La nécessaire ouverture du corps électoral provincial nous appelle donc à conjuguer l'exigence démocratique et la perspective politique que la France a tracée en créant cette citoyenneté, celle de fonder une communauté de destin entre les natifs du pays et les femmes et les hommes investis durablement en Nouvelle-Calédonie.
Le second motif du report de la date des élections provinciales, c'est la nécessité de donner un peu de temps au temps, pour que les partenaires des accords – l'État, les indépendantistes et les non-indépendantistes – puissent construire un consensus sur un projet d'avenir partagé, susceptible de rassembler les Calédoniens dans leur diversité, au-delà de leurs divergences idéologiques. Le Conseil d'État, dans son avis du 7 décembre dernier, a rappelé très clairement que « la recherche du consensus » est une donnée fondamentale de l'élaboration de l'organisation politique qui prendra la suite de celle issue « de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 ». Le Gouvernement a, pour sa part, affirmé à plusieurs reprises que le consensus demeurait une priorité absolue. En effet, il ne peut y avoir de solution durable pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie sans un accord, et il ne peut y avoir de solution unilatérale qui soit une solution durable. Au vu des résultats des référendums d'autodétermination, nous devons redoubler d'humilité et de sens des responsabilités pour construire ce consensus, dans le respect d'un cadre républicain et d'un cadre démocratique.
Le cadre républicain, c'est l'accord de Nouméa qui a été constitutionnalisé et approuvé par 72 % des Calédoniens en 1998. Il constitue un acquis historique, un héritage, « un exemple pour le monde, un exemple français, un exemple calédonien » pour reprendre les mots du Président de la République prononcés lors de son discours du 26 juillet dernier, place de la Paix. L'accord de Nouméa constitue le socle de la négociation que nous devons mener. Respecter ce plancher, c'est respecter l'esprit des anciens et la volonté exprimée par le Parlement de la République, sans que cela n'empêche de modifier le corps électoral gelé, dont la révision s'impose pour les raisons que j'ai déjà exposées.
Le cadre démocratique est défini par le résultat des consultations d'autodétermination, résultat qui doit constituer le point maximal de la négociation car respecter ce plafond, c'est respecter la souveraineté du peuple calédonien, telle qu'elle s'est exprimée à trois reprises. Certes, je n'ignore pas que la légitimité du troisième référendum reste contestée par les formations indépendantistes, mais les résultats des deux premiers ont été reconnus par tous !
Dans le contexte actuel, la réussite du processus dépend plus que jamais de l'impartialité de l'État, principe fondateur des accords de Matignon. C'est notre responsabilité collective d'inscrire notre démarche dans le prolongement de la poignée de mains entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, dans le respect des principes de liberté, d'égalité et de fraternité, conformément à la devise de la Nouvelle-Calédonie, Terre de parole, Terre de partage, afin d'irriguer un grand accord, c'est-à-dire global et ambitieux, fondement de nouveaux équilibres institutionnels, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux.
Jusqu'à quelle date les élections peuvent-elles être repoussées, dans l'attente de la conclusion de ce grand accord ? Le Gouvernement a retenu la date butoir du 15 décembre 2024. Toutefois, mes chers collègues, cette date butoir reste incertaine, et le Gouvernement s'est d'ailleurs encore à l'instant dit prêt à suspendre le processus constitutionnel si un accord plus global entre les partis indépendantistes et non-indépendantistes était sur le point d'aboutir au 1er juillet 2024 au plus tard.
L'article 2 du projet de loi constitutionnelle prévoit la possibilité d'un report supplémentaire, la question pouvant être réglée, le cas échéant, par un second projet de loi organique.
Je rappelle qu'en tout état de cause le Conseil d'État a indiqué qu'un report des élections « pour une durée de l'ordre de douze à dix-huit mois », soit jusqu'en novembre 2025, « ne se heurterait à aucun obstacle d'ordre constitutionnel ou conventionnel ».
L'essentiel, pour notre pays, est, à défaut d'être à l'heure des élections, d'être à l'heure de l'histoire.
En conclusion, je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi organique, en précisant qu'un vote conforme me paraît indispensable pour permettre son entrée en vigueur en temps utile et ne pas obliger le Gouvernement à organiser les élections provinciales le 12 mai prochain sur la base d'un corps électoral qui n'aurait pas pu être modifié.