La séance est ouverte.
La séance est ouverte à seize heures.
Permettez-moi de dire ma satisfaction d'échanger avec la représentation nationale au sujet de la Nouvelle-Calédonie, magnifique archipel qui se trouve au cœur des évolutions politiques et institutionnelles françaises depuis très longtemps. Je sais que votre chambre suit avec une attention particulière les enjeux relatifs à ce territoire.
Avant de présenter plus en détail le projet de loi organique que le Gouvernement a souhaité vous soumettre, je commencerai par rappeler les objectifs politiques que nous cherchons collectivement à atteindre.
À la suite des accords de Matignon et de Nouméa, la Nouvelle-Calédonie a connu trente années de statut transitoire, dans l'attente de l'exercice par les Calédoniens de leur droit à l'autodétermination prévu par la Constitution. Ces trois référendums d'autodétermination se sont déroulés sous le premier mandat du Président de la République dont je tiens à souligner le courage – ainsi que celui de ses Premiers ministres successifs – car ces consultations, imaginées jadis, n'avaient jusqu'alors jamais été organisées. Elles se sont tenues dans des conditions de parfaite régularité, sous le contrôle d'experts de l'ONU. Par trois fois, les Calédoniens ont dit « non » à l'indépendance.
L'accord de Nouméa prévoyait que les différentes parties se réunissent, si le « non » l'emportait à l'issue des trois consultations, afin d'« examiner la situation ainsi créée », sans toutefois donner de précisions supplémentaires quant à la suite du processus. Au lendemain du troisième référendum, qui s'était tenu après la réélection du Président de la République, la Première ministre Élisabeth Borne a donc invité l'ensemble des parties prenantes à une convention des partenaires, à Matignon, le 22 octobre 2022 – les représentants du FLNKS, le Front de libération nationale kanak et socialiste, n'ont malheureusement pas souhaité s'y rendre.
Le Président de la République et la Première ministre m'ont alors confié la mission de renouer les fils du dialogue entre tous les partenaires politiques, dont l'État bien sûr fait partie, afin de créer les conditions permettant de bâtir un nouveau statut du territoire, à l'intérieur de la France et de la République, par la voie du consensus, ce qui se concrétiserait par un accord politique global.
Le Gouvernement n'a pas ménagé ses efforts pour atteindre cet objectif. Je me suis moi-même rendu en Nouvelle-Calédonie sept fois en trois ans. De nombreuses réunions ont été organisées à Nouméa ou à Paris, dans différents formats – réunions bilatérales, trilatérales ou même en aparté, je mentionne là des nuances que seuls les Calédoniens, sans doute, perçoivent parfaitement – avec l'ensemble des forces politiques locales afin de les accompagner dans la démarche d'élaboration d'un nouvel accord, conforme à la trajectoire prévue par l'accord de Nouméa. Il s'agissait donc de prendre en considération la nouvelle situation et d'accueillir, bien sûr, la Nouvelle-Calédonie au sein de la République, en respectant le choix des Calédoniens.
Ces réunions visaient également à expertiser différentes options concernant l'organisation institutionnelle du territoire, particulièrement complexe. Il compte en effet cinq institutions – trois provinces, un Congrès et un gouvernement – pour moins de 300 000 habitants. Parfois, les objectifs de politique publique sont difficilement atteignables : songez qu'il existe en Nouvelle-Calédonie trois codes de l'environnement, un par province, ce qui rend difficile la lutte contre le réchauffement climatique.
L'État a pris toute sa part dans la recherche d'un accord. Le Gouvernement a déjà proposé un texte, un document dit martyr, dans lequel sont présentées de nombreuses dispositions, sur de multiples sujets, y compris les modalités d'autodétermination.
Les accords ont également introduit dans notre droit la notion de citoyenneté calédonienne, concrétisant le destin commun des communautés qui vivent sur le territoire. Fait exceptionnel : la Constitution reconnaît deux citoyennetés, française et calédonienne – l'une n'étant bien sûr pas exclusive de l'autre sur l'archipel.
La citoyenneté calédonienne, telle qu'imaginée par l'accord de Nouméa, ne se définit que par le droit de voter en Nouvelle-Calédonie. Or nous serons tous d'accord ici pour considérer que la citoyenneté ne se résume pas au vote sur un territoire. Je précise au passage que la citoyenneté calédonienne se conçoit au sein de la citoyenneté française. Il faut savoir qu'aujourd'hui, pour certains scrutins, le corps électoral est restreint aux habitants ayant la légitimité d'une durée suffisante de résidence sur le territoire.
De fait, trois listes électorales coexistent en Nouvelle-Calédonie. La première, la liste électorale dite générale, applicable dans l'ensemble du territoire de la République, est utilisée pour les élections nationales, la présidentielle et les législatives, et pour les élections municipales. La deuxième est la liste dite référendaire, celle qui permet aux Calédoniens de voter pour ou contre l'autodétermination prévue par la Constitution – souhaite-t-on ou non rester Français ? Il n'est pas question de modifier ces deux listes.
La troisième liste, dite provinciale, sert à élire les représentants aux assemblées des trois provinces – qui ont les mêmes compétences que les régions dans l'Hexagone, avec peut-être davantage de pouvoir encore –, dont certains élus sont aussi membres du Congrès, sachant que ces derniers décident de la majorité qui gouverne la Nouvelle-Calédonie, territoire autonome dans la République.
Le scrutin provincial est important à double titre. D'une part, ces assemblées locales disposent d'un pouvoir local considérable dans le cadre de l'autonomie très large qui est reconnue au territoire ; d'autre part, les résultats de ces élections déterminent également les rapports de force politiques qui permettent de savoir qui dirigera le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
Depuis la révision constitutionnelle de 2007, seules les personnes inscrites sur les listes électorales au moment de l'accord de Nouméa de 1998 ont le droit de voter aux élections provinciales. Autrement dit, certains Calédoniens, nés en Nouvelle-Calédonie, de parents calédoniens, ne peuvent pas voter pour désigner ces élus locaux. De même, si vous allez vivre, travailler, payer des impôts ou fonder une famille en Nouvelle-Calédonie, même si cela dure quinze ou vingt ans, vous ne pourrez pas davantage voter pour le représentant qui décidera de la politique économique ou environnementale dans votre province, alors même que ces assemblées, comme celle du Congrès, adoptent les lois du pays qui régissent votre quotidien, recouvrent l'ensemble des impôts et déterminent des choix politiques fondamentaux pour le territoire. Seuls les pouvoirs régaliens – police, justice et armée – sont encore à la main de l'État français.
Pour être complet, il faut préciser que le corps électoral prévu pour les référendums d'autodétermination est, lui, paradoxalement, plus large que celui des élections provinciales. Autrement dit, moins d'électeurs peuvent voter pour les élections provinciales que pour ou contre l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie alors même que cet enjeu est plus identitaire. Singulier paradoxe, reconnaissez-le. Ainsi les personnes qui comptent vingt années de résidence en Nouvelle-Calédonie peuvent-elles voter au référendum, et ce sans justifier d'une inscription sur les listes électorales à une période donnée. En résumé, il est plus facile de voter pour ou contre l'indépendance que pour choisir son représentant local – voilà, monsieur le rapporteur, le paradoxe calédonien.
Si le gel du corps électoral provincial ne concernait, lors de son vote par le Parlement réuni en Congrès en 2007, que 8 338 électeurs, soit 7,5 % de l'électorat calédonien, ce chiffre est passé à 42 596 en 2023, soit un électeur sur cinq tout de même. Pour accepter cette dérogation au principe constitutionnel d'égalité devant le suffrage, le constituant s'était appuyé sur ces données initiales ainsi que sur son caractère « transitoire » – le mot figure dans le texte constitutionnel de ces dispositions, prévu expressis verbis par l'accord de Nouméa. Comme mon prédécesseur Dominique de Villepin l'avait lui-même précisé devant le Congrès réuni à Versailles en 2007, ce gel ne valait, strictement, que pour les élections provinciales de 2009 et de 2014, dans le cadre des accords.
Tout en restant fidèle à l'esprit de l'accord de Nouméa et sans vouloir revenir sur la notion de citoyenneté calédonienne, le Gouvernement a pris ses responsabilités et s'est donc engagé à corriger cette distorsion, qui n'est en aucun point conforme à l'exercice du droit de suffrage dans une démocratie, et encore moins sur le territoire de la République française.
Le Président de la République et le Gouvernement ont en effet toujours affirmé leur intention de procéder à un élargissement du corps électoral par une initiative unilatérale si aucun accord n'était atteint avant la fin de l'année 2023. Cette initiative, annoncée à de multiples reprises, n'est donc en aucun cas une surprise. Elle favorise, me semble-t-il, les discussions – n'est-ce pas, monsieur le rapporteur ? –, dans la mesure où les indépendantistes et les non-indépendantistes se sont enfin réunis seuls, sans la présence de l'État, depuis le dépôt de ces deux projets de loi. D'aucuns estimeront que c'est un hasard, je préfère y voir la main heureuse de l'État.
Cette réunion constitue une première depuis quatre ans. D'ailleurs, j'ai encore appris récemment que l'Union calédonienne avait informé le groupe dit loyaliste qu'il se réunirait vendredi prochain – la discussion de ce jour au sein de votre assemblée n'est sans doute pas pour rien dans ces hasards calédoniens. Je souhaite très sincèrement que cette dynamique ne s'éteigne pas et que le dialogue puisse continuer et aboutir à un consensus, une hypothèse que ne vient nullement refermer le projet de loi que je présente devant vous.
Ce texte retient une voie médiane pour dégeler le corps électoral provincial en fixant à dix ans la durée de résidence, comme le prévoyaient déjà les accords de Matignon et de Nouméa de Lionel Jospin, ce qui représente un compromis acceptable par les deux parties, comme le démontrent les textes signés lors de ma venue à Nouméa.
Il s'agissait, vous le savez, de la première interprétation, faite par le Conseil constitutionnel, de la lettre de l'accord de Nouméa. Le Gouvernement propose également d'y ajouter les natifs, qu'ils soient Kanaks ou non – je tiens à le souligner car certains Kanaks naissent aujourd'hui sur leurs terres en étant privés du droit de vote en raison de ces règles juridiques devenues paradoxales –, une demande formulée par le FLNKS. Le nouveau corps électoral accueillera ainsi près de 25 000 électeurs supplémentaires.
Vous en conviendrez, exiger d'une personne qu'elle ait vécu pendant dix ans, de façon continue, sur un territoire – imaginons par exemple qu'elle y ait payé ses impôts, qu'elle y ait résidé et mené une vie de famille – pour lui donner le droit de voter à des élections locales est déjà une mesure extraordinaire, hors du droit commun. Nous ne connaissons pas d'autres démocraties qui imposent, sur une parcelle de leur territoire, une telle dérogation au régime électoral – lequel constitue pourtant une règle de droit commun. Nous ne connaissons pas d'autres pays qui interdisent à certains, nés sur leur sol, de voter à des élections locales alors même qu'ils en ont acquis la citoyenneté. Je le répète, certains habitants de l'archipel ne peuvent voter aux élections locales alors même qu'ils sont citoyens calédoniens.
Il ne s'agit donc pas, contrairement à ce que l'on entend dire parfois, d'imposer l'option d'un camp au détriment d'une autre mais de retenir, faute d'accord intervenu dans l'année précédant le renouvellement des assemblées de province – en l'occurrence, l'élection doit se tenir au mois de mai –, une formule de compromis équilibrée, respectueuse de notre démocratie et de nos engagements internationaux.
J'en viens à la question qui nous occupe directement aujourd'hui, celle du report de la date du scrutin des élections provinciales. À l'heure où je vous parle, le mandat des membres du Congrès et des assemblées de province arrivera à son terme le 12 mai prochain qui est donc, en l'état, la date la plus tardive possible pour l'organisation d'élections locales en Nouvelle-Calédonie. Le Gouvernement – en particulier votre serviteur, en raison de ses fonctions – est tenu de convoquer les électeurs quatre semaines au moins avant la date du scrutin, c'est-à-dire au plus tard le 12 avril 2024.
La loi constitutionnelle prévoyant le dégel de ce corps électoral ne pourra manifestement pas être définitivement adoptée et promulguée d'ici le 12 avril, ni même d'ici le 12 mai, en raison des délais incompressibles d'une révision constitutionnelle et de sa mise en œuvre pour réviser la liste et organiser le scrutin – j'en profite pour saluer le travail du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et de toutes ses équipes. Le Gouvernement souhaite donc reporter l'organisation du scrutin, conformément à l'avis du Conseil d'État, pour le tenir avec un corps électoral partiellement dégelé puisque fixé à dix ans de résidence minimum, critère conforme aux accords de Nouméa signés sous Lionel Jospin. Le Conseil d'État, toujours sourcilleux sur les questions électorales, a eu l'occasion de confirmer que l'examen en cours du projet de loi constitutionnelle constituait un motif d'intérêt général largement suffisant pour motiver le report de l'élection. Soyons clairs : l'alternative, à savoir tenir les élections à l'heure initialement prévue avec le corps électoral gelé actuel nous exposerait à un risque juridique majeur puisqu'il ne fait aucun doute que le décret de convocation des électeurs serait attaqué et le résultat des élections à coup sûr contesté avec des arguments solides. Il faudrait reconvoquer les électeurs après avoir modifié le corps électoral, ce qui nous ferait perdre beaucoup de temps alors que les résultats de ces élections sont importants dans ce territoire encore en proie à une grave crise économique, notamment du fait de la chute du cours du nickel.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement de la République propose de décaler le scrutin au plus tard au 15 décembre 2024, grâce à ce projet de loi organique que vous ne manquerez pas, je l'espère, mesdames, messieurs les députés, de voter comme l'ont fait les sénateurs. Cette échéance est à la fois ambitieuse – en raison des étapes préalables que j'ai évoquées, notamment celle de la révision des listes électorales –, mais réaliste. Elle permet de respecter, en tout état de cause, l'année civile où il était prévu que le scrutin intervienne.
Le principe du report et le nouveau délai prévus dans ce texte ont par ailleurs été approuvés à une très large majorité par le Congrès de Nouvelle-Calédonie où, je le répète, les indépendantistes sont pourtant majoritaires. Ainsi, l'UNI-Palika (Union nationale pour l'indépendance-Parti de libération Kanak) a contribué à ce qu'il le soit à trente-huit voix contre seize, et vous avez souligné dans votre rapport, monsieur Dunoyer, que même l'Union calédonienne admettait l'idée d'un report. Celui-ci fait donc consensus du côté des indépendantistes comme de celui des non-indépendantistes.
Enfin, j'appelle votre attention sur le fait que le report du scrutin ne préjuge en rien de la signature possible d'un accord, ce que nous souhaitons tous, soit avant l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle le 1er juillet, soit entre cette date et le jour du scrutin au second semestre. Dans ce dernier cas, c'est-à-dire si la perspective d'un accord se dessinait de façon sérieuse, le projet de loi constitutionnelle comprend une disposition qui permettrait au Gouvernement de provoquer un nouveau report de la date du scrutin, au plus tard en novembre 2025, le temps de soumettre au Parlement un autre projet de loi constitutionnelle ou des modifications de la loi constitutionnelle en cours ainsi qu'un projet de statut organique qui tirent toutes les conséquences dudit accord.
Bref, si un accord se dessine – la date de vendredi prochain étant, espérons-le, une première étape –, le Gouvernement suspendra son stylo le temps de transférer dans la législation nationale l'accord local, ce qu'il a toujours souhaité depuis maintenant presque trois ans de discussions.
J'ai pris connaissance des amendements déposés concernant le calendrier arrêté, nous allons en débattre, mais cet historique me permet d'ores et déjà de répondre aux auteurs d'une partie d'entre eux. Je veux que ce soit clair et qu'il n'y ait aucune ambiguïté : notre destin collectif consiste bien à parvenir à un accord global comprenant tous les Calédoniens, qu'ils soient indépendantistes ou non-indépendantistes. Le Gouvernement a toujours signifié aux partis politiques locaux que s'ils parvenaient à trouver un accord, il l'étudierait avec grand intérêt et le proposerait au Parlement. Mais l'État est là pour garantir l'intérêt général et ne peut accepter indéfiniment la procrastination, ni surtout empêcher des Français calédoniens, y compris ceux nés sur terre calédonienne de parents calédoniens, de voter à une élection locale. Être contre ce projet de loi organique et contre le projet de loi constitutionnelle que nous allons présenter, c'est être contre une forme de démocratie qui fait la France depuis 1789. La vie démocratique, assurance de la continuité des institutions locales, ne peut pas s'interrompre indéfiniment. Les Calédoniens, depuis très longtemps, demandent de la certitude pour pouvoir investir, vivre et remonter une économie qui connaît des difficultés. Je tiens à rappeler aux parlementaires nationaux que c'est bien les cotisations et les impôts payés par les Calédoniens qui font vivre leur système social, et non pas la solidarité nationale. Excepté lorsque le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie demande de l'aide, ce qui n'est la volonté, je le sais, ni des indépendantistes ni des non-indépendantistes, alors que le développement économique devrait permettre à cette magnifique terre d'Océanie de vivre sans le soutien économique du pays.
Quatre années se sont écoulées depuis la dernière consultation. Il est de la responsabilité de l'État de garantir la continuité des institutions, la régularité des échéances démocratiques et bien sûr l'expression du droit de suffrage dans l'ensemble des territoires de la République. C'est l'objet de ce projet de loi organique et ce sera celui du projet de loi constitutionnelle que je vous présenterai.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
La parole est à M. Philippe Dunoyer, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Par les accords de Matignon-Oudinot des 26 juin et 20 août 1988, et par l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, la Nouvelle-Calédonie s'est engagée dans un processus unique, négocié et constitutionnalisé ensuite, de décolonisation et d'émancipation au sein de la République française. En trente-cinq ans, nous avons parcouru un chemin immense en direction du rééquilibrage, de l'exercice partagé des responsabilités institutionnelles, de la pleine reconnaissance de l'identité kanak et de la légitimité des autres communautés, de la création d'une citoyenneté calédonienne, de l'insertion du territoire dans son environnement régional, du transfert progressif des compétences de l'État à la Nouvelle-Calédonie, de l'affirmation d'un destin commun pour les Calédoniens de toutes les communautés et de l'exercice du droit à l'autodétermination.
Mais après l'organisation des consultations référendaires, lors desquelles les Calédoniens ont, par trois fois, décidé de demeurer au sein de la République française, l'accord de Nouméa est arrivé à son terme. Une nouvelle solution politique et institutionnelle doit être définie, comme le prévoyait ledit accord qui, certes laconiquement, indiquait ceci en cas de triple « non » lors des consultations : « Les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ». Cette démarche a été engagée depuis deux ans par l'État et par les partenaires locaux ; après la visite du Président de la République sur le territoire en juillet dernier, un projet d'accord a été proposé par le Gouvernement comme base de discussion, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre. Hélas, l'Union calédonienne, principale formation indépendantiste, a refusé de s'engager dans ce processus, et ce texte n'a plus fait l'objet d'aucun échange depuis quatre mois maintenant. Des initiatives locales ont été prises par les non-indépendantistes, vous l'avez également rappelé, monsieur le ministre, mais elles n'ont pas abouti, même si un certain nombre de convergences susceptibles de constituer le socle d'un accord ont pu être identifiées.
Mais une échéance s'impose à tous : le mandat des membres des assemblées de province et du Congrès s'achève en mai prochain et un report des élections est indispensable. C'est bien pourquoi le Gouvernement a déposé le présent projet de loi organique sur lequel le Congrès de Nouvelle-Calédonie a émis un avis favorable par trente-huit voix sur cinquante-quatre, un groupe indépendantiste ayant exprimé un vote défavorable tout en précisant expressément « ne pas être opposé sur le principe à un report des élections », son désaccord étant motivé par le calendrier imposé par le Gouvernement. Ce report se justifie par deux raisons majeures.
La première, c'est que les élections ne peuvent pas se tenir en mai 2024 avec le corps électoral actuel, issu de la révision constitutionnelle de 2007. Ce n'est pas un choix politique, mais un impératif juridique. En effet, dans son avis du 7 décembre 2023, le Conseil d'État a confirmé la nécessité de modifier les dispositions applicables car « du fait de l'écoulement du temps », le corps électoral actuel déroge de plus en plus gravement « aux principes d'universalité et d'égalité du suffrage ». Ainsi, en 1999, seulement 7 % des électeurs étaient exclus de la liste spéciale provinciale, tandis qu'en 2023, ils sont près de 20 %. C'est pourquoi le Gouvernement a déposé, concomitamment au présent projet de loi organique, un projet de loi constitutionnelle. Ce dernier ne fait pas consensus mais constitue, en l'absence de négociations d'un accord global susceptibles d'aboutir, une voie de sortie de l'accord de Nouméa qualifiée d'« unilatérale et partielle » par Philippe Bas, rapporteur du projet de loi au Sénat. Si, dans ce projet de loi constitutionnelle, la question de l'inscription d'office des natifs ne soulève pas de difficulté particulière – d'autant plus qu'ils sont déjà inscrits sur la liste référendaire –, celle des électeurs domiciliés depuis au moins dix ans sur le territoire nourrit dans sa rédaction actuelle une très forte opposition des indépendantistes. Le sujet est sensible puisque le droit de vote est attaché à la citoyenneté calédonienne, qui constitue, vous l'avez là aussi rappelé, monsieur le ministre, l'un des principes politiques essentiels consacrés par l'accord de Nouméa pour permettre, selon les termes mêmes dudit accord, « au peuple d'origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun ».
La nécessaire ouverture du corps électoral provincial nous appelle donc à conjuguer l'exigence démocratique et la perspective politique que la France a tracée en créant cette citoyenneté, celle de fonder une communauté de destin entre les natifs du pays et les femmes et les hommes investis durablement en Nouvelle-Calédonie.
Le second motif du report de la date des élections provinciales, c'est la nécessité de donner un peu de temps au temps, pour que les partenaires des accords – l'État, les indépendantistes et les non-indépendantistes – puissent construire un consensus sur un projet d'avenir partagé, susceptible de rassembler les Calédoniens dans leur diversité, au-delà de leurs divergences idéologiques. Le Conseil d'État, dans son avis du 7 décembre dernier, a rappelé très clairement que « la recherche du consensus » est une donnée fondamentale de l'élaboration de l'organisation politique qui prendra la suite de celle issue « de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 ». Le Gouvernement a, pour sa part, affirmé à plusieurs reprises que le consensus demeurait une priorité absolue. En effet, il ne peut y avoir de solution durable pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie sans un accord, et il ne peut y avoir de solution unilatérale qui soit une solution durable. Au vu des résultats des référendums d'autodétermination, nous devons redoubler d'humilité et de sens des responsabilités pour construire ce consensus, dans le respect d'un cadre républicain et d'un cadre démocratique.
Le cadre républicain, c'est l'accord de Nouméa qui a été constitutionnalisé et approuvé par 72 % des Calédoniens en 1998. Il constitue un acquis historique, un héritage, « un exemple pour le monde, un exemple français, un exemple calédonien » pour reprendre les mots du Président de la République prononcés lors de son discours du 26 juillet dernier, place de la Paix. L'accord de Nouméa constitue le socle de la négociation que nous devons mener. Respecter ce plancher, c'est respecter l'esprit des anciens et la volonté exprimée par le Parlement de la République, sans que cela n'empêche de modifier le corps électoral gelé, dont la révision s'impose pour les raisons que j'ai déjà exposées.
Le cadre démocratique est défini par le résultat des consultations d'autodétermination, résultat qui doit constituer le point maximal de la négociation car respecter ce plafond, c'est respecter la souveraineté du peuple calédonien, telle qu'elle s'est exprimée à trois reprises. Certes, je n'ignore pas que la légitimité du troisième référendum reste contestée par les formations indépendantistes, mais les résultats des deux premiers ont été reconnus par tous !
Dans le contexte actuel, la réussite du processus dépend plus que jamais de l'impartialité de l'État, principe fondateur des accords de Matignon. C'est notre responsabilité collective d'inscrire notre démarche dans le prolongement de la poignée de mains entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, dans le respect des principes de liberté, d'égalité et de fraternité, conformément à la devise de la Nouvelle-Calédonie, Terre de parole, Terre de partage, afin d'irriguer un grand accord, c'est-à-dire global et ambitieux, fondement de nouveaux équilibres institutionnels, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux.
Jusqu'à quelle date les élections peuvent-elles être repoussées, dans l'attente de la conclusion de ce grand accord ? Le Gouvernement a retenu la date butoir du 15 décembre 2024. Toutefois, mes chers collègues, cette date butoir reste incertaine, et le Gouvernement s'est d'ailleurs encore à l'instant dit prêt à suspendre le processus constitutionnel si un accord plus global entre les partis indépendantistes et non-indépendantistes était sur le point d'aboutir au 1er juillet 2024 au plus tard.
L'article 2 du projet de loi constitutionnelle prévoit la possibilité d'un report supplémentaire, la question pouvant être réglée, le cas échéant, par un second projet de loi organique.
Je rappelle qu'en tout état de cause le Conseil d'État a indiqué qu'un report des élections « pour une durée de l'ordre de douze à dix-huit mois », soit jusqu'en novembre 2025, « ne se heurterait à aucun obstacle d'ordre constitutionnel ou conventionnel ».
L'essentiel, pour notre pays, est, à défaut d'être à l'heure des élections, d'être à l'heure de l'histoire.
En conclusion, je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi organique, en précisant qu'un vote conforme me paraît indispensable pour permettre son entrée en vigueur en temps utile et ne pas obliger le Gouvernement à organiser les élections provinciales le 12 mai prochain sur la base d'un corps électoral qui n'aurait pas pu être modifié.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Le temps des colonies étant heureusement terminé depuis plusieurs décennies, nous devrions nous interroger collectivement sur le temps qu'il aura fallu pour ouvrir celui de la négociation, du dialogue et de l'écoute.
Vous avez refusé de le reconnaître en commission, mais l'adoption de ce projet de loi organique se fait à marche forcée. L'évolution du statut de la Nouvelle-Calédonie ne fait pas exception à votre méthode du passage en force, et je le regrette. Elle sera décidée selon vos règles, selon votre calendrier, peut-être selon votre humeur du matin, mais certainement pas en fonction des négociations, qui se déroulent pourtant avec l'ensemble des acteurs depuis quelques mois seulement.
Votre gouvernement est celui qui passe presque systématiquement sous silence les outre-mer dans les projets de loi présentés au Parlement, préférant définir les mesures d'application à coup de règlements et de décrets. Il est aussi celui qui refuse d'écouter le Parlement et les acteurs concernés sur le sujet.
Cette logique à la fois descendante, déconnectée des territoires et teintée d'une vision paternaliste de la Nouvelle-Calédonie, nous la refusons.
Sans doute direz-vous à nouveau que le Gouvernement « donne » le temps aux acteurs néocalédoniens de discuter et de se mettre d'accord, ou encore qu'il « donne » des gages – comme la République française a « donné » l'abolition de l'esclavage aux Antilles. Combien de temps allons-nous devoir encore subir le discours « On leur a donné » ? On leur a donné jusqu'au 1er juillet pour trouver un accord et passé ce délai, c'est tant pis pour eux, « circulez, y'a plus rien à voir, c'est nous qui déciderons pour vous et, si vous n'êtes pas contents, eh bien, c'est pareil » !
La vérité, monsieur le ministre, c'est que la stratégie de la carotte et du bâton ne rend pas une loi plus acceptable. Il est inutile de faire pression pour obtenir un accord qui demande du temps, beaucoup de temps pour faire évoluer le statut de la Nouvelle-Calédonie dans la direction souhaitée par ses habitants. La réforme du corps électoral des élections provinciales passera par le temps raisonnable de la médiation et de la négociation ou ne passera pas.
Le Parlement ne sera pas dupe de votre stratégie pleine de duplicité. Vous présentez la voie du dialogue comme la piste privilégiée mais, dans le même temps, vous faites voter au Parlement un « package » de deux textes : ce projet de loi organique, qui repousse les élections provinciales jusqu'à la fin décembre 2024, puis un projet de loi constitutionnelle, qui modifie le corps électoral. Or la question du corps électoral est au cœur des négociations en cours et ne peut être réglée unilatéralement par une loi que vous aurez décidée.
Alors, négocie-t-on vraiment ou prenez-vous le risque, devant l'histoire, de petites manœuvres qui susciteront de grands embrasements ?
En réalité, vous mettez le Parlement devant le fait accompli, sans lui laisser d'autre choix que de voter à l'aveugle deux textes qui court-circuitent les discussions. Votre stratégie de pression politique risque même de mettre en danger le bon déroulement de celles-ci.
Nous voterons contre ce projet de loi parce que nous refusons l'objectif politique qui se dissimule derrière le report des élections provinciales, lequel doit servir à étendre la durée des négociations, non l'inverse.
Il existe en Nouvelle-Calédonie un réel risque de déchirement au sujet du corps électoral, ce qui nous inquiète aussi. Je le dis avec gravité : il n'est pas possible de se passer d'un accord de l'ensemble des acteurs sur la décision de dégeler ou non le corps électoral.
Le problème dans les discours que nous venons d'entendre, c'est que presque personne n'a dénoncé ouvertement la posture coloniale que sous-tend cette manœuvre.
Pourtant, il faut pointer du doigt cette dimension que vous essayez de cacher. L'échec retentissant du troisième référendum d'indépendance, que vous vous gardez bien de mentionner comme tel, en est la preuve concrète. Cet épisode souligne la nécessité de changer radicalement de méthode pour mettre un terme au mépris envers les territoires ultramarins. Organisé en pleine crise du covid-19, il a été largement boycotté par les indépendantistes, ceux-là mêmes que vous refusez d'écouter aujourd'hui.
La Nouvelle-Calédonie, inscrite par l'ONU sur la liste des pays à décoloniser, doit pouvoir décider elle-même de son avenir. Elle ne peut le faire si le Gouvernement écrit pour elle les lois qui devraient faire l'objet d'un accord. C'est pour cela que nous voterons contre ce texte.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES et GDR – NUPES.
Il nous est demandé de nous prononcer sur un projet de loi organique reportant les élections du congrès et des assemblées de provinces de Nouvelle-Calédonie – mais revenons-en aux fondamentaux, en nous questionnant sur notre légitimité à nous prononcer sur cette question.
Le fait colonial en Kanaky remonte à 170 ans. Les Kanaks n'ont jamais rien demandé.
Les Français sont arrivés et ont occupé leur terre ; puis, comme ce fut également le cas en Guyane, le peuple colonisé a été minorisé.
Il s'agit d'une réalité historique ; vous retrouverez sans difficulté les propos de M. Messmer affirmant qu'il fallait envoyer 100 000 Français en Nouvelle-Calédonie pour faire taire les velléités d'autonomie – on ne parlait même pas encore d'indépendance. La volonté de dégel du corps électoral par un prochain projet de loi constitutionnelle démontre que l'intention de l'État français est toujours la même. Aucun peuple sur cette planète n'accepte qu'on vienne chez lui en disant qu'il est minoritaire et que c'est la démocratie.
Il s'agit d'un fait reconnu par le droit international. Récemment encore, le 20 juin 2023, à l'ONU, le comité spécial de la décolonisation déclarait dans une résolution relative à la Nouvelle-Calédonie que « c'est au peuple de Nouvelle-Calédonie qu'il appartient de choisir comment déterminer son destin » et engageait vivement « toutes les parties concernées, agissant dans l'intérêt des Néo-Calédoniens, à poursuivre leur dialogue, dans le cadre de l'accord de Nouméa, dans un esprit d'harmonie et de respect mutuel afin de continuer à promouvoir une atmosphère propice à l'évolution pacifique du territoire vers un acte d'autodétermination ». Cette résolution a été adoptée par l'Assemblée générale.
Cet esprit de dialogue et de respect mutuel, issu des drames du passé, est aujourd'hui mis à mal par le Gouvernement, qui souhaite passer en force. L'État, qui devait rester impartial, est de nouveau juge et partie.
Ce changement de posture de l'État a d'abord été visible au moment du troisième référendum. Constatant une dynamique très favorable à l'autodétermination, le Gouvernement a persisté à maintenir la date de la troisième consultation le 12 décembre 2021 – en pleine crise du covid –, ignorant les appels du peuple kanak à la reporter en septembre 2022, notamment par respect de la période de deuil coutumier qui empêchait toute participation des Kanaks au référendum. La justification avancée par le Gouvernement était que dans une démocratie, on tient les élections à l'heure. Quelle ironie qu'il nous demande aujourd'hui d'autoriser le report des élections !
L'organisation du référendum de 2021 est remise en cause y compris au niveau international. Ainsi, le rapport du comité ministériel du Forum des îles du Pacifique dédié à la Nouvelle-Calédonie considère que « le résultat global jette de sérieuses questions sur la légitimité du résultat du référendum, en particulier parce que moins de 44 % des électeurs inscrits ont participé en 2021, contre 81,01 % en 2018 et 85,69 % en 2020 ». En conséquence, le comité est d'avis que le référendum n'a pas été mené dans l'esprit de l'accord de Nouméa, qui renforce le statut de l'identité et de la coutume kanak en Nouvelle-Calédonie et en France. Il regrette que les principes clés de l'accord, tels que la fraternité, l'humilité et la recherche du consensus, qui ont guidé les échanges relativement pacifiques et consensuels entre les parties pendant plus de deux décennies, aient régressé. Il ne pense pas que le résultat reflète fidèlement la volonté des électeurs inscrits. Il s'agit d'un référendum d'autodétermination qui s'est déroulé sans la majorité du peuple premier de Nouvelle-Calédonie et leurs partisans.
Néanmoins, le Gouvernement persiste ! En modifiant le calendrier électoral et en annonçant un projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral, il confirme la fin de la neutralité de l'État dans ce dossier, essayant de revenir sur les fondements mêmes des accords de Matignon et de Nouméa.
Le 22 juin 2022, la Cour de cassation a rappelé que, selon le point 5 du document d'orientation relatif à l'évolution de l'organisation politique en Nouvelle-Calédonie, dans l'hypothèse de trois consultations négatives, « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée » et que « tant que les consultations n'auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l'organisation politique mise en place par l'accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d'évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette irréversibilité étant constitutionnellement garantie ».
Selon les termes des accords, nous en sommes donc au temps des négociations – un temps qui doit être accepté et respecté. Or le Gouvernement choisit de jouer double jeu : d'un côté, il dit promouvoir la négociation et respecter l'irréversibilité des accords, de l'autre, il impose un nouveau calendrier électoral, avec pour seul objectif de casser la dynamique majoritaire des indépendantistes dans les instances locales.
Ce passage en force compromet la poursuite des négociations et n'enrayera pas le processus, inéluctable, vers l'indépendance. Il aura pour seul effet de mener vers l'impasse politique et vers une grande instabilité sociale et politique.
La paix n'est jamais acquise, monsieur le ministre, elle s'entretient. En procédant ainsi, le Gouvernement ne l'entretient pas.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR – NUPES et Écolo – NUPES. – Mme Nadège Abomangoli applaudit aussi.
« Pour le peuple colonisé, la valeur la plus essentielle, parce que la plus concrète, c'est d'abord la terre : la terre qui doit assurer le pain et, bien sûr, la dignité. »
M. Frédéric Maillot applaudit.
Ce ne sont pas mes mots, ce sont ceux de Frantz Fanon. Je cite cet écrivain martiniquais pour parler de la Nouvelle-Calédonie, car il met parfaitement en évidence cet attachement indéfectible à la terre, au territoire, qui est partie intégrante de l'identité du peuple kanak, qui a tant souffert à travers l'histoire. C'est un attachement que beaucoup de nos citoyens ultramarins connaissent et que les Calédoniens manifestent lors des élections provinciales qui nous occupent aujourd'hui.
Je le dis d'emblée : les quelques lignes de ce projet de loi organique ne doivent pas nous tromper sur l'ampleur de la réforme qu'il dissimule. En dépit des réserves exprimées notamment, mais pas seulement, par les indépendantistes calédoniens, le Gouvernement a fait le choix de lier report des élections en Nouvelle-Calédonie et réforme constitutionnelle du corps électoral.
Bah oui ! Sinon, on ne les reporterait pas !
À plusieurs reprises, j'ai entendu parler ici de dialogue, d'échanges, de discussions, de négociations, de recherche de compromis… Tout cela est très bien, mais est-on effectivement parvenu à un consensus ? Je ne nie pas les efforts déployés ces dernières années, mais dialogue ne veut pas dire accord. Or aucun accord n'a été trouvé au niveau local : il n'y a ni consensus ni adhésion à un projet commun.
L'État ne peut imposer son propre agenda. Le Gouvernement ne peut décider sans un accord clair avec les Kanaks du report des élections, de la modification du corps électoral, du changement de la Constitution. Sinon, quelle crédibilité auraient ces réformes ? Quelle confiance pourrait-on accorder dans la parole de l'État ? Qui peut prétendre vouloir construire un avenir en commun en passant par la force ?
Il importe d'être constant sur des sujets aussi fondamentaux. Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires a toujours considéré que toute réforme touchant les élus locaux devait se faire en partenariat avec eux, non contre eux. C'est d'autant plus vrai s'agissant d'un territoire d'outre-mer jouissant d'une aussi grande autonomie que la Nouvelle-Calédonie.
Il ne faut pas omettre le passé douloureux de la Nouvelle-Calédonie, ni le fait qu'elle est inscrite par l'ONU, depuis 1986, sur la liste des territoires à décoloniser. Cette situation devrait pousser à conduire toute évolution de manière apaisée. Certes, cela prend du temps, beaucoup de temps, mais il me paraît préférable de prendre le temps nécessaire plutôt que de légiférer sans consensus, et sans l'aval des Kanaks.
Jamais anodin, le report des élections porte atteinte à l'exercice régulier du droit de vote. Alors, que dire quand les élections sont prévues dans quelques semaines ? Est-ce le signe du bon fonctionnement d'une démocratie ?
J'ai entendu le Gouvernement dire que le non-report pourrait entraîner l'annulation du scrutin pour des raisons d'exigences démocratiques. Pourtant, depuis 2005, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) affirme que, compte tenu de l'histoire et du statut de la Nouvelle-Calédonie, il existe des « nécessités locales » qui permettent de restreindre le droit de vote. Cette interprétation a été récemment validée par un arrêt de la Cour de cassation de juin 2023.
Tant que l'archipel est sur la voie de la décolonisation, l'évolution du corps électoral ne peut se faire que dans le consensus. C'est la raison pour laquelle notre groupe regrette le choix de lier report des élections et dégel du corps électoral, car cela est une manière de préempter le débat. Personne ne peut ignorer que ce dégel aurait des effets sensibles sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, la préservation de l'identité kanak, la construction d'une citoyenneté calédonienne et les efforts de rééquilibrage politique des dernières décennies. Toute évolution nécessite au préalable un accord local sans lequel de très fortes tensions pourraient ressurgir dans le territoire. La liberté de vote est de mise au groupe LIOT mais, pour ma part, j'appelle à rejeter le texte du gouvernement.
La Nouvelle-Calédonie a tout connu : les colonisations, les révoltes, la guerre. Et voilà qu'elle fait face aujourd'hui à un plus grand défi, l'inconnu. L'inconnu, car tout semblait écrit d'avance : elle devait devenir indépendante. Tout avait été si bien écrit par les accords.
Ces accords ont bâti des institutions organisées autour des indépendantistes, avec une assemblée et un gouvernement où la seule province loyaliste est noyée par la sous-représentation de ses élus. Comprenez, chers collègues, que les indépendantistes dirigent un pays où ils sont minoritaires de seize points dans les urnes. Ces institutions ont ensuite été ensevelies sous des vagues de transferts de compétences qui font de la Nouvelle-Calédonie le territoire le plus autonome de la République – et qu'importe si la faillite menace.
Le pire était encore à venir. La V
Ce référendum sur l'indépendance devait donc n'être une formalité. Je dis « ce référendum » car un seul suffisait si le « oui » l'emportait tandis qu'il en fallait au moins trois pour rester dans la France, ou seulement envisager d'y rester. N'oubliez pas non plus que, dans l'esprit des grands penseurs parisiens, tous les Kanaks étaient indépendantistes. L'affaire était donc entendue ! Mais la détermination du peuple calédonien a déjoué tous les pronostics de ceux qui pensaient que l'avènement de Kanaky était inévitable.
Cette population métissée, pluriethnique et multiculturelle a déjoué le destin qu'on avait esquissé pour elle, celui de l'indépendance. Un destin déjoué par le peuple calédonien et, surtout, par les Kanaks non indépendantistes, menés par de grands leaders comme le sénateur Poadja ou le président du plus vieux parti loyaliste calédonien, Alcide Ponga.
Je vous demande d'entendre aujourd'hui ce que les Calédoniens ont dit par trois fois. Permettez au Gouvernement de prendre en compte ces résultats, ces pieds de nez faits à l'histoire par amour de ce qu'est la France. Un amour dont la Nouvelle-Calédonie n'a jamais manqué.
J'entends sur nos bancs les relais du repli sur soi, qui tentent de faire reculer le Gouvernement.
À ceux-là, je dis qu'on ne peut pas lutter contre le nationalisme en Europe et le soutenir dans le Pacifique Sud. J'entends aussi ceux qui redoutent une montée des tensions. À ceux-là, dont certains comptent parmi mes amis, je réponds que la peur, mauvaise conseillère, conduit toujours à faire les mauvais choix et à prendre les mauvaises décisions.
Représentants de la nation, sachez que vous trouverez toujours chez les non-indépendantistes de Nouvelle-Calédonie les alliés des valeurs de la République : l'universalisme, l'humanisme et la démocratie. Vous trouverez toujours aussi chez nous les ennemis du racisme, de l'exclusion et du repli sur soi. C'est pourquoi, au nom du groupe Renaissance, j'appelle à voter en faveur du report des élections provinciales car il permettra d'inscrire sur les listes électorales des milliers de Calédoniens exclus.
Pour finir, j'évoquerai Ouégoa, un petit village aux tréfonds de la Nouvelle-Calédonie. Il enterre ses enfants, qui, pour la plupart, n'ont jamais vu la métropole, dans des cercueils drapés du drapeau tricolore. Permettez-moi donc de clore mon discours comme on le fait depuis près de deux siècles en Nouvelle-Calédonie et comme nous continuerons à le faire pendant encore deux cents ans : vive la Nouvelle-Calédonie, et vive la France !
Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – Mme Naïma Moutchou et M. Maxime Minot applaudissent également.
La Nouvelle-Calédonie est un territoire français, empli de richesses, qui rayonne. Ses cultures, ses traditions, ses paysages en font l'un des joyaux de notre pays. Ses importantes ressources, parfois rares dans le monde, en font une terre d'enjeux et de convoitises. Sa position au sein du Pacifique rend l'archipel éminemment stratégique.
Nos compatriotes calédoniens constituent « un morceau de la France », comme le déclarait le général de Gaulle à Nouméa en 1966. Pourtant, aujourd'hui, nombre d'entre eux ne peuvent voter aux élections provinciales, alors même que le Congrès et les assemblées de provinces qui en sont issus adoptent les lois du territoire et les délibérations qui régissent leur vie quotidienne.
Le nombre d'électeurs inscrits sur les listes électorales générales mais exclus du droit de suffrage aux élections provinciales s'est creusé dans des proportions importantes : il est passé d'un peu plus de 8 000 en 1999 à plus de 42 500 en 2023, soit de 7,46 % du corps électoral général à près de 20 %.
En conséquence, l'exposé des motifs du texte dont nous débattons aujourd'hui se fonde sur le fait qu'une difficulté de calendrier existe, dans la mesure où les prochaines élections locales devraient avoir lieu à une date trop proche pour que le projet de réforme constitutionnelle nécessaire à l'élargissement du corps électoral puisse être adopté auparavant. Le projet de loi vise donc à reporter les prochaines élections provinciales de la Nouvelle-Calédonie et, par voie de conséquence, à prolonger les mandats en cours des membres du Congrès et des assemblées de province élus le 12 mai 2019.
Le projet constitutionnel, monsieur le ministre, se devra d'être gagnant-gagnant et les Calédoniens, dans leur diversité, devront s'y sentir considérés et concernés. Au Rassemblement national, nous accordons la plus grande importance à l'avenir de la Nouvelle-Calédonie et, à travers lui, à celui de la France dans le Pacifique. Nous le souhaitons stable, tourné vers le développement et le rayonnement. À cet égard, comme j'ai eu l'occasion de le dire en commission des lois, nous regrettons que le Gouvernement n'ait pas été à même de faire une véritable proposition statutaire, capable de servir de base à des négociations tripartites entre l'État, les loyalistes et les indépendantistes.
Nos compatriotes calédoniens, dans leur diversité, méritent un apaisement de la situation, autant que leur territoire mérite un rassemblement durable. Chers collègues, les Français savent bien qu'Emmanuel Macron a déjà fait le choix de ne pas assumer la mission qui lui a été confiée en tant que Président de la République. Il se désintéresse du destin de la Nouvelle-Calédonie, comme de celui de l'outre-mer en général.
Nos compatriotes calédoniens savent bien aussi que le Gouvernement et le Président finiront par être remplacés, le moment venu, par des responsables politiques décidés à reconnaître à tous les territoires d'outre-mer la place et l'importance qu'ils méritent au sein de la République française. Ils connaissent d'ailleurs très bien l'attachement viscéral de Marine Le Pen à la Nouvelle-Calédonie.
Elle n'est pas là !
Premier groupe d'opposition et porteur de l'avenir de notre pays, le Rassemblement national entend bien participer à la construction d'une Nouvelle-Calédonie apaisée, rassemblée et pacifiée dans la perspective d'un développement à court, moyen et long terme.
Fallait venir !
C'est avec tous les Français de Nouvelle-Calédonie, de toutes origines et de toutes opinions, que Marine Le Pen entend construire un avenir stable sous les couleurs du drapeau tricolore.
Elle n'est pas là !
Ainsi, le Rassemblement national restera vigilant pour protéger les intérêts de nos compatriotes. Dans cette optique, nous voterons le report des élections provinciales sans que cela préjuge notre position sur la réforme constitutionnelle.
C'est dommage que ce ne soit pas elle qui le dise !
Dans les années 1980, la Nouvelle-Calédonie a connu une situation d'extrême violence, avec pour paroxysme la prise d'otages dans la grotte d'Ouvéa. Il a fallu un long processus pour sortir de ce cycle de violences, pour retrouver la paix civile. Tout d'abord, les accords de Matignon ont été signés en juin 1988 puis ont été approuvés par référendum la même année. Ainsi, le peuple français a reconnu le fait colonial en Nouvelle-Calédonie et l'existence d'un peuple premier. Notre discussion actuelle est intimement liée à ce processus de décolonisation.
L'accord de Nouméa, signé en 1998, prévoit la construction d'un destin commun avec la mise en place d'une citoyenneté calédonienne. Trois référendums d'autodétermination sont prévus. Ils ont eu lieu en 2018, 2020 et 2021. Le dernier a été maintenu coûte que coûte par le Gouvernement, malgré le deuil kanak et la demande de report du sénat coutumier. Les indépendantistes ont donc boycotté le scrutin et n'en ont pas reconnu le résultat.
L'accord de Nouméa prévoit qu'en cas de victoire du « non » aux trois référendums, les partenaires politiques se réunissent pour « examiner la situation ainsi créée ». Des discussions sont donc en cours pour parvenir à un nouveau consensus, sans qu'un accord soit encore advenu. L'un des points cruciaux de la discussion est la question du dégel du corps électoral pour les élections provinciales.
Car celui-ci ne correspond pas à la liste électorale générale, celle des électeurs pour la présidentielle, par exemple. En effet, pour voter lors des élections provinciales, des conditions de naissance ou de résidence en Nouvelle-Calédonie ont été définies en 1999. Vingt-cinq ans se sont écoulés depuis et de plus en plus de personnes sont privées du droit de vote, alors qu'elles sont nées et ont toujours vécu en Nouvelle-Calédonie.
En 1999, 7 % des électeurs ne pouvaient voter aux élections provinciales. Ils sont plus de 19 % aujourd'hui. Le groupe de La France insoumise n'est pas favorable à un gel perpétuel du corps électoral, qui n'aurait pas de sens et que personne ne demande. Le Gouvernement a déposé au Sénat, le 29 janvier, un projet de loi constitutionnelle qui prévoit unilatéralement son dégel. Cette question est cruciale. Car le Gouvernement propose d'ajouter 25 000 nouveaux électeurs dans un corps électoral qui en compte 180 000, soit 15 %. Pour donner un ordre de grandeur, à l'échelle de la France, cela reviendrait à adjoindre 7 millions d'électeurs aux 48 millions que compte son corps électoral. Faire cela juste avant une élection change profondément les équilibres politiques et, donc, potentiellement, le résultat du scrutin. Il s'agit d'un ultimatum adressé aux acteurs calédoniens pour les contraindre à trouver un accord avant le mois de juillet.
Le texte organique que nous examinons propose le report des élections provinciales. Il apporte donc la preuve que le Gouvernement est capable de souplesse à propos du calendrier électoral. En revanche, la différence de traitement, par rapport au référendum de 2021, pose un grave problème. L'impartialité de l'État est désormais entachée de soupçons ,
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES
d'autant que le Congrès calédonien s'est prononcé en faveur du report des élections, afin de se donner du temps pour trouver un accord consensuel. Mais le dépôt du texte constitutionnel s'est fait à peine dix jours plus tard ! Cela change tout. Dans ce contexte, il est primordial de respecter la volonté des habitants de Nouvelle-Calédonie et de garantir l'impartialité de l'État dans le processus.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Cela est rigoureusement incompatible avec la méthode brutale du Gouvernement. Nous lui lançons donc un avertissement solennel : la stratégie du coup de force avive les tensions et ne permet pas aux discussions de se tenir sereinement.
Même mouvement.
Personne ne veut que l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie soit compromis par les divisions politiques qui la feraient plonger dans un nouveau cycle de violences. Les accords de Matignon et de Nouméa ont permis de sortir de la violence grâce à une méthode qui privilégie le consensus pour amener la paix. C'est cet esprit qu'il nous faut retrouver. Parce que nous nous opposons à la méthode du Gouvernement, qui avive les tensions, nous voterons contre le texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur plusieurs bancs du groupe Écolo – NUPES.
Une génération après le lancement d'un long processus d'autodétermination engagé par l'accord de Nouméa sous l'égide d'hommes de bonne volonté, la Nouvelle-Calédonie doit se tourner vers l'avenir et construire un projet consensuel qui rassemble ses différentes composantes culturelles. Il nous appartient désormais d'accompagner les acteurs calédoniens dans la détermination du futur statut institutionnel de la collectivité territoriale, au sein de la France, et en veillant à préserver les acquis des processus de Matignon et de Nouméa. Dans une démarche d'union, en paix, les acteurs calédoniens ont vocation à se tourner vers l'avenir afin de favoriser l'épanouissement de leurs enfants. Il est de notre devoir, ici et maintenant, de faire en sorte que les mains des acteurs calédoniens se joignent pour construire le chemin de la Nouvelle-Calédonie dans le XXI
Les élections provinciales devaient se tenir en mai prochain. Néanmoins, la nécessité de donner du temps aux acteurs pour élaborer un accord politique sur le statut institutionnel du territoire, d'une part, et l'exigence d'une respiration démocratique par la consultation des citoyens afin de déterminer les politiques à mener, d'autre part, conduisent à envisager de reporter le scrutin.
Le groupe Les Républicains votera en faveur de ce texte afin de donner à la Nouvelle-Calédonie une chance de construire son avenir dans la paix et en prenant le temps nécessaire. Les Calédoniens ont manifesté ce désir, et, s'il n'y a pas encore de consensus, le Congrès, à majorité indépendantiste, a voté largement en faveur des élections provinciales. Une partie du FLNKS est prête à engager des négociations en vue d'un accord global entre les acteurs. Au nom de mon groupe, j'appelle le Gouvernement à redoubler d'efforts et à se mobiliser davantage pour trouver les voies et moyens de parvenir à un accord. J'appelle également les partis politiques nationaux à la responsabilité.
Comme l'a indiqué avec force mon collègue et ami Mansour Kamardine lors de l'examen de ce texte devant la commission des lois, le groupe Les Républicains souhaite que les acteurs politiques nationaux ne transposent pas leurs querelles et leurs clivages à la Nouvelle-Calédonie, un territoire que nous aimons tous, qui mérite le consensus et que la représentation nationale s'exprime d'une même voix, celle de la fraternité et du respect des spécificités calédoniennes.
« Soyons unis, devenons frères, plus de violence ni de guerre. Marchons confiants et solidaires, pour notre pays. » Ce sont les mots du refrain de l'hymne de la Nouvelle-Calédonie. Confiance et solidarité, c'est ce qu'attendent les Calédoniens pour faire face à leurs difficultés économiques, lesquelles trouvent en grande partie leur source dans la crise institutionnelle qui maintient la Nouvelle-Calédonie dans l'incertitude. Or vous le savez, l'incertitude ne permet pas de se projeter dans l'avenir ou d'investir. Seule la stabilité aura pour effet de ramener la sérénité.
Dans le cadre des accords de Matignon et de Nouméa, la Nouvelle-Calédonie a été amenée à se prononcer à trois reprises sur son indépendance. Par trois fois, le « non » l'a emporté. Aujourd'hui, le projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie nous est soumis. Ce report permet de garantir aux acteurs et aux responsables locaux le temps nécessaire pour trouver un chemin commun. Le groupe Démocrate est donc favorable à un vote conforme du texte issu des travaux du Sénat. Ce chemin passera-t-il par un simple dégel du corps électoral provincial, comme le prévoit le projet de loi constitutionnelle qui devrait nous être présenté prochainement, ou nécessitera-t-il une refonte plus profonde et durable des institutions de la Nouvelle-Calédonie ? C'est aux Calédoniens et à eux seuls de le dire.
Ayant de la famille en Nouvelle-Calédonie, je sais les difficultés, les tensions et les divisions qui persistent au sein du peuple calédonien. Je connais toutefois votre engagement, monsieur le ministre, en faveur d'un dialogue constant avec les acteurs locaux, comme l'ont montré vos nombreux déplacements sur l'île. Dans leur grande majorité, les Calédoniens ont toujours été ouverts au dialogue et à la recherche de solutions. La démarche dite d'écoute profonde menée auprès d'eux en 2021 l'a démontré. Reste que certains éprouvent le sentiment que leur voix n'a pas été suffisamment prise en compte et que des acteurs locaux comme les maires pourraient être associés davantage. Je sais pouvoir compter sur vous, monsieur le ministre, pour faire en sorte que cela soit le cas.
Je l'ai dit, la crise institutionnelle et la crise économique sont intimement liées en Nouvelle-Calédonie. Ce territoire fait face à d'importantes difficultés. Une fraction de la population a quitté le territoire, ce qui a entraîné une baisse significative de la consommation. La forte inflation liée à la guerre en Ukraine, mais aussi l'augmentation constante des coûts du fret, due aux tensions en mer Rouge, ont aggravé la situation.
Dans une économie déjà fragilisée, la chute récente des cours mondiaux du nickel a aussi eu de lourdes répercussions dans l'île, provoquant la mise en sommeil de l'usine métallurgique Koniambo Nickel (KNS) située dans la province Nord, l'abandon programmé de l'usine de la Société le Nickel (SLN) de Nouméa par sa maison mère Eramet et la mise sous tutelle de l'État de l'usine du Sud Prony Resources. La crise du nickel pourrait avoir de graves conséquences sociales à court terme, dans un contexte politique tendu autour de l'avenir institutionnel du territoire. Rien que pour ces trois usines, plus de 3 000 emplois sont directement menacés, alors que le recours au chômage partiel s'accroît et que le taux de chômage atteint déjà plus de 11 %.
Les impacts négatifs de cette situation se font ressentir dans tous les secteurs d'activité et la Nouvelle-Calédonie est de plus en plus dépendante des subsides de l'État. Il est temps qu'elle accède à une stabilité institutionnelle qui lui permettra d'aller de l'avant et qu'elle sorte de la crise économique dans laquelle elle est plongée. Les attentes des Calédoniens sont fortes en matière de pouvoir d'achat, d'éducation, d'emploi et de santé.
Monsieur le ministre, je le répète, nous comptons sur vous pour accompagner les Calédoniens, afin que les élections aient bien lieu en décembre 2024 et que leur vie ne soit pas entravée par des discussions stériles alors que les élus ont eu des années pour parvenir à un accord. Il est temps pour la Nouvelle-Calédonie de connaître la stabilité institutionnelle, préalable indispensable à la prospérité.
M. Nicolas Metzdorf applaudit.
Le présent projet de loi organique a été adopté par 307 voix, contre 34, par nos collègues du Sénat. Son article principal prévoit que les prochaines élections des membres du Congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie auront lieu au plus tard le 15 décembre 2024. Une fois adopté définitivement, ce texte permettra de reporter le scrutin. L'accord à trouver vise, entre autres, à ouvrir le corps électoral aux personnes résidant depuis au moins dix ans en Nouvelle-Calédonie. La liste électorale provinciale a en effet un caractère spécial puisqu'elle gèle l'inscription des électeurs à une liste établie il y a quelques années et ne comprenant pas certaines personnes nées en Nouvelle-Calédonie ou y résidant depuis plusieurs décennies. L'afflux de nouveaux électeurs modifierait l'équilibre actuel et risquerait d'envenimer les relations entre les différents acteurs. La difficulté sera de trouver un accord. Ce sujet est hautement sensible mais il n'est pas le seul. L'accord vise, en effet, à trouver la meilleure articulation entre des sujets d'ordre institutionnel. Comme le souligne le rapport de la commission des lois, le report des élections sera sans doute insuffisant car il « ne présume en rien de l'issue des discussions et pourrait même, si les circonstances l'exigent, ne pas être le dernier ».
Dans ces conditions, le groupe Socialistes et apparentés proposait de repousser de dix-huit mois la tenue des élections, c'est-à-dire au 30 novembre 2025 au plus tard. Ce délai était le bon selon le Conseil d'État et les sénateurs, mais notre amendement n'a pas été retenu au motif que l'article 2 prévoit la possibilité de reporter à nouveau les élections par décret. Il s'agissait, pour nous, de déconnecter les discussions en cours de la fixation du délai. Mon collègue Arthur Delaporte, absent pour raison de santé, l'a clairement expliqué devant la commission des lois : deux processus parallèles sont engagés, celui des négociations en cours, sachant qu'une partie des acteurs locaux jugent le délai proposé par le Gouvernement déraisonnable, et celui de la discussion du projet de loi constitutionnelle. Ce sont les premières auxquelles le Gouvernement entend, à juste titre, donner la priorité.
Le secrétaire général du haut-commissariat l'a dit devant le Congrès : le Gouvernement est attaché « à ce que le dialogue, le consensus, la recherche d'un accord politique restent, soient et demeurent la clé de voûte de l'avenir institutionnel du territoire ». Dans le climat actuel d'incertitude, il y a donc une contradiction entre le report des élections dans un délai relativement court et le fait d'affirmer la primauté de la négociation. L'héritage de l'accord de Matignon, signé le 26 juin 1988, dont notre République se prévaut, met l'accent sur le dialogue, la solidarité et la fraternité. Nous souhaitons que le temps aujourd'hui donné à la Nouvelle-Calédonie pour avancer sur la question cruciale de son avenir institutionnel lui permette de trouver une voie conforme à ces valeurs.
Au sein du groupe Horizons, nous sommes très attachés à l'esprit de responsabilité qui a toujours présidé à nos discussions juridiques sur la Nouvelle-Calédonie. Ce n'est d'ailleurs pas que l'affaire du droit puisque ce sont des évolutions politiques qu'il a fallu imaginer et accompagner afin de dessiner le meilleur chemin pour ce territoire et ses 270 000 habitants. J'en parle avec une certaine émotion et une grande humilité parce que j'ai eu l'immense privilège de participer à ces travaux depuis sept ans et de me rendre en Nouvelle-Calédonie. J'ai parcouru ses îles et ses provinces et je suis allée à la rencontre de ses habitants, jeunes et moins jeunes. C'est un voyage dont je suis revenue intimement marquée et consciente de l'immensité des enjeux, ainsi que de l'éthique particulière du dossier calédonien, l'un de ses fils rouges.
Longtemps nous avons évoqué ici le fameux jour d'après, celui qui devait succéder au long chemin balisé par l'accord de Nouméa. Nous y sommes aujourd'hui, mais ce processus historique ne se résume pas au seul lendemain des référendums d'autodétermination : il implique la construction, dans le temps long – autre fil rouge –, d'une vie ensemble pour les Calédoniens, d'une identité dans « un destin commun ».
Le texte soumis à notre assemblée cet après-midi est une nouvelle étape dans cette grande histoire. Le Gouvernement propose de reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie du mois de mai prochain au 15 décembre de cette année au plus tard. En effet, comme l'indique l'étude d'impact du projet de loi organique, le Gouvernement propose de corriger les distorsions croissantes entre le corps électoral pour l'élection des représentants de ces assemblées et le corps électoral général qui résultent de l'écoulement du temps et des évolutions démographiques intervenues depuis plus de deux décennies. C'est une exigence démocratique, l'a rappelé M. le ministre, car les élections locales ont une incidence nationale mais aussi parce que le corps électoral provincial est gelé depuis le 8 novembre 1998, si bien qu'une partie des Calédoniens en sont exclus de facto.
Le Conseil d'État a lui-même considéré, dans son avis du 26 décembre 2023, que l'intervention du législateur était nécessaire pour « corriger le caractère excessif résultant de l'écoulement du temps ».
Force est de constater que les forces politiques locales ne se sont pas accordées sur les modalités du dégel. Dès lors, le report des élections s'impose, et nous le soutiendrons. Nous comprenons aussi le lien qui est établi, de manière assumée, entre le présent projet de loi organique et le projet de loi constitutionnelle relatif au dégel du corps électoral, texte également déposé par le Gouvernement.
En réalité, ces deux textes sont des contraintes ou des nécessités, dans l'attente de mieux, pour donner du temps à la discussion et augmenter les chances de parvenir à un accord peut-être plus général sur le fonctionnement de la Nouvelle-Calédonie. Notre volonté est bel et bien de tout suspendre si les parties devaient trouver un accord dans le cadre des discussions en cours.
Je reviens à ce que j'ai dit au début de mon intervention : nous privilégions les échanges, la voie du dialogue et du respect, de sorte que la priorité soit toujours donnée au consensus. C'est cette voie qui doit prévaloir pour toute décision intéressant la construction de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Je forme le vœu que, dans le même esprit, la représentation nationale s'exprime à l'unisson ou, à tout le moins, à une majorité aussi large que possible. Selon moi, c'est le meilleur message que l'on puisse donner à entendre aux Calédoniens.
Monsieur le ministre, je salue votre engagement sur ce sujet complexe. Vous y avez consacré de nombreux déplacements et avez longuement échangé avec les élus, les forces politiques et la société civile de Nouvelle-Calédonie. Vous montrez ainsi votre attachement à une démarche collective, bien loin de vouloir imposer une solution unilatérale qui serait, d'après nous, le dernier recours. Je remercie toutes les parties prenantes. Nous échangeons régulièrement avec tous les élus de Nouvelle-Calédonie, quelle que soit leur sensibilité, notamment avec nos collègues Philippe Dunoyer, rapporteur du texte, et Nicolas Metzdorf, ici présent.
Le Premier ministre Édouard Philippe, vous le savez, s'était engagé personnellement sur ce dossier et en avait fait un élément essentiel lors de la passation de pouvoirs à son successeur, Jean Castex. Il sera d'ailleurs toute cette semaine en déplacement en Nouvelle-Calédonie. En 2017, il avait déclaré : « Il y a ce savoir vivre ensemble spécifique à la Nouvelle-Calédonie, forgé par son histoire, forgé par l'identité kanak et par ses échanges avec les autres cultures, forgé aussi par sa relation avec la France ». Soyons, mes chers collègues, à la hauteur de cette histoire !
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Même si les tonalités de vos interventions ont été diverses, mes chers collègues, je vous remercie, comme je l'ai fait en commission, d'avoir compris collectivement que la démarche essentielle, qui fait la singularité du processus à l'œuvre en Nouvelle-Calédonie, est bel et bien la recherche et la construction d'un accord. Nous sommes engagés depuis deux ans dans une telle démarche, dans le cadre de travaux lancés par M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer, que je remercie. Ces travaux connaissent depuis quelques mois des difficultés, voire des obstacles, ce qui peut donner le sentiment que nous sommes dans une démarche « forcée » ou « brutale », pour reprendre les termes employés par certains. Je tiens à affirmer que tel n'est pas le cas, et j'aurai l'occasion d'y revenir.
Certains orateurs établissent un parallèle entre le troisième référendum et les prochaines élections provinciales. À la demande de report du troisième référendum, rappellent-ils, le Gouvernement avait opposé que les scrutins devaient se tenir en temps et en heure. Dès lors, ils se demandent pourquoi l'on reporte les élections provinciales. Je leur réponds que la situation n'est pas du tout la même : il existe un risque juridique lié à la composition du corps électoral provincial, ce qui n'était nullement le cas pour le corps électoral référendaire ; cela fait une énorme différence, même si l'on peut apprécier diversement ce risque juridique.
On ne revient pas un seul instant sur le cadre issu de l'accord de Nouméa, ni même sur la spécificité de la Nouvelle-Calédonie qui, selon le Conseil d'État, continue à justifier une composition dérogatoire du corps électoral provincial. Toutefois, le Conseil d'État l'a très bien expliqué, des circonstances de droit et de fait ont considérablement aggravé les dérogations acceptées antérieurement aux principes d'universalité et d'égalité du suffrage. C'est pourquoi nous devons obligatoirement nous pencher sur la composition du corps électoral, laquelle ferait peser, M. le ministre l'a rappelé, un risque juridique certain sur le décret de convocation des électeurs.
Monsieur Castor, vous avez cité le rapport remis par les experts mandatés par le Forum des îles du Pacifique. Naturellement, ce rapport existe, mais il importe de relever que le président du Forum l'a désapprouvé après sa publication. « Ce n'est pas le rôle du Forum de s'immiscer dans les affaires intérieures des pays alors qu'ils déterminent leur indépendance ou leur dépendance vis-à-vis d'autres pays », a-t-il déclaré. Le Forum des îles du Pacifique a donc pris le soin, très sagement à mon avis, de ne pas adopter de posture qui pourrait être considérée comme partiale.
Monsieur Gillet, vous adressez en permanence des reproches au Président de la République. Je l'ai déjà dit en commission, on peut peut-être le faire sur d'autres sujets – je n'entre pas dans ce débat –, mais on ne peut certainement pas imputer au Président de la République un quelconque désintérêt à l'égard du dossier de la Nouvelle-Calédonie. Il est déjà venu deux fois dans le territoire. Depuis sa première élection, il s'est investi personnellement et continuellement sur le dossier, avec les premiers ministres successifs – je salue Mme Élisabeth Borne, ici présente – et le ministre de l'intérieur. Je tenais à le rappeler avec force.
Monsieur Minot, je vous remercie d'avoir rappelé, à juste titre, les propos tenus en commission par notre collègue Mansour Kamardine. Sur les bancs de cette assemblée, bien sûr, chacun défend ses convictions, mais M. Kamardine a appelé l'ensemble des responsables que nous sommes à éviter, autant que possible, de faire du dossier de la Nouvelle-Calédonie un sujet d'opposition national. Lorsque cela se produit, des problèmes émergent en Nouvelle-Calédonie – l'histoire nous l'a déjà montré à deux reprises, sous des majorités très différentes. Je crois que nous souhaitons tous le contraire, à savoir des discussions, un consensus et un nouvel accord qui puisse remplacer avantageusement l'accord de Nouméa, le processus qui découle de celui-ci étant arrivé à son terme.
MM. Philippe Emmanuel et Jean Terlier applaudissent.
J'ai écouté attentivement les différentes interventions. Ceux qui ont l'intention de voter contre le texte affirment que la volonté des Calédoniens n'est pas respectée. Or, si je puis me permettre, ce sont plutôt ceux qui voteront contre le texte qui ne respecteront pas la volonté des Calédoniens. Je rappelle que le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, qui est largement dominé par les indépendantistes, a lui-même adopté une délibération demandant le report des élections, ce que nous proposons. Je souligne que les deux députés élus par les Calédoniens – respectivement dans la circonscription qui comprend Nouméa et dans l'autre circonscription –, qui appartiennent à la majorité, ont toujours exprimé clairement leur position. Qui plus est, le rapporteur l'a relevé dans son excellent rapport et personne ne l'a contesté en commission, même l'Union calédonienne comprend que l'on reporte la date des élections.
D'ailleurs, ces orateurs ne proposent aucune solution alternative. Si l'on en croit le Conseil d'État, dans l'hypothèse où nous organiserions les élections sans avoir modifié la liste électorale provinciale, nous serions dans une situation de grande fragilité, car le décret de convocation des élections serait probablement annulé. Nous nous retrouverions alors dans une situation analogue à celle d'aujourd'hui : il faudrait quand même modifier la composition du corps électoral, ce qui implique une révision de la Constitution, et il faudrait donc quand même reporter la date des élections. Si l'on pouvait sortir des postures pour essayer de résoudre les problèmes de nos amis Calédoniens, nous en serions bien aises !
S'agissant du troisième référendum, j'ai entendu beaucoup de choses fausses. Je le répète à l'attention du groupe Rassemblement national, les trois référendums ont été organisés pendant le premier mandat du Président de la République. Le troisième l'a été juste avant l'élection présidentielle de 2022, ce qui est un signe de courage du Président de la République.
Aux groupes La France insoumise et Écologiste, je tiens à rappeler que le premier référendum avait été déclenché à la demande de l'État – par le Premier ministre Édouard Philippe –, mais que la tenue du troisième avait été demandée par les indépendantistes eux-mêmes.
J'y viens. Ensuite, une partie des indépendantistes a souhaité que l'on n'aille pas au vote. Je rappelle néanmoins que M. Néaoutyine, président de l'assemblée de la province Nord, figure indépendantiste s'il en est, a participé à la consultation. Je rappelle aussi que tous les maires indépendantistes ont organisé le scrutin. Je rappelle enfin que l'ensemble des instances juridiques de notre pays, notamment le Conseil d'État, ont validé le référendum.
Quant à l'argument invoqué pour justifier le report du référendum, à savoir le covid-19, il ne tient pas. Je rappelle que l'épidémie de covid-19 a éclaté au premier semestre 2020, à la veille des élections municipales. Or le troisième référendum a été demandé un an après, le 8 avril 2021.
Les élections régionales et départementales se sont tenues dans l'Hexagone en juin 2021, à un moment où l'épidémie y était bien plus forte qu'elle ne l'était en Nouvelle-Calédonie. Il y a donc manifestement malice dans le recours à cet argument. Le troisième référendum, demandé par les indépendantistes, s'est tenu totalement légalement, un an après l'épidémie – certes dangereuse – de covid-19.
Je rappelle d'ailleurs que la volonté de certains indépendantistes de ne pas voter s'est manifestée à la veille des élections législatives de 2022. Pourtant, ils avaient appelé les électeurs à se rendre aux urnes, notamment dans la deuxième circonscription, où une défaite de M. Metzdorf était possible.
Les indépendantistes eux-mêmes ne contestent plus la validité du troisième référendum. Une petite partie d'entre eux avait tenté de le faire devant l'ONU, mais leur revendication n'avait été appuyée par aucun pays dans le monde, pas même par une île du Pacifique ; le Forum des îles du Pacifique, dont des membres ont des affinités politiques avec certains indépendantistes, ce que l'on peut tout à fait comprendre, n'a pas soutenu leurs arguments. Chacun sait que le troisième référendum s'est tenu légalement et de manière parfaitement conforme à l'accord de Nouméa.
Je souhaite évoquer à mon tour les questions internationales. À la demande du Gouvernement, j'ai la chance et l'honneur de représenter la France devant le Comité spécial des Vingt-Quatre, instance des Nations unies présidée par l'île de Sainte-Lucie. Certains de ses membres, notamment la Syrie qui en est le rapporteur, n'ont pas tout à fait la même conception de la démocratie et des droits de l'homme que nous. Ils portent néanmoins un jugement sur l'action que nous menons à l'égard de territoires dits à décoloniser.
Selon l'ONU, quatre puissances dans le monde ont des territoires à décoloniser. Pour la France, il s'agit de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie. Notre pays est le seul à envoyer un représentant – un membre du Gouvernement ou un ambassadeur – pour se justifier devant ce comité. Aucun autre des pays concernés – c'est notamment le cas des États-Unis d'Amérique et du Royaume-Uni – ne souhaite répondre à ses questions. Pour notre part, nous le faisons, car c'est notre devoir. Le Comité spécial des Vingt-Quatre le souligne d'ailleurs chaque année dans le communiqué de presse qu'il publie. Il le fera de nouveau, je l'espère, à l'issue de sa réunion du 13 avril prochain, à laquelle je me rendrai pour évoquer la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.
La France est le seul pays qui a accordé une autonomie aussi complète à un territoire de la liste. La Nouvelle-Calédonie jouit en effet de l'autonomie la plus complète qui existe sur le territoire national. L'égalité des droits est parfaite entre tous ceux qui y résident, quelle que soit leur communauté – Kanaks ; Européens ; personnes venues du Maghreb, qui ont parfois été amenées de force ; descendants des bagnards ; Wallisiens et Futuniens ; Japonais ; Antillais. Tous, hommes et femmes, ont les mêmes droits. À partir de dix-huit ans, chacun peut évidemment voter ou devenir propriétaire, bref être Français. Il n'y a pas d'iniquité, celle-ci étant caractéristique du fait colonial.
Nous sommes en outre le seul pays concerné par les procédures du Comité spécial des Vingt-Quatre à avoir reconnu le fait colonial – dans l'accord de Nouméa, ainsi que plusieurs d'entre vous l'ont relevé – et à avoir réalisé un audit de la décolonisation. La Nouvelle-Calédonie est le seul territoire de la liste où les indépendantistes gouvernent, puisqu'ils sont à la tête de quatre des cinq institutions territoriales – le Gouvernement, le Congrès, deux des trois provinces – et de plus de la moitié des mairies. Le fait colonial a existé dans des temps précédents. L'action menée par le Gouvernement, démocratique, de la République – elle est le fait de gouvernements de gauche et de droite qui se sont succédé – est assez éloignée de ce qui a été décrit dans les discours tenus ici à la tribune ; merci de ne pas mélanger les choses ! Je me demande d'ailleurs qui parmi les orateurs qui se sont exprimés est déjà allé, ne serait-ce qu'une seule fois, en Nouvelle-Calédonie.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi organique.
Je suis saisie de plusieurs demandes de scrutin public : sur les amendements identiques n° 1 , 2 et 3 , par le groupe Rassemblement national ; sur l'amendement n° 6 , par le groupe Socialistes et apparentés ; sur l'article 1er , par le groupe Renaissance ; sur l'ensemble du projet de loi organique, par les groupes Renaissance, Rassemblement national et Socialistes et apparentés.
Les scrutins sont annoncés dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Nous en venons aux amendements à l'article 1er .
Je suis saisie de trois amendements identiques, n° 1 , 2 et 3 , tendant à supprimer l'article.
L'amendement n° 1 de M. Tematai Le Gayic est défendu.
La parole est à Mme Mathilde Panot, pour soutenir l'amendement n° 2 .
Monsieur le ministre, il faut avoir l'accord de tous pour obtenir la paix. Quant au dernier argument que vous avez avancé, vous ne pouvez pas me l'opposer, car je me suis rendue en Nouvelle-Calédonie pour discuter avec les uns et les autres.
Nous, Insoumis, sommes opposés à la méthode employée par le Gouvernement. Par cet amendement, nous voulons marquer notre refus que le Gouvernement passe d'une brutalité à l'autre. Je rappelle que, depuis l'accord de Nouméa, tous les gouvernements français qui se sont succédé ont reconnu qu'il y avait en Nouvelle-Calédonie une situation coloniale et que, par conséquent, il y avait au moins deux peuples. Je rappelle que les résolutions des Nations unies recommandent aux autorités administrantes de veiller, je cite, « à ce que l'exercice du droit à l'autodétermination ne soit pas entravé par des modifications de la composition démographique dues à l'immigration ou aux déplacements de population dans les territoires qu'elle administre. »
Nous vous avions alerté à de nombreuses reprises, monsieur le ministre, sur le passage en force du troisième référendum du 12 décembre 2021, en dépit du boycott des indépendantistes. Personne ici ne peut se satisfaire que plus d'un électeur sur deux ne se soit pas rendu aux urnes, compte tenu des enjeux politiques et institutionnels de ce référendum.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Benjamin Lucas applaudit également.
« En démocratie, les élections se tiennent à l'heure », s'exclamait à l'époque le ministre Sébastien Lecornu, pour justifier le non-report du référendum. Pourtant, aujourd'hui, vous demandez le report des élections provinciales de Nouvelle-Calédonie, censées se dérouler en mai prochain. En faisant cela, vous posez un ultimatum aux acteurs de Nouvelle-Calédonie. Nous ne sommes pas d'accord avec un énième passage en force ; au contraire, il est urgent de rétablir les conditions du dialogue pour que les Néo-Calédoniens puissent se prononcer dans un cadre légitime et apaisé sur leur avenir.
Puisque nous célébrons aujourd'hui la Commune de Paris, proclamée le 18 mars 1871, je veux terminer mon propos en partageant les mots d'amour de Louise Michel à la Nouvelle-Calédonie, où elle fut déportée parce que communarde : « Tout ici déracine l'être de lui-même ; le silence profond, la solitude où la pensée frappe de ses ailes les sommets tourmentés des montagnes ; tout cela vous emporte loin, bien loin de votre existence. »
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, Écolo – NUPES et GDR – NUPES et sur quelques bancs du groupe SOC.
Il s'agit, là aussi, d'un amendement de suppression.
Je vais peut-être me répéter, car j'ai le sentiment que nous ne nous comprenons pas : le problème du texte ne tient pas au report des élections.
Votez-le, alors !
Nous ne pouvons pas le voter, car vous avez déjà prévu une réforme constitutionnelle qui modifiera le corps électoral sans tenir compte de l'avis des Néo-Calédoniens, ni des discussions en cours ! Si vous aviez proposé de reporter les élections pour avoir le temps de négocier un consensus avec toutes les parties, notamment au sujet du dégel du corps électoral, nous aurions pu voter ce texte, mais ce n'est pas le cas. Vous reportez ces élections uniquement pour faire adopter une réforme constitutionnelle qui vous permettra de passer en force sur le dégel du corps électoral.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES, SOC et GDR – NUPES.
Nous invitons donc tous ceux qui tiennent à la démocratie, tous ceux qui tiennent à ce que tout le monde en Nouvelle-Calédonie soit d'accord sur le périmètre du corps électoral, à voter ces amendements de suppression.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES et SOC et sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Ces amendements de suppression sont les mêmes que ceux qui avaient été déposés en commission. Ils sont importants, aussi prendrai-je le temps de donner les arguments qui doivent nous conduire à les rejeter ; il n'y a pas de hiérarchie entre eux.
Le premier est que le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a voté pour le report des élections à trente-huit voix contre cinquante-quatre. Surtout, ce vote est représentatif des deux sensibilités, puisque l'un des deux principaux partis indépendantistes était favorable au report ; l'autre parti a donné un avis défavorable, tout en disant qu'il le comprenait. Le sujet du corps électoral est dans toutes les têtes, bien sûr, mais c'est ici du report des élections dont il est question. Sur ce sujet, voilà l'avis exprimé par les partis politiques calédoniens, représentant les deux sensibilités. Pourquoi demandent-ils ce report ? Parce que, pour faire émerger les discussions, il faut du temps.
Il y a une contradiction entre votre intention de parvenir à un consensus, que je partage, et votre refus du texte. En effet, si nous ne reportons pas les élections provinciales, elles auront lieu, comme dirait M. de La Palice ; elles seront convoquées en avril et se tiendront en mai.
On peut ne pas croire à la réalité du risque juridique qui a été évoqué par M. le ministre et par moi-même et, surtout, rappelé par le Conseil d'État, dans son avis du 7 décembre 2023, lequel, tout en rappelant la spécificité du caractère de la Nouvelle-Calédonie, indique que « la compatibilité des règles en vigueur avec les engagements internationaux de la France en matière électorale est incertaine » et que « les dispositions […] de la Constitution […] ne font pas obstacle à ce que le législateur [intervienne] pour atténuer » – c'est ce mot qu'il faut retenir – « l'ampleur des dérogations aux principes d'universalité et d'égalité du suffrage, lesquelles auront, avec l'écoulement du temps, des effets excédant ce qui était nécessaire à la mise en œuvre de l'accord de Nouméa. » Le Conseil d'État est on ne peut plus clair : il est toujours possible de déroger à ces règles – si nous avons trois listes électorales, c'est bien par dérogation –, mais nous ne pouvons pas le faire en 2024 de la même manière qu'en 1999 ou en 2007. Si le Conseil d'État nous incite à reporter les élections, c'est parce que si les élections sont convoquées et le décret annulé ensuite, non seulement nous n'aurons pas de temps pour la discussion, mais nous aurons créé en Nouvelle-Calédonie un climat qui empêchera cette discussion pour de pures raisons d'opposition électorale. Reporter ces élections, c'est donner du temps pour l'émergence de l'accord que vous appelez de vos vœux.
Deuxièmement, puisque le mot a été utilisé par certains, je veux dire qu'il n'y a pas d'ultimatum. La raison, que j'évoque dans mon rapport, en est que le projet de loi organique s'entend avec le projet de loi constitutionnelle : c'est dans le projet de loi constitutionnelle que figure la possibilité de reporter à nouveau les élections provinciales après la fin de l'année 2024, et ce report fait l'objet d'un amendement que nous discuterons prochainement. Le Gouvernement avance donc de manière transparente en disant que le premier choix est de fixer les élections à la fin de l'année 2024 ; si les discussions surviennent, et c'est ce que nous souhaitons tous, le projet de loi constitutionnelle prévoit la possibilité d'un nouveau report des élections provinciales par un décret en conseil des ministres, lequel, comme je l'ai indiqué dans mon intervention et dans le rapport, pourra être remplacé par un nouveau projet de loi organique. Ce n'est pas un ultimatum, c'est une modalité qui encadre les nécessaires modifications du corps électoral puisque, selon les services du haut-commissariat, il faut entre quatre et six mois pour procéder à ces modifications.
MM. Antoine Léaument et Hadrien Clouet s'exclament.
Pour toutes ces raisons, je donne un avis défavorable aux amendements de suppression.
Madame la présidente Panot, il n'est nulle part écrit que la puissance administrante, comme vous dites, ne doit pas modifier le corps électoral pour les élections locales. Cette interdiction ne vaut que pour le référendum d'autodétermination. Vous n'avez pas suivi le début de la conversation, si je puis me permettre.
Nous modifions aujourd'hui le corps électoral pour les élections locales. J'ai l'impression que personne, à La France insoumise, n'est gêné par le fait que des Calédoniens, qu'ils soient kanak ou non kanak, nés en Nouvelle-Calédonie de parents calédoniens depuis vingt-cinq ans, ne puissent pas voter ! Le fait que des gens qui vivent depuis vingt-cinq ans sur une terre où ils sont nés ne puissent pas voter à des élections locales pose pourtant un problème démocratique de fond.
Dans mon intervention liminaire, j'ai essayé de faire comprendre que le paradoxe calédonien tenait au fait que la liste électorale d'autodétermination était plus large que la liste électorale provinciale. Il est pourtant plus important de voter pour l'autodétermination que de voter pour les élections locales. Pourtant, nous ne touchons pas à la liste électorale d'autodétermination. Alors, ne faites pas croire à ceux qui nous écouteraient sans avoir lu ou regardé l'intégralité de nos débats – il est vrai fort complexes, puisqu'il y a trois listes électorales pour 270 000 habitants –, par la magie du verbe, que nous voulons modifier de façon léonine la liste électorale d'autodétermination pour rendre la Nouvelle-Calédonie intrinsèquement française, par une sorte de grand remplacement – j'utilise l'expression à dessein, puisque le groupe GDR a cité Pierre Messmer.
Je n'étais pas né sous Pierre Messmer ; vous, peut-être. Je ne sais pas.
Tout ce que je peux vous dire, c'est que nous ne réformons pas la liste électorale d'autodétermination, mais la liste électorale spéciale provinciale, pour que les gens qui sont nés calédoniens de parents calédoniens, qu'ils soient ou non kanak, qui payent des impôts et qui vivent en Nouvelle-Calédonie, puissent voter sur le code de l'environnement, l'aide sociale à l'enfance ou l'utilisation de tel ou tel service public. Cela me paraît être le minimum minimorum.
J'entends dire que nous n'aurions qu'à parvenir à un accord, à partir duquel nous modifierions la Constitution ou la loi. Raisonnons par l'absurde et imaginons qu'aucun accord ne se dessine : quelle est la proposition de La France insoumise, du groupe GDR et du groupe Écologiste ?
M. Frédéric Maillot s'exclame.
Est-ce d'attendre cinq ans, dix ans, vingt ans, trente ans, avant de modifier le corps électoral des élections locales ? Le problème du corps électoral sera vite résolu ! Puisqu'il faut être en Nouvelle-Calédonie depuis 1988 pour figurer sur la liste électorale, il y aura de moins en moins d'électeurs. Cela n'a pas de sens.
Le dégel sur dix ans du corps électoral que nous évoquons ici est déjà extraordinaire du droit commun. Les loyalistes avaient proposé zéro, puis trois ans ; nous avions proposé, au début, sept ans ; finalement, nous nous sommes ralliés à la proposition indépendantiste de dix ans, laquelle figurait déjà dans les accords de Matignon signés avec le Premier ministre Lionel Jospin. C'est ensuite que le président Chirac, pour des raisons qui tenaient d'un règlement de comptes politique interne à son parti, sur lequel je ne reviendrai pas, a décidé de ce gel, dont Dominique de Villepin avait dit expressis verbis à la tribune du Congrès qu'il vaudrait seulement pour deux élections provinciales.
Ne faites pas croire que nous procédons à une modification unilatérale de l'autodétermination ; cela n'a pas de sens et ce n'est pas vrai. Ne faites pas croire que nous proposons une réforme globale des institutions de la Nouvelle-Calédonie : nous ne parlons que du dégel du corps électoral sur dix ans, conformément à la proposition faite par Lionel Jospin lui-même dans les accords de Matignon. Enfin, ne faites pas croire, s'il vous plaît, que vous avez d'autres solutions, puisque vous ne reprenez pas la demande de reporter la date des élections faite par les indépendantistes eux-mêmes.
Ne confondez pas les débats. Le débat constitutionnel viendra dans un deuxième temps. Je constate que vous n'avez pas envie que la question progresse, et c'est bien dommage.
Je voudrais revenir sur l'expression « passage en force » que j'ai entendue prononcer. Apparemment, nous ne nous comprenons pas.
M. Antoine Léaument s'exclame.
Comme l'a dit M. le rapporteur, les partis politiques se sont mis d'accord pour demander le report des élections. Il me semble que nous devons aller dans le même sens que ceux qui vivent en Nouvelle-Calédonie.
En outre, il ne faut pas oublier la société civile de Nouvelle-Calédonie. Vous semblez ne pas mesurer ce qui s'y passe au niveau économique : beaucoup de chômage partiel, beaucoup de licenciements économiques, beaucoup d'inquiétude. Les habitants ont besoin de stabilité, mais cette stabilité ne sera pas atteinte s'il y a une crise institutionnelle.
Le report des élections est une manière d'apporter de la sérénité. C'est un enjeu institutionnel aussi bien qu'économique. C'est aussi une manière de prendre en considération les souhaits des Calédoniens. Nous sommes à Paris, mais ceux qui vivent en Calédonie seraient intéressés de voir que vous leur refusez la possibilité de bien vivre et de sortir de la crise.
MM. Sylvain Maillard et Jean Terlier applaudissent.
Monsieur le ministre, vous dites que personne n'est allé en Nouvelle-Calédonie, mais j'y suis allé quatre fois, dont deux fois l'année passée.
Je n'ai pas dit que personne n'y était allé, j'ai demandé qui !
En créole guyanais, on dirait Zòt gen toupé. Vous avez du toupet, monsieur le ministre. Vous arrivez chez les gens et vous les rendez minoritaires !
Vous n'êtes pas français, vous ?
C'est même la raison du gel électoral : s'il a été décidé, c'est parce que la question kanak et le fait colonial ont été reconnus.
Toute l'architecture des accords de Nouméa et de Matignon repose sur l'exigence de consensus, monsieur le ministre : il faut que toutes les parties soient d'accord. Or vous avez décidé – et cette décision a des airs de guillotine – d'organiser un référendum, le troisième sur ce sujet, tout en sachant que les deux premiers avaient montré une évolution du corps électoral en faveur du processus d'autodétermination et de l'accès à la pleine souveraineté. C'est la raison pour laquelle vous êtes passé en force, sans tenir compte de l'avis des personnes originaires du territoire, les autochtones !
M. Frédéric Maillot applaudit.
C'est là tout le problème : vous ne voulez pas reconnaître la dimension coloniale de la question. Vous perpétuez une vision colonialiste et paternaliste !
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, Écolo – NUPES et GDR – NUPES et sur quelques bancs du groupe SOC.
Je ne sais pas quel est ce « vous » dans lequel vous essayez de m'enfermer, monsieur le député ! Il me semble que nous sommes tous français, ici.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR. – MM. Roger Chudeau et Maxime Minot applaudissent également.
Vous n'allez pas me chanter la chanson du fait colonial ou de la vision colonialiste : je suis petit-fils de colonisé ,
« Et alors ? » sur les bancs du groupe LFI – NUPES
et je suis français de ce fait. Pas d'essentialisme, donc ! Vous essentialisez les gens.
Exclamations sur les bancs des groupes LFI – NUPES et GDR – NUPES.
Et vous venez de dire quelque chose de très intéressant, qui rejoint ce que vos amis politiques avaient dit en commission : selon vous, la question kanak est liée au colonialisme et à l'indépendance. Mais où avez-vous vu que tous les Kanaks étaient indépendantistes ? Vous essentialisez les gens en fonction de leur peuple d'origine, comme si tous les Kanaks devaient voter en faveur de l'indépendance.
Mais justement, ce n'est pas le cas ! Je ne définis pas les gens et leur vote selon leur couleur de peau.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe RN.
Il y a des Kanaks qui veulent rester français et il y a des Européens qui veulent voter l'indépendance.
Votre essentialisme, qui a pour fondement la couleur de peau, est scandaleux : il est contraire à l'universalisme français
Mêmes mouvements
et je réfute vos arguments qui sont en contradiction avec ce qu'est la France, c'est-à-dire avec l'exigence d'universalité. Vous venez de montrer votre visage, et ce n'est pas très beau.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – M. Roger Chudeau applaudit également.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 105
Nombre de suffrages exprimés 105
Majorité absolue 53
Pour l'adoption 34
Contre 71
L'amendement n° 4 de M. Steve Chailloux est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
L'amendement tend à introduire la faculté – et pas l'obligation – de reporter, « dans un délai suffisant », la date des élections provinciales. Or on ne peut pas écrire les choses ainsi, et ce pour deux raisons.
D'abord, la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, en matière de report des élections provinciales, veut, entre autres choses, que l'exercice de ce droit de suffrage réponde à une périodicité raisonnable, ce qui implique qu'une date précise soit fixée. Chacun sait que la perspective – non contraignante – d'un « délai suffisant » serait censurée par le Conseil constitutionnel.
Ensuite, une telle rédaction ne réglerait pas le problème qui tient à l'insuffisance juridique du décret de convocation des électeurs, puisque nous devons – je le répète – procéder à des ajustements et à des corrections du corps électoral. Avis défavorable.
Il est beaucoup question du respect que l'on doit au choix des Calédoniens, mais j'aimerais que cela se traduise dans les faits. Nous, Calédoniens, sommes allés voter trois fois : trois fois pour dire « non » à notre indépendance. Il aurait suffi que nous votions « oui » une fois pour devenir indépendants, et nous avons dû dire « non » trois fois, tout en sachant que des milliers de Calédoniens étaient exclus du droit de vote.
Le dégel du corps électoral prévu par le ministre Darmanin introduirait une durée de présence minimale sur le territoire de dix ans – instituant donc un corps électoral glissant. Nous, les non-indépendantistes, avions demandé trois ans ; Gérald Darmanin, lui, s'était d'abord prononcé pour sept ans. Ce sont les indépendantistes qui ont proposé dix ans, et le ministre s'est calé sur leur proposition, en vertu d'un document qu'ils ont signé !
Ce que propose Gérald Darmanin, ce n'est donc rien d'autre que d'appliquer la proposition des indépendantistes. Le report des élections provinciales a été voté aux trois cinquièmes du Congrès de la Nouvelle-Calédonie : il n'y a pas choix plus souverain que celui-là. Et je voudrais répondre à certaines affirmations, parce qu'il y a des mots qui blessent. Quand j'entends « vous les avez noyés », à qui s'adresse ce « vous » ?
Je suis né en Nouvelle-Calédonie de parents, de grands-parents et d'arrière-grands-parents nés en Nouvelle-Calédonie. C'est un territoire multiculturel et multiethnique ; l'histoire a fait que des Européens, des Asiatiques, des Polynésiens et aussi – bien sûr – des Kanaks l'ont peuplé. Ce qu'a prévu l'accord de Nouméa, c'est précisément que nous construisions une communauté de destin ; c'est ce que nous avons appelé le destin commun, en vertu duquel nous ne formerions qu'un seul peuple, le peuple calédonien. C'est cela, l'esprit de l'accord de Nouméa. Et je suis toujours très meurtri de voir ici, dans la patrie des droits de l'homme, les bancs de la gauche…
Nous sommes donc opposés à ces amendements, madame la présidente, mais je voulais surtout rappeler les termes de ce que doit être un débat sur la Nouvelle-Calédonie.
Vifs applaudissements sur les bancs des groupes RE, RN, Dem et HOR. – M. Maxime Minot applaudit également. – Plusieurs députés du groupe RE, continuant d'applaudir, se lèvent.
Quand j'entends mon collègue Metzdorf parler de la Nouvelle-Calédonie et de son peuplement, je ne peux pas ne pas réagir ; c'est donc à ses propos que je veux répondre. Vous savez que pour ma part, je suis issu d'une population qui, en Guadeloupe, a été mise en esclavage : c'est le cas de mes ancêtres, qui l'ont été du fait de leur couleur de peau.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, Écolo – NUPES et GDR – NUPES. – M. Alain David applaudit également.
La controverse de Valladolid avait été organisée en Espagne au XVI
Vifs applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, SOC, Écolo – NUPES et GDR – NUPES. – MM. Jean-Victor Castor et Frédéric Maillot, continuant d'applaudir, se lèvent.
C'est la raison de notre sensibilité sur ce sujet. Vous ignorez peut-être l'histoire des Kanaks ; vous ignorez ici, au sein de l'Assemblée nationale, que le chef Ataï, par exemple, a eu la tête tranchée lorsqu'il a été vaincu ,…
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Jean-Victor Castor applaudit également
…et que sa tête est restée jusqu'à récemment conservée dans le formol, au musée de l'Homme, uniquement parce que sa peau était sombre et qu'il était Kanak !
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES. – M. Nicolas Sansu applaudit également.
Nous vous exhortons à le comprendre et à considérer cette souffrance du passé ; c'est ce qui fait que nous réclamons aujourd'hui justice et reconnaissance, pour que nous soyons tous enfants de la République.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, Écolo – NUPES et GDR – NUPES et sur quelques bancs du groupe SOC.
L'amendement n° 4 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour soutenir l'amendement n° 6 .
Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés a trait à la date des prochaines élections provinciales de Nouvelle-Calédonie, que nous avons déjà évoquée tout à l'heure. Celle du 15 décembre 2024 n'est selon nous pas la bonne et nous souhaitons lui substituer celle du 30 novembre 2025 – au plus tard –, suivant ainsi la préconisation formulée par le Conseil d'État qui, dans son avis du 7 décembre 2023, indiquait qu'un « report pour une durée de […] dix-huit mois ne se heurterait à aucun obstacle d'ordre constitutionnel ou conventionnel », et que ce report constituerait la condition sine qua non de la réussite des négociations.
Nous souhaitons donc introduire cette nouvelle date, qui est également proposée par le Conseil d'État, parce qu'il nous semble que nous avons encore besoin de discuter pour élaborer une liste électorale qui soit plus ouverte qu'actuellement. Adopter cet amendement serait tenir compte d'une demande qui, émanant du territoire calédonien, a trouvé écho dans nos rangs.
Vous avez raison, ma chère collègue, de citer l'avis du Conseil d'État publié le 7 décembre dernier, qui précise en effet qu'il n'y aurait pas d'obstacle constitutionnel ou conventionnel à reporter de douze à dix-huit mois la date des prochaines élections provinciales. Il n'en fait cependant pas une recommandation : il en fait une faculté. Sur ce fondement, le Gouvernement a fait un choix, nous le savons, en fixant la date limite au 15 décembre 2024, ce qui permettrait d'organiser les élections – mais nous attendons tous qu'un consensus se fasse jour et mette fin, par un accord global, aux discussions sur le sujet.
L'objectif de votre amendement est finalement satisfait par la faculté offerte à l'article 2 du projet de loi constitutionnelle à venir – ce n'est pas celui que nous examinons aujourd'hui, je le reconnais bien volontiers. En effet, si le Parlement en décidait ainsi, le Gouvernement se verrait offrir la possibilité, selon des modalités qui doivent encore être discutées, de décider par décret, en Conseil des ministres, de reporter encore une fois les élections – le ministre l'a dit dans son intervention liminaire, il l'a toujours dit et je l'ai moi-même rappelé dans mon rapport. La voie réglementaire permettrait une plus grande réactivité que le chemin législatif.
Prévoir d'ores et déjà une date limite n'est donc pas nécessaire, mais rien ne l'interdit non plus ; c'est ce qui me faisait dire tout à l'heure que le 15 décembre ne constitue pas un ultimatum.
Si vous me le permettez, ma chère collègue, je veux enfin vous dire, en tant que Calédonien – je vais donner un avis tout à fait personnel, qui n'a rien de juridique –, qu'il n'y a pas de date magique. Aucune date, quelle que soit celle que nous pourrions fixer aujourd'hui, n'emporterait en elle la réussite ou l'échec d'un processus. Ce qui importe, c'est que les discussions soient engagées et c'est la volonté, je l'espère retrouvée, de parvenir à un accord. D'ici la fin de la semaine, l'issue du congrès du FLNKS devrait nous donner une indication très forte à ce sujet, et nous saurons si les discussions sont susceptibles de reprendre. Vous verrez ainsi, je le souhaite, que si cette perspective s'ouvre, nous n'aurons plus à nous poser la question de la date, décembre 2024 ou novembre 2025, nous n'aurons qu'à trouver le moyen de parvenir à un accord global. Avis défavorable.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 97
Nombre de suffrages exprimés 95
Majorité absolue 48
Pour l'adoption 6
Contre 89
L'amendement n° 6 n'est pas adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 103
Nombre de suffrages exprimés 102
Majorité absolue 52
Pour l'adoption 70
Contre 32
L'article 1er est adopté.
L'article 2 est adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 104
Nombre de suffrages exprimés 102
Majorité absolue 52
Pour l'adoption 71
Contre 31
Le projet de loi organique est adopté.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe Dem. – Mme Naïma Moutchou applaudit également.
Pour conclure, madame la présidente, je veux remercier l'ensemble des collègues pour ce vote, mais aussi tous ceux qui sont intervenus, de leur intérêt pour le texte, ainsi que Mme l'administratrice qui m'a accompagné très efficacement. Je vous donne rendez-vous pour de nouveaux échanges sur le sujet, qui devront nous permettre de parvenir à un accord.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures dix.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Merci de ces encouragements pour ce premier texte que je défends en tant que secrétaire d'État. Nous sommes réunis pour examiner le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne – dit Ddadue – en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole. Ce texte a été examiné et adopté au Sénat en première lecture le 20 décembre 2023. Dans la poursuite de sa navette parlementaire, nous nous penchons aujourd'hui sur la version issue des travaux qui ont eu lieu dans les différentes commissions concernées par son champ d'application.
Avant toute chose, je tiens à souligner un bilan dont nous pouvons être fiers : à la fin de l'année 2023, notre pays a affiché une excellente performance en matière de transposition des directives. La France se place ainsi au premier rang du classement des États membres établi par la Commission européenne, avec des retards de transposition dans seulement 0,1 % des cas. Ce n'est pas un sans-faute, je vous l'accorde, puisqu'une directive reste en attente, mais, sur un stock de plus de 1 000 directives relatives au marché intérieur à transposer en droit interne, c'est tout de même un bel accomplissement, dont nous pouvons nous féliciter.
Le projet de loi Ddadue doit permettre à la France de disposer d'un droit national conforme aux évolutions législatives européennes récentes et de contribuer à maintenir cette exigence de bonne performance dans l'application du droit à l'échelle européenne. Sans revenir dans le détail sur les domaines variés qu'il recouvre et sans anticiper la discussion qui nous attend sur les différents amendements déposés, je veux revenir sur plusieurs points qui nous semblent revêtir une importance particulière.
S'agissant d'abord des champs économiques et financiers, les dispositions de mise en conformité visent notamment à donner leur plein effet à des mesures déterminantes en faveur de la protection des consommateurs. Elles permettront également de préciser les règles applicables aux sociétés. Différents textes nationaux sont aussi concernés dans le domaine du droit bancaire, monétaire et financier. L'application concrète de certains dispositifs supposera des travaux longs – je songe par exemple aux contrats de services financiers conclus à distance, aux contrats de crédit aux consommateurs et aux plateformes qui centralisent les informations financières –, ce qui nécessite de légiférer par ordonnance.
De même, des travaux d'ampleur ont déjà été conduits par l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) pour adapter le droit aux marchés des cryptoactifs. Ils sont toujours en cours, ce qui conduit le Gouvernement à demander à la représentation nationale de reconduire l'habilitation à légiférer qu'elle lui a accordée, tant l'adaptation des différents codes à ce marché est complexe et technique.
Pour éviter tout risque d'inconstitutionnalité et en accord avec la commission des affaires économiques et son rapporteur Stéphane Vojetta, nous apporterons, à l'article 3, une précision concernant le champ de l'habilitation à légiférer par ordonnance en vue de rectifier la loi du 9 juin 2023 visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. Ce sujet m'intéressant tout particulièrement – vous le savez –, je me permets quelques développements sur cet article relatif à la sphère numérique. Il s'agit de modifier des dispositions de la loi du 9 juin 2023 créant une définition légale des influenceurs et visant à interdire ou à encadrer la promotion de certains produits ou services. En effet, près de 42 millions de consommateurs achètent des biens et services sur internet, et les réseaux sociaux constituent un canal privilégié pour les annonceurs qui ciblent leur public – en particulier les jeunes utilisateurs – par l'intermédiaire d'influenceurs largement suivis sur diverses plateformes telles qu'Instagram, YouTube, TikTok, etc.
Comme vous le savez, ces dispositions ont fait l'objet d'échanges avec la Commission européenne au titre de la procédure de notification prévue par la directive du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information. La Commission estime que plusieurs articles de la loi du 9 juin 2023 doivent être adaptés pour assurer leur conformité avec les règlements européens relatifs aux services numériques – en l'espèce, le Digital Services Act, ou DSA – et au marché des cryptoactifs. Tel est l'objet de l'ordonnance prévue à l'article 3 du projet de loi Ddadue que nous examinons aujourd'hui. Néanmoins, un amendement, adopté par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale en vue d'étendre le périmètre de l'habilitation prévue dans la version issue du Sénat, fait peser un risque de non-conformité à l'article 38 de la Constitution, le Conseil constitutionnel considérant que ce point relève de la compétence exclusive du Gouvernement.
Parce qu'il approuve pleinement l'initiative de la commission des affaires économiques, le Gouvernement a donc déposé un amendement – que, j'espère, vous soutiendrez – relatif au périmètre et au délai d'habilitation, afin d'assurer la conformité du dispositif à la Constitution. La modification de l'alinéa 1er permettra d'étendre la durée de l'habilitation à neuf mois afin de garantir un délai suffisant pour mener à bien les consultations juridiques nécessaires pour mettre en conformité les dispositions visées avec le droit de l'Union européenne. Ces consultations incluent notamment la procédure de notification des nouvelles dispositions à la Commission européenne, qui prévoit le respect d'une période de statu quo d'au moins trois mois à compter de ladite notification, cette durée pouvant être prolongée à la demande de la Commission.
Dans le respect des procédures, ce délai supplémentaire de trois mois par rapport à la version issue du Sénat évitera des retards ultérieurs dans l'adoption et la mise en œuvre de la loi. Au surplus, il améliore la sécurité juridique de son contenu.
Par la modification de l'alinéa 2, il est proposé d'étendre le champ d'habilitation à l'ensemble du titre Ier plutôt que de le limiter aux seuls articles 1er , 4, 5 et 9. En effet, l'article 1er , qui définit l'activité d'influence commerciale, nécessitera des adaptations et aura très certainement une incidence sur les autres articles. Ainsi, la cohérence d'ensemble sera garantie et le découpage sera plus simple si plusieurs modalités d'application devaient être revues pour une mise en conformité.
Enfin, il est nécessaire de prévoir la création d'un article consacré aux dérogations au principe du pays d'origine – dit PPO – posé par la directive relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, ou directive sur le commerce électronique, et la directive dite services de médias audiovisuels, ou directive SMA.
En effet, la mise en conformité des articles 4 et 5 de la loi dite influenceurs avec le droit de l'Union européenne nécessite de prévoir leur applicabilité à des prestataires de services de la société de l'information établis en France, au sein d'autres États membres de l'Union Européenne, ou bien hors de l'Union européenne, dès lors qu'ils exercent l'activité d'influence commerciale par voie électronique.
L'objectif du projet de loi Ddadue est d'apporter les précisions nationales utiles pour transposer ces textes au mieux et éviter ainsi les écueils liés à la sous-transposition ou à la surtransposition.
Je pense par exemple aux ajustements qui confortent le pouvoir de sanction de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en matière de produits paneuropéens d'épargne retraite individuelle. Ils visent à donner une base légale à l'obligation de déclaration dans des registres centraux d'informations relatives à des bénéficiaires d'organismes philanthropiques. Il s'agit également d'obtenir que les exigences minimales de fonds propres soient bien appliquées par les grands groupes bancaires et de faciliter le renflouement de ces derniers.
Pour éviter une surtransposition et tout risque d'inconstitutionnalité en matière de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes au sein des organes des sociétés commerciales, le projet de loi Daddue articule différents dispositifs nationaux avec ceux prévus par le droit de l'Union européenne.
Avec l'aide du rapporteur de la commission des finances, Daniel Labaronne, que je remercie, ce texte est aussi l'occasion d'adapter le code général des impôts au nouveau règlement européen relevant le plafond des aides d'État aux entreprises dispensées de notification à la Commission européenne.
En matière de transition écologique, le projet de loi prévoit la mise en place de contrôles destinés à assurer la bonne application du devoir de diligence des opérateurs économiques qui mettent des batteries sur le marché ou en service. Il comporte également des dispositions relatives au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Enfin, il transpose en droit français la définition de l'hydrogène renouvelable et de l'hydrogène bas-carbone.
En matière de coopération judiciaire, les échanges entre le Gouvernement et la commission des lois de l'Assemblée nationale – que nous remercions de son soutien dans le contexte de la lutte antiterroriste – ont permis de clarifier la rédaction de plusieurs articles. Est ainsi garanti un accès équivalent des services répressifs de chaque État membre aux informations disponibles dans d'autres États. En outre, le projet de loi met le code de procédure pénale en conformité avec les dispositions européennes relatives au droit d'accès à un avocat et au mandat d'arrêt européen.
En matière sociale, plusieurs décisions de justice récemment rendues au sujet des congés payés conduisent le Gouvernement à présenter un amendement afin de remédier à l'inconventionnalité d'un article du code du travail. Avant son dépôt, l'avis du Conseil d'État a été sollicité. Nous y reviendrons au cours de nos débats.
En matière agricole, la gestion par les régions d'une partie des aides relevant du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) sur la programmation 2014-2022 de la politique agricole commune (PAC) est facilitée. Le préfet pourra désormais déléguer sa signature aux autorités régionales, et ainsi sécuriser l'exercice par les établissements de l'élevage des missions qui leur sont confiées en matière de traçabilité des animaux. Cette mesure était très attendue par les régions.
Enfin, confrontées pour certaines d'entre elles, notamment dans le Nord et dans les Alpes, à des crues récentes exceptionnelles par leur durée et leur intensité, les collectivités souhaitent disposer d'un cadre simplifié pour mener les actions de prévention des risques d'inondation prévus par la directive relative à l'évaluation et à la gestion des risques d'inondation du 23 octobre 2007. En conséquence, le Gouvernement présente deux amendements pour alléger et simplifier les procédures en la matière. J'espère qu'ils recueilleront votre soutien.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et HOR, ainsi que sur ceux des commissions.
La parole est à M. Ludovic Mendes, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Nous sommes réunis pour examiner le deuxième projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne, dit Ddadue, de la législature, qui vise à transposer en droit interne des règlements et des directives de l'Union. Ce texte, composé de trente-quatre articles, porte sur des matières diverses : économie, finances, transition écologique, droit pénal, droit social et droit agricole.
Le Sénat a été saisi de ce texte à l'automne. Il l'a adopté en première lecture le 20 décembre 2023 avant de nous le transmettre dans le cadre de la navette parlementaire.
Si le Sénat a choisi de réunir une commission spéciale chargée de l'examen de ce texte, notre assemblée a renvoyé celui-ci à la commission des lois. Toutefois, des délégations de fond ont été accordées à la commission des affaires économiques, à celle des finances et à celle du développement durable et de l'aménagement du territoire.
La commission des lois a examiné la semaine dernière les articles 4, 5, 21 à 30 et 32. Les deux premiers portent sur le droit des sociétés. L'article 4 ratifie l'ordonnance transposant la directive 2019/2121, qui réforme le régime des fusions, scissions, apports partiels d'actifs et opérations transfrontalières des sociétés commerciales, et opère les modifications subséquentes dans le code de commerce. L'objectif est de renforcer le libre établissement des entreprises dans l'espace économique européen. Je vous propose d'adopter cet article avec quelques corrections du Gouvernement.
L'article 5 habilite le Gouvernement à transposer par ordonnance la directive 2022/2381 relative à un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes parmi les administrateurs des sociétés cotées et à des mesures connexes. Le Sénat a souhaité encadrer l'habilitation afin de s'assurer que cette transposition n'entraîne aucun recul pour la représentation des femmes en droit interne.
En effet, la France est en avance sur ce sujet à l'échelle de l'Union européenne : elle a imposé en 2011, par la loi Copé-Zimmermann, un quota de 40 % de femmes dans les conseils d'administration des grandes entreprises, dont le non-respect est sanctionné de manière dissuasive, avant de fixer en 2021, par la loi Rixain, des règles concernant la présence des femmes dans les organes de direction. Sans revenir sur ces exigences, au demeurant respectées par les grandes entreprises, il pourrait être nécessaire d'amender la rédaction du Sénat afin d'éviter des surtranspositions excessives. Le Gouvernement a déposé des amendements à cet effet.
Les articles 21 à 26 visent à transposer la directive 2023/977 du 10 mai 2023 relative à l'échange d'informations entre les services répressifs des États membres. Il s'agit de garantir aux services répressifs compétents d'un État membre un accès équivalent aux informations dont disposent ses homologues d'un autre État membre. Lors de l'examen du projet de loi, le Sénat a réécrit ces articles, mais la rédaction retenue ne paraît ni respectueuse de la directive ni opérationnelle pour les services. C'est pourquoi la commission des lois a adopté des amendements du Gouvernement visant à rétablir la rédaction initiale du texte, modifiée de façon marginale.
L'article 27 adapte le code de procédure pénale au règlement européen 2023/2131, qui fluidifie les échanges d'informations numériques en matière de terrorisme.
L'article 28 met le code de procédure pénale en conformité avec la directive 2013/48 sur plusieurs points relatifs à la garde à vue. Cet article, qui touche aux libertés publiques et fondamentales, a suscité de nombreux débats en commission. Selon la Commission européenne, le droit français ne garantit pas suffisamment la présence de l'avocat durant la garde à vue, dès lors qu'il autorise une audition en son absence s'il ne se présente pas dans les deux heures suivant l'avis qui lui a été adressé. Le Sénat a réintroduit une procédure d'audition immédiate, mais celle-ci ne semble pas tout à fait conforme à la directive. En commission, nous avons pu définir un équilibre solide entre prérogatives des enquêteurs et respect des exigences européennes sur l'accès à l'avocat. Je vous proposerai d'adopter la rédaction retenue.
L'article 29 met le code de procédure pénale en conformité avec la décision-cadre 2002/584 du Conseil de l'Union européenne relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres. Il n'existe ici aucune marge de manœuvre pour se conformer au droit européen. Le Sénat a adopté cet article sans modification et je vous proposerai de faire de même.
L'article 30 prévoit certaines modalités d'application particulières dans les territoires d'outre-mer. Le Sénat a adopté un amendement du Gouvernement reportant de trois mois l'entrée en vigueur de l'article 28 sur la garde à vue de manière à permettre aux services judiciaires de se préparer, ce qui me semble opportun. Je vous proposerai de l'adopter sans modification.
Enfin, l'article 32 a pour objet de transposer un article de la directive 2019 /1158 du 20 juin 2019 du Parlement européen et du Conseil concernant l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants. Il prévoit un maintien des droits acquis avant le début d'un congé de paternité et d'accueil de l'enfant, d'un congé parental ou encore d'un congé de proche aidant, pour n'en citer que quelques-uns, en matière, par exemple, de droit à la formation ou aux évaluations annuelles.
Lors de l'examen du texte, le Sénat a opportunément allongé la liste des congés concernés par ce principe. Cet article a été adopté sans modification en commission des lois ; je m'en réjouis. Cette disposition fait résolument progresser notre droit de la fonction publique. Le Gouvernement proposera un article additionnel pour les salariés du secteur privé suite à l'avis rendu par le Conseil d'État le 13 mars concernant la mise en conformité des dispositions du code du travail en matière d'acquisition des congés pendant les périodes d'arrêt maladie.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE, ainsi que sur ceux des commissions.
La parole est à M. Stéphane Vojetta, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, à laquelle la commission des lois a délégué l'examen des articles 1er , 2, 3, 18, 19, 33 et 34.
Les articles du projet de loi dont la commission des affaires économiques était saisie pour avis, avec délégation au fond, visent notamment à assurer la conformité de notre droit avec les évolutions qui touchent aux domaines du droit de la consommation, de l'énergie et de l'agriculture.
Si la cohérence n'est pas à rechercher entre ces sujets ou entre les divers articles du projet de loi, dont les thèmes – c'est la loi du genre – sont disparates, il existe toutefois une cohérence d'ensemble entre ces dispositions et la politique du Gouvernement. Ainsi, je me réjouis de présenter aujourd'hui des adaptations au droit de l'Union européenne qui permettront de mieux défendre nos consommateurs, de simplifier des démarches trop lourdes pour notre monde agricole et d'avancer vers la transition énergétique et écologique souhaitée par ce gouvernement et par la plupart d'entre nous dans cet hémicycle.
Cette cohérence est une démonstration utile en ces temps où certains choisissent la facilité consistant à rendre l'Europe coupable de tout ce qui ne va pas, plutôt que la voie ardue des propositions et des constructions collectives.
Je souhaite maintenant m'attarder sur l'article 3 du projet de loi, destiné à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour mettre en conformité avec le droit européen la loi du 9 juin 2023 visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux.
La loi dite influenceurs tient particulièrement à cœur à mon corapporteur Arthur Delaporte, à qui je souhaite un prompt rétablissement, et à moi-même. Nous avions établi une « bulle de paix » pour travailler sereinement sur ce sujet transpartisan. Je sais que ce texte vous tient également à cœur, chers collègues qui, après avoir participé à sa genèse, l'avez voté à l'unanimité. Cette loi tient aussi à cœur aux Français et aux Françaises qui l'avaient plébiscitée au moment des débats ayant précédé son vote, et enfin aux influenceurs eux-mêmes : ils ont reconnu qu'il était nécessaire d'encadrer et de professionnaliser leur activité.
Le souci de cohérence nous conduira aujourd'hui à assurer l'articulation de cette loi avec les règles européennes, notamment la règle du pays d'origine imposée par la directive sur le commerce électronique.
Pour mémoire, la loi dite influenceurs prévoit que ces derniers doivent respecter les règles françaises dès lors qu'ils travaillent pour des consommateurs français, peu important leur lieu d'établissement. Cela restera vrai pour les influenceurs de Dubaï et tous ceux établis hors de l'Union européenne. En revanche, la Commission européenne souhaite préciser que les influenceurs établis dans un État membre de l'Union européenne sont soumis à la loi de leur pays d'établissement.
S'il est légitime que l'Union européenne nous demande de respecter les règles communes autorisant nos entreprises à se développer sur le marché européen – 450 millions de consommateurs – plutôt que sur l'étroit marché français – 67 millions d'habitants –, il est tout aussi légitime que le législateur national défende ses prérogatives pour encadrer et réguler le marché français. Le respect des règles européennes inclut les dérogations qu'elles prévoient. C'est en ce sens que le Gouvernement, avec la participation active des deux corapporteurs du texte, négocie avec la Commission européenne. L'article 3 habilite ainsi le Gouvernement à légiférer par ordonnance afin de mettre notre loi en conformité avec le droit européen – ni plus, ni moins.
Il n'y a donc pas d'inquiétude à avoir malgré les rumeurs. La loi dite influenceurs, dont les effets positifs se font déjà sentir sur les réseaux sociaux depuis son entrée en vigueur – sans régler tous les problèmes –, ne sera pas abrogée. Nous préserverons son esprit et son équilibre, fondé en grande partie sur le principe de son application extraterritoriale.
Ne blâmons pas trop la Commission européenne de chercher à faire respecter les règles européennes, car c'est bien à l'échelle européenne qu'il est le plus efficace de réguler l'espace digital. N'oublions pas que le règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un marché unique des services numériques, dit Digital Services Act ou DSA, héritage de la présidence française de l'Union européenne, a renforcé notre capacité collective à imposer les règles européennes aux multinationales qui dominent notre espace numérique et règnent sur les réseaux sociaux.
Alors oui, vive le DSA. Néanmoins, reconnaissons que celui-ci ne couvrait pas correctement les dérives contre lesquelles lutte la loi « influenceurs ». La preuve : l'Espagne, l'Italie, la Belgique ou encore le Danemark préparent leurs propres lois sur le modèle de la nôtre. Je souhaite que celle-ci devienne caduque dès que possible, mais parce qu'elle aura été remplacée par un texte cohérent et efficace, qui régule cette activité et ses dérives à l'échelle de notre continent.
D'ici là, je me réjouis de continuer à travailler avec le Gouvernement sur ce projet d'ordonnance. Mais surtout, madame la ministre, continuons à travailler ensemble : il reste tant à faire pour que la loi soit respectée par les influenceurs et pour enfin reprendre le contrôle sur nos écrans, pour installer un système incontournable de vérification de l'âge, pour protéger notre jeunesse contre un temps d'usage excessif et contre les contenus inappropriés.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
La parole est à M. Damien Adam, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, à laquelle la commission des lois a délégué l'examen des articles 10 à 17, 20 et 31.
Ces dernières années, l'Union européenne a démontré son engagement en faveur de la transition écologique et du développement durable. En adoptant de nombreux textes, notamment le Green Deal, l'ensemble des États membres se sont unis autour d'intérêts communs : la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la neutralité carbone.
Il nous revient maintenant de transposer ces directives dans notre droit national. C'est pourquoi la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a été saisie pour avis des articles 10 à 17, ainsi que des articles 20 et 31 du projet de loi.
Ces articles adaptent des dispositifs importants, comme ceux issus du règlement du 12 juillet 2023 relatif aux batteries et aux déchets de batteries. La transition énergétique devrait conduire à l'électrification croissante des véhicules dans les prochaines années, entraînant une hausse de la demande de batteries d'ici à 2030. Ce projet de loi vise donc à réglementer les batteries tout au long de leur cycle de vie. Les nouvelles exigences en matière de collecte et de valorisation des matériaux favoriseront la compétitivité de l'industrie européenne, en garantissant que les nouvelles batteries soient plus durables et plus écologiques.
Concrètement, un devoir de diligence est imposé aux opérateurs économiques qui mettent en service des batteries et qui opèrent sur ce marché. L'article 11 étend la responsabilité élargie du producteur à l'ensemble des batteries. Ce principe s'inscrit dans la logique du pollueur-payeur, et implique que la prévention et la gestion des déchets des batteries incombent désormais au producteur.
Ensuite, le projet de loi met en conformité le droit national avec le droit européen en matière d'économie circulaire, de santé et d'environnement. Prenant acte d'une décision de justice, l'article 12 remplace l'interdiction d'importation des boues d'épuration en France, introduite dans la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite Agec, par une instruction au cas par cas des demandes d'importation par les services de l'État.
À l'article 31, le calendrier d'interdiction des microplastiques est mis en conformité avec le calendrier européen récemment adopté. La stratégie ambitieuse adoptée par la France en 2019 a joué un rôle moteur pour l'Union européenne : les objectifs fixés à l'ensemble des États membres ont ainsi été rehaussés.
Le texte adapte également deux axes essentiels du paquet européen sur le climat et l'énergie afin de permettre à notre continent d'être le premier espace économique décarboné au monde. Il s'agit d'abord du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, finalisé pendant la présidence française du Conseil de l'Union européenne, sous l'impulsion du Président de la République, permettra d'éviter que les politiques climatiques de l'Union soient compromises par la délocalisation de la production dans des pays appliquant des normes écologiques moins ambitieuses que les nôtres. Cette taxation n'entrera en vigueur qu'à compter du 31 décembre 2025. Pendant la période transitoire, les entités qui y seront assujetties devront, sous peine de sanctions, effectuer une déclaration trimestrielle de l'empreinte carbone des produits importés.
Le texte comporte également des mesures relatives aux quotas carbone. Chaque année, les entreprises concernées doivent respecter un plafond d'émissions de gaz à effet de serre. En cas de dépassement de ce plafond, elles achètent des quotas supplémentaires aux enchères sur des plateformes qui opèrent pour le compte des États ou auprès d'autres sociétés qui auraient suffisamment réduit leurs émissions. Le projet de loi propose d'étendre ce système au transport maritime et y ajoute des sanctions pénales. Celles-ci sont justifiées par les spécificités du secteur maritime, puisque chaque navire a des modes de propulsion différents, qui peuvent varier d'un trajet à l'autre, et procède parfois à des mélanges de carburants. Le texte pose aussi des conditions à l'allocation de quotas à titre gratuit aux entreprises les plus vertueuses en matière d'efficacité énergétique et de respect du plan de neutralité climatique.
Enfin, le texte transpose des dispositions relatives à l'aviation et clarifie le périmètre du système d'échange de quotas d'émissions vis-à-vis du régime de compensation et de réduction de carbone pour l'aviation internationale – la compensation Corsia. Ce régime a été approuvé par l'Organisation de l'aviation civile internationale en 2018, afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre du transport aérien international. La participation des États à la phase pilote, puis à la première phase de la compensation Corsia, repose sur le volontariat et sera généralisée en 2027. Est prévue une révision complète de l'allocation de quotas à titre gratuit pour les exploitants d'aéronefs, puis sa disparition en 2026, sauf pour les exploitants qui utiliseront des carburants durables ou non dérivés de combustibles fossiles.
Enfin, l'article 20 prévoit une évolution du principe de modération tarifaire qui s'appliquera aux premiers tarifs de redevance aéroportuaire d'un nouveau contrat de concession. Tout comme le Gouvernement, j'espère que l'appel d'offres relatif à l'aéroport de Nantes Atlantique sera cette fois-ci fructueux. Une évolution du principe de modération tarifaire est essentielle, puisque le nouveau contrat de concession prévoit des travaux d'envergure, qui nécessiteront des investissements de la part du concessionnaire et donc une hausse équivalente de la redevance.
Voilà les dix articles relatifs à la transition énergétique dont la commission du développement durable est saisie et sur lesquels j'espère que nous avancerons tous ensemble.
La parole est à M. Daniel Labaronne, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, à laquelle la commission des lois a délégué l'examen des articles 6 à 9.
Nous allons examiner les articles relatifs au droit bancaire et financier du projet de loi Ddadue, adoptés en commission des finances.
Ma philosophie générale reste la même que l'an passé : assurer une transposition rigoureuse des textes communautaires. Aujourd'hui plus que jamais, nous devons créer un environnement réglementaire clair et cohérent, qui favorise notre compétitivité tout en assurant la stabilité financière et la protection des consommateurs. Nous devons néanmoins faire preuve de prudence. Toute sous-transposition pourrait compromettre la conformité de notre droit avec le droit européen ; toute surtransposition pourrait alourdir inutilement le fardeau de nos entreprises ; et toute transposition trop hâtive risquerait de compromettre la cohérence de notre législation. En choisissant la voie du pragmatisme et de la simplicité, nous consoliderons la confiance des investisseurs, stimulerons le développement économique et renforcerons la compétitivité de la France. Ensemble, nous jouerons un rôle clé dans le dynamisme et la compétitivité de l'Union européenne.
Je voudrais dire quelques mots des avancées significatives adoptées par la commission des finances lors de l'examen des articles dont elle a été saisie pour avis. À l'article 6, nous avons porté de six à neuf mois la durée d'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance pour transposer la directive du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme et le règlement du 31 mai 2023 sur les informations accompagnant les transferts de fonds et de certains cryptoactifs, dit règlement MiCA. Le nouveau calendrier, loin d'être défavorable, nous permettra de synchroniser nos actions en tenant compte des orientations de l'Autorité bancaire européenne, qui seront publiées jusqu'au mois de décembre 2024, et de celles fixées par l'ordonnance adaptant le droit national au règlement MiCA, qui sera publiée plus tard que prévu.
Deuxième avancée : nous avons également inscrit dans le projet de loi le principe de gratuité des informations fournies sur un support papier à un client de détail désireux de souscrire un investissement auprès d'un prestataire de services d'investissement.
Enfin, troisième avancée : nous avons adopté une mesure visant à renforcer le pouvoir de contrôle du Parlement en matière de nomination des dirigeants des personnes morales de droit privé chargées d'une mission d'intérêt général dans les secteurs de la banque, de l'assurance ou de la finance. Cette avancée, d'abord mise en œuvre, à mon initiative, dans la précédente loi Ddadue pour le directeur général du FGAO – le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages –, est ici étendue au président du directoire du FGDR – le fonds de garantie des dépôts et de résolution.
Nos discussions seront l'occasion de poursuivre nos échanges et de consolider ces dispositifs. En ma qualité de rapporteur pour avis de la commission des finances, je vous invite, mes chers collègues, à acter ces avancées et à poursuivre le travail engagé par la commission.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE, ainsi que sur ceux des commissions.
Je vous informe qu'à la demande du Gouvernement, en application de l'article 95, alinéa 4, du règlement, la discussion des articles 10 à 12 et des articles 20 à 32, ainsi que des amendements portant article additionnel après ces articles, est réservée. Ils seront examinés à l'issue de la discussion des amendements portant article additionnel après l'article 34.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Nicolas Sansu.
Nous sommes saisis, comme cela est le cas très régulièrement, d'un projet de loi Ddadue, acronyme abscons désignant la transposition de directives et de règlements européens relatifs à de nombreux domaines, sans cohérence d'ensemble.
L'exercice auquel nous nous livrons transforme le législateur en moine copiste, quasiment dépossédé de son droit d'amendement. Le législateur national en est réduit à faire ce à quoi je vais m'astreindre : commenter. Le parlementaire européen n'est pas mieux loti : son rôle se borne en général à donner un avis consultatif, l'adoption des directives s'effectuant dans le huis clos du Conseil de l'Union européenne.
Cette Union européenne est libérale, nous le savions, mais elle est aussi antidémocratique. C'est pour cette raison que les trois mois qui viennent doivent être l'occasion pour tous les progressistes de défendre l'Europe des peuples, l'Europe de la fraternité, l'Europe de la paix.
Les dispositions des trente-quatre articles s'inscrivent pleinement dans la doxa libérale tiède et ringarde, à l'exception de l'article 28, qui vient enfin réparer une faille de notre droit national en garantissant les droits fondamentaux des prévenus. Notre groupe souhaite pointer plusieurs dispositions problématiques.
Parlons d'abord des questions environnementales. Le fameux système d'échange de quotas carbone est un frein puissant à la transition écologique. Que de retard pris dans l'application du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières,…
…alors que les quotas gratuits seront alloués jusqu'en 2036. C'est une ineptie : il eût été possible d'avancer cette date à 2030, comme le recommandait un rapport sénatorial.
Faut-il rappeler qu'en France, en 2022, le marché carbone englobait 1059 installations qui ont émis 84 mégatonnes de CO
Nous déplorons de même que la date d'entrée en vigueur de l'article 31, relatif à l'interdiction des microplastiques, soit trop lointaine – cet article s'aligne sur le droit des pays les moins vertueux en matière environnementale. De plus en plus de recherches démontrent pourtant la nocivité des microplastiques – la dernière en date, celle d'une équipe napolitaine, a montré qu'ils étaient présents dans les artères coronariennes. Les leçons de l'amiante, des phytosanitaires ou du chlordécone n'ont visiblement servi à rien.
Dans le cadre de cette doxa libérale, comment ne pas souligner l'ambiguïté de l'article 6, qui habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur l'encadrement des cryptoactifs ? Nous savons à quel point le recours à ces cryptoactifs a favorisé les pratiques de blanchiment et de financement de réseaux mafieux ou terroristes, sans jamais rien apporter à l'économie réelle. Sans valeur intrinsèque, ces actifs sont voués à ne valoir que zéro euro, à moins qu'ils ne fassent l'objet d'emballements spéculatifs auxquels succédera inévitablement l'effondrement. L'explosion de la bulle bitcoin en 2018 a montré les risques que ces actifs faisaient courir pour l'économie. Quid de celle qui grossit depuis la fin de l'année 2023 ? À force d'avoir tout déréglementé, vous courez derrière chaque innovation financière pour tenter d'imposer un semblant de régulation – toujours trop tard.
Enfin, comment ne pas évoquer l'amendement n° 44 du Gouvernement, qui vise à mettre notre droit en conformité avec le droit européen s'agissant de l'acquisition de congés en période d'arrêt de travail. Il aura fallu plus de vingt ans pour que la directive du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail soit enfin appliquée. Pourtant, fidèles à votre idéologie selon laquelle une personne qui ne travaille pas – qu'elle soit au chômage ou malade – est avant tout un fainéant responsable de son sort, vous en profitez pour introduire une mesure discriminante en plafonnant à quatre semaines les droits à congés acquis pour les arrêts de travail qui ne sont pas d'origine professionnelle. Alors que la directive européenne vise une harmonisation favorable des droits pour l'ensemble des salariés – c'est suffisamment rare pour être souligné –, vous faites le choix d'une transposition a minima, quitte à aller à l'encontre de son esprit. J'espère que les sous-amendements que nous avons déposés seront adoptés. C'est à croire que l'amélioration des droits des travailleurs vous est définitivement insupportable !
Vous comprendrez donc que nous ne votions pas ce texte. Du sort qui sera réservé à ces sous-amendements dépendra notre position finale.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR – NUPES et sur quelques bancs du groupe Écolo – NUPES.
Permettez-moi tout d'abord de dénoncer, au nom du groupe LIOT, un problème global de méthode. Avec ces projets de loi de transposition du droit européen, nous sommes confrontés à une accumulation d'adaptations techniques bien souvent dépourvues de lien entre elles, qui dissimulent des changements que ressentiront nos concitoyens et qui modifient la manière dont nous coopérons au sein de l'Union européenne.
Nous pouvons également regretter d'avoir à légiférer dans l'urgence. Nous nous étonnons d'ailleurs de trouver dans le volet lois du texte une réforme de la garde à vue qui ne dit pas son nom, alors que le Gouvernement, alerté par différents organismes depuis deux ans, est resté sans agir. Il est regrettable que le Parlement n'ait pas pu travailler sur le sujet à l'occasion de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. Nous jugeons néanmoins l'évolution utile, puisqu'elle donne plus de droits aux gardés à vue pour contacter un tiers et bénéficier de l'assistance d'un avocat.
Nous saluons notamment la suppression d'une dérogation au droit à être assisté par un avocat « en raison de l'éloignement géographique ». Cette mesure aurait pu créer une véritable rupture d'égalité territoriale entre justiciables et aurait affecté durement les zones rurales et les outre-mer. Nous doutons toutefois de la capacité à l'appliquer, car ni les directions du ministère de l'intérieur, ni les forces de l'ordre, ni le Conseil national des barreaux n'ont pu anticiper une telle réforme.
J'en viens au volet finances. Contrairement au précédent projet de loi Ddadue, que nous avions examiné fin 2022, celui-ci permet de mieux réglementer le secteur financier en renforçant le contrôle opéré lors de l'échange de titres financiers dans l'Union européenne. Ces dispositions vont dans le bon sens.
J'évoquerai ensuite les mesures créant de nouvelles obligations vis-à-vis des exploitants d'infrastructures de recharge électrique ou de ravitaillement en hydrogène. À l'heure où les politiques publiques incitent à l'électrification des véhicules, il est nécessaire de permettre à chacun de recharger son véhicule dans des conditions acceptables. Actuellement, les exploitants profitent d'un vide juridique pour appliquer des prix opaques, et souvent disproportionnés. Il nous paraît nécessaire de leur imposer au moins les mêmes obligations qu'aux stations-services. L'article 1er fait un premier pas dans cette direction. Nous appelons à transposer certaines dispositions de la proposition de loi de Jean-Louis Bricout visant à protéger les usagers des infrastructures de recharge des véhicules électriques et à améliorer l'information délivrée aux consommateurs, qui vont plus loin dans les obligations imposées, notamment en ce qui concerne l'affichage des prix ou la localisation des bornes.
S'agissant des mesures relatives à l'encadrement des influenceurs, nous appelons le Gouvernement à faire respecter avec la plus grande vigilance les procédures européennes. Dans un difficile exercice d'équilibriste, vous devrez respecter, dans l'habilitation à légiférer par ordonnance, la loi adoptée par l'Assemblée nationale en 2023 sans pour autant contredire le cadre européen. La tâche sera ardue et complexe.
Sur la question des aides de la PAC, nous espérons que la possibilité donnée au préfet de déléguer sa signature aux autorités de gestion régionales pour attribuer les aides cofinancées par l'État et par les régions au titre de la programmation 2014-2022 se traduira par un versement plus rapide de celles-ci. Les retards de versement de ces aides sont l'un des motifs légitimes de colère des agriculteurs. Allons encore plus loin dans la décentralisation pour éviter les compétences en doublon et fluidifier toujours davantage : cela est attendu !
Nous sommes par ailleurs favorables au nouveau cadre européen relatif aux batteries. Il devrait permettre d'assurer une meilleure durabilité tout au long du cycle de vie d'une batterie, de sa production à sa réutilisation, et également de promouvoir une filière de production compétitive à l'échelle européenne.
Nous soutenons l'instauration rapide d'une taxe carbone aux frontières, qui permettra d'imposer aux importateurs de produits à forte intensité carbone – comme l'acier, le fer, l'électricité ou le ciment – de payer pour les émissions de CO
Nous soutenons enfin la transposition dans le droit français du système d'échange de quotas d'émission, notamment la suppression des quotas gratuits. La France était très en retard. Compte tenu des exigences d'équité et de transparence du système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (SEQE-UE), il nous paraît essentiel que le Fonds social européen, alimenté par une partie du produit des enchères de quotas, serve à financer des équipements bas-carbone à destination des ménages souffrant de précarité énergétique.
Pour finir, le calendrier européen des interdictions de mise sur le marché de substances comprenant des microplastiques nous semble assez décevant : il reporte d'une à cinq années l'ensemble des mesures d'interdiction. Cela dit, le groupe LIOT ne s'opposera pas à l'ensemble du projet de loi.
M. Daniel Labaronne, rapporteur pour avis, applaudit.
Je remercie l'ensemble des rapporteurs, qui ont grandement contribué à améliorer le texte. Ce projet de loi Ddadue est désormais un rendez-vous régulier, puisqu'il s'agit du troisième examiné par le Parlement en trois ans.
Les projets de loi portant dispositions d'adaptation du droit national au droit européen sont techniques et revêtent une importance majeure : il s'agit d'assurer la pleine cohérence de notre droit avec celui de l'Union européenne dans de multiples domaines utiles touchant au quotidien de nos concitoyens. Ce sont donc des mesures importantes qui sont soumises à notre vote. Les dispositions du texte sont variées et ont été détaillées par les rapporteurs. Je souhaite néanmoins insister sur certaines d'entre elles.
En matière de transition écologique, je pense aux mesures améliorant les réseaux d'infrastructures de recharge destinées aux véhicules électriques et à hydrogène ; aux nouvelles exigences et règles dans le domaine de la conception, de la prévention et de la gestion des déchets liés à certaines catégories de batteries ; aux nouvelles sanctions en cas d'utilisation non autorisée – ou de surutilisation – de quotas gratuits d'émissions de carbone, qui s'appliqueront désormais au transport maritime et seront ajustées en ce qui concerne le transport aérien ; enfin, à la suppression de l'interdiction systématique d'importation des boues d'épuration.
S'agissant de la santé, je citerai l'alignement sur le calendrier européen du calendrier national d'interdiction des microplastiques dans les produits médicaux et cosmétiques dit « à rincer » ; pour le droit de la consommation, les mesures relatives à la communication des influenceurs ; pour le droit monétaire et financier, le principe de l'audition préalable par le Parlement du président du fonds de garantie des dépôts et de résolution – adopté en commission grâce au groupe Renaissance ; pour le droit des sociétés, une mesure permettant d'atteindre l'objectif de parité d'au moins 40 % des postes d'administrateurs non exécutifs au sein des organes de gouvernance des sociétés commerciales. Le combat pour la parité entre les hommes et les femmes est un combat de tous les instants.
Une autre mesure permet d'adapter notre système de la garde à vue. J'en profite pour saluer l'excellent travail du rapporteur Ludovic Mendes qui, en supprimant certaines dispositions votées par le Sénat, redonne aux avocats la possibilité de consulter les procès-verbaux des auditions qui se sont déroulées en leur présence.
Une disposition permet aux fonctionnaires de conserver des droits acquis avant le début de certains congés familiaux.
Pour finir, je citerai les dispositions clarifiant les missions des établissements d'élevage et simplifiant la gestion d'une partie des aides relevant du Fonds européen agricole pour le développement rural, dont l'actualité nous démontre chaque jour la nécessité. Il reste bien sûr beaucoup à faire.
Comme nous pouvons le constater, chers collègues, les mesures contenues dans ce projet de loi touchent à une multitude de domaines et garantissent une meilleure protection de nos concitoyens. Si besoin en était, ce texte démontre l'importance de l'Union européenne. Il démontre que les dispositions fondamentales de l'Union s'imposent uniformément à l'ensemble des États membres dans une communauté de destin. C'est là l'une des premières utilités de l'Union européenne, qu'il conviendrait de rappeler à ceux qui la critiquent. Ce texte permet de reconnaître toute l'utilité de l'Europe et de dénoncer le fait que certains préfèrent la décrier plutôt que de décrire ce qu'elle nous apporte. Le tout-fait-maison, nous le voulons tous, mais il n'est possible que dans une Europe forte, qui nous protège. C'est pourquoi le groupe Renaissance est favorable au projet de loi. Nous croyons à une Europe forte, unie, qui protégera nos concitoyens et qui garantira leur sécurité, ainsi que la souveraineté de la France et de l'Europe.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE, ainsi que sur ceux des commissions.
Je reviendrai tout d'abord sur le calendrier. Il faut reconnaître la rapidité du Gouvernement : le projet de loi a été examiné en commission la semaine dernière ; quelques jours après, nous le discutons en séance publique. Nous aurions aimé vous voir trouver avec la même célérité des solutions pour les Français : eux subissent l'inflation énergétique ou normative, l'insécurité quotidienne, l'immigration massive ou encore la désertification médicale.
Votre gouvernement agit plus rapidement pour appliquer des directives européennes et transformer notre droit afin de le conformer à celui de l'Union européenne que pour répondre à la détresse réelle des Français.
En réalité, ce projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, ne fait qu'appliquer les décisions européennes afin d'y conformer le droit français. Vous êtes les petits télégraphistes de Bruxelles, bradant notre souveraineté aux technocrates de l'Union européenne.
Tout ce que nous votons aujourd'hui est le fruit d'une complexification normative supplémentaire, dans de nombreux domaines, sans réelle concertation globale.
Seuls quelques articles semblent avoir une utilité, comme l'article 29 qui supprime la condition de consentement pour le transfèrement temporaire d'une personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt européen.
De nombreux autres articles semblent cependant superflus, notamment l'article 5, qui vise à instaurer un « meilleur équilibre entre les femmes et les hommes parmi les administrateurs des sociétés cotées » : de telles dispositions existent déjà en droit français et il est donc inutile de les transposer – nous en avons déjà débattu en commission.
D'autres apparaissent contre-productifs, comme l'article 28 qui propose de modifier le code de procédure pénale pour permettre à la personne gardée à vue d'informer un proche de son choix, ce qui pourrait entraîner des risques d'entrave à l'enquête. De même, l'obligation d'attendre l'avocat du gardé à vue avant de l'interroger, même en cas de retard prolongé, pourrait nuire à l'efficacité des enquêtes. En vous conformant au droit européen, vous prenez des risques et ajoutez encore des normes qui viendront entraver le travail des forces de l'ordre. Le Rassemblement national a donc déposé des amendements visant à éviter ces changements substantiels du droit français…
…qui représentent une menace sérieuse pour la sécurité de nos concitoyens – déjà compromise dans certains cas. Nos amendements reprennent de fait, je le dis en toute transparence, la rédaction plus sérieuse de l'article adoptée par le Sénat.
Vous serez là pour en discuter, ou vous comptez partir après la discussion générale ?
L'Assemblée nationale doit pouvoir examiner dans les meilleures conditions ces projets de loi visant à adapter le droit français au droit européen, c'est-à-dire sans être prisonniers de l'urgence et en disposant au moins d'un projet de loi par domaine – et donc par commission.
S'il y avait eu un projet de loi par commission, vous les auriez critiqués. Ça ne vous va jamais !
Il aurait été nécessaire, pour les sénateurs comme pour les députés, d'étudier le contenu précis des directives européennes.
Comme d'habitude avec vous, le droit européen l'emporte sur la souveraineté française ; la souveraineté d'un non-État technocratique s'impose à une nation libre et souveraine. Depuis 2017, vous cherchez à faire disparaître le national pour le fondre dans un magma unioniste. Votre Europe unioniste – celle de l'Union européenne – a soixante ans.
La nôtre est plurimillénaire, influencée par l'esprit gréco-latin et le christianisme ; elle a permis de construire un continent doté de nations libres et fortes,…
Qui ont fait des millions de morts… Elles ont aussi inventé l'extrême droite, par ailleurs !
Grâce à ses chercheurs, à ses scientifiques, à ses projets, notre continent a même inventé la forme d'État actuel que nous connaissons, chers collègues : l'État westphalien, attaché à la souveraineté nationale et à la liberté des nations.
J'invite ceux qui parlent de la souveraineté de l'Union européenne à relire Jean Bodin, qui définissait ainsi la souveraineté : « La souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d'une République. » C'est la République française, et non européenne. Cette vision qui est la nôtre guidera dès aujourd'hui notre vote contre une Union européenne qui nous impose de façon expéditive des directives et nous menace de sanctions si l'on tarde ou si l'on refuse de les adapter. Nous voulons une Union européenne qui respecte le droit des peuples et leur souveraineté : le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes – la souveraineté – et le droit des peuples à demeurer eux-mêmes – l'identité. Vous l'aurez compris, dans ce petit vote du jour se cache une grande vision politique.
La question est : quelle Europe voulons-nous ? Vivement le 9 juin, que les Français s'expriment !
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Dans ce projet de loi, il est à la fois question du droit du travail, de celui d'avoir accès à un avocat, des influenceurs, de Marco Mouly, du nucléaire, et même des baleines. On aurait pu l'appeler « projet de loi gloubli-boulga » ,
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES
mais vous avez préféré lui donner celui de « projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et – enfin ! – en matière agricole.
Ce projet de loi vous ressemble ! Son objectif ? Transposer diverses directives dans notre droit national afin de mettre celui-ci en cohérence avec plusieurs règlements de l'Union européenne.
J'ai cité Marco Mouly, car c'est par l'intermédiaire de ce personnage que les Français ont pu découvrir l'ampleur des arnaques aux quotas carbone révélées par les enquêtes de Mediapart. Mais on oublie trop souvent que si des escrocs ont pu trouver une faille dans le marché des quotas carbone, c'est parce qu'auparavant, il s'est trouvé des petits malins, dans l'Union européenne, pour avoir la mauvaise idée d'instituer un droit à polluer – un droit à polluer !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
On a inventé, en d'autres termes, un droit à contaminer, à tuer le vivant…
Droit à polluer et marché des droits à polluer : voilà une usine à gaz comme seul le capitalisme sait en créer !
Téméraire, madame la ministre, vous revenez devant notre assemblée nous vendre un nouveau périmètre de ce système d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre. Pour nous, c'est non !
Nous sommes pour la sortie des mécanismes de marché carbone et du droit à polluer, incompatibles avec le respect des objectifs climatiques de l'accord de Paris.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Votre droit à polluer est indécent au regard de la situation de la planète et du vivant, sur la terre comme dans les océans. Savez-vous, par exemple, combien de microplastiques avale en moyenne une baleine chaque jour ? Dix millions !
Là encore, votre inaction climatique est cinglante. Ainsi, le manque d'ambition du règlement Reach (enregistrement, évaluation, autorisation des substances chimiques et restrictions applicables à ces substances) sur les microplastiques…
…n'est pas compensé par des mesures fortes à l'échelle nationale, comme l'extension de l'interdiction à des produits et substances aux conséquences sanitaires et environnementales désastreuses.
Notre assemblée a pourtant adopté une proposition de loi de notre collègue du Modem – composante de votre minorité présidentielle –, M. Pahun, prévoyant l'interdiction, à compter de 2024, des emballages et contenants alimentaires potentiellement dangereux pour la santé humaine. Hélas, vous renvoyez son adoption définitive aux calendes grecques.
Inaction climatique donc, mais aussi moins-disant social. Je m'adresse ici aux travailleurs et aux travailleuses qui suivent nos débats, pour les informer d'une bonne nouvelle, que l'on doit à la mobilisation des syndicats, notamment la CGT.
Une directive européenne de 2003 va enfin, après quinze ans d'attente, être transposée en France ! Travailleur, travailleuse, désormais, quand tu seras en arrêt maladie,…
…tu accumuleras des droits aux congés payés comme si tu étais au travail. Enfin ! Ces arrêts maladie longue durée te permettront d'accumuler au maximum quatre semaines de congés payés. Pourquoi pas cinq, comme tout le monde ? Parce que le Gouvernement est un peu radin et préfère économiser 800 millions d'euros par an sur le dos des salariés les plus fragiles.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Il est de mon devoir de t'informer également que cette mesure est, bien entendu, couplée à une nouvelle usine à gaz, dont le Gouvernement a le secret. En effet, la mesure est rétroactive, mais sa rétroactivité est limitée : initialement fixée à quatorze ans, pour réparer les injustices dans le temps long, elle a été réduite. Elle sera de trois ans si tu as quitté ta boîte, mais tu dois l'avoir quittée depuis moins de trois ans à partir de la date à laquelle la loi sera promulguée – j'espère que tu suis ! Elle sera de deux ans si tu es encore dans la boîte,…
…mais tu as seulement quinze mois pour récupérer ces jours de congé.
Cet exemple, comme ceux que j'ai cités plus tôt au sujet de la planète, démontre que le Gouvernement choisit une transposition au rabais des réglementations européennes. Du reste, on peut s'interroger sur la manière dont il transposera la directive relative à l'amélioration des conditions de travail des travailleurs ubérisés, adoptée par le Conseil de l'Union européenne grâce à Leïla Chaibi, que je salue.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Votre texte, madame la ministre, a au moins un mérite : celui de montrer à quel point les réglementations européennes et leur application ont un impact sur nos vies, le vivant et notre planète. Il m'offre également l'occasion de rappeler, puisque le Gouvernement s'en abstient, que vous avez jusqu'au 3 mai pour vérifier votre situation électorale – vous pouvez vous rendre sur le site onvoteinsoumis.fr pour vérifier que vous ne faites pas partie des 12 millions de citoyens français mal inscrits. Ainsi, vous pourrez voter, le 9 juin prochain, pour les eurodéputés de l'Union populaire et le programme de la NUPES que défend Manon Aubry !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Comme chaque année, nous examinons un projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne. Ce texte d'ordre technique pourrait être qualifié de fourre-tout, tant les évolutions législatives européennes qu'il vise à importer dans notre droit national sont diverses et les sujets abordés différents : droit pénal, agriculture, droit des sociétés, énergie, économie circulaire…
Par expérience, nous savons que nos marges de manœuvre sont limitées dans l'examen de ce type de projets de loi, car le principal danger serait de chercher à surtransposer, le législateur étant tenté d'ajouter sa patte, ce qui aboutit souvent à complexifier inutilement notre droit national, qui n'en a pas besoin.
Ce texte au contenu très technique comporte néanmoins plusieurs articles qui me semblent importants et devraient retenir notre attention au cours de nos travaux.
Ainsi, l'article 5 vise à assurer un meilleur équilibre de la représentation des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration, en fixant un objectif minimal de 40 % de femmes parmi les membres non exécutifs des conseils des sociétés cotées. Notre pays dispose d'une avance importante dans ce domaine ; cette directive est ainsi l'illustration de la capacité de la France à inspirer le droit européen dans de nombreux domaines.
L'article 13 tend à créer un régime de sanctions pour les importateurs en cas de non-respect des obligations de déclaration au titre du nouveau mécanisme d'ajustement carbone aux frontières durant sa période transitoire de 2023 à fin 2025.
Les articles 21 à 26 intègrent dans le droit français une directive européenne relative aux échanges d'informations en matière répressive, notamment plusieurs mesures techniques sur l'échange d'informations entre les services répressifs des États membres.
L'article 27 adapte notre droit interne au règlement relatif aux échanges d'informations numériques en matière de terrorisme.
Autre mesure qui a suscité des débats animés en commission,…
…l'article 28 permettra aux individus en garde à vue de faire prévenir un tiers et de communiquer avec lui. Le droit français restreint actuellement cette possibilité aux seuls membres de la famille et à l'employeur.
Enfin, nous terminerons nos débats par la discussion de deux questions de droit du travail qui me paraissent importantes. L'article 32 a pour objet d'améliorer l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée des agents de la fonction publique en leur permettant, lorsqu'ils recourent à un congé parental, de conserver le bénéfice des droits acquis avant le début du congé sur leurs autres congés.
Après l'article 32, le Gouvernement a déposé un amendement visant à mettre le droit du travail français en conformité avec celui de l'Union européenne, en permettant aux salariés français d'acquérir deux jours ouvrables de congé par mois pendant un arrêt maladie non professionnel et de reporter leurs congés durant quinze mois. Il s'agit d'une avancée sociale importante, qui permet à la France de rattraper un retard de quinze ans sur le droit européen. Bien évidemment, nous la soutiendrons.
Nous sommes, en revanche, plus prudents sur le caractère rétroactif de la mesure. L'amendement prévoit en effet que ces règles d'acquisition et de report des droits à congé s'appliquent à compter du 1er décembre 2009. Dès lors, que faire des arrêts maladie du passé ? Si l'intention est louable, il nous semble que l'on risque de construire une usine à gaz.
Nous devrons donc être vigilants au cours de nos débats.
Enfin, je tiens à saluer le travail du Sénat et des sénateurs Les Républicains sur l'ensemble du projet de loi. Ils ont procédé à des ajustements essentiels, en évitant le risque de surtransposition et en réduisant parfois le périmètre de l'habilitation donnée par ordonnance, qui avait parfois tendance à être disproportionné. Les députés Les Républicains voteront donc ce texte.
En ce début de semaine, nous nous consacrons à l'examen d'un nouveau projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne – que l'on a coutume, ici, d'appeler Ddadue.
On pourrait aborder ce Ddadue – le troisième débattu au Parlement en trois ans – en s'attardant seulement sur sa nature particulièrement technique et procédurière. Mais, à quelques semaines des élections européennes, il me paraît plus que nécessaire de rappeler qu'il permet à notre pays de bénéficier de nouvelles avancées permises par l'Union Européenne. Si celle-ci ne peut pas tout, elle agit pour améliorer le quotidien de ses citoyens dans de nombreux domaines, comme le prouve ce texte, qui permet de transposer des avancées majeures en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole.
Je souhaite donc revenir plus en détail sur les principales avancées qui seront inscrites dans notre droit national si nous adoptons ce Ddadue – lequel n'est pas, monsieur Piquemal, un méli-mélo.
Sur le plan fiscal, tout d'abord, les dispositions prévues à l'article 9 permettront de renforcer la justice fiscale, en étendant les pouvoirs de nos administrations en matière de transmission d'informations dans le cadre du régime d'assistance mutuelle au recouvrement forcé des créances fiscales et douanières. Il existe, dans le débat public, le mythe selon lequel l'Europe serait le véhicule de la fraude fiscale. Ces dispositions démontrent que c'est en réalité le contraire, en édictant des règles à l'échelle de l'Union face aux montages fiscaux transnationaux qui sont devenus plus complexes à la faveur de la mondialisation.
Sur le plan pénal, ce Ddadue doit nous permettre d'instaurer un cadre commun à tous les États membres pour l'échange d'informations en matière répressive et dans les affaires de terrorisme, en établissant un point de contact unique dans chaque pays. Il s'agit par ailleurs de réformer la garde à vue afin de mettre notre code de procédure pénale en conformité avec le droit européen sur deux points : le droit de communiquer avec un proche pendant une garde à vue et les dérogations possibles à l'assistance d'un avocat lors d'une garde à vue.
En matière environnementale, la législation sur les batteries permettra d'inscrire cet élément devenu si central dans une logique d'économie circulaire, vertueuse pour l'environnement et notre indépendance énergétique.
La réforme du marché du carbone est la preuve, une fois encore, que l'échelle communautaire demeure la plus pertinente pour mener des politiques environnementales ambitieuses. En intégrant dans ce marché les secteurs de l'aviation et du transport maritime, mais surtout en adoptant une taxe carbone aux frontières, nous envoyons un message clair à nos partenaires à travers le globe : la transition écologique est l'affaire de tous et les Européens y prendront toute leur part.
Ce projet de loi permettra également, par voie d'amendement, de garantir aux salariés en arrêt maladie des droits à l'acquisition de congés payés, que leur arrêt soit d'origine professionnelle ou non.
Enfin je me réjouis des adaptations qui seront apportées à la loi du 9 juin 2023 visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, pour garantir sa compatibilité avec les récents règlements sur le numérique. Notre assemblée a su se montrer proactive pour réguler un secteur qui connaissait de trop nombreuses dérives. Nous pouvons former le vœu que cette législation sera reprise dans de nombreux pays afin d'assurer plus encore son efficacité.
Enfin, vous l'aurez compris, le groupe Démocrate soutiendra bien évidemment ce projet de loi.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Le projet de loi que nous examinons porte diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne – je préfère citer son intitulé entier plutôt que l'acronyme, car les mots ont un sens – en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole.
Nous avons eu, à maintes reprises, à examiner ce type de texte. L'un d'entre eux avait été l'occasion d'introduire dans notre droit pénal des dispositions importantes en matière d'esclavage et de traite des êtres humains, qui ont facilité le travail des magistrats dans plusieurs affaires.
Deux observations : d'abord, les dispositions du présent texte ont une forte dimension technique, décorrélée de leur contexte d'adoption initial, ce qui en rend l'objet et les motifs plus difficiles à cerner ; ensuite, la transposition en droit français est contrainte, et la marge de manœuvre laissée aux parlements nationaux en la matière est limitée.
Quatre-vingt-dix-huit amendements ont été déposés, ce qui témoigne à la fois de l'apport de notre Assemblée et du cadre contraint qui est le sien. Il est à noter que l'article 9 prévoit une habilitation à légiférer par ordonnance.
Je m'arrêterai sur trois articles : l'article 2, qui modifie le code général de la consommation ; l'article 17, relatif au code général de la fonction publique ; l'article 28, qui modifie le code de procédure pénale.
L'article 2 adapte dans le droit national un règlement (UE) 2023 /988 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 relatif à la sécurité générale des produits. Il garantit, pour les produits non alimentaires, des normes de sécurité plus strictes, notamment s'agissant de produits nouveaux, tels les produits numériques ou ceux issus de l'intelligence artificielle. Il s'applique également aux nouveaux modes de consommation comme les achats à distance par internet, ou l'utilisation des places de marché.
En choisissant la voie du règlement directement applicable et invocable, l'Union européenne a souhaité prévenir des transpositions imparfaites. L'intégration de ces mesures dans notre propre droit conduit à déterminer les acteurs concernés, et à privilégier l'obligation générale de sécurité. Il s'agit d'un petit pas, qui constitue néanmoins un progrès.
L'article 17 étend aux agents de la fonction publique et aux praticiens hospitaliers le droit général à l'information. D'après le rapporteur, le contenu et les modalités de ce droit à l'information seront précisés par un décret en Conseil d'État et par un arrêté, qui pourraient être communs aux agents relevant du code général de la fonction publique et aux praticiens hospitaliers qui, s'ils sont agents publics, conservent une autonomie fonctionnelle dans le service public. On ne peut que se féliciter de cette extension, et s'étonner que ce droit n'ait pas été clairement inscrit dans la législation, même si de nombreux dispositifs, à l'entrée et en cours de carrière, le rendent effectif.
Plusieurs articles du projet de loi portent sur le droit et la procédure pénale, le plus important étant l'article 28, qui concerne la garde à vue et le droit à l'assistance d'un avocat. Dans sa version initiale, cet article consacrait l'interdiction de la possibilité d'audition immédiate des gardés à vue sans la présence d'un avocat. Le Sénat a aménagé l'article 63-4-2 du code de procédure pénale afin de reporter la présence de l'avocat pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête, pour assurer le bon déroulement des investigations urgentes, ou pour prévenir une atteinte à la vie, à la liberté et à l'intégrité physique des personnes.
La référence à une situation susceptible de compromettre sérieusement une procédure pénale, introduite par le Sénat, est peu précise, ce qui pourrait faciliter les dérogations à la présence de l'avocat. Si l'on peut comprendre que certaines circonstances puissent justifier de procéder immédiatement aux auditions et confrontations, par exemple afin d'éviter une situation susceptible de compromettre sérieusement une procédure pénale, ou pour prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l'intégrité physique d'une personne, l'éloignement géographique ne saurait constituer un motif suffisant pour faire attendre les droits de la défense.
C'est, il faut le noter, un point auquel la Cour européenne des droits de l'homme est attentive, au titre de la Convention européenne des droits de l'homme. Le groupe Socialistes et apparentés a présenté un amendement afin de réaffirmer ce principe. Nous nous félicitons que cet amendement ait été adopté par la commission des lois. Le groupe Socialistes et apparentés soutiendra ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Ce projet de loi vise à transposer, en droit français, les directives et règlements qui ont fait l'objet d'un consensus au niveau européen. Dans un contexte d'élections européennes, il est bon de rappeler à quel point l'Union européenne contribue à rendre l'ensemble des États membres plus forts dans des domaines aussi essentiels que l'écologie, la coopération en matière de lutte contre le terrorisme ou encore l'égalité entre les femmes et les hommes dans les entreprises.
En matière d'énergie, l'article 18 met le droit national en conformité avec le droit européen, notamment au regard des soupçons d'aide d'État qui pouvaient exister dans le dispositif d'interruptibilité. Afin de lever tout soupçon, ce dernier ne relèvera plus de l'autorité politique, mais du gestionnaire du réseau – l'opérateur Réseau de transport d'électricité (RTE) –, après accord de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).
Par ailleurs, l'article 19 reprend la méthode européenne de calcul des émissions de CO
Le groupe Horizons et apparentés salue particulièrement l'article 13, qui instaure des sanctions pouvant aller de 10 à 50 euros par tonne d'émissions non déclarées trimestriellement durant la période transitoire du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Ces amendes pourront être doublées dans certains cas.
Notre groupe se réjouit également de parvenir enfin à la transposition, dans le droit national, des extensions prévues par le droit européen du marché du carbone. Ainsi, les articles 14 à 17 intègrent les secteurs maritime et aérien dans le marché des quotas, en mettant progressivement fin aux quotas gratuits entre 2026 et 2034. Pour les vols internationaux et ceux en direction des outre-mer, c'est le régime dit Corsia qui s'applique.
En matière agricole, l'article 33 permet au préfet de déléguer sa signature aux autorités de gestion régionales pour les aides du Feader. L'article 34, quant à lui, confère aux chambres d'agriculture les missions relatives à la délivrance et à la gestion des matériels, procédés et documents d'identification et de circulation des animaux, ainsi qu'à leur traçabilité pour les exploitations d'élevage.
En matière de sécurité, le projet de loi renforce la coopération entre les services répressifs des États membres. Sans empiéter sur les compétences régaliennes des États, il est indispensable d'instaurer des systèmes de collaboration entre les services nationaux, afin de s'assurer d'une pleine efficacité dans les enquêtes à l'heure où la criminalité se professionnalise et s'internationalise. Ces dispositions sont complétées par un volet financier. Ainsi, l'article 6 habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance afin de renforcer les dispositions concernant les transferts de fonds et de certains cryptoactifs, qui peuvent être utilisés pour dissimuler des fonds d'origine criminelle ou pour financer une entreprise terroriste. Il s'agit d'un enjeu essentiel pour la régulation financière contemporaine.
Ce projet de loi réforme substantiellement le régime d'accès à l'assistance d'un avocat pendant la garde à vue, à la suite d'une procédure précontentieuse engagée contre la France en raison de la non-conformité de la transposition de la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013, dite directive C. Si cette directive vise à renforcer l'effectivité du droit des gardés à vue, et notamment l'accès à un avocat, le groupe Horizons et apparentés regrette que cette réforme substantielle soit engagée dans le cadre d'un projet de loi de transposition.
Enfin, nous saluons l'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance prévue à l'article 3 pour adapter la loi du 9 juin 2023 visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, afin que celle-ci soit pleinement cohérente avec le droit européen, et notamment avec le règlement (UE) 2022 /2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques. Cependant, nous nous étonnons qu'une telle habilitation ne soit pas prévue à propos de la loi du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, défendue par le président Marcangeli et le groupe Horizons et adoptée à l'unanimité dans les deux chambres l'an passé. Nous connaissons l'engagement du Gouvernement à lutter contre les effets néfastes des réseaux sociaux, ainsi que la volonté affirmée du Premier ministre de trouver les voies et moyens d'appliquer pleinement cette loi. Nous espérons qu'elle trouvera rapidement sa pleine effectivité.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE, ainsi que sur ceux des commissions.
Le projet d'une Europe protectrice de nos droits et de nos libertés est au cœur du programme écologiste. Nous réaffirmons l'importance d'un système de normes protectrices que – parfois, sur certains sujets – l'Union européenne sait mettre en œuvre.
Il est d'autant plus important de le clamer haut et fort que l'extrême droite, encrassée dans son idéologie réactionnaire et nationaliste, sa haine des étrangers, des femmes,…
…et des travailleurs, est au pouvoir chez certains de nos voisins européens. Pourquoi vous sentez-vous visés ?
Ce qui nous unit, c'est notre histoire européenne, et le projet d'une Europe de justice sociale et écologique. En un temps où les vues belliqueuses d'un Président de la République inconséquent prennent le dessus, nous devons nous attacher, plus que jamais, à l'esprit de cette transposition, et plus généralement du droit de l'Union : plus de droits, plus de libertés, plus de protections. Notre horizon, c'est la paix, sociale, économique et humaine ,
M. Maxime Minot s'exclame
et cela passe par davantage de droits, de démocratie sociale, de libertés individuelles et de droits collectifs en Europe.
Ce texte comporte des avancées certaines, comme le respect des droits de la défense lors d'une garde à vue, les nouvelles obligations d'information du salarié, la reconnaissance du congé de paternité comme une période de travail effectif, l'harmonisation de l'objectif de parité entre les femmes et les hommes, ou la meilleure gestion des déchets issus des batteries.
Tout aurait pu se dérouler selon un formalisme assez attendu, l'objectif étant de mettre le droit français en conformité avec le droit de l'Union européenne sur une grande variété de sujets. Bien sûr, il reste beaucoup à faire. Où est l'Europe sociale ? Où est la lutte contre le dumping social et fiscal ?
Nous attendons toujours, et depuis longtemps ; mais nous continuerons de nous battre.
Si le texte apparaît très technique, il n'en demeure pas moins intéressant pour comprendre comment les mesures du droit de l'Union européenne sont intégrées dans notre droit national. Il comporte par ailleurs des dispositions centrales qui auront des répercussions directes dans la vie des Françaises et des Français.
Toutefois, les éléments positifs précités mis à part, certaines dispositions ne répondent pas à notre ambition de justice sociale. Il est vrai que nous ne comptons plus les détricotages successifs du code du travail ou de l'assurance chômage auxquels se livre le Gouvernement ; mais cette fois, nous avons été assez surpris de la façon dont les dispositions relatives au droit aux congés pendant les arrêts maladie ont été transposées. Le Gouvernement a déposé un amendement qui discrimine les travailleurs en fonction de leur état de santé. Pour simplifier, il refuse d'aligner les droits aux congés des salariés en arrêt maladie sur le régime normal, ce qui conduirait à la situation inégalitaire suivante : les salariés non malades auraient cinq semaines de congés payés, contre quatre semaines pour les salariés malades. Or quand on est en arrêt maladie, on ne se la coule pas douce, on se soigne ! Il est important de le rappeler, car il semble que certains considèrent que lorsqu'on est malade, on se repose. Or on ne se repose pas, on se remet d'une affection.
Pour cela, vous créez une usine à gaz, qui n'a de surcroît aucun intérêt, puisque ce faisant, vous contrevenez au droit de l'Union européenne, et à l'arrêt de la Cour de cassation du 13 septembre 2023, qui reconnaît les arrêts maladie comme du travail effectif et détermine en conséquence la durée des congés payés. Cette attaque n'est vraiment pas à la hauteur des besoins des Françaises et des Français, ni des personnes malades – et l'on sait que dans ce pays, beaucoup sont malades de leur travail, en raison du manque criant d'une politique de santé au travail. Nous attendons depuis un an et demi un projet de loi sur la pénibilité au travail, que l'on nous a pourtant promis !
En outre, certaines dispositions ne répondent pas à nos ambitions écologiques. Premièrement, nous avions adopté des objectifs relativement satisfaisants en matière de lutte contre la pollution plastique – et ce grâce à vous, je dois le dire, chers collègues de la majorité, qui les aviez inscrits dans la loi Agec. Mais ce projet de loi vient détricoter les objectifs que vous aviez fixés !
Deuxièmement, le projet de loi continue d'organiser l'allocation de quotas gratuits d'émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, les plus grands pollueurs pourront, pendant des années encore, continuer à réchauffer la planète, sans avoir à en payer le prix. Nous exigeons l'arrêt d'un marché du carbone comportant des quotas gratuits, afin de bâtir une Europe respectueuse de la planète et des êtres – humains et vivants – qui tentent d'y vivre dignement.
Le groupe Écologiste aurait dû voter ce projet de loi, mais la manière dont vous tenez compte des décisions européennes nous interroge très fortement. Alors que nous restons mobilisés en faveur de l'Europe sociale et de l'Europe de la justice fiscale, les dispositions que vous nous soumettez dans ces domaines ne nous semblent pas à la hauteur.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES et sur quelques bancs des groupes SOC et GDR – NUPES.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
La parole est à M. Jean-Félix Acquaviva, pour soutenir l'amendement n° 29 .
Il vise à renforcer les sanctions applicables aux opérateurs des bornes de recharge lors des contrôles des services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) – contrôles qu'autorise le présent article transposant le règlement (UE) 2023/1804 du Parlement européen et du Conseil du 13 septembre 2023 sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs et abrogeant la directive 2014/94/UE (règlement dit Afir).
Il nous semble en effet que les sanctions prévues sont trop peu dissuasives pour lutter contre certaines pratiques frauduleuses qui peuvent avoir cours dans ce secteur. Nous proposons donc de porter le montant de l'amende encourue de 3 000 à 15 000 euros pour une personne physique et de 15 000 à 75 000 euros pour une personne morale. Je précise que cet amendement a été rédigé avec l'UFC-Que choisir.
Vous proposez de quintupler le montant maximum des sanctions administratives applicables aux exploitants des bornes de recharge, en le portant de 3 000 à 15 000 euros pour une personne physique et de 15 000 à 75 000 euros pour une personne morale. Nous comprenons votre intention, qui nous semble louable, à savoir faciliter l'accès des consommateurs aux infrastructures de recharge de leur véhicule et renforcer l'incitation des exploitants à se mettre en conformité vis-à-vis des exigences du règlement Afir. Nous lui donnons donc un avis favorable.
L'amendement n° 29 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
La parole est à M. Jean-Félix Acquaviva, pour soutenir l'amendement n° 19 .
Les bornes de recharge de véhicules électriques bénéficient actuellement d'un cadre législatif et réglementaire flou en matière d'obligations de transparence et d'information. Alors que les politiques de verdissement des transports devraient conduire à une démocratisation de la voiture électrique, nous estimons qu'il faut rendre ces bornes fiables et sûres pour les consommateurs.
Actuellement, un grand nombre de bornes de recharge prévoient un paiement bancaire par QR code, un autocollant étant parfois apposé sur la borne afin de permettre le paiement sur un site dédié. Le risque est donc d'être envoyé vers un site malveillant prenant l'apparence du site officiel de paiement.
Le paiement peut alors être détourné, tandis que les données renseignées par le consommateur peuvent être revendues à un tiers. Afin de limiter le risque de détournement, nous proposons de rendre obligatoire le paiement par carte bancaire à la borne de recharge pour les opérateurs d'infrastructures de recharge pour véhicules électriques.
Cet amendement, qui vise à rendre obligatoire, pour les opérateurs d'infrastructures de recharge pour véhicules électriques, la mise à disposition d'un mode de paiement par carte bancaire, ne serait pas conforme aux dispositions prévues à l'article 5 du règlement Afir. En effet, si ce dernier prévoit la mise à disposition du consommateur d'un moyen de paiement largement utilisé dans l'Union européenne, il laisse à l'exploitant le choix de ce moyen de paiement. Il peut s'agit soit d'un lecteur de cartes de paiement, soit d'un dispositif muni d'une fonctionnalité sans contact et permettant au moins de lire les cartes de paiement, soit, pour les points de recharge ouverts au public et dont la puissance de sortie est inférieure à 50 kilowatts, d'un dispositif utilisant une connexion internet et permettant des opérations de paiement sécurisées, tels que ceux générant un QR code spécifique.
Votre amendement créerait donc, pour les exploitants, une obligation additionnelle à celles prévues par le règlement Afir – surtransposition qui serait en contradiction avec le droit européen. En conséquence, je demande le retrait de l'amendement ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.
Aux éléments fournis par M. le rapporteur pour avis, j'ajouterai que les dispositions proposées par cet amendement iraient bien plus loin que ce que prévoit le règlement Afir et seraient donc susceptibles d'être censurées par le juge lors du contrôle de conventionnalité.
De plus, si le règlement Afir impose de mettre à disposition du public au moins l'un des trois moyens de paiement énumérés par M. le rapporteur pour avis, il prévoit qu'à compter du 1er janvier 2027, tous les points de recharge ouverts au public dont la puissance de sortie est égale ou supérieure à 50 kilowatts disposeront obligatoirement d'un lecteur de carte bancaire.
L'avis du Gouvernement sera donc le même que celui de M. le rapporteur pour avis : demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
L'amendement n° 19 n'est pas adopté.
L'article 1er , amendé, est adopté.
L'article 2 est adopté.
La parole est à Mme la secrétaire d'État, pour soutenir l'amendement n° 11 .
L'objet de cet amendement est de conforter les modifications apportées à l'article 3 par la commission des affaires économiques, en éliminant tout risque d'inconstitutionnalité. Vous le savez, selon la jurisprudence bien établie du Conseil constitutionnel sur l'article 38 de la Constitution, si c'est au Parlement d'autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnances, il revient préalablement au Gouvernement de proposer au Parlement dans quels champs il entend intervenir sur des matières législatives : c'est ce que j'évoquais en présentant le texte.
Plus précisément, si un amendement émanant d'un député peut réduire ou préciser le champ d'une habilitation à légiférer par ordonnances, il ne peut l'étendre au-delà de ce qui est prévu au stade de la discussion parlementaire où il est examiné.
En l'occurrence, l'adoption de l'amendement CE8 de la commission des affaires économiques, repris par l'amendement CL13 de la commission des lois, élargit clairement le champ de l'habilitation prévue à l'article 3 à l'issue de l'examen du texte au Sénat. Sur le fond, le Gouvernement approuve totalement cet élargissement – je l'ai également dit tout à l'heure. Il est indispensable pour mettre efficacement en conformité la loi du 9 juin 2023 visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux avec le droit européen, et ainsi éviter toute contestation lors de son application. Cette loi est importante pour la protection de nos concitoyens.
Je le répète, c'est parce que le Gouvernement approuve l'élargissement du champ de l'habilitation, d'ailleurs proposé en commission par M. le rapporteur pour avis, qu'il propose de le reprendre à son compte afin de le rendre applicable.
En tant que rapporteur pour avis sur ce projet de loi et corapporteur de la loi « influenceurs » – mon corapporteur Arthur Delaporte étant d'accord avec moi –, je suis favorable à cet amendement de sécurisation juridique. Si notre réflexe est normalement de protéger les prérogatives de cette assemblée afin qu'elle légifère en toute légitimité, une fois n'est pas coutume, nous sommes favorables à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances.
Arrêtons-nous un instant sur l'état des négociations entre la Commission européenne et le Gouvernement au sujet de la loi « influenceurs » – négociations auxquelles Arthur Delaporte et moi-même participons. Ces négociations se déroulent non entre un suzerain européen et un vassal français, mais entre deux partenaires de la construction européenne qui ont à cœur d'assurer une articulation correcte entre les textes européens et nationaux sur les sujets numériques, qui sont éminemment transfrontaliers.
Il est en effet important que nous soyons alignés sur la dimension extraterritoriale de la loi « influenceurs », étant donné que celle-ci s'applique également – je l'ai dit en présentant le texte – aux personnes agissant sur le marché français depuis un pays tiers à l'Union européenne. C'est en tout cas ce que nous souhaitons retrouver dans les ordonnances et la version finale de la loi « influenceurs » une fois que les négociations avec la Commission européenne seront achevées. Nous estimons en effet que des dérogations à la règle du pays d'origine peuvent s'appliquer dans les cas où la santé publique ou la protection du consommateur français sont en jeu. J'insiste, il s'agit des deux cas de figure que nous souhaitons sécuriser.
Comme depuis le début de cette aventure législative, nous allons travailler avec le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique pour nous assurer que la version finale de la loi « influenceurs » respecte les règles européennes et que ces dernières respectent en retour nos prérogatives de parlement national : ni plus, ni moins. Je répète donc que l'avis de la commission est – une fois n'est pas coutume – favorable à cet amendement visant à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances.
L'amendement n° 11 est adopté.
L'article 3, amendé, est adopté.
La parole est à Mme la secrétaire d'État, pour soutenir l'amendement n° 75 portant article additionnel après l'article 3.
Il vise à habiliter le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance les dispositions relevant du domaine de la loi permettant de transposer de concert les directives du paquet législatif européen de la fin 2023 emportant des modifications du code de la consommation.
En premier lieu, cet amendement tend à transposer la directive 2023/2225 du Parlement européen et du Conseil du 18 octobre 2023 relative au crédit à la consommation et abrogeant la directive 2008/48 /CE. Cette nouvelle directive vise à adapter la réglementation aux nouvelles réalités du marché européen du crédit à la consommation et à encadrer davantage les services qui se sont récemment développés grâce au commerce en ligne, tels que le paiement fractionné et les crédits à faible montant. Son objectif est également de moderniser l'encadrement réglementaire du crédit à la consommation en renforçant les obligations de protection des consommateurs – information précontractuelle, encadrement des pratiques commerciales et encadrement de la publicité –, ainsi que les obligations de protection financière des emprunteurs – renforcement du cadre d'évaluation de la solvabilité, droit de rétractation, mesures de renégociation.
En second lieu, l'amendement vise à transposer la directive 2023/2673 du Parlement européen et du Conseil du 22 novembre 2023 modifiant la directive 2011/83/UE en ce qui concerne les contrats de services financiers conclus à distance et abrogeant la directive 2002/65/CE. Cette nouvelle directive de 2023 répond quant à elle à un besoin de simplification et de modernisation du cadre réglementaire existant, dans un contexte de numérisation croissante de la distribution des services financiers.
Cet amendement vise à permettre au Gouvernement de procéder par ordonnances à l'adaptation du code de la consommation par la transposition des directives 2023/2225 du 18 octobre 2023 et 2023/2673 du 22 novembre 2023. Comme je l'ai dit lors de l'examen de l'amendement précédent, ce n'est ni l'habitude ni la préférence d'un membre de la représentation nationale de donner la capacité au Gouvernement de légiférer outre mesure par ordonnances. C'est pourquoi je m'en remettrai par principe à la sagesse de l'Assemblée sur cet amendement, même si j'y suis plutôt favorable.
L'amendement n° 75 est adopté.
Sur l'article 6, je suis saisie par le groupe Rassemblement national d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme la secrétaire d'État, pour soutenir l'amendement n° 45 .
Vous le savez, lorsqu'un apport d'actifs soumis au régime des scissions est réalisé entre des sociétés présentant des liens capitalistiques à 100 %, les modalités de l'opération sont simplifiées. En effet, l'approbation des assemblées générales extraordinaires et le rapport du commissaire aux apports ne sont pas exigés.
La rédaction issue des travaux du Sénat et maintenue par la commission des lois de l'Assemblée nationale tend à étendre cette logique de simplification : ainsi que le prévoit actuellement l'article 4, l'apport partiel d'actifs soumis au régime des scissions ne donnerait pas lieu à l'attribution de parts sociales ou d'actions en contrepartie.
Une telle logique se comprend, dans la mesure où les droits de l'actionnaire sur les éléments de patrimoine transmis demeurent en principe constants. Cependant, trois éléments nous conduisent à estimer que la simplification ici envisagée présente des risques.
Premièrement, l'apport en société est une opération à titre onéreux, qui doit donner lieu à une rémunération pour l'apporteur, sur laquelle sont appuyés son régime juridique et son régime fiscal.
Deuxièmement, aux termes de l'article 160 ter de la directive 2019/2121 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 modifiant la directive 2017/1132 en ce qui concerne les transformations, fusions et scissions transfrontalières, et de l'article 155 de cette dernière directive, la contrepartie d'un apport partiel d'actif est l'attribution de titres. En conséquence, la simplification de cette opération pourrait ne pas répondre aux dispositions européennes.
Troisièmement, dans l'hypothèse d'un apport partiel entre filiales détenues par la même société mère, la logique capitalistique voudrait, sauf mise en œuvre du dispositif spécifique et optionnel de l'alinéa 2 de l'article L. 236-27 du code de commerce, que la société apporteuse reçoive des titres en contrepartie et devienne coactionnaire avec la société mère. La simplification prévue prive donc le groupe d'une option de restructuration, et introduit un élément de rigidité qui n'apparaît pas nécessaire. C'est pourquoi le Gouvernement propose la suppression de l'alinéa 15.
Favorable. L'amendement proposé par le Gouvernement vise à rétablir l'attribution de parts ou d'actions de la société bénéficiaire à la société apporteuse en contrepartie d'un apport partiel d'actifs entre sociétés qui présentent des liens capitalistiques à 100 %, disposition supprimée par le Sénat.
Cette simplification introduite par le Sénat en cas d'apport partiel d'actifs entre sociétés mères, filles ou sœurs avec détention capitalistique à 100 % risquerait de contrevenir à la directive, alors que ce projet de loi vise à rendre notre droit plus conforme au droit de l'Union européenne.
L'amendement n° 45 est adopté.
L'article 4, amendé, est adopté.
Sur l'amendement n° 49 , je suis saisie par le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme la secrétaire d'État, pour soutenir l'amendement n° 49 .
Il s'agit de supprimer l'extension, introduite par le Sénat, du champ d'application des sociétés concernées par la transposition de la directive. Le présent article propose d'habiliter le Gouvernement à transposer la directive du 23 novembre 2022 relative à un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes parmi les administrateurs des sociétés cotées. Cette directive intervient alors que le droit français prévoit déjà des dispositions similaires dont le champ est en outre plus large – certains l'ont rappelé lors de la discussion générale – puisqu'il recouvre les sociétés privées, mais aussi certaines entités publiques.
Le texte issu du Sénat encadre, oriente ou élargit les dispositions de l'ordonnance qui sera prise sur le fondement de cette habilitation. Il est en particulier prévu d'étendre la transposition de la directive susmentionnée au moins au champ d'application des articles L. 225-18-1 et L. 226-4-1 du code de commerce, à savoir les entreprises de plus de 250 salariés réalisant un chiffre d'affaires d'au moins 50 millions d'euros.
L'enjeu est légitime, car nous tenons beaucoup à ce thème de la parité. Néanmoins, ces modifications soulèvent d'importantes difficultés juridiques et il serait nécessaire d'approfondir l'analyse de leurs effets. La transposition ne doit pas fragiliser les dispositifs français existants. Il ne s'agit pas non plus d'étendre le champ de ces dispositions – déjà très large et finement calibré – à tous les établissements publics, par exemple, car cela pourrait poser des difficultés de mise en œuvre en raison de la diversité des structures publiques et de leur organisation.
Favorable. Il faut éviter tout risque de surtransposition. En outre, il ne s'agit aucunement d'un recul de notre droit national en matière de représentation équilibrée entre les hommes et les femmes dans les conseils d'administration, puisque notre législation est en avance sur celle du reste de l'Union européenne, comme cela a été souligné lors de la discussion générale. Ainsi, la loi du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle, dite Copé-Zimmermann, et la loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, dite Rixain, ont permis d'avancer. L'objectif fixé par l'Union européenne est inférieur aux résultats que nous avons obtenus dans les entreprises françaises.
Madame la ministre, pas vous, pas maintenant, pas ça ! Il s'agit de prévoir que la proportion d'administrateurs et de membres du conseil de surveillance de chaque sexe ne peut être inférieure à 40 % dans les sociétés d'au moins 250 salariés réalisant un chiffre d'affaires d'au moins 50 millions d'euros. Et vous, vous nous proposez d'être moins-disants !
On vient de le dire tous les deux, le droit français est mieux-disant !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur plusieurs bancs du groupe Écolo – NUPES.
Monsieur Piquemal, le droit français est déjà mieux-disant. C'est pourquoi le Gouvernement entend sécuriser nos dispositions, qui vont plus loin que ce que nous propose la directive.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 46
Nombre de suffrages exprimés 45
Majorité absolue 23
Pour l'adoption 32
Contre 13
L'amendement n° 49 est adopté.
L'amendement n° 61 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
La parole est à Mme la secrétaire d'État, pour soutenir l'amendement n° 48 .
Cet amendement propose la suppression de l'alinéa 6. La directive susmentionnée, dite Women on boards, prévoit que les sociétés assujetties seront supervisées par un ou plusieurs organismes. Le texte issu des travaux de la commission des lois de l'Assemblée nationale ne prévoit, quant à lui, qu'une possibilité : un organisme unique chargé de surveiller la bonne application des obligations de la directive.
Or, il est utile de préserver la possibilité offerte par la directive car cela permettra d'adapter le dispositif à la nature des entreprises assujetties. Ainsi, les entreprises cotées pourront être surveillées par leur superviseur naturel, l'Autorité des marchés financiers (AMF). Outre la difficulté constitutionnelle liée à l'extension du champ d'habilitation, limiter la surveillance de la bonne application des obligations de la directive à un seul organisme n'apparaît pas nécessaire.
Comme pour l'amendement précédent, les modifications apportées par le Sénat surtransposent la directive. C'est pourquoi je suis favorable à l'amendement du Gouvernement. Je rappelle que l'AMF contrôle déjà les entreprises cotées, quand le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) est compétent pour les autres entreprises.
Notre attitude concernant les surtranspositions doit être très claire : il faut les éviter ! Pourquoi s'attacher des boulets aux pieds ? Pourquoi être forcément mieux-disant que l'Europe ?
Exclamations sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Protestations sur divers bancs.
Mais, en l'espèce, la surtransposition n'abîmait pas notre compétitivité et notre productivité, au contraire. Elle avait même un effet plutôt attractif pour notre économie. Dans ce cas, pourquoi pas ?
Mais ce n'est pas le cas de cet alinéa, c'est pourquoi je suis favorable à sa suppression ,
Protestations sur les bancs du groupe Écolo – NUPES
Je vous écoute depuis tout à l'heure et je me rends compte que finalement, on peut supprimer les alinéas des articles de ce projet de loi Ddadue, alors qu'en commission, on nous avait affirmé que c'était impossible !
Mais, messieurs les rapporteurs, en matière de surtransposition, vous êtes les pires élèves français et les meilleurs élèves de la classe en Europe ! Comme beaucoup de Français, je me suis rendu aux manifestations des agriculteurs : ils n'attendaient qu'une chose, que vous arrêtiez d'être les premiers de la classe européenne, car vous êtes les pires en France, notamment pour eux !
Excusez-moi, mais entendre les macronistes plaider pour éviter la surtransposition, c'est du foutage de gueule !
Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – Mme Stéphanie Rist s'exclame.
Vous passez votre temps à surtransposer le droit européen ! Les agriculteurs auraient bien aimé que vous teniez le même discours il y a quelques années ! Nous n'en serions pas là où nous en sommes depuis 2017, croyez-moi !
J'ai été surpris par les termes employés par Daniel Labaronne. Pourquoi faut-il être mieux-disant que l'Europe ? Peut-être dans l'intérêt du peuple, de notre peuple ?
Bien sûr qu'il faut être mieux-disant si c'est dans l'intérêt du progrès social et de la transition écologique.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur quelques bancs du groupe Écolo – NUPES.
Pourquoi ne pas instaurer un principe de non-régression avant de prendre une décision au niveau européen ? La législation européenne ne devrait être appliquée que quand elle constitue un progrès par rapport à notre législation.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
Le vote à main levée n'ayant pas été concluant, il est procédé à un scrutin public.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 52
Nombre de suffrages exprimés 52
Majorité absolue 27
Pour l'adoption 20
Contre 32
L'amendement n° 48 n'est pas adopté.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
La parole est à M. Ludovic Mendes, rapporteur, pour soutenir l'amendement n° 56 .
Il s'agit de supprimer l'alinéa 7. Si l'intention du Sénat – avoir le même niveau d'exigence pour les structures économiques publiques que pour les entreprises privées – est compréhensible, une extension par voie d'amendement parlementaire du champ d'une habilitation à prendre des ordonnances est inconstitutionnelle. En outre, elle excède clairement le champ de la directive, qui ne concerne que certaines sociétés privées.
Il n'y a donc aucune raison de procéder à cette réforme par ordonnance, le législateur étant compétent. Pour autant, les établissements publics et groupements d'intérêt public regroupent des organisations différentes. Une étude d'impact constituerait un préalable avant toute modification.
Favorable. Permettez-moi de revenir sur le vote de l'amendement précédent : vous devez avoir conscience que son rejet constitue une forme de régression.
Pourtant, vous évoquez également le principe de non-régression. Il faut être cohérent !
Le vote à main levée n'ayant pas été concluant, il est procédé à un scrutin public.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 51
Nombre de suffrages exprimés 39
Majorité absolue 20
Pour l'adoption 19
Contre 20
L'amendement n° 56 n'est pas adopté.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Le vote à main levée n'ayant pas été concluant, il est procédé à un scrutin public.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 51
Nombre de suffrages exprimés 47
Majorité absolue 24
Pour l'adoption 19
Contre 28
L'article 5 n'est pas adopté.
Mme Andrée Taurinya applaudit.
La parole est à M. François Piquemal, pour soutenir l'amendement n° 26 .
Les alinéas 12 à 17, que nous souhaitons supprimer, proposent de passer par une habilitation à légiférer par ordonnance pour encadrer les informations accompagnant les transferts de fonds et de certains cryptoactifs. Si nous sommes favorables à un tel encadrement, légiférer par ordonnance revient à passer outre le Parlement.
La commission des finances a déjà examiné votre amendement et l'a rejeté. Mon avis reste donc défavorable, pour trois raisons. La première est liée au calendrier, et nous n'y pouvons donc pas grand chose : le recours à l'ordonnance se justifie car l'adaptation du droit interne au droit européen se fera en intégrant des actes délégués – les orientations publiées par l'Autorité bancaire européenne – et certaines de ces orientations ne seront publiées qu'en décembre. Il nous faut donc attendre pour pouvoir « embarquer » celles-ci dans la transposition de la directive.
La deuxième raison est pour ainsi dire politique. Le Sénat, très soucieux de ses prérogatives et qui goûte peu le recours aux ordonnances, a pourtant tenu compte de l'argument que je viens d'avancer :…
…nous devons attendre les orientations de l'Autorité bancaire européenne, qui ne seront connues que tardivement.
La troisième raison…
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
…c'est certes un peu technique, mais j'essaie de présenter des arguments.
La troisième raison est d'ordre méthodologique. Le recours aux ordonnances peut certes poser problème aux commissaires, en particulier au sein de la commission des finances. Cette dernière peut cependant suivre les travaux préparatoires de la rédaction des ordonnances en auditionnant ceux qui en sont responsables.
…les éléments d'ordre politique et méthodologique –, je confirme l'avis défavorable de la commission des finances.
Le règlement européen sur les informations accompagnant les transferts de fonds et de certains cryptoactifs – dit règlement TFR – permet d'améliorer la transparence des transactions en actifs numériques afin de lutter contre le blanchiment. Il élargit aux actifs numériques le champ du règlement sur les transferts qui s'appliquait aux billets de banque et aux pièces de monnaie, ainsi qu'à la monnaie scripturale.
Les prestataires de services sur actifs numériques (Psan) devront disposer des mêmes informations de base que les autres prestataires sur l'initiateur et le bénéficiaire d'un transfert, et ce dès le premier euro.
Ces dispositions visent à apporter des précisions ciblées et limitées à la quatrième directive antiblanchiment – déjà transposée dans le droit national par voie d'ordonnance, je le rappelle à toutes fins utiles.
Comme l'a expliqué le rapporteur Labaronne, le règlement TFR a été adopté en même temps que le règlement européen sur les marchés de cryptoactifs, dit règlement MiCA. Ce dernier sera également transposé par voie d'ordonnance, compte tenu de l'ampleur et de la complexité de la tâche.
Les dispositions d'adaptation de ces deux règlements, qui sont étroitement liés, doivent être préparées concomitamment car elles nécessitent que plusieurs services se coordonnent, dans un temps restreint.
Cet exercice très technique se fera sans surtransposition, en restant au plus près du texte européen.
Avis défavorable.
La méthode de ce gouvernement pose problème : non seulement vous avez déposé des amendements sur les articles 6 et 9, sans daigner les faire examiner par la commission des finances, mais vous nous faites étudier ces dispositifs d'adaptation au droit européen en procédure accélérée, et vous déposez des amendements en catimini, presque à la dernière minute !
Par ailleurs, la commission spéciale du Sénat a remis en cause l'intelligibilité de ce texte et de certains amendements.
Mme Michèle Peyron s'exclame.
Nous ne pouvons donc vous faire confiance ni sur le fond, ni sur la forme. En dehors de toute considération sur le fond, c'est votre méthode que nous contestons.
Nous ne voterons donc aucun amendement du Gouvernement car la méthode, pitoyable, est à l'image du mépris que vous témoignez au Parlement depuis le début de la législature.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
L'amendement n° 26 est adopté.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures cinq.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra