Par les accords de Matignon-Oudinot des 26 juin et 20 août 1988, et par l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, la Nouvelle-Calédonie s'est engagée dans un processus unique, négocié et constitutionnalisé ensuite, de décolonisation et d'émancipation au sein de la République française. En trente-cinq ans, nous avons parcouru un chemin immense en direction du rééquilibrage, de l'exercice partagé des responsabilités institutionnelles, de la pleine reconnaissance de l'identité kanak et de la légitimité des autres communautés, de la création d'une citoyenneté calédonienne, de l'insertion du territoire dans son environnement régional, du transfert progressif des compétences de l'État à la Nouvelle-Calédonie, de l'affirmation d'un destin commun pour les Calédoniens de toutes les communautés et de l'exercice du droit à l'autodétermination.
Mais après l'organisation des consultations référendaires, lors desquelles les Calédoniens ont, par trois fois, décidé de demeurer au sein de la République française, l'accord de Nouméa est arrivé à son terme. Une nouvelle solution politique et institutionnelle doit être définie, comme le prévoyait ledit accord qui, certes laconiquement, indiquait ceci en cas de triple « non » lors des consultations : « Les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ». Cette démarche a été engagée depuis deux ans par l'État et par les partenaires locaux ; après la visite du Président de la République sur le territoire en juillet dernier, un projet d'accord a été proposé par le Gouvernement comme base de discussion, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre. Hélas, l'Union calédonienne, principale formation indépendantiste, a refusé de s'engager dans ce processus, et ce texte n'a plus fait l'objet d'aucun échange depuis quatre mois maintenant. Des initiatives locales ont été prises par les non-indépendantistes, vous l'avez également rappelé, monsieur le ministre, mais elles n'ont pas abouti, même si un certain nombre de convergences susceptibles de constituer le socle d'un accord ont pu être identifiées.
Mais une échéance s'impose à tous : le mandat des membres des assemblées de province et du Congrès s'achève en mai prochain et un report des élections est indispensable. C'est bien pourquoi le Gouvernement a déposé le présent projet de loi organique sur lequel le Congrès de Nouvelle-Calédonie a émis un avis favorable par trente-huit voix sur cinquante-quatre, un groupe indépendantiste ayant exprimé un vote défavorable tout en précisant expressément « ne pas être opposé sur le principe à un report des élections », son désaccord étant motivé par le calendrier imposé par le Gouvernement. Ce report se justifie par deux raisons majeures.
La première, c'est que les élections ne peuvent pas se tenir en mai 2024 avec le corps électoral actuel, issu de la révision constitutionnelle de 2007. Ce n'est pas un choix politique, mais un impératif juridique. En effet, dans son avis du 7 décembre 2023, le Conseil d'État a confirmé la nécessité de modifier les dispositions applicables car « du fait de l'écoulement du temps », le corps électoral actuel déroge de plus en plus gravement « aux principes d'universalité et d'égalité du suffrage ». Ainsi, en 1999, seulement 7 % des électeurs étaient exclus de la liste spéciale provinciale, tandis qu'en 2023, ils sont près de 20 %. C'est pourquoi le Gouvernement a déposé, concomitamment au présent projet de loi organique, un projet de loi constitutionnelle. Ce dernier ne fait pas consensus mais constitue, en l'absence de négociations d'un accord global susceptibles d'aboutir, une voie de sortie de l'accord de Nouméa qualifiée d'« unilatérale et partielle » par Philippe Bas, rapporteur du projet de loi au Sénat. Si, dans ce projet de loi constitutionnelle, la question de l'inscription d'office des natifs ne soulève pas de difficulté particulière – d'autant plus qu'ils sont déjà inscrits sur la liste référendaire –, celle des électeurs domiciliés depuis au moins dix ans sur le territoire nourrit dans sa rédaction actuelle une très forte opposition des indépendantistes. Le sujet est sensible puisque le droit de vote est attaché à la citoyenneté calédonienne, qui constitue, vous l'avez là aussi rappelé, monsieur le ministre, l'un des principes politiques essentiels consacrés par l'accord de Nouméa pour permettre, selon les termes mêmes dudit accord, « au peuple d'origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun ».