Le projet de budget 2024 de la mission "Justice " respecte la trajectoire prévue par la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, adoptée définitivement le 11 octobre au Sénat. Il s'agit d'un budget en augmentation, de 13,72 % en autorisations d'engagement (AE) et de 5,10 % en crédits de paiement (CP). Hors contribution au compte d'affectation spéciale (CAS), les crédits de paiement du ministère de la justice s'établiraient à un peu plus de 10 milliards d'euros, en augmentation de 500 millions par rapport à 2023.
Dans le détail, hors titre 2, c'est le programme 166, Justice judiciaire, qui porte l'essentiel de la hausse des crédits, l'augmentation considérable des AE du programme 107, Administration pénitentiaire, s'expliquant pour une large part par le renouvellement des marchés de gestion déléguée, à hauteur d'environ 1 milliard d'euros. On peut noter également l'augmentation de 14 millions d'euros des frais de justice, dépenses que le ministère ne parvient pas à rationaliser malgré le lancement d'un plan de maîtrise en la matière.
En ce qui concerne l'administration pénitentiaire, la programmation immobilière déçoit. Les AE et les CP de cette ligne sont en baisse alors que le calendrier de mise en œuvre du plan « 15 000 » – 15 000 nouvelles places de prison à l'horizon 2027 –, désormais plan « 18 000 », devrait se traduire par un très fort volume d'engagements en 2024 et en 2025. Or nous constatons l'inverse puisque les crédits d'investissement diminuent en 2024 de 60 millions en AE et de 32 millions en CP. Une véritable dégringolade s'annonce même pour 2025, avec la chute de près de 80 % des AE, qui passent à 148 millions, avant de remonter en 2026 pour atteindre près de 1 milliard, notamment en raison des importants travaux de réhabilitation de la prison de Fresnes. Si ces variations sont normales lorsqu'il s'agit de grands projets d'investissement, le calendrier prête à interrogations. Ces signaux confirment le retard pris dans le plan de construction de nouvelles places de détention, comme je l'ai montré au printemps dernier dans mon rapport d'information sur la planification de la construction des prisons. Les investissements seront, pour l'essentiel, lancés en fin de programmation.
En ce qui concerne les emplois, les hausses prévues sont les bienvenues. Dans le programme 166, les dépenses de personnel sont en augmentation de plus de 8 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, notamment du fait de la création de 1 274 emplois pour renforcer les juridictions. Quant au programme 107, la hausse de 5,7 % des crédits du titre 2 est liée en partie à la création de 447 emplois, ainsi qu'aux nouvelles mesures catégorielles dont bénéficient les personnels pénitentiaires. Ces chiffres sont conformes aux prévisions de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, à l'exception de l'administration pénitentiaire qui voit ses autorisations d'engagement diminuer parallèlement au ralentissement observé dans les opérations de construction de places de prison, destinées à appliquer le principe d'encellulement individuel.
Néanmoins, rien n'assure à ce jour que la programmation retenue contribuera réellement à renforcer l'efficacité de la justice, qui se heurte régulièrement à d'importants problèmes structurels tels que le poids des restes à payer ou la non-maîtrise des dépenses. Deux récents rapports de la Cour des comptes sur l'aide juridictionnelle (AJ) et sur les centres éducatifs fermés (CEF) démontrent à quel point le ministère de la justice a du mal à transformer l'essai – si vous me permettez l'expression. Je réitère le souhait que le secrétaire général du ministère de la justice assume enfin pleinement le rôle d'instance de pilotage qui lui est assigné. La croissance des crédits ne fait que renforcer ce besoin, elle ne doit pas contribuer à le masquer.
Le rapport remis par Jean-Marc Sauvé à la suite des états généraux de la justice dresse un tableau particulièrement sombre : dégradation de l'institution judiciaire, souffrance du personnel, incompréhension des justiciables – les mots sont forts et évoquent une réelle désespérance collective. Les retards du plan de construction de nouvelles places de prisons ne sont plus tolérables étant donné la forte attente de nos concitoyens en matière de sécurité et d'efficacité de la chaîne pénale. Aussi, monsieur le garde des sceaux, quelles décisions envisagez-vous en matière d'organisation, de pilotage et de suivi afin que les hausses de moyens prévues dans ce budget pour 2024 aient pour effet concret et visible de diminuer les délais de jugement et de baisser le taux de surpopulation carcérale ?
Pour les différentes raisons que je viens d'évoquer, j'émets un avis défavorable sur les crédits de la mission "Justice" . Je souhaite ainsi alerter le ministère et le Gouvernement quant à la nécessité d'améliorer l'efficacité du pilotage de la justice.