La séance est ouverte à neuf heures.
La commission auditionne des dirigeants du groupe Canal+ :
– M. Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal+,
– M. Gérald-Brice Viret, directeur général de Canal+ France, en charge des antennes et des programmes,
– Mme Laetitia Ménasé, secrétaire générale du groupe Canal+.
Nous allons tenir aujourd'hui quatre auditions successives consacrées au groupe Canal+. Nous interrogerons ce matin ses dirigeants puis les responsables et journalistes de CNews, et cet après-midi les responsables de ses chaînes TNT gratuites – C8 et CStar – et payantes – Canal+, Canal+ Sport, Canal+ Cinéma(s) et Planète+. Nos travaux seront ainsi les plus complets possible puisque les thèmes et les questions sont différents selon les chaînes.
À la suite de la demande de reconduction de Canal+ pour une durée limitée à dix-huit mois, les sept autorisations d'émettre des chaînes TNT du groupe Canal+ arriveront à échéance entre le 28 février et le 31 août 2025. L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a d'ailleurs lancé l'appel à candidatures pour le renouvellement de quinze chaînes.
Pour cette première audition, je souhaite la bienvenue aux dirigeants du groupe Canal+ : M. Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal+, M. Gérald-Brice Viret, directeur général de Canal+ France, en charge des antennes et des programmes, et Mme Laetitia Ménasé, secrétaire générale du groupe Canal+. Madame et messieurs, je vous remercie d'avoir pris le temps de répondre à notre invitation.
Je voudrais revenir rapidement sur l'histoire de Canal+, ce groupe ayant toujours occupé une place à part dans le paysage audiovisuel français. À sa création, il a été la première concession au monopole de l'État, incarnant ainsi la libéralisation de la télévision française. Faisant preuve d'une grande intuition historique, ses dirigeants ont compris que les programmes devaient être incarnés par des personnalités puissantes, qui s'ancrent dans l'esprit des Français, avec des Coluche, Dechavanne, de Caunes, Gildas, Chabat ou Denisot pour ne citer qu'eux. Observateurs puis acteurs de la vie politique, nous avons tous en mémoire les célèbres « Guignols de l'info », représentatifs de l'autodérision qui caractérise le fameux esprit Canal.
Si le groupe est français, il investit massivement à l'international, notamment en Europe, dans des pays tels que l'Espagne, l'Italie, la Pologne, la Belgique, le Danemark, la Suède et la Finlande. Rien ne semble devoir arrêter cette progression. En qualité d'administrateur du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), je ne peux que rappeler que l'arrivée de la chaîne a donné un nouveau souffle au monde du cinéma, notamment à travers l'autorisation donnée à sa création de diffuser 50 % de films. Dans cette commission, nous sommes tous attachés à la pérennité de notre modèle en matière de financement et de diffusion des œuvres – nous avons d'ailleurs organisé il y a deux semaines une table ronde sur la production audiovisuelle. Dès janvier 1987, Canal+ a lancé sa propre filiale de production, désormais appelée StudioCanal, qui possède l'un des plus grands catalogues de films au monde.
En 2022, sous l'égide de Roselyne Bachelot, ministre de la culture, un nouvel accord sur la chronologie des médias a été signé. Il permet de diffuser plus rapidement les films après leur sortie en salle sur les plateformes de streaming comme celle de Canal+. Cet accord permet de préserver à la fois la diversité de la production, le modèle industriel des salles de cinéma et les chaînes qui financent la production, et de montrer que nous sommes capables de trouver un accord – car la chronologie des médias est un accord contractuel, noué sous l'égide du CNC.
Canal+ investit plus de 200 millions d'euros par an dans le cinéma, permettant l'émergence de professionnels talentueux, à l'instar de la grande réalisatrice Justine Triet, que vous avez accompagnée pendant près de quinze ans jusqu'au magnifique Anatomie d'une chute. Canal+ a aussi été parmi les premiers éditeurs de programmes à opter pour la TNT, à un moment où ce choix n'était pas forcément évident pour tous. Ce choix a été payant et a contribué à la réussite collective pour la TNT. Pour toutes ces raisons, il était très important de prendre le temps de décortiquer les différentes facettes de votre groupe.
J'en viens aux règles de cette table ronde. Vous allez avoir la parole pour vous présenter rapidement et tenir un propos liminaire. Je poserai les premières questions, puis ce sera au tour du rapporteur pendant une vingtaine de minutes. Ensuite, les députés membres de la commission d'enquête poseront leurs questions – en trois minutes chacun, fractionnables en deux parties s'ils le souhaitent, mais qui se suivent. Les députés non membres de la commission auront deux minutes – fractionnables en deux parties – pour poser leurs questions. Enfin, M. le rapporteur pourra reprendre la parole pour une durée de vingt à trente minutes, sachant que l'audition ne doit pas durer plus de deux heures. Rappelons que ces règles ont été adoptées à l'unanimité par le bureau de la commission, c'est-à-dire par l'ensemble des groupes représentés au sein de cette commission d'enquête.
Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Dans un souci de transparence, j'invite les députés à rappeler le passé qu'ils ont pu avoir dans l'audiovisuel, public ou privé, lors de leur intervention.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Maxime Saada, M. Gérald-Brice Viret et Mme Laetitia Ménasé prêtent successivement serment.)
Vous avez souhaité entendre aujourd'hui le groupe Canal+. Pour cette première audition, je suis accompagné de Laetitia Ménasé, secrétaire général du groupe, et de Gérald-Brice Viret, directeur général de Canal+ France, en charge des programmes et des antennes. Je m'exprime devant vous en tant que président du directoire du groupe Canal+, groupe que j'ai intégré il y a vingt ans. À ce titre, j'ai la responsabilité de l'ensemble de ses activités en France et à l'international. Je suis également PDG de Dailymotion, président de l'Olympia, vice-président du groupe Lagardère et membre du directoire de Vivendi, notre maison mère.
Votre commission d'enquête s'intéresse à nos activités nationales d'édition sur la TNT. Je vais, si vous le permettez, d'abord les replacer dans le cadre du projet global de notre groupe. Avec 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires et une présence dans plus de cinquante pays, le groupe Canal+ est le premier groupe de télévision en Europe. Il se déploie sur trois activités principales : la télévision payante, dont la principale source de revenus est l'abonnement ; la télévision gratuite en France et à l'international, qui tire ses revenus de la publicité ; la production et la distribution de films et de séries, par le biais de StudioCanal.
Au cours des dernières années, le marché de la télévision a profondément changé. Nous sommes passés d'une compétition locale à une compétition mondiale, internet ayant offert la possibilité à de nouveaux opérateurs, essentiellement américains, d'investir massivement dans des contenus, essentiellement américains aussi, et d'amortir leurs coûts sur une base d'abonnés mondiale qui n'a cessé de croître. Netflix d'abord, puis Amazon avec Prime Video, bientôt suivis des studios hollywoodiens Disney avec Disney+, Paramount avec Paramount+, Universal avec Peacock et Warner avec HBO Max : des mastodontes se sont créés, affichant pour certains des parcs de plusieurs centaines de millions d'abonnés – 260 millions pour Netflix, désormais présent dans 190 pays.
Pour faire face à ces nouveaux géants, le groupe Canal+ a dû se réinventer et s'est totalement transformé en quelques années.
Premier pilier de cette transformation : le redressement économique. En France, en 2016, les chaînes Canal+ perdaient près de 400 millions d'euros par an et les chaînes gratuites plus de 60 millions. Si nous restons déficitaires en France, un plan d'économies de près de 1,5 milliard d'euros, accompagné de la sécurisation de nouveaux droits en sport et en cinéma et d'une refonte complète de nos offres commerciales, nous a permis de renouer avec une trajectoire économique positive.
Second pilier : l'accélération de la digitalisation du groupe. Créée en 2013, notre plateforme propriétaire française MyCanal, qui porte plus de 2 000 chaînes dans le monde, s'est développée pour atteindre les meilleurs standards du marché. Nous l'avons déployée dans plus de trente pays. Avec 1 milliard d'euros d'investissements annuels dans la technologie et plus de 1 000 ingénieurs, principalement basés en France, le groupe Canal+ est devenu un acteur majeur de la technologie. Cette digitalisation a permis au groupe d'ajouter une corde à son arc et de se positionner en agrégateur de plateformes. Pourquoi ? Parce que la multiplication des plateformes a abouti à une fragmentation des offres et des droits. Là où les foyers français choisissaient historiquement entre Canal+, TPS et Numericable, ils disposent désormais de près de trois offres de vidéos payantes en moyenne par foyer. C'est une opportunité pour le groupe Canal+ qui, fort de son expérience de distribution de chaînes thématiques tierces, est devenu l'un des premiers distributeurs de plateformes dans le monde : beIN Sports, Netflix, HBO Max Disney+, Paramount+, Apple TV+… nous distribuons au moins l'une de ces plateformes dans près de quinze territoires.
Dernière étape de cette transformation : l'internationalisation. En 2015, le groupe Canal+ rassemblait 11 millions d'abonnés ; il en compte aujourd'hui 26 millions dans cinquante pays. Canal+ est le seul groupe média à avoir intégré le top 50 des marques françaises les plus puissantes dans le monde. Notre objectif est désormais d'atteindre à moyen terme un parc de 50 à 100 millions d'abonnés pour rejoindre le top 5 mondial des acteurs de contenus. Cette croissance passera par des prises de participation dans nos principales zones géographiques : en Europe avec Viaplay, le leader de la télévision payante dans les pays nordiques ; en Asie avec Viu, leader du streaming payant et gratuit en Asie du Sud-Est ; en Afrique avec la société sud-africaine MultiChoice, leader de la télévision payante en Afrique anglophone et lusophone.
Cela étant, la compétition avec les acteurs mondiaux américains n'est pas qu'une question de taille : nous partons avec un désavantage manifeste, puisque notre marché national représente le cinquième de celui des États-Unis. Nous avons ainsi choisi de jouer de nos forces et de cultiver nos différences.
Le premier axe de différenciation est un investissement massif et pérenne dans les contenus locaux. Dans chacun des territoires où il intervient, Canal+ a toujours eu à cœur de découvrir et de faire grandir les talents locaux. Alors que Disney, Netflix ou Apple TV affichent moins de 10 % de titres français dans leur catalogue, Canal+ investit massivement dans les contenus français. Canal+ est le premier financeur de la création cinématographique en France, avec une contribution de 200 millions d'euros par an qui est supérieure à nos obligations, suite à un accord historique avec les syndicats représentant les professions du cinéma français. Canal+ contribue davantage que tous les autres acteurs réunis – chaînes gratuites et plateformes internationales. Et, parce que nous pensons qu'il est essentiel, pour nos partenaires comme pour nous, d'avoir une visibilité à long terme, nous proposons aujourd'hui de renouveler notre accord pour cinq ans, pour un montant total supérieur à 1 milliard d'euros. Canal+ est également – et c'est beaucoup moins connu – le premier financeur télévisuel du sport en France, sa contribution étant là aussi supérieure à celle de tous les autres acteurs réunis.
Deuxième axe de différenciation : notre rôle dans la structuration de la filière audiovisuelle. La diversité de cette dernière se retrouve autant dans le nombre des sociétés partenaires que dans la typologie des films de cinéma que nous accompagnons. Pas un seul de nos concurrents ne fait autant travailler le tissu industriel créatif français. Quelque 43 % des films financés par Canal+ sont des films dits de la diversité, c'est-à-dire avec un budget inférieur à 4 millions d'euros. Ils représentent 25 % de nos investissements, alors que notre obligation est de 17 %. Plus de 100 sociétés de production différentes et indépendantes de Canal+ produisent chaque année les films que nous finançons et que nous exposons avec amour sur nos antennes. Là encore, pas un seul autre acteur ne finance autant de sociétés de production de cinéma indépendantes. En 2023, 32 % de nos préachats étaient des premiers films de jeunes réalisatrices et réalisateurs, ce qui est essentiel dans le renouvellement des talents créatifs en France. Tout aussi important : la moitié de ces films ont été réalisés par des femmes, contre 33 % il y a trois ans. Ce n'est pas le fruit du hasard, mais le signe de l'attention particulière que nous accordons à l'accompagnement, au financement et à l'exposition des films de réalisatrices. C'est d'ailleurs avec ce souci de la place des femmes derrière la caméra que nous avons créé, au sein de StudioCanal, un fonds d'aide au développement de projets cinématographiques dirigés par des réalisatrices.
Troisième axe de différenciation : le travail sur l'accès à la culture, en particulier pour les plus jeunes. Le prix de toutes nos offres a été divisé par deux pour les moins de 26 ans. Nous nous sommes associés au pass Culture dès son lancement. Enfin, parce que le cinéma joue un rôle clé dans l'éveil des consciences, nous avons lancé une première mondiale avec notre partenaire UGC, en couplant un accès illimité aux salles de cinéma et aux chaînes Canal+ pour le tarif le plus bas possible. Mais l'accessibilité ne se résume pas au prix : nous allons systématiquement au-delà de nos obligations en matière de sous-titrage pour les sourds et malentendants, pour l'intégralité de nos chaînes gratuites et payantes de la TNT. Et nous avons récemment codéveloppé Dystitles, une police de sous-titres pour permettre aux personnes dyslexiques et non dyslexiques de profiter ensemble d'un contenu sous-titré. C'est là encore une première mondiale.
Comment envisageons-nous l'avenir et comment la TNT s'inscrit-elle dans notre projet ? Au cours des derniers mois, nous avons vu émerger des offres dites hybrides, c'est-à-dire des offres de plateformes qui mélangent abonnement et publicité. Netflix, Disney et Amazon ont lancé ce type d'offres qui les amènent à développer une compétence de régie publicitaire. Or le groupe Canal+ possède cette expertise depuis longtemps, et l'a renforcée par l'acquisition de chaînes gratuites de la TNT en 2016. La TNT est un moyen d'accès important, voire essentiel, à la télévision. C8 est actuellement la première chaîne TNT ; CNews est la deuxième chaîne d'information– et de plus en plus souvent la première ; CStar est la seule chaîne musicale gratuite en France. Le succès de ces chaînes a permis à notre régie de s'établir comme un acteur important du paysage audiovisuel français – elle est la troisième régie publicitaire en France, après celles de TF1 et de M6 – et d'être retenue par des tiers tels qu'UGC, le Grand Rex, RTL 9, Oqee ou Eurosport pour développer leurs revenus publicitaires en France. C'est là un gage ultime de la qualité de nos équipes et un atout incontestable pour l'avenir de Canal+. Cette expertise devrait se renforcer grâce à l'acquisition de la plateforme Viu, dont le modèle s'appuie notamment sur les revenus publicitaires, et au rapprochement envisagé avec Dailymotion, plateforme de vidéos avec un modèle de publicité présente dans 145 pays.
Malgré ces atouts indéniables, nous devons constater que nous n'avons pas les mêmes moyens ni surtout les mêmes règles que les géants américains : la réglementation nationale est devenue un frein à l'expansion et à la rentabilité des acteurs français, bien plus régulés que leurs concurrents internationaux. Il me faudrait la journée pour énoncer la liste des réglementations qui s'imposent aux acteurs français et auxquelles les acteurs internationaux échappent :
– Les plateformes américaines ont la possibilité de mutualiser leurs obligations cinématographiques et audiovisuelles. Pas nous.
– Nous devons respecter un quota de diffusion de 60 % d'œuvres européennes. Pas elles.
– Certains secteurs publicitaires nous sont interdits et la durée des publicités est encadrée. Pas pour elles.
– La liste des événements d'importance majeur – c'est-à-dire les compétitions sportives – qui doivent être impérativement diffusés en clair s'applique à nous. Pas à elles. Amazon aurait ainsi la possibilité d'acheter des matchs de l'équipe de France de football et de les réserver à ses abonnés payants. Impensable, mais pourtant possible.
Au-delà des plateformes payantes, il y a le cas des réseaux sociaux, plébiscités par toutes les tranches d'âge mais en particulier par les 15-24 ans, dont la consommation de vidéos sur internet représente déjà plus de 50 % du temps total de consommation de vidéos, contre 24 % pour la télévision. CNews, pourtant deuxième chaîne d'information en France, ne représentait que 2,3 % de l'audience de télévision en 2023. Mais combien d'audience pour Facebook, X, YouTube ou TikTok, qui échappent à toute réglementation, française ou européenne ? C'est une situation que je constate tous les jours en tant que président Dailymotion et membre fondateur de l'appel de Christchurch, lancé en 2019 par le président Emmanuel Macron et la Première ministre néo-zélandaise suite à la diffusion d'une tuerie en direct sur un réseau social.
Que les choses soient claires : j'ai le plus grand respect pour l'Arcom et pour son président, Roch-Olivier Maistre. Il n'est en rien question pour nous de nous soustraire à l'autorité de cette institution indépendante, que nous n'avons jamais contestée. Nous nous sommes toujours efforcés de respecter nos obligations sur l'ensemble de nos chaînes, payantes ou gratuites, et nous avons accepté les rares sanctions lorsque cela n'avait pas été le cas. Si les méthodologies et les conventions changent, nous continuerons à nous y conformer car il y va de notre responsabilité de premier groupe audiovisuel français et européen.
De même, je tiens à exprimer le profond respect que j'ai pour le travail du législateur et la mission que vous exercez au sein de l'Assemblée nationale et en dehors de ses murs, même si j'ai parfois l'impression que ce respect n'est pas mutuel. Vous avez été, monsieur le rapporteur, jusqu'à qualifier ailleurs d'« armée mexicaine » l'ensemble des personnes qui se rendent disponibles, aujourd'hui et demain, pour répondre avec sérieux à votre convocation. C'est regrettable. Vos propos, ainsi que la convocation de notre groupe pour une journée entière d'audition, prochainement suivie de celle de MM. Vincent Bolloré et Cyril Hanouna, alors que TF1, Altice, NRJ Group et M6 ont été convoqués pour deux heures en moyenne, soulèvent des interrogations sur l'impartialité de vos travaux. Là encore, c'est regrettable.
Mon sentiment est que l'enjeu national devrait d'abord être de permettre à des acteurs nationaux de rivaliser avec ceux qui échappent aux régulations locales, et non pas de tenter de supprimer des chaînes, comme certains ici l'ont clairement demandé, alors que celles-ci contribuent au pluralisme des médias et ont démontré leur intérêt auprès du public, remplissant ainsi deux des principaux critères d'attribution des fréquences de la TNT.
Je vous remercie de votre écoute et me tiens à votre disposition, avec Laetitia Ménasé et Gérald-Brice Viret, pour répondre à vos questions.
Madame Ménasé, monsieur Viret, pouvez-vous nous rappeler brièvement votre parcours, les circonstances de votre arrivée au sein du groupe Canal+ et les éventuelles évolutions que vous avez connues en son sein ?
Secrétaire générale du groupe Canal+, que j'ai intégré en 2016, j'ai eu la chance de pouvoir observer de très près les transformations que vient de décrire Maxime Saada. Auparavant, j'ai été avocate, puis employée chez Vivendi. Dans mes fonctions actuelles, je suis responsable des relations notamment avec l'Arcom – l'un des points qui, me semble-t-il, intéresse votre commission d'enquête. Je serai ravie de répondre à vos questions sur le sujet.
Je suis très heureux de pouvoir échanger aujourd'hui avec vous. Mon parcours me donne une vision particulièrement large de la TNT puisque j'ai eu la chance de diriger au total onze chaînes de la TNT gratuite et payante. J'ai eu aussi l'honneur de présider, dès 2006, le groupement TNT qui réunissait tous les nouveaux entrants et le service public. Actuellement, je suis directeur général du groupe Canal+ qui compte sept chaînes présentes en TNT sur un total de trente-cinq chaînes diffusées par satellite, câble et ADSL. Je pourrai également développer l'apport unique de notre groupe à la création audiovisuelle et à la diversité de la TNT.
Journaliste, j'ai commencé ma carrière en radio et en télévision locale – je le mentionne car il reste encore quarante-deux chaînes de télévision locales sur la TNT. En 1995, j'ai rejoint le service public pour être directeur de la rédaction de l'émission « Continentales ». En 1996 s'est offerte à moi l'opportunité de diriger les programmes d'une nouvelle chaîne, Voyage, dédiée à la découverte du monde, dans le groupe Pathé. Ce même groupe m'a ensuite confié la direction de Télé Monte-Carlo (TMC), puis de Comédie !, de Cuisine.tv et de Pathé Sport, ce qui m'a permis de découvrir l'univers de la télévision payante. J'ai eu l'occasion de proposer le dossier de candidature de TMC pour une fréquence de la télévision gratuite, avec succès. En 2006, j'ai pris la direction de NRJ 12. Quelques mois auparavant, nous avions lancé la chaîne de télévision locale NRJ Paris avec Jérôme Guedj. En 2006 toujours, je suis devenu, je l'ai dit, le président du groupement TNT, projet qui me tient particulièrement à cœur et sur lequel nous aurons l'occasion de revenir. En 2013, j'ai été appelé par le groupe Lagardère pour prendre la direction du pôle des chaînes de télévision en France et à l'international. J'ai eu la chance et l'honneur d'être le président de la chaîne Gulli, partagée avec France Télévisions, mais aussi des antennes de Mezzo, que j'ai développées en Russie, en Asie et en Amérique du Nord.
En 2015, j'ai rejoint le groupe Canal+ en tant que directeur des antennes du groupe. En 2022, Maxime Saada m'a nommé directeur général de Canal+ France, en charge des contenus et des antennes de nos trente-cinq chaînes.
Pour rassurer ceux qui auraient besoin de l'être au sujet d'une « armée mexicaine », je précise que c'était mon choix de convoquer autant de monde pour l'audition de CNews tout à l'heure – nous aurons trois dirigeants de la chaîne et trois journalistes en plus de M. Viret et de Mme Ménasé. La réunion pourra d'ailleurs être prolongée jusqu'à treize heures trente. Il me semblait en effet compliqué de parler d'autant de rédactions sans en faire venir les principaux acteurs, qui se sont par ailleurs exprimés à plusieurs reprises au sujet de la récente décision du Conseil d'État. J'ai fait ce choix en tant que président parce qu'il est important que les différents avis se confrontent devant notre commission. Enfin, nous recevons l'ensemble des responsables du groupe Canal+ comme nous avons déjà reçu l'ensemble des responsables des autres groupes. Au vu de l'émotion suscitée par ces auditions au niveau national, je ne regrette pas d'avoir fait passer le groupe Canal+ en dernier !
Monsieur Saada, nous avons évoqué l'histoire de Canal+. Comment voyez-vous maintenant évoluer les différentes entités du groupe ? Quel est, à votre avis, l'avenir de la TNT ? Quelle place comptez-vous y occuper au fil des renouvellements ? En la matière, avez-vous une stratégie globale pour l'ensemble de votre groupe, ou envisagez-vous les choses de manière fractionnée, chaîne par chaîne ?
Notre stratégie était de retrouver la croissance, notamment en France. Même si les chaînes Canal+ demeurent déficitaires, notre nombre d'abonnés en France s'accroît depuis quatre ans, ce qui n'était pas arrivé depuis de nombreuses années – j'étais bien placé pour le savoir puisque j'avais la charge de ce secteur. Cette dynamique de croissance, qui profite à Canal+ dans les cinquante pays où le groupe est présent, est essentielle.
Comme je l'ai dit, nous faisons face à des géants qui peuvent amortir des coûts très importants. Netflix peut investir 17 milliards de dollars dans des contenus, avec un nombre d'abonnés qui va bientôt passer de 260 à 300 millions. La série « The Crown » coûte environ 15 millions de dollars par épisode à Netflix, c'est-à-dire dix fois plus cher que « Marie-Antoinette » pour Canal+, mais ramenée à l'abonné, elle lui revient moins cher. Pour produire des contenus toujours plus spectaculaires, y compris des contenus français qui circulent partout dans le monde, nous devons donc résoudre ce problème de taille critique. Nous le faisons par croissance organique – nous nous implantons dans de nouveaux pays, tels que l'Éthiopie ou l'Autriche – et par croissance externe, par le biais des opérations que j'ai citées.
La TNT est un élément essentiel à la distribution de Canal+, dont la logique a toujours été d'être présent sur toutes les plateformes et auprès de tous les opérateurs. À l'époque où j'étais directeur marketing, j'ai vu le groupe Bouygues lancer Bouygues Telecom et affirmer sa volonté – comme d'ailleurs tous ses concurrents fournisseurs d'accès – de proposer de la télévision par le biais de ses boîtiers d'accès à Internet ou box. Pour Canal+, le coût était très significatif alors que le nombre d'abonnés de Bouygues Telecom était encore insignifiant. Nous avons pourtant immédiatement choisi de suivre ce distributeur. De même, nous répondons toujours positivement aux demandes de distribution des fabricants de téléviseurs connectés ou de consoles de jeux, généralement asiatiques. En effet, le modèle de Canal+ étant essentiellement un modèle de coûts fixes, nous devons aller chercher les abonnés là où ils se trouvent et par tous les moyens possibles pour dégager une rentabilité.
La TNT s'inscrit totalement dans cette démarche. Cette plateforme de diffusion couvre 97 % du territoire hexagonal, les fournisseurs d'accès 93 % et le satellite 100 %. Nous ne pouvons pas nous priver de ce moyen de diffusion. Oui, la TNT s'inscrit pleinement dans la stratégie de Canal+. C'est une évidence pour les chaînes gratuites, qui ont besoin d'audience puisque leurs revenus sont publicitaires. Or le premier foyer d'audience des chaînes de la TNT, c'est évidemment la TNT. N'ayant reçu qu'hier le dossier pour le renouvellement des fréquences, nous n'avons pas encore eu le temps d'examiner les conditions posées, mais nous avons pour ambition de candidater pour l'ensemble de nos chaînes payantes et gratuites à la TNT.
Merci pour la primeur de cette information, qui intéresse notre commission d'enquête : vous comptez donc demander le renouvellement de toutes vos chaînes payantes et gratuites pour lesquelles l'échéance approche.
Une autre négociation va s'ouvrir cette année, celle de la chronologie des médias. Comment voyez-vous cette négociation et quels sont vos souhaits ? Préféreriez-vous le statu quo ? Le système actuel est-il satisfaisant ? Sinon, quelles durées vous sembleraient idéales : trois ans, cinq, plus ? Par ailleurs, pensez-vous rester au même niveau d'engagement financier pour la création française ?
Le cinéma, je l'ai dit, est un élément absolument essentiel de la proposition de valeur de Canal+ à ses abonnés : c'est le premier motif d'abonnement. Pour la première fois depuis 1996, nous avons signé un accord avec tous les acteurs du cinéma hollywoodien – tous les studios sont aujourd'hui proposés par Canal+ – et le cinéma français est, évidemment, au cœur de notre proposition. Il se porte bien, mieux que la plupart des autres cinémas nationaux dans le monde. Les cinémas qui ont survécu sont rares : il n'y a plus de vrai cinéma italien, britannique, espagnol ou allemand. Le nombre d'œuvres produites dans ces pays a été divisé par dix en vingt ans, et le nombre de salles a aussi été largement réduit. En Europe, seule la France a réussi à maintenir un cinéma de qualité et qui s'exporte.
Pourquoi ? La caractéristique unique du cinéma français est son financement, en partie par le CNC – il joue un rôle essentiel – et aussi, en grande partie, par Canal+ et les chaînes de télévision gratuites, en particulier France Télévisions, qui vient après nous. Un tel financement n'existe pas ailleurs et explique comment le cinéma français a réussi à perdurer, à se renouveler et à continuer à s'exporter. En 2023, le nombre d'entrées en France s'est élevé à 180 millions, contre 200 millions lors des meilleures années pré-Covid-19. Le cinéma et l'exploitation se portent mieux en France que presque partout dans le monde – même les États-Unis, la Chine et l'Inde n'ont pas retrouvé un niveau pareil. Il faut avoir conscience de la chance que nous avons de produire des œuvres comme les nôtres et d'avoir un cinéma qui se porte bien. Le cinéma français représente près de la moitié des 180 millions d'entrées que j'ai évoquées : c'est, là aussi, unique.
On peut se réjouir de ce système, mais il est fragile. Même si cela n'a pas toujours été très bien compris, je pense que c'est ce que visaient les propos de Justine Triet à Cannes. Cette fragilité vient de ce que le système est principalement dépendant de deux, voire trois acteurs : Canal+, le CNC et France Télévisions – l'apport des autres est beaucoup plus faible.
Nous avons choisi de privilégier le cinéma français pour nous distinguer des opérateurs américains. Nous n'avons pas la possibilité, je le rappelle, de faire un choix entre l'audiovisuel et le cinéma, contrairement aux plateformes américaines. Mais quand bien même nous le pourrions, nous choisirions le cinéma français : c'est absolument essentiel pour nous.
S'agissant de l'avenir, la proposition que nous souhaitons faire aux organisations du cinéma est de renouveler l'accord en cours, qui a été signé il y a très peu d'années – on se remet à négocier tous les dix-huit mois, ce qui est d'ailleurs une des questions qui se posent. Nous pensons que cet accord est bon pour le cinéma français. Il a permis aux salles de retrouver leur public, bien que Canal+ diffuse désormais les films six mois après leur sortie. Nous avons donc avancé dans la chronologie sans faire de tort aux salles, ce qui est absolument essentiel pour nous. Nous considérons en effet que la salle est le moteur, le poumon de cette économie. Avancer la diffusion sur Canal+, au bénéfice des abonnés, est évidemment un objectif pour nous, mais cela ne doit pas se faire au détriment des salles. Nous préconisons donc d'en rester à la chronologie actuelle, qui a démontré qu'elle était positive aussi bien pour Canal+, qui voit de nouveau son nombre d'abonnés croître, que pour les salles.
Nous avons fait l'acquisition, depuis quelques semaines, des activités d'Orange dans le cinéma – Orange Cinéma Séries (OCS) et Orange Studio. À cette occasion, nous nous sommes engagés auprès des organisations du cinéma à ajouter les engagements financiers d'Orange à ceux de Canal+ : le montant annuel de financement du cinéma français par le groupe Canal+ passerait ainsi d'environ 200 millions d'euros par an à plus de 220 millions.
Par ailleurs, nous avons proposé que la durée de l'accord soit portée à cinq ans, afin de donner de la visibilité à la fois aux organisations du cinéma, au système de financement en France et à Canal+.
J'ajoute que nous sommes partenaires cette année, avec les salles, du Printemps du cinéma et de la Fête du cinéma. Le cercle vertueux entre les salles et Canal+ fonctionne très bien : un succès en salle en est forcément un aussi sur Canal+ et, à l'inverse, un film qui n'a peut-être pas eu le temps de trouver son public dans les salles le trouve sur Canal+.
Un point a souvent été mal expliqué, voire présenté de manière erronée : les plateformes américaines ont tout à fait la possibilité de se positionner à six mois dans la chronologie des médias, Rien ne le leur interdit ; elles devront simplement s'acquitter d'obligations d'un montant très supérieur à ce qu'elles ont envie d'investir. Elles pourraient très bien se trouver au même point dans la chronologie que Canal+.
Par ailleurs, l'ensemble des films récompensés lors de la cérémonie des César de vendredi dernier ont été préachetés, préfinancés par les équipes de Canal+, qui réalisent depuis longtemps un vrai travail de fond. Nous suivons ainsi Justine Triet depuis son premier court-métrage, réalisé il y a plus de vingt ans.
Les exploitants de cinémas, que nous avons auditionnés hier dans le cadre du groupe d'études cinéma et production audiovisuelle, nous ont effectivement rappelé le rôle des partenariats et l'importance du travail mené avec vous. Ils ont souligné que, grâce à la mobilisation de l'État et des parlementaires, aucun cinéma français n'avait fermé lors de la crise de la Covid-19, que les salles avaient retrouvé leur public, parfois même en augmentation, malgré une petite faiblesse en janvier et février, et que notre modèle de la chronologie s'exporte, y compris aux États-Unis. On voit que la salle peut revenir un peu au centre du jeu et la présence d'Apple lors du dernier festival de Cannes démontre la force et la réussite de nos systèmes.
Comment voyez-vous l'avenir de Canal+ en matière de sport, qui conduit un grand nombre d'abonnés à vous choisir ? Quid des licences ? Comment vous projetez-vous en avant, notamment pour ce qui est du football ?
Le sport reste un élément essentiel et déterminant. Notre modèle est généraliste, ce qui signifie que nous visons à satisfaire tous les membres du foyer. Nous ne suivons pas une logique d'audience, comme peuvent le faire les chaînes gratuites : nous ne cherchons pas à rassembler le maximum de personnes tous les soirs devant le même programme, mais à intéresser chaque membre du foyer. Nous mesurons notre succès, pour chacun de nos programmes, en termes de satisfaction et d'intensité de cette satisfaction pour un ou plusieurs membres du foyer, et non pour l'ensemble de celui-ci au même moment.
Notre proposition généraliste vise chaque public, avec des programmes de cinéma, des séries, qui font partie des genres qui montent le plus ces dernières années, des documentaires, et des dessins animés et films d'animation, lesquels sont une composante très importante pour nous – nous comptons de nombreuses chaînes en la matière. Mais le sport reste essentiel et déterminant : c'est le deuxième motif d'abonnement, après le cinéma. Parmi les investissements que nous consacrons aux contenus, le montant le plus important va au sport, notamment le football.
Nous allons ainsi démarrer la saison en ayant l'exclusivité complète de la Ligue des champions, de l' Europa League, du championnat de France de National ou encore de la D1 – avec laquelle nous avons signé pour cinq ans. Le football reste la discipline reine. J'aurais pu citer également la Premier League, dont nous avons renouvelé la diffusion pour six pays, et nous ferons très prochainement une autre annonce. Nous sommes le premier diffuseur mondial de la Ligue des champions et de la Premier League.
Nous le sommes aussi pour la Formule 1. Nous avons en effet fait émerger les sports mécaniques dans de nombreuses géographies. Ainsi, le Moto GP, qui était très questionné au moment où nous avons fait le choix de le diffuser sur Canal+, rassemble près de 800 000 personnes lors de chaque grand prix : c'est devenu un des sports majeurs de Canal+.
Je pourrais également citer, au titre de la diversité du sport sur Canal+, le rugby, qui est un pilier, si je puis dire, de notre offre et pour lequel nous avons les droits jusqu'en 2027.
La plupart de nos droits sportifs vont jusqu'à la fin de la décennie – ceux du PGA Tour, en golf, viennent d'être prolongés jusqu'en 2030 – et cela ne concerne pas seulement la France, mais un ensemble de territoires, puisque nous suivons une logique multi-pays.
Le sport, vous le voyez, reste une composante essentielle de notre offre.
Nous éditons onze chaînes de sport et nous avons également, même si on l'oublie souvent, une chaîne d'information sportive, Infosport+. Par ailleurs, grâce à l'intégralité des droits de la Ligue des champions, nous nous apprêtons à lancer en simultané, à partir de la fin août, dix-huit chaînes en live supplémentaires. Le sport est pour nous un pilier extrêmement important, et même indispensable.
Compte tenu du nombre de collègues qui souhaitent participer aux échanges, je vous prierai de faire des réponses aussi brèves que possible, et j'essaierai, de mon côté, de formuler des questions qui vous permettront de le faire.
Considérez-vous, monsieur Saada, que Canal+ remplit des missions d'intérêt public ?
Je ne suis pas sûr de comprendre votre question – cela commence mal. Mon objectif est de satisfaire les gens qui s'abonnent et qui paient chaque mois.
Mais considérez-vous que Canal+ remplit des missions d'intérêt public ? Je ne vous demande pas quel est votre modèle économique – vous l'avez expliqué – ni votre projet commercial.
Parlez-vous du groupe ou de la chaîne Canal+ ?
Pardon, je ne sais pas ce que veut dire votre question. S'il s'agit de savoir si Canal+ est un service public, je réponds non. C'est le cas de France Télévisions, mais Canal+ est un groupe privé – qui cherche certes à satisfaire un maximum de publics, en particulier ses abonnés, pour le payant, et les téléspectateurs qui peuvent accéder à la TNT et à nos chaînes gratuites sur toutes les plateformes. L'intérêt du public est notre préoccupation. Sommes-nous un service d'intérêt public ? Je ne le crois pas.
Tout ce que vous nous avez dit au sujet du modèle de financement du cinéma, absolument nécessaire à la vie de l'exception culturelle, relève donc d'abord de la logique commerciale plutôt que du service rendu ou de l'intérêt public ?
Je ne sais pas non plus ce que cela veut dire. Nous finançons des films : ce ne sont pas des investissements théoriques, mais de l'argent investi en préachats – des équipes de cinéma lisent des scripts, et recommandent à notre comité d'investir dans certains projets. Quand on investit dans un film, vise-t-on la rentabilité immédiate ? Je ne crois pas. Est-on pour autant dans une logique de service public ? Je ne crois pas non plus.
Avez-vous une information vraiment essentielle à nous apporter ? C'est moi qui donne la parole.
Je voudrais simplement dire que tout le système que nous avons essayé de décrire est vertueux. Nous sommes un opérateur privé, ayant une volonté de rentabilité, et nous trouvons un avantage stratégique et opérationnel dans la chronologie des médias. Les obligations qui nous incombent représentent pour nous un intérêt privé, du point de vue de notre rentabilité, que le système favorise aussi.
Merci, j'avais compris.
Pouvez-vous m'indiquer, monsieur Saada, si la chaîne C8 est en déficit ou en excédent depuis 2015 ?
Depuis quasiment la création de la chaîne, je crois.
Cette chaîne est en déficit. Je vois bien où vous voulez en venir, mais c'est la trajectoire, la progression de la rentabilité qui m'intéresse. La question est de savoir si le déficit se creuse ou s'il se réduit. Il se réduit.
Ce déficit était-il prévisible lorsque les chaînes ont demandé l'autorisation de diffuser ?
Quand on présente sa candidature et qu'on est un acteur privé, je ne crois pas qu'on vise à ne pas être rentable. On visait, et c'est toujours le cas, la rentabilité. Les faits nous donnent raison : les chaînes se rapprochent, chaque jour, de la rentabilité.
Régulièrement. Nous avons des échanges très réguliers avec l'Arcom, notamment en ce qui concerne la santé des chaînes et leur activité.
Ce sont exactement les mêmes. Nous visons à réduire le déficit, et les faits nous donnent raison. Nos chaînes connaissent, je l'ai dit, un succès incontestable. C8 est aujourd'hui la première chaîne de la TNT, CNews la deuxième chaîne d'information, voire de plus en plus souvent la première. Chaque jour qui passe, les chaînes se rapprochent de la rentabilité.
J'ajoute que beaucoup de chaînes et d'opérateurs ne sont pas rentables. Cela ne signifie pas que les actifs n'ont pas de valeur. L'important est la trajectoire économique. Les chaînes de Canal+ représentaient 400 millions d'euros de pertes en 2016, beaucoup moins aujourd'hui. Le déficit des chaînes gratuites était de plus de 60 millions, nous en sommes aujourd'hui à un quart de moins. Les pertes se sont beaucoup réduites, et nous nous approchons de la rentabilité.
Par quel mécanisme les chaînes ont-elles pu échapper à la faillite, puisqu'elles ont été déficitaires en continu jusqu'à présent ?
Je pourrais vous parler longuement des mécanismes de financement des sociétés, et on pourrait aussi se demander pourquoi Spotify, qui a été créé il y a quinze ans et qui n'a jamais gagné d'argent, n'est pas en faillite.
Le groupe Canal+ est un ensemble, qui projette de s'introduire en Bourse. Nous avons été soutenus par notre maison mère, Vivendi, chaque fois que nous avons eu besoin de ressources, notamment pour les investissements que j'ai évoqués – M7, MultiChoice, la croissance externe, les droits de la Ligue des champions, qui coûtent relativement cher, etc. La question est de savoir si le groupe Canal+ a la capacité de financer des initiatives dont il pense qu'elles ont une importance pour lui. J'ai rappelé celle du gratuit dans le marché : il existe une convergence entre les acteurs du payant et ceux du gratuit et il est essentiel pour Canal+ d'avoir des chaînes gratuites et des activités de régie publicitaire dans son modèle.
Le groupe Canal+ réalise plus de 500 millions d'euros de profits, contre 250 millions en 2015. Cela nous permet de financer des initiatives dont nous pensons qu'elles produiront des effets positifs à l'avenir. Cela s'appelle être une entreprise. Quand on se lance dans un pays comme le Vietnam, où nous avons maintenant plus d'un million d'abonnés, on est déficitaire pendant un certain nombre d'années et puis, à un moment donné, si tout se passe bien, si on arrive à réaliser ses objectifs, on devient profitable et on peut réinvestir une partie dans les contenus. Comme l'a souligné Gérald-Brice Viret, c'est vertueux, il s'agit d'une logique de structuration de filière.
Pour ma part, j'ai compris le fonctionnement du système, ne vous inquiétez pas. Mais, la viabilité économique étant un des critères d'attribution des autorisations d'émettre, cela m'intéresse de savoir pourquoi ces chaînes n'ont pas encore été rentables. Roch-Olivier Maistre nous l'a dit : « L'autorité peut aussi décider de rejeter un dossier ab initio si le candidat ne fournit pas, à ses yeux, de garanties suffisantes sur la viabilité économique du service. » Le sens de ma question est transparent.
Vous avez expliqué que vous respectiez vos obligations et que, bien souvent, vous alliez même au-delà – félicitations. Pour autant, il y a de nombreux domaines dans lesquels les chaînes de votre groupe ne l'ont pas fait. J'ai la liste des rappels à l'ordre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), puis de l'Arcom : il y en a plus de cinquante. Les chaînes du groupe Canal+ se trouvent dans la situation particulière d'être les plus rappelées à l'ordre par l'Arcom. À votre avis, pourquoi ?
Une des difficultés est celle du volume. Ce sont des chaînes qui ont beaucoup de direct, notamment C8 – c'est même son projet d'origine. Dans le cas de CNews, on compte 8 700 heures de direct par an. Tout le travail que cela nécessite à l'antenne peut conduire à des erreurs, des maladresses, d'autant que parfois, les règlements changent.
S'agissant de C8 et de CNews, le nombre de sanctions est relativement limité. Vous avez fait état, me semble-t-il, d'une trentaine de rappels à l'ordre, mais il faut ramener ce chiffre à celui des sanctions, qui sont prévues par l'article 42-1 de la loi du 30 septembre 1986. Or aucune sanction n'a été prononcée par l'Arcom sur cette base à l'encontre de CNews en 2023. Il y en avait eu une en 2022, et encore, pour un euro symbolique, et une en 2021, de 200 000 euros.
Très concrètement, des séquences ont fait l'objet de demandes d'observations, mais c'est le cas, même si nous n'en avons pas connaissance, pour bon nombre de groupes audiovisuels. Nous sommes extrêmement surveillés. Mais in fine, les sanctions financières prononcées sont relativement faibles en nombre.
Je sais lire. Le fait est que, même si vous pouvez considérer que c'est peu de chose en valeur absolue, c'est sans commune mesure avec les autres chaînes. La commission appréciera.
Comment se passe la procédure lorsque l'Arcom notifie une décision à une chaîne du groupe ? Êtes-vous le premier informé, monsieur Saada ? Est-ce à vous que s'adresse l'Arcom ou aux directions des chaînes ?
La procédure, contradictoire, commence souvent par une demande d'observations, à laquelle nous répondons. Un rapporteur indépendant peut alors être nommé. À la suite des écritures que nous lui envoyons en réponse aux griefs qui ont été soulevés, une audition se déroule devant le collège de l'Arcom. Nous nous y rendons, évidemment, pour faire valoir nos arguments. À l'issue de cette audition, une sanction peut être prononcée, ou non ; le cas échéant, elle est notifiée, par une lettre recommandée, à l'adresse de M. Saada.
Que se passe-t-il quand vous recevez un tel courrier ? Passez-vous un coup de fil ? Qui appelez-vous, une société de production ?
Tout dépend de la nature de la demande. Nous réunissons le producteur, le rédacteur en chef et le directeur des programmes pour essayer de comprendre ce qui s'est passé et si la demande est légitime. C'est le cas pour beaucoup de séquences – nous aurons l'occasion d'en parler – sur CNews et C8. Cela peut concerner par exemple une publicité clandestine – on voit une marque pendant l'émission –, des propos qui n'auraient pas dû être tenus, un témoin interrogé devant la caméra qui n'est pas le bon, ce qui a valu à CNews de verser un euro symbolique. Nous contribuons alors à l'élaboration d'une réponse extrêmement précise et méticuleuse, pour nous défendre auprès de l'Arcom.
Je vais être plus précis. Monsieur Saada, quand vous apprenez que C8 doit verser 3,5 millions d'euros pour la prise à partie de Louis Boyard par Cyril Hanouna, que se passe-t-il ? Vous prenez votre téléphone pour appeler C8 ?
Quand nous avons pris connaissance de la sanction, nous avions déjà eu largement l'occasion d'échanger entre nous. Nous l'avons trouvée complètement disproportionnée. Au-delà de cela, je ne sais pas très bien quoi vous répondre.
C'est intéressant en soi. Vous ne donnez donc pas de directives pour que cela ne se reproduise pas.
Je n'ai pas besoin de donner de directives pour cela. Nous parlons de 9 000 heures de live, de direct, chaque année, par chaîne gratuite. Les équipes sont bien conscientes de la nécessité d'éviter des situations qui peuvent donner lieu à des amendes de cette nature, je n'ai pas besoin de le rappeler.
Permettez-moi de douter.
En juin 2018, vous avez tenu les propos suivants au Sénat : « Je pense au cas de Cyril Hanouna, dont les excès sont connus : c'est aussi ce qui fait son succès. Nous, il se trouve qu'on les aime beaucoup. Au CSA, certains les aiment moins ». Pensez-vous que c'est de nature à assurer une bonne maîtrise de l'antenne ?
Je répète ce que j'ai déjà dit : ce qui fait le succès de Cyril Hanouna, qui rassemble à peu près 2 millions de téléspectateurs tous les jours, c'est sa nature – sa spontanéité, son naturel, son franc-parler. Cela peut donner lieu, quand on est en direct – ce qui est très important – à des débordements tels que celui que vous avez cité et qui nous a valu une sanction. C'est un risque que nous prenons, mais quand nous sommes sanctionnés, nous nous conformons à la sanction.
Comme l'a rappelé Laetitia Ménasé, ces cas sont très rares. Il faut aussi considérer le nombre d'heures de Cyril Hanouna que nous produisons. Il n'y a pas d'équivalent à Cyril Hanouna aujourd'hui à la télévision. La plupart des émissions sont enregistrées ou diffusées avec un léger différé. Cyril Hanouna est en direct : il prend un risque et nous aussi. C'est ce qui explique son succès, et nous assumons pleinement ce risque.
Nous constatons donc que les amendes du CSA puis de l'Arcom ne sont pas dissuasives.
Avez-vous suivi d'autres auditions de cette commission avant de venir devant nous ?
Pas vraiment. J'ai regardé quelques passages sur internet, c'est tout.
J'ai regardé l'introduction de M. Dreyfuss, le passage de Rodolphe Belmer, et je crois que c'est à peu près tout.
Vous me facilitez les choses : vous savez donc que M. Belmer a évoqué une situation de micro-management qui l'a amené à partir. Pouvez-vous faire brièvement un récit des événements qui l'ont mené à cette décision ?
Je n'ai pas assisté au rendez-vous entre Rodolphe Belmer et Vincent Bolloré. J'ai été sous la direction de Rodolphe Belmer pendant quelques années, et il avait été précédemment mon collègue, avant que je rejoigne Canal+ – c'est d'ailleurs lui qui m'y a fait venir. J'étais directeur des programmes, pour les chaînes payantes, entre avril 2013 et juillet 2015, ce qui correspond au moment où Rodolphe Belmer est parti.
J'ai entendu ce qu'il a dit au sujet du micro-management, mais ce n'est pas du tout mon expérience. Cela fait neuf ans que je travaille avec Vincent Bolloré, et je parlerais plutôt de macro-management. Il fixe un cadre stratégique et un cap de rentabilité, avec nous. Il intervient aussi dans les grandes décisions, celles qui sont essentielles. Son expérience, ses conseils et, accessoirement, son soutien sont absolument indispensables au bon fonctionnement du groupe et à l'expansion que j'ai décrite tout à l'heure.
Durant la période que j'ai citée, je m'occupais de tous les programmes de Canal+ : je n'ai jamais fait l'objet d'interventions directes ou indirectes de sa part. Je n'ai donc pas du tout été témoin de ce que Rodolphe Belmer a évoqué devant vous.
C'est ennuyeux car il a, lui aussi, prêté serment. Et depuis, avez-vous fait l'objet d'interventions directes de la part de M. Bolloré ?
Voilà, comme je l'ai dit, neuf ans que je travaille avec lui et je n'ai pas connu d'interventions sur les grilles de programmes. Je ne vis pas le micro-management qu'a décrit Rodolphe. Il aurait fallu lui demander sur quels programmes Vincent Bolloré était intervenu. Il faut être précis.
Nous allons donc être précis. En juillet 2015, durant un comité d'entreprise, M. Bolloré a déclaré, s'adressant à Bertrand Meheut : « Tu voulais la tête de Rodolphe. Je l'ai coupée. Maintenant, assume. » Cela correspond-il au récit de M. Belmer, selon lequel il aurait décidé de partir ?
Je n'étais pas présent lors du rendez-vous entre Rodolphe Belmer et Vincent Bolloré, la réunion évoquée, pour être précis, n'était absolument pas un comité d'entreprise, et les mots que vous citez ne sont pas exactement ceux qu'il a prononcés non plus. Pouvez-vous me rappeler la nature de la question ?
Considérez-vous que l'affirmation de M. Bolloré, qui aurait « coupé la tête » de M. Belmer, est conforme au récit de ce dernier, qui déclare avoir pris la décision de partir ?
Je n'avais pas nécessairement le sentiment que Rodolphe Belmer avait décidé de partir, mais je n'étais pas présent au rendez-vous. Vincent Bolloré a effectivement fait une remarque à Bertrand Meheut en lui disant qu'il n'assumait pas. C'est en effet sur proposition de Bertrand Meheut – j'ai assisté au conseil de Canal+ où la décision de révocation de Rodolphe Belmer a été prise ; j'ai été surpris et je l'en ai moi-même informé – que Rodolphe Belmer a été révoqué, Vincent Bolloré l'a simplement rappelé.
Vous aurez la possibilité de poser directement cette question à Vincent Bolloré, puisque vous l'avez également invité.
Je n'y manquerai pas. Quel était le rôle de M. Bolloré à l'époque de cette citation, où il n'était pas encore, que je sache, membre de la direction du groupe ?
Je ne suis pas très bon en chronologie. Je ne suis pas certain qu'il ait déjà été, à ce moment-là, président du conseil de surveillance de Canal+, je sais simplement qu'il l'est devenu au cours de cette période. Il a été un temps vice-président de Vivendi. Comme je l'ai indiqué, je ne le croise pratiquement jamais et lorsque je le croise, il ne me parle jamais des programmes de Canal+. Je me souviens même parfaitement d'un épisode à l'époque où nous fêtions les trente ans de la chaîne – j'étais chargé de l'organisation des programmes pour célébrer l'événement : lors d'une réunion du comité de résultats, rendez-vous mensuel où l'équipe dirigeante de Canal+ vient exposer à son actionnaire Vivendi les résultats du mois, Bertrand Meheut a demandé à Vincent Bolloré et Jean-René Fourtou, qui était alors président, s'ils souhaitaient connaître les programmes prévus pour l'occasion et leur réponse a été négative. De mon point de vue et d'après mon expérience, ces sujets n'intéressaient pas Vincent Bolloré.
Je le répète, je n'ai jamais été interpellé, directement ou indirectement, et je n'ai même jamais reçu d'instruction de Rodolphe Belmer indiquant que Vincent Bolloré souhaitait telle ou telle chose. Il n'a jamais exercé de rôle direct ni indirect sur la grille des programmes de Canal+.
Est-ce le rôle du président du conseil de surveillance que de procéder à des licenciements ou recrutement de ce genre ?
Vous le lui demanderez. Je le répète, je ne sais pas exactement comment s'est passé le départ de Rodolphe Belmer, et je ne commenterai donc pas précisément la situation.
Je vous ai posé une question d'ordre général sur le gouvernement des entreprises : le rôle d'un président de conseil de surveillance est-il de dégager certaines personnes de la direction d'une entreprise ?
Rodolphe Belmer vous a dit lui-même que c'était son choix.
Le conseil de surveillance a vocation, comme son nom l'indique, à surveiller le bon fonctionnement de l'entreprise et l'application d'une stratégie concertée. Si ce n'est pas le cas, c'est ce conseil qui décide – et non pas son président, car il y a vote. Comme un conseil d'administration, il a vocation – et malheureusement, cela arrive tous les jours dans les entreprises – à procéder à des révocations lorsqu'il considère que la direction générale, chargée de l'exécution de la stratégie, ne remplit pas ses missions. Cela me semble d'ailleurs être sa responsabilité même.
Pourquoi, selon vous, en juillet 2016, Denis Ranque, qui présidait alors le Haut comité du gouvernement d'entreprise et qu'on ne peut guère décrire comme un représentant syndical, a-t-il pu considérer que M. Bolloré sortait de ses fonctions de président du conseil de surveillance et agissait plutôt en directeur général ?
Je ne sais pas. Je ne connais pas ces commentaires.
À la même époque, Vincent Bolloré avait affirmé – citation reprise dans Les Jours et dans Le Monde – que la terreur est utile dans le management des entreprises. Première question : la terreur y est-elle légale ?
Pardonnez-moi de ne pas prendre pour source Les Jours ni Le Monde. J'ai entendu attribuer à Vincent Bolloré, et encore récemment à propos du football, tellement de phrases qu'il n'a jamais prononcées que je ne commenterai pas celle-ci, que je ne lui ai pas entendu dire. Du reste, ce n'est pas son vocabulaire.
Nous aurons tout le temps de faire prononcer à Vincent Bolloré ses propres phrases lorsque nous l'auditionnerons, le 13 mars.
Nous avons terminé les vingt premières minutes du rapporteur, je lui redonnerai la parole à la fin. Nous en venons aux questions des députés membres de la commission, qui disposent, comme je l'ai déjà dit, de trois minutes fractionnables en deux parties, selon les règles établies par le bureau.
Pour prévenir tout risque de conflit, je précise que je suis ancien journaliste – carte de presse numéro 66956. J'ai travaillé à Yvelines Première, Paris Première, M6, TPS, Canal+ et iTélé, que j'ai quittée en 2007.
Monsieur le président Saada, vous venez d'évoquer le football. Étant également membre de la ligue de football professionnel, je voudrais savoir si Canal+ serait présent dans l'appel d'offres en cours.
Pour moi, il n'y a plus d'appel d'offres, car celui qui a été lancé a été déclaré infructueux. Nous n'y avons pas participé, pour les raisons que vous connaissez, et nous estimons que le groupe Canal+ a été victime d'un préjudice très significatif, qui explique d'ailleurs principalement le déficit actuellement observé en France. Dans ces conditions, nous n'avons pas voulu renouveler notre participation à l'appel d'offres de la Ligue 1. Des discussions de gré à gré sont en cours, mais nous n'y participons pas.
Monsieur Viret, vous avez un long parcours dans le domaine de la TNT, et vous avez surtout été président du groupement TNT presque dès sa création. Compte tenu de l'arrêt de plusieurs chaînes ou de leur passage sur la TNT gratuite, de l'érosion du nombre d'abonnés et du développement des services de médias audiovisuels à la demande, la TNT payante a-t-elle su trouver son public ? Comment voyez-vous cela du point de vue de l'activité du groupe Canal+ ?
Merci, monsieur le député, de rappeler l'immense travail que nous avons réalisé lors du lancement de la TNT, objet de cette commission. Officiellement, le lancement de la TNT a eu lieu le 31 mars 2005. Nous avons réussi cette révolution numérique et le signal analogique s'est éteint définitivement le 30 novembre 2011. Cependant, une fois la TNT lancée, encore fallait-il qu'elle connaisse le succès, comme c'est le cas aujourd'hui, notamment avec la TNT gratuite, où les nouvelles chaînes se sont affirmées et ont trouvé leur public, qu'il s'agisse de C8, la première chaîne, de TMC, la deuxième chaîne, ou de Gulli, la chaîne pour les enfants.
À cette fin, nous avons mis en place, avec le Gouvernement, le CSA et le groupement TNT, notamment avec Michel Boyon que je salue, un plan de bascule et d'accompagnement. Nous avons également plaidé pour le renouvellement des équipements, ce qui n'était pas facile : toute la télévision étant analogique, il fallait acheter un décodeur et réorienter les antennes. Nous avons été aidés, en 2006, par la Coupe du monde de football. Puis, comme vous l'avez rappelé, nous avons créé ce groupement rassemblant France Télévisions, les chaînes LCP-AN et Public Sénat, les nouveaux entrants comme NRJ Group, Bolloré Média et NextRadio TV, dont j'ai assuré la présidence. J'ai éteint symboliquement, le 4 février 2009, à Coulommiers, le premier émetteur analogique, après quoi nous avons assisté au lancement des télévisions locales, dont NRJ Paris. Puis est venu celui de la télévision en haute définition (HD) et enfin la transition totale.
Canal+, né en 1984, a connu toutes les révolutions : l'arrivée des chaînes M6 et France 5 dans les années 1980, puis celle du magnétoscope, du laser disc, du satellite, de l'ADSL et enfin de la TNT gratuite. Cela l'a obligé à être encore plus fort sur ses piliers, notamment le cinéma, le sport, les documentaires, les programmes jeunesse, la fiction et la création originale. Toutes ces épreuves ont été pour Canal+ une émulation, et c'est pourquoi nous sommes aujourd'hui un acteur très fort. Après la TNT, il a fallu combattre l'arrivée des plateformes américaines, sans parler du fait que la télévision regardée hors offre du fournisseur d'accès, dite over the top (OTT) ou télévision en streaming, est aujourd'hui l'une des modalités d'accès aux contenus les plus importantes en France. Nous avons pris cette situation non pas comme une compétition, mais comme une émulation.
Au bout du compte, le public bénéficie, grâce à vous, grâce à nous, grâce au lancement de cette vingtaine de chaînes gratuites sur la TNT, d'un paysage audiovisuel de très grande qualité, qui peut être public ou privé, et qui peut aussi être payant, avec l'offre de Canal+ qui est aujourd'hui la meilleure offre de programmes premium. La TNT est donc un succès, que nous devons tous partager.
En évoquant tout à l'heure la prise de risques lors des émissions en direct, vous déclariez que des « débordements » étaient possibles. Quels processus et quelles règles de fonctionnement, avant sanction, avez-vous instaurés pour éviter ces débordements, vous conformer aux règles de l'Arcom et faire respecter la loi lors de toutes les diffusions en direct sur l'ensemble de vos chaînes ? À en juger par votre réponse tout à l'heure, il semble que vous n'ayez pas opéré de modifications après sanction mais si vous l'avez fait, c'est l'occasion de nous en faire part.
Il nous arrive de renforcer les dispositifs. Je ne me souviens simplement pas d'avoir, précisément au lendemain du jour où nous avons reçu une amende de 3,5 millions d'euros, demandé des mesures supplémentaires.
Nous ne sommes pas du tout insensibles aux sanctions de l'Arcom. Bien au contraire, chaque fois qu'une sanction est prononcée, c'est toute une chaîne, ce sont tous les collaborateurs du groupe qui se sentent responsables, et qui sont stigmatisés dans la presse. Nous avons tous à cœur que le problème ne se renouvelle pas.
Il faut toutefois relativiser : sur 100 % de direct, soit 8 000 heures, on relève moins de 0,05 % de séquences litigieuses, dont nous aurons l'occasion de parler cet après-midi avec le président de C8 ou tout à l'heure avec l'équipe dirigeante de CNews. Nous avons renforcé notre présence en régie et en amont dans la préparation de toutes les émissions. Certaines émissions sont enregistrées en amont et remontées pour assurer leur conformité – nous reparlerons de leur diffusion.
Avec Cyril Hanouna, tout un travail de fond est mené avant, pendant et après l'émission. Le terrible moment que nous avons tous vécu lors de la montée d'adrénaline entre Cyril Hanouna et le député Louis Boyard était en direct. Nous avons failli couper l'antenne. Nous ne l'avons pas fait parce que M. Boyard commençait à dire qu'il ne pouvait pas parler sur l'antenne et n'avait pas de liberté d'expression. En conscience, Franck Appietto a laissé filer le direct, alors que nous aurions pu le couper. Puis les mots sont montés. Jamais Cyril Hanouna n'aurait dû utiliser les mots qu'il a eus envers Louis Boyard, député et ancien collaborateur de l'émission produite par H20 Productions. Nous l'avons tous regretté, et Cyril Hanouna le premier.
Depuis lors, quels que soient les femmes ou les hommes politiques invités sur le plateau de M. Hanouna, qu'il s'agisse de Gérald Darmanin, d'Olivier Véran ou de Valérie Pécresse, il n'y a jamais eu de récidive. Cyril a bien compris et a pleinement conscience de la chose.
Pour nous, ces épreuves, lorsqu'elles aboutissent à une sanction, donnent lieu à une réunion, en conscience, avec le comité d'éthique, tout le service juridique et tous les responsables de la chaîne, pour faire en sorte que cela ne se renouvelle pas. L'Arcom fait un travail précieux dans ce domaine, même si elle nous regarde peut-être un peu trop à la loupe – je vois certaines séances de publicité clandestine sur d'autres chaînes, qui montrent par exemple pendant une heure et demie une actrice très connue portant un T-shirt siglé du nom d'une grande marque, sans aucune conséquence. Il y a deux poids deux mesures, mais je n'entrerai pas dans cette logique. Nous aurons l'occasion d'en reparler.
Toujours est-il que nous assumons et avons mis en place un service pour être plus précautionneux pour tous les programmes des trente-cinq chaînes que nous éditons.
Je précise ma question, car je ne pensais pas spécifiquement à l'épisode concernant notre collègue Louis Boyard mais plutôt aux nombreux débordements liés à des propos homophobes ou sexistes – j'en ai moi-même signalé quelques-uns. Ils sont antérieurs de bien des années aux faits que vous citez. Je suis donc curieuse de savoir ce que vous avez pu mettre en place concrètement avec vos équipes – c'est-à-dire vos intervenants réguliers et vos animateurs, car il n'est sans doute guère possible de le faire pour des invités ponctuels – pour vous assurer du respect de la loi et des règles de l'Arcom sur l'ensemble de vos plateaux et de vos chaînes, notamment pour les émissions en direct, que vous n'avez pas la possibilité de monter ou de couper pour en assurer la conformité.
Vous évoquez des événements qui se sont produits en 2016 sur C8. Depuis lors, nous avons instauré une validation systématique de tout élément vidéo diffusé dans l'émission. Nous validons tous les invités en vérifiant leur background, pour savoir à qui nous avons affaire. L'animateur est briefé avec précision sur tous les sujets et nous savons exactement de quoi il sera question tout au long de l'émission. Nous supprimons des sujets et en ajoutons d'autres. Un travail rédactionnel est réalisé sous la baguette de Franck Appietto, qui vous l'expliquera tout à l'heure, avec quatre ou cinq conseillers de programmes qui suivent les émissions, notamment la plus importante de C8, « Touche pas à mon poste ». Deux responsables de la conformité sont présents en régie, qui peuvent à tout moment parler à l'oreillette de Cyril Hanouna, avec un producteur, afin d'assurer la conformité de l'émission et de la rendre la plus intéressante possible.
Depuis 2017, cette émission n'a jamais autant progressé en audience. Aujourd'hui, 3 millions de personnes la regardent et nous sommes conscients de nos responsabilités. C8 est la première chaîne de la TNT, celle qui rencontre le plus large public, touchant à la fois les plus jeunes et les plus anciens. À chaque fois, nous expliquons et revenons sur les différents problèmes. Nous reviendrons cet après-midi sur toutes les séquences litigieuses avec Franck Appietto, président de la chaîne, ce sera très intéressant. Nous avons renforcé ce process sur toutes nos antennes.
Je tiens à préciser, en préambule, que j'ai été salarié de nombreux groupes audiovisuels – à peu près tous sauf un : le groupe Canal+ – et que j'ai aussi dirigé une chaîne publique.
Vous avez exposé l'écosystème d'un groupe de télévision, avec des chaînes payantes, des chaînes publiques, la TNT et des chaînes en option. Certains députés insistent beaucoup sur le fait que votre autorisation d'émettre sur la TNT pourrait ne pas être renouvelée. Quelles seraient les conséquences, en termes d'emploi et en termes économiques, si vos chaînes devaient se voir retirer leurs autorisations de diffusion ?
Je n'ose pas l'imaginer, car l'un des critères essentiels de l'attribution des fréquences de la TNT est le pluralisme et l'intérêt du public. Nous avons, avec C8, la première chaîne TNT – ou première ex aequo – et avec CNews la deuxième chaîne d'information – voire la première, selon les jours. CStar, que vous n'avez pas citée tout à l'heure, ce qui est normal puisqu'elle est rentable, est la seule chaîne de sa catégorie. Je ne vois donc pas ce qui pousserait l'Arcom à ne pas accorder le renouvellement des fréquences, auquel, je le confirme, nous sommes candidats.
La TNT est essentielle dans l'économie de ces chaînes, aux programmes desquelles travaillent 1 200 personnes, dont la moitié environ pour les chaînes gratuites. Les revenus publicitaires sont les revenus essentiels de ces chaînes et la TNT la part essentielle de leur audience, avec une couverture de 97 % du territoire. Nous n'imaginons pas que ces chaînes ne soient pas renouvelées sur la TNT, mais ce scénario serait sans doute dramatique.
Votre question soulève celle de l'audience, car la TNT est, après le satellite, la plateforme qui couvre le territoire le plus large et la population la plus nombreuse, et aussi celle du prix. Fabrice Mollier, que vous avez auditionné, patron de la régie publicitaire de Canal+, vous dirait mieux que moi que le prix de vente au GRP – gross rating point, ou point de couverture brute – de l'espace publicitaire est plus élevé de 30 % environ sur une chaîne présente sur la TNT que sur une chaîne diffusée uniquement par le câble ou par satellite. Compte tenu de ce cumul d'un effet de volume et d'un effet de prix, l'absence de ces chaînes de la TNT leur porterait un préjudice très important.
Les deux chaînes dont nous parlons rencontrent leur public. Pour contrôler nos trois chaînes gratuites – C8, CStar et CNews – nous nous orientons sur deux étoiles du berger : leurs conventions et les rapports de l'Arcom – sans oublier le rapport que nous faisons avec l'Arcom. Sur toutes nos chaînes, et depuis leur démarrage, nous sommes de bons élèves pour ce qui est du respect de nos obligations.
Ainsi, s'agissant de Direct 8, devenue C8, chaîne de direct et d'inédits, qui devait faire la part belle aux nouveaux talents et au cinéma, et qui est en effet la seule chaîne qui diffuse du cinéma de patrimoine, nous n'avons pas contourné les termes de notre convention. La TNT s'est enrichie avec l'arrivée de cette chaîne et, quand on demande aux Français quelles sont les chaînes qui ressortent de la TNT, C8 est l'une de celles qui ont vraiment réussi leur arrivée et qui s'imposent au premier rang.
Quant à CNews, anciennement iTélé, elle est, de huit à vingt-trois heures, la première chaîne d'information selon les jours, au coude à coude avec BFM TV, et ce en respectant sa convention. Avec un ton différent par rapport aux autres chaînes, elle a trouvé sa place, ce qui était nécessaire car nous avons la chance d'être informés par quatre chaînes d'information, sans compter les excellentes chaînes parlementaires qui nous diffuseront tout à l'heure, ni TV5, que vous avez dirigée.
CStar, chaîne musicale qui n'a pas changé d'un iota sa convention, diffuse beaucoup de musique et est aujourd'hui la première chaîne musicale de France. Nous sommes donc très confiants, car nos chaînes respectent nos obligations et se conforment à ce que prévoyait leur dossier de candidature à l'origine de la TNT.
Ne tournons pas autour du pot : si les auditions sont aussi nombreuses et longues aujourd'hui, c'est parce que les feux de l'actualité se sont tournés vers les chaînes de votre groupe, que certains accusent d'être partiales. Les derniers temps de parole des partis politiques publiés par l'Arcom, qui concernent novembre 2023, font apparaître que, sur CNews, le premier parti représenté était Renaissance et le deuxième La France insoumise.
Comment gérez-vous les temps de parole : d'une manière centralisée ou chaîne par chaîne ? Comment vérifiez-vous que les obligations d'équilibre sont respectées ? Je suppose que, dans cette perspective, vous ne tenez compte que des représentants politiques et ne comptez pas encore les journalistes selon leurs opinions !
La comptabilisation du temps de parole est gérée, au sein de mes équipes, par deux personnes qui, toute l'année, se consacrent à regarder les chaînes pour s'assurer de cet équilibre.
Pendant la campagne présidentielle, compte tenu de la difficulté du calcul de ce temps de parole avec les règles spécifiques qui s'appliquent dans ces circonstances, l'effectif de cette équipe est porté à quatre personnes, aidées d'outils informatiques.
Ces personnes font un travail absolument formidable et, lors de la dernière élection présidentielle, notre chaîne a été, avant le premier tour, au plus proche de la projection finale des résultats. Cette équipe réalise donc un travail très sérieux et respecte à la lettre les dispositifs de comptabilisation du pluralisme interne.
Je comprends que votre question fait également référence à la décision que vient de rendre le Conseil d'État, saisi par Reporters sans frontières, et dont nous avons évidemment pris connaissance. Il importe de souligner que cette décision ne relève pas la moindre erreur de la part de CNews dans la comptabilisation du pluralisme et considère par ailleurs que CNews est une chaîne d'information. Mais le Conseil d'État indique aussi qu'il faut prendre en compte d'autres éléments pour comptabiliser ce pluralisme, et nous serons très attentifs aux nouvelles préconisations de l'Arcom en la matière. Naturellement, dès que l'Arcom aura précisé ces nouvelles modalités, elles s'imposeront absolument à toutes les chaînes et nous nous y conformerons.
L'Arcom nous convoque d'ailleurs tous le 7 mars pour nous donner quelques recommandations en vue des élections européennes à venir, et nous serons très attentifs à ses préconisations.
Chaîne par chaîne, nous suivons le temps de parole. Il n'y a pas de temps de parole sur Canal+, qui est organisée en piliers thématiques, mais sur les autres chaînes ils sont strictement respectés. Toutes les émissions diffusées sur CNews font l'objet d'un suivi quotidien. Sur toutes nos chaînes, y compris C8, nous avons toujours assuré l'égalité des temps de parole, comme l'indiquent les bilans de l'Arcom. Nous identifions les personnalités politiques conformément à la réglementation de l'Arcom et suivons leur temps de parole à la seconde près, en rattrapant les décalages.
Certaines formations politiques, malheureusement, nous boycottent. Nous le regrettons. Dans le cadre de la campagne des élections européennes, nous diffuserons de grandes émissions de débat, animées par Laurence Ferrari et Sonia Mabrouk. Je souhaite sincèrement que vous nous aidiez à les faire vivre en y participant. Vendredi dernier, Mme Manon Aubry est passée sur CNews et a obtenu une très belle audience. Nous l'inviterons pour un numéro du « Grand Rendez-vous ».
Je souhaite que toutes les formations politiques jouent le jeu et participent à nos émissions, où elles sont toutes les bienvenues et toujours invitées. C'est très important pour la démocratie. Quand bien même elles ne viennent pas sur nos antennes, nous diffusons leurs interventions faites sur d'autres médias, aux heures de grande écoute, afin de respecter l'égalité des temps de parole, et ce depuis 2019. En matière de suivi des temps de parole, nous sommes de très bons élèves sur toutes nos chaînes.
À la veille du second tour de la dernière élection présidentielle, deux camps avaient quinze minutes à rattraper. Cyril Hanouna a organisé un débat entre Gabriel Attal et Jordan Bardella, au cours duquel chacun s'est exprimé quinze minutes. Ce débat était d'autant plus intéressant qu'il s'adressait notamment à un public jeune – je me souviens d'avoir eu au téléphone mon neveu me disant « Je sais pourquoi il faut aller voter dimanche ». Ce rôle, Cyril Hanouna l'endosse dans son émission « Face à Baba ». Je me souviens de moments incroyables avec Jean-Luc Mélenchon et d'autres candidats et candidates.
Vous parlez beaucoup business et rentabilité, ce qui est tout à fait logique. Permettez-nous de parler démocratie, ce qui, pour des députés, ne l'est pas moins. L'information est un bien essentiel au fonctionnement démocratique. Il est notamment déployé sur les canaux de la TNT, qui sont des services d'intérêt général et doivent donc être mis au service de cet intérêt général. Ils sont ainsi définis par l'Arcom. Cela leur confère des droits et des devoirs.
Monsieur Saada, vous avez évoqué de « rares » sanctions. Peut-être est-ce votre avis mais, s'agissant d'une chaîne qui, comme CNews, se dit chaîne d'information, dix remarques en deux ans sur des fausses d'informations peuvent-elles être considérées comme rares ? Lorsque l'on dit travailler à donner de l'information, peut-on considérer que dix fausses informations relevées en deux ans – sans compter celles qui ne le sont pas – soient rares ?
Outre les chaînes de la TNT, le groupe Canal+ diffuse douze chaînes d'information via les bouquets et myCANAL, venant du monde entier – la Grande-Bretagne ou le Japon par exemple. On ne peut pas dire que l'information, qui est en effet d'intérêt général, ne nous tient pas à cœur.
S'agissant de nos chaînes TNT, je maintiens que nous avons rarement été sanctionnés. Au demeurant, toutes les remarques qui nous ont été adressées ne portaient pas sur des fausses informations. Je considère que dix commentaires en deux ans, ce n'est pas beaucoup et je vous invite à vous pencher sur ce que l'on lit, en une soirée, sur les réseaux sociaux qui, eux, ne sont pas régulés et qui sont très pratiqués par certains membres de cette commission d'enquête. CNews diffuse 8 760 heures par an. À cette aune, dix commentaires et de rares sanctions, c'est peu.
Il ne s'agit pas de commentaires, mais d'infographies faussées et de fausses informations. Je tiens la liste à votre disposition.
Les réseaux sociaux ne sont pas un service d'intérêt général. Peut-être devraient-ils être régulés, je vous rejoins sur ce point, mais ce n'est pas le cas. En revanche, les chaînes de la TNT le sont, parce qu'elles entrent dans tous les foyers des Françaises et des Français – c'est leur singularité.
Vous parlez beaucoup de rentabilité et avez fait le choix d'acheter et de faire vivre une chaîne dite « d'information » – pour ma part, je mets des guillemets. Pensez-vous qu'on puisse faire une chaîne d'information avec si peu, voire quasiment plus de journalistes ?
Votre appréciation de l'intérêt général est totalement subjective. Vous considérez sans doute que les 6 millions de téléspectateurs qui regardent CNews chaque jour – en moyenne en 2023, davantage en 2024 – sont des gens qui n'ont pas l'intelligence de déterminer si les informations que nous leur donnons sont d'intérêt général. En étant la deuxième chaîne d'information de France, la première un jour sur deux, je considère que nous remplissons parfaitement notre mission d'intérêt général.
CNews salarie 250 personnes, dont 200 journalistes détenteurs d'une carte de presse. Elle a des correspondants en France et dans le monde entier. Une rédaction pilote cette chaîne d'information, qui connaît un grand succès et fait son travail. Elle donne de l'information. Elle l'éclaire par des reportages, suivis de décryptages proposant une argumentation.
Ce concept fonctionne. Je comprends que cela gêne nos concurrents, mais tels sont notre format et notre ligne éditoriale. Nous sommes une chaîne d'information regardée aujourd'hui par 8 millions de Français par jour et plus de 33 millions de Français par mois. Nous servons pleinement l'intérêt général.
De surcroît, l'intérêt général se reflète dans la convention que nous avons conclue avec l'Arcom.
Je suis désolé chère collègue, chaque orateur peut prendre la parole à deux reprises seulement. Karl Olive a dû se soumettre aux mêmes règles, que je suis obligé de faire respecter, faute de temps.
Monsieur Saada, vous nous avez rappelé en introduction le positionnement d'agrégateur de plateformes du groupe Canal+, pour aller chercher les publics là où ils sont. La TNT est présente dans 97 % des foyers, ce qui représente une audience importante, ainsi qu'une ouverture vers le marché publicitaire.
L'attribution des fréquences suppose la conclusion de conventions, par lesquelles les bénéficiaires prennent des engagements. Vous avez dit respecter et même dépasser vos obligations de financement de la création artistique. Mais s'agissant de vos obligations de respect du pluralisme et d'équilibre des temps de parole, vous avez été sanctionnés.
Je rappelle que ces fréquences sont des parties du domaine public. Elles ne sont pas la propriété d'acteurs privés, mais de l'État. Pour éclairer la représentation nationale et nos concitoyens, qui en sont propriétaires, pouvez-vous donner une évaluation de la valeur de ces fréquences, en euros et par année ?
Je suis désolé, je n'ai pas fait ce travail et ne m'occupe pas de cela depuis plusieurs années. Je ne me souviens même pas du prix d'acquisition des chaînes TNT du groupe Canal+, n'ayant pas participé à l'opération. Les chaînes vendues par Alain Weill au groupe Altice l'ont été pour une somme significative, d'autant que sa situation était favorable, dans la mesure où BFM est une chaîne rentable depuis longtemps.
Il y a plusieurs moyens d'évaluer le prix d'une fréquence. Encore faut-il la vendre, dans la mesure où des règles, de durée notamment, s'appliquent aux cessions. Mais en tout état de cause, le groupe Canal+ n'a pas l'intention de céder des chaînes de télévision. Nous souhaitons renouveler toutes nos fréquences de la TNT. Nous nous inscrivons dans une logique de développement. Nos chaînes fonctionnent de mieux en mieux, et celles qui ne sont pas encore rentables sont en passe de l'être. Nous n'avons donc pas estimé leur valeur récemment.
Nous avons effectivement des droits et des devoirs, s'agissant notamment du respect de notre convention et du format de nos chaînes. Nous sommes de bons élèves.
Nous avons des obligations de diffusion, selon lesquelles notre catalogue de services doit contenir annuellement au moins 60 % d'œuvres européennes et au moins 40 % d'œuvres d'expression originale française. Nous les respectons. Nous avons des obligations de production. Nous les respectons. De même, nous respectons nos obligations en matière de pluralisme politique, de protection du jeune public, de communication commerciale et de protection des consommateurs. Les bilans annuels de l'Arcom l'indiquent. Nous respectons aussi nos engagements sociétaux, voire les dépassons, notamment en diffusant des programmes destinés aux sourds et aux malentendants.
Notre projet est industriel, mais nous avons conscience de la responsabilité qui nous incombe dès lors que nous utilisons des fréquences publiques.
Loin de moi l'idée de vous inciter à revendre des fréquences. Je voulais simplement rappeler, conformément à l'objet de notre commission d'enquête, que les fréquences de la TNT sont du domaine public. Dès lors, les réflexions que vous menez lorsque vous procédez à des arbitrages d'investissement nous intéressent. Vous avez indiqué qu'être présent sur certains canaux de diffusion représentait un coût. J'en déduis que vous pesez la valeur de chaque fréquence qui vous est attribuée. Il serait utile que vous nous indiquiez, d'ici la fin de nos travaux, votre façon d'évaluer ces parties du domaine public.
Nous nous inscrivons dans une logique de groupe. Nos revenus sont issus de la publicité et des abonnements. L'un et l'autre sont essentiels à l'avenir du groupe Canal+. C'est pourquoi nous nous sommes rapprochés de Dailymotion, dont les revenus sont exclusivement issus de la publicité. C'est aussi pourquoi nous développons l'expertise et le métier de régie pour nos chaînes, qui ont chacune vocation à être rentables et le seront.
Par-delà les chaînes que nous détenons en propre, le groupe Canal+ a la compétence nécessaire pour développer des revenus publicitaires. La régie travaille pour des tiers – j'en ai cité quelques-uns – mais aussi pour les chaînes de Canal+. La publicité diffusée sur les chaînes gratuites représente environ 66 % des revenus réalisés par la régie. Le reste est assuré par les chaînes de Canal+ et par les tiers.
Nos chaînes de la TNT représentent un enjeu économique. Nous n'avons aucun doute sur leur rentabilité à terme, compte tenu de leur progression et de leur trajectoire économique. Et le développement de sa compétence en matière de régie et de revenus publicitaires est un enjeu stratégique pour le groupe Canal+.
Monsieur Saada, la liste de vos titres et mandats impressionne. Vous êtes membre du directoire du groupe Vivendi, directeur général et président du directoire du groupe Canal+, vice-président du groupe Lagardère, administrateur et président-directeur général de Dailymotion, président de l'Olympia, administrateur de Gameloft SE, et je laisse de côté la quinzaine de lignes qui suit sur le site de Vivendi.
Là se dessine bien le fameux empire Bolloré – télévision, presse papier, jeu vidéo, spectacle, édition – qui, si divers soit-il, présente une certaine constance dans la méthode : une sorte de grand remplacement opéré à chaque rachat. Nous l'avons notamment observé lors de la reprise par Canal+ d'Europe 1, d'iTélé devenue CNews, de Paris Match et du Journal du Dimanche. Nous l'observons au sein du groupe Hachette avec la tentative d'imposer à la tête de Fayard Lise Boëll, l'éditrice d'Éric Zemmour, et de lui permettre d'accoler la marque Fayard aux éditions Mazarine.
Ces grands ménages sont assortis de clauses de confidentialité pour ceux qui partent. Jean-Baptiste Rivoire vient d'être condamné pour avoir voulu « dévoiler les coulisses de l'éradication de "l'esprit Canal" entre 2015 et 2021 », selon ses termes. Combien de personnes ont quitté le groupe Canal+ depuis son intégration dans l'empire Bolloré ? Parmi elles, combien sont soumises à des clauses de confidentialité ?
J'ignore leur nombre précis. Nous avons mené un plan de départ volontaire, qui était nécessaire, Canal+ étant très déficitaire en France. Dans « plan de départ volontaire », il y a « volontaire » : les gens qui ont souhaité partir ont bénéficié des conditions économiques correspondantes. Il doit s'agir d'environ 500 personnes sur un total de 8 500.
Dans ce cadre, Jean-Baptiste Rivoire a touché plus de 400 000 euros. Je me souviens parfaitement de son cas. Il a souhaité percevoir une indemnité supérieure à celle prévue par le plan de départ. Le montant de cette indemnité supplémentaire est connu, puisqu'il vient d'être condamné à la rendre : elle se monte à 150 000 euros, ce qui est une somme, et est liée à une clause de non-dénigrement. C'est une notion assez basique : si vous entendez dans un magasin Orange un vendeur insulter la marque Orange, cela s'appelle du dénigrement.
Si vous touchez une somme d'argent significative, 400 000 euros, dont une part est spécifiquement liée à un engagement de non-dénigrement, vous ne dénigrez pas. Rien ne vous interdit de dénigrer, mais alors il ne faut pas prendre les 150 000 euros. Comme M. Rivoire a dénigré le groupe Canal+ dans les médias sitôt parti, nous sommes allés au procès et le tribunal nous a donné raison. M. Rivoire a été condamné pour avoir dénigré le groupe Canal+ alors même qu'il avait touché de l'argent pour ne pas le faire. J'ignore combien de personnes ont signé une telle clause, mais je connais bien celle qu'il a signée : il ne l'a pas respectée et le tribunal nous a donné raison.
Il serait intéressant que vous transmettiez ce chiffre à la commission d'enquête, d'autant que ces clauses de confidentialité et de non-dénigrement sont, sauf erreur de ma part, valables à vie. Ce n'est pas comme dans votre exemple du vendeur Orange : il s'agit de gens auxquels il est interdit toute leur vie durant de dénigrer le groupe Canal+ ou de révéler ce qu'ils y ont vécu.
J'ai deux questions sur le financement du cinéma. Vous avez beaucoup insisté sur le rôle de Canal+ en la matière, ce qui lui donne en fait une mission d'intérêt public. En 2023, l'autorisation de diffusion sur la TNT de Canal+ a été renouvelée pour dix-huit mois alors qu'elle pouvait l'être pour cinq ans, ce qui fait que son prochain renouvellement sera simultané avec celui de C8 et de CNews. S'agissait-il d'une demande de votre part ? Ce renouvellement ne place-t-il pas C8 et CNews – dont tout le monde sait qu'elles sont mises en cause en ce moment – dans un rapport de force favorable, dès lors qu'elles font partie du même groupe que Canal+, dont on connaît l'importance dans le financement du cinéma français ?
Par ailleurs, vous contestez toute ingérence de Vincent Bolloré dans l'élaboration des programmes de télévision. Qu'avez-vous à répondre aux infos du Canard enchaîné selon lesquelles Vincent Bolloré aurait mis une énorme pression sur la série « Paris police 1900 », où il est question de laïcité et de séparation de l'Église et l'État ? Qu'en est-il du refus de financer le film Grâce à Dieu de François Ozon, qui dit lui-même : « Les patrons de la chaîne n'avaient pas pour habitude d'intervenir sur le contenu éditorial, c'est en train de changer » ?
S'agissant de la clause de non-dénigrement de Jean-Baptiste Rivoire, rien ne l'obligeait à y souscrire. Personne ne force les gens quittant Canal+ à signer une clause de non-dénigrement. Mais si l'on touche 150 000 euros pour ne pas dénigrer, il ne faut pas le faire.
S'agissant du renouvellement de dix-huit mois, ce n'était pas notre demande. Ce que Canal+ souhaitait, c'était obtenir une faculté de sortie à court terme. En effet, nous avons un objectif de rentabilité, et le nombre d'abonnés à la TNT payante décroît. Nous ne voulons pas nous retrouver avec un nombre d'abonnés insuffisant pour rentabiliser la présence de Canal+ sur la TNT – sauf que personne ne sait quand cela arrivera. Lors des négociations, le CSA nous a indiqué qu'il était nécessaire de fixer une durée d'attribution. Nous la souhaitions la plus courte possible : nous avons demandé douze mois et obtenu un compromis à dix-huit. L'arrivée à échéance simultanée des fréquences de C8 et de CNews est fortuite.
Pour répondre de façon claire et définitive à votre première question, j'indique que nous souhaitons renouveler les fréquences de Canal+ et de toutes nos chaînes TNT, payantes et gratuites. Notre logique n'aboutit pas à mettre à mal le financement du cinéma français, au contraire nous voulons le pérenniser. C'est pourquoi nous avons proposé un accord de cinq ans.
Quant aux décisions sur le cinéma français et européen, elles sont prises au sein d'un comité qui se réunit tous les quinze jours, sous ma présidence. Il comprend une vingtaine de personnes et prend ses décisions de façon collégiale. Je n'ai connaissance d'aucune intervention directe de Vincent Bolloré, à propos ni de la série « Paris Police 1900 » ni d'aucune autre proposition.
Lorsque nous avons financé la série « D'argent et de sang », adaptée d'un livre de Fabrice Arfi, dont on ne peut pas dire qu'il soit le plus grand ami de Canal+, personne n'y a vu la main de Vincent Bolloré ! Quand nous diffuserons la série « La fièvre », écrite par Éric Benzekri, que je considère comme un chef-d'œuvre et qui brasse tous les sujets de l'actualité, je doute que quiconque nous parle d'une intervention de Vincent Bolloré. Nous avons financé des films abordant la religion, tels que Benedetta, et nul n'a parlé d'une intervention de Vincent Bolloré.
Si nous n'avons pas financé Grâce à Dieu, c'est parce que le comité, ce jour-là, n'avait que des propositions éditoriales à forte intensité dramatique. Or nous avons à cœur de conserver un équilibre parmi les films que nous finançons. J'ignore pourquoi François Ozon a tenu les propos que vous citez. Il a peut-être mal pris notre décision, parce que nous avons financé tous ses autres films, les précédents et les suivants. Avons-nous la faculté de choisir de ne pas financer un film de François Ozon ? Il me semble que oui. Nous avons pris cette décision en 2017. Depuis lors, nous avons financé 700 films. Quiconque se penche sur la diversité des thèmes abordés dans les films que nous finançons ne peut qu'avoir du mal à affirmer, comme vous l'avez fait, que le groupe Canal+ sélectionne les films qu'il finance dans un état d'esprit sectaire, pour des raisons idéologiques ou religieuses.
Avant de donner la parole à M. Jérôme Guedj, j'indique que je lui accorde une priorité avec une bienveillance particulière, car il doit siéger toute la journée dans l'hémicycle où sont examinés les textes déposés par le groupe Socialistes et apparentés dans le cadre de sa niche parlementaire. Ce principe a été décidé par le bureau de notre commission d'enquête.
Ce qui m'intéresse, dans cette commission d'enquête, c'est d'examiner le respect des conventions liant les chaînes de la TNT à la puissance publique, représentée par l'Arcom.
Dans cette perspective, la direction du groupe Canal+ a-t-elle le sentiment que les observations formulées par le comité relatif à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes, le mal nommé Chipip – autrement dit le comité d'éthique – sont utiles ? Nous avons auditionné les comités d'éthiques des chaînes de la TNT. Tous nous ont fait part avec franchise d'un sentiment de relative inutilité. Les avis publiés sont assez indigents. J'ai eu toutes les peines du monde à trouver ceux du comité d'éthique du groupe Canal+ sur son site internet.
Notre comité d'éthique est l'un des plus actifs du paysage audiovisuel français (PAF). Nous le consultons au moins trois fois par an et autant que de besoin. Nos discussions sont utiles et franches. Il a joué un rôle important lors de l'incident impliquant le député Louis Boyard, convoquant même Cyril Hanouna. Il est toujours là pour nous aider à comprendre les faits et tracer une voie d'amélioration. Oui, notre comité est d'une grande utilité, et il travaille énormément, comme vous avez pu le voir dans ses rapports.
Le comité d'éthique du groupe Canal+ se réunit au minimum quatre fois par an et s'est autosaisi d'un grand nombre de séquences, sur lesquelles nous avons eu à nous expliquer. Actif et de grande qualité, il formule des recommandations que nous avons à cœur d'appliquer. Ses avis sont disponibles sur le site internet du groupe, comme ceux des autres groupes audiovisuels sur leurs sites respectifs.
Par exemple, nous avons suivi sa recommandation de diffuser en différé l'émission de CNews « Face à l'info ».
Tant mieux si vous avez le sentiment que votre comité d'éthique est utile. À Canal+ comme ailleurs, il est rarement saisi ou autosaisi : il s'agit d'une difficulté générale d'application de la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias. Son auteur lui-même, Patrick Bloche, s'est interrogé ici sur l'efficacité réelle des comités d'éthique.
Monsieur Saada, vous avez déclaré devant la commission d'enquête sénatoriale sur la concentration des médias en France que, pour vous, CNews n'était pas une chaîne d'opinion. Nous en parlerons surtout dans la prochaine audition mais, pour vous, que sont une chaîne d'information et une chaîne d'opinion ? Quelle est votre interprétation de la très récente décision du Conseil d'État relative au respect du pluralisme de l'information par les chaînes de télévision ?
J'ajoute une dernière question. Vous avez contesté toute pression et toute ingérence de Vincent Bolloré dans vos décisions. Devant la commission d'enquête sénatoriale, vous avez dit que le recrutement d'Éric Zemmour procédait d'une suggestion de Vincent Bolloré. Pour vous, une suggestion de Vincent Bolloré est-elle un ordre, ou reste-t-elle une suggestion ?
Le Conseil d'État a rejeté les griefs de Reporters sans frontières selon lesquels CNews n'est pas une chaîne d'information, tout comme l'Arcom l'avait fait auparavant. Cela conforte mes propos : CNews est bien une chaîne d'information. L'Arcom considère que nous assurons l'égalité des temps de parole, ce qui est une obligation essentielle s'agissant du pluralisme de l'information.
Si les règles changent – ce qui sera manifestement le cas à la suite de la décision du Conseil d'État – nous nous y conformerons. Nous sommes curieux de connaître les nouvelles modalités. M. le rapporteur a évoqué tout à l'heure la prise en compte des journalistes et des éditorialistes selon leurs opinions. Je serais curieux de voir la France, qui serait la première démocratie au monde à le faire, se mettre à ficher les journalistes et les éditorialistes. Je n'aimerais pas être à la place de Roch-Olivier Maistre – mais ce n'est pas la première fois.
En 2023, CNews a rassemblé chaque jour plus de 5,7 millions de téléspectateurs en moyenne. Parmi eux, au cours de la même journée, plus de 3,5 millions ont également regardé BFM TV, soit 61 % de l'audience cumulée de CNews et 40 % de l'audience cumulée de BFM TV ; près de 1,9 million ont aussi regardé LCI, soit 33 % de l'audience cumulée de CNews et 41 % de l'audience cumulée de LCI ; et près de 1,5 million ont regardé France Info, soit 25 % de l'audience cumulée de CNews et 40 % de l'audience cumulée de France Info. Autrement dit, il arrive souvent qu'un même foyer regarde plusieurs chaînes d'information, car les gens souhaitent avoir plusieurs versions des faits. Il ne fait aucun doute dans mon esprit, ni dans celui du Conseil d'État, ni surtout dans celui du public, que CNews est une chaîne d'information.
Le retour d'Éric Zemmour a été demandé par Serge Nedjar et moi-même, et non suggéré par notre actionnaire. Nous voulions muscler notre offre en recrutant, pour l'émission « Face à l'info », des chroniqueurs et des éditorialistes puissants, tels que Christine Kelly et Éric Zemmour. Cela a fonctionné.
Et, non, je ne considère pas qu'une suggestion soit une instruction. En revanche, je suis ravi de recevoir les conseils de quelqu'un que j'apprécie et dont l'expérience est essentielle au développement du groupe Canal+ et au parcours que nous avons accompli ces dernières années.
Compte tenu de l'heure, je ne pourrai pas donner la parole à plus de trois orateurs encore avant d'en venir aux dernières questions du rapporteur.
Quelle structure et quelle organisation du travail le groupe Canal+ a-t-il adoptées pour garantir le respect par ses chaînes de la TNT de la convention conclue avec l'Arcom ? Existe-t-il des équipes dédiées au respect des exigences, à la formation du personnel, aux obligations légales, au suivi et à l'évaluation de la conformité, à la collaboration étroite avec les créateurs de contenus ? Comment vous assurez-vous en amont que toutes les dimensions du pluralisme et de l'éthique de l'information soient intégrées à votre stratégie éditoriale et opérationnelle ?
La responsabilité de l'organisation est partagée. Les chaînes ont une connaissance très précise des obligations qui leur incombent au titre de la convention conclue avec l'Arcom. Concrètement, les équipes du secrétariat général, que je dirige, procèdent à une évangélisation quasi annuelle à leur sujet. La rédaction des bilans annuels et des réponses aux observations de l'Arcom donne lieu à un travail très fourni, qui occupe six personnes de mon équipe à plein temps.
Rédiger le bilan de chaque chaîne que nous éditons est un travail colossal. Il faut qualifier chaque programme et en déterminer le financement. Cela prend beaucoup de temps. Nous avons des échanges réguliers avec l'Arcom pour finaliser les bilans. Mes équipes travaillent en partenariat avec celles de Gérald-Brice Viret. Au sein des chaînes, les directeurs sont les garants du respect des obligations prévues par la convention conclue avec l'Arcom.
Le respect de nos obligations mobilise des centaines de professionnels. Par exemple, vous savez que le CNC attribue à chaque film un pictogramme. Comme nous sommes le premier diffuseur de films à la télévision, nous devons en attribuer un à chaque film que nous diffusons, soit 700 par an. L'intégralité de nos programmes sont donc validés par un comité de diffusion qui s'assure de l'âge minimal recommandé. C'est un lourd travail et une lourde responsabilité que nous assumons pour toutes nos chaînes.
Animé moi aussi d'une volonté de transparence, j'indique que j'ai exercé en tant que journaliste pendant près de quarante ans notamment dans le service public ainsi que sur RTL, TF1 et LCI. Je n'ai jamais travaillé pour le groupe Canal+.
Considérez-vous qu'une chaîne d'information a vocation à rapporter des faits bruts, comme le fait l'Agence France-Presse (AFP), en indiquant ce qui s'est passé, où et quand et en y adjoignant des reportages produits par une société de production extérieure, ou qu'elle est un lieu de débat, de mise en perspective et de décryptage, notamment pour des sujets escamotés par d'autres médias ?
Les deux. Le positionnement de CNews consiste à rapporter les faits et à débattre de l'actualité. Et le Conseil d'État a considéré qu'elle est bien une chaîne d'information.
En 2016, LCI est passée à la diffusion en clair et France Info TV a été créée. Notre pays compte donc quatre chaînes d'information : iTélé devenue CNews, LCI, BFM TV et France Info, qui aurait dû naître avec la TNT, sous l'impulsion de Marc Tessier, et qui est apparue un peu plus tard dans le cadre d'une alliance entre Radio France, l'Institut national de l'audiovisuel, Radio France International et France Télévisions.
Serge Nedjar, que vous auditionnerez après nous, détaillera le positionnement et la ligne éditoriale de CNews, qui en fait une chaîne d'information. D'ailleurs l'Arcom nous crédite de 60 % d'information et de hard news – les faits relevant de l'information sérieuse. Le sémiologue François Jost, dans son rapport, nous attribue une proportion d'information brute de 13 %, mais nous comptabilisons pour notre part une proportion de 30 ou 35 %.
La force de CNews est d'avoir installé dans le PAF des rendez-vous avec des journalistes talentueuses et talentueux, qui sont en poste depuis cinq ou six ans. Ces grands professionnels sont crédibles et utiles dans leur fonction. L'exposition des faits s'inscrit dans un reportage d'actualité toujours produit en interne. Nous avons 200 journalistes et de nombreux correspondants qui interviennent en duplex, en France et à l'étranger.
Le décryptage est d'autant plus essentiel que l'information brute, de nos jours, est disponible partout. Que la SNCF est en grève tel week-end, chacun le sait ; ce que les gens veulent savoir, ce sont les tenants et aboutissants, les positions des syndicats, de la direction et des usagers. C'est pourquoi nous avons décidé d'aller au-delà de la simple dépêche AFP. C'est la force de notre chaîne d'information. Certaines radios ont adopté le même positionnement et ont réussi leur mue – je n'ai pas besoin de préciser leur nom au grand professionnel que vous êtes.
Une question candide, inspirée par des rumeurs que l'on entend çà et là : lors des entretiens d'embauche des journalistes, les responsables des ressources humaines les interrogent-ils sur leur positionnement politique, philosophique et religieux ?
Jamais.
Monsieur Saada, vous avez rappelé votre attachement à la diffusion par la TNT, ce dont je me félicite. Vous avez confirmé qu'elle fait partie de la stratégie du groupe Canal+ et annoncé votre candidature au renouvellement de toutes vos fréquences. Dès lors, pourquoi avoir mené, depuis plusieurs mois, une politique de migration de vos abonnés de la TNT vers le satellite ou l' Internet Protocol Television (IPTV) ou télévision via Internet ?
Notre objectif principal est de conserver les abonnés de Canal+. Certains nous font part de leur souhait d'avoir une offre plus large ou d'avoir accès à des programmes à la demande, ce qui n'est pas nécessairement le cas de tous nos abonnés sur la TNT, notamment pour ceux qui n'ont pas le matériel ou le débit nécessaire. Pour les conserver, nous les faisons migrer vers une plateforme satellite ou ADSL, qui va davantage les satisfaire. Nous n'avons pas d'intérêt économique à le faire car nous prenons toujours un risque quand nous demandons à un abonné de bouger. Nous le faisons à sa demande ou pour répondre à une forme d'insatisfaction.
Dans le cadre de la modernisation de la TNT, êtes-vous favorable à la mise en place d'une norme de télévision intercative numérique de type Hybrid Broadcast Broadband TV (HbbTV) qui permettrait de proposer des services interactifs ?
Pourquoi pas ? Il faudra en déterminer les conditions et le coût. Pour ma part, je suis surtout favorable à une définition d'image de meilleure qualité, en ultra-haute définition (4K). Nous mesurons le bénéfice de la très haute définition pour nos abonnés. Tous les atouts technologiques dont pourra se parer la TNT seront un gage supplémentaire pour son avenir. C'est pourquoi ils nous intéressent.
Tout d'abord, je signale que l'audience n'est pas garante du respect des obligations, ce qui fait tomber vos arguments en ce sens. Ensuite, il est de notoriété publique que le secteur investigation de CNews a disparu, ce qui relativise la volonté affichée de mettre l'information en perspective.
Monsieur Saada, en 2007, devant la commission de la culture du Sénat, vous vous indigniez que l'on puisse douter de la liberté éditoriale des équipes de Canal+, notamment celles de CNews dont les journalistes auraient dit eux-mêmes qu'ils étaient libres, parfois presque trop libres. Est-ce pour avoir été trop libres que les rédactions d'iTélé se sont mises en grève deux fois en 2016 ? Est-ce pour avoir été trop libres qu'elles ont voté deux fois pour une motion de défiance ? Est-ce pour cette raison qu'un grand nombre de journalistes ont quitté la chaîne à l'issue d'une grève de trente et un jours en 2016 ?
Votre intervention me donne l'impression d'être davantage une tribune qu'une question. Je ne suis pas dans la tête des gens qui ont décidé de partir à ce moment-là. C'était leur droit le plus strict, et je ne connais pas leurs raisons. Est-ce à cause de craintes, de menaces ? Je ne sais pas. Quand j'ai dit « trop libres », c'était une remarque ironique en référence à ceux qui se plaignaient de n'avoir pas assez de commentaires de ma part sur leurs émissions ou leurs prestations.
Dans le groupe Canal+, 500 personnes sont parties à l'issue du plan de départ volontaire dont vous parliez pour des raisons économiques. À la même époque, comme je l'ai déjà indiqué, M. Bolloré évoquait la terreur comme un moyen de management légitime. En 2016, le cabinet Technologia a rendu un rapport qualifiant l'atmosphère d'iTélé de délétère et faisant état de l'existence de très forts risques psychosociaux. Voyez-vous un lien de cause à effet entre cette ambiance très délétère et le départ prétendu volontaire de ces nombreux journalistes ?
Vous n'avez pas cité Vincent Bolloré, mais Les Jours, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Un plan de départ volontaire est un plan auquel les gens souscrivent volontairement. Il n'y a pas de départ forcé. Il y a même des gens qui sont partis dans ce cadre alors que je ne souhaitais pas les voir partir. C'est le cas, par exemple, de la responsable des courts-métrages de Canal+, que j'ai essayé de convaincre de rester. C'est cela la réalité d'une entreprise : il y a des gens qui souhaitent, pour des raisons diverses et variées, souscrire à un plan de départ volontaire, qui s'est fait en l'espèce dans des conditions économiques très satisfaisantes – M. Jean-Baptiste Rivoire oublie de temps en temps de le mentionner. C'est leur choix.
Non, parce qu'elles n'ont pas toutes touché 150 000 euros comme M. Rivoire.
Elles auront été très maladroites. Et M. Rodolphe Belmer, a-t-il signé une clause de non-dénigrement ?
Comme je l'ai rappelé tout à l'heure, je ne connais pas les conditions précises du départ de M. Rodolphe Belmer.
Vous nous les communiquerez, s'il vous plaît.
J'ai une autre question sur le fonctionnement du groupe. La stratégie d'intégration verticale, le développement de synergies entre les différentes branches de Vivendi et de Canal+ semblent être des moyens de gagner en rentabilité. Du fait de votre position, de votre fonction de PDG de Dailymotion par exemple, avez-vous pu solliciter des papiers dans les autres médias du groupe afin de promouvoir votre chaîne, en dehors des encarts publicitaires ?
Je suis désolé de vous dire que non. Je ne suis jamais intervenu auprès du Journal du dimanche, de Paris Match ou encore de Voici, magazine du groupe Prisma. Pourtant, je constate régulièrement, et je le regrette, que les pages télévision de Voici mettent davantage en avant Netflix ou Amazon que les programmes de Canal+. Non, je ne fais pas d'interventions de ce type auprès des titres du groupe Vivendi dont dépend Prisma ou de ceux du groupe Lagardère.
La nomination de Lise Boëll comme directrice générale des éditions Mazarine, rattachées à Fayard, alors qu'elle est éditrice de M. Zemmour et de M. de Villiers, figures très liées au groupe Canal+, serait-elle purement fortuite ?
Ce n'est pas du tout fortuit. Lise Boëll, que nous considérons comme une éditrice de grande valeur, a été licenciée d'Editis. Que le groupe Lagardère choisisse de la recruter n'a rien de fortuit : c'est la preuve de son expertise et de son excellence dans son domaine.
Monsieur Saada, avez-vous participé à des réunions, au siège de Vivendi rue de Presbourg, en présence des directions de Paris Match et du Journal du dimanche, avant le 21 novembre 2023 ?
Madame, messieurs, je vous remercie d'avoir participé à cette audition. Je vous invite à compléter nos échanges par l'envoi des documents qui vous ont été demandés et des réponses écrites au questionnaire qui vous avait été transmis préalablement à cette audition.
La commission auditionne des dirigeants et rédacteurs en chef de Cnews :
– M. Jean-Christophe Thiery, président du conseil de surveillance du groupe Canal+ et gérant de CNews,
– M. Gérald-Brice Viret, directeur général de Canal+ France, en charge des antennes et des programmes,
– Mme Laetitia Ménasé, secrétaire générale du groupe Canal+,
– M. Serge Nedjar, directeur général de la chaîne CNews, directeur de la rédaction,
– M. Thomas Bauder, directeur de l'information,
– Mme Laurence Ferrari, journaliste et rédactrice en chef,
– Mme Sonia Mabrouk, journaliste et rédactrice en chef,
– M. Pascal Praud, journaliste et rédacteur en chef.
Mes chers collègues, nous auditionnons à présent les responsables de la chaîne CNews et de sa rédaction.
Je rappelle que nous venons d'entendre la direction du groupe Canal+ et que nous auditionnerons cet après-midi les responsables des chaînes C8 et CStar puis les dirigeants des chaînes payantes. Nous avons en effet souhaité découper cette journée d'auditions consacrée au groupe Canal+ en plusieurs parties de manière à traiter les questions au fond.
Créée en 1999 sous le nom « iTélé », CNews est diffusée sur la TNT gratuite depuis 2005. Son autorisation a été reconduite hors appel à candidatures en 2019 et arrivera à échéance le 31 août 2025.
Je constate que cette journée d'auditions suscite plus d'émoi que d'autres. Nous avons fait le choix d'auditionner les responsables des chaînes du groupe Canal+ à la fin des travaux de notre commission d'enquête ; il n'empêche que nous avons reçu par le passé les dirigeants de l'ensemble des chaînes présentes sur la TNT.
Cette audition est retransmise en direct sur La Chaîne parlementaire (LCP), sur le canal 13 de la TNT.
Sont restés avec nous M. Gérald-Brice Viret, directeur général de Canal+ France, chargé des antennes et des programmes, et Mme Laetitia Ménasé, secrétaire générale du groupe Canal+. Je souhaite la bienvenue à M. Jean-Christophe Thiery, président du conseil de surveillance du groupe Canal+ et gérant de CNews, à M. Serge Nedjar, directeur général de CNews et directeur de la rédaction, à M. Thomas Bauder, directeur de l'information, à Mme Laurence Ferrari, journaliste et rédactrice en chef, à Mme Sonia Mabrouk, journaliste et rédactrice en chef, et à M. Pascal Praud, journaliste et rédacteur en chef. Je vous remercie, mesdames et messieurs, d'avoir pris le temps de répondre à notre invitation.
Une telle audition, dans ce format, est tout à fait inédite au sein du Parlement. En tant que président de cette commission d'enquête, j'ai en effet souhaité inviter non seulement les directeurs et responsables de la chaîne, mais également ceux qui contribuent à la rédaction et à la fabrication de l'ensemble des programmes d'information. Ce temps nous a semblé nécessaire, a fortiori après les diverses prises de position exprimées en réaction à la récente décision du Conseil d'État.
L'organisation de cette audition obéira aux règles adoptées à l'unanimité par les groupes politiques représentés au sein du bureau de la commission d'enquête. Après un propos liminaire de la chaîne, tenu par une seule personne, et une présentation très courte de l'ensemble des participants, je poserai éventuellement quelques questions en ma qualité de président. S'ensuivront vingt minutes de questions posées par le rapporteur, qui aura l'occasion de reprendre la parole à la fin de l'audition, puis les questions des députés membres de la commission d'enquête, qui disposeront chacun de trois minutes pouvant être découpées en deux parties – autrement dit, un rebond sera possible –, et enfin les questions des députés n'appartenant pas à la commission, pour une durée de deux minutes pouvant être utilisées selon les mêmes modalités. Je vous invite, mes chers collègues, à poser les questions les plus courtes possibles de manière à favoriser les échanges. Vous aurez la possibilité de passer la parole à l'un de vos collègues à condition que cette transmission soit justifiée par une demande de complément d'information indispensable. Nous souhaitons que les échanges soient les plus dynamiques possibles.
Lors de la précédente audition, l'ensemble des députés présents qui avaient exercé, par le passé, une activité dans le secteur audiovisuel ont choisi de le préciser, dans une optique de transparence.
Mesdames, messieurs, je vous remercie de nous déclarer également tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Gérald-Brice Viret, Mme Laetitia Ménasé, M. Jean-Christophe Thiery, M. Serge Nedjar, M. Thomas Bauder, Mme Laurence Ferrari, Mme Sonia Mabrouk et M. Pascal Praud prêtent successivement serment.)
Je vous remercie de nous donner l'occasion de contribuer à vos réflexions dans le cadre de votre commission d'enquête. J'interviens devant vous ce matin en tant que gérant de CNews ; je suis également président du conseil de surveillance du groupe Canal+ depuis 2018. J'ai été président du directoire de ce groupe entre 2015 et 2018, après avoir été directeur général puis président de Bolloré Média entre 2001 et 2015. Au cours de cette période, j'ai eu la chance de vivre le lancement de la télévision numérique terrestre. Auparavant, entre 1989 et 2001, j'ai eu une carrière de fonctionnaire, notamment dans le corps préfectoral.
Parmi les personnes qui m'accompagnent, vous avez déjà entendu Gérald-Brice Viret, directeur général de Canal+ France, chargé des antennes et des programmes, et Laetitia Ménasé, secrétaire générale du groupe Canal+. Sont également à mes côtés Serge Nedjar, directeur général de CNews, Thomas Bauder, directeur de l'information, ainsi que trois grandes incarnations de notre chaîne, Laurence Ferrari, Sonia Mabrouk et Pascal Praud.
Je commencerai ce propos liminaire par une présentation rapide de notre chaîne.
CNews est aujourd'hui la deuxième chaîne d'information nationale, avec près de 9 millions de téléspectateurs cumulés par jour. Elle est désormais régulièrement la première chaîne d'information en France sur une base quotidienne – c'est le cas depuis le début de la semaine, lundi, mardi et mercredi – et sur une base hebdomadaire – c'était le cas, par exemple, pour la semaine du 12 au 18 février, pendant laquelle nous avons réalisé 2,8 % d'audience, devant BFM TV, LCI et France Info.
CNews, aujourd'hui, c'est également une quarantaine de rendez-vous d'information tous les jours, du direct entre six heures et minuit – hormis quelques rares émissions enregistrées auparavant –, des incarnations de référence, dont trois sont présentes devant vous, une rédaction de près de 200 journalistes entièrement dédiée à l'information des Français et, tous les jours, des dizaines de journalistes présents sur le terrain ou sur les plateaux de la chaîne.
Ce succès est le fruit du travail et de la persévérance de nos équipes depuis la relance de notre chaîne d'information en 2017, année durant laquelle CNews a succédé à iTélé.
Permettez-moi de revenir sur le point de départ de CNews, qui met en valeur tout le chemin parcouru. En 2017, les audiences de notre chaîne d'information se situaient à 0,6 %, très loin des performances du leader incontesté de l'époque, BFM TV. En 2016, le résultat d'exploitation de iTélé était gravement déficitaire, de l'ordre de 33 millions d'euros. Ces perspectives pas très joyeuses étaient assombries par l'aggravation de la concurrence sur le marché des chaînes d'information : l'État avait décidé de préempter une fréquence pour lancer France Info sur la TNT, tandis que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) avait autorisé, contre toute rationalité économique, le passage de LCI du payant au gratuit.
À partir de 2017, nous avons réalisé un important travail pour différencier notre chaîne de ses concurrentes, nouvelles et anciennes, et lui donner un avenir. Notre pari était double. Tout d'abord, nous avons voulu proposer aux téléspectateurs français une chaîne qui leur ressemblait et parlait aussi concrètement que possible de leurs sujets quotidiens de préoccupation. En second lieu, nous avons souhaité renforcer le décryptage de l'actualité, présenter de nouveaux formats, proposer une information moins verticale et plus participative, organiser davantage de plateaux permettant l'expression des opinions.
Ce pari s'est avéré gagnant, tant en matière d'audience qu'en termes économiques. Depuis 2017, l'audience de CNews n'a cessé de croître, passant de 0,6 % à 2,8 %, pour citer les résultats hebdomadaires mesurés il y a une quinzaine de jours, soit une multiplication par 4,5 environ. Corollaire de cette hausse, les revenus de CNews ont fortement augmenté depuis 2017, ce qui a permis à la chaîne de se rapprocher de l'équilibre financier. Alors que le déficit d'exploitation était de 33 millions d'euros en 2016, il a été ramené à quelques millions en 2023. Si vous le souhaitez, je vous donnerai après cette audition des chiffres plus précis que je ne peux citer publiquement. Dans l'hypothèse d'une prolongation de notre autorisation d'émettre l'année prochaine, CNews visera l'équilibre dès 2025.
Je terminerai ce propos liminaire en évoquant deux sujets qui, à mon sens, méritent réflexion au sein de votre commission.
Pour toutes les chaînes d'information, les conditions d'exercice du métier de journaliste en France se sont considérablement dégradées ces dernières années. Au fil des dernières crises, qu'il s'agisse des attentats qui ont frappé notre pays, du mouvement des gilets jaunes, de la crise sanitaire, des manifestations contre la réforme des retraites ou, plus récemment, des violences urbaines, nous sommes progressivement passés d'une situation où un binôme formé par un journaliste et un cadreur pouvait se rendre seul sur le terrain à une situation où deux agents de sécurité doivent accompagner nos journalistes pour les protéger et où l'anonymisation est requise. Cette évolution très inquiétante a bien entendu un coût élevé et croissant pour toutes les chaînes d'information. Nous pourrons vous adresser, si vous le souhaitez, des chiffres précis.
En second lieu, à côté des chaînes et des radios d'information régulées, les réseaux non régulés progressent. Il me semble que Maxime Saada, Gérald-Brice Viret et Laetitia Ménasé ont eu l'occasion de vous en dire quelques mots lors de la précédente audition. Une étude très intéressante du ministère de la culture et de Médiamétrie sur les jeunes et l'information révèle que 71 % des 15-34 ans consultent quotidiennement l'actualité sur les réseaux sociaux, lesquels sont donc, pour cette génération, le premier mode d'accès à l'information. Pour 32 % d'entre eux, les réseaux sociaux ou les moteurs de recherche sont même l'unique canal pour accéder à des contenus d'information en ligne. Nous avons donc, d'un côté, des médias régulés, ce qui est très heureux, et de l'autre, des réseaux dont la régulation est très faible et peu efficace, où l'information peut circuler sans modération, où les fausses informations ou fake news prolifèrent et menacent tout particulièrement les publics les plus jeunes et les plus facilement manipulables, qui sont souvent les mêmes.
Enfin, comme vous le savez, une erreur technique est à l'origine de la diffusion, le week-end dernier, d'un programme qui n'aurait malheureusement pas dû l'être. Serge Nedjar y reviendra si vous le souhaitez.
Nous sommes maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions et vous apporter toutes les précisions que vous estimerez utiles pour vos travaux.
M. Viret et Mme Ménasé ont pu se présenter lors de la précédente audition. Je demanderai donc à M. Nedjar, M. Bauder, Mme Ferrari, Mme Mabrouk et M. Praud de nous décrire très rapidement leur parcours, leur arrivée au sein du groupe Canal+ et les différentes activités qu'ils y exercent.
Je suis directeur général et directeur de la rédaction de CNews. Après une quinzaine d'années passées dans le secteur de la presse magazine, j'ai rejoint en 2006 le groupe Bolloré, où j'ai travaillé à la création et au lancement de deux quotidiens nationaux gratuits, Direct Soir et Direct Matin. En 2016, à la demande de Jean-Christophe Thiery et de Maxime Saada, j'ai rejoint le groupe Canal+ pour prendre la direction d'iTélé qui, quelques mois plus tard, s'est transformée en CNews. Je suis, depuis lors, l'heureux patron de cette chaîne.
Journaliste depuis vingt-huit ans, j'ai passé une grande partie de ma carrière à travailler pour Canal+, que ce soit à l'intérieur où à l'extérieur du groupe, même si j'ai sans doute collaboré avec l'ensemble des chaînes du paysage audiovisuel français (PAF). J'ai fait mes débuts au « Journal du cinéma », présenté à l'époque par Isabelle Giordano, puis j'ai travaillé au service culture de « Nulle part ailleurs », sous la houlette de Philippe Gildas, tout en étant journaliste à l'agence Capa dirigée par Hervé Chabalier. J'ai ensuite collaboré à l'émission de cinéma de France 2, à d'autres programmes diffusés sur Arte et M6 ainsi qu'au « Choc des cultures » présenté par Anne Sinclair sur France 3. En 2004, j'ai commencé une collaboration avec John Paul Lepers, avec lequel j'ai produit quatre films, dont un sur Bernadette Chirac et un autre sur Ségolène Royal, et écrit deux livres politiques. En 2006, j'ai rejoint l'agence Capa pour participer à l'émission politique de Canal+, « Dimanche+ », présentée à l'époque par Laurence Ferrari. J'ai également travaillé pour le service public, sur France 2, et réalisé les premiers reportages à l'iPhone diffusés dans l'émission « Avant-premières ». En 2014, je suis devenu rédacteur en chef adjoint à iTélé, où j'ai retrouvé Laurence Ferrari. En 2016, je suis passé à LCI, où j'étais aussi rédacteur en chef adjoint de tranche, avant que n'éclate la grève et que je ne sois embauché par Serge Nedjar comme rédacteur en chef, puis directeur de l'information délégué et enfin directeur de l'information de CNews.
Nous avons pu voir ce matin à quel point le groupe Canal+ joue un rôle essentiel en France en matière de cinéma.
Merci beaucoup de prendre du temps pour nous écouter.
Il me paraît important de vous décrire nos parcours professionnels. Pour ma part, je suis journaliste depuis trente-sept ans – je vous fais grâce de mon numéro de carte de presse, qui pourrait être datée au carbone 14. J'ai travaillé dans dix rédactions différentes.
J'ai fait mes débuts à Europe 1, où j'ai passé dix ans entre 1987 à 1997, puis à France Info, pendant cinq ans, avant de travailler pour Jean-Pierre Pernaut et le magazine « Combien ça coûte ? ». J'ai alors intégré le groupe TF1. J'ai présenté pendant deux ans les journaux du matin sur LCI, puis j'ai rejoint la chaîne TF1, à la demande d'Étienne Mougeotte, où j'ai officié de 2000 à 2006 en tant que présentatrice et rédactrice en chef. J'ai lancé et coprésenté, avec Thomas Hugues, le magazine dominical d'information « Sept à huit », produit par Elephant & Cie, qui est toujours à l'antenne vingt-quatre ans après sa création. J'ai également animé le magazine « Vis ma vie » produit par Jean-Luc Delarue et Réservoir Prod. Pendant cette période, j'ai assuré des remplacements à la présentation des journaux de treize heures et de vingt heures du week-end. Côté radio, j'ai rejoint la rédaction de RTL et présenté plusieurs émissions, dont la plus ancienne de la station, « Le Journal inattendu », jusqu'en 2008. J'ai quitté TF1 en 2006 après avoir été recrutée par le groupe Canal+ pour lancer le nouveau magazine politique de la chaîne, « Dimanche+ », que j'ai présenté et coproduit avec l'agence Capa.
En juillet 2008, Nonce Paolini m'a fait revenir à TF1, où j'ai travaillé jusqu'à la fin du mois de juin 2012 en tant que directrice adjointe de l'information. J'y ai présenté le journal de vingt heures en semaine – l'édition la plus regardée en Europe – et mené les plus grandes interviews politiques nationales et internationales. J'ai présenté les programmes de grande écoute ou prime times politiques de la chaîne pour la campagne de 2012, « Parole de candidat », et j'ai eu l'honneur de coprésenter avec David Pujadas le débat d'entre-deux-tours de la présidentielle qui opposa François Hollande à Nicolas Sarkozy.
J'ai été à nouveau recrutée par le groupe Canal+ en 2012, d'abord pour lancer et présenter un magazine féminin, « Le Grand 8 », avec notamment Roselyne Bachelot et Audrey Pulvar. La chaîne, qui s'appelait à l'époque D8, s'est ensuite transformée en C8. Dès 2013, j'ai rejoint l'antenne de iTélé pour y présenter une tranche de deux heures d'informations appelée « Tirs croisés ». Lors de la campagne de 2017, j'ai animé avec Ruth Elkrief trois émissions politiques : l'un des débats télévisés de la primaire de la gauche, l'un des débats télévisés de la primaire de la droite, ainsi que le débat à onze candidats. Pendant cette même campagne, j'ai aussi lancé, coproduit et animé le magazine politique dominical de la chaîne C8, baptisé « Punchline ».
Je suis actuellement à l'antenne de CNews en tant que présentatrice et rédactrice en chef d'une tranche d'informations de deux heures, « Punchline », codiffusée entre dix-huit et dix-neuf heures sur Europe 1 où je suis donc revenue en août 2021. J'ai présenté pendant trois saisons l'interview politique de la matinale de CNews. Avec Sonia Mabrouk, nous avons animé les soirées électorales – présidentielles et législatives – en 2022. J'assume par ailleurs la fonction de rédactrice en chef du service politique de Paris Match depuis près de deux ans.
Comme nous tous ici, je me présente aujourd'hui devant vous pour apporter des réponses à vos questions. J'aimerais insister sur le respect dû à vos travaux et, plus largement, à la représentation nationale, qui est très important pour nous.
Je me présente devant vous en ma qualité de journaliste et d'intervieweuse, puisque je mène l'exercice de l'interview politique matinale, mais aussi dominicale dans l'émission « Le Grand Rendez-vous », en codiffusion sur CNews et Europe 1.
J'ai commencé mon parcours journalistique avec vous, ou plus exactement avec les parlementaires, puisque j'ai travaillé au sein de la rédaction de Public Sénat, sœur jumelle de LCP-AN, durant dix ans. Lors de cette décennie, j'étais donc une journaliste politique – ce que je suis toujours –, et plus précisément une journaliste travaillant sur la matière parlementaire. Ce n'est pas à vous, mesdames et messieurs les parlementaires, que je vais expliquer combien le travail sur les rapports très pointus des députés et sénateurs a été formateur et exigeant pour la jeune journaliste que je fus. C'est donc au sein de la rédaction de Public Sénat que j'ai acquis les bases de ce métier, ou plutôt de cette passion qui nous anime tous et que j'ai d'abord éprouvée à l'écrit. En arrivant en France après avoir quitté ma Tunisie natale, j'avais en effet intégré la rédaction du magazine international Jeune Afrique, où je suis restée près de six ans, couvrant de très nombreux sujets. Cette expérience m'a aussi ouvert les portes d'Europe 1, ma radio de cœur de toujours, sans aucune infidélité ni incartade depuis treize ans. J'y ai occupé quasiment tous les horaires – le soir, le matin, le dimanche, la semaine – avant d'arriver à la place d'intervieweuse qui est la mienne aujourd'hui. Parallèlement, j'ai intégré il y a sept ans la rédaction de CNews, où je suis actuellement journaliste et rédactrice en chef de « Midi News », la tranche de midi à quatorze heures.
La rédaction de CNews est la plus diverse qu'il m'a été donné de connaître. La diversité des journalistes tient à leurs opinions, à leurs parcours, à leurs origines – je suis contrainte de le préciser aujourd'hui alors que je n'aime pas m'étendre sur ce point, ne me considérant pas comme un quota – et à leurs manières de penser. Je suis sûre que nous aurons largement l'occasion d'y revenir.
Avec les médias que je viens de citer, les émissions accumulées et les directions rencontrées, je n'ai servi qu'un seul et unique intérêt, je n'ai regardé qu'une seule et unique boussole, je n'ai visé qu'un seul et unique objectif : celui de respecter la lettre et l'esprit de mon métier ainsi que la haute idée que je m'en fais, d'informer et d'intéresser le plus grand nombre à l'actualité quotidienne. Notre objectif, à CNews, est de toucher 100 % des Français. Oserai-je dire que notre arc républicain comprend toutes les sensibilités de votre hémicycle et qu'il rejoint donc, à travers vous, tous les Français que vous représentez ? Nous en sommes fiers.
La définition de notre métier – en tout cas, celle à laquelle j'adhère et qui m'a fait entrer dans le journalisme – consiste à dire que nous sommes les sismographes des changements dans notre pays et dans le monde. Nous devons fournir l'information, qui permet ensuite à chacun, en conscience et en liberté – un mot qui résonne aujourd'hui –, de mieux comprendre les bouleversements en France et dans le monde.
J'ai envers votre commission un devoir de transparence, que je compte respecter scrupuleusement en vous parlant des seuls engagements que je reconnais, ceux que j'ai publiquement affirmés et développés dans mes livres. Ils sont, par définition, publics et accessibles à tous à condition de se donner la peine de les lire. Ces engagements me paraissent couler de source dans notre pays : ce sont la défense de la laïcité, la protection de la liberté d'expression, l'éloge de l'école des hussards de la République. Tous ces sujets n'en rejoignent, au fond, qu'un seul : l'amour de la France, qui est mon pays d'adoption et qui m'a donné la chance d'exercer ce beau métier. Je sais que nous partageons évidemment cet amour, mesdames et messieurs les députés de tous bords politiques.
J'ai été biberonnée à l'amour de la France comme à l'amour de mon métier par ceux que je considère comme des références dans ce domaine. Mis à part mes camarades, je citerai nos aînés : Jean Lacouture, Jean Daniel, Jean-Pierre Elkabbach, qui m'a mis le pied à l'étrier, et toutes les grandes voix d'Europe 1 avec lesquelles j'ai grandi, fait mes premiers pas et qui m'ont donné le goût du journalisme, l'envie de consacrer ma vie à ce métier et d'être l'interprète immédiate – et, je l'espère, professionnelle aux yeux du public – de l'histoire qui s'écrit devant nous.
Compte tenu de la sérénité qui se dégage de votre commission et de l'impartialité dont vous faites preuve en auditionnant tous les responsables avec la même exigence – nous n'avons aucun doute là-dessus –, je me présente devant vous avec la responsabilité qui est la base de notre métier, avec la gravité liée au respect que je vous dois et avec l'humilité que nous devons au public qui nous fait confiance et nous porte chaque jour. Je compte évidemment porter cette parole libre.
Je ne vous ai pas coupé la parole car je ne voudrais surtout pas qu'on me reproche de limiter la liberté d'expression, en particulier au cours de cette audition, mais il est très important que vos propos tiennent dans un temps très limité. Nous n'irons pas au-delà de treize heures trente : je vous invite donc à nous apporter des réponses courtes, qui correspondent vraiment aux questions posées. Nous avons malheureusement peu de place pour des éditos – un format que vous connaissez bien – ou des plaidoyers, même si toutes les interventions sont évidemment importantes et intéressantes. Je le répète, le cadre de la commission d'enquête impose des questions et réponses courtes, précises et claires.
J'ai commencé mon parcours professionnel à Nantes, à l'âge de 16, 17, 18 ou 19 ans : j'étais pigiste à Ouest-France. J'ai ensuite fait une école de journalisme avant d'entrer à TF1, au service des sports, en 1988. J'y suis resté vingt ans, malgré ma volonté de sortir du monde du football après 1998. Pour les journalistes comme pour les comédiens, il n'est pas toujours facile de se débarrasser de son étiquette et de sortir de son rôle ; j'y suis néanmoins parvenu, notamment grâce à Jacques Esnous, qui m'a donné la possibilité de faire un billet d'humeur sur RTL, le matin, à partir de 2014.
Entre-temps, j'avais quitté le métier et TF1, en 2008, pour rejoindre le Football club de Nantes – puisque je suis Nantais –, dont j'ai été directeur général. Ce fut une expérience enrichissante et formidable, même si je ne crois pas avoir été excellent dans ce rôle. Paradoxalement, un échec peut s'avérer utile : quand je suis revenu dans le métier, en 2010, j'avais davantage d'envie et de plaisir. Or le plaisir est souvent au cœur de mon activité.
En 2010, j'ai intégré iTélé. La chance existe dans les parcours professionnels : j'avais quitté le FC Nantes en février, la Coupe du monde approchait, j'étais encore journaliste de football et, en juin, Pierre Fraidenraich m'a donné la possibilité d'animer une émission de football appélée « L'Œil de Praud ». Cette séquence, qui ne devait initialement durer qu'un mois, a été un succès, ce qui explique que je sois toujours sur cette chaîne quatorze ans plus tard. À la rentrée de 2010, nous avons inventé une émission de football, « 20h Foot » et « 13h Foot », qui a duré de nombreuses années. Parallèlement, j'ai continué d'animer, notamment avec Eugène Saccomano sur RTL, d'autres émissions comme « Soir de Ligue 1 » ou « On refait le match », que vous connaissez sans doute.
En 2016, alors que j'avais souvent fait le siège de mes directeurs de rédaction en réclamant de faire autre chose que du football, Serge Nedjar a accédé à ma demande, ce dont je le remercie grandement. Nous avons donc imaginé ce rendez-vous matinal, « L'Heure des pros », entre neuf et onze heures. Lorsque nous avons commencé, en 2016, nous réunissions 40 000 à 60 000 téléspectateurs, soit cinq ou six fois moins que notre concurrent principal. J'ai regardé les audiences qui sont tombées à onze heures : hier, nous avons rassemblé 550 000 personnes et avions 300 000 téléspectateurs d'avance sur notre principal concurrent. Cette émission est un succès : elle est appréciée et répond, en tout cas, à une demande.
J'officie également sur Europe 1, où j'anime une émission entre onze et treize heures. Je suis aussi chroniqueur pour le Journal du dimanche, où j'écris un billet d'humeur ou un éditorial.
Comme mes amis qui se tiennent à mes côtés, je me présente devant vous avec gravité, solennité et respect pour écouter vos questions et y répondre, je l'espère, le mieux possible.
Je vous poserai les deux premières questions, monsieur Nedjar, en vous laissant la possibilité de demander un complément de réponse à l'une des autres personnes présentes si cela vous paraît utile.
Nous avons vu dimanche 25 février, sur CNews, une présentation horrible, ignoble, de l'avortement, alors que l'interruption volontaire de grossesse (IVG) a été consacrée par l'Assemblée nationale et le Sénat comme un droit fondamental appelé à figurer dans la Constitution après un ultime vote par le Congrès convoqué à cette fin lundi prochain. Vous avez évoqué une erreur, une présentation qui n'aurait jamais dû être diffusée. Où les choses ont-elles planté ? À quel endroit de la chaîne avez-vous pu identifier un manquement ? Comment a-t-on pu en arriver là ? Qu'avez-vous mis en place pour qu'un tel incident ne se reproduise plus ? Des sanctions seront-elles prises ? Lesquelles et à l'encontre de qui ?
Par ailleurs, nous avons entendu sur vos antennes plusieurs réactions à la récente décision du Conseil d'État. Quel regard portez-vous sur cette décision, sur la qualification de votre chaîne et sur la demande faite à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) d'étendre le champ des personnalités dont le temps de parole doit être comptabilisé dans le cadre du respect du pluralisme ? Quelles sont à vos yeux les limites de cet exercice ? Comment vous conformez-vous aux règles actuelles et comment anticipez-vous les règles futures ? Quels échanges avez-vous avec l'Arcom au sujet de l'évolution de ces règles ?
Monsieur le président, je vous remercie de nous donner l'occasion de nous expliquer sur ce qui est arrivé dimanche. Vous avez utilisé les bons qualificatifs : « ignoble, inacceptable ». Nous les faisons nôtres. C'est en effet une erreur inacceptable d'autant qu'il s'agit d'une émission enregistrée.
Elle est enregistrée le vendredi et est soumise ensuite à une commission de visualisation – toutes les émissions enregistrées sont regardées et analysées pour s'assurer que le contenu, d'une part, est cohérent avec le sujet, et d'autre part, ne contrevient pas à nos obligations. Lors du visionnage, plusieurs problèmes ont été relevés et nous les avons corrigés. Avec le concours du rédacteur en chef de l'émission, un nouveau montage a été effectué ; nous avons fait une nouvelle version que nous appellerons V2.
Il faut savoir que l'émission est codiffusée sur Europe 1 qui doit auparavant la retravailler pour l'adapter au rythme de la publicité sur son antenne. La version V2 a bien été transmise à Europe 1. C'est cette version qui aurait dû passer dans ce que j'appellerai les tuyaux de diffusion de la chaîne pour être diffusée en temps et en heure. Or il se trouve – et c'est là tout l'objet de l'enquête que nous menons depuis le début de la semaine – qu'en raison d'un problème technique, la V2 n'est pas entrée dans les tuyaux ; c'est la version initiale V1, celle que nous voulions bien évidemment bannir, qui l'a été.
Le résultat, vous l'avez dit, est un choc très important pour l'ensemble des rédacteurs de la chaîne et pour le public – il y a eu énormément de réactions. C'est une erreur impardonnable d'autant plus qu'elle concerne une émission enregistrée. C'est ce qui nous travaille le plus depuis le début de la semaine. Comme vous le savez, nous sommes une chaîne qui est entièrement en direct – de six heures à une heure du matin, soit dix-huit heures par jour, sept jours sur sept, donc environ 5 000 heures de direct par an. On le sait bien, les incidents, les problèmes, les manquements les approximations peuvent survenir dans un direct, mais, dans une émission enregistrée, c'est intolérable.
J'utiliserai à dessein le terme de traumatisme. Il s'est passé des choses que nous ne parvenons pas à expliquer. Nous sommes en train d'investiguer.
Pour nous, le choc dépasse la diffusion de telle ou telle version. Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment une telle émission a-t-elle pu être préparée ? Comment cette version peut-elle exister sur une chaîne d'information telle que la vôtre ?
Il est important de le dire, nous nous sommes réunis lundi pour comprendre et corriger. Nous nous sommes excusés le soir même dans nos émissions à grande écoute. Laurence Ferrari, Christine Kelly et Pascal Praud ont présenté nos excuses à la suite de cette erreur technique qui n'aurait pas dû avoir lieu.
L'émission existe depuis 2020.
179 numéros de « En quête d'esprit » ont été diffusés.
L'Arcom a saisi un rapporteur indépendant. Nous nous expliquerons et nous ferons la lumière sur tout ce qui s'est passé pour aboutir à cette dramatique erreur technique que nous assumerons devant les autorités.
Nous saluons les prises de parole des journalistes.
Vous n'avez pas répondu à ma seconde question sur votre lecture de la décision du Conseil d'État et de ses conséquences ainsi que sur vos échanges avec l'Arcom.
L'Arcom, qui est notre interlocuteur, est garant du respect des règles en matière de pluralisme. Le Conseil d'État a estimé que ces règles n'étaient pas suffisantes et a enjoint à l'Arcom de les revoir.
J'y vois un côté positif : si les nouvelles règles devaient être appliquées à CNews – ce sera le cas –, elles le seront également à d'autres médias. C'est rassurant du point de vue de l'équité. Mais, d'un autre côté, il est question de ficher les journalistes selon leurs accointances politiques. Cela me paraît difficile et effrayant. Le travail sera extrêmement ardu pour l'Arcom et je lui souhaite bonne chance.
L'arrêt du Conseil d'État a parfois été présenté comme une décision contre CNews. Je me permets de rappeler qu'il comporte pourtant un point positif pour la chaîne : contrairement à ce que Reporters sans frontières (RSF) prétendait, il y est confirmé que CNews est bien une chaîne d'information. Pour le reste, la décision a une portée générale. Le Conseil d'État demande à l'Arcom d'élargir son analyse du respect du pluralisme. Ce n'est pas une décision pour ou contre CNews.
La commission d'enquête s'interroge sur la composition des plateaux : qui est chroniqueur ? Qui est éditorialiste ? Qui est journaliste ? Qui est intervenant ? Il y a parfois pour les téléspectateurs un certain flou.
Monsieur Bauder, outre les règles en matière de pluralisme qui s'imposent à vous, comment composez-vous les plateaux d'invités ? Comment choisissez-vous les intervenants ?
J'aimerais, à mon tour, à titre personnel, présenter à nouveau mes excuses pour l'erreur inqualifiable que nous avons commise. Comme l'a dit Serge Nedjar. Nous irons au bout des investigations pour comprendre ce qui s'est passé sur ces deux versions, la mauvaise ayant été diffusée. C'est une honte pour nous nous. Nous prenons cette affaire très au sérieux.
Lorsque Aymeric Pourbaix m'a informé qu'il préparait une émission sur l'IVG, puisque le sujet était dans l'actualité, j'ai décidé de mettre en place un plateau de débat à l'issue de l'émission. Ont été invitées Rachel Kahn et Céline Pina afin d'assurer un pluralisme d'expressions sur le sujet.
Pour répondre à votre question, le choix de la programmation et des sujets – c'est notre liberté éditoriale – se fait en permanence, selon l'actualité et l'heure de l'émission. Pour résumer la fabrique de l'information, une chaîne d'information ne s'arrête jamais. Nous sommes tout le temps en train de travailler : du lundi au dimanche, de six heures du matin jusqu'à une heure du matin pour la diffusion ; quand la matinale se termine à neuf heures du matin, celle du lendemain est déjà lancée – notamment pour les reportages – et sa préparation s'achèvera vers une heure ou deux heures du matin, heure à laquelle l'équipe de la matinale prendra le relais et adaptera ce qui aura été préparé la veille en fonction de l'actualité de la nuit ou du petit matin.
Nous sommes d'une certaine manière en conférence de rédaction permanente. Certaines conférences de rédaction sont institutionnalisées, la première étant celle de neuf heures du matin. Mais Pascal Praud a déjà fait un point avec Serge Nedjar avant que moi-même je fasse un point avec les équipes, et cela avant la conférence de rédaction de neuf heures, en présence de Sonia Mabrouk, Nelly Daynac et des équipes de l'après-midi, qui permet de donner les grands axes de la couverture de l'actualité. En fonction des éléments dont nous disposons – les reportages, les sons, les points de duplex et les invités potentiels –, nous composons une sorte de menu d'information le plus pertinent, le plus efficace et le plus varié possible.
Il est des jours où le programme donné à neuf heures n'a pas changé à midi, mais il peut arriver que cinq minutes avant l'antenne, le conducteur change radicalement parce qu'il s'est passé quelque chose. Nous sommes dépendants de l'actualité mais notre liberté éditoriale nous permet de faire des choix. Je vous donne un exemple très récent : toutes les chaînes d'information n'ont pas couvert l'entrée au Panthéon de Missak Manouchian et de ses compagnons de l'Affiche rouge.
J'ai lu bien sûr le rapport de François Jost que je connais bien parce que j'ai suivi ses séminaires à l'université Paris-III. La hiérarchisation de l'information relève de notre liberté éditoriale. Il nous appartient de décider, en tant que journalistes d'expérience, de mettre en avant tel sujet, de placer tel autre en deuxième, tel autre en troisième, etc. L'information ne se résume pas aux gros titres : il faut descendre jusqu'aux bandeaux.
Pour vous donner un ordre de grandeur, l'AFP, qui est une source primordiale pour l'ensemble des rédactions de notre pays, aux côtés des autres agences de presse internationales, Reuters et Associated Press, produit environ entre 4 000 et 5 000 dépêches par jour. CNews produit environ 300 à 400 éléments d'information par jour. Ces 400 éléments d'information par jour représentent une cinquantaine d'informations qui sont données tout au long de la journée dans les journaux télévisés, les rappels de titres, la boucle et dans les émissions, comme point de départ des débats.
Pour revenir à la question initiale, comment composez-vous les plateaux avec les personnalités politiques et les autres types d'intervenants ? Qui prend les décisions ? Vous seulement ? Est-ce le journaliste-animateur ? Le rédacteur en chef ? La direction de la chaîne effectue-t-elle une vérification ? Qui est responsable du choix des plateaux ?
Il y a bien entendu une responsabilité hiérarchique. Je suis sous l'autorité de Serge Nedjar et j'ai sous mon autorité, Pascal Praud, Sonia Mabrouk et Laurence Ferrari qui sont des journalistes d'expérience.
Le choix des plateaux s'opère en conférence permanente. Nous ne partons pas de rien. Nous avons des invités récurrents, des invités d'actualité, et des invités spécifiques que nous pouvons ajouter. L'objectif est de créer du débat. Pour ce faire, il faut du contradictoire – si tout le monde autour de la table est d'accord, il n'y a pas de débat. Et pour créer du contradictoire, il faut une pluralité de points de vue. Ce pluralisme nous permet d'aller plus loin dans l'information.
Pour composer un plateau, nous ne pouvons pas inviter les gens qui boycottent CNews – les écologistes, qui eux ont l'honnêteté de le dire ; nous ne pouvons pas recevoir ceux qui officiellement nous répondent : « je boycotte CNews » – M. Aymeric Caron par exemple – comme ceux qui ne répondent pas à nos invitations – M. Jérôme Guedj par exemple. Nous composons donc nos plateaux avec les gens qui veulent bien venir discuter, sans pour autant se servir du direct pour faire un scandale ou faire passer leur agenda.
Certains de mes confrères devant cette commission ont dit que le journalisme était un métier d'expérience – c'est vrai. C'est l'expérience qui nous permet de composer les plateaux avec les bons intervenants éditoriaux et les bons débatteurs. Le choix se fait avec Laurence, Sonia et Pascal tous les jours. À chaque fois qu'il faut modifier la composition d'un plateau, nous le faisons en accord avec Serge Nedjar.
Les débats sont des informations développées. Pour nous, ce sont des informations au même titre que celles émises dans les journaux télévisés ou dans les rappels de titres. Dans ces informations développées, on trouve les journalistes qui ont mené l'enquête, des éditorialistes réguliers qui, par leur expérience, apportent un éclairage construit et intelligible, et surtout des témoins de l'actualité – ils sont présents sur le plateau ou, quand c'est malheureusement difficile, par Skype ou Face Time.
S'agissant de la composition des plateaux, le processus est très collectif. Il commence dès le matin tôt pour déterminer les thèmes d'actualité et les invités autour de la table. Nous avons, en moyenne, six invités par heure, ce qui représente un volume assez important. Pour le seul mois de janvier, j'ai reçu 145 invités. Chaque débat est ponctué d'un reportage, un duplex ou un sonore qui est fabriqué par la rédaction de CNews. J'aimerais insister sur le fait qu'il y a 200 cartes de presse à CNews. Nos émissions ne pourraient pas se faire sans le travail de la rédaction, de jeunes journalistes talentueux qui travaillent sur le terrain de façon admirable et mettent parfois leur vie en danger dans certaines zones ou manifestations à risques. Je souhaite aujourd'hui leur rendre un hommage tout particulier.
La parole est à M. le rapporteur pour trente minutes pour une première série de questions-réponses.
L'émission « En quête d'esprit » sur l'IVG est diffusée deux fois. À quel moment vous rendez-vous compte qu'il y a un problème ? Lors de la première ou de la seconde diffusion ?
Lors de la première diffusion. Nous avons passé la journée à nous demander qui, quoi, et pourquoi ? Cela a créé énormément de confusion. C'était aussi un dimanche, un jour qui est un peu plus fragile pour nous. Et « quand ça veut pas, ça veut pas » : c'est également la V1 qui a été diffusée la deuxième fois. Quand je vous dis qu'il s'est passé quelque chose de dramatique et de catastrophique dans cet exercice particulier… Nous ne nous voilons pas la face, nous sommes en train d'investiguer pour savoir s'il a eu une erreur ou un peu plus. Nous avons plusieurs pistes.
Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas, en effet. En l'occurrence, quarante-huit minutes ont été dédiées à des thèses anti-avortement – « L'avortement concerne un être humain que l'on empêche de naître » ; « avorter, c'est contraire à la mission de la femme » ; « l'insatiabilité des promoteurs de l'avortement qui voient tout par le prisme de la femme comme si la femme pouvait être totalement supérieure à son propre corps, à sa propre nature ». Pour ma part, je note une grande cohérence entre le visuel qui a été diffusé et le propos général du programme. Pas vous ?
Vous pensez vraiment que la cohérence serait de le faire quelques jours avant de vous rencontrer dans cette assemblée ?
Dont acte.
S'agissant de la décision du Conseil d'État en matière de pluralisme, madame Ferrari, vous avez déclaré : « c'est un régime dérogatoire, un régime d'exception pour nous, tant nous incarnons une liberté de ton », bla bla bla !
Pascal Praud, vous avez affirmé : « aucun autre média évidemment n'est soumis à cette même jurisprudence ». Vous saviez à l'époque que c'était faux, n'est-ce pas ?
« Bla, bla, bla » s'appliquait aux propos que j'ai tenus, monsieur le rapporteur ?
CNews est une chaîne d'information. Nous n'avons pas remis en cause la décision du Conseil d'État. Cependant, l'obligation qui incombe désormais à l'Arcom d'étiqueter politiquement quiconque s'exprimera désormais sur nos plateaux – y compris des journalistes – pose une difficulté. Je pense que vous avez bien compris mes propos.
Répondez à la question, madame. Saviez-vous en parlant de régime d'exception et de régime dérogatoire que c'était faux ?
Dans un premier temps, en effet, nous pensions que c'était uniquement dédié à CNews.
Tout le monde a bien compris que derrière la décision du Conseil d'État qui concernera tous les médias, celui qui est précisément ciblé, c'est CNews.
Je me permets de réitérer mon propos : la question que vous posez à Pascal Praud et à Laurence Ferrari, il faut la poser à quasiment tous les journalistes de ce pays. Telle est en effet la présentation de la décision qui a été faite partout. Mais, je suis en plein accord avec vous, ce n'est pas la réalité.
Il est dommage que vous n'ayez pas pris le temps de discuter avec l'équipe juridique du groupe pour éviter ce genre de bévue. Nous parlons là de fausses informations.
Une dernière fois, dites-le à tous les médias de ce pays.
Ne vous inquiétez pas, je n'y manquerai pas.
Revenons-en à la qualification de chaîne d'opinion ou chaîne d'information. Monsieur Nedjar, comment expliquez-vous les propos de certains de vos intervenants plus ou moins réguliers ? Je cite Guillaume Bigot le 15 mars 2023 : « ici sur CNews, on est dans un microclimat, on sait bien à qui appartient la chaîne, à une bourgeoisie qui reste patriote » ; Laurent Jacobelli, en juillet 2023 « qu'il y ait des médias d'opinion, CNews clairement a des orientations qu'on peut deviner mais c'est une chaîne privée » ou encore Vincent Hervouët, le 17 janvier 2023 : « Ici, sur CNews, on est dans une chaîne d'opinion ». Qu'est-ce qui peut amener des personnes qui interviennent régulièrement sur votre chaîne à penser qu'elles sont sur une chaîne d'opinion ?
Il faut revenir aux origines de la création de Cnews pour comprendre ce qu'est la chaîne.
Il existait deux chaînes d'information BFM TV et iTélé, des robinets à info qui très vite ont montré leurs limites face à l'avènement des smartphones. Se sont ajoutées deux autres chaînes sur la TNT gratuite – LCI et France Info. Avec quatre chaînes d'information, le marché était très compliqué, chaque chaîne se devait d'avoir son originalité. Proposer, comme on le faisait jusqu'alors, des informations du matin au soir dans des journaux télévisés sans décryptage nous a paru un petit peu démodé. Nous avons donc créé une chaîne d'information et de décryptage. Le concept était simple : chaque information devait être expliquée, analysée avec de la hauteur par des journalistes ou des experts. Notre ligne directrice était : « on parle de tout avec tout le monde ». Ce n'est rien d'autre que la liberté d'expression, qui est le propre de nos métiers. C'est ce qui a fait le succès de CNews. Nous avons créé une chaîne qui s'intéresse aux gens et dans laquelle ils se retrouvent.
La liberté d'expression présente des avantages énormes, mais parfois des phrases sorties de leur contexte ou des prises de position – vous en avez citées et je ne peux pas empêcher ces gens de le penser – laissent croire que CNews est une chaîne de d'opinion. Elle ne l'est pas mais c'est ainsi qu'elle est perçue. Nous revendiquons d'être une chaîne de toutes les opinions : sur chaque sujet traité, nous présentons une diversité de points de vue et d'analyses. Je ne peux pas empêcher un invité de s'exprimer – M. Bigot n'est pas un journaliste, c'est un éditorialiste, qui intervient très régulièrement pour faire part de son opinion. Dès lors qu'il n'utilise pas des termes outranciers, qu'il ne porte pas atteinte à l'intégrité physique ou qu'il ne déroge pas aux règles de l'Arcom, il peut dire ce qu'il veut en restant dans des limites extrêmement précises.
Nous parlons de la quintessence de notre métier. Je tiens à mentionner quelques différences importantes et indépassables pour nous. Nous contestons, fermement et avec conviction, le qualificatif de chaîne d'opinion.
Qu'est-ce qu'une information de qualité ? C'est une information vérifiée et recoupée pour alimenter nos débats. Ce sont des heures et des heures de direct au cours desquelles on parle de faits et d'informations. On ne choisit pas un matin au réveil de débattre d'un sujet. Les sujets proviennent de la presse régionale, de la presse générale ou mainstream, d'autres journaux ou de dépêches de l'AFP.
Je n'ai, jamais au grand jamais, donné une information qui n'était pas vérifiée. J'ai toujours préféré être en retard sur une information plutôt que de prendre une avance qui pourrait m'être reprochée. Je vous donne un exemple récent : il y a quelques jours, nous étions en direct à midi quand nous avons appris l'expulsion vers la Tunisie de l'imam Mahjoub Mahjoubi. Les autres chaînes relayaient l'information, je le voyais sur l'écran qui les diffuse. Le réflexe d'un journaliste pourrait être de donner l'information en comptant sur le sérieux de ses confrères et consœurs de grande qualité dans les autres chaînes et de la vérifier ensuite. Je ne l'ai pas fait, nous ne le faisons pas. Ce n'est pas un travail sans filet. J'attends toujours de recevoir sur le fil WhatsApp la confirmation de la part des journalistes compétents qui doivent vérifier l'information. Qu'elle concerne la politique, la justice, les questions de société, le social, etc., nous sommes toujours tenus à la vérification de l'information même si nous sommes en direct.
Madame Mabrouk, compte tenu du temps limité dont nous disposons, il importe de rester concentré sur les questions. Celle du rapporteur portait sur la distinction entre chaîne d'opinion et chaîne d'information. Je lui redonne la parole.
Il y a quelques semaines, en solidarité avec le mouvement des agriculteurs en colère, votre chaîne a décidé d'arborer un logo renversé. Est-ce une information ou une prise de position ?
Il faut replacer cette décision dans le contexte.
C'était au début du mouvement des agriculteurs. Aucun média n'avait pris la mesure de ce qui se passait. Nous avons été contactés très tôt par de jeunes agriculteurs que personne n'écoutait, qui n'avaient aucun porte-voix, qui étaient complètement perdus. Nous avons envoyé des reporters pour discuter avec eux et nous avons été très touchés par ces gens. Ils n'avaient accès à aucun média. Or nous sommes attentifs aux souffrances des gens.
Nous avons retourné le logo pendant une journée puis nous l'avons remis en place dès que le mouvement s'est organisé sous la houlette des syndicats. C'était un cri du cœur, comme nous pouvons en avoir sur d'autres sujets. Nous affichons des logos pour des campagnes contre le sida ou la mucoviscidose et pour d'autres événements importants. Nous avons manifesté une sensibilité qui peut gêner. Elle est peut-être inhabituelle mais elle était sincère ; il y avait aucun objectif d'aucune sorte.
La sincérité n'est pas en cause – j'imagine que vous êtes sincère dans tout ce que vous faites. La question est de savoir si c'est légal ou conforme à vos conventions – je crois que cela ne l'est pas et l'Arcom aura à se prononcer sur ce point.
J'en viens au temps de parole des personnalités politiques. Selon le journal en ligne Les Jours, le temps de parole de Philippe de Villiers n'est pas compté comme celui d'une personnalité politique. Pouvez-vous me le confirmer ? Cela vous paraît-il normal, monsieur Nedjar ?
Je vais répondre à cette question, qui relève de ma responsabilité. S'agissant de la comptabilisation du temps de parole de Philippe de Villiers, nous ne faisons que mettre en pratique ce que l'Arcom nous demande concernant cette personnalité politique. Nous sommes là au cœur du débat sur le pluralisme interne. Je le répète : nous sommes légalistes et appliquons à la lettre ce que nous dit l'Arcom. Nous n'avons d'ailleurs fait l'objet d'aucune sanction liée à la comptabilisation des temps de parole. L'Arcom nous a précisément indiqué que les interventions de M. Philippe de Villiers ne devaient pas être décomptées du temps de parole d'un parti politique : nous ne faisons qu'appliquer de façon bête et disciplinée ce qu'elle nous dit.
On ne vous a pas toujours connus bêtes et disciplinés. Réagissant à la décision du Conseil d'État, vous avez dit, madame Ferrari, que « CNews ne cédera à aucune intimidation, aucune pression. » Que voulez-vous dire ? Considérez-vous qu'une décision du Conseil d'État constitue une pression ?
Non puisque, comme vous l'avez peut-être dit, le Conseil d'État a spécifié que CNews était une chaîne d'information. Nous sommes très respectueux de sa décision, même si nous nourrissons des inquiétudes quant à la mise en œuvre de la régulation du temps de parole de nos invités, et quant à leur étiquetage. Nous ne sommes pas dupes néanmoins et savons très bien que notre chaîne est visée en premier lieu, comme l'a dit Pascal Praud.
C'est moi. Jusqu'en 2019, il y avait quatre chaînes d'information : BFM, qui était largement leader, puis LCI et Cnews qui étaient côte à côte. En 2017, le CSA, ancêtre de l'Arcom, a autorisé TF1 à faire la promotion de LCI, ce qui a considérablement déréglé nos audiences. À l'époque, nous avions trouvé un schéma satisfaisant pour les programmes de la semaine mais avions un souci le week-end : il nous fallait trouver des idées de magazines diversifiés, comme le préconise d'ailleurs l'Arcom. Nous avons alors eu l'idée de monter une émission traitant de façon spirituelle de sujets d'actualité – ce ne fut peut-être pas le cas ce week-end, mais elle commence en effet toujours par un journal des religions. Voilà le concept que nous avons lancé et auquel nous nous tenons depuis la création de l'émission. Nous avons pensé que, pour une chaîne comme la nôtre – qui, comme l'ensemble des chaînes d'information en continu, est plutôt anxiogène malheureusement – il serait agréable de proposer une émission d'information totalement différente, dans laquelle il serait question de choses positives – j'ose utiliser les termes d'amour et de sérénité.
Nous sommes nombreux à l'avoir rencontré. Pour ma part, j'ai fait sa connaissance il y a quelques années. Il était alors journaliste dans une agence de presse au Vatican et nous échangions régulièrement sur le pape, qui faisait alors l'actualité. Il est venu dans mon bureau. Je ne pouvais pas l'embaucher à l'époque, mais il figurait déjà sur mes tablettes.
Le fait qu'il travaille pour le magazine France catholique, propriété du groupe de M. Bolloré, n'est pas entré en ligne de compte…
Je l'ai rencontré bien avant qu'il travaille pour France catholique.
Il est normal que nous travaillions en synergie au sein du groupe. Il apportait la caution du magazine France catholique. Aymeric Pourbaix est un excellent journaliste, que Thomas Bauder connaît également.
Le fait est que France catholique ne fait pas partie du même groupe mais appartient directement à M. Bolloré.
Vous nous dites, monsieur Nedjar, que l'émission « En quête d'esprit » présente des informations sous un angle spirituel, qu'elle n'est pas anxiogène et qu'elle apporte une forme de sérénité. Dont acte. Le 2 octobre 2022, M. Pourbaix la lançait néanmoins en disant : « C'est une réalité plus sournoise que tous les virus, plus dangereuse que toutes les épidémies, plus contagieuse, aussi, que toutes les infections. Mais elle est rarement évoquée, et encore moins prise au sérieux Cette réalité, ce sont les forces du mal sous toutes leurs manifestations. » D'abord, votre appréciation quant au caractère non anxiogène de l'émission me semble déplacée : je me sens pour ma part très anxieux à la lecture de ce genre de chose ! Ensuite, considérez-vous qu'un tel propos relève de l'information ou, plus simplement, du prosélytisme ?
Cette émission ne relève en aucun cas du prosélytisme. Nous en avons diffusé la cent-quatre-vingtième édition dimanche dernier et n'avons jamais reçu de remarque de l'Arcom la concernant. Quant à celle du lundi 3 octobre 2022, que vous évoquez, elle portait sur l'archange Saint-Michel, présent dans les traditions juive, chrétienne et musulmane, chargé de lutter justement contre les forces du mal. Je vous invite à regarder l'émission dans son intégralité.
Comment garantissez-vous le pluralisme religieux ? Laissez-vous s'exprimer éventuellement les libres penseurs ?
D'abord, nous ne sommes pas obligés de faire parler toutes les religions. Ensuite, nous avons tenu avec Serge Nedjar à proposer un journal des religions qui permette, en cinq ou six minutes, de faire le tour de l'actualité des religions : nous annoncerons par exemple le début du ramadan le 11 mars prochain. Cette émission est d'intérêt général puisque nous sommes dans un pays de tradition catholique et qu'un Français sur deux est chrétien, au sens large du terme.
La charte de déontologie du groupe précise que « tout journaliste du groupe Canal+ doit être informé par la direction d'une modification éditoriale susceptible de dénaturer son travail en amont de la diffusion. Il peut alors refuser de signer l'article, l'émission, la partie d'émission ou la contribution concernés sans que cela puisse lui être reproché. » Il y a là un paradoxe, monsieur Nedjar : un code de déontologie vise au respect de la déontologie. Or il n'est pas déontologique de modifier le travail d'un journaliste, non ?
Je dois être limité, je ne comprends pas votre question.
Je comprends les mots, mais pas le sens. Pardonnez-moi…
Je vous en prie, je ne le prends pas comme une offense. La charte dispose qu'il est permis aux journalistes de refuser de signer leur travail altéré. Or il me semble que la déontologie voudrait que la direction n'altérât jamais le travail d'un journaliste.
Cette charte existe, elle a été signée. Ce que vous dites est vrai, mais si le journaliste est d'accord, il accepte – c'était le cas, s'agissant de l'émission dont nous parlons.
Les sujets, reportages et prêts à diffuser (PAD) font l'objet de modifications tout au long de la journée. Un sujet monté pour la matinale peut, en fonction de l'actualité, être ensuite « tapé » : nous le retravaillons en ajoutant des sons par exemple, nous réécrivons le lancement, nous le ré-anglons. Il se peut aussi qu'en raison d'un problème de compréhension entre le journaliste et nous, l'angle ne soit pas le bon et que le reportage fourni ne soit pas celui que nous attendions. Dans ce cas, nous échangeons sur l'opportunité de le réécrire. Le journaliste est alors libre : il peut considérer que les modifications demandées par le rédacteur en chef adjoint, le rédacteur en chef ou le directeur de l'information dénatureraient son reportage ou, au contraire, qu'elles l'amélioreraient. La charte de déontologie, elle, concerne le cas où la hiérarchie demanderait un journaliste de faire dire à son sujet le contraire de ce qu'il voulait. En l'occurrence, ce n'est pas ce que nous faisons. Des modifications, en revanche, nous en apportons toute la journée à tous les sujets.
Cette fois j'ai compris.
En 2016, monsieur Nedjar, la chaîne a connu un mouvement de grève historique de trente et un jours, à l'issue duquel de très nombreux journalistes sont partis. Pouvez-vous m'indiquer combien de personnes sont parties et dans quelles conditions ? Combien, parmi elles, ont signé une clause de non-dénigrement telle qu'évoquée précédemment par M. Saada ?
Comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, le projet avec lequel je suis arrivé visait à modifier les habitudes de travail de la chaîne, qui étaient celles des chaînes d'information, en intégrant dans les programmes des plages de décryptage, des discussions et des échanges d'opinions. Il se trouve que ce concept nouveau n'a pas plu à tous les salariés : la plupart d'entre eux, présents depuis le départ, avaient l'habitude de faire de l'information en continu – c'est-à-dire de répéter cinquante à soixante fois la même chose. Il y a donc eu divergence et, à l'issue du mouvement de grève, soixante-quatorze personnes sont parties – c'est un chiffre que je cite de mémoire, car cela remonte à plusieurs années. Aujourd'hui, la chaîne compte environ 200 journalistes.
Je ne sais pas.
Nous vous fournirons ces informations, relativement accessoires, ultérieurement.
Quant aux conditions de départ, elles faisaient partie des revendications des grévistes et ont fait l'objet d'un protocole d'accord signé avec leurs représentants – protocole qui, d'ailleurs, ne comprenait pas cette clause.
Il faudra effectivement que vous nous transmettiez par écrit le nombre de clauses de non-dénigrement signées. Ce qui serait paradoxal, c'est qu'une chaîne se présentant comme le porte-voix de la liberté d'expression ait contraint au silence des dizaines voire des centaines de personnes.
Je suis surpris de ce genre de remarque, s'agissant de mesures totalement légales auxquelles n'importe quelle entreprise a recours couramment. J'ajoute que les personnes concernées ne sont pas obligées de signer une telle clause. Si elles acceptent de le faire, et d'être payées pour cela, c'est parfaitement légal. Encore une fois, je suis vraiment surpris de votre commentaire.
Vous avez le droit d'être surpris. Cela ne change rien à mon propos : je trouve curieux que l'on puisse se poser comme le principal défenseur de la liberté d'expression tout en utilisant tous les moyens légaux à disposition pour réduire l'expression des journalistes.
Comment procède-t-on au recrutement d'un directeur de l'information, monsieur Nedjar ?
Si vous parlez de Thomas Bauder…
Je vais vous parler de lui, car c'est une belle histoire. À l'occasion de chacun de nos recrutements, nous nous efforçons de recevoir toutes les personnes susceptibles de correspondre au profil et à la fiche de poste, qu'elles soient en fonction ou libres à ce moment-là. Il faut des qualités éditoriales mais aussi humaines, en raison de la dimension managériale d'un tel poste, ainsi qu'une certaine maturité. C'est pour ces raisons que nous avons recruté Thomas Bauder.
Ma question était beaucoup plus prosaïque : combien y a-t-il d'entretiens d'embauche ? Qui le candidat doit-il rencontrer ? J'ajoute au passage que vous aviez annoncé en arrivant à iTélé que vous alliez être détesté. Je m'étonne donc un peu que vous accordiez une telle importance aux qualités humaines parmi les critères de recrutement… Enfin, tant mieux.
Je ne peux pas vous dire combien j'ai réalisé d'entretiens. Ils ont été nombreux, mais je n'ai pas d'information plus précise à ce sujet.
Quant à ce que vous avez dit s'agissant de mes qualités humaines, sachez que cela commence toujours comme cela : lorsque les gens ne me connaissent pas, ils peuvent imaginer que je ne suis pas très sympathique. Mais je finis toujours par devenir le parrain de leurs enfants.
C'est un programme…
Je m'interroge sur le recrutement de M. Guillaume Zeller en 2016 et sur celui de Mme Virginie Chomicki. Tous deux sont restés très peu de temps en poste : étaient-ce des erreurs de casting ?
Quelle est la question ?
M. Zeller et Mme Chomicki sont restés en poste très peu de temps : étaient-ce des erreurs de casting ?
Non, ce n'étaient pas des erreurs de casting. Guillaume Zeller a été nommé patron d'iTélé à son arrivée dans le groupe Canal+ et, après un an environ…
Un an et demi.
… il a demandé à quitter ses fonctions. Là aussi, ce sont des choses qui arrivent couramment.
Quant à Mme Chomicki, elle a été l'adjointe de M. Zeller pendant quelques mois. Après nous avoir accompagnés et aidés, Serge Nedjar et moi-même, dans le lancement de la chaîne, elle a souhaité partir vers de nouvelles aventures.
Elle était apparemment en charge de la rédaction du projet. En quoi son travail a-t-il consisté précisément, monsieur Nedjar ?
Elle m'a d'abord fait part de son expérience ; elle était en effet présente depuis un an. Nous avons bien travaillé ensemble mais cela n'a pas duré longtemps. Je pense vraiment qu'elle a ensuite souhaité faire autre chose. Je n'en sais pas plus.
Considérez-vous, monsieur Praud, que votre métier exige la maîtrise d'une culture générale minimale ?
Je vous remercie de cette question ! Je pense que la culture générale est au cœur de ce que doit être le métier de journaliste.
Merci de votre réponse. Le 1er février 2022, sur votre plateau, M. Rioufol a déclaré que le ghetto de Varsovie était d'abord « un lieu hygiéniste pour préserver du typhus ». Vous n'avez pas réagi. Il me semble pourtant que vous avez la culture générale minimale pour réagir face à ce genre de propos, non ?
Je fais, monsieur le rapporteur, trois heures et demi d'émission par jour sur CNews.
Cela représente environ 60 heures par mois, soit 600 heures par an. Depuis 2016, j'ai donc dû assurer 4 000 heures d'émission sur la chaîne. À chaque fois que l'on fait une erreur parce que l'on ne modère pas un propos sur un plateau, on s'en veut. Et cela arrive, hélas, parce que nous sommes des êtres humains. C'est donc arrivé, par exemple lors de la séquence que vous avez citée : j'aurais dû intervenir. C'est arrivé aussi parfois sur d'autres plateaux. Pourquoi ? Parce que l'on n'est pas assez concentré à ce moment-là, ou pas assez vigilant : les raisons sont nombreuses.
C'est tout le travail du modérateur. Hier soir, j'ai modéré un propos de Gilles-William Godnadel avec un peu de dérision, en lui disant : « Pensez un peu à moi ! Pensez un peu à l'Arcom et aux modérateurs que nous sommes, Sonia, Laurence et moi ». C'est notre mission de modérer tous les propos qui sont tenus. Lorsqu'une erreur est commise, c'est donc la mienne.
La séquence que vous citez a fait l'objet d'une mise en demeure de l'Arcom. Aucune séquence dans laquelle un tel propos échappe malheureusement à la modération ne passe à la trappe. Nous sommes sous le joug du régulateur qui, après avoir vu cette séquence, a pris sa décision.
Gérald-Brice Viret ayant souligné à deux reprises l'importance de signaler nos liens éventuels avec le secteur des médias, je précise que le conseil général de l'Essonne, dont j'ai été vice-président puis président, disposait d'une télévision locale Téléssonne. Associée à d'autres télévisions, comme Yvelines Première, celle-ci avait contribué au lancement d'NRJ Paris. Cette activité était en lien avec mon mandat local et absolument pas professionnelle.
Dans toute rédaction journalistique, il y a des conférences de rédaction. Pourriez-vous nous indiquer à quel rythme elles sont organisées au sein de CNews, et nous les décrire ? Qui y participe ? Quel est le degré de collégialité des décisions relatives à la construction des débats ? Ce sont en effet ces débats qui alimentent les discussions sur la nature de la chaîne : chaîne d'opinion, ou chaîne d'information ? Pourriez-vous nous décrire, de façon très pragmatique, le fonctionnement des conférences de rédaction des grands rendez-vous de la chaîne ?
La conférence la plus importante est celle de neuf heures, que je préside et anime. Toutes les chaînes d'information comptent deux rédacteurs en chef jour, qui assurent en alternance la supervision éditoriale, du lundi au dimanche : celui qui est présent m'accompagne. Sont également présents les responsables des différentes tranches concernées : le présentateur ou la présentatrice, le bocalier – c'est-à-dire le rédacteur en chef adjoint, le bocal étant le poste de pilotage de l'information et de construction des conducteurs d'émissions en temps réel – et le chef d'édition. Sont également présents le service programmation et, en fonction de leur disponibilité, les responsables du service politique et du service police-justice. Le journaliste du service international ou celui du service économique peuvent aussi participer, sans oublier les assistants d'édition. J'ai une vision assez collégiale et ouverte de la conférence de rédaction : les journalistes, reporters et grands reporters y sont admis, y compris les jeunes, car c'est un lieu d'échanges, de discussions et de formation.
Cette conférence n'est pas une assemblée générale : nous ne débattons pas à partir de rien. Je suis en veille, dès six heures du matin, sur les matinales de la concurrence. J'écoute celle de CNews, bien sûr, et je vérifie qu'elle correspond à la note produite la veille lors de la conférence de rédaction de dix-huit heures quarante-cinq. Lorsque j'arrive à la rédaction, j'échange avec Serge Nedjar et je prépare la conférence avec le rédacteur en chef jour.
Au cours de la conférence, je donne les grands thèmes des différentes tranches. Je sais que certains fantasment à cet égard : nous ne parlerions plus que de quatre ou cinq thèmes par jour et nous tournerions en boucle autour de sujets récurrents. Je vous rappelle ce que je vous ai déjà dit tout à l'heure : l'AFP produit 5 000 dépêches par jour. Personne ne les lit toutes ! Même le plus grand papivore de cette pièce, en lisant Le Parisien, Le Figaro, Libération, L'Humanité, L'Opinion, Les Échos, Le Monde et des magazines ne peut pas absorber autant d'informations !
Les journaux télévisés de vingt heures de TF1 et de France 2 ne comptent que quatre titres d'information, suivis de sujets moins essentiels ou moins urgents, puis d'une partie magazine. Dans le modèle de l'information, il y a toujours quatre titres principaux ou lead. Les plus importants d'entre eux, qui donneront lieu à débat, nécessitent soit une expertise soit des points de vue différents. Je détermine alors, avec le rédacteur en chef et le présentateur, ou la présentatrice, la meilleure articulation : avons-nous besoin d'un journaliste spécialisé, d'un reportage, d'un encadré, d'une présentation ? Le souhaitons-nous ? De quoi le présentateur, qui est aussi rédacteur en chef, estime-t-il avoir besoin pour lancer le débat ? Pascal Praud vient souvent me voir, par exemple, pour me demander un reportage présentant les faits ou pour solliciter l'intervention en plateau – ou en duplex – d'un membre du service police-justice. Nous cherchons ainsi à construire la meilleure proposition éditoriale et de débats aux téléspectateurs de CNews. C'est un travail permanent : nous sortons de la conférence de rédaction avec un chemin de fer qui peut évoluer en fonction de l'actualité : il peut nous arriver de changer les ouvertures, le débat ou encore le plateau. C'est ce que j'appelle une conférence de rédaction permanente. Certains ici le savent bien puisqu'il y a, au sein de cette assemblée, d'anciens journalistes.
Vous avez évoqué tout à l'heure votre liberté éditoriale s'agissant de la hiérarchisation de l'information. Souffrez – puisque vous avez mentionné mon nom – que nous aussi, politiques, puissions avoir la liberté de choisir les endroits où nous avons envie d'aller ou pas, en fonction de leur atmosphère. Il y a d'autres chaînes, radios et émissions où je décide de ne pas aller. CNews n'est pas la seule ! Nous avons aussi notre liberté, et n'avons aucune obligation en la matière.
J'ai par ailleurs une question très précise. Vous avez lancé un plan d'économies dans l'objectif d'atteindre l'équilibre financier. Pouvez-vous identifier la part de dépenses salariales consacrées aux correspondants à l'étranger – le cœur du métier de l'information – à laquelle vous avez renoncé sur le temps long ? Pouvez-vous déterminer ce que représentaient au sein d'iTélé en 2016, et ce que représentent au sein de CNews en 2023, la rémunération de ceux qui produisent l'information, versus la rémunération de ceux qui la commentent, l'éditorialisent ou donnent leur opinion ? Je ne crois pas que l'Arcom vous demande de suivre cet indicateur, mais vous pourriez le faire de vous-mêmes. Je mesure réellement, pour ma part, le choix que vous avez fait d'une moindre couverture des questions internationales.
Nous avons couvert la tragédie du 7 octobre depuis le premier jour. Nous avons en effet envoyé sur le terrain douze journalistes, qui ont été présents en permanence durant quatre mois. Vous le voyez : nous couvrons l'actualité internationale. Lorsque l'Ukraine a été envahie, nous avons envoyé le même nombre de journalistes. Certes, nous n'avons pas fait le choix, comme l'un de nos concurrents, de traiter exclusivement ce sujet. Nous ne maintenons donc pas d'équipe dans ce pays en permanence. Mais nous couvrons bien l'actualité internationale. Nous avons d'ailleurs reçu, il y a peu de temps, le grand prix Télévision de la presse internationale par l'Association de la presse étrangère à Paris pour notre couverture de l'actualité internationale récente.
Nous pourrons certainement vous fournir ultérieurement les éléments que vous nous demandez s'agissant des coûts. Je voudrais surtout souligner que ce n'est pas parce que six journalistes travaillant spécifiquement sur l'actualité internationale sont partis que nous ne couvrons plus celle-ci. Notre base, ce sont nos abonnements aux agences – l'APF, Reuters et Associated Press (AP). Il en va de même pour l'ensemble de nos confrères. Et le cas échéant, nous décidons de renforcer la couverture d'un événement en envoyant un grand reporter sur le terrain.
Je connais l'organisation d'iTélé, pour y avoir travaillé durant deux ans. Il y avait des grands reporters mais ils n'étaient pas tous à Paris. Ceux qui étaient basés à Marseille, à Bordeaux, à Toulouse, à Nantes ou à Lyon pouvaient être envoyés sur le terrain international.
Le journalisme à l'international, dans une zone de conflit, présente une spécificité particulière. Un terrain de guerre est dangereux et nécessite de prendre un grand nombre de précautions : il faut disposer sur place de fixeurs et de moyens de sécurisation. Nous envoyons des reporters lorsque l'actualité l'impose. Mais il est vrai aussi que, la couverture de la guerre en Ukraine ayant été captée par l'un de nos concurrents et confrères, nous ne nous y rendons plus. Si le besoin s'en faisait sentir néanmoins, nous y retournerions.
Soyez donc rassuré : l'actualité internationale est bien couverte par CNews.
Il n'y a pas de plan d'économies en tant que tel. Nous avons parlé de plan d'économies dans le groupe. Nous en avons appliqué un parce qu'à mon arrivée, il y avait neuf directions de production et de nombreux silos au sein du groupe Canal+ ; or on travaille mieux ensemble. Comment allons-nous amener CNews à l'équilibre ? D'abord, le budget de la chaîne, qui compte 200 journalistes, 50 intervenants et des correspondants, est très maîtrisé. Ensuite, les recettes sont importantes car l'audience est très forte : neuf Français sur dix regardent CNews sur un mois. Ils étaient 9 millions hier. Les parts de marché de la chaîne ne font qu'augmenter et tous les écrans de publicité sont pleins, soit deux heures quarante-sept par jour ; depuis l'an dernier nous avons recruté près de 100 nouveaux annonceurs. Le chiffre d'affaires progresse, et le budget sera à l'équilibre en 2025, c'est-à-dire demain – nous n'en avons jamais été aussi proches. Les annonceurs viennent parce que l'audience est importante ; CNews est avant tout un succès : nos concitoyens la plébiscitent.
Je suis membre de la commission de la défense. Monsieur Praud, je sais que vous aimez les éditoriaux antiphrastiques – l'antiphrase est un procédé rhétorique qui consiste à dire le contraire de ce qu'on pense pour instiller une idée, plutôt que de l'assumer pleinement. Permettez-moi donc une question en forme de pastiche.
Ignorer la menace que constitue un impérialisme étranger en lui préférant des combats de politique intérieure est malheureusement un classique des démocraties, qui, en d'autres temps, ont permis à certains d'entonner le terrible refrain « Plutôt Hitler que le Front populaire ». Je n'ose imaginer que votre chaîne pût choisir de minimiser la réalité des attaques russes contre nos démocraties afin de faire oublier les relations ambiguës qu'entretiennent l'extrême droite et le régime de Vladimir Poutine, susceptibles de gâcher la victoire annoncée comme inéluctable de la première aux élections européennes, ou afin de faciliter son accession au pouvoir. Je ne vous ferais pas ce procès, parce que je n'aime pas imaginer des journalistes complices de calculs politiciens ou coupables de spéculations cyniques. Ce procès, reconnaissons-le, beaucoup vous le font.
Votre chaîne est l'une de celles qui consacrent le moins de reportages de terrain à la situation en Ukraine. Elle est l'une de celles où les intervenants faisant preuve de mansuétude envers la Russie sont les plus représentés dans les débats. Certains y verront plus qu'un choix éditorial : un moyen au service d'un objectif politique. Cet objectif est-il compatible avec le cahier des charges auquel la chaîne a souscrit en contrepartie de l'obtention d'une fréquence de diffusion ? Certains se posent légitimement la question.
Quelle est la question ? Vous estimez que nous avons reçu des intervenants prorusses. À qui pensez-vous ? Chaque fois que j'évoque la guerre en Ukraine, l'intervenant est plutôt Vincent Hervouët, notre spécialiste, qui tient un discours éditorial. Peut-être pensez-vous à un intervenant ou à une déclaration en particulier, mais je n'ai pas le sentiment d'avoir entendu sur mon plateau une défense du régime de Vladimir Poutine. Vous me surprenez. À quelle déclaration ou à quel intervenant pensez-vous ?
Sous-entendez-vous qu'une complicité existerait entre les journalistes présents à l'antenne de CNews et un parti politique quelconque ?
J'insiste : ce sont les députés qui posent les questions ; les personnes auditionnées y répondent.
Monsieur Belhamiti, il vous reste une minute dix-sept pour compléter votre question.
Le ton sarcastique de mon propos ne vous aura pas échappé. Toutefois, je peux citer Pierre Gentillet dans « Soir Info » : « Depuis deux ans, on est clairement beaucoup plus d'un camp que de l'autre ». Ce n'est pas l'objet, mais je pourrais dresser une longue liste d'intervenants et de commentateurs qui s'adonnent allègrement à des propos considérés comme plutôt prorusses, en tout cas très critiques à l'égard de la position de la France relativement au conflit en Ukraine.
L'intérêt de cette commission est d'entendre vos arguments concernant les reproches que l'on peut vous adresser en raison de la manière dont vous traitez ce conflit. M. Bauder a précisément fait savoir tout à l'heure que vous aviez choisi de ne pas maintenir de reporters sur place pour documenter les faits.
Monsieur Bauder, madame Mabrouk, je vous remercie de nous donner les réponses les plus directes possible.
Si nous avons décidé de ne pas maintenir d'équipe en Ukraine, ce n'est pas pour éviter de couvrir le conflit. Les agences AFP et Reuters y pourvoient et nous faisons des reportages avec leurs données. Ce n'est pas parce que nous n'envoyons personne sur le terrain que nous faisons comme si la situation n'existait pas.
Pour vous répondre, monsieur Guedj, quatre-vingt-dix journalistes par jour travaillent pour la chaîne, dont quarante contribuent à fabriquer des éléments. Les autres sont sur les plateaux, en back-office – les services d'appui –, chargés d'encadrement. Les reporters de région ; le desk parisien – la salle de rédaction – ; les correspondants à l'étranger, situés à Washington, à Londres, à Rome, à Barcelone et à Bruxelles, qui fabriquent des reportages, représentent donc une part importante de nos journalistes. Un reporter seul prépare un reportage par jour, ce qui implique l'enquête, le tournage et le montage. Un bureau d'agence fera entre un et trois reportages par jour, pas davantage.
Monsieur le président, pour la deuxième fois, vous me demandez une réponse concise, mais il est de notre devoir de répondre précisément à vos questions, fort légitimes.
Monsieur Belhamiti, vous avez nommé un intervenant – je m'y attendais. Il est venu participer à un débat consacré à la Russie. Il est membre d'une association française, appelée Dialogue franco-russe, qui à ce jour, n'est pas interdite en France. Elle dit œuvrer de longue date au dialogue entre la France et la Russie. Cela a été précisé à l'antenne. Nous étions le 14 mars 2022 et cet intervenant était face à Isabelle Lasserre, grande reportrice. Ils ont eu une discussion très vive, défendant des propos opposés. Ce jour-là, comme on le fait souvent, j'ai veillé à l'aspect contradictoire du débat. Deux ans après, je me souviens encore de la virulence des échanges, qui se sont toutefois déroulés dans le respect. Ils avaient une divergence historique sur la responsabilité du non-respect des accords de Minsk. M. Gentillet affirmait qu'il avait été promis au dernier dirigeant de l'Union soviétique qu'il n'y aurait pas d'élargissement de l'Otan. Isabelle Lasserre l'a formellement démenti, évoquant « une légende urbaine ». Nous avons explicité avec insistance le lien existant entre M. Gentillet et l'association Dialogue franco-russe. Voilà ce que j'appelle, monsieur le président, des informations vérifiées et un débat contradictoire – vous ne m'avez pas laissée le préciser tout à l'heure.
Comme M. Guedj, nous sommes nombreuses et nombreux à ne pas souhaiter nous rendre sur les plateaux de CNews. La raison en est la façon dont la modération est organisée. J'ai en mémoire un épisode récent : il y a deux semaines, M. Christophe Deloire, secrétaire général de RSF, s'y est rendu, à sa proposition, pour discuter de la décision du Conseil d'État. À ce que j'ai vu, l'atmosphère était celle d'un lynchage verbal. M. Deloire, seul contre quatre autres personnes, n'a pas pu en placer une – pardonnez-moi l'expression. Il est difficile d'affirmer qu'on respecte le pluralisme quand on considère ses invités comme des punching-balls.
Quelle est la question ? C'est votre avis. S'agissant de cette discussion, tout le monde ne le partage pas. M. Deloire est venu sur le plateau. Nous lui avons posé toutes les questions possibles. Il n'a pas su y répondre. À de nombreuses reprises, je lui ai demandé : « Quel est le problème avec CNews ? Que lui reprochez-vous ? » Il n'a pas su répondre.
Je l'ai dit, j'ai dû faire 4 000 heures d'antenne depuis 2016. Ces derniers jours, j'ai vu des montages de clashs. Je crois que le dernier remonte à trois ou quatre ans. Évidemment, en 4 000 heures, on assiste parfois à des situations tendues. Soyez certaine, madame, que je vous recevrai avec plaisir si vous venez sur mon plateau, où nous pourrions, si vous le souhaitez, n'être que tous les deux.
Je débattrai volontiers avec vous, mais sur une autre chaîne, avec un animateur qui saura comment procéder. Nous pourrions discuter du pluralisme et de la façon dont on peut mener des débats apaisés, intéressants et constructifs.
En janvier dernier, l'Arcom a sanctionné CNews d'une amende de 50 000 euros pour avoir manqué à ses obligations « d'honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information ainsi qu'à l'obligation d'expression des différents points de vue sur les questions prêtant à controverse », en raison notamment d'un faux classement des villes dangereuses. Si je remonte le fil, l'Arcom a émis de nombreux rappels à l'ordre à la suite de manquements aux obligations d'honnêteté et d'indépendance de l'information : en avril 2023, un dossier sur la zoophilie prétendument autorisée en Espagne et un faux sondage sur Ocean Viking, ce bateau qui prête assistance aux exilés en train de se noyer ; le même mois, CNews a été rappelée à son obligation d'exprimer différents points de vue, après avoir diffusé une fausse information sur un possible lien entre le vaccin contre la Covid-19 et le VIH. Je pourrais allonger la liste en remontant le temps. Comment faire pour que ça s'arrête ? Quelles mesures avez-vous prises pour faire cesser ces manquements répétés à la déontologie journalistique ? Quelles garanties avons-nous que cela n'aura plus lieu ? Au fil des ans, nous avons assisté à des problèmes récurrents. C'est grave : lorsqu'on dispose d'un canal TNT pour diffuser de l'information, on se doit de publier des informations vérifiées.
Pour conclure, pourrez-vous nous transmettre ultérieurement des éléments écrits relatifs à la part de la masse salariale des journalistes et des pigistes, afin que nous puissions la comparer avec celles d'autres chaînes d'information, en France et dans le monde ? Tout à l'heure, M. Thiery a souligné qu'envoyer des journalistes sur le terrain coûtait cher. C'est vrai, mais c'est peut-être la condition pour obtenir une information de qualité.
En tant que gérant de CNews, je ne peux pas laisser dire que nous passons notre temps à faillir à nos engagements, comme on pourrait le penser en vous écoutant. D'abord, notre ADN et notre volonté nous conduisent à respecter tous les engagements conventionnels de la chaîne. Ensuite, on peut avoir tendance à tirer des généralités de faits exceptionnels. Nous diffusons en direct seize heures par jour, 365 jours sur 365 : des problèmes techniques peuvent survenir, ou des maladresses verbales. Le cas échéant, l'Arcom ouvre des procédures, et nous l'acceptons. Mais cela reste exceptionnel. Vous demandez comment arrêter les manquements. Je souligne qu'en 2023, notre chaîne n'a fait l'objet d'aucune sanction.
C'est aussi le cas d'autres médias.
Il faut être précis. L'Arcom nous a sollicités sur de très nombreuses séquences. Nous nous sommes expliqués. Encore une fois, en 2023, il y a eu zéro sanction ; en 2022, une sanction financière. En 2024, vous avez raison, une sanction a été prononcée, liée au sondage Numbeo.
Pour que l'information soit complète et honnête, je rappelle que nous sommes soumis à une obligation de pluralisme. Comme M. Guedj l'a souligné, la liberté de boycott existe également. Je constate, madame Taillé-Polian, que votre conception du pluralisme prévoit d'interdire des chaînes et des rédactions puisque vous êtes à l'initiative d'une pétition visant à interdire CNews. Il est important de le préciser pour informer totalement celles et ceux qui nous écoutent.
Avant toute chose, je précise que je suis un ancien journaliste. Sans dater ma carte de presse au carbone 14, son âge évoque plutôt NRJ, Max Guazzini et Dalida. J'ai évolué dans différents services publics, dans la presse écrite, en radio et dans le groupe Canal+.
Pour être tout à fait transparent, j'ajoute que je suis de temps à autre invité par CNews, dans différentes émissions. Je n'y suis ni mieux ni moins bien traité qu'ailleurs, que ce soit sur BFM TV ou sur des chaînes du service public.
Monsieur Praud, vous arrêtez une émission vers vingt et une heures et en démarrez une autre à neuf heures. Comment préparez-vous la seconde et comment est élaborée sa ligne éditoriale, qui détermine le conducteur ? Comment choisissez-vous les invités ? Ces derniers sont-ils payés ?
C'est évidemment l'actualité qui décide. L'ouverture du Salon de l'agriculture ou une intervention d'Emmanuel Macron comme celle de lundi décident. Nous avons différentes manières de la traiter : les journalistes politiques – Gauthier Le Bret et Yoann Usaï – peuvent la traiter en plateau ; nous pouvons inviter un homme ou une femme politique pour entendre sa réaction ; nous pouvons faire appel à des intervenants réguliers, éditorialistes, dont certains sont rémunérés.
Le matin, j'arrive à sept heures. Je passe une dizaine de minutes dans le bocal, pendant que la matinale de Romain Desarbres s'installe à l'antenne. Je parle avec ceux qui sont présents à la régie, des jeunes journalistes notamment, parfois avec le rédacteur en chef, s'il est déjà arrivé. Vous savez comment les choses se passent : nous sommes des éponges – j'en suis une. Nous nous demandons ce que nous avons vu, ce qui se passe, s'il y a des nouvelles. Puis je file à mon bureau, où Marine Lançon est arrivée depuis une heure. Souvent elle s'est inspirée de la matinale pour élaborer un premier conducteur. Non, nous ne faisons pas que du commentaire. Parfois, j'ai l'impression que les gens parlent de « L'Heure des pros », mais qu'ils ne la regardent jamais. L'émission est conçue en deux parties : le fait est exposé avec un reportage, parfois par un journaliste de la maison, par exemple Noémie Schulz, en plateau ou à l'extérieur, puis vient l'analyse, le décryptage, le commentaire. En écho aux propos de Jérôme Guedj, je veux souligner que le monde de l'information a fondamentalement changé. Le matin, à huit heures, vous n'apprenez plus rien aux gens : ils savent déjà tout. Il y a trente ans, on allumait la radio ou on achetait un journal pour entendre les infos du jour. Aujourd'hui, grâce aux téléphones portables intelligents, tout se sait. Si vous vous contentez donc de lire des dépêches, vous n'apprendrez rien aux gens. Il faut leur proposer une mise en perspective, et pourquoi pas de la polémique ou de la controverse, pour assurer le pluralisme, évidemment en respectant la liberté d'expression.
Dans la construction du plateau, il y a aussi l'invité – c'est une dimension que j'aime bien. Nous invitons tous azimuts : hier, Chloé Morin a présenté son livre Quand il aura vingt ans ; la semaine dernière, Patrick Chesnais est venu : entre dix heures et dix heures trente, je reçois notamment des artistes, plus rarement des hommes politiques. Messmer par exemple est venu. Vous me demanderez pourquoi recevoir un hypnotiseur sur une chaîne d'information : cela fait partie du débat.
Ce qui m'intéresse, c'est d'être en phase avec le public. Quand quelqu'un a beaucoup de succès – c'est le cas de Messmer –, ça m'intéresse. C'est ma mission. Je me suis d'abord formé à TF1, qui pratique un journalisme plutôt grand public ; j'ai travaillé à RTL, radio très grand public. On me reconnaît un peu d'intuition quant à ce qui peut intéresser le public. Je propose donc toutes sortes de sujets, parfois dérisoires, mais révélateurs de la société. Toutes les chaînes d'info ont évoqué le chien Mowgli : on peut juger l'épisode anecdotique et ne pas en parler. Le message qui lui était consacré sur Twitter, désormais X, a atteint 15 millions de vues. Je n'en parle pas le premier jour, mais ensuite je vois ce chiffre monter, monter, monter. Je suis une éponge. Je me demande pourquoi les gens parlent de ce chien vu dans un train, et je me rends compte qu'il y a un débat. Voilà comment se construisent mes plateaux et mes émissions : toujours de manière empirique. La conférence de rédaction est permanente : nous parlons sans arrêt ; j'appelle Laure Parra à Marseille et Mickael Chaillou à Nantes, pour connaître leurs impressions sur le terrain et savoir ce qui s'y passe. Laurence Ferrari est comme moi passée par TF1 et Sonia Mabrouk par Europe 1 : nous sommes pareils ! Nous sommes d'abord des journalistes, des témoins de notre temps. Je revendique l'exactitude des faits – c'est notre religion –, mais dans un second temps viennent le décryptage et l'analyse.
Madame Ferrari, madame Mabrouk, vous animez des émissions diffusées simultanément sur CNews et sur Europe 1. Avez-vous développé une approche différente ? La ligne éditoriale est-elle spécifique ?
Mon émission, « Punchline », est composée de deux parties. De dix-sept à dix-huit heures, c'est une émission de télévision CNews. De dix-huit à dix-neuf heures, j'accueille les auditeurs d'Europe 1, qui n'ont pas d'abord entendu un flux d'informations mais l'émission « Sophie et les copains » de Sophie Davant. L'ensemble est très technique et très exigeant, en particulier s'agissant de rédiger les sujets : un journaliste n'écrit pas de la même manière lorsqu'il s'adresse à un auditeur ou à un téléspectateur. Il n'y a pas de ligne éditoriale. Nous essayons de ne pas proposer deux fois la même émission, mais de varier les thèmes. J'ai la responsabilité d'accueillir les auditeurs d'Europe 1 en plus des téléspectateurs de CNews ; de leur présenter l'information principale de la journée puis de la décrypter, à partir d'éléments que la rédaction a fabriqués, sous la houlette de Thomas Bauder.
L'interview politique est désormais codiffusée sur CNews et sur Europe 1. Monsieur Guedj, nous avons eu des discussions constructives sur Europe 1. Je suis la même intervieweuse – la même femme – sur les deux antennes : je suis sûre que vous serez reçu sur CNews avec le même respect, dû à votre fonction et aux dossiers que vous défendez courageusement, comme celui des aînés, auquel CNews se consacre également. Nous invitons tous les responsables politiques.
Notre boussole reste l'intérêt général. Toutefois, l'audience est importante. Pour donner un exemple, lorsque nous recevons, Manon Aubry, comme ce fut le cas il y a moins d'une semaine, ou Manuel Bompard, nous sommes la première chaîne d'information, entre huit heures dix et huit heures vingt-sept. Je souligne ce point car notre public est très large. Il soutient La France insoumise, Renaissance, Les Républicains et le Rassemblement national : il est constitué de 100 % des Français – ce que vous incarnez, mesdames et messieurs les députés.
J'ai travaillé dans de nombreux médias, mais aucun appartenant au groupe Canal+ ; aucun des journalistes présents n'a jamais fait partie de mes équipes.
La question revient souvent de la manière dont l'information est traitée, en particulier sur les chaînes privées. Le journaliste Julien Bellver a dit : « On n'est pas un service public […], on est sur une chaîne privée, donc on fait un peu ce qu'on veut. » Cette citation-là n'est pas tronquée, monsieur le rapporteur. Ce journaliste de la chaîne Télé Monte-Carlo expliquait ainsi que l'émission « Quotidien » n'invitait jamais de représentants du mouvement auquel j'appartiens. Partagez-vous cette vision du traitement de l'information par une chaîne privée ? Ou invitez-vous des personnalités issues de tous les mouvements politiques représentés à l'Assemblée nationale ?
Tout le monde l'aura compris, l'ADN de CNews, c'est l'information et le décryptage, et surtout la pluralité. Nous invitons les représentants de tous les partis politiques ici présents, et d'autres. Tout le monde est invité. Il me paraît aberrant d'interdire le plateau à un parti. On reproche beaucoup de choses à CNews mais s'agissant de pluralité, nous respectons totalement la ligne de l'Arcom, comme pour toutes ses autres exigences. Peu de contestations ont suivi les déclarations de ce monsieur, qui travaille pour la chaîne TMC, appartenant au groupe TF1.
Vous avez plusieurs fois mentionné que certaines personnalités politiques refusaient de se rendre sur vos plateaux. Ce sont probablement ceux qui vous reprochent de ne pas respecter la pluralité. Soyons clairs : quels mouvements politiques sont concernés ?
Les Écologistes – Europe écologie Les Verts ont renouvelé leur boycott par lettre. Ils ont le mérite de l'annoncer officiellement. C'est le seul parti politique concerné. Certains mouvements syndicaux interdisent à leurs représentants de parler à CNews. C'est le cas de la CGT, par l'intermédiaire de sa première secrétaire. Il en va de même pour la CFDT. En revanche, nous entretenons des relations professionnelles avec FO.
Certains représentants de La France insoumise viennent régulièrement sur nos plateaux, comme Manuel Bompard, Manon Aubry et Alexis Corbière. Il arrive que des personnalités boycottent CNews mais ne nous le disent pas. Ainsi, M. Patrick Bloche, que vous avez auditionné, vous a indiqué ne plus vouloir venir sur CNews. Nous l'ignorions, quant à nous. Lorsque nous l'invitons, il répond simplement qu'il n'est pas disponible. En tout cas, nous invitons tout le monde. Malgré les boycotts, officiels ou individuels, nous respectons pleinement notre obligation de répartir équitablement les temps de parole, critère que l'Arcom utilise pour évaluer le pluralisme, comme le prévoit notre convention.
Je profite de cette audition à l'Assemblée pour indiquer, car ce n'est pas un point de détail, que nous allons beaucoup nous investir dans une échéance très importante pour la France et pour l'Europe : les élections européennes. Serge Nedjar a commencé à concevoir des émissions avec Laurence Ferrari et Sonia Mabrouk et j'invite tous les partis à participer à ces rendez-vous qui sont indispensables pour la démocratie. Nous avons besoin que vous nous aidiez en venant sur nos plateaux mais, quoi qu'il arrive, nous respecterons nos obligations, comme nous l'avons toujours fait.
Par souci de transparence, j'indique que j'ai été salarié du groupe Canal+ pendant dix ans, notamment de la chaîne iTélé, ancêtre de CNews, chaîne que j'ai quittée en 2008.
Monsieur Nedjar, en tant que directeur de la rédaction de CNews, connaissez-vous le nombre d'enfants, de femmes et d'hommes qui ont été tués par l'armée israélienne à Gaza depuis le 8 octobre ? Et si oui, pouvez-vous nous le donner ?
Je ne connais pas le nombre exact. Pouvez-vous me le donner ?
Je vous pose la question : est-ce que vous connaissez le nombre exact ?
Ce n'est pas totalement le sujet de la commission d'enquête mais vous avez droit à une question rebond, monsieur Caron.
Monsieur Nedjar, je suis surpris que vous ne connaissiez pas ce chiffre en tant que directeur de la rédaction de CNews, d'autant qu'il s'affiche en une de Libération ce matin. J'apprends donc que vous qui dirigez une chaîne d'info, vous ne lisez pas la presse. Trente mille victimes à Gaza – beaucoup plus en réalité, parce que cela ne tient pas compte des victimes indirectes ni des disparus !
Avec mon équipe, nous avons regardé CNews pendant une semaine. Nous avons constaté que vous ne parliez jamais de ce qui se passe à Gaza, si ce n'est pour adopter le point de vue du gouvernement actuellement accusé par plusieurs diplomaties de commettre un génocide contre la population palestinienne. Ce matin, on apprend encore, par diverses sources, que 70 à 170 Palestiniens ont été tués par l'armée israélienne alors qu'ils attendaient pour recevoir de l'aide humanitaire. Je ne pense pas que votre chaîne en ait parlé.
Toutes les ONG humanitaires et les représentants de l'ONU alertent le monde sur le sort des Gazaouis, sur ces dizaines de milliers d'enfants qui ont déjà été tués, gravement blessés, amputés, rendus orphelins, et sur tous ceux qui, actuellement, sont en train de mourir de faim. Les crimes de guerre et le nettoyage ethnique en cours à Gaza en ce moment sont un fait historique majeur, un fait journalistique majeur.
J'ai donc trois questions à vous poser. Une chaîne d'information a pour mission de traiter tous les sujets importants, dans le respect des points de vue et des angles, afin de permettre à tout citoyen d'être informé. Trouvez-vous digne d'une chaîne d'information de délibérément invisibiliser et de taire l'une des plus graves catastrophes humanitaires de notre siècle, si ce n'est la plus grave ?
Au 1er février, l'ONU a estimé à plus de 122 le nombre de journalistes et de professionnels des médias tués à Gaza depuis octobre par l'armée israélienne. En tant que directeur de la rédaction d'une chaîne d'information, dénoncez-vous ces meurtres de journalistes palestiniens ?
Enfin, l'une des difficultés pour informer sur ce qui se passe actuellement tient au fait que le gouvernement israélien interdit aux journalistes étrangers de couvrir le conflit à Gaza. Dénoncez-vous la censure du gouvernement israélien et cette entrave à la liberté d'informer ?
Tout d'abord, il s'agit plus d'un réquisitoire que de questions.
Ensuite, vous me montrez un journal qui est Libération : si c'est votre unique source d'information…
Ce que je veux dire, c'est que ni vous ni moi n'avons les réels chiffres de ce qui se passe à Gaza. Nous traitons toute l'information, y compris ce qui se passe…
Il y a des chiffres qui sont donnés par le Hamas – oui ou non ?
Cher collègue, laissons M. Nedjar répondre à vos questions, qui étaient très claires, sans l'interrompre.
Monsieur Nedjar, je vous laisse répondre avec tout autant de clarté.
Nous traitons toute l'information concernant Gaza. Nous avons des abonnements Reuters et nous montrons les images de ce qui se passe à Gaza.
Vous allez me dire que nous n'avons pas fait de sujet sur Gaza ? Il n'y a pas d'image de Gaza ?
Ce n'est pas un dialogue. Monsieur Nedjar, continuez votre explication sur le traitement de cette information sur votre antenne.
Nous traitons ces informations en fonction de ce qui nous est donné. Nous n'avons pas de correspondant à Gaza. Nous avions des correspondants en Israël parce que, comme tous les journalistes français, il était beaucoup plus aisé de travailler depuis Israël. Aujourd'hui, les informations de la région viennent uniquement des agences de presse, aussi bien pour Israël que pour Gaza. Nous avons donc montré ces images qui, bien évidemment, peuvent heurter.
Vous ne pouvez pas vous contenter de cette réponse ! Monsieur le président, je souhaite intervenir de nouveau.
Monsieur Caron, les règles sont les mêmes pour tout le monde. Elles ont été adoptées non pas par un président dictateur mais en réunion de bureau de la commission, à l'unanimité des groupes politiques, où votre groupe était donc représenté. Il n'y a pas de député plus important que d'autres, il n'y a pas de questions plus importantes que d'autres.
Lors d'une réunion organisée par l'Arcom sur le traitement de la situation en Israël, il y a quelques semaines, j'ai eu l'occasion de faire un pointage de notre couverture : sur environ 350 sujets, nous en avons consacré une bonne centaine exclusivement à la situation humanitaire à Gaza. Bien entendu, il n'est pas question de dire que certaines victimes sont plus importantes que d'autres. Mais je profite de cette audition pour rappeler que trois otages français sont toujours retenus par le Hamas. Quand Libération met à la une les 30 000 morts de Gaza, c'est sa liberté éditoriale.
Nous ne cachons pas les informations sur Gaza : elles sont données dans les journaux télévisés et dans les rappels. Mais nous n'en faisons pas la une, comme Libération : c'est notre liberté éditoriale. Tous les soirs, Laurence Ferrari rappelle que des otages français sont retenus par le Hamas – et cela fait 147 jours.
Par respect de la transparence requise, je précise que j'ai été, par le passé, président de Radio FM (RFM) et codirigeant d'une régie publicitaire. Je n'exerce plus aucun mandat ni plus aucune fonction au sein de ces deux structures et ne détiens plus aucune part sociale de ces entités, qui n'ont d'ailleurs aucun lien avec le groupe Canal+ ou CNews.
À la suite de propos tenus par Éric Zemmour sur les mineurs étrangers isolés au cours de l'émission « Face à l'info », sur CNews, la direction du groupe Canal+ avait saisi le comité d'éthique du groupe, en 2020. Celui-ci avait souligné que « la présence continue à l'antenne de l'auteur de ces propos à une heure de grande écoute et sans réelle contradiction n'était pas étrangère à ce type de dérapage ». Quelles suites avez-vous données à cette recommandation pour éviter que ce genre de situations ne se reproduisent ? Pouvez-vous nous préciser les décisions et les mesures prises en ce sens ?
L'émission « Face à l'info », où quatre éditorialistes présentent leur point de vue, est animée et modérée par Christine Kelly, grande journaliste expérimentée et ancienne membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). À la suite des recommandations du comité d'éthique du groupe, nous avons instauré un différé sur cette émission, ce qui est presque plus compliqué à gérer que le direct. Peu d'émissions sont diffusées en différé, si ce n'est dans un pays comme l'Iran, pour la retransmission des manifestations sportives. Serge Nedjar et moi-même étions en régie pour contrôler ce qui se passait. Il y a eu sanction après les propos déplacés tenus par Éric Zemmour. L'émission a rencontré son public : alors que la première émission avait rassemblé 250 000 téléspectateurs, la case, qui était, de mémoire, à environ 50 000 téléspectateurs, était dans une fourchette comprise entre 1,2 et 1,4 million de téléspectateurs lorsque nous avons dû nous séparer d'Éric Zemmour. Nous avons appliqué scrupuleusement les recommandations du comité d'éthique. Serge Nedjar et moi-même avons suivi personnellement le conducteur et les propos tenus dans cette émission.
Le différé est-il de quelques secondes, de quelques minutes ? Vous permet-il d'intervenir et de couper des passages, le cas échéant ? Il est toujours appliqué, si j'ai bien compris ? Est-ce une solution que vous pourriez appliquer à d'autres émissions ou que vous envisagez sur d'autres directs ?
Le différé était de vingt à trente minutes, ce qui laissait le temps de couper, si besoin était – ce qu'il nous est arrivé de faire. De manière générale, je suis contre le différé, car nous sommes une chaîne de direct. Je rappelle en outre que c'est au cours d'une émission enregistrée, que nous avons commis l'erreur impardonnable que nous avons évoquée au début de la réunion. Malgré un contrôle permanent, il nous arrive de faire des erreurs. Nous sommes des journalistes et, à ce titre, nous exerçons un métier humain. Notre profession n'est pas réglementée ; notre expérience professionnelle s'est nourrie des fonctions que nous avons exercées dans les rédactions auxquelles nous avons successivement collaboré, ainsi que de l'expérience des journalistes qui nous ont précédés.
Je ne peux pas me dire que la solution consisterait à passer au différé pour la retransmission des émissions. Au cours d'une émission de plateau, d'une durée d'une heure et demie à trois heures et demie, on peut parfois laisser passer des choses. Ce qui a changé, aujourd'hui, et c'est particulièrement vrai pour CNews, c'est que des gens passent leur temps à nous examiner à la loupe et sont prêts à faire diffuser ou buzzer le premier faux pas. Il est très important de noter la façon dont les réseaux sociaux ont été utilisés – et sont toujours employés – par des personnalités venant chez nous. Un scandale a éclaté autour de Claire Nouvian en raison d'un montage honteux, à charge, réalisé contre Pascal Praud. Je connais bien le montage, puisque c'était l'objet de mon mémoire de maîtrise de cinéma. Je sais très bien comment on peut faire dire à des images, à une séquence, le contraire de ce qu'elles expriment.
Nous sommes une chaîne de direct : c'est le direct qui nous tient, qui nous plaît et que nous savons faire. Et nous souhaitons continuer à le faire.
Dans un souci de transparence, je rappelle que j'ai été journaliste pendant près de quarante ans, que j'ai travaillé au sein de plusieurs rédactions, dans le service public, à RTL, à TF1 et à LCI. J'ajoute qu'il m'est arrivé de travailler dans la même rédaction que Laurence Ferrari, Pascal Praud ou Thomas Bauder.
Vous avez évoqué les conférences de rédaction qui rythment quasiment toutes les chaînes d'information en continu – et pas seulement celles-ci. Vous arrive-t-il de traiter, en plus des questions incontournables, des sujets qui ne font pas forcément la une d'autres médias, parce qu'ils correspondent à une attente de l'opinion publique ou des Français ?
Ma deuxième question s'adresse plus particulièrement à Laurence Ferrari, Sonia Mabrouk et Pascal Praud. Pouvez-vous nous décrire la façon dont vous conduisez votre émission ? À la fin de celle-ci, vous arrive-t-il de vous dire que vous avez fait une bonne émission d'opinion – il existe aussi des émissions d'opinion sur le service public.
Il n'y a pas de petit sujet « poire pour la soif » sur la plupart des tranches. Nous avons essayé d'instituer, à un moment, un journal des bonnes nouvelles mais l'actualité a fracassé cette tentative. Les questions importantes sont traitées à la fois dans le journal télévisé (JT), dans le débat, dans le rappel, dans le bandeau, dans l'identifiant ou liner et dans la DNS, c'est-à-dire l'infographie. Ce qui est important bénéficie d'un traitement sur plusieurs strates ; ce qui l'est moins est traité sur une, deux ou trois strates.
Certains sujets ne font pas l'objet de débats. On peut prévoir ce que nous appelons un tour de table sur une image, une émotion… On ne fait pas de débat, par exemple, sur le décès du père de Lola, mais on peut consacrer à ce fait un tour de table. Les journalistes que nous sommes sont aussi des êtres humains, touchés par la tragédie que vit cette famille. Parfois, c'est intuitif : on sent les choses ou on ne les sent pas. Décider s'il faut ajouter quelque chose, jusqu'où aller, relève d'un réglage permanent – en votre qualité d'ancien journaliste, vous le savez bien.
L'ancien modèle était celui du JT permanent, qui consiste, pour un présentateur, à lire son texte et à faire son JT x fois dans la journée. Ce modèle existe encore un petit peu, sur l'un des quatre opérateurs, mais il ne rencontre pas vraiment de succès et contraint à énormément de rediffusions et d'éléments froids. Or les Français ont besoin d'une prise directe avec le réel, comme nous le faisons.
Les gens qui nous attaquent disent que nous sommes une chaîne d'opinion et que « Midi News » ne comporte que 13 % d'information. Nous avons refait les calculs. Cette émission a évidemment changé depuis l'origine : elle a changé de présentateur, de rédacteur en chef adjoint, de chef d'édition, de tempo… Et elle a rencontré le succès. C'est la première parmi les chaînes d'information. Il y a, non pas 13 %, mais 36 % d'information dans « Midi News ». Et nous passons à 100 % d'information lorsque nous sommes en édition spéciale ou breaking news. Il n'y a plus alors de publicité, de météo : il n'y a que de l'information directe. C'est ce que les gens attendent et c'est que nous leur proposons.
Monsieur le député Ballard, la première question que je me pose en sortant d'une émission est : qu'est-ce que j'aurais pu faire mieux ? Est-ce que l'antenne a été maîtrisée ? Chacun a-t-il pu exprimer son opinion ou son avis dans de bonnes conditions, dans le respect des uns et des autres – avec un débat certes contradictoire mais respectueux ?
Viennent ensuite toutes les questions techniques, comme par exemple de savoir pourquoi je n'ai pas pu avoir tel reportage à telle heure.
Mais j'ai surtout l'impression de remplir une mission d'information tous les jours, en permettant à toutes les opinions de s'exprimer.
Compte tenu du temps qui passe, nous n'aurons pas la possibilité de donner la parole aux députés qui ne sont pas membres de la commission.
En 2020, le Premier ministre de l'époque, Édouard Philippe, m'avait confié une mission sur la place des femmes dans les médias. Déjà sensible à cet enjeu, j'ai retenu de ce travail le caractère essentiel de l'amélioration de leur place et les difficultés pour atteindre l'égalité, mais aussi les progrès que nous pouvions constater.
Pour préparer cette audition, j'ai consulté le dernier rapport de l'Arcom sur la représentation des femmes à la télévision et à la radio, publié le 6 mars 2023 – le prochain rapport devant paraître dans quelques jours. Parmi les chaînes d'information de la TNT, la performance de CNews est inférieure pour quasiment l'ensemble des indicateurs relatifs à la place des femmes. Vous êtes en queue de peloton notamment en ce qui concerne le temps de parole des femmes, en étant les seuls à être en dessous de 30 %. Monsieur Nedjar, vous avez dit tout à l'heure que l'on parlait de tout avec tout le monde sur CNews. Manifestement un peu moins avec les femmes…
Et ce combat est d'actualité, avec la tenue de propos écrits ou oraux qui bafouent ou du moins ne respectent pas les droits des femmes. C'était le cas avec l'infographie – diffusée selon vous apparemment à la suite d'une erreur technique – qui assimilait l'avortement à d'autres causes de mortalité. C'était encore le cas ce matin où l'on minimisait – il n'est certes pas interdit de le faire – la portée de l'inscription du droit à l'IVG dans la Constitution. Malheureusement, à neuf heures on comptait sept intervenants sur votre plateau, dont six hommes.
On peut s'interroger sur les conséquences de cette moindre place des femmes, que ce soit à l'écran ou au sein de votre organisation – vous allez nous éclairer sur ce dernier point.
Ma question est simple : pourquoi en est-on encore là ? Accorder une meilleure place aux femmes sur votre antenne et dans votre organisation ne contribuerait-il pas à éviter des « erreurs techniques », pour reprendre vos mots, mais aussi peut-être certains errements éthiques ? Cela favoriserait en tout cas une meilleure qualité de l'information.
Nous sommes extrêmement vigilants sur tous ces points. Nous avons en effet encore un gros travail à faire pour atteindre l'équilibre. Nous essayons tous les jours de respecter l'égalité des temps de parole, l'équité. Sur la diversité, nous faisons notre possible. Nous n'avons pas encore parlé de la programmation : sachez que cinq à six programmateurs ont chaque jour pour défi de faire venir des intervenants sur nos plateaux. Au vu du manque de représentation des femmes, il faut en effet les inviter de manière prioritaire.
La rédaction est composée de femmes à hauteur de 50 % et les présentatrices sont majoritaires. Il nous reste un important travail à faire, et nous nous y attelons, pour les expertes. Nous regardons ce que font nos concurrents car, outre le fait que ce sont de bonnes chaînes d'information, cela peut nous donner des pistes. Nous recevons pléthore de livres et nous essayons de faire venir leurs auteures.
Vous avez parfaitement raison : il y a un travail à faire sur ce point-là.
Les propos qui ont été tenus sur les droits des femmes rendent ces efforts encore plus indispensables.
Pour votre complète information, CNews a la chance de faire partie du groupe Canal+, au sein duquel existe un comité qui s'appelle « Et ta sœur ? » – dont je fais partie. Nous y évaluons et poussons tout ce qui favorise la parité et l'égalité, à travers un grand nombre d'indicateurs. Laetitia Ménasé pourra vous en parler si vous le souhaitez.
Effectivement, CNews n'a pas atteint les objectifs fixés par Maxime Saada. Nous sommes en voie d'amélioration. Il faut voir les choses de manière globale. Il est exact qu'il n'y a pas assez de femmes sur le plateau de certaines émissions, mais d'autres atteignent la parité – comme « Midi News ». C'est aussi parfois le cas pour « Punchline », les émissions du matin comme « Bonjour docteur Milhau » ou bien pour « L'heure des livres », présentée par Anne Fulda. Bref, c'est une chose que nous prenons au sérieux et nous progressons.
En ce qui concerne le traitement de l'actualité sur l'IVG, sa constitutionnalisation faisait partie des quatre titres à la une de la matinale aujourd'hui, à chaque heure et demi-heure. J'entends ce que vous dites, mais nous ne lui avons pas consacré un traitement de second plan – au contraire.
Pour remédier à cette situation, il faudrait en fait que vous mettiez fin à votre boycott et que vous veniez sur nos plateaux. Cela ne serait peut-être pas mal et nous permettrait d'atteindre le pluralisme que tout le monde réclame, attend et cherche à atteindre.
Monsieur Nedjar, en septembre 2016, vous avez dans un premier temps refusé un sujet de Peggy Bruguière, de retour de Bangui où l'élection présidentielle venait d'avoir lieu et où la contestation des résultats avait entraîné beaucoup de morts.
Première question : pourquoi avoir d'abord refusé ce sujet ? Pour mémoire, M. Bolloré avait alors de très importants intérêts dans ce pays. Est-ce que cela a pu peser sur cette décision ?
Nous avons été plusieurs – moi-même, le rédacteur en chef et d'autres responsables – à estimer que ce sujet n'était pas équilibré et ne répondait pas aux critères d'un reportage classique et professionnel. Nous avons donc demandé à ses auteurs de le travailler de nouveau, ce qui a été fait, et ce sujet a ensuite été diffusé. C'était uniquement ça.
En ce qui concerne Vincent Bolloré, je réponds à une question que vous ne m'avez pas posée mais qui est sous-entendue : je ne fais l'objet d'aucune intervention de sa part pour effectuer mon travail. Aucun appel concernant tel sujet ou telle personne. Les choses sont donc claires.
L'appréciation portée sur le reportage que vous avez mentionné était uniquement professionnelle, et il a d'ailleurs été diffusé juste après avoir fait l'objet de corrections qui ont été acceptées par les reporters.
Vous avez effectivement anticipé ma question suivante.
De façon générale, comme d'autres observateurs tels qu'Acrimed (Action critique médias), nous avons pu constater à l'occasion du travail d'enquête que nous menons que votre choix de ligne éditoriale aboutit souvent à ne pas développer ou aborder certains sujets qui pourraient porter atteinte au groupe ou à la personne de M. Bolloré – telle la confirmation par la Cour de cassation de sa mise en examen dans l'affaire de corruption autour de la concession du port de Lomé au Togo, que vos concurrents et bien d'autres médias ont très largement commentée et diffusée.
Je pose ma question très frontalement : vous sentez-vous objectivement libre d'aborder, de relayer et de commenter les informations susceptibles de porter atteinte au groupe ou à la personne de M. Bolloré ? Même s'il n'y a pas de pressions, comme vous l'avez mentionné, vous sentez-vous malgré tout libre ? Ma question s'adresse à l'ensemble des personnes auditionnées.
Enfin, une forme d'inconscient collectif pourrait-elle expliquer l'espèce de tri sélectif de l'information qui consiste à ne pas traiter celles qui pourraient porter atteinte au groupe ou à la personne de M. Bolloré ?
Ce qui pourrait nous amener à nous poser des questions sur la crédibilité d'un modèle économique et sur la réelle capacité d'indépendance d'un média lorsqu'il est la propriété d'une personne ou d'un groupe, même s'il n'y a pas de pressions.
Thomas Bauder l'a dit, nous passons notre temps à choisir les sujets et à déterminer leur degré d'importance. Certains sont traités un peu moins bien, d'autres un peu mieux. C'est le quotidien de toutes les rédactions.
Je vous confirme clairement que je n'ai jamais subi aucune pression de la part de Vincent Bolloré. Je travaille avec lui depuis de très nombreuses années : il ne m'a jamais appelé pour me demander de parler ou de ne pas parler d'un sujet, d'inviter ou de ne pas inviter une personne. J'ai la chance de l'avoir au téléphone de temps en temps : il m'appelle pour nous féliciter et me demande de transmettre à l'ensemble de la rédaction les félicitations du groupe pour nos formidables audiences. Lorsque ces dernières ne sont pas bonnes, il appelle parfois pour nous dire que ce n'est pas grave et que cela ira mieux le lendemain. Ce sont les seuls contacts que j'ai avec Vincent Bolloré, que je suis, du reste, toujours flatté d'avoir au téléphone.
J'aimerais revenir sur l'émission au cours de laquelle a été diffusé le fameux visuel présentant l'IVG comme une cause de mortalité au même titre que le cancer et le tabac. Vous avez tous réagi en évoquant un visuel erroné qui aurait été corrigé mais dont la première version a quand même été diffusée à deux reprises : « Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. » En revanche, je n'ai entendu aucune excuse à propos de l'émission en tant que telle, ce qui m'étonne un peu. L'erreur ne reposait-elle que sur le visuel ? Sans ce dernier, l'émission vous aurait-elle convenu ? On y a entendu Lucie Pacherie, juriste à la Fondation Jérôme-Lejeune et porte-parole de la Marche pour la vie, assimiler l'IVG à un meurtre : « Il faut rappeler que le “Tu ne tueras pas” n'est pas réservé aux croyants. Ce principe s'applique évidemment aussi à la mère et à l'enfant. » Je rappelle qu'est puni de deux ans emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher de pratiquer ou de s'informer sur une interruption volontaire de grossesse ou les actes préalables prévus par les articles L. 2212-3 à L. 2212-8 du code de la santé publique. Considérez-vous que vous avez une responsabilité légale, pénale ou au moins morale quant aux propos prononcés sur votre antenne qui sont susceptibles de tomber sous le coup de la loi ? Je pense à ces propos relatifs à l'IVG, mais aussi aux propos racistes et négationnistes tels que ceux concernant le ghetto de Varsovie évoqués tout à l'heure.
Il n'y a eu, au cours de cette émission, aucune remise en cause du droit à l'IVG. L'ensemble des interventions à l'antenne de CNews sur ce sujet, notamment la prise de parole de Charlotte d'Ornellas dans « Face à l'info » hier soir, ont porté sur la constitutionnalisation de ce droit.
Je reviens plus spécifiquement à « En quête d'esprit ». Avec Serge Nedjar, nous avons fait le choix de ne pas organiser, en plateau, un débat opposant des militantes de la constitutionnalisation à des femmes qui, pour des raisons spirituelles, défendraient un autre point de vue. Nous avons choisi – c'est notre liberté éditoriale – de conserver cette émission et de donner ensuite la parole à des personnalités comme Céline Pina, Rachel Khan et Maître Pardo, que vous ne pouvez pas suspecter d'être opposés à l'IVG. Nous parlons d'un sujet sensible, délicat. Encore une fois, il n'y a pas eu, sur l'antenne de CNews, de remise en cause de ce droit.
À chaque fois qu'un propos litigieux est prononcé sur notre antenne, cela emporte une conséquence judiciaire, même si nous ne la recherchons pas. Nous avons notre déontologie, un comité d'éthique et la loi. Nous sommes légalistes : si nous ne respectons pas la loi, nous sommes sanctionnés par la loi, un point c'est tout.
J'espère avoir répondu à votre question. Le plateau d'« En quête d'esprit » a effectivement donné à entendre une certaine sensibilité sur l'IVG, mais nous avons organisé tout de suite après un autre plateau où s'est exprimé un autre point de vue, qui n'a pas été contesté.
J'en déduis que si vous ne prononcez pas de sanction, c'est que la chose ne vous pose pas problème.
Pour vous, le pluralisme est donc respecté lorsqu'une émission ne rassemble que des invités exprimant leur hostilité au droit à l'IVG mais que l'émission suivante donne la parole à deux autres personnes d'un point de vue différent. Il est vrai que Céline Pina et Rachel Khan ne sont, à ma connaissance, pas opposées à l'IVG, mais quelle expertise singulière ont-elles sur ce sujet ? Plus largement, lorsque vous invitez des personnes pour exprimer une opinion contraire, quel type d'expertise attendez-vous ? Je remarque que vous n'avez pas invité de militantes féministes en train de se battre pour la constitutionnalisation du droit à l'avortement.
Vous avez dit, monsieur Bauder, que tout le monde était le bienvenu sur CNews, à l'exception de ceux qui se servent de vos plateaux pour faire scandale ou poursuivre leur agenda. Je trouve cela très intéressant. Éric Zemmour poursuit-il un agenda quand il vient sur vos plateaux ?
Quand Pascal Praud dit à Caroline Mécary qu'elle est « insupportable » et qu'« il ne faut plus venir », quand il traite Claire Nouvian de « folle », d'« hystérique », « avec un melon comme ça qui ne passe plus les portes » – même si je sais que ces incidents font l'objet de montages –, est-ce que ces deux invitées avaient fait scandale ? Sont-elles incitées à ne plus venir parce qu'elles contreviennent aux conditions que vous posez au pluralisme, qui consiste pourtant à permettre à chacun de s'exprimer ? Les mots employés participent-ils, au contraire, d'une volonté d'inviter certaines personnes et de les traiter d'une certaine façon pour orchestrer des moments d'une particulière violence qui plaisent peut-être aux téléspectateurs ?
Mmes Rachel Khan et Céline Pina étaient invitées en tant que citoyennes. C'est leur point de vue qui nous intéressait. Nous avions invité des associations féministes, mais elles nous boycottent. La Fondation des femmes et Osez le féminisme ! ne viennent plus sur nos plateaux. Peut-être aurions-nous pu les réinviter – il est vrai que nous ne l'avons pas fait. J'ai estimé qu'avec les interventions de Rachel Khan et de Céline Pina, l'expression d'une défense de la constitutionnalisation de l'IVG était suffisante.
Nous avons effectivement des experts, qui ne sont pas forcément des universitaires – je le précise car la question a été posée lors d'une précédente audition. Nous avons un expert médical, Brigitte Milhau, un expert militaire, le général Bruno Clermont, un expert judiciaire, Georges Fenech, ou encore un expert « idées », Nathan Devers, diplômé de Normale Sup. Nous sollicitions auparavant des experts ès qualités, qui intervenaient deux minutes sur les plateaux, comme à iTélé ; nous préférons désormais sélectionner des experts susceptibles de développer davantage leur analyse et de participer au débat.
Je ne connaissais pas les projets d'Éric Zemmour. J'ai invité un journaliste, un chroniqueur, un éditorialiste que toutes les chaînes d'information s'arrachaient. Serge Nedjar a essayé de le convaincre de venir chez nous, et quand Éric Zemmour est arrivé, je m'en suis réjoui. J'ai spécifiquement travaillé avec lui pour que ses interventions restent dans l'actualité, dans l'information, et qu'elles ne s'inscrivent pas dans un quelconque agenda. Ce qui m'importait, c'était son regard sur l'actualité.
S'agissant du scandale, je vois bien où vous voulez m'emmener. Pour les militantes féministes, le fait de parler de scandale est une façon de faire taire les femmes parce qu'elles s'exprimeraient trop fort.
Je n'ai rien contre le scandale, mais il faut tenir l'antenne. Les conventions nous en font l'obligation. Or ce n'est pas toujours facile de maîtriser l'antenne, il nous arrive d'échouer. Nous essayons donc d'assurer cette maîtrise le plus en amont possible. Parfois, cela ne marche pas. Bien entendu, il faut qu'il y ait du débat, que cela respire, qu'il y ait de l'air. Parfois, cela se fait sur le même plateau, parfois on choisit de le faire sur des plateaux différents. C'est notre liberté éditoriale.
Je clos les questions des députés membres de la commission – quatre de la majorité et sept de l'opposition. J'ai donné la parole à tous ceux qui la demandaient. Je cède de nouveau la parole au rapporteur pour ses ultimes questions jusqu'à quatorze heures quinze précises.
Monsieur Nedjar, vous n'avez pas répondu à deux questions de mon collègue Aymeric Caron : condamnez-vous l'assassinat des journalistes palestiniens ? Condamnez-vous la censure opérée par le gouvernement israélien ?
J'estime avoir répondu aux questions du député Caron.
Vous me permettrez de vous demander à nouveau de répondre, par oui ou par non. Vous avez prêté serment de dire la vérité, toute la vérité. Je vous demande donc de répondre simplement par oui ou par non puisque nous ne sommes pas en mesure de comprendre votre réponse jusqu'à présent.
La vérité, c'est que je n'ai pas de réponse supplémentaire à donner. Quelle est la question ? Il s'agit de prendre parti sur un sujet dramatique ?
M. Caron a formulé des questions simples et explicites : condamnez-vous l'assassinat de journalistes palestiniens et condamnez-vous la censure opérée par le gouvernement israélien ?
Je condamne l'assassinat de tous les journalistes et de tous les êtres humains qui se trouvent d'un côté ou de l'autre de la frontière.
Le fait de demander à une personne auditionnée de condamner ou non, à titre personnel, des actes n'entre pas dans le champ de cette commission d'enquête.
Vous avez fait l'objet de nombreux rappels à l'ordre, parfois de condamnations, et de sanctions financières. Existe-t-il une ligne dans le budget de la chaîne qui provisionne d'éventuelles sanctions financières ?
Aucune puisque nous n'en avons eu aucune sanction financière en 2023, une de 1 euro en 2022, une en 2021, zéro en 2020, zéro en 2019, zéro en 2018, zéro en 2017, et zéro en 2016.
Vous parlez d'une autorité indépendante !
Elle devrait sans douter passer directement aux sanctions plutôt que faire des rappels à l'ordre.
Il y a des choses qui m'étonnent, surtout dans cette maison.
Vous n'avez pas compris l'objet de la commission d'enquête, monsieur Thiery. La commission enquête sur le respect des obligations des chaînes et sur la manière dont on les fait respecter. Nous sommes donc fondés à nous prononcer sur les décisions de l'Arcom, aussi indépendante soit-elle, mais peut-être que cela vous avait échappé.
Le choix de passer à un modèle de débat pour approfondir l'information est-il un choix économique ? Combien coûte un plateau et combien coûte un sujet fait par un envoyé spécial ?
Il y a, en effet, plus d'analyses et de décryptages que de reportages. Le coût de la grille est maîtrisé depuis plusieurs années alors que ceux qui ont travaillé dans des médias le savent, les coûts augmentent. Si nous avons réussi à le contenir, c'est grâce au modèle que nous avons développé. Les très fortes audiences nous permettront de parvenir à la rentabilité. Je n'ai pas en tête le détail du coût des plateaux et des reportages, mais je vous le donnerai. Le coût est maîtrisé et la chaîne, grâce à son audience, sera à l'équilibre.
Depuis quelques années, le coût du reportage est alourdi par une dépense supplémentaire pour assurer la sécurité de nos journalistes, dépense dont le montant a été quadruplé en quelques années. C'est une charge regrettable pour le travail de nos collaborateurs que de devoir être accompagnés d'agents de sécurité pour pouvoir faire librement leur travail en France.
Après la grève de 2016, la rédaction a perdu seize de ses dix-sept assistants de rédaction. Combien sont-ils aujourd'hui ?
Je n'ai pas le chiffre. Je sais que la rédaction compte, par jour, un rédacteur en chef, sept bocaliers, dix chefs d'édition, dix-sept journalistes, qui font à la fois les plateaux et les journaux télévisés, quatre journalistes rédacteurs en chef adjoints en middle management et quatorze assistants d'édition.
Vous n'avez donc pas retrouvé le niveau de 2016.
Monsieur Nedjar, quelle est la fréquence de vos échanges avec M. Bolloré ?
M. Vincent Bolloré vient une ou deux fois par mois à Canal+, qui se trouve dans un autre immeuble. Je me rends une ou deux fois par mois chez Canal+ pour parler avec Maxime Saada, Jean-Christophe Thiery et Gérald-Brice Viret. J'ai la chance de rencontrer à ce moment-là, quand il est là, Vincent Bolloré.
Il y en a presque quotidiennement, ou tous les deux jours, au sujet des audiences – pour nous féliciter ou pour nous rassurer, selon les résultats. Ils portent uniquement sur l'état d'esprit des salariés de CNews.
Il se trouve qu'en ce moment, CNews bat BFM TV tous les jours, donc évidemment, j'ai la chance de l'avoir plus souvent au téléphone.
Dans un portrait que vous consacrait France Info en 2017, un ancien salarié de la rédaction rapportait : « la une était validée quasi quotidiennement par Bolloré. Rien d'étonnant, le milliardaire avait déclaré à des salariés de La Tribune en 2007 "dans mes médias, j'ai le final cut ". Il n'y avait jamais d'intervention directe de Bolloré mais tous ses desiderata passaient par M. Nedjar ; ça se matérialisait dans les choix de la une, dans les sujets mis en avant ou, au contraire, passés sous silence », et le même s'interrogeait sur « ces excès de zèle ». Le confrère journaliste qui a écrit ce portrait a-t-il menti ?
Vous faites état d'un témoignage anonyme donc je ne sais pas de qui il s'agit. On peut dire tout et n'importe quoi sous couvert d'anonymat.
Je vous livre une autre citation de cette même source parlant de vous : « il disait "ça ne va pas lui plaire" ou encore "Vincent ne va pas être content", sans qu'on sache si c'était Bolloré qui le lui avait dit ou si c'était lui qui anticipait sa réaction ». Avez-vous pu tenir ce genre de propos ?
C'est encore un témoignage anonyme. Je ne sais pas. J'ai dit tellement de choses. J'ai bossé beaucoup et j'ai dit beaucoup de choses.
Si ce que vous voulez entendre, c'est qu'il existe, d'une façon ou d'une autre, une interaction de Vincent Bolloré avec mes prises de décision, ma réponse est encore et toujours non.
Je voulais savoir si vous pouviez endosser le propos qui vous était attribué. Vous pourriez répondre : « oui, il a pu m'arriver de le dire » ; « oui je l'ai dit souvent » ou « non, je ne l'ai jamais dit ». Le fait que la source soit anonyme ne change rien à l'affaire.
De quand date ce document ?
Un portrait de l'émission « Quotidien » fait de moi un catholique pratiquant.
C'est de la même veine. Vous m'interrogez sur des phrases que j'aurais pu prononcer. C'est tout à fait possible que je les prononce, mais en exprimant une opinion personnelle, jamais en faisant référence à Vincent Bolloré.
Vous me permettrez de relever une contradiction : il est possible que vous l'ayez prononcée mais elle ne ferait pas allusion à Vincent Bolloré. Vous prétendez ne pas savoir alors que tout à l'heure, vous vous souveniez du sujet de Peggy Bruguière sur les élections présidentielles en Centrafrique. J'ai du mal à croire que vous ne vous rappeliez pas de ce genre de propos. Le portrait de 2017 a dû compter.
Je crois que les phrases dont vous parlez datent plutôt de l'époque où je travaillais à Direct Matin. Le sujet correspond aux années où j'étais à la tête de CNews, ce qui est beaucoup plus récent.
Il est quatorze heures quinze. Je vous remercie pour ces échanges qui auront duré trois heures très denses. J'invite les personnes auditionnées à nous transmettre par écrit les éléments qui leur ont été demandés.
La séance s'achève à quatorze heures quinze.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Ségolène Amiot, M. Philippe Ballard, M. Quentin Bataillon, M. Mounir Belhamiti, M. Ian Boucard, Mme Céline Calvez, M. Aymeric Caron, Mme Fabienne Colboc, M. Jocelyn Dessigny, M. Philippe Frei, M. Jean-Jacques Gaultier, M. Jérôme Guedj, M. Laurent Jacobelli, Mme Sarah Legrain, M. Thomas Ménagé, M. Karl Olive, M. Emmanuel Pellerin, M. Aurélien Saintoul, Mme Sophie Taillé-Polian
Assistaient également à la réunion. – Mme Bénédicte Auzanot, M. Carlos Martens Bilongo, M. Frédéric Cabrolier, Mme Eléonore Caroit, M. Florian Chauche, M. Roger Chudeau, M. Alexis Corbière, Mme Julie Delpech