plan. Ainsi, les autorisations d'engagement sont en hausse de 13,72 % par rapport à 2023 et les crédits de paiement de 5,10 % – conformément aux engagements pris au sein de la loi de programmation du ministère de la justice, définitivement adoptée.
Ces crédits sont avant tout destinés à ceux qui font la justice : 1 961 emplois seront créés en 2024, dont 1 307 dans les services judiciaires, 450 dans l'administration pénitentiaire – en particulier dans le cadre de l'ouverture de nouveaux établissements – et 92 au sein de la protection judiciaire de la jeunesse. Ce budget marque donc un tournant.
Rendre la justice, c'est aussi permettre aux citoyens d'y accéder plus facilement, lever les barrières et les freins. L'accès au droit occupe une place importante dans ce budget : 16 millions seront ainsi consacrés à l'implantation de points-justice, et près de 50 millions dédiés à l'aide aux victimes – soit une augmentation de 4 % par rapport à l'année 2023. Cette progression reflète la continuité de la politique gouvernementale en faveur des victimes, qui se traduit depuis plusieurs années par une croissance importante et régulière des ressources budgétaires allouées. Comme les années précédentes, ce programme mobilisera en 2024 des ressources importantes en faveur des victimes de violences conjugales ; celles-ci représentent en effet plus de 40 % de l'ensemble des victimes prises en charge par les associations d'aide aux victimes. Ces crédits financent en particulier les téléphones grave danger (TGD), dont 5 400 sont déjà déployés au 1er juillet 2023 ; cette dynamique se poursuivra.
Enfin, nous tenons à saluer l'amélioration des capacités et conditions de détention, avec la poursuite du programme Immobilier pénitentiaire et les 15 000 places de prison supplémentaires à l'horizon 2027. La livraison de quatre nouveaux établissements, totalisant 570 places, est prévue en 2024. Il faut y ajouter les 36 opérations qui doivent encore être livrées. Ces nouvelles places doivent trouver des lieux d'implantation sur notre territoire : il y va de notre responsabilité collective.
Outre l'immobilier, ce budget permettra également de valoriser le personnel de l'administration pénitentiaire au moment où, nous le savons, ces métiers souffrent d'un cruel manque d'attractivité. Nous soutenons ainsi les budgets consacrés à la revalorisation statutaire et indemnitaire de la filière de surveillance, avec le passage de la catégorie C à la catégorie B pour les surveillants et de la catégorie B à la catégorie A pour les officiers.
Vous l'aurez compris, le groupe Horizons et apparentés votera cette mission budgétaire telle qu'elle est présentée. Nous voulons en effet mettre en pratique l'invitation de Blaise Pascal : « Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste. »
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
En attendant le 49.3, nous examinons le budget de la justice pour 2024. Je le dis d'emblée : notre mission ne consiste pas à enregistrer des hausses, mais à évaluer les arbitrages budgétaires qui nous sont proposés, en les rapportant aux besoins du service public de la justice. C'est donc l'état actuel des choses qu'il faut avoir à l'esprit.
La justice française est en crise depuis longtemps ; cette crise est profonde et tout le monde en souffre. On se souvient du suicide d'une jeune magistrate, qui sonna l'alarme. Elle venait d'embrasser la magistrature et se heurtait, violemment, à ses conditions d'exercice : une justice de l'abattage, qui n'écoute pas, qui chronomètre, avec un ministère incapable de faire respecter le droit européen ou la décence en matière de temps de travail.
Depuis la « tribune des 3 000 », la souffrance éthique des magistrats n'est plus un tabou. La cause de ce surmenage n'est un secret pour personne : on compte seulement 9 000 magistrats en France, alors qu'il en faudrait 22 000 pour atteindre les standards européens.
Cela ne veut rien dire, il faut prendre en compte les juges des prud'hommes !
Et des tribunaux de commerce !
Le constat n'est pas moins inquiétant s'agissant des greffiers.
Le justiciable est naturellement la victime collatérale de cet abandon : le recours à la justice est devenu un véritable parcours du combattant. Les délais s'allongent ; les requérants ne sont plus écoutés ; les juges des enfants sont condamnés à renouveler des mesures de suivi éducatif sans jamais voir les familles, faute de temps pour les recevoir ; les juges correctionnels doivent choisir entre siéger tardivement – c'est un euphémisme – ou renvoyer l'audience, ce qui peut la repousser à l'année suivante.
Le tout se produit sur fond de surpopulation carcérale, avec un taux d'occupation moyen des maisons d'arrêt de 146 %. Cela contraint les détenus à cohabiter parfois à plus de trois au sein d'une même cellule. Plus de 2 500 personnes doivent dormir chaque nuit sur des matelas à même le sol, dans des cellules infestées de rats, de puces et de cafards, où les sanitaires ne sont pas séparés du reste de la pièce et où la notion d'intimité n'existe pas. La moisissure, le froid, l'absence de lumière : de telles conditions d'insalubrité sont indignes et privent les détenus de possibilités réelles de réinsertion.
Après la « tribune des 3 000 » et les états généraux de la justice, les grands chantiers ont été identifiés. Le budget 2024 ne rattrape toutefois pas trente ans d'abandon.
Les moyens augmentent : c'est incontestablement une bonne nouvelle – mais cela ne suffira pas à enrayer la maltraitance des personnels, des justiciables et des détenus.
S'agissant du programme Justice judiciaire, les recrutements annoncés ne permettront pas de diviser par deux les délais comme vous le prétendez, monsieur le ministre,…
…à moins d'agir, une fois de plus, au mépris des conditions de travail des agents. La justice restera une justice de l'urgence.
Vous annoncez la création de 327 postes supplémentaires de magistrats en 2024. Les référentiels établis par le groupe d'étude sur la charge de travail des magistrats démontrent qu'il en faudrait deux à trois fois plus. Le groupe Écologiste – NUPES avait expressément demandé que ces référentiels servent de base à l'élaboration du budget pour 2024. Non seulement il n'en a rien été, mais ils n'ont même pas été publiés ; il y a de quoi douter de les voir un jour appliqués !
Quant au volet pénitentiaire, vos arbitrages budgétaires ne permettront pas de redonner tout son sens à la peine. Vous persistez à consacrer des sommes astronomiques à la construction de nouvelles places de prisons, au détriment de ce qui devrait être au cœur de la politique pénitentiaire, à savoir la lutte contre les conditions indignes de détention, la prévention de la récidive et la promotion de la réinsertion.
Vos choix ne sont pas cohérents : les moyens alloués à la rénovation du parc pénitentiaire sont en très forte baisse et plus de dix fois inférieurs à ceux alloués à la construction de nouvelles places de prison. Compte tenu de l'état d'insalubrité des établissements, c'est incompréhensible. Quant à la prévention de la récidive et la réinsertion, le budget qui leur est consacré stagne à 123 millions, ce qui reste très faible. Aucune création d'emploi n'est prévue pour renforcer les métiers du social. Les préconisations du Conseil économique, social et environnemental (Cese) en matière de réinsertion des personnes détenues sont restées lettre morte.
Que dire des moyens consacrés aux aménagements de peine et aux solutions alternatives à l'incarcération ? Trois millions seulement y sont consacrés ; c'est le budget le plus faible et il est en baisse par rapport à 2023. Il concerne très majoritairement la surveillance électronique, alors que le financement du placement à l'extérieur est dérisoire.
Nous sommes sur une mauvaise pente, à contre-courant des pratiques de nos voisins européens – nous regardons avec intérêt ce qui se passe ailleurs. Ce n'est pas en construisant toujours plus de places de prisons que vous parviendrez à contenir la surpopulation carcérale. Toutes les études démontrent que ce phénomène est le résultat de politiques pénales de plus en plus sévères : augmentation du nombre de peines d'emprisonnement ; usage massif des comparutions immédiates, grandes pourvoyeuses de courtes peines dont on sait qu'elles désocialisent et sont inadaptées ; recours accru à la détention provisoire, avec plus de 19 000 présumés innocents vivant dans des maisons d'arrêt surpeuplées.
Le groupe Écologiste – NUPES salue la hausse des crédits, mais regrette les arbitrages effectués. Par conséquent, ses membres s'abstiendront.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
J'ai l'honneur d'exposer la position du groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES sur les crédits de la mission "Justice" . Nous saluons l'augmentation de 503 millions pour l'année 2024, ainsi que les actions entreprises en faveur des outre-mer, puisque le PLF intègre plusieurs mesures visant à adapter l'institution judiciaire aux spécificités des territoires ultramarins. Malgré ces initiatives, force est de constater que globalement, ce projet de loi n'apporte pas de réponse adéquate pour remédier à la détérioration du système judiciaire.
Du seul point de vue budgétaire, l'augmentation des crédits alloués à la justice se révèle insuffisante. Les crédits ne progresseront que de 5,3 % pour 2024, alors même qu'il est prévu 3 % d'inflation annuelle. Il est encore plus significatif que le budget consacré à la justice demeure parmi les moins élevés d'Europe. Selon une étude menée par le Conseil de l'Europe, les délais de jugement en France sont presque trois fois plus longs que dans les pays voisins. Le rapport du comité des états généraux de la justice dénonce quant à lui une « crise du service public de la justice » et insiste sur la nécessité d'une réforme systémique de l'institution judiciaire – à laquelle le ministère se refuse. À bien des égards, le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice et le projet de loi organique relative à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, adoptés cet été, ont été source de déception. Les états généraux de la justice ont déploré une politique judiciaire qui ne faisait que « colmater les brèches » d'un système défaillant.
La mission Justice du PLF pour 2024 manque une nouvelle occasion de s'attaquer aux problèmes structurels qui affectent le système judiciaire. Il est regrettable que le budget de l'administration pénitentiaire demeure le premier poste de dépenses de la justice. Symboliquement, cela traduit une approche davantage tournée vers la répression que vers la réintégration dans la société. De plus, cette stratégie répressive s'est révélée peu efficace dans la prévention de la récidive.
Le système pénitentiaire est également affecté par un phénomène de surpopulation, comme en témoigne le taux d'occupation moyen des maisons d'arrêt, qui avoisine les 142 %. Alors que la capacité pénitentiaire a augmenté au cours des dernières décennies, les enquêtes menées par le Comité européen pour la prévention de la torture révèlent que la pression carcérale ne faiblit pas. Puisque l'extension du parc carcéral ne résout pas le problème de la surpopulation, le groupe GDR – NUPES souhaite la création d'un mécanisme national contraignant de régulation carcérale et le développement des peines alternatives. À cet égard, le rapport d'information publié en juillet dernier par nos collègues Elsa Faucillon et Caroline Abadie formule des propositions susceptibles de tous nous rassembler, afin de mettre un terme à la surpopulation carcérale.
S'agissant du programme Justice judiciaire, le Gouvernement a instauré diverses mesures, que nous saluons : une revalorisation statutaire et indemnitaire pour les personnels de surveillance et les greffiers ; l'alignement du traitement des juges judiciaires sur celui des juges administratifs ; la titularisation de certains contractuels. Après des mois d'une mobilisation inédite des greffiers, un protocole d'accord a été signé le 26 octobre ; il constitue un pas important pour la reconnaissance de la profession. Toutefois, l'évolution de leur statut reste à parfaire. Le Gouvernement a également opté pour la contractualisation des personnels de surveillance et des attachés de justice, ce qui soulève de nombreux problèmes. Au lieu d'envisager les contractuels comme un vivier de recrutement, il conviendrait plutôt de s'interroger sur les facteurs expliquant ce manque d'attractivité. Il y va de la pérennité de la justice.
Le Gouvernement entend créer une équipe autour du magistrat. Cette idée est intéressante, mais le flou qui entoure le nouveau statut juridique des attachés de justice constitue une véritable source d'inquiétude. Comment garantir que cette nouvelle désignation ne soit pas une simple façade visant à dissimuler le manque de réponses concrètes obtenues par les trois précédents statuts – les assistants de justice, les juristes assistants et les assistants spécialisés ? De plus, ce statut juridique place les attachés de justice dans une situation précaire, puisque leur titularisation n'est en rien assurée. En tout état de cause, l'attaché de justice ne devrait pas être transformé en une sorte de sous-magistrat chargé de combler le manque de juges au sein des juridictions.
Pour toutes ces raisons, le groupe GDR – NUPES est défavorable au texte ; la majorité des membres du groupe votera contre.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR – NUPES.
Je tiens à commencer cette intervention en apportant un soutien appuyé à l'ensemble des victimes de la tempête Ciaran qui a sévi cette nuit, particulièrement en Bretagne et en Normandie. Des vents très violents ont provoqué un décès et de nombreux dégâts ; seize blessés sont également à déplorer. J'adresse mes remerciements aux services de l'État et des collectivités locales, en particulier les effectifs des services de secours et de la protection civile ; sept sapeurs-pompiers ont été blessés.
J'en viens aux crédits alloués à la justice. Comme beaucoup, je regrette que le débat ait un intérêt limité, puisque les budgets sont désormais adoptés à coups de 49.3. Au nom du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, je salue les efforts budgétaires notables figurant dans le PLF pour 2024 ; les crédits progressent de 12 milliards. Cependant, en dépit des efforts déployés ces dernières années, force est de constater que les résultats ne sont pas nécessairement au rendez-vous. Le groupe LIOT regrette que le service public de la justice, pourtant si précieux pour nos concitoyens, continue à suivre une logique de rattrapage. Les problèmes d'hier restent ceux d'aujourd'hui et, probablement, ceux de demain.
Comment ne pas évoquer la surpopulation carcérale ? Le programme Administration pénitentiaire est le plus lourd du ministère, du point de vue financier comme du point de vue des défis à relever. En dépit des moyens alloués, la pénitentiaire souffre et continue à faire face aux mêmes difficultés : surpopulation carcérale, manque d'attractivité du métier et donc, manque d'effectifs. La fonction première des prisons consiste à apporter des réponses pénales aux fautes commises, mais aussi à préparer les détenus à retrouver une vie sociale normale, grâce à un travail de réinsertion. Nous sommes encore loin du compte.
Le groupe LIOT s'inquiète donc de la surpopulation carcérale et des conditions indignes de détention, qui ont déjà valu à la France plusieurs condamnations de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Nous manquons de place pour les presque 74 000 détenus sur tout le territoire.
La situation reste totalement insatisfaisante. Elle est encore plus grave outre-mer : les deux établissements de Guadeloupe affichent des taux d'occupation supérieurs à 135 % ; à Mayotte, celui de la maison d'arrêt de Majicavo dépasse les 250 %. Monsieur le ministre, vous vous étiez engagé à créer un nouveau centre à Mayotte, mais aucune disposition budgétaire ne traduit votre engagement.
Les crédits du programme Juridiction judiciaire progressent, en raison du plan de recrutement de 1 500 magistrats et de 1 800 greffiers, qui a déjà été lancé ; c'est une excellente chose. Cependant, les juridictions font face à d'importants défis, comme les délais de jugement trop longs en matière civile résultant de la persistance d'un stock d'affaires élevé.
Notre groupe vous alerte sur les risques d'aggravation de la fracture territoriale. Ma circonscription est ainsi largement sous-dotée – dans la juridiction de Vannes, le nombre de magistrats rapporté à la population est l'un des plus faibles. S'il est vrai que les affaires les plus graves et les plus urgentes sont traitées rapidement, comme elles le nécessitent, certaines traînent pendant plusieurs années, ce qui empêche les gens de se reconstruire et d'aller de l'avant ; c'est particulièrement préjudiciable.
Enfin, l'aide juridictionnelle totalise 650 millions, soit une hausse de 21 millions en un an. Néanmoins, la rétribution des avocats continue à poser problème. Le Conseil national des barreaux (CNB) demande une revalorisation de la rétribution au titre de l'aide juridictionnelle en faisant passer l'unité de valeur (UV) de 36 à 42 euros hors taxe. Notre groupe demande en outre une adaptation de ce montant aux outre-mer, ainsi qu'une réduction des délais de paiement, qui y sont nettement plus élevés que dans l'Hexagone.
En raison de ces fractures, les membres du groupe LIOT s'abstiendront.
De façon continue depuis 2017, le groupe Renaissance a voté des budgets significativement en hausse pour la justice, qui en avait grand besoin pour être plus rapide, plus proche et plus moderne. Nous avons l'ambition d'améliorer la justice, qui est un pilier de la démocratie et qui se trouve au cœur des préoccupations des Français.
Pendant des décennies, la justice s'était lentement paupérisée, à coups de lâches renoncements ; elle voyait ses tribunaux se délabrer, voire fermer ; elle octroyait à des promoteurs privés des concessions sur ses prisons ; elle ne disposait pas d'ordinateurs portables. Monsieur le ministre, cette justice, qui était devenue celle de l'abnégation, vous doit d'incarner cette ambition avec toute la force et la détermination que l'on vous connaît.
En 2017, les crédits de la mission "Justice " s'élevaient à 6,9 milliards ; l'année dernière, ils s'établissaient à 9,6 milliards ; pour 2024, ils dépasseront 10 milliards, dont la moitié est consacrée aux rémunérations – soit une augmentation de 8 % –, afin de recruter 1 500 magistrats et 1 800 greffiers, pour ne citer qu'eux.
Ces crédits permettront de revaloriser la mission des personnels auxquels on a demandé tant d'abnégation depuis si longtemps : les magistrats perçoivent 1 000 euros brut mensuels de plus depuis le 1er octobre ; l'accord de revalorisation indiciaire et statutaire des greffiers a été signé la semaine dernière ; la revalorisation statutaire des surveillants pénitentiaires permettra de mieux reconnaître cette profession, indispensable à la société et pourtant si mal connue et reconnue ; les directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (DPIP) bénéficieront d'une revalorisation, qui avait été demandée par le groupe Renaissance pour réduire l'injustice causée par la précédente revalorisation des conseillers d'insertion.
En 2024, 10 millions supplémentaires – soit une augmentation de 35 % – sont prévus pour construire, agrandir, isoler et rénover les tribunaux, dont ceux de Vienne et de Bourgoin-Jallieu, dans le beau et grand département de l'Isère.
Une justice plus rapide, plus proche et plus moderne, mais pour qui ? Pour les plus vulnérables. Les victimes resteront notre priorité : nous avons le souci constant de les protéger et de les accompagner. Je pense en particulier aux victimes de violences conjugales qui continueront de bénéficier, par exemple, des téléphones grave danger. Nous en comptions 330 en 2019, 5 400 étaient déployés au mois de juillet 2023 ; nous sommes déterminés à en financer autant que de besoin. Il en va de même du bracelet antirapprochement et du déploiement des pôles spécialisés, préconisés par notre collègue Émilie Chandler.
Protéger les victimes, c'est aussi prévenir la récidive. Sans auteur, pas de victime. Nous poursuivons notre effort en matière de réinsertion des auteurs de violences conjugales, qui se traduit par le financement de dix structures de contrôle judiciaire sous placement probatoire – CJPP. En parallèle, Il existe trente centres pour auteurs de violences conjugales – CPCA –, dont j'avais moi-même souhaité la création lors du Grenelle des violences conjugales. Je réitère mon souhait que notre territoire soit davantage couvert par ces deux types de structures, et que leur financement soit pérennisé, car elles ont pour point commun de conduire à des taux de récidive très faibles.
Quant au plan « 15 000 places », appliqué dès 2017, il permettra de créer 4 100 places d'ici à la fin de l'année. Vingt-trois nouveaux établissements ouvriront en 2024. Comment ne pas relever cette contradiction : alors qu'au niveau national, Les Républicains font de la surenchère sécuritaire, au niveau local, ils sont réticents, voire opposés – s'agissant des élus de la région Île-de-France – à la création de nouvelles places, dont nous avons pourtant manifestement besoin ! Dès lors, la création de 3 000 places supplémentaires voulue par Les Républicains est compromise.
Aux yeux du groupe Renaissance, ce plan est indispensable pour mettre fin à l'indignité des conditions de détention et à la surpopulation chronique. Mais il est indissociable du développement de dispositifs parfois plus adaptés, comme ceux relatifs aux violences intrafamiliales que j'évoquais à l'instant.
Monsieur le garde des sceaux, vous le savez, je suis convaincue qu'il faut planifier une réduction pérenne de la population carcérale. Le Cese et la Cour des comptes nous y incitent, et les professionnels nous le demandent. Pour l'heure, ce budget pour 2024 est déjà riche de toutes les mesures que j'ai citées – et de bien d'autres. Les députés du groupe Renaissance sont fiers de voter en faveur des crédits de la mission "Justice" .
Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – M. Erwan Balanant applaudit également.
Depuis le début de la législature, on nous assène qu'il faut voter le budget de la justice, à plus forte raison lorsque nous l'examinons dans la foulée de l'adoption d'une loi de programmation. On l'entend souvent sur les plateaux, mais la ficelle politique est devenue un peu grosse. Ainsi, on reproche à ceux qui ne votent pas ce budget de ne pas vouloir donner des moyens à la justice, et aux autres, on oppose un « Circulez, il n'y a rien à voir ! » car, précisément, ils l'ont voté.
Monsieur le garde des sceaux, lors de l'élection de leurs députés, les oppositions, aussi diverses qu'elles soient, ont plutôt reçu la consigne de ne pas voter les budgets. En effet, ces derniers sont la traduction des politiques menées par M. Macron dans le domaine des finances publiques. Or, dans leur grande majorité, les Français rejettent ces politiques ; ils nous le redisent chaque jour.
Je ne crois pas qu'ils nous disent qu'ils rejettent l'augmentation du budget de la justice !
En matière de justice, comme dans d'autres domaines, les Français ne sont pas d'accord avec vous. Ils désapprouvent une justice laxiste, qui condamne peu ; qui, lorsqu'elle condamne, n'envoie pas les délinquants en prison ; et qui, lorsqu'elle emprisonne, dispense les détenus de purger totalement leur peine.
Ils ne sont pas non plus d'accord avec une justice dont près de 25 % des détenus sont des étrangers qui ne peuvent être expulsés. Ils ne sont pas d'accord avec le naufrage que représente la justice des mineurs ou des prétendus mineurs,…
…désormais sous les radars et qui constitue le terreau du futur terrorisme. Ils ne sont pas d'accord avec le traitement quotidien de la délinquance, qui conduit trop souvent à qualifier les actes d'incivilités et qui laisse trop de victimes sur le bord de la route.
Les Français ne sont pas d'accord avec la gestion des prisons, dont le personnel est en danger, et qui, lorsqu'on n'y fait pas du karting, sont des lieux de non-droit et des centres de commandement de trafics.
Enfin, ils ne sont pas plus d'accord avec une justice civile qui demeure lente et de plus en plus déshumanisée.
Malgré ces désaccords de fond, la hausse des budgets de la justice demeure intrinsèquement positive, même s'il faut la relativiser compte tenu du contexte inflationniste. Les efforts en faveur du juge judiciaire, qui se traduisent par la création d'une équipe autour des magistrats, vont dans le bon sens – nous l'avions souligné lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice. Nous maintenons que les moyens alloués aux greffiers, sans lesquels la justice ne peut être rendue, sont insuffisants.
Le plan « 15 000 places » – ou 18 000, selon les jours – va-t-il réussir, alors qu'il accuse déjà six ans de retard ? Il faut en accepter l'augure. Ce plan, désormais sous-dimensionné, est en effet indispensable pour garantir tant la dignité des détenus que la sécurité du personnel. Il est aussi nécessaire pour accompagner la hausse constante de la délinquance et de la criminalité dans notre pays, ainsi que pour faire échec à la lubie de la régulation carcérale.
Enfin, nous ne comprenons pas pourquoi nos amendements ont été mécaniquement rejetés en commission,…
…même lorsqu'ils ne représentaient qu'une charge financière mesurée. Nous avons demandé l'augmentation des budgets alloués aux bracelets antirapprochement : ce fut non. Nous avons demandé un meilleur traitement indemnitaire pour les greffiers : ce fut non. Nous voulons mieux pour les surveillants pénitentiaires : c'est encore non.
Nous demandons la hausse des budgets dévolus aux brouillages de téléphones en prison, aux portiques et caméras-piétons ainsi qu'à la lutte antidrones : c'est toujours non. Nous demandons plus de moyens pour la lutte contre la radicalisation : c'est non. Nous demandons l'augmentation des ressources de l'aide juridictionnelle…
…pour éviter une justice à deux vitesses en ces temps d'inflation : c'est encore non.
Nous demandons plus de moyens pour lutter contre les violences intrafamiliales (VIF) : c'est non.
Monsieur le garde des sceaux, vous le comprendrez : beaucoup de « non » nous sont opposés par celui qui nous demande un « oui ». Les budgets sont une chose, l'attribution des crédits en est une autre. Il vous appartient peut-être d'envoyer quelques signes à l'occasion des débats à venir.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Il y a tout juste trois semaines, vous adoptiez définitivement le projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice 2023-2027.
D'emblée, je vous assure que le projet loi de finances pour 2024 respecte à la lettre la trajectoire budgétaire que vous avez alors votée – je m'adresse, naturellement, à ceux qui l'ont approuvée. Au nom de la cohérence, j'ai du mal à comprendre vos réserves aujourd'hui. De la même manière, j'ai du mal à entendre cette espèce de fatalisme : cela ne vaudrait pas la peine de discuter de ce budget puisque le 49.3 sera appliqué.
Je souhaite en discuter et répondre à vos questions.
L'ambition de ce budget est d'améliorer la qualité de la justice – tous ceux qui ont voté le projet de loi d'orientation et de programmation devraient être d'accord sur ce point –, en augmentant les personnels et les moyens. Nul ne peut soutenir que, depuis plus de trente ans, la justice n'a pas souffert d'un abandon budgétaire, politique et humain.
Il y a une semaine, j'étais à Brive-la-Gaillarde. Le président du tribunal judiciaire, qui a prêté serment en 1986, m'a dit qu'à cette époque, le budget de la justice était inférieur à celui des anciens combattants, ce qui signifie que la justice n'avait rien. On a parlé de clochardisation, je ne veux pas m'attarder sur ce point. La question est la suivante : voulez-vous améliorer la justice de notre pays ?
Après les discussions objectives sur le budget que nous avons eues, vous ne pouvez vous empêcher, monsieur Schreck, de rappeler vos valeurs. Vous soutenez notamment que la justice est laxiste, vous en faites votre miel. Mais si tel était le cas, on ne connaîtrait pas une telle surpopulation carcérale !
Exclamations sur les bancs du groupe RN.
Pardon de vous le dire, mais le nombre de condamnations, tant correctionnelles que criminelles, est en hausse depuis de nombreuses années. Passons.
D'abord, le budget que je vous soumets dépasse la barre symbolique des 10 milliards d'euros. Vous avez le droit d'y être opposés, mais les juges, les magistrats, les greffiers nous regardent et nous écoutent. Les crédits sont en hausse de 500 millions d'euros, soit près de 5,3 %. J'ai déjà répondu à cinq reprises à la question de l'inflation, mais j'ai dû mal m'exprimer car, à l'évidence, je n'ai pas réussi à vous convaincre. Rien que pour les rémunérations versées aux agents du ministère, l'enveloppe passe de 4,7 milliards en 2023 à 5,1 milliards en 2024, soit une des plus importantes hausses – 8 % – qu'a connue la Chancellerie.
Dans le détail, les moyens alloués aux services judiciaires augmenteront de 12 % ; le budget de l'administration pénitentiaire pour 2024, qui s'élève à 3,9 milliards d'euros, sera stable par rapport à celui pour 2023 ; les moyens consacrés à la protection judiciaire sont en hausse de 3 % quand ceux du secrétariat général du ministère augmenteront de 9 %. Il est ainsi essentiel que, de manière très concrète, ces hausses budgétaires améliorent le fonctionnement de la justice. Grâce aux moyens déployés entre 2020 et 2023, nous commençons à le percevoir – vous n'étiez pas au rendez-vous de ces augmentations ; soyez-le désormais.
Je prends un seul exemple : j'ai fixé l'objectif de réduire drastiquement tous les délais de justice. Grâce à l'engagement des magistrats, des greffiers et des contractuels, le stock d'affaires a déjà baissé de 30 %. Bien entendu, nous devons aller plus loin. Que les choses soient très claires : les acteurs du monde judiciaire ont pu compter sur moi, ainsi que sur le Parlement, pour leur allouer des moyens historiques. Je sais que nous pouvons compter sur eux pour que ces moyens tant attendus, et mérités, aient rapidement des effets concrets pour les justiciables. C'est impératif, il y va de la crédibilité de notre justice aux yeux de tous nos compatriotes.
En 2024, le ministère de la justice recrutera 2 110 agents supplémentaires. Ces créations de poste s'ajouteront aux remplacements liés à un départ en retraite. Monsieur le rapporteur spécial, vous avez mentionné des chiffres négatifs. Durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, vous avez recruté moins de 100 magistrats car ceux qui partaient à la retraite n'étaient pas remplacés.
Arrêtez vos mensonges ! Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, il y a eu une augmentation de plus de 25 % !
Je ne vous ai pas interrompu !
Ainsi, 1 307 personnes seront recrutées pour la police judiciaire, dont 327 magistrats, 340 greffiers et 400 attachés de justice. Par ailleurs, l'administration pénitentiaire bénéficiera de 600 agents supplémentaires, dont 512 surveillants. Enfin, 92 recrutements sont prévus pour la protection judiciaire de la jeunesse.
S'agissant des rémunérations, nous renforçons l'attractivité des métiers de la justice. J'ai eu le plaisir d'annoncer que le montant de l'enveloppe catégorielle servant à revaloriser les professionnels du ministère, qui était de 17 millions d'euros lors de mon arrivée, augmenterait de nouveau, afin d'atteindre 170 millions, soit une multiplication par dix. Il y a quelques jours, les magistrats ont reçu leur fiche de paie. Depuis vendredi, ils bénéficient d'une revalorisation inédite de leur salaire, d'une moyenne de 1 000 euros brut par mois.
Par ailleurs, à partir de 2024, les surveillants pénitentiaires accéderont à la catégorie B, tandis que les officiers pénitentiaires accéderont à la catégorie A, avec les revalorisations indemnitaires ; 47 millions d'euros seront sanctuarisés pour financer cette réforme inédite et essentielle. Peut-on y être opposé ?
Je porte la même attention aux autres fonctionnaires du ministère, qui ne seront pas oubliés. Les greffiers, sans lesquels il ne peut y avoir de justice, bénéficieront d'une revalorisation indemnitaire d'un montant de 15 millions d'euros, première étape d'une réforme approfondie de ce corps. En outre, 3 millions d'euros sont prévus pour la protection judiciaire de la jeunesse. Enfin, la rémunération des corps de direction de la DAP – direction de l'administration pénitentiaire – et du personnel du service national du renseignement pénitentiaire sera revalorisée pour un montant de 1 million d'euros.
En ce qui concerne les greffes, il y a une semaine, nous avons signé un accord majoritaire avec trois des quatre syndicats. Le dernier ne s'y est d'ailleurs pas opposé mais souhaite réfléchir, conformément aux accords de méthode que nous avons signés. La restructuration du corps des greffiers de catégorie B permettra une accélération de leur carrière. Un corps de greffiers de catégorie A, composé de 3 200 agents – soit un quart du corps – sera créé. Mon cap en matière de revalorisation est clair : l'attractivité et la reconnaissance. Peut-on y être opposé ?
Monsieur le rapporteur pour avis Éric Poulliat, les crédits alloués à la programmation immobilière pénitentiaire permettront de poursuivre le plan de construction de 15 000 places voulu par le Président de la République. Si vous nous donnez un coup de main en nous donnant des terrains, 3 000 places supplémentaires seront créées. Des blocages persistent à Noiseau, Magnanville, Crisenoy, Orléans et Muret.
En ce qui concerne la construction de l'établissement pénitentiaire à Mayotte, monsieur Molac, le budget est sécurisé. Il reste à trouver un terrain ; trouvez-le et nous construirons le bâtiment. Je suis pleinement engagé sur cette question. À la fin de l'année 2024, la moitié des établissements seront sortis de terre. Du reste, la semaine dernière, avec le rapporteur pour avis Éric Poulliat, nous avons inauguré la prison de Troyes-Lavau.
Les réhabilitations d'établissements pénitentiaires représenteront 130 millions en 2024, soit le double du montant annuel qui leur était consacré lors du quinquennat de M. Hollande. Je souhaite évidemment poursuivre la modernisation et l'agrandissement du parc immobilier judiciaire, madame la rapporteure Tanzilli, car les nouveaux greffiers, contractuels et magistrats doivent pouvoir être accueillis dans de bonnes conditions.
Les crédits d'investissements informatiques seront portés à 209 millions, soit 7,2 % d'augmentation. Nous avons déjà recruté 100 techniciens informatiques de proximité dans les juridictions et 100 autres le seront prochainement. Je veux m'arrêter un instant sur la modernisation des logiciels qui nous a permis de passer de 500 procédures pénales numériques par mois à près de 150 000 !
L'enveloppe des frais de justice sera portée à 674 millions. Les crédits de l'accès au droit et à la justice s'élèveront à 734 millions, soit 3 % d'augmentation. Enfin, l'aide aux victimes atteindra 47 millions d'euros, en hausse de 2 millions par rapport à 2023.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Nous en venons aux questions. Je rappelle que leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes.
La parole est à Mme Andrée Taurinya.
Monsieur le ministre, si votre budget peut être qualifié d'« historique », comme vous aimez tant à le répéter, il restera surtout dans l'histoire comme un magnifique ratage. Quelle occasion ratée, en effet ! Vous auriez pu marquer l'histoire en faisant adopter un mécanisme de régulation carcérale ; en rompant avec la série de condamnations de la surpopulation endémique de nos prisons par la CEDH et en lavant ainsi l'honneur de notre pays. Hélas, vous préférez céder aux sirènes du tout-sécuritaire, en écho à votre collègue du ministère de l'intérieur, amateur quant à lui du tout-répressif.
Quelle occasion ratée, alors que la part de ce budget consacrée aux mesures alternatives à la prison et aux aménagements de peine baisse de 3 % ! La droite et le RN, cependant, jubilent.
Tu parles !
Quelle occasion ratée, quand la part consacrée à la récidive est cinq fois moindre que celle allouée à la construction de prisons ! Mais la droite et le RN, là encore, jubilent. Quelle occasion ratée, quand les crédits alloués à l'entretien du parc carcéral existant baissent de 32 % en dépit de conditions de détention indignes régulièrement dénoncées par la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. La droite et le RN jubilent une fois de plus devant les 634 millions consacrés à la construction de nouvelles prisons.
L'encellulement individuel, la régulation carcérale, la déflation pénale : ce sera pour plus tard. Monsieur le ministre, tournerez-vous un jour le dos à la droite et au Rassemblement national…
…pour réorienter massivement votre budget vers l'insertion – dont les crédits n'augmenteront que de 0,6 % en 2024 – et la lutte contre la récidive ?
Vous ne m'avez pas convaincu, madame la députée,…
…mais vous n'avez pas davantage convaincu Mme Le Pen.
Sourires sur les bancs du groupe RN.
Il est assez singulier de vous entendre prétendre que je ne tourne pas le dos au Rassemblement national. Il n'y a que vous pour tenir de tels propos, mais peu importe, la responsabilité vous en revient.
Lorsque je qualifie ce budget d'historique, il ne s'agit pas d'un témoignage d'immodestie de ma part – bien que je ne sois pas modeste – mais d'une réalité. Ce budget est historique, au sens premier du terme, car il est inédit. Quant à vous, vous persévérez comme d'habitude dans le « y a qu'à, faut qu'on, faudrait ». Mais la régulation carcérale telle que vous la concevez paraît surréaliste. Il faudrait, selon vous libérer, des personnes condamnées. Que faites-vous de l'indépendance de la justice ?
L'autre mécanisme auquel vous songez reviendrait à placer en détention les personnes condamnées dans le Nord de la France si les prisons n'y sont pas surpeuplées, mais à s'abstenir de le faire dans le Sud à cause de la surpopulation carcérale. Et vous trouvez cela juste ? Vous trouvez cela normal ?
Quelques pistes de réflexion méritent cependant d'être étudiées : ainsi de la libération sous contrainte, déjà prévue par le droit, qui permet non seulement de libérer des gens arrivant en fin de peine – dès lors qu'ils offrent quelques garanties – mais également d'éviter les sorties sèches.
De votre côté, comme de coutume, vous versez dans l'idéologie.
Vous n'êtes pas réaliste, madame, cela me semble clair et net !
Et lorsque vous faites de moi un allié du Rassemblement national, les oreilles m'en tombent et je n'ai plus qu'à m'asseoir.
Je me réjouis de l'augmentation du budget de la mission "Justice " depuis 2017. À l'époque, il s'établissait à 6,9 milliards ; nous franchirons la barre des 10 milliards en 2024.
Monsieur le ministre, je souhaite tout d'abord vous interroger au sujet du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice qui a acté le recrutement de 10 000 agents à l'horizon 2027. Les crédits de la mission pour 2024 concrétisent cet engagement du Gouvernement. Cette politique massive de recrutement s'appliquera dès 2024 avec 1 307 professionnels embauchés au sein des services judiciaires, dont 327 magistrats, 340 greffiers et 400 attachés de justice ; mais aussi 599 personnes dans l'administration pénitentiaire ; 92 au sein de la protection judiciaire de la jeunesse ; et 112 au sein du secrétariat général chargé de la coordination de la politique publique de la justice. Afin de pourvoir l'ensemble de ces postes, monsieur le ministre, quelle est votre stratégie ? Comment comptez-vous accélérer le rythme des recrutements ?
Par ailleurs, un investissement de 209 millions est prévu pour mettre en œuvre le plan de transformation numérique, qui se donne trois objectifs : recruter plus de 100 techniciens de proximité ; moderniser les logiciels métiers ; achever la numérisation d'ici à la fin du quinquennat. Comment le Gouvernement se prépare-t-il pour atteindre ces objectifs ? Quelles difficultés rencontrez-vous pour numériser notre justice ?
Pour permettre ces recrutements, trois leviers seront nécessaires : premièrement, les mesures catégorielles déjà évoquées, inédites et ambitieuses, auxquelles sera affecté un montant de 170 millions en 2024. Je pense notamment à la filière pénitentiaire, qui attendait de telles mesures depuis une vingtaine d'années, et qui a fait l'objet d'une réforme historique en juillet. Le budget permettra d'importantes revalorisations indemnitaires.
Deuxièmement, en ce qui concerne les magistrats, nous prévoyons une diversification des modalités de recrutement, avec notamment des voies d'accès simplifiées au métier pour les autres professionnels du droit et une simplification des concours.
Le projet de loi d'orientation et de programmation et le projet de loi organique relatif à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire ont été adoptés et sont actuellement soumis au Conseil constitutionnel à la suite du recours intenté, notamment, par le groupe LFI.
Au sujet de la transformation numérique, les services du ministère ont lancé un vaste plan de soutien qui ne concerne pas uniquement les techniciens de proximité. Ce plan permettra de mettre à jour les équipements et les infrastructures, notamment les réseaux. Le travail de l'ensemble des acteurs dans les juridictions est dès à présent facilité par le « zéro papier » : grâce à l'application Signa, la signature électronique est proposée depuis l'été à toutes les juridictions pénales et l'expérimentation commencera en 2024 dans les juridictions civiles avant d'être généralisée. Enfin, le minutier électronique ainsi que le logiciel d'archivage Axone sont expérimentés et pourront se déployer dès l'année prochaine.
J'appelle les crédits de la mission "Justice" , inscrits à l'état B.
Je suis saisie de deux demandes de scrutin public : sur l'amendement n° 1455 , par le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale, et sur l'amendement n° 1822 et les amendements identiques n° 1844 et 1847 , par le groupe Renaissance.
Les scrutins sont annoncés dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Andrée Taurinya, pour soutenir l'amendement n° 1455 .
Il vise à augmenter les crédits de l'aide juridictionnelle, pierre angulaire de l'accès à la justice et aux droits pour tous, en prélevant 650 000 euros prévus pour les investissements immobiliers du ministère de la justice afin d'abonder le programme Accès au droit et à la justice, afin de renforcer le service public de la justice en faveur des plus précaires. Nous ne voulons pas d'un budget « BTP » consacré exclusivement à la construction de lieux d'enfermement.
S'agissant de l'aide juridictionnelle, il y a encore du chemin à parcourir, je ne dirai pas le contraire. Je serai cependant moins radical que vous qui proposez de doubler le budget consacré à ce programme. La commission a d'ailleurs rejeté cet amendement déraisonnable. Avis défavorable.
Avant d'observer le chemin à parcourir, regardons le chemin parcouru : l'aide juridictionnelle a bénéficié d'une hausse de 80 % depuis 2017, passant de 364 millions à 657 millions d'euros en 2024. Le budget proposé par le Gouvernement prévoit d'ailleurs une hausse de l'AJ de 16,1 millions par rapport à 2023. Et les avocats ne peuvent même pas vous remercier pour cela car vous n'aviez pas voté le texte !
Le montant de l'augmentation que vous proposez – 650 millions d'euros – est ubuesque ! C'est « y a qu'à, faut qu'on, faudrait » !
Cet amendement n'est pas sérieux. Avis évidemment défavorable.
En réalité, monsieur le ministre, personne n'a voté les crédits puisque le Gouvernement a recouru au 49.3 !
Ce n'est pas vrai !
La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Je voulais dénoncer le mensonge de notre collègue Léaument. En 2022, nous avions voté en commission, puis dans l'hémicycle, les crédits de la mission "Justice " pour 2023. Nous les avons même votés une troisième fois en adoptant la loi de programmation du ministère de la justice. Nous les avons votés encore une fois en commission cette année. Ils ont donc déjà été votés quatre fois, et bientôt cinq en comptant le vote aujourd'hui : cinq votes qui dédisent M. Léaument et attestent que nous avons bien augmenté à plusieurs reprises le budget de l'AJ.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 66
Nombre de suffrages exprimés 48
Majorité absolue 25
Pour l'adoption 18
Contre 30
L'amendement n° 1455 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Béatrice Roullaud, pour soutenir l'amendement n° 1822 .
Il vise à augmenter de 100 millions d'euros le budget de l'AJ pour atteindre deux objectifs.
Le premier consiste à revaloriser le montant de l'unité de valeur en le portant à au moins 42,20 centimes. Acteurs clés de notre système judiciaire, les avocats s'engagent pleinement dans la défense de l'ensemble des justiciables, quels que soient leurs revenus. L'AJ permet à toute personne dépourvue des ressources suffisantes de bénéficier de leurs services.
Cette défense doit être de même qualité que celle dont le justiciable aurait bénéficié s'il avait pu rémunérer lui-même les services d'un avocat. Or le budget alloué à l'aide juridictionnelle est insuffisant pour couvrir l'ensemble des besoins, de sorte que, sur certains dossiers, il arrive que l'avocat travaille à perte, le montant de l'unité de valeur étant trop faible pour rémunérer suffisamment son travail et couvrir ses frais.
Cette situation n'est pas tolérable si l'on veut maintenir la qualité de la défense assurée par l'avocat qui travaille au titre de l'aide juridictionnelle. C'est donc un souci d'équité entre les justiciables qui nous a incités à déposer cet amendement : tous doivent être à égalité devant l'accès au droit. Une justice à deux vitesses n'est pas envisageable dans notre pays, la France, qui a vu naître Montesquieu et Voltaire, philosophes des Lumières.
Enfin, l'amendement a également pour objet de permettre la désignation systématique d'un avocat dans les procédures où un enfant est victime – cette mesure était inscrite dans le programme présidentiel de Marine Le Pen, qui proposait qu'un avocat soit désigné dans chaque procédure, civile ou pénale, dans laquelle un enfant est impliqué. De fait, si l'on veut que ce soit le cas au moins dans les procédures pénales, il faut augmenter les moyens alloués à l'aide juridictionnelle car celle-ci sera plus fréquemment demandée.
Si le montant proposé n'est pas le même – puisqu'il s'agit, en l'espèce, de 100 millions d'euros –, l'amendement n° 1822 est, dans son esprit, identique au précédent. Il n'a pas été examiné par la commission, mais mon avis est défavorable, pour les mêmes raisons que celles exposées un peu plus tôt.
Madame la députée Roullaud, je suis défavorable à votre amendement. J'en comprends évidemment l'objectif, mais je rappelle que le montant de l'UV, qui permet de calculer la rétribution de l'avocat intervenant au titre de l'aide juridictionnelle, a été réévalué à quatre reprises : en 2016, 2017, 2021 et 2022. Il a été ainsi porté de 22,50 euros à 36 euros, soit une hausse de 60 %.
Quant au budget de l'aide juridictionnelle, il a bénéficié d'une hausse de 80 %, passant de 364 millions d'euros en 2017 à 657 millions en 2024, soit près de 300 millions supplémentaires.
Je suis donc défavorable à cet amendement, comme je serai défavorable aux amendements analogues à celui-ci. Nous avons consenti un effort très important car, comme vous, nous veillons à ce que les avocats qui interviennent au titre de l'aide juridictionnelle soient le mieux payés possible.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 53
Nombre de suffrages exprimés 51
Majorité absolue 26
Pour l'adoption 18
Contre 33
L'amendement n° 1822 n'est pas adopté.
Sur l'amendement n° 697 , je suis saisie par le groupe Renaissance d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Mereana Reid Arbelot, pour soutenir l'amendement.
L'aide juridictionnelle constitue l'un des piliers de l'accès à la justice ; elle permet aux personnes ayant des ressources modestes d'être assistées par un avocat pour faire valoir ou garantir leurs droits devant la justice. Or la profession d'avocat déplore que, trop souvent, des personnes vulnérables renoncent à l'exercice de leurs droits, ce qui nourrit un sentiment d'injustice. Ainsi, 44 % des Français estiment que la justice est une sphère dans laquelle les injustices sont les plus nombreuses.
Pour combattre ce sentiment et permettre aux plus vulnérables un accès effectif à la justice, l'amendement n° 697 tend à revaloriser l'unité de valeur de l'aide juridictionnelle en la portant de 36 euros à 42 euros, ainsi que le recommande le Conseil national des barreaux. Alors que l'inflation touche durement leurs cabinets, les avocats travaillent la plupart du temps à perte lorsqu'ils sont rétribués au titre de l'aide juridictionnelle, l'indemnisation versée ne couvrant pas l'ensemble des frais. La faiblesse de leur rémunération au titre de l'aide juridictionnelle conditionne donc fortement la qualité de l'accès au droit de nos concitoyens.
Eu égard à l'impératif démocratique que constitue l'AJ, il est indispensable de permettre aux avocats qui exercent dans ce cadre d'étudier sereinement leurs dossiers et de se concentrer sur la défense du justiciable sans être préoccupés par des difficultés de trésorerie.
Cet amendement, similaire aux deux précédents, a été rejeté par la commission. Je vous propose donc de le retirer ; à défaut, avis défavorable.
Défavorable.
Je souhaite appeler votre attention sur un aspect particulier de l'aide juridictionnelle : celle qui est prévue dans le cadre d'une médiation. Voici un cas très précis, relevé il y a quelques semaines, monsieur le garde des sceaux. Le tribunal judiciaire de Saint-Pierre à La Réunion a contractualisé avec une association chargée de la médiation. Or il se trouve que celle-ci n'accepte pas l'aide juridictionnelle. Ainsi, lorsque la juridiction nomme un médiateur, les personnes ayant droit à l'aide juridictionnelle doivent, soit payer de leur poche, soit renoncer à la médiation.
Si aucune association de médiation présente dans le ressort de cette juridiction n'accepte l'aide juridictionnelle, c'est parce que son montant est trop faible. Il est donc urgent de le revaloriser car la médiation est, vous en conviendrez, un moyen de désencombrer les tribunaux. Et le fait que les gens les plus pauvres n'aient pas accès à la médiation est une terrible anomalie.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 73
Nombre de suffrages exprimés 72
Majorité absolue 37
Pour l'adoption 21
Contre 51
L'amendement n° 697 n'est pas adopté.
Tous les rapports démontrent que les crédits alloués à l'aide juridictionnelle sont insuffisants pour couvrir l'ensemble des besoins. De fait, ils demeurent dans la moyenne basse des pays européens – je sais que les comparaisons européennes ne plaisent pas à M. Balanant, mais c'est ainsi. En outre, l'augmentation prévue pour 2024 ne tient pas compte de l'inflation.
C'est pourquoi nous proposons, conformément aux recommandations du rapport Perben relatif à l'avenir de la profession d'avocat et afin de compenser l'inflation, de revaloriser l'unité de valeur de l'aide juridictionnelle en la portant de 36 euros à 42 euros et, à cette fin, d'augmenter de 80 millions les crédits alloués à l'aide juridictionnelle.
La parole est à Mme Naïma Moutchou, pour soutenir l'amendement n° 1847 .
Je tiens à redire – mais je crois que nous sommes d'accord sur ce point – que l'accès de tous, notamment des plus démunis, au droit est un objectif fondamental. Nous avons fait, c'est vrai, beaucoup dans ce domaine, puisque la question de la revalorisation de l'unité de valeur n'avait pas été abordée sur le plan budgétaire depuis 2016. Il a donc fallu remettre au pot pour revaloriser l'indemnité perçue par les avocats.
C'est une question à laquelle je suis très attachée : j'ai conduit avec M. Gosselin – qui avait, du reste, déposé un amendement identique au mien – une mission d'information parlementaire au terme de laquelle nous avons recommandé de revaloriser l'aide juridictionnelle, et j'étais membre de la mission Perben, dont les conclusions furent identiques.
Le retard est tel – le dispositif a environ une trentaine d'années – qu'il faut accélérer la revalorisation du montant de l'aide juridictionnelle pour faire en sorte que la rétribution soit à la hauteur. C'est pourquoi je propose que l'unité de valeur soit portée à 42 euros.
Ces amendements ont été rejetés par la commission au motif que la question de l'aide juridictionnelle est plus vaste. Toutefois, je profite de leur discussion pour évoquer un problème sur lequel le comité des états généraux de la justice avait insisté et qui semble persister, à savoir l'impossibilité pour les personnes morales de bénéficier de l'aide juridictionnelle. Il s'agit d'une piste à explorer ; peut-être la Chancellerie pourra-t-elle nous donner des éléments de réponse sur ce point. Avis défavorable.
Madame Moutchou, j'ai rappelé les chiffres. Nous avons tenu compte – très rapidement, du reste – des conclusions du rapport Perben, en gravissant une première marche, importante, puis une deuxième, dans le budget suivant, comme nous nous y étions engagés. Ainsi, je l'ai dit, le montant de l'unité de valeur a été augmenté de 60 % et celui des crédits de l'aide juridictionnelle de 80 %.
Celle-ci bénéficie, à elle seule, d'une hausse annuelle de près de 16,1 millions d'euros. Dans ces conditions, je suis naturellement défavorable aux amendements. Néanmoins, le sujet n'est jamais définitivement clos, et je ne doute pas qu'il reviendra, non pas sur le tapis, mais dans l'hémicycle.
Le ministre l'a dit, l'aide juridictionnelle a connu une forte augmentation – les conclusions du rapport Perben ont été en partie prises en compte.
Monsieur Iordanoff, j'apprécie les comparaisons, à condition qu'elles soient justes.
On compare souvent notre justice à celle d'autres pays, pour en conclure qu'elle est sous-dotée en magistrats – mais c'est oublier trois éléments propres à la France. Premièrement, la justice administrative, qui n'existe pas dans la plupart des autres pays, connaît d'un certain nombre de contentieux importants, tels que ceux relatifs à l'urbanisme. Deuxièmement, les conseils de prud'hommes sont compétents en matière de droit du travail.
Bien sûr. Et il y a les tribunaux de commerce !
Troisièmement, nous avons les tribunaux de commerce.
La justice a longtemps été la variable d'ajustement des politiques publiques. Du reste, des membres de votre famille politique étaient au gouvernement, et on les a peu entendus lorsque le garde des sceaux Urvoas a déclaré que la justice était en voie de clochardisation. Nous, nous augmentons le budget de la justice de 60 % sur dix ans, et d'un demi-milliard dès cette année.
Arrêtons de comparer ce qui n'est pas comparable.
Oui, et cela crée des frustrations !
…et cela crée, en effet, des frustrations. Tâchons donc d'être sérieux lorsqu'on se livre à des comparaisons !
Vous avez raison, monsieur Balanant : il faut comparer ce qui est comparable. Encore faut-il balayer devant sa porte. Pendant le quinquennat Sarkozy, que vous avez évoqué, le plafond d'emplois des magistrats de l'ordre judiciaire est passé de 7 600, en 2006, à 8 927, en 2012. Au cours de cette période, le nombre des magistrats a donc augmenté de 1 300, soit, grosso modo, ce qui est prévu dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
Et les tribunaux d'instance, que vous avez supprimés ? Celui de Quimperlé, par exemple !
Quant au budget de l'informatique du ministère de la justice, on sait que plus de 100 millions de crédits seront annulés. Il est facile d'annoncer une augmentation de crédits pour 2024 quand il est prévu d'annuler, en fin de gestion, en 2023, 117 millions d'autorisations d'engagement, pour le motif suivant : décalage des engagements sur certains programmes informatiques. C'est du bonneteau ! Devons-nous vous demander, à notre tour, de faire montre d'un peu d'honnêteté intellectuelle dans vos comparaisons ?
M. Roger Chudeau applaudit.
Je voudrais revenir sur le rapport de la commission européenne pour l'efficacité de la justice (Cepej). Outre ce que M. Balanant a indiqué, certaines choses méritent d'être dites – qui ont d'ailleurs été rappelées par la Cour des comptes.
Premièrement, s'agissant des comparaisons internationales, outre les spécificités françaises que représentent le tribunal administratif, le tribunal de commerce et les prud'hommes, il y a le fait que le droit germanique, par exemple, est beaucoup plus gourmand en magistrats que le droit français.
Deuxièmement, le rapport de la Cepej porte sur la situation d'il y a deux ans.
Troisièmement, lorsqu'on met sur la table beaucoup d'argent et qu'on embauche massivement, comme cela n'a jamais été fait dans toute l'histoire de la justice, on pourrait convenir que ce n'est déjà pas si mal.
Sinon, on suscite perpétuellement de la frustration, en répétant que rien ne va, qu'il manque ceci ou cela… Regardons les chiffres et, objectivement, reconnaissons que la justice est traitée comme elle ne l'a jamais été – et c'est mérité. Plus, monsieur le député Iordanoff, ne peut être égal à moins.
Inutile de semer le trouble !
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 75
Nombre de suffrages exprimés 53
Majorité absolue 27
Pour l'adoption 24
Contre 29
Même avis.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 63
Nombre de suffrages exprimés 48
Majorité absolue 25
Pour l'adoption 14
Contre 34
L'amendement n° 1855 n'est pas adopté.
Il s'agit d'une variante des amendements précédents : nous proposons une augmentation de 70 millions d'euros du budget consacré à l'aide juridictionnelle – et non plus de 80 millions –, dans un objectif de revalorisation du montant de l'unité de valeur.
J'en profite pour dire qu'on ne peut pas nous interdire de procéder à des comparaisons avec d'autres États membres de l'Union européenne.
Voter le budget, c'est encore mieux !
Ces comparaisons sont intéressantes, si elles sont envisagées avec les précautions qui s'imposent et que vous avez eu raison de rappeler, monsieur Balanant – mais je pense que mon collègue Iordanoff en avait tenu compte.
D'autre part, quand M. Hetzel évoque une augmentation de 1 300 magistrats sous la présidence Sarkozy, cela correspond en réalité à un remplacement de magistrats partant à la retraite.
Si nous avions connu une telle augmentation du nombre de magistrats, comment serions-nous parvenus à la situation actuelle, où les tribunaux d'instance disparaissent, si bien qu'il n'y a plus de justice dans nos campagnes ? Comparaisons, oui, mais sous réserve qu'elles soient justes et précises.
Or l'augmentation prévue du nombre de magistrats n'est pas de 1 800, elle est bien supérieure, puisqu'il est tenu compte des départs en retraite. Il y a donc une augmentation réelle, qu'il faut reconnaître, et, contrairement à ce que M. le rapporteur spécial laisse à penser – malgré toute l'estime que j'ai pour les propos qu'il tient habituellement –, on ne peut pas considérer que l'ère sarkozyste fut faste pour la justice.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.
Cet amendement a été repoussé par la commission pour les motifs déjà évoqués : avis défavorable.
Défavorable.
Nous examinons une série d'amendements provenant de différents groupes : le groupe Horizons, qui fait partie de la majorité, et le groupe Les Républicains en ont déposé qui s'appuient sur le travail effectué par une mission d'information sur l'aide juridictionnelle ; nous discutons actuellement d'un amendement de Mme Untermaier ; les groupes LIOT et Écologiste en ont présenté chacun un ; La France insoumise soutient ces amendements. Tous les bancs, hormis ceux du groupe Renaissance, sont donc d'accord sur la nécessité de revaloriser le montant de l'aide juridictionnelle.
Je le dis souvent, mais je le répète encore une fois : lorsqu'un pays offre des droits, il doit les accompagner de moyens matériels, sans quoi ces droits sont comme inexistants. Il s'agit, dans ce domaine comme dans d'autres, d'une question de moyens financiers.
Nous vous appelons donc à voter pour cet amendement, en espérant avoir convaincu quelques collègues de la majorité de modifier leur vote afin qu'il soit adopté – les amendements n° 1844 et 1847 ont été rejetés à trois voix près.
Sourires.
C'est bien en ce sens que nous avons œuvré depuis six ans et que nous avons voté, il y a un mois, à la suite d'un accord en commission mixte paritaire, la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. Cette loi donne des moyens à la justice de notre pays,…
…en augmentant, dès cette année, son budget de 503 millions d'euros, pour atteindre une hausse de 60 % à la fin du quinquennat.
Vous avez raison de dire qu'il n'y a pas de justice juste sans moyens. C'est en ce sens que nous agissons. C'est pourquoi je vous le demande solennellement : votez ces crédits !
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 74
Nombre de suffrages exprimés 56
Majorité absolue 29
Pour l'adoption 23
Contre 33
L'amendement n° 1860 n'est pas adopté.
Il s'agit d'un amendement de repli, dont j'ai déjà exposé la motivation lors de la discussion liminaire : de nombreux avocats ne couvrent pas leurs frais avec l'aide juridictionnelle.
Même avis.
Il y a un consensus pour dire que, quelle que soit la situation dans les pays voisins, l'aide juridictionnelle doit être augmentée. Or l'augmentation proposée ne tient même pas compte de l'inflation.
Cet amendement, très raisonnable dans les moyens qu'il met en œuvre, me semble un minimum.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 70
Nombre de suffrages exprimés 69
Majorité absolue 35
Pour l'adoption 36
Contre 33
L'amendement n° 1856 est adopté.
Mme Emmanuelle Ménard applaudit.
Il s'agit d'un amendement que l'on pourrait presque qualifier de « low cost », puisqu'il porte sur une augmentation de « seulement » 10 millions d'euros de l'aide juridictionnelle.
Il est vrai, monsieur le garde des sceaux, que le montant de l'aide juridictionnelle a été augmentée à quatre reprises ces dernières années. Toutefois, n'oublions pas que, dans le même temps, le nombre de missions qui lui reviennent s'est multiplié.
En 1986, le budget de la justice était effectivement réduit à peau de chagrin. J'ai connu cette époque, où l'aide juridictionnelle – la commission d'office – était rémunérée…
…125 francs, pour un après-midi complet, voire plus, au tribunal correctionnel. Vous avez effectivement remis de l'ordre, mais nous partons de tellement loin qu'il y a encore beaucoup à faire. D'où cet amendement « low cost » – par rapport aux propositions précédentes.
La rémunération, dans le cadre de l'aide juridictionnelle, de la quasi-totalité des missions se situe au-dessous de 1 000 euros. Or la franchise d'assurance à laquelle les avocats doivent souscrire est égale au même montant : les avocats travaillent donc pour une rémunération nulle – sachant que du fait de l'inflation, les coûts des cabinets ne sont même pas couverts par le montant actuel de l'aide juridictionnelle.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.
Avis défavorable : nous avons déjà évoqué cette question à de nombreuses reprises.
Même avis.
Le Rassemblement national, monsieur le ministre, jubile quant à la répartition de votre budget. J'y vois une accointance entre la droite, l'extrême droite et la Macronie.
Quand le Rassemblement national demande une augmentation du budget de l'aide juridictionnelle, sur quelle action prend-il cet argent ? Sur la formation, et non pas sur le plan de construction de 15 000 – pardon, de 18 000 places de prison supplémentaires ! Le Rassemblement national privilégie, comme vous, monsieur le ministre, une vision sécuritaire, tout-carcérale.
Il ne considère pas que la formation soit importante, puisque cet amendement prévoit de rogner dessus.
Vous venez de voter pour l'amendement n° 1856 qui prend des crédits à l'action informatique ! Qu'est-ce que vous racontez ?
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 69
Nombre de suffrages exprimés 67
Majorité absolue 34
Pour l'adoption 19
Contre 48
L'amendement n° 770 n'est pas adopté.
Il me semble que nous étions déjà mesurés lorsque nous proposions une augmentation de 100 millions, 80 millions ou 70 millions d'euros du budget de l'aide juridictionnelle. Dans le cas présent, il s'agit, comme l'a souligné Mme Bordes, d'un simple trait de plume : nous demandons 5 millions d'euros pour un budget qui ne progresse que de 2,3 %, alors que le budget global de la justice bénéfice d'une augmentation de 5,4 %.
Le seuil de rentabilité des cabinets n'est pas atteint lorsqu'il y a des interventions dans le cadre de l'aide juridictionnelle, avec une sinistralité importante. Vous devez faire un geste : si vous refusez cette augmentation de 5 millions d'euros du budget de l'aide juridictionnelle, ce sera une posture.
Cet amendement, destiné à ouvrir une discussion avec le garde des sceaux, n'a pas été débattu en commission. Je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.
C'est élégamment exprimé, monsieur Schreck, mais dès que l'on parle de chiffres – qu'il s'agisse de quantum de peine ou de délais –, nous ne tombons jamais d'accord.
Mme Bordes a proposé une augmentation du budget consacré à l'aide juridictionnelle de 10 millions d'euros, et vous, 5 millions vous conviendraient : vous n'êtes même pas d'accord entre vous !
J'ai un budget à présenter, avec des équilibres à respecter ; or vous venez de voter 17 millions d'euros d'augmentation en adoptant l'amendement n° 1856 !
Certes, le sujet est important, et même essentiel. Nous avons fait des efforts, que vous reconnaissez. Il faut néanmoins faire des choix et celui que nous faisons est de ne pas augmenter encore davantage l'AJ. J'ai déjà rappelé les chiffres à deux reprises, je ne le ferai pas une troisième fois. Nous demeurons très attentifs à cette question, l'attention accordée aux avocats et à la défense des plus démunis n'étant d'ailleurs pas l'apanage d'un groupe politique en particulier.
Je le répète, 17 millions de crédits viennent d'être approuvés. Vous avez ensuite demandé 10 millions d'euros supplémentaires et vous demandez maintenant 5 millions : je ne puis que dire non, pour les raisons que j'ai explicitées. Si nous n'avions rien fait, encore… – mais j'y insiste, nous ne sommes pas restés inactifs dans ce domaine.
Contrairement à vous, je ne suis plus avocat, mais pour l'avoir été, c'est bien sûr un sujet auquel je suis sensible. Il n'en demeure pas moins que le budget de l'État n'est pas le tonneau des Danaïdes et qu'il faut respecter certains équilibres, raison pour laquelle le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement.
À l'instar de l'amendement précédent, mais aussi du suivant, le Rassemblement national propose ici d'abonder l'aide juridictionnelle en ponctionnant les crédits consacrés à la formation des surveillants pénitentiaires.
Le Rassemblement national a affirmé tout à l'heure qu'il soutenait ces personnels, mais on ne peut donc qu'en douter.
En effet, les surveillants nous ont dit qu'ils avaient besoin de plus de formation. Si, comme vous le prétendez, vous voulez vraiment les soutenir, prenez donc de l'argent non pas à cette ligne de dépenses, mais plutôt à celle relative à la construction des 15 000, ou plutôt des 18 000 places de prison supplémentaires que vous avez obtenues.
Nous sommes d'accord sur les chiffres, monsieur le ministre. Les 17 millions supplémentaires qui ont été votés concernent les territoires ultramarins, qui ont des difficultés tout à fait spécifiques. Cette somme n'est donc pas contradictoire avec le fait d'également demander 10 millions d'euros, comme l'a fait ma collègue Bordes, ou 5 millions en ce qui me concerne. Il est évident que si l'Assemblée avait accepté les 10 millions, mon amendement serait tombé ou je l'aurais retiré car, tout le monde l'a compris, il s'agit d'un amendement de repli.
Quant au fait que nous proposons de ponctionner les crédits de la formation plutôt que ceux consacrés à la construction de places de prison, c'est vrai : nous faisons ce choix, car nous soutenons cet accroissement des capacités pénitentiaires. Nous proposons de prendre un peu là où nous l'estimons le plus logique.
Notons d'ailleurs que l'amendement n° 1455 de votre groupe, madame Taurinya, visait à retirer 650 millions d'euros à l'administration pénitentiaire, laquelle, s'il avait été adopté, n'aurait plus eu de budget du tout ! En matière de dinguerie, je crois donc que vous avez donné le la.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 69
Nombre de suffrages exprimés 68
Majorité absolue 35
Pour l'adoption 19
Contre 49
L'amendement n° 670 n'est pas adopté.
Je demande une suspension de séance, madame la présidente.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures dix.
La séance est reprise.
La parole est à Mme Pascale Bordes, pour soutenir l'amendement n° 771 .
Il s'agit d'un amendement de repli visant à accorder 5 millions d'euros supplémentaires à l'aide juridictionnelle. Vous avez évoqué, monsieur le ministre, la nécessité de garantir que les avocats qui y participent – ou qui n'y participent pas – produisent une défense de qualité. Cependant, comme je l'ai indiqué, une défense de qualité n'est possible qu'avec une rémunération décente, ce qui n'est actuellement pas le cas – je n'y reviens pas.
Le risque – c'est d'ailleurs plus qu'un risque étant donné que cela survient déjà – est de ne plus trouver d'avocats acceptant de continuer de travailler à perte. Il n'y aura plus de défense de qualité, car il n'y aura plus de défense du tout. Cet amendement qui, je le répète, porte sur une somme de 5 millions d'euros, représenterait un effort, ou du moins un signe adressé aux professionnels du droit en général, et aux avocats en particulier.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
L'amendement n'ayant pas été débattu en commission, je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée et laisse à M. le garde des sceaux le soin d'argumenter.
Défavorable.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 53
Nombre de suffrages exprimés 52
Majorité absolue 27
Pour l'adoption 15
Contre 37
L'amendement n° 771 n'est pas adopté.
Sur les amendements n° 1435 et 1436 à venir, je suis saisie par le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d'une demande de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Mereana Reid Arbelot, pour soutenir l'amendement n° 1827 .
Cet amendement, déposé à l'initiative de mon collègue Tematai Le Gayic, vise à créer un nouveau programme, financé à hauteur de 1 million d'euros, afin de revaloriser le barème de l'aide juridictionnelle en Polynésie française. En effet, les Polynésiens sont actuellement soumis au même barème qu'en France hexagonale, malgré un coût de la vie nettement plus élevé – il a augmenté de 31 % en 2022, selon l'Institut de la statistique de la Polynésie française (ISPF) –, et alors qu'ils sont confrontés à des difficultés majeures en matière d'accès au droit et à la justice.
De plus, dans le calcul des revenus, le dispositif ne prend pas en compte les aides sociales, ce qui crée une rupture d'égalité supplémentaire entre les justiciables, car la Polynésie dispose de peu d'amortisseurs sociaux. Nous souhaitons donc que le Gouvernement rehausse les barèmes de l'AJ en Polynésie, demande déjà présentée en 2021 par le conseil économique, social, environnemental et culturel (Cesec) de la Polynésie française, et prévoie pour cette mesure 1 million d'euros, sachant que 2 732 750 euros sont déjà consacrés à l'accès au droit et à la justice en Polynésie.
Un décret de mai 2017 a effectivement mis fin à la modulation géographique de l'aide juridictionnelle, et si la logique d'une égalité de traitement se conçoit pour les auxiliaires de justice, les spécificités ultramarines, auxquelles je suis très sensible, n'en sont pas moins insuffisamment prises en compte, comme le signale la Cour des comptes dans son rapport d'octobre 2023.
Toutefois, le service de l'accès au droit et à la justice et de l'aide aux victimes a lancé avec le Conseil national de l'aide juridique (Cnaj) un groupe de travail sur ce point, qui devrait donc être traité pour l'ensemble des territoires d'outre-mer – alors que le présent amendement porte spécifiquement sur la Polynésie.
La commission n'ayant pas examiné l'amendement, je m'en remettrai à titre personnel à la sagesse de l'Assemblée, laissant au garde des sceaux le soin d'indiquer la position du Gouvernement.
Tout le monde comprend l'intention de cet amendement. Néanmoins, en Polynésie française, le barème de l'éligibilité à l'aide juridictionnelle comporte une particularité : il est revalorisé tous les ans en fonction de l'inflation, ce qui n'existe pas ailleurs. En outre, l'article 6 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, pleinement applicable en Polynésie, prévoit la possibilité d'admettre au bénéfice de l'AJ des justiciables dont la situation « apparaît particulièrement digne d'intérêt ». Enfin, comme l'a judicieusement rappelé M. le rapporteur spécial, un groupe de travail a été créé à ce sujet. Dans ces conditions, je suis défavorable à votre amendement, madame la députée.
L'amendement n° 1827 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Andrée Taurinya, pour soutenir l'amendement n° 1435 .
Il s'agit de transférer 400 millions d'euros de crédits du plan « 15 000 places de prison » – pardon : « 18 000 places » – au programme Justice judiciaire.
La justice est exsangue : il serait urgent de recruter en masse des fonctionnaires, notamment des greffières et des greffiers, profession d'ailleurs toujours mobilisée au sujet des rémunérations. Quoi que vous en pensiez, les annonces que vous avez faites ne les satisfont pas. Nous prévoyons donc de créer en cinq ans 20 000 postes de greffier. Pour que la justice redevienne ce qu'elle doit être, un service public, il faut, je le répète, recruter massivement et rémunérer de manière à rendre ces métiers attractifs ; d'où notre idée de consacrer à l'humain des fonds initialement destinés à la construction de prisons.
Nous sommes tous d'accord pour admettre la nécessité de recruter des greffiers. Néanmoins, la création de 20 000 équivalents temps plein (ETP) constitue une perspective irréaliste, en tout cas dans le délai proposé.
Le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 prévoyait initialement le recrutement de 1 500 greffiers ; le Sénat en a souhaité 1 800, disposition finalement retenue. Vous me pardonnerez de m'exprimer ainsi, madame la présidente, mais le budget, ce n'est pas la foire à la saucisse ! Vingt mille greffiers ! Pourquoi pas 50 000, ou 100 000 ? C'est n'importe quoi ! Le pire, c'est que vous n'avez voté pour aucune des améliorations susceptibles d'aider la justice !
Vous réalisez votre capsule vidéo à l'intention des greffiers de ce pays : ce n'est pas réaliste, ce n'est pas sérieux, ce n'est pas même correct, voyez-vous, car cela ne repose sur rien ! Vous voulez 20 000 greffiers : si vous êtes un jour au pouvoir, vous irez les embaucher vous-mêmes !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Monsieur le ministre, je ne vous savais pas aussi grossier : je le regrette.
M. Maxime Laisney applaudit. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RE.
Vous parlez de foire à la saucisse quand j'évoque des êtres humains ?
Notre proposition n'a rien d'incongru. Nous partons des besoins, et nous avons besoin de 20 000 greffières et greffiers supplémentaires, non pas cette année, mais en cinq ans.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Votez pour le texte !
Nous proposons de remettre de l'humain dans la justice, et vous répondez saucisses : dans quel monde vivons-nous ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES. – Exclamations sur les bancs du groupe RE.
Lors des auditions préparatoires à l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation, nous avons reçu la directrice de l'école qui, dans notre pays, forme les greffiers. Son établissement est plein ; il tourne à plein régime.
Compte tenu du fait que les sénateurs souhaitaient 1 800 créations de postes au lieu de 1 500, nous voulions savoir s'il pourrait, en cinq ans, absorber ces 300 personnes supplémentaires. En effet, chers collègues de La France insoumise, un greffier doit être formé.
C'est une personne qui possède une haute qualification en matière juridique. Ses fonctions requièrent notamment une parfaite connaissance des procédures, puisqu'il est le garant de leur régularité. Vous, vous en voudriez 4 000 dès cette année et 20 000 en quatre ans !
Je ne sais pas d'où on les sortirait !
Certes, les besoins existent, mais je doute qu'ils soient aussi élevés ; 1 800 greffiers supplémentaires sont prévus, dont 400 vont être recrutés dès l'année prochaine, ce qui n'est pas rien.
De plus, ces professionnels ont besoin d'être formés à leur rôle, qui est, je le répète, d'être les garants de la procédure.
Et vous voudriez en recruter 20 000, comme ça, en un claquement de doigts ? Ce n'est pas possible, ce n'est pas cohérent !
Exceptionnellement, puisque deux amendements seulement traitent des greffiers, je vais donner la parole aux collègues qui me l'ont demandée. Par la suite, je reviendrai à ce que nous faisions tout à l'heure : une intervention pour, une contre, pas davantage.
La parole est à M. Yoann Gillet.
Madame Taurinya, pourquoi tout opposer terme à terme ? Qu'il faille davantage de greffiers, c'est évident, mais lorsque nous proposons, pour alimenter un budget, de prélever les crédits d'un autre, c'est uniquement afin d'éviter que nos amendements soient déclarés irrecevables ; vous, vous manifestez clairement que vous prendriez sur les fonds destinés aux places de prison pour qu'il y ait moins de ces dernières, en même temps que plus de greffiers.
Il faut davantage des uns et des autres : l'ensauvagement de la société nécessite une justice ferme et forte qui envoie les délinquants en prison.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.
La parole est à M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire.
Vous seriez crédibles, chers collègues de La France insoumise, si vous vous contentiez de dire qu'il faudrait davantage de greffiers ; mais dans toutes les missions, systématiquement, vous militez pour recruter des fonctionnaires : 10 000, 100 000… – le total serait exorbitant. À cela, il n'y a aucune exception. Si nous vous écoutions, nous doublerions le nombre de fonctionnaires en France !
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
J'ai fait les calculs pour vous. La somme des dépenses supplémentaires que vous avez proposées en commission pour toutes les missions s'élevait à 450 milliards d'euros ! Vous n'êtes pas crédibles au sujet des greffiers, parce qu'il ne s'agit que d'une posture politique.
Vous voulez accroître le nombre de fonctionnaires, accroître les dépenses, jusqu'à doubler le budget de l'État. C'est tout simplement idiot !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 77
Nombre de suffrages exprimés 76
Majorité absolue 39
Pour l'adoption 17
Contre 59
L'amendement n° 1435 n'est pas adopté.
La parole est à M. Jérémie Iordanoff, pour soutenir l'amendement n° 1835 .
Cet amendement a trait au même sujet. Le manque de greffiers nuit considérablement à la qualité de la justice, et leur nécessité a été rappelée. Je voudrais revenir sur un chiffre : il est prévu d'en recruter 340 de plus en 2024, ce qui ne correspond même pas au ratio actuel de 1,2 greffier par magistrat.
Je veux bien que l'on parle de foire à la saucisse ou d'arbitrages budgétaires, mais vouloir davantage n'est pas irréaliste. Cet amendement coûterait quatre fois moins que le précédent, qui partait des besoins, et ne vise qu'au minimum indispensable au fonctionnement des tribunaux. La création de places de prison absorbe l'essentiel du budget de la justice, aux dépens du recrutement : il y a bien là un choix politique à faire, et à assumer en toute transparence.
On peut parler des capacités de formation – mais cela peut aussi se prévoir. Toutes ces choses se discutent : on a le droit de débattre du fond.
Nous proposons donc, par cet amendement, d'augmenter les crédits affectés au recrutement des greffiers. Je vous épargne les comparaisons internationales parce qu'elles vous sont désagréables et que vous n'entendez visiblement pas en tenir compte, mais je vous invite tout de même à en prendre connaissance : elles sont édifiantes.
La commission a repoussé cet amendement : il est ressorti de ses débats que le taux de vacance des postes reste bien trop élevé et que, s'agissant de se montrer réaliste, le tout n'est pas seulement d'en créer, il faut aussi les pourvoir. Avis défavorable.
Pardon, mais vient un moment où il faut être sérieux. Vous proposez 4 000 recrutements pour 2024 : où recrutez-vous ? L'École nationale des greffes fonctionne à plein régime ; jamais elle n'a été aussi remplie, non plus que l'École nationale de la magistrature. S'agissant des magistrats, je l'ai dit tout à l'heure, nous élargirons pour eux les passerelles, nous réduirons les concours, nous simplifierons les stages, afin d'attirer d'autres professionnels du droit.
C'est bien gentil, monsieur Iordanoff, de tenir de tels propos : vous aurez fait plaisir à tous les greffiers qui, peut-être, nous regardent – encore qu'à la réflexion, je n'en sois pas convaincu, car ils savent parfaitement ce dont ils ont besoin,…
…quels sont leurs effectifs et ceux que nous allons leur apporter. Je le répète, où trouveriez-vous 4 000 greffiers ? Moi, je n'en sais rien : à l'étranger, peut-être ?
Monsieur Dupond-Moretti, c'est exactement ce que vous êtes en train de faire à l'hôpital :…
Ça n'a rien à voir !
…recruter à l'étranger les médecins que le numerus clausus nous a empêchés de former.
Le corps humain est le même partout ; le droit, pas tout à fait !
Certes, vous avez supprimé le numerus clausus, mesure qui figurait d'ailleurs dans notre programme, mais vous n'avez pas fait ce qu'il convenait de faire pour avoir suffisamment de médecins : créer dans les universités les places nécessaires. Afin d'être efficace, la formation doit se planifier. Il y a normalement un monsieur chargé de cela, nommé François Bayrou,…
Sourires.
…qui est haut-commissaire au plan. Pour l'instant, M. Bayrou a élaboré un plan concernant la géothermie et établi qu'il fallait embaucher et former 7 000 personnes. C'est très bien : nous avons désormais une ligne directrice en matière de géothermie.
Une telle planification serait nécessaire dans tous les domaines, y compris pour les greffiers ! Nous vous disons qu'il faut dès à présent en augmenter le nombre et, plus généralement, celui des fonctionnaires dans un certain nombre de domaines, et cela dans l'intérêt du service public.
Nous voulons créer de la dépense, c'est vrai, mais aussi de la recette. C'est vous qui en supprimez !
Figurez-vous que si nous avions le même niveau d'imposition que sous Jacques Chirac – un bolchevique bien connu ! –, il n'y aurait pas de déficit budgétaire aujourd'hui. Eh oui ! Mais entre-temps des cadeaux fiscaux sont passés par là, distribués par vous, par M. Sarkozy et par M. Hollande – dont le conseiller économique était d'ailleurs M. Macron : il y a bien continuité en la matière.
Qu'est-ce que ça vient faire là-dedans ?
Ce que nous disons, c'est qu'il faut créer un certain nombre de postes de fonctionnaires, parce que nous en avons besoin.
Le service public en général, que l'on parle de la santé, de la justice, de la police ou de l'école, est à l'agonie. Donc, créons des postes de greffiers et, plus généralement, de fonctionnaires, et faisons payer ceux qui ont de l'argent !
L'amendement n° 1835 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement n° 455 .
Si vous le permettez, madame la présidente, je défendrai en même temps les amendements n° 454 et 453 , qui vont dans le même sens.
Monsieur le garde des sceaux, je ne vais pas revenir en détail sur ces amendements car j'ai eu l'occasion d'en parler avec vous en commission. Je voudrais simplement vous rappeler quelques chiffres qui concernent le tribunal judiciaire de Béziers. Le nombre d'affaires civiles et pénales qui y sont traitées s'élève à 1 316 par an et par magistrat, contre 556 en moyenne dans les autres juridictions du groupe 3, soit un écart de plus de 100 %. Au vu de ces chiffres, la direction des services judiciaires elle-même a admis qu'il manquait plusieurs magistrats du siège à Béziers pour qu'il y ait une activité juridictionnelle convenable. Même chose pour le parquet – j'ai eu l'occasion de vous le dire : il manque des magistrats pour traiter le nombre élevé de défèrements. Idem pour le greffe du tribunal judiciaire.
Vous m'avez répondu en commission que je procédais en direct à mon dialogue de gestion, mais que ces dialogues avaient lieu désormais pour chaque cour d'appel, et que c'étaient les cours d'appel qui affecteraient désormais les magistrats, les greffiers et les contractuels qui leur seront envoyés, car elles savent mieux que nous les besoins du terrain – sur ce dernier point, vous avez raison.
Vous avez précisé que d'ici à 2027, la cour d'appel de Montpellier comptera cinquante-deux magistrats, quarante et un greffiers et quarante attachés de justice supplémentaires,…
Au moins !
…qui seront « finement répartis par les chefs de cour ».
Vous avez raison : le ministère de la justice prévoit que ce seront les chefs de cour qui répartiront les renforts à venir – mais la procédure est bien plus subtile que vous semblez le dire car les dialogues de gestion perdureront et la direction des services judiciaires continuera en principe à contrôler les choix des chefs de cour pour vérifier que les priorités fixées par la Chancellerie seront respectées, par exemple le fait de donner la priorité à la première instance.
Surtout, la répartition par cour d'appel dépendra encore des décisions du ministère, donc des vôtres, pour savoir quelles seront les cours d'appel servies en premier. Votre réponse allait d'ailleurs un peu en ce sens lorsque vous avez indiqué que les premiers renforts seraient affectés dans les départements accueillant les Jeux olympiques.
Mme la présidente coupe le micro de l'oratrice, dont le temps de parole est épuisé.
Ces amendements concernent la situation du tribunal judiciaire de Béziers. Ils n'ont pas été discutés en commission, et j'avoue ma totale ignorance de cette situation. Je m'en remets donc à la sagesse de l'Assemblée. Je laisse le garde des sceaux vous répondre, madame Ménard, car je pense qu'il s'agit d'amendements d'appel qui supposent un échange entre vous et M. le ministre.
Il n'y a qu'un LR présent dans l'hémicycle – et encore, il n'y est que parce qu'il est rapporteur spécial !
M. le rapporteur spécial reconnaît qu'il ne connaît pas la situation, mais il s'en remet à la sagesse de l'Assemblée : il vous fait en quelque sorte confiance, madame Ménard ; c'est une forme d'hommage qu'il vous rend.
Sourires.
Plus sérieusement, 133 postes supplémentaires dans le ressort de la cour d'appel de Montpellier seront répartis par les chefs de cour. J'ai souhaité que ces derniers disposent de cette autonomie et bénéficient d'une telle décentralisation. Ils l'appelaient tous de leurs vœux – ils l'ont dit lors des états généraux de la justice ; c'est mieux ainsi car ils jouissent d'une connaissance fine du terrain.
Dans le détail, le ressort de Montpellier disposera d'au moins cinquante-deux magistrats, quarante et un greffiers et quarante attachés de justice supplémentaires. Je suis très souvent en contact avec le procureur de la République de Béziers, qui est par ailleurs le président de la conférence nationale des procureurs de la République ; je crois pouvoir dire sans trahir sa parole ni sa pensée qu'il apprécie à sa juste valeur cette arrivée de personnels supplémentaires.
Se pose ensuite la question des Jeux olympiques et paralympiques, qui mobiliseront, il est vrai, un certain nombre de magistrats et greffiers sur les sites concernés – en région parisienne, à Marseille, à Lyon. Toutefois, les Jeux ne dureront pas des années. Une fois les épreuves terminées, toutes les juridictions bénéficieront d'effectifs plus importants.
Avis défavorable.
L'amendement n° 455 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Andrée Taurinya, pour soutenir l'amendement n° 1436 .
Cet amendement s'inscrit dans la même veine que ceux que j'ai défendus précédemment. J'espère que j'obtiendrai de la part du ministre des réponses plus courtoises.
Il s'agit ici de transférer 300 millions d'euros du plan de construction de 15 000, ou plus exactement de 18 000 places de prison supplémentaires, vers le programme Justice judiciaire, afin de recruter massivement des magistrats.
Treize mille !
Je sais que des postes de magistrats sont créés, mais leur nombre est insuffisant. Souffrez d'entendre notre raisonnement, qui, contrairement à ce qu'affirmait l'un de nos collègues, n'a rien d'idéologique mais qui repose sur l'analyse des besoins. En effet, si l'on veut qu'un service public fonctionne, il faut satisfaire les besoins constatés. Certes, cela coûte de l'argent, mais, comme l'a dit mon collègue Léaument, nous avons en la matière plein d'idées.
Nous voulons plus de magistrats, et considérons que le recrutement annoncé d'attachés de justice et d'assistants spécialisés relève d'une manœuvre gestionnaire, qui ne permettra pas de répondre aux besoins d'un vrai service public de la justice.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Cet amendement n'a pas été débattu en commission. Je ne peux donc émettre un avis qu'à titre personnel.
Vous demandez une augmentation de 300 millions d'euros des crédits du programme Justice judiciaire pour 2024. Je me permets d'indiquer que, de toute évidence, ces crédits ne seraient pas consommés. Néanmoins, je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée. Je pense que vous souhaitez surtout échanger sur ce point avec monsieur le ministre.
Nous allons donc échanger… Vous aviez demandé 20 000 greffiers – on se demande où on les trouverait : à l'étranger, comme les médecins, comme l'a suggéré M. Léaument ? Sauf que le corps humain est le même que l'on soit Italien, Allemand ou Français ; ce n'est pas le cas du droit. Il est lunaire d'envisager d'aller chercher des étrangers pour être greffiers, sans qu'ils passent par l'École nationale du greffe !
Après 20 000 greffiers, ce sont 13 000 magistrats que vous voulez recruter. C'est toujours plus ! C'est « madame Plus », de Bahlsen ! Où va-t-on les trouver ?
Notre programme est plus modeste, parce que nous sommes réalistes. Nous voulons que la justice fonctionne mieux et qu'elle soit de grande qualité, donc nous sommes attachés à la formation.
La promotion actuelle de l'École nationale de la magistrature est la plus importante de son histoire, et la suivante sera encore plus nombreuse, au point qu'à Bordeaux, il a fallu construire des hébergements pour les futurs auditeurs de justice.
Créer 13 000 postes supplémentaires, madame Taurinya !
Je ne sais pas à qui vous voulez faire plaisir, si ce n'est à ceux qui croient au père Noël. Dites-nous comment on fait pour les trouver.
L'impératif m'est interdit lorsque je m'adresse à vous, mais il faut être sérieux ! Vous êtes la représentation nationale. Nous débattons d'un budget visant à améliorer les conditions de travail des magistrats et des greffiers. Vous nous proposez 13 000 magistrats : c'est lunaire.
Je réitère mes propos : c'est la foire à la saucisse.
Applaudissements sur certains bancs du groupe RE.
La parole est à M. le président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire.
Chers collègues de la majorité, vous trouvez peut-être très bien qu'un ministre dise que c'est la foire à la saucisse, mais ce n'est pas mon cas.
Vous souhaiteriez plus d'élégance ?
Je vous dis ce que je pense, monsieur le ministre. Vous êtes assis à côté de moi, et j'entends des choses qui ne sont pas très respectueuses de la représentation nationale.
Le pied sur la tête d'un ministre, c'est respectueux ?
Traiter un ministre d'assassin, c'est respectueux ?
Respectez la représentation nationale, monsieur le ministre ! Vous êtes invité, ici.
La parole est à M. le président de la commission des finances, et à lui seul.
Je voudrais revenir sur l'argument selon lequel il y aurait, d'un côté, une majorité sérieuse, et, de l'autre, des oppositions irresponsables du fait de leurs amendements.
Monsieur le rapporteur général, vous avez dit tout à l'heure que les amendements adoptés en commission représentaient 450 milliards d'euros.
Dans ce cas, cela ne veut rien dire ! Les amendements adoptés en commission, toutes missions comprises, portent sur 16 milliards d'euros de modifications de crédits. C'est le seul chiffre qu'il faut considérer, sinon, on se fait peur sans raison. Il est trop facile d'avancer le chiffre de 450 milliards et de dénoncer l'attitude des oppositions !
Mais vous avez bien voté pour des dépenses à hauteur de 450 milliards !
Nous avons voté 16 milliards, et j'assume de dire que les besoins sociaux et de services publics correspondent à un tel montant. Nos idées en la matière diffèrent, monsieur Cazeneuve, mais essayons au moins de faire des comparaisons qui tiennent ; sinon, notre débat n'est ni logique, ni argumenté, ni rationnel.
D'autre part, vous savez très bien comment fonctionne le dépôt des amendements : les oppositions ne vont pas se coordonner pour élaborer un contre-budget ! Vous avez dit, monsieur le ministre, que nous ne votions pas les crédits des missions. Il se trouve que l'an dernier, certains ont été votées par les oppositions. Je peux vous en dresser la liste.
Pas ceux de la mission "Justice " !
Non, parce que les oppositions avaient estimé qu'elles n'avaient pas été suffisamment entendues sur ce point. En revanche, les crédits de la mission "Outre-mer" avaient été votés par les oppositions, ainsi que ceux de la mission "Écologie, développement et mobilité durables " après qu'elles eurent proposé et obtenu davantage d'investissements en matière ferroviaire. Il est donc erroné de dire que quoi qu'il se passe durant la discussion des crédits d'une mission, les oppositions votent contre.
Je parlais de la mission "Justice " !
Certes, mais je vous réponds sur le principe : si certaines modifications sont adoptées par l'Assemblée, oui, les oppositions peuvent voter en faveur des crédits d'une mission.
Pour ce qui est du budget de la justice, souffrez, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, que l'on puisse estimer que les efforts qui – indubitablement – ont été faits sont insuffisants. Échangeons des arguments. Depuis tout à l'heure, monsieur le ministre, vous citez sans cesse le chiffre de 13 000 nouveaux magistrats. Les personnes qui nous écoutent pourraient croire qu'il s'agit de recruter 13 000 magistrats dès cette année, alors que l'amendement vise à proposer un plan de recrutement pluriannuel, comportant 2 600 nouveaux postes en 2024.
Comment faites-vous ?
Posons-nous une première question : ces emplois sont-ils nécessaires ? Prenons le cas de la Seine Saint-Denis : vous me dites que des efforts ont été faits, mais, aux dires des magistrats eux-mêmes, il manque encore des greffiers et des magistrats.
Nous pourrions débattre ensemble de la question de savoir si notre évaluation des besoins est, ou non, surestimée. Et si vous estimez qu'elle l'est, dites-nous quel serait, selon vous, le niveau à atteindre. On pourrait alors, dans un second temps, se poser la question du recrutement.
À vous entendre, il est irresponsable de vouloir recruter 2 600 magistrats supplémentaires en un an. Or nous pourrions tenir le même discours concernant le budget de l'éducation nationale qui a été adopté l'an dernier, puisque 3 000 postes d'enseignants n'ont pas réussi à être pourvus. Vous avez néanmoins voté ce budget, qui prévoyait des créations de postes. Faut-il en conclure qu'il était irréaliste, au seul motif que tous les recrutements n'ont pas eu lieu ? On ne peut pas réfléchir de la sorte.
Souffrez qu'à mon tour, je pose une question simple : où trouverez-vous 13 000 magistrats supplémentaires ? Savez-vous combien il faut de temps pour former un magistrat ? Trente et un mois.
Et même plus, en effet, si l'on ajoute le cursus universitaire – car on n'est pas vierge de tout diplôme quand on s'engage dans la formation de trente et un mois qui permet de devenir magistrat.
Vous demandiez tout à l'heure de créer 20 000 postes de greffier, dont 4 000 en 2024. Ce n'est pas sérieux !
Vous vous faites par ailleurs l'arbitre des élégances et vous me donnez des leçons de maintien ; il est vrai que chez vous, il n'y a jamais de dérapage !
Dire que le budget n'est pas la foire à la saucisse n'a rien d'injurieux ; c'est souligner le manque de sérieux de vos propositions. Nous essayons, ensemble, de restaurer la justice – je dis ensemble, mais c'est sans vous, puisque vous n'avez jamais rien voté.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Vous me répondrez que vous avez voté des textes sur l'écologie ou que sais-je, mais en ce qui concerne la justice, cela se fait sans vous.
M. le président de la commission des finances s'exclame.
Je réitère ma question : où irons-nous chercher ces magistrats ? Où les logerons-nous ? Nous déployons un programme immobilier de grande ampleur pour accueillir les 1 500 magistrats supplémentaires qui arriveront d'ici à 2027, ainsi que les 1 800 greffiers et les milliers de contractuels qui deviendront des attachés de justice. Où logerez-vous les magistrats que vous voulez recruter ? Vous ne savez ni les trouver, ni les former, ni les loger.
Et vous voudriez que je discute avec vous : mais de quoi ? Ce n'est pas sérieux ! C'est de l'opposition nihiliste – pardon de vous le dire.
M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit.
Je souscris aux propos de M. le garde des sceaux : La France insoumise n'est pas la mieux placée pour critiquer les termes que l'on emploie ici.
J'en viens aux crédits budgétaires. Au cours de ses travaux, la commission des finances a tellement vidé certains programmes que leurs crédits ont été portés à zéro, de sorte que les amendements correspondants sont tombés.
Les amendements sont tombés car vous avez transféré tous les crédits vers d'autres programmes. Si nous ne comptons que 16 milliards d'euros de dépenses supplémentaires, et non 450 milliards, c'est soit parce que nous avons écarté les amendements que vous avez déposés, soit parce que les crédits des programmes ont été ramenés à zéro et que vos amendements sont tombés.
Entre 2017 et 2027, le budget de la justice sera passé de 6,9 à 11 milliards d'euros. Entre-temps, nous aurons recruté 1 500 magistrats et 1 800 greffiers, et les rémunérations de tous les personnels de la justice – depuis les agents pénitentiaires jusqu'aux magistrats, en passant par les greffiers – auront évolué, tant du point de vue de la grille indiciaire que du régime indemnitaire. S'y ajoutera une progression statutaire dans les grilles d'avancement, puisque les agents pénitentiaires passeront de la catégorie C à la catégorie B au 1er janvier 2024, tandis que les greffiers passeront de la catégorie B à la catégorie A dans les prochaines semaines, grâce à l'accord trouvé par la majorité et par M. le garde des sceaux.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE. – M. Erwan Balanant applaudit également.
Tout va bien ! Chaque fois que nous émettons des reproches, vous nous répondez : « C'est mieux qu'avant, vous avez tort de critiquer. » Vous avez décidément un problème avec le concept de démocratie et avec sa composante inévitable qu'est l'opposition.
Exclamations et rires sur plusieurs bancs du groupe RE.
Vous imposez vos textes budgétaires par le 49.3, et vous pensez que tout est normal, tout va bien. Vous pouvez en rire, mais ayez conscience que vous faites pire que Louis XVI. La constitution de 1791 accordait au roi un droit de veto uniquement suspensif, valable uniquement pour six ans, et qui ne pouvait pas s'appliquer aux questions budgétaires – en la matière, l'Assemblée restait maîtresse de la décision, y compris face à Louis XVI. Avec vos 49.3 à répétition sur les textes budgétaires, vous faites l'inverse. Vous faites pire que Louis XVI !
Vous avez toujours la motion de censure, si vous en avez besoin ! Relisez la Constitution !
J'ai relu la constitution de 1958, celle de 1791 et celle de 1793 – qui a ma préférence, je ne l'ai jamais caché.
Vous pensez pouvoir tout faire passer en force, et vous ne supportez pas qu'une opposition vous adresse des arguments contraires. Souffrez-le !
Mme Aurélie Trouvé applaudit.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 78
Nombre de suffrages exprimés 78
Majorité absolue 40
Pour l'adoption 18
Contre 60
L'amendement n° 1436 n'est pas adopté.
La parole est à M. Jérémie Iordanoff, pour soutenir l'amendement n° 1834 .
Il vise à augmenter les crédits affectés au recrutement de magistrats. Sans refaire le débat, je rappellerai qu'il n'est prévu de recruter que 327 magistrats supplémentaires en 2024 : tout le monde s'accordera à dire que c'est bien inférieur aux besoins.
D'autre part, les référentiels établis par le groupe d'étude sur la charge de travail des magistrats démontrent qu'il faudrait deux à trois fois plus de postes – et même trois à quatre fois plus dans certaines fonctions, comme l'instruction. Je n'ai pas obtenu de réponse à la question que j'ai posée en commission : à quoi serviront ces référentiels, et quand seront-ils publiés ?
La commission a rejeté cet amendement. Comme l'a indiqué M. Iordanoff, il renvoie à des débats que nous venons d'avoir.
On dit parfois que c'est l'intention qui compte, mais ce n'est pas toujours vrai. Vous voulez tripler le nombre de magistrats, ce qui porterait leur nombre à 30 000…
Il est facile de faire des cadeaux quand on ne paie pas l'addition. Après Mme Taurinya qui demande 13 000 magistrats supplémentaires, vous en demandez 30 000 : c'est trois fois plus infaisable – j'emploie cet euphémisme pour ne pas choquer M. le président de la commission des finances.
Sourires.
Avis défavorable.
Votre ministère a commandé des référentiels à un groupe de travail pour identifier les besoins. Où en sont-ils, quand seront-ils publiés et à quoi serviront-ils ? Nous n'avons toujours pas de réponse. La représentation nationale aimerait savoir ce qu'il en est : de combien de magistrats avons-nous besoin ? Nous verrons ensuite si la formation peut suivre ou non.
Peut-être faut-il prendre plus de temps et créer des centres de formation – cet argument peut s'entendre, mais encore faut-il connaître les besoins établis par les référentiels.
Tout le monde s'accorde à dire que le nombre de magistrats est actuellement insuffisant, et que les 327 recrutements prévus pour 2024 ne résoudront pas le problème. Pardon d'insister, mais nous devons avoir connaissance des besoins ; le reste en découlera. Foin d'arguties ! Les questions budgétaires doivent être tranchées par des arbitrages politiques, que chacun peut assumer – on a le droit de vouloir recruter plus de magistrats ou de vouloir construire plus de places de prison. Ce sont des choix politiques légitimes, qu'il faut assumer.
L'amendement n° 1834 n'est pas adopté.
L'amendement n° 454 de Mme Emmanuelle Ménard a été défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
L'amendement n° 454 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'amendement n° 453 de Mme Emmanuelle Ménard a également été défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
L'amendement n° 453 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Jérémie Iordanoff, pour soutenir l'amendement n° 1838 .
Réjouissez-vous : il ne vise pas à recruter qui que ce soit ! Il s'agit en revanche d'augmenter les moyens dédiés à la rénovation du parc pénitentiaire. Le budget consacré à l'entretien lourd du parc carcéral est plus de dix fois inférieur à celui qui est dédié à la construction de nouvelles places de prison. Il accuse même une baisse de 26 millions d'euros par rapport à l'année dernière. Cette répartition budgétaire est dramatique, vu l'insalubrité des prisons françaises. À la prison de Varces par exemple, dans l'Isère, les espaces collectifs et les cellules sont totalement vétustes – la Contrôleure générale des lieux de privation de libertés en a récemment alerté les pouvoirs publics. Les bâtiments ne sont ni isolés ni ventilés, ce qui entraîne l'apparition de moisissures sur les murs, déjà sales et détériorés. Souvent, les fenêtres des cellules ne ferment pas, ou leurs vitres sont cassées, voire ont disparu : les détenus sont contraints d'occulter les ouvertures pour se protéger de la chaleur et du froid. En été, la température est insoutenable. Dans certaines cellules, l'état des installations électriques présente des risques d'incendie et d'électrocution.
Faut-il rappeler que la France a été condamnée en 2020 par la Cour européenne des droits de l'homme pour l'indignité de ses conditions de détention ? Les rapports se succèdent, le constat est inchangé, mais le budget alloué aux rénovations diminue – d'où la nécessité d'adopter cet amendement.
Défavorable : la commission a rejeté cet amendement. Cependant, de mon point de vue, les opérations de rénovation devraient être plus rapides et de plus grande ampleur. Je ne m'opposerai donc pas, à titre personnel, à la rénovation des prisons et à la construction de nouvelles places.
S'agissant de l'établissement pénitentiaire de Grenoble-Varces, ma réponse s'adresse bien sûr à vous, monsieur le député, mais aussi à Mme Abadie et à Mme Jacquier-Laforge, qui sont très mobilisées par ce sujet. Cet établissement a été mis en service en 1972 et nécessite effectivement des rénovations. Comme j'ai eu l'honneur de l'indiquer à la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, des investissements y ont été réalisés pour 23 millions d'euros depuis 2010. Plusieurs études de faisabilité ont été lancées en cette fin d'année concernant l'amélioration des conditions de détention : la réhabilitation des cellules principalement, mais aussi le remplacement des installations électriques, l'isolation thermique des façades et la sécurité de l'établissement – miradors, porte d'entrée et postes protégés.
De manière générale, il importe de rénover les établissements pénitentiaires et d'en construire de nouveaux pour accueillir les détenus dans un environnement digne, et pour permettre au personnel pénitentiaire de travailler dans de meilleures conditions.
Je voterai pour cet amendement. Pour avoir visité cette année les prisons d'Aix-Luynes et des Baumettes, je peux témoigner que les conditions de détention n'y sont pas correctes, notamment dans la première.
On le sait !
Dans le quartier d'isolement notamment, les conditions sont inacceptables – j'en ai fait un reportage et en ai montré les photos, mais vous le savez certainement. J'entends qu'il faille construire plus de prisons, mais il faut aussi rénover les établissements existants. J'appelle votre attention sur le problème de la chaleur, qui se pose notamment dans le Sud. En l'absence d'air conditionné, les températures atteignent parfois 50 degrés ; il est même arrivé que des avocats fassent des malaises dans les salles où ils sont accueillis. Nous avons besoin d'investissements pour rénover certains établissements ; il y va des conditions de détention, mais aussi des conditions de travail des gardiens. Un environnement insalubre n'est certainement pas de nature à favoriser la réinsertion.
Comme notre collègue LFI, j'estime qu'il faut rénover les prisons. C'est la raison pour laquelle la mission "Justice" comporte un programme Administration pénitentiaire destiné à la rénovation des prisons, à la construction de nouveaux établissements et au fonctionnement de l'administration pénitentiaire. Or son enveloppe – je viens de faire un rapide calcul – aurait été divisée par deux si notre assemblée avait adopté tous les amendements du groupe LFI, compte tenu des compensations qu'ils prévoyaient. Heureusement que cela n'a pas été le cas !
Il faut considérer le budget de la justice dans sa globalité pour percevoir sa cohérence. Il couvre bien d'autres domaines que l'administration pénitentiaire, dont l'aide juridictionnelle et les magistrats. Son augmentation de 5,3 % pour 2024 tient compte de divers équilibres. Je vous invite, chers collègues de La France insoumise, à voter ses crédits qui s'inscrivent dans le cadre d'une loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice qui vise une augmentation budgétaire globale de 60 % sur la durée de la législature.
L'amendement n° 1838 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Caroline Abadie, pour soutenir l'amendement n° 1734 .
Avec ma collègue Élodie Jacquier-Laforge, nous voulions, à la suite de M. Iordanoff, interpeller le ministre sur la situation de la maison d'arrêt de Varces.
Nous savons, monsieur le ministre, que votre prédécesseure, Nicole Belloubet, …
…puis vous-même avez cherché des terrains pour de nouvelles constructions en vue de faire participer Grenoble au plan « 15 000 ». À présent, à l'échelon local, tout le monde se mord les doigts de ne pas avoir trouvé de solutions. Par cet amendement d'appel, nous souhaitions vous indiquer que, six ans après, le territoire semblait prêt mais je crains que ce ne soit trop tard – j'imagine que vous nous ferez la même réponse qu'à notre collègue.
Par cet amendement, qui vise à allouer 100 millions au programme Administration judiciaire, vous voulez, selon vos propres termes, madame Abadie, interpeller le Gouvernement sur la situation du centre pénitentiaire de Grenoble-Varces. M. le ministre a annoncé le 27 octobre 2022, dans le cadre de la discussion sur le projet de loi de finances pour 2023, une enveloppe de 5 millions d'euros pour rénover cette maison d'arrêt. Toutefois, ces crédits ne semblent pas être à la hauteur des enjeux. On voit bien qu'il s'agit d'une approximation budgétaire. Le 29 septembre 2023, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a publié un rapport alarmant sur cet établissement : le taux d'occupation y atteint 146 %, dans des cellules très vétustes.
Je dois préciser que, comme l'année dernière, je n'ai pas reçu l'intégralité des réponses au questionnaire budgétaire que j'ai fait parvenir à vos services, monsieur le ministre, notamment s'agissant du plan concernant les prisons. Je ne dispose donc pas d'indicateurs. Manifestement, la Chancellerie semble avoir des choses à cacher sur ce point et je le regrette vivement.
Ne pas recevoir de réponses en temps et en heure rend très difficile notre travail de parlementaires. La transparence dont vous vous réclamez très régulièrement n'est pas assurée, monsieur le ministre.
Je vous renvoie donc à la réponse du ministre, madame Abadie, car je ne dispose pas des informations nécessaires : elles ne m'ont pas été fournies par la Chancellerie.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
En définitive, l'avis de la commission est défavorable, monsieur le rapporteur spécial ?
La situation de Varces est préoccupante mais je voudrais d'abord répondre à M. le rapporteur spécial.
Ce n'est pas la peine de dire que nous avons des choses à cacher, monsieur Hetzel : vous m'avez auditionné pendant quatre heures, et je ne pense pas vous avoir dissimulé quoi que ce soit ! Je vous ai même invité à plusieurs reprises à faire avec moi le tour des établissements pénitentiaires.
Si vous n'êtes pas venu, c'est que vous aviez sans doute vos raisons. Nous avons chacun nos obligations, nos préoccupations et nos priorités.
Je constate que vous n'étiez pas là, c'est tout. Quand je vous dis que nous construisons des prisons, vous ne voulez pas m'entendre ; quand je vous propose de vous les montrer, vous ne voulez pas les voir. Il se trouve que ces temps derniers, j'ai inauguré trois établissements pénitentiaires, ce qui représente une création nette de 1 000 places.
Vous affirmez que l'enveloppe allouée à Varces n'est pas à la hauteur des enjeux. Ces enjeux, nous ne les connaissons pas car l'étude de faisabilité a été lancée à la fin de l'année 2023 et nous ne disposons pas de ses résultats. Nous ne savons pas encore ce qu'il conviendra de faire mais, en revanche, nous savons qu'il faut faire certaines choses : réfections de cellules, remplacement d'installations électriques, isolation thermique, entre autres, comme je l'ai dit tout à l'heure – je sais à quel point Mme Abadie et Mme Jacquier-Laforge sont préoccupées par ces questions. Et ce qui est certain, c'est que j'ai essayé de vous associer étroitement à cette question.
Dernier point. Le programme de construction de 15 000 places de prison, vous avez souhaité le rehausser à 18 000. Très bien – mais rappelons l'objet du deal, si vous me permettez cet anglicisme de mauvais aloi : si votre famille politique levait les entraves à la mise à disposition de terrains, nous pourrions envisager de construire davantage de prisons. Vous savez bien par qui sont dirigées les villes dans lesquelles il existe des blocages.
Pour ma part, j'assume la construction d'établissements pénitentiaires pour deux raisons : assurer la réponse pénale ; améliorer les conditions de détention, donc les conditions de travail du personnel pénitentiaire, qui leur sont intrinsèquement liées.
Vous pouvez toujours dire : « On nous cache tout, on nous dit rien ». Ce n'est pas vrai et ce n'est pas juste.
Monsieur le ministre, votre intervention appelle plusieurs commentaires de ma part. Vous m'avez attaqué directement et je trouve cela de très mauvais aloi.
Je ne vous attaque pas !
Je reviendrai d'abord sur vos prétendues invitations. Tout de même, monsieur le ministre, vous savez qu'en tant que parlementaires, nous avons des engagements à l'Assemblée ainsi que dans nos circonscriptions. Envoyer une invitation seulement vingt-quatre heures à l'avance et me faire ensuite le reproche dans cet hémicycle de ne pas l'avoir honorée, c'est incroyable !
Quatre fois !
Non, deux fois ! Je trouve particulièrement indécent de procéder de la sorte.
Ensuite, allons directement aux faits. Ce que j'ai dit, et je le maintiens, c'est que nous avons envoyé à vos services un questionnaire budgétaire, qui comportait des questions précises sur le plan « prisons », et que nous n'avons pas obtenu de réponses. Il est normal que je l'indique à la représentation nationale. Encore une fois, je m'interroge car il y a un décalage entre les discours et les actes.
Enfin, permettez-moi de vous rappeler, monsieur le ministre, que l'un des rôles de la représentation nationale est de contrôler l'action du Gouvernement. Nous faisons de notre mieux pour l'exercer mais encore faut-il que nous ayons des retours de votre part. Ne pas répondre à un questionnaire budgétaire est une marque de défiance à l'égard de notre assemblée.
Mais on vous a répondu : il manquait quelques précisions et on vous a indiqué qu'on vous les fournirait plus tard !
J'irai dans le sens de M. le rapporteur spécial. Je vous ai déjà dit, monsieur le ministre, que vous aviez un problème avec la démocratie, plus spécialement avec la démocratie parlementaire. Aux termes de l'article 24 de la Constitution, le Parlement contrôle l'action du Gouvernement, principe posé dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 à son article 14. Vous pouvez n'avoir rien à faire du droit, de la Constitution…
Moi, j'aime la Constitution !
…ou même de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Reconnaissez toutefois que pour nous, ne pas disposer des chiffres nécessaires est un grand problème. Vous refusez même de répondre au rapporteur spécial lorsqu'il vous pose la question dans l'hémicycle. Comment voulez-vous que nous fassions correctement notre travail dans ces conditions ?
Finalement, vous prenez tout à l'envers. Vous augmentez les places de prison parce que vous voulez incarcérer toujours plus de gens : vous suivez une politique répressive au lieu de faire en sorte de régler les problèmes. Cela aboutit à quelque chose d'inefficace.
Pour désengorger les tribunaux, vous avez instauré les amendes forfaitaires délictuelles qui sont appliquées directement par les policiers, sans passer par le juge. Ce n'est pas normal non plus dans un système démocratique.
Peu à peu, vous rognez les droits des citoyens. Les questions budgétaires sont aussi des questions de droit. M. le rapporteur spécial vous a posé une question très précise et j'aimerais, je le dis au nom de mon groupe, que vous lui apportiez une réponse.
L'amendement n° 1734 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Andrée Taurinya, pour soutenir l'amendement n° 1456 .
Par cet amendement, nous souhaitons vous alerter sur le manque de personnel de santé dans les prisons. Cela va très mal ! Lors de ma dernière visite à la prison de Lyon-Corbas, j'ai relevé qu'il y avait un gynécologue pour soixante détenues et qu'il n'y avait plus de médecin généraliste depuis le mois d'août. Les services pénitentiaires font donc appel à des médecins intérimaires ou à SOS Médecins, ce qui empêche d'assurer un suivi continu.
Il faudrait davantage de médecins généralistes et spécialistes dans les prisons. Vous me direz que tout cela dépend du ministère de la santé. Nous proposons donc de prélever 10 millions sur le plan « 15 000 » – ou plutôt « 18 000 » – pour abonder un nouveau programme intitulé Moyens pour favoriser l'accès aux soins dans les établissements pénitentiaires. Nous partons ainsi des besoins pour déterminer les moyens nécessaires pour que les détenus puissent vivre dans des conditions dignes et recevoir les soins médicaux qu'il leur faut.
Je suis saisie de deux demandes de scrutin : sur l'amendement n° 1456 , par le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale ; sur l'amendement n° 578 à venir, par le groupe Rassemblement national.
Les scrutins sont annoncés dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Quel est l'avis de la commission ?
Cet amendement n'a pas été examiné par la commission. À titre personnel, j'y suis défavorable.
Défavorable.
Ma collègue a raison de mettre l'accent sur les conditions sanitaires en milieu carcéral ; je noterai seulement que la question des déserts médicaux se pose plus largement.
D'autre part, les non-réponses au questionnaire budgétaire sur lesquelles est revenu mon collègue Hetzel constituent un sujet important. J'ai été confronté au même problème en tant que rapporteure pour avis sur le programme Fonction publique : il m'a manqué un quart des réponses. Fort heureusement, en commission, le ministre de la transformation et de la fonction publiques a pu nous apporter des précisions.
Monsieur le ministre, ne pourrions-nous pas imaginer que vos services vous transmettent les éléments nécessaires d'ici à la fin de la séance afin de vous permettre d'éclairer la représentation nationale sur un sujet majeur, qui concerne la majorité des crédits examinés aujourd'hui ?
Oui, ils s'y emploient.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 61
Nombre de suffrages exprimés 51
Majorité absolue 26
Pour l'adoption 9
Contre 42
L'amendement n° 1456 n'est pas adopté.
Le terrorisme s'autoalimente aussi en prison, notamment par l'intermédiaire des 400 individus actuellement incarcérés pour des faits de terrorisme et des 470 terroristes qui ont été libérés depuis 2018. Pour éviter que l'idéologie islamiste ne continue de s'y répandre, il serait intéressant d'étudier la possibilité d'isoler totalement les détenus radicalisés ou susceptibles de l'être. Afin de limiter le contact avec les autres prisonniers, il est urgent de doter les prisons de quartiers spécifiques, situés à l'écart des autres prisonniers, de manière que leurs chemins ne puissent pas se croiser.
Il est également urgent de tendre vers l'individualisation des cellules, surtout – mais pas uniquement – pour les détenus radicalisés, et de faire en sorte que les détenus les plus dangereux n'aient pas accès au téléphone. En effet, rien ne sert de les isoler si, par ailleurs, ils peuvent communiquer avec l'extérieur ou avec d'autres prisonniers.
Il s'agit donc d'un amendement d'appel, l'objectif étant que la France se dote rapidement de véritables quartiers antiterroristes.
Je vous accorde bien volontiers qu'il s'agit d'un sujet essentiel. J'ai eu l'occasion, lors d'un précédent rapport budgétaire, de me concentrer sur le développement de la radicalisation en milieu carcéral et sur la manière d'aborder la question des détenus radicalisés, non seulement pour protéger les agents de l'administration pénitentiaire, mais également pour éviter des mécanismes de diffusion de cette radicalisation.
J'entends parfaitement vos arguments, notamment sur la nécessité d'isoler ces détenus. Dans les préconisations que j'avais formulées, je n'allais pas jusqu'à proposer la création d'établissements spécifiques ; je suggérais plutôt d'instituer des espaces à l'intérieur des établissements existants. Le sujet n'ayant pas été débattu en commission, j'émets, à titre personnel, un avis de sagesse et laisse le garde des sceaux vous communiquer le point de vue de la Chancellerie.
Plutôt que des établissements dédiés, nous avons choisi, en matière de stratégie pénitentiaire, de créer des quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER) et des quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR). Nous en avons multiplié le nombre et leurs moyens ont été augmentés. Je rappelle qu'aucun détenu ne fait l'objet d'un suivi précis, qu'il s'agisse d'un terroriste ou d'un détenu incarcéré pour un autre motif et qui se serait radicalisé durant sa détention.
L'idée de regrouper de tels détenus dans un même établissement pénitentiaire pose également plusieurs inconvénients, sur lesquels je ne m'étendrai pas.
La stratégie développée par l'administration pénitentiaire vise non seulement à préserver les autres détenus de tout prosélytisme, mais aussi à éviter la mise en relation d'individus à risque. Il existe une gradation dans la manière d'assurer la détention des terroristes. Des mesures d'isolement très strictes s'appliquent aux auteurs de ce type d'infractions, dont nous devons nous protéger au maximum. Beaucoup de choses sont donc réalisées depuis, hélas, de nombreuses années et l'administration pénitentiaire a la maîtrise de ces sujets.
Nous souhaitons aller au-delà : nous sommes favorables à la création d'établissements pénitentiaires spécifiques pour prendre en charge les détenus radicalisés. Tel était d'ailleurs l'objet de l'amendement n° 578 de M. Éric Pauget que nous aurions soutenu s'il y avait eu dans l'hémicycle un membre du groupe Les Républicains pour le défendre.
L'argumentation du garde des sceaux montre bien que ni la prise en charge ni le suivi des détenus radicalisés ne sont efficaces, comme l'a montré la commission d'enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu, Yvan Colonna. Nous avons également appris qu'un détenu radicalisé connu pour prosélytisme, incarcéré au centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure, avait pu entrer en contact, au moyen de l'application Telegram, avec l'auteur de l'attentat d'Arras.
Répartir ces détenus en fonction de leur profil permettrait de protéger les autres prisonniers du prosélytisme et de favoriser une gestion dédiée de la part des surveillants pénitentiaires pour leur permettre d'exercer leur mission en toute sécurité – d'autant qu'ils ont parfois à subir eux-mêmes des attaques terroristes au sein des établissements pénitentiaires.
M. Yoann Gillet applaudit.
J'ai proposé, monsieur le garde des sceaux, non d'ouvrir des établissements pénitentiaires dédiés aux détenus radicalisés, mais de créer des quartiers spécifiques. Pour avoir visité quelques établissements, je sais que l'administration pénitentiaire fait très bien son travail. Toutefois, ce n'est sans doute pas suffisant, comme vient de le rappeler mon collègue. Nous l'avons constaté une fois de plus après l'attentat d'Arras. Le terroriste qui a assassiné le professeur Dominique Bernard avait pu converser avec son frère, qui était un détenu radicalisé. C'est donc qu'il y a des failles, qu'il convient de combler.
Pourquoi n'ai-je pas proposé, comme l'a fait Éric Pauget dans son amendement, la création d'établissements dédiés aux détenus radicalisés ? Pour une raison très pragmatique : j'aimerais bien savoir quelle commune accepterait de recevoir sur son territoire un établissement exclusivement réservé à ce type de détenus. Je ne suis pas sûre qu'elles se bousculent au portillon.
Non, Béziers a donné, c'est bon ! Nous accueillons déjà un gros établissement pénitentiaire, un centre de rétention administrative (CRA) doit ouvrir prochainement, ainsi qu'une UHSA. Tout le monde doit prendre sa part. C'est pourquoi, en attendant de trouver la commune rêvée, il faut donner la priorité à des quartiers qui accueilleraient des détenus radicalisés. Il faut le plus possible éviter les failles, tout en sachant que nous n'atteindrons pas la perfection.
Pour répondre à Mme Ménard et à M. Baubry, qui a fait partie de l'administration pénitentiaire, le ministère de la justice recueille les expertises et les analyses de la DAP, qui est la mieux placée pour formuler des propositions. Sur le plan de la surveillance des détenus terroristes ou radicalisés, nous avons beaucoup évolué et je vous remercie, madame Ménard, de souligner que beaucoup de choses sont faites. Chaque fois qu'il y a une faille ou, pour ainsi dire, un trou dans la raquette, une expertise est menée sur ce qui s'est passé, en vue d'améliorer la situation. Nous avons augmenté le nombre de quartiers dédiés à l'évaluation de la radicalisation ou à sa prise en charge. N'oublions pas non plus le renseignement pénitentiaire.
Ces sujets sont très complexes. Vous proposiez, madame Ménard, d'interdire dans certains cas l'accès au téléphone ; dès lors, on ne pourrait plus savoir avec qui le détenu incarcéré pour apologie du terrorisme entre en contact ni alerter, ensuite, les services du renseignement. Je rappelle que les conversations téléphoniques font l'objet d'enregistrements et qu'elles sont traduites lorsqu'elles se font dans une langue étrangère. Est-ce utile ou non ? L'administration pénitentiaire et les services du renseignement pénitentiaire estiment que oui. Les services du renseignement autres que pénitentiaires sont d'ailleurs sur la même ligne. Ces sujets impliquent une vigilance permanente, mais il faut rester très à l'écoute des femmes et des hommes qui exercent au sein de l'administration pénitentiaire et savent mieux que personne comment améliorer la prise en charge et travailler à la déradicalisation, chaque fois que c'est possible.
L'amendement n° 1170 n'est pas adopté.
Selon la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), depuis 2012, les attentats terroristes ont causé la mort de 272 personnes et fait près de 1 200 blessés en France. Malheureusement, la violence des attaques terroristes islamiques commises par le Hamas contre Israël fait craindre que ces attentats se multiplient. La prise en charge des détenus terroristes islamistes en détention et à leur sortie – cela a été évoqué en partie – constitue un enjeu sécuritaire majeur. Avec quelque 400 individus actuellement incarcérés pour des faits de terrorisme et plus de 470 individus libérés depuis mi-2018, la menace potentielle que représentent les détenus et anciens détenus doit être au cœur de nos préoccupations.
La menace islamiste est, en effet, très forte actuellement en France et le suivi des personnes radicalisées sortant de prison est un immense défi pour les services du renseignement qui doivent avoir les moyens de mener à bien leur mission. Aussi, à l'image du bracelet antirapprochement déployé pour lutter contre les violences intrafamiliales, il serait opportun que des bracelets dits de placement sous surveillance électronique mobile (PSEM), qui permettent de suivre les déplacements de ceux qui les portent, soient généralisés pour les individus présentant des risques de récidive. C'est déjà le cas pour un petit nombre d'entre eux.
Il conviendrait donc de débloquer des crédits, afin de permettre l'achat de ces bracelets dont le coût est peu important, puisqu'il est estimé à 141,60 euros par mois. Cela permettrait de prévenir des attaques contre des sites sensibles comme les écoles, les édifices religieux ou les commissariats.
La commission n'a pas étudié ces deux amendements que Mme Ménard a elle-même qualifiés d'amendements d'appel. À titre personnel, je donnerai un avis de sagesse, pour que le ministre puisse s'exprimer sur le sujet. C'est le principe des amendements d'appel.
La loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement a renforcé le suivi visé par l'amendement n° 1175 , au moyen d'une nouvelle mesure de sûreté dotant l'institution judiciaire d'outils adaptés à la prévention et à la lutte contre le terrorisme ; en effet, vous avez évoqué le suivi administratif, mais non le suivi judiciaire. Cette mesure de prévention de la récidive permet de mettre en œuvre, à l'issue de l'incarcération, des mesures de suivi des anciens détenus. Le déploiement de ces outils est intégré au budget présenté par le Gouvernement. Je suis donc défavorable à l'amendement.
Je le suis aussi à l'amendement n° 568 . Les personnes incarcérées en exécution d'une condamnation peuvent être suivies dans le cadre de l'aménagement de peine, dans le cadre de mesures de sûreté telles que la surveillance judiciaire, ou encore par les services de renseignement dans le cadre de mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas). Je précise qu'à la suite d'un avis du Conseil constitutionnel, nous avons étendu les délais durant lesquels il est possible de surveiller de tels individus après qu'ils ont purgé leur peine.
La loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement ayant renforcé les possibilités de contrôle, le suivi des personnes sortant de détention peut déjà être assuré de façon systématique.
En d'autres termes, je ne suis pas insensible à vos arguments, mais je considère que vos amendements sont satisfaits, puisque, depuis la loi de 2021, les mesures que vous proposez sont déjà possibles dans le cadre d'un suivi judiciaire.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.
La séance est reprise.
Chers collègues, je propose, si nous voulons finir l'examen des amendements avant minuit, que vous disposiez d'une minute et non de deux pour présenter les amendements. J'espère que cela convient à tous.
Mme Caroline Abadie applaudit.
La parole est à Mme Emeline K/Bidi, pour soutenir l'amendement n° 678 .
J'essaierai d'être brève. Je voudrais, par cet amendement, mettre en lumière la situation des centres pénitentiaires situés en outre-mer, qui font face à une surpopulation carcérale très importante : le taux d'occupation est de 150 % en Guyane, 127 % en Martinique, 174 % dans un autre établissement des Antilles. Pour résoudre ce problème, des moyens supplémentaires sont nécessaires.
Pour éviter tout procès d'intention, je tiens à dire que nous n'avons pas réellement l'intention de dépenser tout l'argent prévu sur une ligne budgétaire pour abonder une autre, mais la légistique nous impose, pour défendre l'amendement, de proposer des transferts de crédit. Il s'agit donc d'un amendement d'appel pour souligner que des moyens supplémentaires sont nécessaires. N'oubliez pas les centres pénitentiaires en outre-mer !
Comme vient de l'indiquer Mme K /Bidi, il s'agit d'un amendement d'appel, qui met en lumière le problème de la surpopulation carcérale en outre-mer. C'est tout à fait légitime et pertinent. L'amendement n'ayant pas été examiné par la commission, j'émets un avis de sagesse à titre personnel et je laisse garde des sceaux répondre.
L'amendement n° 678 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Le groupe Écologiste souhaite permettre à chaque enfant faisant l'objet d'une mesure d'assistance éducative de bénéficier d'un avocat rémunéré au titre de l'aide juridictionnelle.
Si, en matière pénale, la présence systématique de l'avocat auprès de l'enfant, tout au long de la procédure, est prévue, ce n'est pas le cas pour l'enfant en matière d'assistance éducative. Or nous estimons, avec le Conseil national des barreaux, que chaque enfant doit être soutenu dans l'expression de sa parole et de ses besoins fondamentaux en étant accompagné en justice par un avocat spécialement formé.
La parole est à Mme Naïma Moutchou, pour soutenir l'amendement n° 1846 .
La parole de l'enfant est un peu particulière : en général, il ne s'exprime pas de manière aussi claire ou avec autant d'aisance qu'un adulte. Par conséquent, l'assistance d'un avocat est obligatoire tout au long du procès pénal. Il est évident que cette protection est nécessaire.
Il faut aller un peu plus loin, toujours au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant, en se demandant s'il faut systématiser la présence de l'avocat en matière d'assistance éducative. En effet, les mesures d'investigation en matière éducative ne sont pas anodines. Elles sont décidées par le juge des enfants. Elles peuvent aller du suivi au placement en dehors de la famille, avec suspension l'autorité parentale. Ce sont des matières techniques, ce qui rend indispensable la présence d'un avocat. Actuellement, il est recommandé qu'il soit présent et c'est souvent le cas. Pour mieux accompagner l'enfant, nous proposons, à travers cet amendement, de systématiser la présence de l'avocat en matière éducative.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
En commission, vous avez évoqué la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Il y a un débat de fond sur la question de savoir si la présence d'un avocat auprès des enfants est nécessaire en matière d'assistance éducative.
J'émets un avis de sagesse sur ces amendements d'appel et, encore une fois, je laisse le garde des sceaux répondre.
Dans le rapport annexé de la loi de programmation pour la justice, il est indiqué qu'une réflexion sera engagée concernant la présence systématique de l'avocat auprès des mineurs en matière d'assistance éducative.
Il y a longtemps qu'on discute de cette question centrale. En effet, la présence d'un avocat auprès d'un enfant est très utile. Il faut déterminer dans quels domaines elle est particulièrement pertinente, établir quels sont les conséquences et les effets de bord. Le rapport annexé nous engage à poursuivre la réflexion, ce qui sera fait.
Nous sommes engagés sur ces questions et, puisque nous poursuivons la réflexion, je vous suggère de retirer ces amendements ; à défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable. Cependant je reconnais l'intérêt des amendements que vous avez présentés l'un et l'autre.
Je prends la parole à présent, mais je ne la demanderai pas ensuite pour présenter l'amendement n° 1862 car, en substance, il est similaire aux précédents et il est soutenu par le Conseil national des barreaux. L'explication et la justification sont les mêmes, simplement le montant des crédits prévus est de 107 000 millions d'euros au lieu de 100 000 millions dans les amendements n° 1842 et 1846 .
Cela fait un moment que nous tournons autour des sujets que sont l'intérêt supérieur de l'enfant et la souffrance des enfants pris en charge par l'ASE et dépourvus de soutien pour les informer de leurs droits et les accompagner dans le suivi des questions judiciaires.
Le groupe Socialistes et apparentés a déposé une proposition de loi pour demander une expérimentation qui nous permettrait de nous s'assurer de la viabilité de ce dispositif. Y aura-t-il suffisamment d'avocats ? Ces avocats apportent-ils vraiment un soutien à l'aide sociale à l'enfance ?
Vous m'aviez répondu, monsieur le garde des sceaux, que l'expérimentation était quasiment engagée avec plusieurs barreaux ; vous aviez annoncé que vous étiez prêt à augmenter les crédits. Je voudrais savoir ce qu'il en est vraiment. Ces crédits sont-ils mobilisables ? Les barreaux peuvent-ils se tourner vers vous et les obtenir pour mener des expérimentations ? En effet, plusieurs d'entre eux se sont d'ores et déjà engagés sur cette question.
Comme le disait Naïma Moutchou, la situation est extrêmement sensible : il s'agit de placer des enfants en souffrance. Je vous ai écrit dernièrement au sujet d'un cas d'importance majeure : des enfants avaient perdu leur père et leur mère, et nous nous sommes battus pour qu'ils puissent être placés ensemble. Vous savez combien ces questions sont compliquées.
Enfin, il ne s'agit pas d'une situation de confrontation ou d'opposition : généralement, le juge des enfants et l'avocat s'entendent bien, parce que la difficulté du sujet est telle qu'ils sont satisfaits d'être ensemble, et ils effectuent un travail commun.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Sur l'amendement n° 1862 , l'avis du Gouvernement sera également défavorable. En matière d'assistance éducative, l'éligibilité au bénéfice de l'aide juridictionnelle pour les mineurs est déjà garantie depuis 2021, ce qui constitue un véritable progrès.
Ensuite, je l'ai dit, il faut poursuivre la réflexion et terminer le travail commencé. Naturellement, l'intérêt supérieur de l'enfant est notre seule boussole.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
L'amendement n° 1862 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
C'est Mme Perrine Goulet qui avait présenté cet amendement à la commission, qui l'a adopté. Il tend à augmenter le budget de 2 millions d'euros pour mettre en œuvre la modification apportée par la loi du 7 février 2022 permettant le recours à un avocat lors de la procédure d'assistance éducative.
La parole est à M. Erwan Balanant, pour soutenir l'amendement n° 1800 .
Le garde des sceaux a parlé tout à l'heure de la foire à la saucisse. Maintenant, nous nageons dans la soupe, car nous venons de voter des crédits de 107 millions d'euros alors que je ne suis pas sûr que ce montant était nécessaire pour appliquer la disposition en question.
L'amendement n° 1800 , qui est identique à l'amendement adopté par la commission, visait à mettre le budget en cohérence avec le dispositif créé par la loi du 7 février 2022, qui crée la possibilité pour les présidents de conseil départementaux de demander qu'un enfant soit accompagné par un avocat lors de la procédure d'assistance éducative.
Nous avançons sur cette question, notamment grâce au rapport annexé de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice. Je ne sais pas si l'amendement n° 1800 , qui vise à abonder de 2 millions les crédits de l'accès au droit et à la justice, est encore nécessaire dès lors qu'on vient de voter des amendements augmentant ces crédits de 107 millions d'euros.
M. Antoine Léaument s'exclame.
L'avis du Gouvernement est favorable. Je lève le « gage » budgétaire sur ces amendements identiques.
Mme Caroline Abadie applaudit.
Je réponds à M. Erwan Balanant sur une question de procédure. Le Gouvernement aura recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. Or il est possible que certains amendements soient retenus tandis que les autres ne le seront pas. Par sécurité, il vaut donc mieux voter les deux amendements n° 1800 et 1852 .
La parole est à M. Jérémie Iordanoff, pour soutenir l'amendement n° 1841 .
Par cet amendement, le groupe Écologiste propose un renforcement substantiel des crédits alloués à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Les juges des enfants témoignent de difficultés croissantes des services de la PJJ. Leur fonction d'assistance éducative est particulièrement bouleversée, du fait des moyens affectés à la mise en œuvre dite prioritaire du code de justice pénale des mineurs. La priorité donnée au pénal aggrave sensiblement la situation des mineurs en danger, d'autant que le nombre d'enfants suivis a augmenté de 15 % entre 2015 et 2021.
Alors qu'un enfant meurt tous les cinq jours du fait de maltraitances de son entourage proche, quatre-vingt-douze emplois supplémentaires seulement seront affectés au budget de la PJJ cette année. Cela nous semble insuffisant, d'où cet amendement.
Même avis.
L'amendement n° 1841 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l'amendement n° 1550 .
Comme le précédent, il vise à augmenter les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse, mais seulement à hauteur de 30 millions d'euros. Ces moyens supplémentaires sont nécessaires pour augmenter le nombre de psychologues aidant ce public qui en a vraiment besoin.
L'amendement n° 1550 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Jérémie Iordanoff, pour soutenir l'amendement n° 1843 .
Par cet amendement, le groupe Écologiste – NUPES propose que toutes les victimes soient assistées d'un avocat lors des auditions, au titre de l'AJ. Bien que le droit à l'assistance d'un avocat ait été réaffirmé dans le code de procédure pénale en 2022, aucune ligne budgétaire ne permet à ce jour d'indemniser les interventions de l'avocat pour assister la victime au stade de l'enquête, à l'exception des séances de confrontation ou d'identification des suspects. Comme le souligne le récent rapport parlementaire « Plan rouge vif – Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales », une extension de l'AJ à la phase d'enquête permettrait notamment un meilleur accompagnement des victimes de violences intrafamiliales.
Cet amendement n'a pas été examiné par la commission. Avant de l'étendre, il est nécessaire de consolider le pilotage de l'AJ – ce à quoi j'ai appelé à de multiples reprises –, pour lui garantir un financement pérenne et soutenable. Avis défavorable.
L'amendement n° 1843 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l'amendement n° 1861 .
C'est un amendement « mieux-disant », qui vise à augmenter les moyens de l'AJ à hauteur de 100 millions d'euros, contre 80 millions dans l'amendement précédent.
L'amendement n° 1861 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Pascale Bordes, pour soutenir l'amendement n° 767 .
Il vise à abonder le budget consacré à l'accompagnement des victimes d'infractions, afin notamment de permettre l'augmentation du nombre de bracelets antirapprochement (BAR) et de téléphones grave danger.
On n'en manque pas.
Le rapport annuel de performances indique que l'aide aux victimes pénales bénéficiera en 2024 d'un budget de 46,5 millions d'euros, en hausse de 2 millions par rapport à 2023. S'il est louable, cet effort budgétaire n'en reste pas moins insuffisant pour lutter efficacement contre les violences conjugales, et singulièrement contre les violences faites aux femmes.
À titre d'exemple, l'Espagne, qui est régulièrement considérée comme un modèle en matière de lutte contre les violences faites aux femmes et s'est dotée d'une des lois les plus protectrices au monde sur ce sujet, y a consacré pas moins de 748 millions d'euros en 2021. Trois ans plus tard, la France ne prévoit que 46,5 millions d'euros, et même si elle a augmenté le nombre de TGD, elle en compte toujours quinze fois moins que l'Espagne.
Un effort considérable a déjà été consenti, mais nous n'avons plus le temps d'attendre : la logique du « quoi qu'il en coûte » doit aussi s'appliquer à la lutte contre des féminicides en hausse constante. Les tentatives de féminicides ont encore augmenté de 45 % en 2022 : il serait criminel de ne pas acquérir tous les matériels qui permettraient aux femmes de ne pas mourir sous les coups de leur conjoint.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Cet amendement n'ayant pas été examiné en commission, je m'en remettrai, à titre personnel, à la sagesse de l'Assemblée. Le déploiement de TGD et de BAR va dans le bon sens, mais le quantum est-il le bon ? Ce sujet, qui a pris toute sa place dans le débat public, mérite un échange avec M. le garde des sceaux.
Nous avons suffisamment de BAR en stock pour remplacer immédiatement auprès de la juridiction l'appareil qu'elle aurait attribué : tel est notre étalon. Auriez-vous eu connaissance d'une juridiction où un magistrat se serait retrouvé dépourvu de BAR alors qu'il aurait souhaité l'utiliser ? Comme je l'avais expliqué dans une circulaire – qui avait été d'ailleurs été qualifiée de comminatoire –, ces outils importants n'ont pas vocation à rester dans les tiroirs. Je pense avoir été entendu : 5 500 TGD et 1 028 BAR sont actifs dans tout le territoire. Dès lors que les dispositifs sont immédiatement remplacés lorsqu'un magistrat décide d'y avoir recours, je suis défavorable à votre amendement.
J'ajoute que nous présenterons bientôt un texte – en cours d'examen au Conseil d'État – tendant à raccourcir les délais des ordonnances de protection, qui pourront désormais être prises très rapidement par le procureur à la suite d'une courte phrase contradictoire. Le texte prévoira également la création de pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales. Je suis convaincu que toutes ces évolutions vont dans le bon sens.
Pour en revenir à votre amendement, nous ne manquons ni de BAR ni de TGD, et sommes suffisamment réactifs dans leur remplacement pour que les juridictions puissent recourir autant qu'elles le souhaitent – et elles le font de plus en plus – à ces outils qui permettent de sauver des vies – mais on n'en parle évidemment jamais, puisqu'aucune gazette ne titre sur un féminicide ou des violences évités. Si j'en comprends l'intention, je suis, je le répète, défavorable à votre amendement.
Contrairement à ce que vous affirmez, les juridictions manquent manifestement de ces matériels. Vous m'avez demandé si j'avais eu connaissance d'un dysfonctionnement : j'ai un exemple très récent. Il y a à peine un mois, le tribunal judiciaire de Nîmes a été dans l'incapacité de délivrer à une femme un TGD qu'elle avait pourtant attendu longtemps, au motif qu'il était dysfonctionnel. J'ignore quel était précisément le problème, mais elle n'a pas eu le téléphone en temps et en heure et a à nouveau subi les coups de son conjoint violent. Il existe donc bel et bien des dysfonctionnements. De nombreuses associations d'aide aux victimes comme les victimes elles-mêmes déplorent les difficultés rencontrées avec ces outils : peut-être faudrait-il les renouveler.
Je ne peux pas vous laisser dire ça. Si un TGD ne fonctionne pas, ce n'est ni de votre faute, ni de la mienne : c'est un aléa technique. Et un téléphone qui ne marche pas doit évidemment être remplacé – je répète que nous en avons à disposition.
J'en profite pour préciser, puisque vous ne l'avez pas fait – mais peut-être l'ignorez-vous –, que nous lancerons très prochainement une nouvelle génération de BAR, que je qualifie de BAR « 5G ». Ces outils, qui usent d'une technologie plus moderne, seront plus efficaces. Mécontent d'un opérateur, j'ai par ailleurs pris des dispositions fortes pour le remplacer :…
…les outils sont à disposition, et ils doivent fonctionner.
Mais ce n'est pas parce qu'un TGD était dysfonctionnel à Nîmes que tout le système doit être considéré comme défaillant : c'est bien loin d'être le cas. De même que vous pourriez tomber sur un appareil défectueux en achetant un smartphone, ce sont des choses qui arrivent…
…– et peut-être existe-t-il quelques autres cas en France. Cela ne doit pas pour autant conduire à remettre en cause la politique du ministère, qui encourage à utiliser au maximum ces outils devenus absolument indispensables pour lutter le plus efficacement possible contre les violences intrafamiliales.
L'amendement n° 767 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Pascale Bordes, pour soutenir l'amendement n° 768 .
L'amendement n° 768 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Béatrice Roullaud, pour soutenir l'amendement n° 1821 .
Il vise à augmenter les moyens, encore insuffisants, octroyés par l'État aux victimes de violences, particulièrement lorsqu'il s'agit de femmes et d'enfants. Des efforts doivent notamment être faits en matière de formation des professionnels de la justice et de suivi psycho-social des victimes.
On sait à présent qu'il est important d'être bien formé pour recueillir la parole de l'enfant, et qu'il est tout aussi nécessaire de suivre des formations pour mieux connaître les mécanismes d'emprise et de sidération que subissent les femmes victimes de violences, afin de mieux saisir leur discours et leurs réactions. Un policier ou un magistrat sera plus à même de questionner et d'auditionner – voire, pour ce dernier, de protéger et de juger – s'il est formé sur ces questions. Cette formation, préconisée par la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), est également indispensable pour mieux repérer les incestes. Il convient donc d'affecter plus de moyens à la formation des professionnels de la justice, des enquêteurs et du corps enseignant.
Ensuite, il paraît judicieux de renforcer les moyens dédiés au suivi psycho-social des jeunes victimes, en particulier aux victimes de violences sexuelles, car si le traumatisme n'est pas traité, il peut entraîner des affections – dépression, conduites addictives ou à risque, pathologies somatiques, incapacité de travailler pour l'enfant devenu adulte s'il présente des troubles graves – dont le coût sera bien supérieur pour la société à celui d'un suivi psycho-social. Forte de 10 000 témoignages, la Ciivise recommande ainsi dans sa quinzième proposition que les enfants victimes de violences sexuelles bénéficient de soins spécialisés de psychotraumatologie jusqu'à l'âge adulte.
Telles sont les actions qui pourraient être déployées si l'action 03, Aide aux victimes, bénéficiait d'un budget supplémentaire de 50 millions d'euros. J'espère donc que mon amendement sera adopté.
Je ne dispose pas du programme de formation de l'ensemble des personnels de justice, mais d'après les informations qui figurent sur son site internet, l'École nationale de la magistrature (ENM) considère la formation comme un outil majeur dans la prise en charge et le traitement des violences intrafamiliales. À ce titre, elle dispensera à la promotion 2023 des élèves magistrats une séquence pédagogique de trois jours dédiée à ces violences. L'association La Voix de l'enfant est également intervenue à plusieurs reprises à l'ENM.
Pour finir, je salue le très grand investissement de M. Édouard Durand, coprésident de la Ciivise et spécialiste de ces questions. Ce sujet important me semble bien couvert par les dispositifs de formation. À titre personnel, puisque la commission n'a pas examiné l'amendement, je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.
La prise en charge des enfants victimes est un sujet majeur. Au-delà de l'augmentation des subventions aux associations d'aide aux victimes, notamment mineures, le budget que j'ai l'honneur de vous présenter prévoit également des moyens pour développer les unités d'accueil pédiatrique des enfants en danger (Uaped).
Nous en voulions une par département à l'origine. Il en existe désormais 145 – j'ai inauguré celle de Brive-la-Gaillarde la semaine dernière – et je souhaite leur création dans le ressort territorial de chaque tribunal judiciaire.
Je pourrais également évoquer l'indemnisation des administrateurs qui aident les enfants, les chiens d'assistance judiciaire ou la formation des magistrats. Nous sommes très attentifs à cette question, qui vous préoccupe légitimement, mais à laquelle notre budget répond déjà. C'est pourquoi je suis défavorable à votre amendement.
Mme Béatrice Roullaud s'exclame.
L'amendement n° 1821 n'est pas adopté.
La parole est à M. Antoine Léaument, pour soutenir l'amendement n° 1446 .
Il vise à créer des pôles judiciaires de lutte contre les discriminations et les violences intrafamiliales, sexuelles et sexistes dans les tribunaux – M. Pradié a défendu la même idée il y a quelques mois, en plaidant pour la création de juridictions spécialisées. Cette idée avait alors recueilli l'assentiment de notre assemblée.
Il serait bon d'avancer. De tels pôles iraient de pair avec la formation de magistrats, fondamentale en la matière.
Mme Béatrice Roullaud s'exclame.
Quand les choses se passent bien, je sais le reconnaître. En l'espèce, le développement de la formation dans les commissariats et les gendarmeries a été une de vos priorités. Tout n'est pas parfait, mais la situation s'améliore également du fait de la prise en considération sociale. Nous estimons que la création de pôles spécialisés permettrait d'accélérer le mouvement.
Votre demande de création, dans les tribunaux, de pôles judiciaires de lutte contre les discriminations et les violences intrafamiliales, sexuelles et sexistes a été rejetée en commission. La Première ministre a annoncé cette année que près de 200 pôles spécialisés dans les VIF seront créés dans les tribunaux. Vous avez raison, la proposition avait été débattue dans l'hémicycle, et soutenue par notre collègue Aurélien Pradié. Votre amendement est donc en partie satisfait. Je laisserai le ministre vous répondre quant à la pertinence de l'extension des compétences de ces pôles aux violences sexuelles et sexistes.
À la suite des recommandations du remarquable rapport d'Émilie Chandler, députée, et Dominique Vérien, sénatrice, qui ont entendu plus de 400 témoins et se sont déplacées partout en Europe pour analyser ce qui se fait de mieux, l'idée de créer des pôles dédiés aux violences intrafamiliales a émergé. Le décret est à l'étude devant le Conseil d'État. Nous pourrons bientôt les mettre en place – le plus vite possible j'espère. En conséquence, avis défavorable.
L'amendement n° 1446 n'est pas adopté.
L'amendement n° 769 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Jérémie Iordanoff, pour soutenir l'amendement n° 1840 .
Nous proposons d'augmenter les moyens alloués à la lutte contre les violences intrafamiliales et, plus spécifiquement, au financement des structures de contrôle judiciaire avec placement probatoire des conjoints violents.
Le CJPP est un dispositif expérimental créé en 2020 à la suite du Grenelle des violences conjugales. Cet outil permet l'éviction immédiate du conjoint violent qui a l'obligation de fixer sa résidence au sein d'une structure déterminée par le magistrat, et qui se voit imposer une prise en charge assurée par une association habilitée et par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip).
Le groupe Écologiste – NUPES soutient ce dispositif qui présente de nombreux bénéfices : c'est à la fois un moyen d'assurer la protection des victimes et une alternative innovante à la détention provisoire, qui permet à l'auteur des violences de conserver une activité professionnelle et, surtout, d'être pris en charge.
Pour autant, cet outil prometteur n'est pas pleinement mobilisé : seules dix structures, disposant de 165 places, existent. Il faudrait au moins tripler le nombre de ces structures. En 2020, les rapporteurs de la mission d'information sénatoriale sur le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes estimaient que 6 millions d'euros seraient nécessaires pour financer vingt-huit centres ouverts à l'année.
L'amendement n° 1840 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Emeline K/Bidi, pour soutenir l'amendement n° 701 .
Il s'agit d'allouer des crédits supplémentaires au suivi des auteurs de violences intrafamiliales. La lutte contre ces violences a été déclarée grande cause nationale, et des moyens considérables ont été débloqués pour les victimes. Nous saluons ce résultat – il faut reconnaître quand les choses vont bien.
Notre amendement vise à consacrer également des moyens au suivi des auteurs, en créant notamment des centres de suivi spécialisés puisque l'expérimentation semble concluante. Il ne s'agit pas de faire preuve d'empathie envers les auteurs de telles violences, mais un meilleur suivi permettrait d'éviter la réitération des faits, protégeant ainsi mieux les victimes.
La commission ne s'est pas exprimée sur cet amendement. À titre personnel, je m'en remets à la sagesse de notre assemblée.
Le contrôle judiciaire avec placement probatoire a beaucoup évolué. Après l'expérimentation menée fin 2020 à Nîmes et Colmar, le dispositif a été étendu à huit sites supplémentaires dès avril 2022. Désormais, les 165 places d'hébergement représentent une dépense annuelle de 2,5 millions d'euros. Depuis la fin de 2020, 264 personnes ont été prises en charge dans le cadre d'un CJPP.
Le dispositif monte en puissance mais, je vous rassure, son financement est entièrement couvert par les crédits prévus pour 2024. Je suis donc défavorable à votre amendement.
Cet amendement est important car il met en lumière un sujet majeur. En effet, les ordonnances de protection ne sont pas toujours respectées et l'on s'aperçoit que l'auteur des faits revient parfois là où l'on lui a pourtant interdit d'aller, entrant en contact avec la victime, sans que l'institution dispose des moyens d'identifier de tels dysfonctionnements ou de les contrôler. Ces 2,5 millions d'euros doivent donc également permettre de financer un dispositif qui garantisse la bonne exécution des décisions de justice.
L'amendement n° 701 n'est pas adopté.
La parole est à M. Philippe Schreck, pour soutenir l'amendement n° 694 .
Il s'agit d'un amendement dont la portée financière est limitée – 2 millions d'euros – visant à augmenter le budget alloué au bracelet antirapprochement. Monsieur le ministre, vous estimez que, dans la mesure où chaque décision s'accompagne de la mise à disposition de matériel, il n'y a pas lieu d'augmenter le budget. Mais, au 1er juillet 2023, quand on comptait quelque 930 BAR en service en France, on en dénombrait 3 500 en Espagne. Si les violences intrafamiliales sont une grande cause nationale, comment expliquer une telle différence ? C'est tout simplement que le stock ne suit pas…
Et si, demain, il y a 1 000 demandes de bracelets antirapprochement, le stock ne suivra pas.
C'est pourquoi nous plaidons pour une montée en charge financière. L'Assemblée doit la voter car on ne peut pas dire, comme le fait le ministre, que ce n'est pas grave si cela ne fonctionne pas puisque cela arrive aussi parfois quand on achète un téléphone dans un magasin. Les enjeux individuels et collectifs sont ici bien supérieurs ! Un tel stock permettrait de pourvoir au remplacement de dispositifs qui, parfois, dysfonctionnent.
La commission ne s'est pas exprimée. À titre personnel, je m'en remets à la sagesse de notre assemblée.
Monsieur Schreck, vous avez repris à votre compte une partie de nos échanges sur ce fameux téléphone qui ne fonctionnait pas à Nîmes.
D'ailleurs, madame Bordes, je vous informe que je ferai appeler Nîmes demain. C'est aussi l'intérêt de l'échange avec les parlementaires !
Vous me parlez de l'Espagne. Mais les Espagnols ont été proactifs dès 2004, ce qui n'est pas notre cas. Pour autant, nous n'avons pas à rougir de l'évolution du déploiement des BAR et des TGD. En 2024, nous poursuivons la montée en charge de ces dispositifs, et le financement sera assuré sur les crédits du programme 107 en tant que de besoin, voire par redéploiement de crédits. L'abondement n'est donc pas nécessaire. Votre amendement étant satisfait, je vous propose de le retirer ; sinon j'y serai défavorable.
L'amendement n° 694 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Sarah Legrain, pour soutenir l'amendement n° 1457 .
Il s'agit d'un amendement d'appel plaidant pour une évaluation des besoins en bracelets antirapprochement et en téléphones grave danger dans les territoires. Notre débat illustre que nous ne sommes pas d'accord sur l'adéquation du nombre d'équipements aux besoins. Une étude permettrait d'évaluer les besoins dans les territoires et de répondre à cette question. En outre, une telle évaluation permettrait aussi au ministère de plaider, le cas échéant, pour un renforcement des moyens en s'appuyant sur les statistiques de terrain. Personne ici ne peut s'y opposer car une telle étude nous permettrait ensuite d'ajuster au mieux le budget.
Je comprends votre préoccupation, mais, je le répète, dès qu'un BAR est utilisé, un nouveau arrive automatiquement. Les juridictions sont donc déjà parfaitement en mesure d'exprimer leurs besoins en bracelets antirapprochement et en téléphones grave danger. Elles disposent déjà d'un stock. Nous n'avons pas besoin d'étude. N'ayez crainte : aucun justiciable ne sera démuni et tous peuvent être protégés. Avis défavorable.
J'entends ce que vous me dites, mais cela ne fonctionne pas ainsi pour les téléphones grave danger…
…– seulement pour les BAR. Je m'étonne aussi des chiffres que vous nous donnez : ils me semblent bien faibles rapportés au nombre de départements. Si on fait une simple division, on arrive en effet à 10 TGD par département. Il serait donc utile de disposer des chiffres exacts pour connaître les besoins précis des territoires.
Nous sommes opposés à cette mesure : il existe effectivement d'autres moyens d'obtenir les chiffres. Surtout, il n'est pas question de dépenser 1 million pour une étude qui prendra du temps – dans l'intervalle, les moyens feront défaut et les femmes continueront à mourir. Elles n'ont pas le luxe d'attendre : le temps est à l'action et pas aux études !
S'agissant des problèmes liés au téléphone grave danger, vous semblez oublier que ce ne sont pas les victimes qui demandent à bénéficier d'un téléphone ou d'un bracelet : c'est la juridiction qui le leur propose, et s'il n'y a pas de stock, elle ne le fait pas ! Ces données sont donc totalement faussées et je maintiens que nous manquons de matériel, de téléphones comme de bracelets.
Monsieur le garde des sceaux, j'entends vos réponses sur le nombre suffisant de téléphones grave danger et de bracelets antirapprochement, mais je souhaiterais vous poser une question. Il y a deux ans, à Épinay-sur-Seine, dans ma circonscription de Seine-Saint-Denis, une femme a été tuée par son conjoint alors qu'elle possédait un téléphone grave danger ; personne ne l'avait prévenue que son conjoint avait été libéré. Des dispositions ont-elles été prises pour éviter qu'une telle situation se reproduise ?
J'ai pris deux décrets qui me tiennent à cœur. Le premier permet de considérer l'enfant témoin de violences conjugales entre ses parents comme une victime, avec les droits afférents. Le deuxième permet que le conjoint – c'est généralement une femme – soit prévenu de la libération du détenu incarcéré pour des faits de violence à son encontre. Nous avons donné des directives très claires. L'administration est en effet tenue de signaler les libérations : ce texte, réglementaire, est aujourd'hui entré en application.
C'était indispensable, vous avez raison. De fait, quelques victimes se sont retrouvées face à leur bourreau, sorti de prison sans qu'elles le sachent.
Pour le reste, je maintiens que nous avons passé consigne aux juridictions de se faire livrer dès qu'elles utiliseraient un TGD ou un BAR ; la Chancellerie reste à leur disposition en cas de problème. Je ne comprends donc pas que certaines juridictions ne disposent pas du matériel nécessaire ; si tel est le cas, ce n'est en tout cas pas du fait de la Chancellerie.
Je suis sérieux quand je vous dis que j'appellerai la juridiction nîmoise : je le ferai parce que c'est mon boulot. Je vous promets que je leur demanderai pourquoi ce satané téléphone n'a pas fonctionné – alors qu'il est si nécessaire dans ce genre de situation –, pourquoi aucun autre n'était disponible et pourquoi les commandes qui auraient dû être passées ne l'ont pas été.
J'en profite pour vous dire qu'il ne faut pas hésiter, notamment lors des questions d'actualité au Gouvernement, à nous faire remonter des problèmes de ce type, dont vous pouvez avoir connaissance dans vos circonscriptions. Nous tenons vraiment à ce que les juridictions aient toujours ces outils à leur disposition. Je me répète, mais c'est une réalité.
Le risque zéro n'existe pas et je l'accepte : il peut toujours y avoir ici ou là une difficulté technique ou une défaillance humaine. Sachez cependant que ma politique en la matière est la suivante : dès qu'un outil est utilisé, il doit être automatiquement remplacé.
L'amendement n° 1457 n'est pas adopté.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement n° 1174 .
Nous avons évoqué les dysfonctionnements qui concernent l'approvisionnement en bracelets antirapprochement et en téléphones grave danger. Je voudrais en signaler d'autres, qui alourdissent le dispositif et poussent certaines juridictions, notamment Paris, à en attribuer particulièrement peu, si ce n'est pas du tout.
Ludovic Fossey, magistrat au tribunal de Créteil et membre de l'Association nationale des juges de l'application des peines (Anjap) estime ainsi que « sur le plan technique, c'est une catastrophe. Pour dix bracelets en cours, on a tous les jours trente ou quarante rapports. Dans la masse des rapports, de vrais incidents, il y en a relativement peu ». Cécile Delazzari, vice-présidente de l'Anjap, ajoute : « on est tellement noyés sous les alertes qu'on ne réussit pas à les regarder toutes en temps réel comme on le devrait. Ça tue l'efficacité. »
Des ressources supplémentaires doivent être accordées pour généraliser ce système de protection et le rendre plus efficace. Tel est l'objectif de cet amendement d'appel.
Cette vision des choses est insupportable !
Ce n'est pas bien faire ça !
La commission ne s'est pas exprimée sur le sujet. Il s'agit d'un amendement d'appel pour permettre au garde des sceaux d'apporter des précisions. Je m'en remets donc à la sagesse de cette assemblée.
Je vais être très franc : tant qu'à critiquer, on pourrait préalablement dire ce qui fonctionne bien. J'entends vos critiques – je pense même qu'elles sont légitimes. Cependant, en 2022, les bracelets antirapprochement ont déclenché 3 634 interventions des forces de sécurité intérieure. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'on a évité 3 634 crimes, mais sans ces interventions, certains faits auraient pu s'avérer extrêmement graves.
Ensuite, il est vrai qu'il y a eu des difficultés, notamment en région parisienne – pour des raisons purement techniques. Je suis incapable de vous expliquer les détails – je ne suis pas technicien –, mais cela semble tenir à la densité de population dans les grandes agglomérations.
Ces difficultés ont été résolues de deux façons : j'ai d'abord eu une réunion musclée avec les opérateurs, pour leur dire que, si les bracelets antirapprochement ne marchaient pas, nous irions voir ailleurs – ce que nous avons fait. Nous voulons aussi continuer à améliorer ces dispositifs en créant notamment un BAR « 5G » – pardonnez-moi si la formule n'est pas la bonne – pour gagner en efficacité, comme je l'ai annoncé tout à l'heure.
On peut certes voir le verre à moitié vide, mais on peut aussi le voir à moitié plein : ces outils ont fait leurs preuves. Qu'il y ait pu y avoir ici un téléphone qui ne fonctionne pas, là un nombre d'alertes trop important, ce qui a agacé le magistrat qui s'est exprimé sur la question, je le reconnais bien volontiers. Mais nous sommes déterminés à faire évoluer ces dispositifs pour qu'ils deviennent plus efficaces.
C'était exactement le but de mon amendement, qui était un amendement d'appel. Nous nous retrouvons sur ces constats. À Béziers aussi, nous avons notre lot de féminicides et de femmes qui sont victimes tous les jours des coups de leur conjoint ou de leur ex-conjoint. Je serais donc bien la dernière à remettre en cause le dispositif du bracelet antirapprochement et du téléphone grave danger. J'ai simplement pointé du doigt des dysfonctionnements que je n'ai pas inventés, mais qui ont été dénoncés par des magistrats. C'est l'objet de cet amendement : améliorons autant que possible les mécanismes qui sont à notre disposition – je pense que nous sommes tous d'accord sur ce point.
Et si pour ce faire il faut ajouter un peu d'argent, faisons-le. Nous sommes tous d'accord là-dessus, et je m'en réjouis !
L'amendement n° 1174 n'est pas adopté.
Je ne comprends pas bien la place de cet amendement ; peut-être s'est-il égaré ? Quoi qu'il en soit, nous allons changer de sujet et, le temps de mon intervention, nous transporter loin d'ici.
En Polynésie française, 58 % des terres sont en indivision. Cette situation s'explique au départ par la transposition du droit hexagonal en Polynésie, notamment pour la procédure d'enregistrement des terres. À la fin du Protectorat, en 1880, la propriété foncière n'étant pas clairement établie, l'État s'est approprié toutes les terres. Il en a ensuite rétrocédé certaines, en premier lieu à ceux qui avaient réussi à respecter les délais et la procédure – procédure pensée par les hommes de lois de l'Hexagone et totalement inadaptée au peuple polynésien, en particulier du fait de la barrière linguistique.
Le coût est un autre facteur limitant pour sortir de l'indivision. Une aide a été créée par une délibération en 2016, assortie d'un fonds doté de près de 1,340 million. La garde des sceaux de l'époque avait en fait grandement sous-estimé le nombre de dossiers, qui s'est avéré significatif.
Cet amendement propose donc une hausse de 50,4 millions d'euros des autorisations d'engagement et de 12,6 millions des crédits de paiement.
Cet amendement n'a pas été débattu en commission. Il s'agit d'un sujet extrêmement complexe et les contentieux sont légion, au point d'engorger les tribunaux, comme le rappelait un rapport sénatorial de 2016. Le ministère de la justice doit jouer son rôle en fournissant les moyens nécessaires et en assurant un suivi précis des dossiers fonciers. Cependant, du fait du statut de la Polynésie, c'est le pays qui détient les principaux leviers d'action. Je m'en remets donc à la sagesse de l'Assemblée.
L'amendement n° 1045 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l'amendement n° 1551 .
Cet amendement déjà défendu en commission vise à augmenter les crédits réservés à la formation dans les centres pénitentiaires. Cette charge relève certes des régions – mais elles ne peuvent l'assumer seules. La Chancellerie pourrait apporter son soutien à travers les crédits d'État mentionnés ici.
Qu'on le veuille ou non, le détenu sortira un jour de prison. Il lui faut un métier, auquel il doit être formé pendant son temps de détention. Monsieur le garde des sceaux, vous avez fait des efforts : vous allez nous répondre qu'il est désormais possible de travailler en prison et qu'on y signe même des contrats de travail. J'ai cependant pu constater que ces contrats portent sur des métiers – liés à la manipulation, à l'emballage – qui n'en sont pas véritablement et qui sont voués à disparaître. Aux détenus qui sortiront un jour ou l'autre de prison, il faut proposer des métiers d'avenir.
La commission a rejeté cet amendement, au motif que la formation professionnelle des détenus relève de la compétence des conseils régionaux.
L'amendement n° 1551 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Antoine Léaument, pour soutenir l'amendement n° 1438 .
Cet amendement d'appel vise à augmenter le budget relatif aux placements à l'extérieur, qui constituent une solution alternative à l'emprisonnement ; ils limitent les récidives et coûtent moins cher que le placement en prison. L'amendement a pour objectif d'augmenter tant la rémunération de la journée de placement que les budgets alloués aux associations, afin que celles-ci puissent travailler de manière satisfaisante.
Vous nous avez expliqué tout à l'heure que la création de nombreuses places de prison permettrait d'atteindre l'objectif d'encellulement individuel. Je vous soupçonne de vouloir emprisonner plus de gens, ce qui ne permettra donc pas d'atteindre cet objectif, mais admettons que l'on vous croie : d'une certaine manière, cet amendement ira dans votre sens, puisque le placement à l'extérieur est un moyen moins onéreux de parvenir à l'encellulement individuel, tout en évitant la récidive.
Je vous invite donc à adopter cet amendement d'appel – sachant qu'à la fin, le Gouvernement recourra au 49.3 pour foutre en l'air tout ce que nous aurons décidé.
La commission ne s'est pas exprimée sur cet amendement. À titre personnel, j'y suis défavorable parce qu'il ne faut pas opposer les différents dispositifs existants.
L'amendement n° 1438 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Comme celui que M. Léaument vient de défendre, cet amendement vise à augmenter les financements alloués aux mesures de placement à l'extérieur. De l'avis de nombreux professionnels, le placement à l'extérieur est la modalité d'exécution de la peine la plus adaptée aux personnes condamnées qui sont isolées et fragilisées. Il permet de sanctionner sans exclure, et constitue à ce titre un levier d'insertion et de prévention de la récidive particulièrement efficace. Les chiffres, si on les regarde de près, sont assez éloquents.
Le placement à l'extérieur est de loin la mesure la moins prononcée. Au 1er juillet 2023, seules 968 personnes en ont bénéficié, en raison du manque de structures. Ce chiffre est dérisoire ; l'explication en est assez simple. Le prix de journée attribué aux associations ne correspond pas au coût de la prise en charge. En conséquence, celles-ci se désengagent du dispositif, ce qui ne permet pas d'accueillir tous ceux qui pourraient en bénéficier. Les moyens engagés s'élèvent à 13,9 millions d'euros pour 2024, ce qui est très faible ; nous proposons simplement de les augmenter un peu.
Avis défavorable sur cet amendement, qui a été rejeté par la commission.
Même avis.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 56
Nombre de suffrages exprimés 56
Majorité absolue 29
Pour l'adoption 12
Contre 44
L'amendement n° 1839 n'est pas adopté.
L'amendement n° 702 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Sarah Legrain, pour soutenir l'amendement n° 1449 .
Cet amendement de cohérence vise à prévoir un accompagnement juridique pour les travailleurs des plateformes qui souhaiteraient entamer des démarches de requalification pour être reconnus comme salariés. Malgré plusieurs décisions de justice – notamment l'arrêt Uber du 4 mars 2020 de la Cour de cassation –, vous vous obstinez à refuser la présomption de salariat ; vous refusez de considérer que ces travailleurs sont en réalité des salariés déguisés, que leurs plateformes ne reconnaissent pas comme tels.
Si vous ne reconnaissez pas la présomption de salariat de ces travailleurs, il faut les aider à aller en justice pour réclamer leur requalification. En effet, ces démarches prennent du temps et demandent un accompagnement. Si vous ne considérez pas ces travailleurs comme des salariés et pensez qu'ils doivent recourir à la justice pour le prouver – celle-ci a d'ailleurs tranché en leur faveur dans de nombreux cas –, vous devez les aider à faire valoir leurs droits.
Premièrement, l'élaboration du dialogue social entre les plateformes et les travailleurs ayant conclu un contrat commercial avec elles est désormais assurée par l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (Arpe), qui a été créée en 2021. Deuxièmement, au printemps dernier, trois accords ont été signés, qui visent à renforcer les droits des livreurs indépendants de ces plateformes. Troisièmement, comme tous les justiciables, les travailleurs des plateformes peuvent bénéficier de l'aide juridictionnelle pour leur contentieux avec les entreprises pour lesquelles ils assurent une prestation de service. Ces trois arguments ont abouti au rejet de l'amendement par la commission. Avis défavorable.
Même avis.
Il nous est difficile de comprendre pourquoi vous vous opposez à cet amendement. Le peuple a intérêt à ce que les personnes ubérisées, ces salariés déguisés, accèdent au statut de salariés effectifs. Collectivement, nous y avons tous intérêt. Ces travailleurs ont un statut de microentrepreneurs et travaillent, la plupart du temps, pour un seul donneur d'ordre ; parfois pour deux ou trois, parce qu'il est préférable d'être inscrit sur plusieurs plateformes pour obtenir des revenus suffisants.
Contre l'avis du peuple tout entier, vous avez réformé notre système de retraite. Or salarier ces travailleurs est un moyen de financer celui-ci. Si vous voulez faire tourner ce système, vous avez intérêt à salarier des gens. Vous ne vous attendiez pas à cet argument !
Mme Béatrice Roullaud s'exclame.
Puisque nous défendons ici l'intérêt général et que je ne doute pas que vous préfériez défendre ce dernier plutôt que l'intérêt privé des boîtes comme Uber, nous vous invitons tous à voter cet amendement visant à ce que la justice fasse respecter la loi de la France.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 57
Nombre de suffrages exprimés 57
Majorité absolue 29
Pour l'adoption 12
Contre 45
L'amendement n° 1449 n'est pas adopté.
Ce sont deux amendements de mon collègue Seitlinger. Le n° 863 vise à transférer 35 millions de crédits de la mission "Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales" , du programme Justice judiciaire, vers la mission "Soutien et formation" du programme Administration pénitentiaire, afin de revaloriser les salaires des personnels pénitentiaires.
L'amendement n° 862 vise à redéployer les crédits du programme Justice judiciaire vers le programme Administration pénitentiaire, afin de permettre la construction de places de prisons supplémentaires.
Ces deux amendements n'ont pas été débattus en commission. Je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l'amendement n° 1552 .
J'ai évoqué tout à l'heure à la tribune l'importance de la justice restaurative, qui n'est plus à démontrer ; vous en êtes vous-même convaincu, monsieur le ministre. Dès 2024, nous devons envoyer un message fort aux magistrats, en leur faisant savoir que 30 millions d'euros sont réservés à la justice restaurative et qu'ils doivent s'en servir. Si nous ne le faisons pas, nous perdons du temps ; or nous devons agir très vite, tant la justice restaurative est essentielle à la lutte contre la récidive.
Je vous ai parlé du Québec, je pourrais tout aussi bien vous parler des violences intrafamiliales ; la justice restaurative est essentielle. Sans opposer l'enfermement aux mesures alternatives à la détention, elle doit les accompagner. Faire figurer une intention dans le rapport annexé me semble insuffisant ; ce n'est pas à la hauteur du sens que nous devons donner à la peine. La justice restaurative marquera ce texte comme la majoration des crédits tente de le faire.
Mme Untermaier vient d'insister sur le rôle spécifique et pertinent de la justice restaurative. La commission des finances a donné un avis négatif. À titre personnel, sagesse.
Madame Untermaier, j'ai déjà eu l'occasion de dire que la justice restaurative méritait d'être développée. Avec certains parlementaires, dont vous-même, je suis en train d'y travailler.
La majorité des crédits de l'action Aide aux victimes est destinée aux associations locales qui accompagnent les victimes d'infractions pénales et qui recourent déjà à des mesures de justice restaurative. Du point de vue organisationnel, un Comité national de la justice restaurative (CNJR) réunit les directions et les services du ministère pour coordonner les efforts. Le budget proposé dans le PLF me semble plus adapté aux besoins identifiés sur le territoire, ainsi qu'à la structuration de la démarche et de l'offre au niveau local. Il œuvre en particulier au déploiement d'une offre de justice restaurative partout sur le territoire, en dépassant toutes les disparités constatées.
J'émets un avis défavorable sur cet amendement. Assez prochainement, nous aurons l'occasion d'évoquer à nouveau la justice restaurative, qui me paraît indispensable. C'est une justice d'une très grande modernité et d'une très grande efficacité – je le dis sans remettre quoi que ce soit d'autre en cause. La justice restaurative ne se conçoit qu'avec le volontariat et l'engagement des parties prenantes, notamment des victimes, sans lesquelles rien n'est possible. Je le répète, madame Untermaier, nous reviendrons sur cette question qui me semble fondamentale.
Je vais nous faire gagner du temps. Je soutiens l'amendement n° 1152 et j'en profite pour défendre l'amendement suivant, n° 1450, qui est analogue.
Pour celles et ceux qui ne sauraient pas ce qu'est la justice restaurative – parfois, à la commission des lois, nous sommes assez jargonnants –, elle consiste à effectuer une médiation entre l'auteur d'un acte et la victime. Par la parole, il s'agit de responsabiliser l'auteur, afin d'éviter la récidive et de permettre à la victime de se reconstruire.
Monsieur le garde des sceaux, je comprends que vous souhaitez approfondir cette question et avancer. L'Assemblée nationale peut envoyer des signaux. En votant l'amendement de Mme Untermaier – si vous souhaitez faire des économies, le budget prévu par notre amendement est inférieur de 10 millions d'euros –, elle enverrait un bon signal, notamment au Gouvernement sur l'urgence de prendre en considération la justice restaurative.
L'amendement n° 1552 n'est pas adopté.
L'amendement n° 1450 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Je vous indique qu'il reste 90 amendements à examiner ; cet après-midi, nous en avons examiné 60.
La suite de la discussion budgétaire est renvoyée à la prochaine séance.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2024 : suite de l'examen des crédits de la mission "Justice" .
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra