Il s'agit d'une réalité historique ; vous retrouverez sans difficulté les propos de M. Messmer affirmant qu'il fallait envoyer 100 000 Français en Nouvelle-Calédonie pour faire taire les velléités d'autonomie – on ne parlait même pas encore d'indépendance. La volonté de dégel du corps électoral par un prochain projet de loi constitutionnelle démontre que l'intention de l'État français est toujours la même. Aucun peuple sur cette planète n'accepte qu'on vienne chez lui en disant qu'il est minoritaire et que c'est la démocratie.
Il s'agit d'un fait reconnu par le droit international. Récemment encore, le 20 juin 2023, à l'ONU, le comité spécial de la décolonisation déclarait dans une résolution relative à la Nouvelle-Calédonie que « c'est au peuple de Nouvelle-Calédonie qu'il appartient de choisir comment déterminer son destin » et engageait vivement « toutes les parties concernées, agissant dans l'intérêt des Néo-Calédoniens, à poursuivre leur dialogue, dans le cadre de l'accord de Nouméa, dans un esprit d'harmonie et de respect mutuel afin de continuer à promouvoir une atmosphère propice à l'évolution pacifique du territoire vers un acte d'autodétermination ». Cette résolution a été adoptée par l'Assemblée générale.
Cet esprit de dialogue et de respect mutuel, issu des drames du passé, est aujourd'hui mis à mal par le Gouvernement, qui souhaite passer en force. L'État, qui devait rester impartial, est de nouveau juge et partie.
Ce changement de posture de l'État a d'abord été visible au moment du troisième référendum. Constatant une dynamique très favorable à l'autodétermination, le Gouvernement a persisté à maintenir la date de la troisième consultation le 12 décembre 2021 – en pleine crise du covid –, ignorant les appels du peuple kanak à la reporter en septembre 2022, notamment par respect de la période de deuil coutumier qui empêchait toute participation des Kanaks au référendum. La justification avancée par le Gouvernement était que dans une démocratie, on tient les élections à l'heure. Quelle ironie qu'il nous demande aujourd'hui d'autoriser le report des élections !
L'organisation du référendum de 2021 est remise en cause y compris au niveau international. Ainsi, le rapport du comité ministériel du Forum des îles du Pacifique dédié à la Nouvelle-Calédonie considère que « le résultat global jette de sérieuses questions sur la légitimité du résultat du référendum, en particulier parce que moins de 44 % des électeurs inscrits ont participé en 2021, contre 81,01 % en 2018 et 85,69 % en 2020 ». En conséquence, le comité est d'avis que le référendum n'a pas été mené dans l'esprit de l'accord de Nouméa, qui renforce le statut de l'identité et de la coutume kanak en Nouvelle-Calédonie et en France. Il regrette que les principes clés de l'accord, tels que la fraternité, l'humilité et la recherche du consensus, qui ont guidé les échanges relativement pacifiques et consensuels entre les parties pendant plus de deux décennies, aient régressé. Il ne pense pas que le résultat reflète fidèlement la volonté des électeurs inscrits. Il s'agit d'un référendum d'autodétermination qui s'est déroulé sans la majorité du peuple premier de Nouvelle-Calédonie et leurs partisans.
Néanmoins, le Gouvernement persiste ! En modifiant le calendrier électoral et en annonçant un projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral, il confirme la fin de la neutralité de l'État dans ce dossier, essayant de revenir sur les fondements mêmes des accords de Matignon et de Nouméa.
Le 22 juin 2022, la Cour de cassation a rappelé que, selon le point 5 du document d'orientation relatif à l'évolution de l'organisation politique en Nouvelle-Calédonie, dans l'hypothèse de trois consultations négatives, « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée » et que « tant que les consultations n'auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l'organisation politique mise en place par l'accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d'évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette irréversibilité étant constitutionnellement garantie ».
Selon les termes des accords, nous en sommes donc au temps des négociations – un temps qui doit être accepté et respecté. Or le Gouvernement choisit de jouer double jeu : d'un côté, il dit promouvoir la négociation et respecter l'irréversibilité des accords, de l'autre, il impose un nouveau calendrier électoral, avec pour seul objectif de casser la dynamique majoritaire des indépendantistes dans les instances locales.
Ce passage en force compromet la poursuite des négociations et n'enrayera pas le processus, inéluctable, vers l'indépendance. Il aura pour seul effet de mener vers l'impasse politique et vers une grande instabilité sociale et politique.
La paix n'est jamais acquise, monsieur le ministre, elle s'entretient. En procédant ainsi, le Gouvernement ne l'entretient pas.