France Insoumise (NUPES)
PCF & ultramarins (NUPES) PS et divers gauche (NUPES) EELV (NUPES)
Radicaux, centristes, régionalistes... LREM et proches (Majorité gouv.)
MoDem et indépendants (Majorité gouv.) Horizons (Majorité gouv.) LR et UDI
RN et patriotes
Non-Inscrits (divers gauche à droite sans groupe)
La séance est ouverte.
La séance est ouverte à seize heures.
En application des articles 29 et 30 de la Constitution, je déclare ouverte la session extraordinaire convoquée par le Président de la République par décret du 19 juin 2023.
Chers collègues, cette nuit, un jeune caporal-chef de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris est décédé à la suite d'une intervention visant à éteindre un incendie. Nous savons combien le dévouement des soldats du feu est grand et ce drame terrible nous l'a malheureusement rappelé. En mémoire de la victime et en soutien à sa famille, à ses proches et à ses collègues, je vous invite à observer une minute de silence.
Mmes et MM. les députés et M. Éric Dupont-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice se lèvent et observent une minute de silence.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (n° 1346, 1440 deuxième rectification) et du projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire (n° 1345, 1441).
La conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
Chers collègues, je vous informe qu'à la demande de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en application du quatrième alinéa de l'article 95 du règlement, la discussion de l'article 1er et du rapport annexé, ainsi que des amendements portant article additionnel après l'article 1er , est réservée. Ils seront examinés après l'article 29.
Avant de commencer, je veux rendre hommage au jeune caporal-chef Dorian Damelincourt, mort au feu cette nuit alors qu'il exerçait avec bravoure sa courageuse mission de sapeur-pompier.
Plus que jamais, notre pays, nos concitoyens et nous tous avons besoin de justice. Plus que jamais, notre justice, nos magistrats, nos greffiers, nos agents pénitentiaires, nos conseillers d'insertion et de probation, enfin tous ceux qui servent la justice avec dévouement et qui sont mobilisés, ont besoin de nous.
Ils ont besoin que, dans un geste fort, dans un élan sans précédent, nous donnions collectivement à la justice les moyens nécessaires à l'accomplissement de son impérieuse mission : maintenir la paix civile. Il nous appartient donc, dans les débats qui commencent, de répondre ensemble, dans un esprit de responsabilité, à ce besoin régalien fort.
Plus de huit mois d'intenses travaux pour sonder les difficultés de l'institution judiciaire et plus d'un million de contributions citoyennes, réunies dans le rapport des états généraux de la justice ; deux grandes vagues de concertation l'année dernière avec tous les acteurs du monde judiciaire ; la présentation d'un plan d'action global pour la justice en début d'année ; enfin, le mois dernier, le vote sans appel du Sénat : toutes ces étapes ont permis que nous soyons réunis aujourd'hui pour discuter de la première traduction législative et organique du plan d'action pour la justice du Gouvernement.
Comme s'y étaient engagés le Président de la République et la Première ministre, je suis venu vous présenter les projets de loi de programmation et de réforme du statut de la magistrature les plus ambitieux de l'histoire du ministère de la justice. Comme je l'avais dit lors de ma prise de fonction, avec vous, je veux tourner la page des mauvaises habitudes qui gangrènent notre justice depuis de nombreuses années.
La première d'entre toutes est celle qui consiste à demander toujours plus à la justice en lui donnant toujours moins. Je souhaite écrire avec vous un nouveau chapitre : celui d'une justice dotée enfin à la hauteur de ses missions, celui d'une justice remise à sa juste place, au cœur de la cité. Le chemin est long, mais le cap est le bon et le pas résolument assuré.
Une autre mauvaise habitude, en matière de justice, est celle de cultiver une approche parcellaire. Notre plan d'action pour la justice concerne donc toutes les matières – pénale, civile, commerciale, organisationnelle – et utilise tous les leviers – législatif, organique, budgétaire et réglementaire.
La dernière des habitudes, et sans doute la pire, est celle de ne pas placer le justiciable au cœur des réformes. Je le dis clairement : ce plan d'action et ces projets de loi ont pour but de répondre concrètement aux attentes de nos concitoyens, au premier rang desquelles celle d'une justice plus proche, plus efficace et plus rapide. Notre objectif est donc précis et ambitieux : nous voulons diviser par deux l'ensemble des délais de justice d'ici à 2027. Notre priorité absolue est de donner à la justice les moyens qui lui permettront d'être à la hauteur de sa mission.
L'article 1er du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 entérine une augmentation sans précédent de ses crédits, qui atteindront près de 11 milliards d'euros en 2027. Sur les cinq prochaines années cumulées, les crédits du ministère augmenteront de près de 7,5 milliards. Rappelons qu'ils ont augmenté de seulement 2 milliards pendant le quinquennat du président Sarkozy et de 2,1 milliards pendant celui du président Hollande. Les crédits massifs que nous allouons au ministère visent quatre objectifs concrets, qui embrassent de manière globale tous les enjeux du service public de la justice.
Le premier objectif, la mère des batailles, ce sont des recrutements massifs et rapides de magistrats, de greffiers, d'attachés de justice, d'agents pénitentiaires et d'agents administratifs – bref, de tous les métiers qui font vivre le ministère de la justice. Pour graver ces recrutements dans le marbre, j'ai souhaité inscrire, dans le projet de loi, le recrutement de 10 000 personnels supplémentaires en créations nettes de postes d'ici à 2027, dont 1 500 magistrats
MM. Sylvain Maillard et Emmanuel Pellerin applaudissent
– autant qu'au cours des vingt dernières années cumulées – et au moins 1 500 greffiers. Je remercie Perrine Goulet, la rapporteure pour avis de la commission des finances, qui a souhaité revenir à l'épure initiale du texte et donner au ministère la latitude nécessaire pour gérer au mieux ce contingent.
Le deuxième objectif est la revalorisation salariale de ceux qui servent notre justice au quotidien. Pour recruter massivement, il faut attirer les talents. C'est pourquoi le projet de loi de programmation entérine d'importantes revalorisations pour les métiers judiciaires : une hausse de 1 000 euros mensuels pour les magistrats, effective dès l'automne, afin de récompenser et d'encourager leur engagement quotidien ; une revalorisation des salaires des greffiers – sans qui, je le dis avec force, la justice ne pourrait pas fonctionner –, qui se fera selon un calendrier spécifique de négociation, également à l'automne ; enfin, le passage historique – il était réclamé par les syndicats depuis vingt ans – des agents pénitentiaires de la catégorie C vers la catégorie B et des officiers de la catégorie B vers la catégorie A. Il était grand temps de reconnaître le rôle indispensable de la troisième force de sécurité intérieure du pays. Je suis fier, non seulement d'être leur ministre, mais d'avoir amélioré leur place dans la fonction publique.
Applaudissements sur les bancs des commissions et sur les bancs du groupe RE.
Troisièmement, nous allons mener à bien la transformation numérique du ministère de la justice, qui a longtemps pêché en la matière. Les magistrats et les greffiers de terrain le disent : ils sont souvent freinés par des outils informatiques et un réseau qui ne sont pas à la hauteur. Comme pour la juridiction administrative, le but est clair : nous devons instaurer le zéro papier à l'horizon 2027. Pour cela, nous avons une méthode : nous dotons toutes les juridictions de techniciens informatiques dédiés, dont la mission est d'agir au plus près du terrain, avec le savoir-faire requis, lorsque « la bécane plante », ce qui arrive malheureusement trop souvent. Par ailleurs, nous augmentons massivement la capacité des réseaux du ministère pour fluidifier les connexions. À terme, l'objectif est aussi que chacun dispose d'un compte unique pour accéder à toutes les applications informatiques, afin d'éviter, notamment aux greffiers, les doublons de saisines qui font perdre un temps précieux. Enfin, en concertation avec le terrain, nous accélérons la mise à jour des logiciels en matière civile – je pense notamment à Portalis.
Dans le domaine pénal, le projet de loi de programmation prévoit l'accélération du déploiement de la procédure pénale numérique, en lien avec le ministère de l'intérieur, avec un chef de file unique issu de la Chancellerie. La transformation numérique de la justice doit également se faire en direction de ceux qu'elle sert, les justiciables. Au début de l'année, j'annonçais le lancement d'une application pour smartphone réunissant des fonctionnalités importantes. Elle a été lancée en avril dans une version qui permet déjà de savoir si l'on peut oui ou non bénéficier de l'aide juridictionnelle ou de simuler le montant d'une pension alimentaire.
En cohérence avec le plan d'action, le dernier objectif concerne le programme immobilier du ministère de la justice et tout d'abord l'immobilier judiciaire, c'est-à-dire la construction de tribunaux. Les recrutements massifs nécessiteront une augmentation et une rénovation massives du parc judiciaire. C'est pourquoi nous agissons selon une vision globale et nous prévoyons d'investir massivement dans les tribunaux de demain pour améliorer les conditions de travail de ceux qui servent la justice. En bout de chaîne, c'est bien le justiciable qui en bénéficiera. Concrètement, d'ici à 2027, nous engagerons plus de quarante opérations de restructuration et de rénovation de tribunaux et cours d'appel.
Ensuite, le programme immobilier pénitentiaire avance sûrement malgré de nombreux freins. Je pense à la crise sanitaire – qui, si elle est fort heureusement derrière nous, a durablement affecté les chantiers –, à la guerre en Ukraine – qui a réduit l'accès aux matières premières – et, bien sûr, aux réticences des riverains et souvent de leurs élus.
Notre engagement est clair et notre cap est fixé : nous construirons 15 000 places supplémentaires d'ici à 2027. L'année prochaine, la moitié des établissements de ce plan seront sortis de terre. Il y va d'abord de la bonne application de ma politique pénale qui est sans aucune ambiguïté : fermeté sans démagogie, humanisme sans angélisme. Il y va ensuite des conditions de détention qui sont parfois indignes, mais aussi des conditions de travail du personnel pénitentiaire. Je fais le tour des prisons depuis plus de quarante ans et je connais la dégradation d'un certain nombre d'établissements, mais je n'ai pas – contrairement à d'autres – de baguette magique ; je n'ai qu'une volonté politique forte, qui s'appuie sur des leviers d'action réalistes et des moyens inédits, car en matière pénitentiaire comme en matière pénale, il faut se méfier des solutions clés en main. La construction de prisons est la solution la plus lente, mais la plus sûre – surtout qu'en parallèle des constructions, nous investissons massivement dans les rénovations : environ 130 millions d'euros par an, soit près de deux fois plus que sous le quinquennat de François Hollande.
Le président du comité des états généraux de la justice, Jean-Marc Sauvé, l'a formulé ainsi : tout ne se résume pas à la question des moyens. C'est pourquoi je vous propose une série de mesures qui réforment en profondeur l'institution sans pour autant la déstabiliser : l'une des innovations de ce projet de loi de réforme de la justice, c'est qu'elle dégage, en regard des mesures prises, les moyens nécessaires à leur bonne application.
La première réforme est celle de l'amélioration de l'organisation de la justice selon une approche innovante et pragmatique. Je souhaite accélérer la déconcentration du ministère de la justice en laissant plus d'autonomie aux juridictions dans leur administration, afin de ne faire intervenir l'administration centrale que lorsque son soutien est utile ou son arbitrage nécessaire.
Cette nouvelle étape relève en grande partie du niveau réglementaire et se fera d'ici à l'automne. J'ai souhaité inscrire cette orientation claire dans le rapport annexé : en effet, une organisation plus efficace de la justice, ce sont aussi des moyens mieux employés au plus près des professionnels et des justiciables.
L'amélioration de l'organisation des juridictions passe aussi par des expérimentations innovantes pour améliorer concrètement le service rendu aux justiciables. C'est ce que nous proposons à travers l'expérimentation d'un véritable tribunal des activités économiques (TAE), car l'organisation actuelle des juridictions commerciales manque de lisibilité pour les justiciables et les différents acteurs.
Je vous propose également d'expérimenter une contribution économique – comme cela se pratique dans divers pays européens – afin de lutter contre les recours abusifs et d'inciter à l'amiable. Cette contribution permettra aussi de bénéficier de l'effet de marque car souvent, dans le monde économique, ce qui est gratuit est perçu comme de moindre qualité. Elle tiendra compte de la capacité contributive du demandeur et du montant de la demande. Je veux ici remercier de leur action les rapporteurs Jean Terlier et Philippe Pradal, qui ont apaisé un certain nombre de craintes concernant ces expérimentations novatrices.
Une amélioration de l'organisation de nos juridictions doit aussi être opérée dans les politiques pénales prioritaires. Je pense bien sûr à la question de la lutte contre les violences intrafamiliales avec la création de pôles spécialisés, conformément au rapport de grande qualité rendu par la députée Émilie Chandler et la sénatrice Dominique Vérien. Cette nouvelle organisation désormais inscrite dans le rapport annexé sera traduite dans le code de l'organisation judiciaire par un décret qui vous sera transmis et pris à l'été.
Le texte en débat défendra également, grâce à la présidente Naïma Moutchou, une ambition forte en matière de justice restaurative afin que tous les tribunaux soient en mesure de proposer une offre aux justiciables d'ici à 2027.
En matière d'insertion et de probation, les travaux de la députée Caroline Abadie permettront d'accélérer la procédure en réduisant les délais de convocation devant le juge de l'application des peines (JAP), afin de favoriser une exécution plus rapide des peines prononcées.
Les débats en commission ont également donné lieu à des adaptations à nos outre-mer : je pense ici à l'amendement du président Sacha Houlié, qui propose de développer le recours à la visioconférence afin de répondre aux besoins, notamment dans les Antilles.
Un mot aussi pour souligner que nous donnerons corps à une petite révolution de la compétence universelle de la justice française en matière de crimes contre l'humanité grâce au travail sans relâche de votre collègue Guillaume Gouffier Valente.
La seconde réforme est celle de la modernisation des ressources humaines – magistrats et fonctionnaires – de la Chancellerie. Je compte employer tous les leviers à notre disposition pour que non seulement le plan de recrutement soit réalisé, mais surtout, qu'il corresponde aux besoins du terrain.
Cette modernisation implique d'abord une adaptation des ressources à la situation actuelle, notamment à la diversification des fonctions. Je pense par exemple au travail formidable qu'accomplissent les contractuels dans toutes nos juridictions. Leur recrutement et l'engagement des magistrats et greffiers a déjà permis de réduire les stocks de près de 30 % dans les juridictions pour la première fois depuis des décennies. Or moins de stock, c'est bien entendu moins d'attente pour nos concitoyens.
C'est pourquoi, en plus des recrutements massifs de magistrats et de greffiers, le projet de loi de programmation vous propose non seulement de pérenniser ces emplois en les cédéisant, mais également de les institutionnaliser en créant la fonction d'attaché de justice, qu'avait appelée de ses vœux le rapporteur Terlier. Ces attachés de justice seront formés à l'École nationale de la magistrature (ENM) et prêteront serment. Ils compléteront et constitueront une véritable équipe autour du magistrat, laquelle représentera la véritable révolution à venir au sein de la justice.
C'est cette même impulsion que nous souhaitons donner à l'administration pénitentiaire en ouvrant la possibilité de recruter des surveillants adjoints par la voie contractuelle. Ce dispositif a fait ses preuves au ministère de l'intérieur. Du point de vue de l'attractivité, en outre, il permet d'embaucher des personnels au plus près des établissements pénitentiaires.
Le chantier majeur de la modernisation des ressources humaines est bien sûr celui défendu dans le projet de loi organique – la réforme du statut de la magistrature – et je veux ici remercier le rapporteur Didier Paris pour son engagement et les connaissances fines qu'il a mises au service de cette réforme.
Cette dernière repose sur trois axes. Le premier est l'ouverture du corps judiciaire : le recrutement de 1 500 magistrats exigera de faciliter l'accès à la magistrature. Pour cela, nous proposons la création de magistrats en service extraordinaire, mais également l'ouverture des recrutements en simplifiant les différentes voies d'accès, notamment pour les avocats, et en professionnalisant le recrutement par l'instauration d'un jury professionnel. Le maintien du principe du concours républicain garantira l'excellence du niveau de recrutement.
L'objectif est aussi d'assouplir les règles pour les magistrats exerçant à titre temporaire qui accomplissent un travail indispensable et remarquable, et qui seront nécessaires au déploiement de la politique de l'amiable et des cours criminelles départementales.
Enfin, il s'agit de simplifier certaines règles de gestion des ressources humaines, en pérennisant les brigades de soutien des magistrats et greffiers, qui font leurs preuves à Mayotte et en Guyane ; en instaurant des priorités d'affectation pour les magistrats qui ont accepté de partir dans des territoires peu attractifs, et, enfin, en créant un troisième grade pour garder des magistrats d'expérience dans les juridictions de première instance afin, notamment, d'en améliorer la qualité, conformément aux vœux exprimés dans le rapport Sauvé.
Le deuxième axe de la réforme statutaire consiste en la modernisation, notamment celle du dialogue social et du mode de scrutin au Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Enfin, le dernier axe repose sur la responsabilité du corps judiciaire, avec l'élargissement des conditions de recevabilité des plaintes des justiciables contre des magistrats devant le CSM – qui, en l'état, ne donnent in fine jamais lieu à sanction.
Le troisième chantier de réforme est celui de la simplification d'un certain nombre de procédures : qu'elles soient civiles ou pénales, elles sont un facteur de complexité pour nos professionnels et d'éloignement entre le citoyen et la justice.
Vous le savez, en matière civile, je veux faire enfin advenir la révolution de l'amiable, qui se fait tant attendre en France. Cette réforme est de niveau réglementaire, mais j'ai transmis à la commission des lois le projet de décret concernant l'instauration de la césure et de l'audience de règlement amiable afin que nous puissions échanger sur ce point dans les semaines à venir, dans un temps plus long. Ma porte est grande ouverte pour échanger sur ces questions.
En matière pénale, je souhaite que nous puissions lancer ensemble le chantier titanesque de la simplification de la procédure pénale. Il s'agit dans un premier temps de restructurer et de clarifier le code à droit constant, comme le précise l'article 2. L'objectif est de le rendre plus lisible pour les professionnels, en réécrivant des articles qui consistent en des renvois successifs à d'autres articles, en réorganisant l'ensemble des chapitres et en regroupant certains textes épars, pour éviter les erreurs procédurales.
Enfin, je vous confirme que le nouveau code de procédure pénale n'entrera pas en vigueur avant sa ratification, comme ce fut le cas pour le code de la justice pénale des mineurs. Le comité parlementaire, que nous renforcerons dans le rapport annexé grâce au travail du député Emmanuel Mandon, et qui sera institué après la promulgation de la loi, permettra de s'assurer que le Parlement conserve bien un droit de regard incontournable sur la conduite de cette réforme.
Enfin, il vous est proposé une série de mesures concrètes immédiatement applicables. Je pense à celles, par exemple, visant à améliorer l'efficacité de l'enquête pénale et à renforcer le recours aux techniques spéciales d'enquête ; je ne méconnais pas les craintes en la matière, mais je pense que le travail du rapporteur Erwan Balanant a apporté un certain nombre de garanties qui devraient nous rassurer. C'est également le cas de l'extension du travail d'intérêt général aux entreprises de l'économie sociale et solidaire : si le nombre de places a significativement augmenté ces dernières années sous l'impulsion de cette majorité, il nous faut aller plus loin – c'est ce que permettra un amendement de la députée Blandine Brocard.
Je pense aussi à l'extension du champ de l'indemnisation aux victimes de certaines infractions. Le travail réalisé avec les rapporteurs et la députée Sarah Tanzilli nous permettra, là encore, d'aller plus loin pour couvrir les victimes et, par ricochet, les victimes mineures au moment de l'infraction.
Pour conclure mon propos, j'en reviendrai à mon point initial : il est de notre responsabilité collective de répondre au besoin de justice et de donner à la justice les moyens de tenir son rang dans nos institutions. Nous avons certaines divergences – elles s'exprimeront lors de l'examen des articles – mais, sur la majorité des bancs, de droite à gauche, nous partageons l'ambition et l'impérieuse nécessité de rétablir la place de la justice à la hauteur de la mission fondamentale qui est la sienne, à la hauteur de l'engagement de ceux qui la servent, et surtout, à la hauteur des attentes des Français – au nom de qui, ne l'oublions jamais, elle est rendue.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.
La parole est à M. Jean Terlier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice est devenu un rendez-vous quinquennal incontournable pour le Parlement. C'est une pratique encore récente mais nous y sommes attachés car le Parlement peut ainsi être informé en détail des projets du Gouvernement pour les cinq années à venir et sur les moyens qui seront mis en œuvre. Elle nous permet également de nous exprimer, grâce au rapport annexé, sur des questions stratégiques, y compris de niveau réglementaire. C'est enfin pour nous l'occasion de procéder à des améliorations dans les différents pans du droit, d'engager des réformes de grande ampleur, comme la réforme du code de procédure pénale, ou de lancer des expérimentations, comme l'expérimentation des tribunaux des affaires économiques.
La loi de programmation précédente, dont nous avions débattu avec votre prédécesseure, Nicole Belloubet, a permis d'engager de grandes transformations. Elles se sont, depuis, concrétisées avec succès : instauration des tribunaux judiciaires, création du parquet national antiterroriste (Pnat), développement des modes alternatifs de règlement des litiges, entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs, création des cours criminelles.
Tout au long du quinquennat, nous n'avons eu de cesse de réformer notre justice en matière de responsabilité pénale, de violences intrafamiliales, de lutte contre la haine en ligne ou d'accès au travail pour les détenus. Sans un accompagnement financier fort, tout cela aurait été vain. Dans un contexte de tension sur les finances publiques, nous avons maintenu une hausse sans précédent du budget de la justice : + 8 % en 2021, + 8 % en 2022, + 8 % en 2023.
Transformer un service public comme celui de la justice ne se fait pas en un jour, surtout lorsqu'il a été à ce point affaibli par le sous-investissement chronique des gouvernements précédents, de gauche comme de droite.
Il est toujours plus facile d'entendre ce qui nous conforte et nous rassure. Pourtant, monsieur le garde des sceaux, vous avez eu l'audace, lors des états généraux de la justice, de donner carte blanche aux professionnels. Après plusieurs mois de travail, ils vous ont adressé leurs constats et leurs propositions d'amélioration, en toute franchise, en toute transparence, sans interférence politique.
Cinq objectifs en ont été tirés, qui sont ceux du projet de loi : réduire les délais, au pénal comme au civil ; simplifier et moderniser les procédures, en s'appuyant notamment sur le numérique et les nouvelles technologies ; revaloriser tous les métiers de la justice par une meilleure gestion des carrières, de la formation et de la mobilité ; apporter des solutions à la surpopulation carcérale ; poursuivre l'effort financier pour atteindre ces objectifs et moderniser l'institution judiciaire.
Après des débats de grande qualité en commission, nous avons pu améliorer le texte en adoptant des amendements de la majorité et de l'ensemble des groupes d'opposition.
Je déclinerai rapidement les mesures contenues dans les titres dont j'ai la charge, laissant à mes collègues rapporteurs, Erwan Balanant et Philippe Pradal, le soin de compléter. J'en profite pour les saluer et remercier les administrateurs, qui ont fourni, comme à leur habitude, un travail de grande qualité.
Le titre IV porte sur l'ouverture et la modernisation de l'institution judiciaire. Il crée la fonction d'attaché de justice, qui se substitue au statut de juriste assistant. En commission des lois, nous avons décidé que les candidats devront avoir au moins un diplôme de niveau bac + 5 pour être recrutés en tant que contractuels. Les contrats proposés seront à durée indéterminée, ce qui constitue une avancée par rapport au statut précaire de juriste assistant et surtout une reconnaissance de leur importance au sein des juridictions. L'article 12 consacre la participation des parlementaires au conseil de juridiction, un sujet qui peut nous rassembler. Toujours au titre IV, le chapitre II perfectionne la réforme des juridictions disciplinaires des avocats et des officiers ministériels, tandis que le chapitre III est consacré à l'administration pénitentiaire.
Je veux saluer solennellement l'ensemble des agents de la pénitentiaire pour les missions essentielles qu'ils accomplissent, dans des conditions parfois difficiles. En sus des moyens supplémentaires, l'article 14 contient trois évolutions : l'élargissement du vivier de la réserve civile pénitentiaire ; la généralisation du port de caméras individuelles par certains personnels ; la possibilité de recruter des surveillants adjoints par voie contractuelle.
Le titre V est consacré à des réformes procédurales et à des adaptations du régime de certaines professions du droit. Il ne traite pas de la réforme de la procédure civile, celle-ci ne relève pas du domaine de la loi, mais la commission a souhaité exprimer son soutien au développement d'une véritable politique de l'amiable : elle a adopté un amendement important qui vise à fixer, dans le rapport annexé, les grandes orientations de la réforme. Sur deux autres sujets, le niveau de diplôme exigé pour entrer au centre régional de formation professionnelle des avocats – CRFPA – et la confidentialité des consultations des juristes d'entreprise, nous aurons de nouveau des débats importants en séance publique.
Le titre VI comprend les dispositions relatives aux juridictions administratives et financières. Il s'agit principalement de mesures de simplification ou de coordination liées aux transformations récentes.
Ce texte ambitieux touche à presque toutes les dimensions du droit et de la justice, pas forcément pour les révolutionner mais pour apporter des solutions concrètes, attendues par les professionnels et les usagers.
Je terminerai en évoquant la hausse continue des moyens. Monsieur le garde des sceaux, vous êtes le ministre qui aura permis des augmentations du budget de la justice sans précédent sous la V
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.
On devrait peut-être vous laisser en tête-à-tête pour ne pas vous déranger ?
Alors donnez-lui une récompense, au moins une mission de six mois, quelque chose enfin !
La parole est à M. Erwan Balanant, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
« La justice est la première vertu des institutions sociales. » Ces quelques mots de John Rawls concentrent l'essentiel de ce que doit être notre justice, une institution garantissant la liberté et l'équité. L'examen de ce texte permet de répondre à ces exigences ainsi qu'aux attentes de nos concitoyens, qui veulent avoir confiance en une société libre, équitable et respectable.
Avec un budget sans précédent, un plan d'action global détaillé dans le rapport annexé et une modernisation de la procédure pénale, respectivement adossés aux titres I et II, dont j'ai l'honneur d'être le rapporteur, nous avançons vers une amélioration concrète des conditions de travail et des moyens alloués aux professionnels de la justice.
La trajectoire budgétaire est celle d'une augmentation inédite – 21,3 % – des crédits entre 2023 et 2027. Sur la même période, 10 000 emplois seront créés, dont 1 500 emplois de magistrat et 1 500 emplois de greffier.
Nous devrons être vigilants quant à l'évolution du recrutement. Les objectifs sont très ambitieux et il est impératif que nous soyons au rendez-vous pour renforcer les juridictions. En ce sens, l'amendement de la commission des finances qui prévoit la remise d'un rapport d'exécution annuel est important : ce rapport nous aidera à garder le cap.
Le rapport annexé est un guide à part entière. Il permet d'évoquer des sujets tels que la politique de l'amiable ou l'institutionnalisation de pôles spécialisés en matière de lutte contre les violences intrafamiliales, des réformes qui sont autant d'avancées. À cela s'ajoute le souhait du Gouvernement, et du garde des sceaux, de moderniser le code de procédure pénale. Je salue cette volonté d'allier amélioration des moyens alloués aux professionnels de la justice et simplification de leurs missions quotidiennes.
Avec l'inflation législative, le code de procédure pénale est devenu difficilement lisible et accessible. Il doit être réécrit. Je tiens à saluer la méthode que compte suivre le Gouvernement, et que le Sénat a consacrée dans le rapport annexé. Elle consiste à associer tous les groupes parlementaires pour identifier les pistes de simplification sur lesquelles nous pourrons nous prononcer lors de l'examen du texte de ratification. Je tiens à rassurer les collègues qui auraient quelques craintes : la refonte par ordonnance sera faite à droit constant.
Au reste, il serait inconstitutionnel d'apporter dans ce cadre une quelconque modification de fond.
Le titre II comprend des avancées importantes, au nombre desquelles les dispositions de l'article 3.
La commission a apporté des enrichissements substantiels à cet article imposant, à commencer par le régime des perquisitions de nuit concernant les crimes contre les personnes. Ces ajustements permettent de proposer un cadre très robuste, bien plus que ce qui existe en matière de flagrance pour la criminalité organisée. De même, le recours à la visioconférence pour l'examen médical en garde à vue a été enrichi pour inscrire dans la loi les hypothèses d'exclusion.
Je tiens à saluer l'initiative que nous avons prise avec Caroline Yadan, Emeline K/Bidi et Philippe Gosselin, de mener un travail transpartisan sur les droits des témoins assistés et l'accès au dossier de procédure. Sur ma proposition, nous avons harmonisé les règles d'audition d'un témoin non soupçonné et prévu que le prélèvement d'empreintes sans consentement en garde à vue doit être fait en présence de l'avocat.
Il me paraît indispensable de consacrer quelques instants au dispositif de l'activation à distance, qui a soulevé des craintes et fait l'objet d'importants débats en commission. Ces dispositions génèrent des inquiétudes – je les ai moi-même ressenties – car elles nous confrontent à des évolutions technologiques qui peuvent effrayer. Je pense que beaucoup relèvent plutôt du fantasme…
La technique de géolocalisation et la technique spéciale de captation d'images ou de sons existent déjà dans notre droit. Ce sont des outils précieux pour les enquêteurs. Nous ne touchons pas aux conditions mais nous les encadrons ; nous permettons aux enquêteurs d'y avoir recours par un nouveau procédé, mieux maîtrisé et moins dangereux. C'est cela que nous devons garder à l'esprit.
Vos inquiétudes ont permis d'enrichir le texte de nouvelles garanties au bénéfice, notamment, des professions protégées par un secret professionnel. Par ailleurs, nous avons clarifié la disposition qui interdit la transcription des échanges avec un avocat ou avec un journaliste et de tout échange qui serait capté par un appareil placé dans un lieu lié à l'activité d'un avocat, d'un journaliste, d'un médecin, d'un notaire, d'un huissier ou d'un magistrat et activé à distance.
Les débats promettent d'être riches et intéressants. Ils seront l'occasion de réaliser de nouvelles avancées. De nombreux amendements de la majorité et de l'opposition font d'ailleurs l'objet d'avis favorables.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.
La parole est à M. Philippe Pradal, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Permettez-moi, car cela n'est pas sans lien avec le projet de loi sur la justice qui nous réunit aujourd'hui, de rendre hommage aux forces de l'ordre – police et gendarmerie nationales, polices municipales –, aux sapeurs-pompiers et à tous ceux qui font face, avec courage et détermination, aux émeutes urbaines qui ont secoué notre pays ces derniers jours. Ils font preuve d'un professionnalisme exemplaire pour protéger les citoyens et préserver la paix sociale. Leur engagement et leur dévouement méritent notre soutien.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Ce même soutien, nous devons l'exprimer à l'institution judiciaire. Ainsi que le rappelle la première phrase de l'exposé des motifs du projet de loi, elle constitue le socle du pacte social. C'est tout l'intérêt de ce texte, qui donne à la justice les moyens budgétaires et humains dont elle a besoin pour répondre aux attentes de nos concitoyens.
Ce texte vous doit beaucoup, monsieur le ministre. Je vous remercie, ainsi que vos services, pour le travail que nous avons accompli ensemble ces dernières semaines. Mes travaux de rapporteur ont porté sur la justice commerciale et sociale. Cette justice s'exerce en première instance grâce à l'engagement sur le terrain de milliers de juges consulaires et de conseillers prud'hommes. Cet engagement désintéressé doit être reconnu et l'action des juges non professionnels, dans leur ensemble, doit être saluée.
Les tribunaux de commerce et les conseils de prud'hommes sont des piliers essentiels du système judiciaire. Ils ont fait leurs preuves et nos concitoyens, salariés et chefs d'entreprise, y sont attachés.
Le projet de loi pose les fondations d'une justice économique en procédant à un élargissement expérimental des compétences du tribunal du commerce. Il prévoit la mise en place de neuf à douze tribunaux des activités économiques ainsi que la création d'une contribution pour la justice économique versée lors de l'introduction de l'instance devant le TAE par le demandeur et destinée à soutenir le financement du service public de la justice.
La commission a adopté ces dispositions avec quelques modifications portant tant sur la composition que sur les compétences du TAE. Elle a fait le choix de ne pas réintroduire la présence du magistrat professionnel supprimée par le Sénat et a pris acte des réserves exprimées par les juges consulaires et les syndicats de magistrats.
S'agissant des compétences, elle est revenue sur quelques extensions introduites par le Sénat en matière de baux commerciaux et surtout de procédures collectives pour les professions réglementées du droit.
Nous aurons l'occasion de débattre des agriculteurs qui me semblent avoir toute leur place dans la construction d'une justice économique en France, à condition qu'ils soient représentés au sein de la juridiction. Je présenterai un amendement en ce sens.
Pour ce qui concerne les associations, je suis plutôt réservé quant à la possibilité de les attraire toutes devant le TAE pour traiter de leurs difficultés économiques. De mon point de vue, il faut distinguer celles qui ont des activités économiques de celles qui n'en ont pas. Là encore, le débat en séance sera très utile pour fixer le juste périmètre du TAE.
La commission a également adopté un amendement, dont je partage la paternité avec Philippe Gosselin, qui exonère toutes les entreprises de moins de 250 salariés du versement de la contribution pour la justice économique. Je vous proposerai en séance un amendement qui étend le champ des exonérations, au-delà des seules entreprises, à toutes les personnes physiques et morales comptant moins de 250 salariés.
Je terminerai par le statut des magistrats non professionnels. Cette réforme de la justice apporte des adaptations bienvenues permettant d'harmoniser les statuts des juges consulaires et des conseillers prud'homaux, notamment s'agissant du régime des sanctions, des déclarations d'intérêts ou de la formation initiale. Le texte prévoit un alignement de l'âge maximal pour exercer les fonctions de conseiller prud'homal sur celui fixé pour les juges consulaires. Il limite à cinq le nombre de mandats consécutifs qu'un conseiller prud'homal peut exercer dans un même conseil. Afin d'éviter une application trop abrupte de cette mesure, je proposerai un amendement destiné à en différer l'entrée en vigueur jusqu'au prochain renouvellement général des conseillers prud'homaux, à la fin de l'année 2025. Cet assouplissement permettra aux organisations représentatives des employeurs et des salariés de s'adapter et de se préparer. Enfin, à mon initiative, la commission a adopté un amendement allongeant de deux à six mois le délai de dépôt des déclarations d'intérêts des conseillers prud'homaux, afin de rendre la disposition applicable et efficace.
Comme vous le voyez, la commission a approuvé et renforcé les grandes orientations du projet de loi en matière de justice commerciale et sociale. Je suis confiant dans le fait que notre assemblée adoptera ces différentes dispositions avec les quelques ajustements que j'ai évoqués.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
La parole est à M. Didier Paris, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour le projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire.
Notre époque est tristement marquée par une défiance généralisée à l'égard de nos institutions et une remise en cause de l'état de droit et de l'État républicain qu'une partie de la classe politique elle-même va jusqu'à dangereusement terroriser – pardon, théoriser, quoiqu'en l'occurrence, les deux verbes puissent s'employer – et mettre en pratique. La justice, rendue au nom du peuple français, n'y fait malheureusement pas exception. Face aux défis et aux incertitudes auxquels elle est confrontée, son salut tient en grande partie dans sa capacité à s'adapter, d'une certaine façon, à se remettre en cause et à dialoguer, selon des règles propres, avec la société et les pouvoirs publics. C'est à ce prix, sans compromettre son indépendance et son impartialité, qu'elle pourra accomplir la mission essentielle qui est la sienne. C'est un impératif d'autant plus grand que l'attente de justice reste, paradoxalement, toujours aussi forte chez nos concitoyens.
C'est à relever ce défi majeur pour notre démocratie que se sont employés, depuis plusieurs années, notre majorité et le Gouvernement. Cette action, née d'une volonté forte et décisive exprimée par le Président de la République, a pris la forme des états généraux de la justice qui ont été suivis par un plan d'action particulièrement ambitieux du ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, dont nous trouvons une traduction dans les deux textes que nous examinons. Nous poursuivons ainsi le patient et indispensable travail de restauration de notre justice, conformément aux engagements que nous avons pris.
Nous attendons, sur tous les bancs de cet hémicycle, un consensus autour des efforts budgétaires sans précédent qui ont été consentis, des perspectives hors normes de recrutement qui ont été tracées, des évolutions réglementaires annoncées, en particulier s'agissant de la réforme fondamentale de la médiation en matière civile ainsi que de la déconcentration et du dialogue de gestion que vous préconisez, monsieur le ministre. Ces changements de paradigme ne seraient toutefois pas complets s'ils n'étaient pas accompagnés de nouvelles transformations du corps judiciaire.
Recruter en quelques années 1 500 magistrats supplémentaires, c'est nécessairement continuer à faciliter l'accès des professionnels à la magistrature, rendre les carrières plus attractives, assouplir encore le lien entre grades et fonctions, mieux évaluer le rôle essentiel des magistrats en matière de gestion et de ressources humaines et reconstruire le dialogue social sur des bases solides. Ce sont quelques-uns des fondamentaux du texte auxquels les magistrats veulent croire.
Ne nous y trompons pas, la dernière réforme d'ampleur du statut de la magistrature remonte à plus de vingt ans, pour être exact, à la loi organique du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature. Avec ce projet de loi organique, il s'agit rien de moins que de changer en profondeur les règles concernant l'accès au corps judiciaire et sa structuration, tout en lui apportant de fortes garanties sur le plan de l'indépendance et de la stabilité.
Il importait de prendre en compte les demandes exprimées au cours des états généraux comme de suivre les suggestions du CSM concernant un affermissement de la responsabilité des magistrats. C'est ainsi que la loi organique prévoit une reformulation du serment des magistrats, l'élaboration d'une charte de déontologie, une diversification accrue de l'échelle des sanctions ainsi qu'une amélioration sensible de l'exercice du droit de plainte des justiciables.
Assurer plus d'efficacité et plus de transparence pour plus de confiance, tout en maintenant un système suffisamment équilibré pour ne pas perturber l'activité des magistrats ni attenter, de quelque façon que ce soit, à leur indépendance, tels sont les objectifs poursuivis.
Le Sénat, en première lecture, a opéré un travail de fond auquel il faut rendre hommage. Notre commission des lois, en lien avec le Gouvernement, n'a cependant pas été en reste. Nous avons pu rectifier ou améliorer – de manière plutôt consensuelle, il faut le souligner – de nombreux dispositifs comme l'encadrement de la liberté syndicale des magistrats, que le Sénat voulait lier à un critère d'impartialité, ce qui revenait, pour beaucoup d'entre nous, à le vider de son sens. Nous avons également restauré certains équilibres afin d'assurer une meilleure garantie d'indépendance du corps judiciaire, notamment en prévoyant la présence majoritaire des magistrats dans les nouveaux jurys ou collèges d'évaluation. Nous avons eu aussi à cœur de maintenir le rôle spécifique du ministre de la justice, en particulier dans le nouveau schéma de responsabilité des magistrats.
Pour toutes ces raisons, j'ai la conviction que les évolutions à la fois internes et externes du corps judiciaire contenues dans ce projet de loi organique répondent parfaitement aux exigences de qualité et d'efficacité de notre justice et s'imbriquent pleinement dans le large plan d'action mis en œuvre par Éric Dupond-Moretti. Notre groupe y sera, bien évidemment, favorable.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Nous avons une grande responsabilité et nous ne devons pas nous y dérober. L'enjeu de ce projet de loi de programmation de la justice est tout simplement de rétablir l'autorité judiciaire en lui donnant durablement un budget digne de ce nom.
Je veux en préambule, monsieur le garde des sceaux, saluer les efforts accomplis par vos prédécesseurs, Christiane Taubira, Jean-Jacques Urvoas et surtout Nicole Belloubet qui, en leur temps, ont fait leur possible.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem. – Mme Cécile Untermaier applaudit également.
L'effort consenti à travers ce projet de loi ordinaire est sans précédent et fait suite à trois augmentations successives du budget de la Chancellerie depuis 2020, de 8 % par an chacune. Avec 7,5 milliards d'euros supplémentaires de 2023 à 2027, soit l'équivalent d'un sixième budget en un quinquennat, plus personne ne pourra parler de « clochardisation » du ministère de la justice.
Ce texte contient beaucoup de plus et, selon l'expression consacrée, « le plus, c'est tout simplement différent du moins ». Il fournit aussi la démonstration que, pour une fois, le mieux n'est pas l'ennemi du bien.
Saluons d'abord la méthode sur laquelle il repose. Il est fondé sur la plus grande étude d'impact jamais réalisée : les états généraux de la justice, consultation majeure ayant réuni les acteurs et les métiers du droit jusqu'au justiciable lui-même. Sur ce point, notons-le, je n'ai jusqu'à présent pas entendu pas la moindre critique.
Désormais, il est primordial de traduire au niveau législatif les recommandations du comité des états généraux. Voici venu le temps de le faire et, je le redis, j'appelle chacun d'entre vous à ne pas se dérober face à la responsabilité qui lui incombe : voter en faveur de ces projets de loi.
De quoi s'agit-il exactement ? Rendre la réponse pénale plus efficace, simplifier la procédure pénale, accélérer drastiquement les délais de la justice civile, moderniser la justice commerciale et mieux reconnaître la justice administrative.
Les chiffres, vous les connaissez, mais ils méritent d'être rabâchés à l'envi car, n'en déplaise à certains, nous en sommes extrêmement fiers. Sont prévus 10 000 emplois supplémentaires d'ici à 2027, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers, des augmentations salariales et des changements de grilles indiciaires, y compris pour les agents pénitentiaires, que je salue. Nous avons travaillé, dès le stade des débats en commission, en nous assurant qu'aucune voie de recrutement n'est oubliée, pas même celle des docteurs en droit pour ce qui est de l'accès à la magistrature.
Ces personnels supplémentaires viendront renforcer les réformes entreprises par notre majorité. Le recrutement en nombre significatif des futurs attachés de justice sera déterminant pour structurer les équipes juridictionnelles. Les magistrats supplémentaires viendront également renforcer les futurs pôles spécialisés en matière de lutte contre les violences intrafamiliales. Là encore, nous mettons les moyens à la hauteur de nos ambitions. Des crédits supplémentaires doivent en outre permettre à la justice de poursuivre sa transformation numérique, chantier d'ampleur comme l'a révélé la crise sanitaire.
Notre ambition de simplifier la procédure pénale ne se limite pas à de simples mots. Le texte prévoit la refonte du code de procédure pénale, à droit constant, j'insiste sur ce point car certains ont du mal à l'entendre et préfèrent instrumentaliser tout ce qui peut l'être afin de se dérober à leurs responsabilités.
Je n'ai pas besoin de m'étendre sur le constat partagé par tous : le code de procédure pénale est devenu illisible, avec des articles inintelligibles regorgeant d'incohérences sous l'effet de multiples renvois – je vous en épargne la litanie. Je me réjouis donc de la perspective de sa refonte et salue la méthode proposée par le Gouvernement d'associer à ces travaux l'ensemble des groupes parlementaires, démarche qui a fait ses preuves lors de la création du code de la justice pénale des mineurs.
J'en appelle aussi à votre responsabilité, chers collègues, pour ce qui concerne nos prisons. C'est la création de 15 000 places en dix ans que nous visons. C'est tout à la fois un impératif de salubrité publique et une exigence d'ordre public. Nous ne céderons ni à la surenchère sécuritaire de ceux qui demandent toujours plus de places sans jamais accorder le moindre permis de construire,…
…ni à la béatitude et à l'hypocrisie de ceux qui refusent de reconnaître les efforts faits pour aménager les peines ou réinsérer les détenus, comme en témoigne le contrat conclu récemment.
J'avance rapidement sur la place nouvelle confiée à notre justice commerciale. Nous avons entendu les inquiétudes des juges consulaires, mais j'attends aussi qu'une réflexion soit engagée par la conférence des présidents des tribunaux de commerce sur les procédures à juge unique comme les référés.
J'évoquerai brièvement la réforme de la procédure civile, dont nous ne débattrons que peu car elle est d'ordre réglementaire, me contentant de saluer les deux décrets qui la soutiennent.
Enfin, je souhaitais m'exprimer sur le titre relatif aux juridictions administratives et financières. Nous avons introduit par amendements des modifications, notamment la prestation de serment, par lesquels nous souhaitons reconnaître la qualité de juge de plein office aux juges administratifs, qui ont largement démontré qu'ils en étaient dignes, notamment à travers le contentieux lié à la crise sanitaire.
Voilà la tâche qui nous attend désormais. Je l'ai suffisamment dit, la responsabilité est entre vos mains, entre nos mains. Il s'agit de doter enfin la justice de moyens dont elle a besoin. C'est ce que nous nous apprêtons à faire ici et maintenant.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
J'ai reçu de Mme Mathilde Panot et des membres du groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale une motion de rejet préalable du projet de loi de programmation et d'orientation de la justice 2023-2027, déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
Sans justice, pas de paix. La justice est essentielle au bien-vivre ensemble. Elle est là quand tous les autres services publics n'ont pu accomplir leurs missions, résoudre les conflits et protéger les citoyens. Ce service public hors normes est l'ultime recours des couples qui se séparent, des familles qui se disputent, de la jeunesse en danger ou délinquante, des enfants abusés, des femmes violentées, des salariés abusivement licenciés, des victimes de voleurs, d'escrocs ou d'assassins, de scandales sanitaires, de catastrophes ou de terrorisme.
En définitive, elle est saisie de tous les drames, petits ou grands, vécus par les membres de la société. C'est pourquoi nous attacherons toujours une extrême importance aux textes qui y ont trait.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
On dit souvent que, dans notre pays, la justice fait l'objet d'une aspiration légitime.
Faisons un effort de mémoire. Nous avons perdu cinq ans. En effet, je vous ai tous et toutes entendus à cette même tribune en 2018, à l'occasion de l'examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Vous nous expliquiez que, grâce aux moyens engagés, la justice serait enfin d'aplomb pour faire face aux grands enjeux de la société.
Que s'est-il passé depuis ? Trois ans plus tard, les états généraux de la justice sont lancés pour réparer, enfin, la justice – je pensais qu'elle l'était déjà ! J'avais poliment écouté le garde des sceaux nous exposer tout le bien qu'il pensait de sa propre politique et je finissais même par être convaincu, jusqu'à ce que paraisse une tribune signée par 3 000 magistrats, à la suite du suicide de l'une de leurs collègues, à Lille. Des mobilisations historiques des personnels de la justice ont eu lieu ensuite. Cela aurait dû vous inciter à mener une politique plus humble et à vous efforcer de faire au mieux, au lieu de fanfaronner et de pétarader en vous vantant de vos prétendus succès !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Vous vantez un budget historique de 7,5 milliards d'euros supplémentaires : c'est pourtant moitié moins que ce qu'a obtenu Gérald Darmanin pour le ministère de l'intérieur.
Mais la vraie question, c'est un budget historique pour quoi faire ? Pour prolonger une justice de classe ? Non. En tout cas, ce sera sans nous.
Les projets de loi d'orientation et de programmation soulèvent des interrogations, par-delà leurs simples montants : parce que vous n'achèterez personne en ne proposant que de l'argent.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Or si l'on examine ces projets de loi dans le détail, on ne sait jamais précisément où va l'argent – d'ailleurs, s'agissant de ce texte, nous ne disposons d'aucun détail ! On nous indique vaguement quelques pistes, telles que la nécessité de construire des places de prison – nous l'avions bien compris. Pour le reste, on repassera.
Comment seront recrutés les 1 500 magistrats ? On verra bien : surtout par le biais de passerelles. Où seront-ils affectés ? On verra plus tard. Pour faire quoi ? Ce qui aura été inscrit dans le présent texte, éventuellement – et encore, on ne sait pas exactement.
Permettez-moi de citer un seul exemple : lorsque, dans le cadre du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, Nicole Belloubet avait fait la promesse d'engager 1 milliard d'euros en faveur du numérique, je m'y étais déclaré très favorable, ajoutant que c'était toujours ça de pris et que, lorsque nous gagnerions les élections en 2022 – ce qui n'a malheureusement pas été le cas –,…
Nous n'avons pas gagné, c'est vrai. Toutefois, où est passé ce milliard destiné à la transformation numérique ? On nous explique péniblement qu'une application pour smartphone permet d'obtenir une simulation en ligne de l'aide juridictionnelle, fonctionnalité pourtant déjà disponible depuis plusieurs années sur www.service-public.fr et accessible sur n'importe quel smartphone actuel. Ce n'est pas cela, l'enjeu de la justice, et encore moins celui du numérique. J'ai remarqué qu'il était possible de donner son avis sur cette nouvelle application, par le biais d'un bouton. Je ne suis pas sûr d'avoir actionné le bon, mais je vais vous donner l'avis de mon groupe.
Comme je viens de le dire, il convient de savoir ce que vous comptez faire de ce budget historique, notamment en matière de justice civile, qui représente 70 % de l'activité.
Or qu'y a-t-il dans le texte ? Des promesses. Dans le rapport annexé, vous promettez de réaliser des travaux réglementaires. Le ministre dit nous avoir envoyé le décret correspondant : personnellement, je n'en ai pas vu la trace, mais je ne doute pas qu'il nous parvienne à un moment ou à un autre. Néanmoins, il ne fera pas l'objet d'un débat, ce qui est étrange. D'ailleurs, l'instauration de la césure du procès civil est un thème intéressant, dont nous aurions pu débattre, mais nous n'en parlerons pas. Il en est de même des modes alternatifs de règlement des différends et des litiges : nous avions pourtant eu un long débat sur ce sujet, qui était au cœur de la loi de programmation 2018-2022 de Nicole Belloubet, avec la promesse que tout irait mieux dans le pays – ce qui reste à démontrer ; ou, plutôt, la démonstration inverse a été faite.
On peine à trouver le bilan. On se dit finalement que les états généraux de la justice avaient vu juste, lorsqu'ils suggéraient de réinvestir les modes alternatifs de règlement des différends et des litiges. Sauf que l'objectif n'était pas de les rendre obligatoires préalablement à la procédure et payants, ni de recourir à des conciliateurs de justice malheureusement inaccessibles, de sorte qu'il faut bien plus de temps pour résoudre un litige.
Vous voulez raccourcir les délais de la justice judiciaire mais, pour le justiciable, ce sera plus long ! Belle trouvaille que celle de la gestion des flux et des stocks ! Elle est devenue votre boussole : en petits comptables que vous êtes, vous vous efforcez de fermer le robinet entrant, d'ouvrir le robinet sortant et d'accélérer la moulinette, avec des sucres rapides, pour constituer une équipe autour du magistrat. Vous le faites dans la précipitation, le covid ayant fait la démonstration – une fois de plus – que la justice est à bout de souffle : vous recrutez des contractuels d'abord pour trois mois, puis la bataille s'engage, vous les recrutez alors pour six mois, puis la bataille continue et vous les prolongez jusqu'à trois ans, renouvelables une fois.
Maintenant, vous créez la fonction des attachés de justice. Il y a quelque chose qui cloche !
Cela ressemble à du bricolage par construction. Tant mieux pour ceux qui sortiront un peu de la précarité. Néanmoins, adoptons une vision d'ensemble : y a-t-il vraiment un consensus et un accord sur le rôle du magistrat qui deviendra, demain, le manager d'attachés de justice qui prépareront les décisions ? Jusqu'à présent, ce rôle incombait au magistrat.
Vous voulez constituer une équipe autour de lui ? Il aurait mieux valu une équipe de magistrats. Vous auriez pu tracer cette autre perspective !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Et s'il faut des gens pour entourer le magistrat, je rappelle qu'il y a des personnes qui s'appellent des greffières et des greffiers !
Ils ont une robe avec un rabat mais, bien qu'ils ressemblent un peu aux autres, ce ne sont pas les mêmes. D'ailleurs, certains sont en grève en ce moment même.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Vous dites, monsieur le garde des sceaux, que la justice est mobilisée. Vous avez raison ! Belle allusion à la mobilisation des greffières et des greffiers ! Je rappelle que des postes de greffiers assistants de magistrats (GAM) existent – assistants de magistrats, cela ressemble bizarrement à attachés de justice, non ? Or que croyez-vous qu'il se passe dans les juridictions ?
On demande aux greffiers, s'ils veulent continuer à assumer cette fonction, de devenir attachés de justice. Voilà ce qu'on leur dit, alors qu'ils se battent depuis des années afin d'obtenir une plus juste reconnaissance, de progresser au sein du ministère et d'exercer auprès du magistrat – et non pas à sa place. Le greffier authentifie la procédure, dont il est le garant, et il est indépendant du magistrat. C'est ce qui permet de faire tourner l'organisation judiciaire correctement.
Pour appeler votre attention, monsieur le garde des sceaux, ils ont détourné une chanson – vous me pardonnerez si je chante très mal, mais je suis sûr que vous la reconnaîtrez.
Protestations sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.
Je ne reprendrai que deux couplets, pour ne pas perdre trop de temps : « Oh dis-moi, regarde-moi ! Je ne sais plus comment aimer mon boulot de greffier. Parle-moi… »
Ce n'est pas un one man show ici ! Nous sommes à l'Assemblée nationale !
Voilà comment les greffiers se sont exprimés devant les tribunaux à Lille et partout en France, pour appeler l'attention du garde des sceaux…
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES
…parce qu'ils ont l'impression d'être les grands oubliés de cet enchaînement de bricolages, alors qu'on nous avait promis une grande réflexion.
Enfin, en ce qui concerne la planification, on repassera ! À Lille, par exemple, un nouveau projet de tribunal était dans les cartons. Savez-vous ce qu'il s'est passé ? Ils ont cherché un deuxième bâtiment où installer les personnels. Et comme de nouveaux recrutements sont annoncés, ils cherchent maintenant un troisième bâtiment. Belle anticipation et belle organisation, en effet ! C'est précisément ce qui me fait dire que cinq ans ont été perdus : nous vous alertions déjà, il y a cinq ans, à cette tribune. Et les mêmes personnes méprisantes qu'aujourd'hui nous expliquaient qu'elles savaient gérer et que tout irait mieux.
Par conséquent, nous ne soutiendrons pas ce projet de loi d'orientation et de programmation, car il ne va pas dans la bonne direction, même si, nous en convenons, il engage quelques moyens supplémentaires. Observons toutefois ceux-ci de plus près : il y a l'aspirateur géant de la prison, qui aspire tous les crédits. Hop !
Ce qui fait qu'il n'en reste pas beaucoup pour les autres. C'est là une signature politique : construire des places de prison, incarcérer des gens, tenir la société comme elle est, maintenir votre ordre public, sans justice sociale. C'est une véritable signature !
Vous entretenez l'effet cliquet, y compris en matière de procédure. Désormais, il sera possible de mener des perquisitions de nuit, d'utiliser n'importe quel objet connecté pour vous écouter ou vous observer.
Il sera possible d'incarcérer bien plus rapidement. Permettez-moi de faire un petit point…
…sur l'administration pénitentiaire. Deux mille quatre cents personnes dorment sur des matelas à même le sol. J'interpelle les collègues macronistes qui avaient promis, dans le cadre de la loi de programmation 2018-2022, de supprimer les courtes peines, de diminuer le nombre d'incarcérations et, par un effet de vases communicants, de parvenir à l'encellulement individuel grâce à la construction de places de prison ! Vous nous avez fait voter, au détour d'un projet de loi de finances, la prolongation du moratoire qui repousse l'application de cette mesure jusqu'en 2027…
…faisant de nouveau la promesse que, grâce à votre politique, nous y arriverions. C'est du grand n'importe quoi ! Imaginons que le pays s'embrase.
Protestations sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.
Imaginons que vous soyez contraints d'interpeller et d'incarcérer en masse. Cela poserait problème, au-delà des 2 400 matelas au sol.
« Oh ! » sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.
Regardez comment à Gradignan, le chef de la maison d'arrêt en est arrivé à demander un « stop écrou ». Croyez-vous que les surveillants, les accompagnants associatifs, les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation travaillent correctement avec une telle surpopulation en détention ? Non !
Il faut donc instaurer un mécanisme de régulation carcérale,…
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Cela aurait dû être le cœur de votre réflexion, notamment en matière d'administration pénitentiaire. Mais non. Les états généraux n'auront pas suffi, alors qu'ils proposaient la mise en place de ce mécanisme.
Ce n'est pas vrai.
J'espère que chacun prendra ses responsabilités et votera les amendements qui proposent un tel mécanisme.
Cela ne vous empêchera pas, collègues de droite, de dire qu'il manque des places de prison et qu'il faut incarcérer davantage. D'ailleurs, vous connaîtrez le nombre de personnes libérées par anticipation puisque vous avez voté le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, qui prévoit la libération sous contrainte lorsque le reliquat de peine est inférieur ou égal à trois mois, libération automatique sans conditions. Il vous reste moins de trois mois ? Allez-y, vous pouvez sortir. Et vous rejetez un mécanisme de régulation carcérale qui s'appuierait sur l'intervention d'un juge d'application des peines et respecterait une certaine logique ? Réfléchissez un instant ! Allez au bout de vos convictions. Que ferez-vous lorsque 4 000 détenus dormiront sur un matelas posé sur le sol…
Je terminerai en soulignant que le sens de ce projet de loi est, en définitive, assez clair et symptomatique : vous appliquez, avec pointillisme, la nouvelle gestion publique – new public management –, pour obtenir une gestion optimale des stocks – peu importe ce que deviendront les dossiers et les gens concernés, l'important étant que ceux-ci avancent et accélèrent. Vous confondez, comme d'habitude, vitesse et précipitation. Lorsque j'entends dans votre bouche le mot célérité, je pense justice d'abattage.
Compte tenu du fonctionnement des comparutions immédiates, on comprend que le ministère de la justice aura fort à faire. Mais vous ne prenez pas la bonne direction. Et si vous aviez été honnêtes, vous auriez publié le nombre de magistrats nécessaires, juridiction par juridiction. Nous aurions pu nous assigner collectivement cette feuille de route ,
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES
alors que vous vous contentez d'annoncer le recrutement de 10 000 personnes : 1 500 magistrats – débrouillez-vous pour les affecter ; 1 500 greffiers – que les sénateurs ont essayé de porter à 1 800, mais, même cela, c'était de trop.
Au final, ce sera sans nous. C'est pourquoi nous avons déposé cette motion de rejet préalable.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Je vous informe que sur la motion de rejet préalable, je suis saisie par les groupes Renaissance et La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Jean Terlier, rapporteur.
Monsieur Bernalicis, ce discours de plus de quinze minutes nous a donné un exemple supplémentaire de la lamentable politique de la terre brûlée que pratique votre groupe. Vous ne vous préoccupez nullement du fond du texte.
Certains ont récemment désigné votre parti sous le nom de « La France incendiaire » ; je partage leur avis.
Mme Blandine Brocard et M. Benoit Mournet applaudissent.
Il est difficile d'avoir cette discussion à ce stade de l'examen du texte. Je pense qu'au fond de vous, vous regrettez sincèrement…
…de ne pas avoir voté les budgets successifs grâce auxquels les moyens alloués à la justice ont connu une hausse historique de 54 % au total depuis 2017. Les deux lois de programmation du ministère de la justice proposées sous la XV
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Ce n'est même pas le budget : avec l'augmentation du point d'indice, il est déjà planté.
En proposant de rejeter ce projet de loi, vous balayez d'un revers de main la création de 10 000 postes visant à renforcer le service public de la justice.
Vous dites, avec beaucoup de mépris, que les attachés de justice seront des sous-magistrats…
…et qu'ils ne faciliteront en rien le processus de prise de décision des magistrats. Si vous aviez interrogé les présidents de juridiction de votre circonscription, ils vous auraient expliqué que les attachés de justice joueront dans la procédure judiciaire un rôle fondamental, en complément du travail des greffiers.
Si vous aviez participé aux auditions préalables à l'examen du texte en commission, vous auriez entendu les représentants de l'École nationale de la magistrature et de l'École nationale des greffes (ENG)…
…assurer qu'il sera possible, grâce à l'augmentation substantielle des moyens de la justice que nous prévoyons, de former en cinq ans 1 500 magistrats et 1 500 greffiers.
Il n'est pas sérieux de balayer tout cela d'un revers de la main. En déposant cette motion de rejet, La France insoumise montre une fois de plus qu'elle n'est pas à la hauteur des attentes de nos concitoyens.
Pour fonctionner, la justice a besoin de l'augmentation budgétaire significative que promeut le texte.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Chers collègues Insoumis, voilà votre dix-neuvième motion de rejet en un an. Pour rappel, une motion de rejet signifie le refus du débat.
Exclamations prolongées sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
C'est le refus d'amender et d'améliorer le projet de loi. Cela revient à dire que le texte n'apporte rien, ne correspond à aucun enjeu de société. Alors que la justice a besoin d'une augmentation de ses moyens, vous montrez qu'il ne s'agit pas d'un enjeu pour vous.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Que direz-vous aux greffiers, aux magistrats, aux surveillants pénitentiaires ?
Que la revalorisation de leur rémunération ou de leur statut n'est pas un enjeu ? Déclarerez-vous dans vos circonscriptions que vous refusez d'accorder à la justice l'augmentation budgétaire la plus considérable de son histoire – la hausse de 60 % de ses moyens en dix ans, le recrutement de 10 000 agents et le recrutement de 1 500 magistrats, c'est-à-dire davantage que pendant les vingt dernières années réunies –, car ce n'est pas un enjeu pour vous ?
Vous direz certainement que vous avez bien fouillé le texte et que, parmi ses mille alinéas, vous avez trouvé un truc qui vous chagrine, concernant par exemple le numérique ou encore la fonction d'assistant de justice.
Vous direz aussi que les dispositions qui concernent les techniques spéciales d'enquête vous ont paru bizarres – parce que la lutte contre le crime organisé et le terrorisme ne constitue pas un enjeu pour vous.
Soyez cohérents : vous nous demandez de voter vos amendements, mais également de rejeter le texte ! C'est la preuve que vous ne considérez pas la justice comme un enjeu suffisamment sérieux pour sortir de votre posture habituelle.
Vous montrez ainsi une fois de plus que nos débats, pour vous, ne sont qu'un jeu !
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Chers collègues, M. Bernalicis a pris la parole pendant quinze minutes au nom de votre groupe ; merci d'écouter en retour les explications de vote.
Je vous demande un peu de calme.
La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy.
Le projet de loi ne mérite ni excès d'honneur ni l'indignité dont M. Bernalicis prétend l'affubler. Au vu de la énième motion de rejet préalable déposée par La France insoumise, je me remémore les mots d'Oscar Wilde : « La caricature est l'hommage que la médiocrité paie au génie. »
Rires sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Quelle caricature que la NUPES, face au génie de la V
C'est pour mieux refuser tout débat en raison, car, pour débattre en raison, il faut respecter les institutions – que vous piétinez –…
…ainsi que vos collègues et vos adversaires politiques – que vous méprisez, voire que vous haïssez. Pourquoi les Insoumis et la NUPES discuteraient-ils des moyens de la justice, alors qu'ils ont inventé des procédés si indignes pour la déshonorer ? Avec vos comités de copinage et vos règlements de compte en direct à la télévision, vous avez humilié ceux qui luttent depuis des années contre les violences faites aux femmes !
Ça, c'est vrai !
Pour qui vous prenez-vous, vous qui croyez que vos groupuscules peuvent manier le glaive de la justice ?
Pire encore : à quoi bon disposer d'une justice républicaine quand M. Mélenchon, M. Guiraud ou M. Boyard s'érigent en Minos, Éaque et Rhadamanthe de carnaval, juges des enfers gauchistes, prêts à salir tous les jours l'honneur des forces de l'ordre sur le fondement d'une seule vidéo
Applaudissements sur les bancs du groupe RN
et à appeler aux émeutes, avant de pleurnicher en voyant les conséquences de leurs actes ? Pour qui vous prenez-vous, immenses égos sur pattes, pour ignorer que vous n'avez d'autre devoir que d'appeler au respect de la République ?
Votre zadisme parlementaire est un cocktail molotov qui explosera entre vos mains de petits-bourgeois.
Vous vous rêvez héritiers de la Révolution ; vous n'êtes, au mieux, que des rejetons de Mai 68 en manque de vues sur TikTok !
Je finirai comme j'ai commencé, par une référence à Oscar Wilde. Prenez garde, collègues Insoumis, au portrait de votre mandat : il est défiguré par votre haine de la France !
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Qui dit loi de programmation dit engagement financier précis. De ce point de vue, le compte n'y est pas.
Qui dit loi d'orientation dit stratégie visant une justice forte, républicaine et équitable. Nous nous réjouissons évidemment de l'embauche prévue de personnels de justice, particulièrement de magistrats, mais celle-ci reste insuffisante pour définir une stratégie judiciaire nationale.
M. Antoine Léaument applaudit.
Ainsi, à notre appel à la déflation et à la régulation carcérales, absolument nécessaires, M. le garde des sceaux répond par l'ouverture de 15 000 places supplémentaires en prison, qui seront évidemment remplies au fur et à mesure de leur création.
À la rectitude de la justice, vous opposez comparution immédiate et sévérité, au mépris des droits les plus élémentaires de la défense et sans même considérer le caractère réparateur de la peine, qui – j'ose le dire – lui donne son sens. Enfin, comme nous y a habitués ce gouvernement qui a peur du peuple, vous apportez votre pierre à l'édifice de la société de surveillance généralisée
M. Antoine Léaument applaudit
en banalisant les perquisitions de nuit et surtout en permettant l'activation à distance de tout objet connecté,…
…au mépris de libertés fondamentales comme le droit à la vie privée. C'est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, nous vous invitons à revoir votre copie et à remballer votre projet de loi. Quant à nous, nous voterons la motion de rejet préalable.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Monsieur Bernalicis, nous vous avons connu meilleur, et pas seulement en chant. Votre discours tombait un peu à plat. Puisqu'il traitait du grave sujet de la justice rendue au nom du peuple français, nous étions en droit d'attendre mieux. À force d'user et d'abuser des motions de rejet, vous banalisez cette procédure comme votre groupe.
Dans un contexte où l'ensemble du pays est sous pression, il vaudrait mieux montrer un sens de la responsabilité plus aiguisé, au lieu de multiplier les insoumissions à géométrie variable.
Vous qui aimez donner des leçons, vous feriez mieux de vous pencher sur la situation réelle de la justice, qui est encore, pour une part, clochardisée.
« À qui la faute ? » sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Ce projet de loi n'est pas la panacée – j'y reviendrai lors de la discussion générale –, mais les députés du groupe Les Républicains souhaitent que le débat se poursuive.
Nous le devons à nos concitoyens, aux victimes et tout simplement à la justice, car celle-ci est indispensable à notre démocratie. Nous ne saurions sans cesse différer cette question, ce que vous souhaitez faire, car, comme tout le monde l'a bien compris, vous faites votre miel du bazar, du fourbi et de la bordélisation.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Si je devais résumer en deux mots les projets de loi en discussion, je dirais : volonté politique. C'est ce qui anime depuis six ans notre effort pour mettre fin à plusieurs décennies d'abandon politique du système judiciaire, laissé dans un état de délabrement insupportable. Les Français doutent de la justice et les magistrats peinent à exercer correctement leur mission.
Si je devais ensuite, collègues Insoumis, résumer la méthode que vous appliquez à ce texte comme aux précédents, bref votre sape systématique du fonctionnement des institutions, je dirais : énième renoncement politique.
La seule manifestation de votre opposition consiste une nouvelle fois à vouloir bâillonner notre assemblée.
Rires sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Le blabla vide, honteux, méprisant et irresponsable de M. Bernalicis en est le terrible révélateur.
Quel représentant de la nation peut, en conscience, s'opposer à l'allocation de 10 milliards d'euros à la justice ?
Quel représentant de la nation peut, en conscience, refuser le recrutement massif de 10 000 personnes, ou encore la revalorisation statutaire et salariale de nombreux métiers ?
Quel représentant de la nation peut, en conscience, s'opposer à la création de nouveaux postes de personnel pénitentiaire ? Pire encore, quel représentant de la nation peut décemment choisir de voter une motion de rejet préalable de ce texte, alors que notre pays subit de violents troubles ? Je m'interroge, et je suis loin d'être la seule.
Pour notre part, nous avons la certitude que ce texte nous permettra d'envoyer un signal fort à la justice et qu'il est attendu par nos concitoyens comme par ceux qui travaillent pour la justice. Pour toutes ces raisons, il n'est pas question de refuser le débat. Nous voterons évidemment contre la motion de rejet, dans l'intérêt de la justice et des Français.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, RE et HOR.
La motion de rejet fait partie des outils mis à la disposition des députés ; ce n'est faire offense à personne que de l'utiliser.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
D'ailleurs, la majorité a supprimé en 2019 la motion de renvoi en commission, pourtant intelligente, qui permettait d'exprimer l'idée que le texte n'était pas suffisamment abouti. Vous n'offrez donc plus à l'opposition que la possibilité d'une motion de rejet,…
…dont l'utilisation désormais trop systématique conduit, à notre sens, à la déprécier.
C'est pourquoi le groupe Socialistes et apparentés n'a pas déposé de motion de rejet. Nous considérons en effet que le texte est attendu par la population, comme l'a dit M. Gosselin, par les professionnels et par le législateur, qui, en commission des lois, a besoin de débattre de ces questions et de légiférer à leur sujet. En outre, il appartient au législateur de vérifier l'affectation des crédits massifs alloués à la justice, qui nous ont également dissuadés de déposer une motion de rejet. Enfin, nous reconnaissons que le texte poursuit en certains points le travail entamé par Christiane Taubira – je remercie M. Houlié de l'avoir citée – et par Jean-Jacques Urvoas, qui rappelaient la nécessité d'augmenter le budget du ministère de la justice. D'ailleurs, les états généraux de la justice s'inscrivent dans la filiation de la conférence de consensus organisée par Christiane Taubira.
Nous ne voterons donc pas cette motion de rejet, car nous souhaitons la clarté et reconnaissons la nécessité du débat, d'autant plus impérieuse que certains points de désaccord mentionnés par M. Bernalicis méritent d'être éclaircis.
Cela vous surprendra peut-être, monsieur Bernalicis, mais je suis d'accord avec vous sur trois points. Premièrement, le service public de la justice a été trop longtemps relégué au second plan. Deuxièmement, nous manquons de personnels de justice et de personnel pénitentiaire. Troisièmement, il importe de revaloriser financièrement ces professions essentielles.
Alors, que faire ? Selon vous, il ne faudrait même pas débattre, et encore moins adopter ce projet de loi d'orientation et de programmation qui vise à injecter plus de 10 milliards d'euros dans cette institution en souffrance. Il ne faudrait pas prévoir le recrutement de plus de 1 500 magistrats et de 1 500 greffiers. Il ne faudrait surtout pas permettre aux juges d'être épaulés par des attachés de justice, encore moins créer un statut de surveillant pénitentiaire adjoint, alors que nos prisons manquent de personnel.
Chers collègues du groupe LFI – NUPES, les Français ne sont pas dupes : vos contradictions se révèlent un peu plus chaque jour. Vous voulez des milliers de magistrats tout de suite, mais vous nous reprochez l'insuffisance de leur formation. Cette majorité s'est attelée comme aucune autre à réhabiliter ce si beau service public avec conviction et pragmatisme. Nous nous opposerons donc à cette motion de rejet insensée.
Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et RE.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 121
Nombre de suffrages exprimés 120
Majorité absolue 61
Pour l'adoption 23
Contre 97
La motion de rejet préalable n'est pas adoptée.
Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires partage avec regret le constat alarmant qui a été tiré des états généraux de la justice. Les mots sont durs, mais ils correspondent à la réalité : le système judiciaire français est dans un « état de délabrement » tel qu'il est « au bord de la rupture ».
Le projet de loi d'orientation et de programmation qui nous est soumis prévoit une hausse de 9,6 à 10,7 milliards d'euros pour le budget de la justice entre 2023 et 2027. Il faut saluer cette augmentation des crédits – nous en convenons tous –, mais ce budget supplémentaire conséquent ne saurait clore le débat sur la justice de ce pays, bien évidemment. On peut observer malgré tout que l'augmentation du budget consacré à la justice reste limitée, si on la compare avec celle du budget du ministère de l'intérieur.
Au-delà du satisfecit budgétaire global exprimé par le Gouvernement, plusieurs points des deux projets de loi interpellent les membres de notre groupe. D'une part, ces textes comportent des dispositions qui présentent un risque pour les libertés publiques – c'est un débat récurrent. Leur application sur le long terme soulève des interrogations. D'autre part, on ne s'attaque pas suffisamment, selon nous, aux manques d'effectifs dans certains territoires, en particulier pour les juridictions en outre-mer et en Corse. Il faut des effectifs durables et non des mesures temporaires, même si ces dernières, quand elles sont effectives et éclairantes, permettent d'apporter une réponse. Nous demandons des engagements clairs pour ces territoires pour remédier de manière pérenne au manque d'effectifs.
Vous connaissez le contexte corse où le crime organisé, la dérive mafieuse – il faut appeler un chat un chat – doivent être combattus sans relâche, en déployant des moyens dont nous avons besoin, quitte à oser modifier l'arsenal législatif si cela est nécessaire et proportionné. Nous défendons plusieurs amendements importants sur ce sujet grave et le débat continuera sur ce point.
Néanmoins, nous saluons la volonté du garde des sceaux de prendre des mesures pour les territoires exposés à des difficultés d'attractivité : les zones rurales, l'outre-mer et la Corse souffrent d'un manque de personnel. La création du dispositif contractuel de priorité d'affectation pour les magistrats qui accepteront une nomination dans ces territoires peu attractifs va dans le bon sens. Nous espérons que cela participe d'une logique incitative que soutient notre groupe.
Nous avons corrigé en commission le recul voté au Sénat en rétablissant l'article 5 du projet de loi organique. Les sénateurs étaient revenus sur les renforts temporaires de magistrats issus de l'Hexagone, notamment en Corse. Nous le répétons, nous avons besoin d'effectifs permanents plutôt que d'affectations ponctuelles ; cependant, en l'état, ces renforts temporaires sont bons à prendre.
Vous annoncez le recrutement de 1 500 magistrats supplémentaires et d'autant de greffiers. C'est très bien, mais les difficultés de recrutement ne risquent-elles pas d'empêcher le ministère d'atteindre ses objectifs ? À notre sens, il s'agit d'un point crucial. À chaque budget, nous n'avons eu de cesse de souligner le manque d'attractivité des métiers de l'administration pénitentiaire. Nous soutenons votre proposition de créer un statut de surveillant adjoint, mais cette mesure seule ne suffira pas. C'est un travail global qu'il faut mener de fond en comble, tout en s'attaquant au problème de la surpopulation carcérale, au sujet duquel Caroline Abadie a formulé des propositions intéressantes. J'espère qu'elles se concrétiseront durant l'examen de ces projets de loi en séance.
Le groupe LIOT regrette également la densité du texte. L'article 3 du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice comporte plus d'une dizaine de mesures lourdes de conséquences et qui n'ont parfois pas de lien entre elles.
Par ailleurs, si nous soutenons la volonté de réécrire le code de procédure pénale pour le rendre plus lisible, le choix des ordonnances est toujours regrettable.
De manière générale, nous déplorons que chaque texte sur la justice déploie son lot de mesures qui portent une atteinte grave aux libertés publiques. Comme vous le savez, nous sommes opposés à l'article 3. Comment ne pas s'inquiéter de l'activation à distance des téléphones portables et ordinateurs, à l'insu du propriétaire, dans le but de les géolocaliser en temps réel, voire de les mettre sur écoute et de les filmer ?
Jusqu'où irons-nous ? Bien qu'il s'agisse simplement, pour vous, de légaliser des pratiques déjà mises en œuvre, limiterez-vous ces mesures aux grands délinquants ou étendrez-vous ces possibilités de contrôle aux petits délits ?
Comment encadrerons-nous les abus des services d'enquête ? Il y en a eu ; il y en aura, c'est certain.
L'activation à distance nous fait franchir un nouveau cap dangereux ; nous en débattrons. Le Conseil d'État lui-même souligne une « atteinte importante » au droit à la vie privée, tout comme l'extension du recours aux perquisitions de nuit ou encore le recours à la télémédecine en garde à vue.
À ce stade, je ne donnerai pas encore de position globale du groupe sur le vote final des deux textes, car nous attendons la discussion en séance et souhaitons connaître le sort réservé à nos amendements.
M. Ugo Bernalicis applaudit.
Il y a six jours un garçon de 17 ans, Nahel, perdait la vie lors d'un contrôle de police. La France se réveillait sonnée par un drame qui n'aurait jamais dû se produire ; elle compatissait avec les proches et la famille de la victime ; les images de Nanterre nous bouleversaient tous.
Mais rien ne justifie les images qui leur succédèrent. Rien ne justifie les pillages, les incendies, le recours à la violence contre nos forces de police, de gendarmerie et de secours. Je leur adresse au nom du groupe Renaissance tout mon soutien, tous mes remerciements pour l'engagement et le calme dont elles ont fait preuve durant ces nuits d'émeutes dans notre pays.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
Enfin, jamais, je dis bien jamais, un maire ne doit craindre pour sa vie et pour celle de sa famille à son domicile. Au nom du groupe Renaissance, j'adresse mon soutien à Vincent Jeanbrun, maire de L'Haÿ-les-Roses et à tous les élus municipaux en première ligne pour faire face au chaos.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LR, Dem et HOR.
En ce jour profondément dramatique pour notre pays, nous pourrions parler de la politique sociale, du logement, de la parentalité, des réseaux sociaux, de la relation entre la police et la population.
Nous pourrions parler de la politique de la ville ou de l'école de la République…
…mais nous sommes réunis pour parler de la justice, une institution déterminante pour apporter les premières réponses à ces événements.
Notre responsabilité, en tant que décideurs publics, n'est pas d'appeler à l'insurrection comme certains l'ont fait, ni de nous substituer à la justice, qui a agi vite et fortement en procédant, d'une part, à la mise en examen et au placement en détention provisoire du policier auteur du tir contre Nahel et, d'autre part, à 570 défèrements prononcés en trois jours contre des auteurs de violences.
Notre responsabilité consiste à permettre à la justice de faire correctement son travail. Cette majorité sera au rendez-vous en soutenant un projet de loi dont l'ambition est simple mais essentielle : donner enfin à la justice les moyens dont elle a si cruellement manqué pendant des années pour fonctionner. Sur le plan financier, 7,5 milliards d'euros supplémentaires d'ici à 2027 viendront s'ajouter aux augmentations budgétaires successives depuis 2017, de sorte que le budget de la justice aura augmenté de 60 % en dix ans. Ces moyens nous permettront de mieux rémunérer les agents de l'institution judiciaire, d'embaucher 10 000 agents supplémentaires, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers, de créer 15 000 places de prison avec les personnels correspondants, d'agrandir et de moderniser nos palais de justice, de financer l'institution judiciaire pour qu'elle accomplisse entièrement son passage au numérique et gagne ainsi en efficacité et en rapidité.
Pour donner à la justice les moyens de fonctionner, nous pérennisons la construction d'une équipe autour du magistrat en recrutant des attachés de justice, ces fameux sucres lents dont nous avions tant besoin. Nous modifions l'organisation du pouvoir judiciaire par une loi organique afin de permettre au corps judiciaire de s'ouvrir vers l'extérieur et de diversifier les profils de ceux qui l'intègrent. Nous autorisons nos forces d'investigation à recourir à de nouvelles techniques d'enquête plus modernes. Nous interrogerons son organisation actuelle en remodelant le champ d'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD), en transférant les saisies des rémunérations aux commissaires de justice, en développant la médiation en matière civile, en expérimentant le tribunal des affaires économiques et la contribution pour la justice économique. Nous indemnisons les victimes en élargissant le champ des infractions recevables à la commission d'indemnisation des victimes d'infraction (Civi).
Ce projet de loi répond à une nécessité impérieuse. Il contribue à corriger trente années d'abandon de notre institution judiciaire que nous ne pouvons plus décemment laisser perdurer.
Nous avons tous pu le constater durant les jours derniers : où il n'y a point de justice, il n'y a point de République. La justice garantit la paix sociale et notre capacité à faire société ensemble.
Le chaos qui a frappé notre pays et les profondes fractures que cette situation révèle exigent de nous tous un sens de la mesure, de la responsabilité et, j'ose le dire, de l'unité. Je déplore qu'un groupe politique ait déjà fait la preuve de son irresponsabilité en déposant une motion de rejet, cependant je ne perds pas espoir, mes chers collègues, pour que, dans ce contexte dramatique, nous entendions nos concitoyens et nos concitoyennes, que nous donnions un exemple de responsabilité et d'unité en renforçant une institution judiciaire qui en a tant besoin, par l'adoption à une large majorité de ce projet de loi essentiel.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Le projet de loi de programmation comporte-t-il des opérations et des orientations souhaitables ? Oui. Répond-il aux préoccupations de nos concitoyens ? Assurément non. Permettra-t-il de lutter contre l'insécurité, l'ensauvagement et le déferlement de haine que nous subissons ? Non. Incendiaires, émeutiers, pilleurs, casseurs, voleurs, individus ultra-violents encouragés par des pseudo-révolutionnaires inconscients pourront, à l'issue du vote de ces projets de loi, dormir tranquille, surtout la journée.
Ce projet de loi s'inscrit dans la continuité des politiques qui ont abouti à une justice longue, incomprise qui ne contribue plus à garantir la paix sociale et qui n'est pas dissuasive. Monsieur le garde des sceaux, votre exercice de programmation rime avec déclaration d'intention, autosatisfaction, autocongratulation au sujet de mesures qui ne sont pas encore effectives et qui, pour diverses raisons, ne le seront sûrement pas.
Bien entendu, la précédente période de programmation a connu une hausse des budgets. Ce projet de loi de programmation prévoit une progression bienvenue, en début de période, mais qui sera, au demeurant, neutralisée par l'inflation. Toutefois, nul n'ignore que nous partons de loin, tant il est vrai que les quinquennats de MM. Sarkozy et Hollande – et chacun sait que M. Macron a pris une part pour le moins active au second – furent, pour la justice, dix ans de calvaire budgétaire et humain. De plus, les trois dernières années de la période à laquelle s'applique ce projet de loi de programmation seront marquées par la stagnation : le budget de la justice n'augmentera plus, à l'inverse des dépenses et des besoins.
Nous soutiendrons les dispositifs qui permettent de traquer les criminels et la délinquance organisée, notamment à travers des perquisitions de nuit et des techniques modernes d'enquête. Il est inconcevable que les délinquants et le crime organisé disposent des technologies du XXI
Le statut des magistrats est censé être amélioré. Gageons que ces améliorations profiteront aux vrais serviteurs de l'État, qui sont très largement majoritaires, et non à des juges politisés réunis dans un syndicat qui affiche sa haine de la police.
Ce projet de loi ne prévoit rien pour les greffiers ou des mesures en trompe-l'œil. Il ne prévoit rien pour eux qui sont indispensables à l'œuvre de la justice et qui, à l'occasion du début de nos travaux, sont en grève dans les tribunaux et dans les cours de France.
Le projet de loi ne prévoit pas grand-chose pour lutter contre ce qui cause la crainte des Français. Il ne comporte pas un dispositif sur la délinquance des étrangers, pas une idée pour améliorer le traitement des contentieux administratifs, pour aborder le problème central des obligations de quitter le territoire français (OQTF), ou le traitement pénal des délits et des crimes commis par des étrangers souvent en situation irrégulière sur le sol français. Pour ce gouvernement, ce phénomène ne semble pas exister. Dont acte.
Nous continuons bien entendu à soutenir le plan de création de 15 000 places de prison, même s'il devient – il faut le constater – un serpent de mer. Malheureusement, ce plan ne sera pas finalisé dans les délais promis. Il apparaîtra rapidement sous-dimensionné au regard des maux de notre société et eu égard au besoin d'une politique pénale qui doit endiguer la progression continue des violences faites aux personnes tout en garantissant des conditions de détention dignes.
Nous posons une question : pourquoi souhaitez-vous créer des milliers de places de prison alors que vous continuez à promouvoir une politique « zéro emprisonnement », notamment pour les courtes peines ?
Cette politique est de plus en plus visible. Elle accorde aux délinquants une impunité de fait, insupportable pour les Françaises et les Français ; elle érige un mur d'incompréhension entre la justice et la police ; elle est le terreau de la réitération de crimes et de délits. Malheureusement, cette démission est aussi la cause de ce qui se passe dans nos quartiers.
Nous ne pouvons parler de l'administration pénitentiaire sans évoquer les près de 40 000 femmes et hommes qui la servent. Longtemps, ils ont été négligés par l'État, qui a créé les conditions durables de la désaffection de leur métier, et ils pâtissent de conditions de travail de plus en plus dégradées. Les députés du groupe Rassemblement national prennent acte de quelques améliorations, telle l'instauration de la réserve pénitentiaire, mais demeurent opposés à la création d'un statut d'agent contractuel, qui induirait une précarisation, voire une paupérisation des métiers de l'administration pénitentiaire.
Bien entendu, notre vote dépendra des débats et de l'accueil qui sera réservé à nos propositions. Mais d'ores et déjà, il faut le dire, il s'agit d'un projet de loi de faible envergure, dépourvu de colonne vertébrale, d'un dispositif sans cap. En revanche, nous savons que la prochaine loi de programmation de la justice, qui sera examinée en 2027, ouvrira vraisemblablement des perspectives fortes pour aider le pays et enverra les signaux du réveil. Et pour cause, c'est nous qui la proposerons.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Sans justice, pas de paix. Dans le contexte actuel, notre responsabilité de représentantes et de représentants de la nation, élus par le peuple, revêt toute son importance alors que nous débutons l'examen des projets de loi. Compte tenu de l'enjeu, du niveau de défiance des citoyens à l'égard de la justice, de la saturation des tribunaux, de la surpopulation carcérale, le Gouvernement, en engageant la procédure accélérée sur ces projets de loi, envoie un mauvais signal, dès le début de leur examen. En effet, cette pratique, qui devrait être exceptionnelle, est, hélas, devenue la règle.
Bien sûr, se sont tenus au préalable les états généraux de la justice, mais les propositions issues de ces travaux sont quasiment absentes du texte. Puis, il y aurait eu une grande concertation avec les syndicats, qui n'aura été, selon les intéressés eux-mêmes, qu'un coup de com'.
Les quelques avancées que comporte le projet de loi organique en matière de conditions de travail des magistrats ne sauraient effacer les mesures visant à apporter plus de flexibilité dans l'organisation de la magistrature, à recourir à des emplois précaires ou à rehausser la limite d'âge maximal applicable aux magistrats honoraires ou à titre temporaire à 75 ans. Ces dispositions ne constituent pas une réponse pérenne aux besoins et vont à l'encontre des revendications des syndicats que vous refusez d'entendre et même d'écouter, monsieur le ministre.
Mais non !
…dont la motion, adoptée à l'unanimité, invite le gouvernement français à supprimer certaines dispositions disciplinaires prévues à l'article 8, comme la communication des décisions d'irrecevabilité des plaintes des justiciables au ministre, qui pourrait alors ordonner toute enquête contre les magistrats concernés puis saisir lui-même le Conseil supérieur de la magistrature ?
Les syndicats de magistrats alertent également sur les risques de gestion infradisciplinaire et de conflits d'intérêts qu'impliquent ces dispositifs.
Sommes-nous en Hongrie ou en Pologne ?
La situation ne serait pas aussi dramatique si notre actuel garde des sceaux n'était pas mis en examen pour prise illégale d'intérêt devant la Cour de justice de la République, car il est soupçonné d'avoir déstabilisé des magistrats.
Votre projet de loi de programmation révèle aussi que vous n'écoutez personne, monsieur le ministre,…
Mais oui !
…ni les personnels pénitentiaires, ni les greffières et les greffiers, mobilisés en masse pour réclamer une augmentation conséquente de leur grille indiciaire. Vous allez même jusqu'à les provoquer en prévoyant que les agents pénitentiaires pourront rejoindre la réserve jusqu'à l'âge de 67 ans, après le passage en force, à coups de 49.3, de la réforme des retraites, que tout le peuple garde en mémoire.
Monsieur le ministre, trente ans de politique carcérale et pénale inefficace vous contemplent. Les états généraux de la justice, les avocats, les magistrats, le personnel pénitentiaire, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, le Conseil de l'Europe, tous préconisent d'instituer un mécanisme de régulation carcérale. Mais vous restez sourd à la règle de base : « plus on construit, plus on enferme ». Vous préférez annoncer la construction de 15 000 places supplémentaires, cédant aux sirènes de la droite et de l'extrême droite.
Bien sûr !
Dans le sillage de votre collègue ministre de l'intérieur et des outre-mer, vous présentez des mesures liberticides : activation à distance d'appareils connectés sans le consentement de la personne,…
Avec, ce serait compliqué !
…ainsi écoutée et surveillée dans son intimité ; extension du régime des perquisitions de nuit aux crimes de droit commun.
Alors que vous dites que le projet de loi s'inspire directement du rapport Sauvé, celui-ci ne préconise pas ces mesures.
Alors que tous vos personnels exigent plus de moyens, que le peuple demande un service public de la justice plus proche et efficace, vos réponses, qui consistent à reproduire des schémas inefficaces et dépassés, ne témoignent d'aucune audace. Ces textes ne vont pas dans le bon sens. Nous les amenderons afin de leur donner la bonne direction, en espérant être écoutés et ne pas recevoir systématiquement des avis défavorables.
M. Philippe Gosselin s'exclame.
Sinon, on retiendra seulement de ce budget historique qu'il ne représente que la moitié de celui de la police.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
Tout d'abord, en tant que Normand, permettez-moi de rendre hommage au grand monsieur qui vient de nous quitter, Léon Gautier, qui était un grand Normand, un grand Français et le dernier survivant des commandos Kieffer.
Mmes et MM. les députés, ainsi que M. le garde des sceaux, se lèvent et applaudissent.
Je vous remercie pour lui et pour ces hommes qu'il représente. Pardonnez cette transition maladroite, j'en viens au sujet du jour, la réforme de la justice. Elle est examinée dans un contexte bien différent de celui que nous avons connu il y a encore une semaine – je fais évidemment référence à l'ensemble des faits qui se sont produits après la mort de Nahel, notamment aux bâtiments publics saccagés et aux commerces vandalisés. Les députés du groupe Les Républicains, dénonçant les silences coupables des uns et les propos ambigus des autres, appellent à la fermeté et à l'exemplarité. Si les causes sont multiples, des réponses doivent être apportées à court et à moyen terme. Dans l'immédiat, nous ne pouvons faire preuve de faiblesse.
Que dire également de ces élus attaqués ? L'exercice du mandat d'élu local, en particulier de maire, est-il devenu à ce point dangereux ? Après le décès du maire de Signes, la démission du maire de Saint-Brevin-les-Pins, nous avons appris l'attaque de Vincent Jeanbrun, que je salue et que nous soutenons comme, je l'espère, l'ensemble de la représentation nationale. Nous l'accompagnons et pensons à son épouse et à ses enfants.
Applaudissements sur les bancs des groupes LR, RE, RN, Dem et HOR.
Oui, quand la République n'est pas capable de protéger ses élus, elle se met elle-même en danger. C'est la République elle-même que l'on bafoue. Les maires sont les sentinelles de nos petites républiques qui fondent la grande.
En matière de sécurité, il faut garantir une protection exemplaire à tous les citoyens, et prendre des mesures fortes à la hauteur des enjeux, notamment en faveur des victimes. Il faut instaurer et assumer une politique pénale comportant des dispositions fermes qui s'appliquent de manière rapide et systématique.
Nous arrivons au cœur du sujet. Vous nous soumettez un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire. Est-ce la fin de la clochardisation de la justice ? Nous le verrons. Il est vrai que des moyens financiers sont alloués ; nous verrons s'ils sont à la hauteur des enjeux. Nous serons vigilants quant à la bonne exécution des crédits. Les projets de loi consacrent également des moyens humains : 10 000 emplois de magistrats, de greffiers et de surveillants seront créés. C'est un défi important en matière de recrutement, de formation et d'attractivité ; il ne sera pas si facile à relever.
Les projets de loi font également le pari de la réduction des délais de jugement. Ils prévoient une refonte de la procédure pénale, une amélioration des conditions de travail des juges – tout cela est très bien. N'oublions pas que s'il y a la métropole, les outre-mer, en particulier Mayotte, ne sont pas sur la touche et ne doivent pas y être.
Toutefois, des questions demeurent, auxquelles vous n'apportez pas de réponse suffisante. Aujourd'hui, beaucoup de sanctions ne sont pas appliquées. Depuis dix ans – je songe à Mme Christiane Taubira qui avait envoyé un très mauvais signal –, nous connaissons une forme de désarmement pénal de la justice.
Par ailleurs, pourquoi ne pas rétablir les peines planchers ? Monsieur le ministre, vous enverriez le signal que vous êtes rigoureux, vigoureux, et que nous voulons une justice exemplaire.
La question des places de prison est importante pour nous, pas seulement parce que nous serions favorables à une politique ultrasécuritaire mais en raison de la surpopulation carcérale – nous manquons de places de prison. Le plan de construction des 15 000 places, annoncé en 2018, avait notamment pour objectif de respecter le principe d'encellulement individuel d'ici à 2027. Comme l'a souligné notre collègue Patrick Hetzel, depuis de longues années, il y a une forme de procrastination, le compte n'y est pas. Le plan de construction des 15 000 places visait à créer 7 000 places en 2022 et 8 000 à l'horizon de 2027. Or, au 31 décembre 2022, seules 2 441 places ont été créées.
Nous sommes très loin du compte, nous accusons un énorme retard. Près de la moitié des 13 415 places qui restent à créer le seraient à la fin de l'année 2027. Nous vous proposons d'aller au-delà, de revoir la trajectoire budgétaire et de faire confiance aux maires qui sont prêts à construire des prisons dans leur commune – certains y sont disposés.
Nous évoquerons d'autres points, comme l'exécution des peines. Nous sommes également très loin du compte. Nous devons être exemplaires pour les victimes. La justice rendue au nom du peuple français doit l'être également. En conclusion, nous verrons si des avancées seront votées dans les prochaines heures ; elles détermineront notre vote.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La justice est garante de la démocratie. Les deux projets de loi que nous examinons prennent encore plus de sens aujourd'hui, eu égard à la violence aveugle qui secoue notre pays.
Depuis 2017, par six réformes législatives successives, votre prédécesseure et vous-même, monsieur le garde des sceaux, vous êtes ainsi attelés à redonner à notre justice les moyens de remplir son rôle fondamental, qui est d'assurer le respect des règles de vie en société. Indéniablement, ce qui se joue aujourd'hui, avec une particulière acuité, c'est l'affirmation de l'État de droit et la garantie du respect par tous de la loi et du droit. Le groupe Démocrate (MODEM et indépendants) salue votre engagement et la méthode que vous avez choisie. Elle repose, de manière constante, sur la consultation et l'écoute de ceux qui font ou qui ont affaire à la justice de notre pays. Les états généraux de la justice en sont une illustration réussie.
En premier lieu, nous soulignons les moyens budgétaires, qui sont en constante augmentation depuis six ans. Nous ne pouvons que soutenir l'effort inédit proposé aujourd'hui.
Les moyens augmentent certes considérablement, mais ils ne prendront tout leur sens que s'ils sont déployés au service d'une justice plus rapide, plus réaliste, d'une politique rénovée des services judiciaires et des juridictions. Tel est bien l'objectif des deux textes, associés à l'ouverture de plusieurs chantiers : répondre fermement, par un traitement attentif et spécifique, aux agressions qui minent notre société, en particulier aux violences intrafamiliales ; favoriser le recours systématique aux travaux d'intérêt général (TIG), trop rarement utilisés comme peine de substitution, surtout auprès des jeunes ; décharger le contentieux ordinaire par la voie judiciaire en imposant une véritable révolution du règlement à l'amiable ; expérimenter de nouvelles formes de contentieux, notamment en matière commerciale avec la création des TAE ; décentraliser la gestion matérielle des juridictions et la moderniser par le recours au numérique.
Comme cela a été dit, la refonte envisagée du code de procédure pénale viserait à rendre le droit compréhensible par tous, ainsi qu'à assurer une réponse adaptée à l'évolution des comportements délictueux : au-delà du droit constant, il convient de réfléchir rapidement, en tirant les leçons des événements actuels, à la manière de rétablir le rapport de certains jeunes à la loi. Vous l'avez reconnu : une telle réforme, aux enjeux démocratiques et sociétaux essentiels, ne saurait s'accomplir sans que le Parlement y soit étroitement associé, d'où l'initiative que le groupe Démocrate a prise en vue d'inscrire dans le cadre législatif la procédure correspondante. Son attention s'est également portée sur le délicat équilibre entre maintien de l'ordre public et respect des libertés fondamentales que doivent atteindre des innovations au demeurant indispensables, comme l'exploitation des données issues de la géolocalisation ou l'extension des perquisitions de nuit. Nous avons conscience que l'une des clés de la réussite de cette politique réside dans l'adhésion des magistrats, greffiers, personnels pénitentiaires et autres, ainsi que des avocats, acteurs pivots de la justice : entre autres mesures, les revalorisations de traitement devraient y contribuer.
Plus largement, nous relevons avec satisfaction la consécration de l'équipe qui entoure les magistrats, la redéfinition et la stabilisation des missions des personnels contractuels. Tout en approuvant, pour des raisons évidentes, le principe d'un concours professionnel, qui permettra d'augmenter le nombre des magistrats, nous souhaitons veiller à la qualité des procédures de recrutement et mieux réguler l'accès à la magistrature par cette voie. Par ailleurs, notre groupe comprend les inquiétudes de certaines catégories de personnels face au développement des embauches contractuelles d'attachés de justice et de surveillants de prison adjoints ; il souhaite donc également qu'une attention particulière soit portée à la qualité de ces recrutements. Se pose une nouvelle fois la question délicate de l'équilibre entre contingences budgétaires, attractivité et nécessité de préserver le niveau de service attendu par les justiciables.
Le groupe Démocrate s'engage à vos côtés dans ce débat, monsieur le garde des sceaux, de manière résolue et exigeante, au service d'une certaine idée de la justice, garante des droits fondamentaux.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et RE, ainsi que sur les bancs des commissions.
Ce débat s'ouvre dans un contexte douloureux, alors que nos pensées vont au jeune Nahel, mort à 17 ans, mais également aux forces de police et de gendarmerie ainsi qu'aux maires, ces élus de proximité, qui nous rappellent le caractère essentiel de celle-ci – peut-être est-ce la leçon à tirer des événements actuels. Elle serait du reste aussi valable pour la justice, dont l'indépendance ne doit pas entraîner l'indifférence aux territoires.
En guise de préambule à l'examen de ces textes, je rappellerai que pour 73 % des Français, la justice fonctionne mal. Une telle défiance est alarmante : la justice doit retrouver la confiance démocratique, d'autant que sa fragilité peut en faire le cheval de Troie d'un exécutif épris d'autoritarisme – les régimes polonais et hongrois le démontrent en sévissant contre les minorités et en bafouant les principes constitutifs de l'État de droit. Notre rôle de législateur consiste ici à engager la justice dans la voie d'une réforme systémique et à conserver l'équilibre entre son indépendance et les moyens qu'elle requiert pour accomplir sa mission. Nous devons aussi nous interroger au sujet de l'intelligence artificielle, de la justice digitale, de l'informatisation du droit, qui modifient l'élaboration de la loi. Il s'agit de nous donner les moyens de dessiner le chemin que suivra la justice dans ce nouvel univers. Quel est, monsieur le ministre, l'engagement du Gouvernement sur ce point ?
S'agissant du projet de loi organique, qui tend à ouvrir de nouvelles voies d'accès à la magistrature, nous voulons vous convaincre d'y associer davantage les universitaires et de favoriser l'adoption, essentielle, des amendements de clarification concernant l'exercice de cette magistrature et la déontologie ; sous réserve de ces avancées, le texte est plutôt bon. S'agissant du projet de loi, il convient de saluer la majoration des crédits ; le texte contient également une habilitation du Gouvernement à réécrire par voie d'ordonnance la partie législative du code de procédure pénale, cependant que le rapport annexé concentre nos insatisfactions et nos espérances, canalise nos frustrations.
M. le ministre sourit.
Sans effets normatifs, il nous libère donc des articles 40 et 45 de la Constitution, par lesquels nos innovations sont régulièrement décapitées.
La réforme systémique réclamée par Jean-Marc Sauvé, et que je soutiens, implique cinq éléments : un budget – vous répondez à cet appel par l'augmentation substantielle des moyens ; une révolution numérique, qui impose la réorganisation et la déconcentration des services judiciaires ; une collégialité, c'est-à-dire la construction autour du magistrat d'une équipe qui conserve les greffiers et fasse appel aux forces vives du droit ; une considération dont bénéficient les auxiliaires de justice, greffiers, acteurs du service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip), ou encore éducateurs spécialisés de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), en butte au sous-effectif, au manque de moyens et à la perte d'attractivité ; enfin le placement du juge au cœur du litige. Encore une fois, nous serons favorables à tout ce qui, au sein des textes, va dans ce sens. En revanche, le dernier des cinq objectifs ne sera servi ni par la réforme de la saisie des rémunérations, qui, concernant les populations vulnérables, reviendra à complexifier voire à rendre impossible le recours au juge, ni par le transfert aux TAE des compétences concernant les activités agricoles et les associations, occasion manquée de fédérer les professionnels du droit et les sachants du monde de l'entreprise.
Quoi qu'il en soit, cette réforme systémique ne doit pas faire oublier les fondamentaux, à commencer par le fait que la prison, si elle punit, vise également à réinsérer. En dépit de votre volonté, les 15 000 places supplémentaires prévues ne pourront être livrées d'ici à 2027 ; les prisons resteront surpeuplées, et perdurera le système aussi coûteux qu'inefficace d'une usine à récidive – dont le taux atteint près de 40 % – où se dégradent les conditions sociale et psychologique des 73 800 détenus. Nous devons, avec courage et sans populisme, faire prospérer le débat à ce sujet. Autre principe majeur, l'indépendance qui protège : il importe de renforcer la présence de l'acteur essentiel qu'est le JLD. Par ailleurs, comme je l'ai dit au début de mon intervention, cette indépendance n'est pas indifférence : la justice doit rester au service des citoyens – j'aurai l'occasion d'y revenir. Dans ce contexte de colère, sachons retrouver les voies de la construction, d'un débat apaisé et respectueux.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Jean Terlier, rapporteur, et M. Jérémie Iordanoff applaudissent également.
La justice : entendez résonner ce mot ! Elle ne peut pas tout, bien sûr, et ne se substitue pas à la politique ; mais sans elle, point de concorde, point de paix civile. Son organisation est indissociable de l'État de droit. Il faut lui donner les moyens adéquats et la protéger contre toute interférence.
L'autorité judiciaire, c'est un pouvoir, une institution ; ce sont des règles, des procédures, mais aussi des femmes et des hommes. Après la tribune des 3 000 – la tribune publiée dans Le Monde, en novembre 2021, signée de 3 000 magistrats –, après les états généraux de la justice, les deux textes que nous allons discuter étaient attendus : certaines dispositions vont dans le bon sens, mais, disons-le également, elles ne remédieront pas à l'ensemble des problèmes. Il est en outre fort dommageable, compte tenu de leur volume et des points essentiels qu'ils abordent, que le Gouvernement ait une fois de plus engagé la procédure accélérée, ce qui ne respecte pas la délibération parlementaire et nuit à la qualité du droit.
Avant d'aborder les projets de loi, je dirai un mot de leurs silences. Il est regrettable qu'ils ne donnent pas lieu à un débat institutionnel sur l'autorité judiciaire : à l'heure où la France devrait faire un pas de plus vers la parfaite indépendance de sa justice, nous assistons plutôt à un mouvement inverse – je pense en particulier à la transmission au ministre des plaintes irrecevables. De plus, la mainmise du parquet sur les enquêtes et les poursuites a déséquilibré la procédure pénale, ce qui concourt à poser la question de son statut et de son indépendance, réclamée par les participants aux états généraux de la justice comme par le CSM.
Silence radio également au sujet de l'indépendance de la justice par rapport à l'administration en ce qui concerne les atteintes à l'environnement. Le contentieux pénal environnemental est à sec, ce à quoi contribue évidemment le manque de moyens consacrés à la recherche et à la poursuite des délinquants en la matière, mais aussi et surtout le fait que les parquets ne sont pas saisis par les services verbalisateurs – services placés sous l'autorité des préfectures, notoirement sensibles aux intérêts économiques locaux. Les affaires dans lesquelles un préfet a délivré une autorisation illégale ou laissé sciemment un industriel polluer les alentours ne manquent pas : le phénomène est ancien et documenté. Or cette rétention d'information déplace de l'autorité judiciaire à l'administration le soin de juger de l'opportunité des poursuites. Il y a là une atteinte à la séparation des pouvoirs : nous nous félicitons que le Gouvernement ait accepté de soutenir en commission l'un des amendements que nous avons déposés à ce sujet, et nous espérons voir les autres adoptés en séance publique.
Un mot concernant l'extension du référé pénal environnemental : j'avais déposé en ce sens un amendement repoussé en commission, car, m'a-t-on dit, insuffisamment précis. Il a été retravaillé en vue de la séance et cependant déclaré irrecevable, ce que je regrette vivement.
Autre lacune : la question de la surpopulation carcérale. Je ne reviens pas sur les conditions indignes de détention. Tous les leviers n'ont pas été utilisés ; l'aménagement des peines nécessite un temps et des moyens dont ne dispose pas le juge correctionnel. Je propose de redonner toute sa place au juge de l'application des peines. Un mécanisme de régulation est également nécessaire : des propositions mesurées ont été faites par nos collègues Caroline Abadie et Elsa Faucillon, que je salue. Je veux dénoncer sur ce point le manque de courage politique du Gouvernement.
S'agissant des grandes lignes du projet, je salue l'effort budgétaire et les recrutements annoncés. Les sommes débloquées permettront de soulager une institution en proie à une crise profonde, mais de la soulager seulement : la guérison attendra. Par ailleurs, aucune précision ne nous a été fournie concernant la ventilation de ces crédits : le législateur ne saurait se satisfaire d'un chiffre brut, susceptible de cacher une mauvaise répartition.
Les dérives, enfin : le projet de loi de programmation contient des mesures qui privent les parties d'un accès à une justice équitable et impartiale, par exemple la saisie des rémunérations, la contribution pour la justice économique, le transfert à un juge non spécialisé d'une partie des compétences du JLD. Plutôt que de réduire le domaine d'intervention de ce dernier, il conviendrait de renforcer ses moyens d'action en le dotant d'une équipe, afin de créer les conditions d'une véritable indépendance vis-à-vis des acteurs de l'enquête. L'extension des pouvoirs d'enquête nous pose également problème : on ne peut pas toujours sacrifier les libertés publiques à des questions pratiques. À ce titre, l'activation à distance de téléphones portables à des fins de géolocalisation et d'écoute est particulièrement contestable ; je m'inquiète des dérives possibles et du volume des données concernées par ces nouvelles techniques. Quant à l'extension des perquisitions nocturnes aux crimes de droit commun, rien ne la justifie en dehors de cas complexes. Les écologistes décideront donc de leur vote en fonction des avancées adoptées ou non lors de l'examen des textes.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq, sous la présidence de M. Sébastien Chenu.
La séance est reprise.
Je remercie chaleureusement la vice-présidente Naïma Moutchou qui a eu l'élégance, alors que j'étais retenu ailleurs, de me remplacer à la présidence et de faire tourner la maison avec la rigueur et l'efficacité que nous lui connaissons.
La parole est à Mme Emeline K/Bidi.
Quand un jeune de 17 ans meurt d'une balle tirée par un policier, c'est tout un pays qui crie justice. Quand des représentants des forces de l'ordre sont blessés ou, pire, perdent la vie dans l'exercice de leurs fonctions, nous convoquons la justice. Quand un commerçant voit disparaître son outil de travail dans les flammes et le pillage, nous réclamons la justice. Quand un maire et sa famille sont attaqués en pleine nuit à leur domicile, le pays entier se lève pour exiger que justice soit faite. La justice ne rend pas les vies perdues et n'efface pas les traumatismes subis. Mais la justice amène la paix, la paix sociale. Sur les murs des cités qui s'embrasent depuis plusieurs jours, on peut d'ailleurs lire « pas de justice, pas de paix ». Voyez donc l'importance que chacun accorde à la justice dans notre pays, les exigences et l'espoir que nous plaçons en elle.
Dans un monde de plus en plus injuste, où les inégalités ne cessent de se creuser, la justice est toujours plus sollicitée. Et alors que nous sommes si exigeants à son égard, certains oublient parfois qu'elle est rendue, au nom du peuple français, par des femmes et des hommes dont l'engagement n'a d'égal que l'importance de leur mission. Pour les magistrats, les greffiers, les assistants de justice, les avocats, les commissaires de justice et tous les autres auxiliaires, la justice n'est pas qu'une valeur ou un idéal. Pour eux, la justice est palpable. Elle se compte en milliers d'heures de travail, en centaines de dossiers à traiter. Elle a le visage des femmes, des hommes et des enfants que l'on juge. Eux attendent plus que des mots ou des regrets – même si des regrets, après des décennies de délaissement de la justice dans notre pays, nous en avons forcément.
Autant vous dire, monsieur le ministre, que votre projet de loi était fort attendu. Nous attendions des moyens humains et matériels et vous avez annoncé, il est vrai, le recrutement de 1 500 magistrats et greffiers sur cinq ans. Quand bien même une telle mesure aurait été annoncée sous la législature précédente, il manquerait encore des effectifs. Mais nous sommes en 2023, et les moyens ne sont pas à la hauteur de l'urgence. Les comparaisons européennes nous rappellent combien nous pouvons et devons faire mieux. La France dépense 72 euros par an et par habitant pour son système judiciaire, contre 88 en Espagne et 141 en Allemagne. Pour 100 000 habitants, nous avons en France 3 procureurs, 11 juges et 34 greffiers. En Europe, la médiane est de 11 procureurs, 18 juges et 61 greffiers. S'agissant des délais de traitement des dossiers, la situation n'est pas meilleure : en France, en première instance, il faut 637 jours pour traiter un dossier contre 237 dans le reste de l'Europe. En appel, il faut 607 jours en France contre 177 chez nos voisins.
Je suis navrée de vous avoir noyés sous les chiffres mais, voyez-vous, nos magistrats et greffiers sont noyés, eux, sous les dossiers qu'ils ne parviennent plus à traiter. Le rapport Sauvé illustre la détresse des professionnels de la justice, tout comme la tribune des 3 000 magistrats et greffiers qui, suite au suicide d'une jeune magistrate, alertait sur l'urgence de réformer en profondeur l'institution. Or votre projet de loi se contente de gérer la pénurie. Pour tenir vos engagements de recruter davantage et plus vite, vous bradez la formation des magistrats, vous vous attaquez à l'inamovibilité et à l'indépendance des juges. Pour pallier le manque de personnel, vous généralisez la dématérialisation : téléconsultation en garde à vue, audiences en visio, caméras-piéton pour les surveillants pénitentiaires. Nous voulons une justice de qualité, vous prônez une justice déshumanisée. Face au manque de personnel de justice, vous révisez à la baisse les standards de nos droits fondamentaux. Vous régularisez d'un trait de plume les vices de procédure, vous étendez les perquisitions de nuit, vous élargissez les écoutes à tout objet connecté.
Mais il n'y a pas un mot, dans votre texte, sur la régulation carcérale ni sur la revalorisation des métiers de justice. Ce n'est pas moi qui le dis : ce sont les greffiers, qui ont manifesté aujourd'hui à travers toute la France – notamment à La Réunion, où je suis élue – pour demander une meilleure reconnaissance pour leur métier, sans lequel la justice ne peut pas fonctionner. À La Réunion toujours, les commissaires de justice ont lancé un mouvement de retrait de l'activité pénale pour dénoncer la dévalorisation de leur mission.
Nous prenons acte de votre projet de loi de gestion et regrettons l'absence d'une vision structurelle pour une justice de qualité, là où vous ne voyez qu'une justice de quantité. La tribune des 3 000 dénonçait l'approche gestionnaire de la justice. Malheureusement, rien n'a changé. Vous restez sourds à nos alertes. J'en veux pour preuve le rejet en commission de presque tous nos amendements, notamment de ceux relatifs à l'outre-mer, par exemple sur les violences intrafamiliales à La Réunion ou le crime organisé en Guyane. Dans ces territoires, la justice souffre encore plus qu'ailleurs de manques, et les justiciables sont encore plus éloignés d'elle. Vous restez sourds également aux cris de ceux qui manifestent. Quant à nous, nous resterons fidèles à nos convictions et à notre attachement aux services publics, notamment à celui de la justice.
Respectueux des femmes et des hommes qui, inlassablement, se dévouent à la tâche, nous continuerons de défendre notre vision de la justice, celle qui place les droits de l'homme au sommet de la pyramide des normes et qui écrit justice avec un J majuscule.
« Bravo ! » et applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR – NUPES et LFI – NUPES. – M. Jérémie Iordanoff applaudit également.
Je veux tout d'abord exprimer une nouvelle fois ma solidarité à l'égard de la famille et des proches du jeune sapeur-pompier qui a perdu la vie cette nuit dans l'exercice de ses fonctions, ainsi bien sûr que mon soutien à l'endroit de tous ceux qui se sont retrouvés en première ligne et ont été pris pour cibles pendant les émeutes, au premier rang desquels figurent les forces de l'ordre, les maires et les personnels de justice.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, RN, LR, Dem, SOC, HOR et Écolo – NUPES.
Ils n'exercent pas n'importe quelle fonction. Ils ont été attaqués parce qu'ils sont les symboles de l'autorité.
Toutefois, la crise de l'autorité à laquelle nous assistons n'est qu'un symptôme. Ce qui se passe dans notre pays est plus profond, n'est pas nouveau et ne sera pas sans répercussions.
J'avais insisté, à l'occasion de l'audition du garde des sceaux il y a trois semaines – avant les émeutes – sur un point important qui prend un sens particulier dans l'épreuve que nous traversons : l'immense responsabilité de tous ceux qui, plutôt que de défendre la justice, l'ont remise en cause et l'ont critiquée gratuitement, pour certains avec des accents nihilistes. Tous ceux-là ont délégitimé nos institutions, entre autres la justice et, partant, ont ouvert la voie à ceux qui voulaient faire usage de la force et de la violence.
Pourtant, il n'y a pas de pays qui tienne debout sans ordre ni justice. Alors que nous devrions faire front commun, appeler collectivement à l'apaisement, certains préfèrent encore souffler sur les braises. C'est indigne.
Il est dangereux de vouloir tirer un bénéfice politique du désordre. D'autre part, c'est une erreur, comme le prouve d'ailleurs la réaction des Français qui appellent à un retour au calme. J'ajoute, en ayant certaines personnes à l'esprit – je le dis comme je le pense –, qu'il est absolument honteux de tenter de faire du clientélisme électoral sur le dos des habitants des quartiers.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, RN et LR.
En tant qu'hommes et femmes politiques, nous avons la responsabilité de dire la vérité, de donner des perspectives et de susciter de l'espoir mais certainement pas de faire notre beurre sur le chaos.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Nous nous attelons à cette tâche. Nous le démontrons encore aujourd'hui en discutant de textes importants qui visent à améliorer le fonctionnement de la justice. Le constat dressé par le comité des états généraux de la justice, celui d'une justice mal en point, n'est pas une surprise. D'ailleurs nous ne l'avons pas attendu puisque les réformes successives, budgétaires et de fond, que nous avons engagées, commencent à porter leurs fruits. Ce sera long – il faut le dire – car on ne rattrape pas, d'un coup de baguette magique, un retard de trente ou quarante ans marqués par un sous-investissement dans la justice.
Je me réjouis donc que ces projets de loi viennent offrir de nouveaux moyens pour la justice, avec un budget historique porté à près de 11 milliards d'euros d'ici quatre ans, soit une hausse de 60 % entre 2017 et 2027. C'est du jamais vu. Bien sûr, on peut toujours trouver cela insuffisant mais on peut aussi noter – car c'est au moins aussi vrai – que personne ne l'avait fait avant.
Au-delà de la question des moyens, il s'agit de réformer la justice pénale, civile et économique. S'agissant tout d'abord du pénal – qui fera certainement l'objet des discussions les plus longues –, nous soutiendrons l'habilitation à légiférer par voie d'ordonnance pour codifier à droit constant le code de procédure pénale dans un cadre qui permettra d'associer députés et sénateurs. Une telle mesure est indispensable pour le travail au quotidien des acteurs de la justice. Il faut saisir l'occasion qui nous est donnée.
L'article 3 est dense. Les avancées en matière d'efficacité de l'enquête sont évidemment intéressantes – les enquêteurs doivent avoir les moyens d'agir – et nous soutiendrons les mesures pourvu qu'un équilibre avec l'exercice des droits de la défense, et plus largement des libertés, soit préservé. Nous serons attentifs aux protections accordées en matière de déclenchement à distance des moyens de communication. Pour ma part, je défendrai des amendements sur la téléconsultation médicale en garde à vue.
Nous savons que l'expérimentation des tribunaux des affaires économiques suscite des inquiétudes. Le rapporteur Philippe Pradal et moi-même estimons qu'il est sans doute possible de redéfinir le périmètre, par exemple en excluant les associations « loi 1901 » ou en intégrant les agriculteurs à la formation de jugement – ce qui nous paraît important.
Nous serons également vigilants s'agissant des garanties qui pourront être apportées en matière de déjudiciarisation des procédures de saisie des rémunérations.
Enfin, le projet de loi organique qui concerne le statut des magistrats nous offre une occasion de nous projeter. Bien au-delà de son caractère technique, ce texte pose des questions politiques importantes si bien que les décisions prises dans ce cadre ne seront pas sans incidences – nous aurons l'occasion d'en débattre.
En résumé, en lui donnant les moyens d'assumer ses missions, ces deux projets de loi replacent la justice au centre du jeu démocratique. L'actualité montre que nous en avons éminemment besoin. Le groupe Horizons et apparentés votera ces textes.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
Orange mécanique. C'est la couleur qui tâche aujourd'hui le bleu, le blanc et le rouge du drapeau français, un drapeau arraché, piétiné et brûlé par des émeutiers ivres de rage, eux qui embrasent depuis six nuits la France, déferlant dans nos villes, harnachés de leur haine de notre pays et de tout ce qui le représente depuis la mort de Nahel.
Cette haine n'attendait qu'un prétexte pour se déverser en bas de chez nous, sous nos fenêtres : carcasses de voitures en flammes, mairies et écoles brûlées, bus et tramways embrasés, magasins pillés, policiers grièvement blessés ou encore maires – et même leurs familles – agressés. Ce spectacle apocalyptique est inacceptable, intolérable et impardonnable. Car nul n'est dupe : cette haine n'est pas criée au nom de Nahel – bien sûr que non.
À La Devèze, à Béziers, une cinquantaine de gamins ont dévasté leur propre quartier où 150 millions avaient été investis pour le bien-être de 4 000 habitants.
Ils ont gravement détérioré la mission locale d'insertion, pourtant conçue pour eux. Comme dans beaucoup de communes, La Poste et des commerces ont subi des dégâts considérables. La mairie annexe a été saccagée, des véhicules brûlés, la maison de quartier – celle qui accueille leurs petits frères ou leurs petites sœurs pour les centres de loisirs – incendiée. Les policiers, nationaux et municipaux, les gendarmes et les pompiers ont, malgré les très nombreuses attaques et jets de projectiles, fait preuve d'un sang-froid qui les honore pour tenter de rétablir le calme.
Toutes les conditions étaient pourtant réunies pour « se faire du flic ». Tel était l'objectif : aller à la confrontation, au clash voire au meurtre. Les images parlent d'elles-mêmes quand des hommes cagoulés s'acharnent à tirer dans le dos d'un policier à coups de mortier. Oui, dans le dos : quelle bravoure !
Les milliards injectés depuis quarante ans dans les cités n'ont visiblement servi à rien. Séparatisme, impunité, laxisme et irresponsabilité des parents sont les grands maux de notre époque désengagée.
Face à cette situation, la justice doit frapper un grand coup. Je parle d'une justice réellement courageuse qui n'aurait pas peur d'emprisonner les coupables dans les 15 000 places de prison promises depuis trop longtemps – où sont-elles, monsieur le ministre ? –, d'exécuter les peines au lieu de les troquer, comme c'est trop souvent le cas, contre des remises de peines et des TIG, des travaux d'intérêt général, de prévoir une véritable réinsertion au lieu de lâcher dans la nature, comme on le voit là encore trop souvent, des personnes sans projet ni ressources ni, enfin, d'expulser les étrangers qui n'acceptent pas nos règles et qui, à force de délits et de crimes, n'en finissent plus de pourrir la vie des Français.
De ce point de vue, il est vrai que les quelque 10 milliards prévus et le recrutement de 1 500 magistrats d'ici à 2027 vont dans la bonne direction.
Cependant, parce qu'une bonne réforme ne saurait se limiter à une dimension comptable, il est plus que jamais urgent d'en finir avec l'excuse de minorité. Car ne soyons pas dupes : ceux qui conduisent sans permis des voitures à toute allure au risque d'écraser des passants, qui pillent des magasins pour récupérer une paire de baskets de marque, qui brûlent la voiture de leurs voisins et qui veulent faire la peau à nos forces de l'ordre, tous ceux-là ne sont pas des enfants. Il faut les stopper et mettre fin à leur sentiment de toute-puissance, pour ne pas dire de sauvagerie.
Hier, à Béziers, deux jeunes ont été jugés pour des jets de projectiles sur nos forces de sécurité. Le premier, âgé de 17 ans, a été placé sous contrôle judiciaire sans pointage, avec interdiction de paraître dans un attroupement, interdiction de sortir entre vingt-deux heures et six heures du matin sans représentant légal et interdiction de porter une arme – encore heureux. Le second, 14 ans, a été condamné à des mesures éducatives judiciaires, à une interdiction de sortir sans ses parents entre vingt-deux heures et six heures du matin et à une interdiction de participer à des manifestations. Croyez-vous, monsieur le ministre, que cela va les arrêter ? Car ces jeunes caillassent chaque nuit pompiers et policiers au risque parfaitement compris et assumé de blesser gravement, voire de tuer ceux qu'ils considèrent comme des ennemis.
Durant ces quelques jours de chaos, une vidéo a circulé, montrant un père qui va récupérer son gamin au milieu des émeutiers et le jeter dans le coffre de sa voiture pour le ramener chez lui. Ce qui m'étonne, c'est qu'il n'y en ait eu qu'un.
M. Paul Vannier s'exclame.
Où sont les autres parents, ceux qui ne s'étonnent pas de voir leurs adolescents sortir tout de noir vêtus et revenir quelques heures plus tard en empestant l'essence ?
Il faut que l'État, avec toute sa force, fasse son grand retour. De toute urgence, il doit se positionner avec fermeté du côté de la justice et lui redonner les moyens d'agir avec des moyens humains mais aussi des consignes claires et adaptées à l'évolution de notre société. Ce rendez-vous, c'est le nôtre. Ne le manquons pas. La justice doit être rendue pour tous et pas seulement pour Nahel.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
La discussion générale commune est close.
La parole est à M. le garde des sceaux.
Jean-Jacques Urvoas avait parlé de « clochardisation » et Jean-Marc Sauvé de « délabrement ». Je reprends ces mots à mon compte. La justice a subi trente ans d'abandon politique, budgétaire et humain – nous en convenons tous.
Au-delà de nos divergences – elles apparaîtront au cours de nos débats, ce n'est pas illégitime –, j'ai noté une volonté commune, sur presque tous les bancs, de donner davantage de moyens à notre justice. C'est tout l'objet de ces textes car telle est la réponse principale qu'il convient d'apporter aux magistrats, aux greffiers et plus généralement à tous ceux qui font vivre la justice dans notre pays.
Oui, je perçois une volonté transpartisane d'améliorer la situation de notre justice, à l'exception toutefois – ce qui ne me surprend pas – des bancs du groupe LFI, où l'on fait preuve, comme d'habitude, d'un nihilisme total.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Au fond, je le savais déjà puisque vous êtes pour tout ce qui est contre et contre tout ce qui est pour.
Vous déposez une motion de rejet car vous ne souhaitez même pas que nous débattions plus avant du texte.
Vous appelez de vos vœux un débat parlementaire à n'en plus finir tout en déposant des milliers d'amendements…
…pour qu'il n'ait pas lieu. C'est extraordinaire !
Vous nous refaites ce couplet à chaque motion de rejet ! Il faut changer un peu !
Pendant huit mois, nous avons organisé des réunions avec des magistrats, des greffiers, des personnels administratifs, des forces de sécurité intérieure, des avocats, bref avec tous ceux qui œuvrent au quotidien pour la justice. Or vous rejetez tous ces travaux avec mépris et condescendance.
Vous êtes au rendez-vous de vos habitudes délétères !
Je vous rappelle – car cela illustre la manière dont il considère la justice et la police – que le grand Conducãtor Mélenchon…
…a été définitivement condamné pour avoir physiquement bousculé policiers et magistrats.
Vous en savez quelque chose ! N'y aurait-il pas conflit d'intérêts, ici ?
D'autre part, après avoir tardé à condamner des événements qui nous ont tous bouleversés,…
…il a finalement déclaré qu'il ne fallait pas toucher aux écoles, aux bibliothèques ni aux gymnases. Et les palais de justice ? Et les commissariats ? Et les mairies ?
Vous vous en moquez car vous voulez détruire la République.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Je me suis rendu au tribunal de proximité d'Asnières : saccagé ! Un vigile a failli être brûlé ! Aucun d'entre vous n'a condamné cet acte.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
C'est faux ! Et maintenant, discutons du fond des textes ! Discutons du fond !
Les personnels étaient en larmes. L'après-midi même devait se tenir une audience de surendettement pour nos compatriotes les plus modestes.
Allons plus loin et souffrez que je vous réponde – et si cela ne vous plaît pas, c'est exactement la même chose. Vous évoquez de façon totalement partiale la question des greffiers, alors que je leur ai dit, depuis des mois, que je proposerai des améliorations à l'automne, dans un calendrier dédié. Nous sommes le 3 juillet… mais peu vous importe.
Poursuivons : vous racontez partout sur les plateaux, monsieur Bernalicis, que le budget de la justice serait ridicule par rapport à celui de la police.
Mais comparez le nombre d'agents des deux ministères et arrêtez de raconter des salades !
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
Je pourrais encore vous répondre pendant des heures, mais nous avons tous envie de passer à l'examen de ces textes ; vous proposerez des amendements et j'y répondrai, nous ferons un exercice démocratique digne, mais duquel vous vous êtes délibérément exclu en début de séance ! Je vais vous dire une dernière chose : je savais que vous parliez mal, que vous pensiez mal, mais je viens de découvrir que vous chantiez mal aussi !
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
J'appelle en premier lieu, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
Je rappelle qu'à la demande de la commission, l'article 1er et le rapport annexé, ainsi que les amendements portant article additionnel après l'article 1er , sont réservés.
Cet article est attendu par l'ensemble des acteurs du monde judiciaire, particulièrement par les praticiens du droit pénal et de la procédure pénale. Il est vrai que la méthode retenue n'est pas celle qui me convient, parce qu'il aurait été plus judicieux de réformer le code de procédure pénale avant d'en proposer une nouvelle codification par voie d'ordonnance. Il me semble que nous travaillons un peu à l'envers, mais peu importe, il nous faut aller de l'avant.
J'entends certains dire qu'il faut supprimer cet article ou tel alinéa. Je partage leurs craintes, et c'est pourquoi nous avons, nous aussi, déposé des amendements, mais doit-on en rester là sous prétexte que la méthode n'est pas la bonne, alors que tout le monde veut une réécriture du code de procédure pénale ?
Par conséquent, le groupe Rassemblement national votera l'article 2 parce qu'il est favorable sur le principe à une réforme du code de procédure pénale, mais nous serons particulièrement attentifs et vigilants. Vous avez dit en commission des lois, monsieur le rapporteur Balanant, qu'il nous fallait être des parlementaires vigilants : nous le serons et les amendements que nous défendrons le prouveront. Ce n'est pas un blanc-seing que nous donnons au ministre,…
J'imagine !
…mais une habilitation à réécrire une partie du code, rien de plus. Et nous entendons exercer la prérogative de contrôle qui est la nôtre.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Avant toute chose, je veux tout de même dire au garde des sceaux qu'il n'est pas utile de pratiquer l'invective.
Exclamations sur de nombreux bancs des groupes RE et RN.
Nous, nous voulons débattre sur le fond, et ce dans de meilleures conditions qu'en commission où certaines discussions ont été expédiées – peut-être aviez-vous piscine et vous apprêtiez-vous à attaquer le dos crawlé, une nage difficile dont l'apprentissage demande du temps.
S'agissant de l'article 2, nous trouvons discutable la méthode qu'il propose, en premier lieu parce qu'elle ne nous paraît pas démocratique. Si des réformes importantes du code de procédure pénale doivent avoir lieu, ce doit être au terme d'une discussion avec le législateur. Ensuite, nous nous étonnons de la notion de modification à droit constant car ce n'est guère réaliste. En troisième lieu, il y a un risque que, sous couvert de modifier à droit constant, on en vienne à ajouter petites couches après petites couches, ce qui ne simplifierait en rien mais complexifierait tout. Voilà d'emblée, avant l'examen des amendements, la vision du groupe LFI – NUPES de cet article.
Le groupe Socialistes et apparentés avait déposé en commission des lois un amendement que nous avons décidé de déposer à nouveau en séance parce que nous le considérions important, mais qui a été déclaré irrecevable. Vous n'y êtes pour rien, monsieur le ministre, mais c'est surprenant, d'autant plus que cet amendement n'avait rien de polémique et proposait, dans la logique du rapport annexé, que des parlementaires représentant tous les groupes soient associés à la préparation de cette ordonnance afin de suivre et de valider les travaux de réécriture à droit constant du code de procédure pénale. Il ne me semble pas que cet amendement méritait un sort si funeste.
Le code de procédure pénale doit bien évidemment être recodifié. C'est une demande très forte, non pas des justiciables mais, bien sûr, des professionnels du droit, et l'ordonnance est un choix pragmatique qui nous convient – j'ai eu l'occasion de le dire en commission des lois et je ne dévie pas de ce point de vue. Nous voterons donc cet article, avec le regret toutefois que nous n'ayons pas pu innover en y inscrivant la présence des groupes parlementaires pour que l'écriture à droit constant ne soit pas un simple vœu mais bien une garantie qu'aurait apportée la mise en place d'un groupe de travail à ce sujet.
Exclamations sur quelques bancs du groupe RN.
Sur le fondement de l'article 95, alinéa 4, relatif à la réserve d'un article. Je m'insurge contre le fait que l'on fonctionne de la sorte, en l'occurrence en commençant par l'article 2.
C'est un insurgé.
C'était déjà le cas en commission des lois. J'avais pourtant demandé que le texte soit examiné dans l'ordre des articles, comme l'a été le projet de loi de programmation militaire, qui a donné lieu à des débats de belle qualité, notamment sur l'annexe. Et je tiens d'ores et déjà à prédire la mort annoncée du débat sur cette annexe-ci puisqu'il sera torché lundi prochain, entre seize heures et minuit, quand tout le monde en aura marre de revenir pour défendre des amendements qui, de fait, ne le seront pas. Il n'est pas prévu d'ouvrir les séances de vendredi. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi : une journée entière passe à la trappe. Bref, on va discuter de l'orientation de la politique du ministère après avoir discuté du fond du texte.
Exclamations sur les bancs du groupe RN.
C'est complètement ubuesque. Encore un exemple de maltraitance parlementaire.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
On s'étonne toujours de la capacité que montre M. Bernalicis à avoir l'air surpris alors qu'il a été avisé par son groupe que la conférence des présidents a décidé que l'annexe serait étudiée à la fin de l'examen du texte en commission en tant qu'article réservé, et qu'il a été informé que les débats se dérouleraient selon le même ordre en séance.
Je lui rappelle qu'il en a été de même pour la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, et que le débat, de qualité, s'était très bien passé. En commission des lois, nous avons toujours fonctionné ainsi.
Pas vous, monsieur le président ! Une minute par amendement ! Assumez !
Pour ce qui est des interventions sur l'article 2, je rappelle que l'habilitation à procéder à la réforme du droit des contrats dans le code civil, l'habilitation à créer le code de la justice pénale des mineurs et l'habilitation à créer le code pénitentiaire ont précédé celle qui concerne aujourd'hui le code de procédure pénale et certainement demain celle qui concernera la responsabilité civile. Personne ne peut de bonne foi être surpris par le processus choisi, d'autant que tous les groupes parlementaires y sont associés, c'est même une méthode désormais consacrée et qui est suivie à chaque fois. Cette surprise manifestée par votre groupe ne peut être que feinte.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Voilà, les méthodes paraparlementaires sont devenues la norme ! Bravo, quel beau démantèlement de l'Assemblée nationale ! Et avec votre blanc-seing !
Nous en venons aux trois amendements identiques n° 866 , 922 et 1285 tendant à supprimer l'article 2, sur lesquels je suis par le groupe Renaissance d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l'amendement n° 866 .
Je dois me résoudre à la défense de cet amendement sur l'article 2 alors que j'aurais aimé parler de l'article 1er en premier, par cohérence. Cela étant dit, nous nous opposons à la procédure des ordonnances, et ce de manière méthodique et disciplinée depuis six ans. Nous considérons, à tout le moins, que c'est le rôle d'une assemblée nationale de se réunir pour modifier la loi.
Cette méthode paraparlementaire voire antiparlementaire nous convainc d'autant moins que le pseudo-comité proto-scientifique, qui se réunit d'ores et déjà, n'a pas abouti à un consensus sur la nouvelle rédaction du code de procédure pénale. Or tout le diable se cache dans un seul et unique détail : le « sauf ». La recodification se fera à droit constant, dites-vous, « sauf » s'il faut coordonner, « sauf » s'il faut ajuster, « sauf » s'il faut harmoniser. Dans ces conditions, vous pourrez procéder à de petites modifications du code de procédure pénale qui vont emporter de grandes conséquences dans certains dossiers. Voilà la réalité et la raison pour laquelle nous sommes opposés par principe aux ordonnances, en particulier s'agissant du code de procédure pénale.
On voit bien comment cela va se passer : une grande ordonnance permettra de tout réécrire et de modifier plus d'un détail, au point qu'il faudra être vraiment très vigilant, compte tenu du temps qu'il faudra pour tout lire et scruter la moindre incidence de chaque modification. Et si cette ordonnance est discutée pour ratification devant l'Assemblée – ce qui n'est plus une procédure obligatoire depuis une jurisprudence du Conseil constitutionnel datant du covid –, c'est alors qu'on constatera qu'auront été réintroduites des méthodes permettant d'être plus intrusif, d'aller y voir de plus près, de surveiller davantage et d'organiser plus rapidement les investigations et les enquêtes pour, en fin de compte, enfermer plus vite et plus sûrement. Car là est le projet politique d'un régime illibéral, en pleine dérive autoritaire.
Mme Nadège Abomangoli applaudit.
La parole est à Mme Emeline K/Bidi, pour soutenir l'amendement n° 922 .
Nous avons déposé cet amendement de suppression parce que nous estimons que le Parlement n'a pas toute sa place dans cette réforme. On doit certes réécrire le code de procédure pénale, les collègues de divers bancs l'ont dit ; c'est une nécessité absolue. Mais s'il s'agit d'en écarter le Parlement alors que faire œuvre législative est sa mission, nous ne sommes pas d'accord, sachant que sa place n'a cessé de se réduire depuis le début de cette législature : les irrecevabilités pleuvent, les 49.3 également, et nous n'avons même plus le droit de débattre des textes de loi les plus importants pour notre pays. La réécriture d'un code qui touche aux droits fondamentaux suppose que le Parlement y prenne toute sa place, d'autant qu'on nous explique que les modifications rendues nécessaires par ladite réécriture pourront avoir lieu sans consultation du Parlement.
L'amendement n° 1285 de Mme Christelle D'Intorni est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
Cette partie du texte est importante. En effet, comme Mme K/Bidi vient de le souligner, réformer le code de procédure pénale, ce n'est pas rien. Ce code, chacun le reconnaîtra, est très complexe : cela a été souligné en commission comme à l'instant par Mme Bordes. Cette complexité se lit dans la construction de l'article 3, qui suit la trame du code de procédure pénale. Les techniques spéciales d'enquête figurent par exemple à deux endroits différents : on va donc les aborder, puis passer à un autre sujet, avant d'y revenir. Autre exemple, mentionné dans le rapport : la durée des gardes à vue est traitée dans différentes parties du code. Pensez-vous que la durée d'une garde à vue dans le cadre d'infractions relatives à des faits de terrorisme est précisée dans le chapitre qui traite de ce dernier ? Non, elle l'est ailleurs.
Pour ce qui est de la méthode, je comprends votre frustration. Les parlementaires n'aiment pas les ordonnances ; les sénateurs les aiment encore moins que les députés d'ailleurs,…
…pourtant ils ont accepté l'idée qu'il faille, en l'occurrence, y recourir. Il existe des exemples récents de succès de réforme par ordonnance : la codification du droit pénitentiaire, qui s'est effectuée à droit constant, ou la réforme de la justice pénale des mineurs ont ainsi représenté de véritables avancées.
La réforme du code de procédure pénale est un chantier colossal. Si l'ordonnance doit être prise dans un délai de deux ans suivant la promulgation de la loi, c'est parce que cette durée est nécessaire pour mener les travaux préparatoires : il s'agira de conduire un travail minutieux avec un comité d'experts. Le garde des sceaux le redira sûrement, mais tous les groupes parlementaires sont invités à se joindre aux travaux d'un comité de suivi.
Je rappelle le fonctionnement du dispositif. Conformément à la Constitution, une loi d'habilitation autorisera le Gouvernement à légiférer par ordonnance ; lorsque celle-ci aura été publiée, il faudra voter une loi de ratification. Si le législateur le juge nécessaire, il aura donc tout le loisir de procéder à des ajustements.
Avis défavorable sur ces amendements de suppression.
Madame Bordes, on a choisi la voie de l'ordonnance car si on avait voulu modifier le code de procédure pénale par voie législative, on vous aurait soumis un projet de loi avec pléthore d'articles. Conduire ce travail titanesque demande du temps, on en convient tous, d'où l'intérêt du comité scientifique, qui a d'ores et déjà commencé ce travail. Naturellement, le Parlement souhaite contrôler celui-ci, et il pourra le faire grâce au comité de suivi parlementaire, auquel je souhaite associer tous les groupes politiques – mais aussi grâce à la Commission supérieure de codification et au Conseil d'État, qui se montre très vigilant.
Le dispositif choisi ne pose de difficultés à personne, sauf à l'extrême gauche. Tout le monde a compris le sens de la réforme et la nécessité de simplifier le code de procédure pénale. Ce n'est pas une lubie ministérielle : les forces de sécurité intérieure, les magistrats, les avocats, les greffiers, bref, tous les praticiens disent que cette simplification s'impose, et qu'il faut y procéder à droit constant, sans modifier les équilibres existants.
Je suis donc, naturellement, défavorable aux amendements.
Le groupe Horizons et apparentés s'opposera à la suppression de l'article 2. Nous n'aimons pas, nous non plus, les ordonnances ; aucun parlementaire ne les aime, par nature et par principe.
En pratique, les choses sont différentes. Nous voulons faire confiance au Gouvernement, mais cette attitude n'exclut pas le contrôle. La réforme du code de procédure pénale correspond à une demande très ancienne, et désormais urgente. Ce code est devenu un catalogue de mesures, allant du stade de l'enquête à l'administration pénitentiaire, dans un joyeux désordre. C'est un véritable Almanach Vermot, avec une page par jour à lire… Cet amoncellement a rendu la tâche des acteurs de la justice et de la chaîne pénale très difficile.
Pour réformer le code de procédure pénale, nous autres parlementaires manquons de moyens – il faut l'avouer. Personne, d'ailleurs, ne s'est saisi de cette question. Je suis la première à le regretter, mais nous n'avons pas les moyens de mener cette réforme.
Pour rendre le code de procédure pénale clair et intelligible, le Gouvernement propose de confier ce travail titanesque aux services et aux administrations en lesquels nous avons confiance, et d'assurer une forme de contrôle en associant les parlementaires à ce travail. Les conditions pour mener cette tâche à bien me semblent réunies ; c'est pourquoi nous nous opposerons aux amendements de suppression.
Mme Caroline Abadie applaudit.
Vous avez raison, madame Moutchou, de souligner la faiblesse des moyens dont disposent les parlementaires français pour contrôler l'action gouvernementale.
Quand on compare cette situation avec celle d'autres démocraties, notre indigence devient manifeste. Cependant, au nom de la démocratie même, nous ne pouvons pas accepter que cette réforme se fasse sans les députés. Le contrôle de l'activité gouvernementale se fait ici et non dans je ne sais quel comité.
Pour ce qui est de la complexité du code de procédure pénale, elle peut être vue de deux façons : on peut y voir le résultat de la démagogie qui, à chaque fait divers, pousse à ajouter une loi ; mais on peut aussi considérer qu'elle apporte une certaine finesse dans un monde toujours plus complexe. Quoi qu'il en soit, nous estimons qu'une réforme d'une telle nature doit être discutée au Parlement et nulle part ailleurs. Permettez-nous d'être un peu méfiants quand on voit le nombre record, en une année, de recours au 49.3 décidés unilatéralement par le Gouvernement.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 91
Nombre de suffrages exprimés 86
Majorité absolue 44
Pour l'adoption 14
Contre 72
J'ai souligné tout à l'heure que le groupe Rassemblement national entendait jouer le rôle de législateur vigilant. Par cet amendement, nous entendons supprimer une partie de phrase qui nous apparaît imprécise, voire équivoque. Comme on l'a évoqué en commission, le Conseil constitutionnel a sanctionné à maintes reprises des dispositions législatives donnant lieu à une pluralité d'interprétations, ainsi que des lois ambiguës. Il ressort de ces décisions qu'il censure les textes dont les dispositions ne sont pas, selon ses critères, suffisamment précises.
En l'espèce, s'agissant de l'alinéa 1 de l'article 2, si l'on comprend bien ce que signifie « la réécriture de la partie législative du code de procédure pénale afin d'en clarifier la rédaction et le plan », il est plus difficile de concevoir ce que recoupe précisément l'expression « la modification de toute autre disposition relevant du domaine de la loi rendue nécessaire par cette réécriture ». D'aucuns pourraient y voir un glissement de la réécriture à droit constant vers une réécriture totalement modifiée de pans entiers du code de procédure pénale. C'est un risque réel, tant la formule est vague et floue. Or c'est au législateur, donc à nous – il est bon de le répéter – qu'il appartient de changer ou non la teneur des textes sur le fond du droit ; ce n'est pas du ressort du pouvoir réglementaire.
Cette façon de modifier le droit serait au demeurant totalement contraire à la décision du Conseil constitutionnel du 16 décembre 1999, qui recommande de s'en tenir à une conception étroite de la codification à droit constant. C'est donc en parlementaires vigilants que nous vous demandons de supprimer cette partie de phrase, trop imprécise.
La parole est à M. Jean-Félix Acquaviva, pour soutenir l'amendement n° 484 .
Le présent amendement, identique au précédent, vise à mieux encadrer le recours aux ordonnances de l'article 38 de la Constitution pour réécrire le code de procédure pénale. Si cette réécriture est souhaitable pour rendre le code plus lisible et pour assurer le respect de la présomption d'innocence, l'habilitation à légiférer par ordonnances doit être encadrée. La rédaction actuelle de l'article 2 pose des difficultés, puisqu'elle permet « toute modification nécessitée par cette réécriture », sans plus de précision. Cette formulation nous semble trop large. Le Parlement n'a pas vocation à se dessaisir totalement de ses prérogatives ! Il nous paraît donc nécessaire de supprimer cette mention générale et floue. Le reste de l'article est, quant à lui, suffisamment précis pour permettre la réécriture souhaitée par le Gouvernement.
Madame Bordes, la décision du Conseil constitutionnel que vous avez citée nous rassure parfaitement puisqu'elle précise que la réécriture doit se faire à droit constant, sous peine de se voir retoquée. La formulation visée par l'amendement ne dissimule rien ; il s'agit simplement de procéder à des coordinations. Ainsi, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse renvoie abondamment au code de procédure pénale ; il est nécessaire de modifier les références de ces renvois. S'il apparaît des incohérences ou bien s'il faut trancher entre plusieurs interprétations, la représentation nationale pourra y remédier dans le cadre de la loi de ratification.
Si nous n'avions pas décidé de procéder par ordonnances, nous aurions dû examiner les 2 400 articles du code de procédure pénale. Nous aurions évidemment commencé par une motion de rejet préalable – n'est-ce pas, monsieur Bernalicis ?
Ensuite, si chaque groupe prenait deux minutes de parole sur chacun des 2 400 articles, comme le règlement l'y autorise, imaginez la durée du débat ! Ce n'est qu'au bout de deux ou trois ans que nous serions parvenus à réformer le code de procédure pénale. Par ailleurs, Mme Moutchou l'a dit, il y a sans doute des subtilités que nous n'aurions pas été capables de cerner, contrairement au comité scientifique dont les membres travaillent avec ce code tous les jours.
Avis défavorable.
Même avis, par cohérence avec mon propos de tout à l'heure. Il y a une véritable multiplication des contrôles. Non seulement les parlementaires suivront les travaux de près, mais ils voteront, conformément aux règles.
Vous avez dit que la réécriture se ferait à droit constant et qu'elle permettrait de procéder aux coordinations nécessaires avec d'autres dispositions ; cela me convient parfaitement. Mais ce n'est pas la formule qui figure dans le texte qui nous est soumis : la coordination nécessaire avec d'autres dispositions, ce n'est pas du tout la même chose que « la modification de toute autre disposition relevant du domaine de la loi » !
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
La parole est à Mme Pascale Bordes, pour soutenir l'amendement n° 217 .
Il s'agit d'un amendement de repli, qui vise à reprendre les propos du rapporteur – vous voyez que je vous écoute, monsieur le rapporteur – lors de l'examen du texte en commission. Afin de lever toute ambiguïté quant à la formulation retenue à l'origine, qui était légèrement différente, et nous rassurer sur ce point – nous en avons besoin –, vous avez précisé : « La refonte étant faite à droit constant, il ne peut y avoir de modification de fond : la décision n° 99-421 DC du Conseil constitutionnel va dans ce sens. La mention que vous souhaitez supprimer vise simplement à permettre de procéder à la coordination avec les autres codes. » Dont acte.
Alors pourquoi ne pas retranscrire directement dans le texte vos propos ? Voilà qui délimiterait clairement la mission de réécriture du code, d'autant que nous sommes totalement d'accord avec les termes que vous avez employés. Tel est le sens de cet amendement, qui tend à substituer à la formule que vous nous proposez les mots suivants : « et permettre de procéder aux coordinations nécessaires avec les dispositions figurant dans les autres codes. »
Défavorable. Je suis très flatté que vous m'écoutiez ! À vrai dire, tout cela est bien cadré par la décision du Conseil constitutionnel que vous avez citée. À la page 61 du rapport, vous trouverez d'ailleurs un petit encadré relatif au contrôle des lois d'habilitation par le Conseil constitutionnel. Je pense franchement que cette écriture sécurise les choses.
Madame Bordes, une précision s'impose : vous avez oublié la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui n'est pas codifiée. De toute évidence, je suis défavorable à cet amendement.
Si j'ai cité la décision du Conseil constitutionnel du 16 décembre 1999, c'est parce que vous n'avez eu de cesse de la brandir tout au long des travaux en commission. Or elle a tout de même vingt-quatre ans, et le Conseil constitutionnel peut changer demain ce qu'il a dit et écrit à cette époque ! Vous ne pouvez donc pas nous demander de nous fier, comme vous le faites, à une prétendue constance de ses décisions ; si nous y consentions, nous ne nous conduirions pas en législateurs vigilants.
J'insiste, le Conseil constitutionnel peut modifier sa jurisprudence et l'expression « à droit constant » peut évoluer. C'est la raison pour laquelle je souhaite que le périmètre de l'habilitation que vous nous demandez soit très précisément prévu. Je suis sûre que je ne suis pas la seule à le souhaiter dans cet hémicycle.
Le Conseil constitutionnel peut changer sa jurisprudence, si bien qu'une décision rendue il y a une vingtaine d'années peut ne plus être d'actualité aujourd'hui. Si nous n'acceptons pas ce principe, alors il n'y a plus de Conseil constitutionnel ! Il est bien évident que celui-ci peut être amené à évoluer. Mais à cet instant précis, nous sommes sous l'empire de la décision du 16 décembre 1999, que nous devons respecter.
Par ailleurs, vous n'avez pas répondu à mon argument. Vous écoutez le rapporteur, qui s'en trouve très flatté, mais vous ne m'écoutez pas moi – cela me rend très triste. Je le répète, la loi sur la liberté la presse n'est pas codifiée : il me semble que c'est un argument dirimant pour rejeter votre amendement.
L'amendement n° 217 n'est pas adopté.
Avant de défendre cet amendement, je voudrais exprimer mon étonnement face aux propos du rapporteur Balanant, qui critique la longueur d'un débat parlementaire. Nous, nous sommes prêts à débattre jusqu'au bout quand les choses sont graves et que le sujet est sérieux !
Il s'agit donc d'un amendement de repli, puisque nous ne sommes pas parvenus à supprimer l'article 2. Je le rappelle, celui-ci prévoit de réformer le code de procédure pénale par voie d'ordonnance, ce qui nous paraît très grave. Dans un effort de coconstruction, nous vous proposons donc de supprimer la dernière partie de l'alinéa 2, car les réserves prévues nous semblent imprécises et donneraient trop de latitude au Gouvernement. Nous souhaiterions simplement que le présent article précise que les modifications du code de procédure pénale s'effectueront à droit constant – rien de plus –, d'autant que l'ordonnance, une fois prise par le Gouvernement, est aussitôt appliquée, avant même d'être ratifiée par le Parlement, ce qui présente un risque.
Je vous invite à voter cet amendement, chers collègues !
La parole est à M. Jérémie Iordanoff, pour soutenir l'amendement n° 1310 .
Pour notre part, nous faisons confiance à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et à la vigilance dont celui-ci fait preuve. Comme tout le monde ici, nous souhaitons que la modification du code de procédure pénale par voie d'ordonnance s'effectue à droit constant ; à cet égard, le présent amendement devrait être regardé comme un simple amendement rédactionnel.
L'article 2, tel qu'il est rédigé, prévoit que la modification du code pourra s'effectuer « sous réserve » de diverses dispositions. La formule retenue est en réalité maladroite : soit les modifications sont mineures, auquel cas elles seront validées par le Conseil constitutionnel, soit les modifications sont substantielles, ce qui nous oblige à supprimer cette partie de l'alinéa, sans quoi il ne s'agirait plus d'une codification à droit constant. La formulation actuelle est très imprécise et ne s'avère pas utile. En l'occurrence, nous ne sommes pas opposés à une refonte du code par voie d'ordonnance, mais il s'agit tout de même d'une matière qui, historiquement, est placée sous le contrôle du Parlement. Il faut donc au maximum éviter les flous.
Nous avons déjà eu ce débat. C'est la formule habituelle qui est ici utilisée,…
…comme ce fut par exemple le cas pour les habilitations à modifier le code pénitentiaire et le code général de la fonction publique – modifications qui, comme cela a été démontré, ont été réalisées à droit constant.
Même avis.
C'est absolument incroyable ! Comment pouvez-vous refuser cet amendement, qui ne tend jamais qu'à préciser que la modification du code de procédure pénale s'effectuera à droit constant ? Nettoyer et supprimer les dispositions qui sont obsolètes : voilà, selon nous, la définition exacte de ce que signifie l'expression « à droit constant ». Pourtant, vous refusez cet amendement : la recodification ne se fera donc pas à droit constant !
La parole est à Mme Pascale Bordes, pour soutenir l'amendement n° 218 .
Il s'agit cette fois de supprimer les mots « harmoniser l'état du droit », à la seconde phrase de l'alinéa 2, qui me semblent totalement imprécis : en effet, harmoniser par rapport à qui, par rapport à quoi ?
Je vois à peu près ce à quoi cela pourrait correspondre, mais je ne le vois pas précisément. Monsieur le rapporteur, en commission, vous m'aviez indiqué qu'il s'agissait d'une mention classique dans les procédures d'habilitation. C'est vrai ; pour autant, elle n'est pas précise. Or ce que nous souhaitons, en tant que législateurs vigilants, ce sont des mentions dépourvues de toute ambiguïté, sans quoi nous craignons une réécriture totale de pans entiers du code de procédure pénale. J'insiste, la formule « harmoniser l'état du droit » est beaucoup trop vague et pourrait, si elle était maintenue, ouvrir la voie à une véritable modification de fond des matières législatives codifiées.
Je vais essayer de vous démontrer en quoi consiste une harmonisation en vous fournissant un exemple – je vous renvoie d'ailleurs aux pages 54 et 55 du rapport. Concernant les auteurs et les auteurs présumés d'une infraction, la législation a évolué. L'article 689-6 mentionne « les auteurs présumés de ces infractions », tandis que l'article D3, dans la partie réglementaire du code, fait référence à l'« auteur ». Cela fait déjà deux formules, et sachez qu'une troisième est utilisée à l'article R. 50-26.
Harmoniser des dispositions, c'est les rendre lisibles et compréhensibles pour tout un chacun. Imaginez un étudiant en droit qui ouvre pour la première fois le code de procédure pénale, ou une personne un tant soit peu curieuse qui désire le consulter pour voir comment les choses fonctionnent. Sincèrement, ils doivent s'accrocher, car c'est incompréhensible ! Voilà pourquoi il est nécessaire de procéder à une harmonisation. Avis défavorable.
Même avis.
« Harmoniser » : qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Le rapporteur a tenté de nous en donner une définition, mais il n'a fait que livrer son interprétation, comme nous avons la nôtre. L'harmonie est d'ailleurs symbolisée par la lettre phi dans le logo de La France insoumise.
C'est bien choisi !
Quand je vois l'expression du garde des sceaux à cet instant, je ne suis pas sûr qu'il donne à l'harmonie le même sens que moi ! Et cela vaut aussi pour la rédaction du code de procédure pénale. Prenons un seul exemple : la garde à vue. Vous le savez, il existe plusieurs régimes : vingt-quatre heures, quarante-huit heures, soixante-douze heures, voire quatre-vingt-seize heures, notamment dans les affaires de terrorisme. Imaginons que je suis un garde des sceaux…
« Ah non ! » sur plusieurs bancs des groupes RE, LR et RN
…de droite : je pourrais être tenté d'harmoniser ces régimes en appliquant à tout le monde le délai quatre-vingt-seize heures, à moins qu'un juge ne considère qu'il est trop long – « Faites confiance aux magistrats ! », comme dirait l'autre.
Vous voyez bien que ce terme « harmoniser » est un attrape-nigaud. En réalité, vous rédigerez le code comme bon vous semble et vous vous empresserez de nous soumettre un texte de ratification en procédure accélérée. Nous n'aurons même pas le temps de dire ouf que nous serons déjà en train d'examiner des articles à la pelle, comme ce fut le cas pour le code de la justice pénale des mineurs, et vous finirez par nous faire avaler des choses plus énormes les unes que les autres, alors qu'elles emportent des conséquences exorbitantes du point de vue de la procédure. Or la procédure est sœur jumelle de la liberté : pas de procédure, pas de liberté ! Cela vaut aussi bien pour les individus mis en cause que pour les victimes.
Il faut donc chérir la procédure, autant que ce débat sur la procédure pénale. Je rêverais que celui-ci puisse avoir lieu pendant six mois de façon ininterrompue ; ce serait sain pour le pays et la démocratie parlementaire. Or ce n'est pas ce que vous proposez : malheureusement, le new public management et la gestion de flux et de stocks s'appliquent aussi à l'examen des textes à l'Assemblée nationale.
Mme Andrée Taurinya applaudit.
Vu notre capacité collective – la vôtre, la mienne – à ajouter des mots après les mots, je crois que six mois ne suffiraient pas ! Je vous pensais plus rigoureux et plus au fait des procédures et de la légistique, monsieur Bernalicis. L'exemple que vous avez donné ne correspond nullement à de l'harmonisation : appliquer un nouveau délai de garde à vue reviendrait à changer le fond de la procédure.
Pardonnez-moi, mais imposer une garde à vue de cent quarante-quatre heures modifierait indéniablement le fond de la procédure, ce qui n'échapperait pas à la censure du Conseil constitutionnel.
Mais non ! J'ai parlé de généraliser la garde à vue de quatre-vingt-seize heures, qui existe déjà.
L'amendement n° 218 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Pascale Bordes, pour soutenir l'amendement n° 219 .
Par cet amendement, nous proposons une formule qui pourrait tous nous mettre d'accord. Si je résume votre position, monsieur le ministre, vous souhaitez que nous vous fassions une confiance aveugle.
Pas du tout !
Or, vous qui êtes fin juriste, vous savez très bien qu'une confiance aveugle est impossible. Vous nous assurez que la modification du code s'opérera à droit constant : très bien ! Vous évoquez la décision du Conseil constitutionnel rendue il y a vingt-quatre ans, mais je vous rappelle que celui-ci peut changer d'avis. Dont acte : allons-y, adoptons cet amendement et inscrivons dans le texte la décision du 16 décembre 1999,…
C'est superfétatoire !
…notamment son considérant 23, qui précise très clairement que « le principe de la codification ''à droit constant'' […] s'oppose à ce que soit réalisée une modification du fond des matières législatives codifiées » !
Que craignez-vous ? Cela va tout à fait dans votre sens ! Si vous voulez qu'on vous fasse confiance, allons-y : cette confiance, nous ne vous l'accorderons qu'à la condition que cette précision soit inscrite dans la loi. À défaut, cela signifierait que le droit ne serait pas si constant que ça, cela cacherait peut-être quelque chose. Je ne vous fais pas de procès d'intention, mais nous autres législateurs devons être vigilants – c'est le minimum qu'on attend de nous.
Je vais tenter une énième fois de vous rassurer, madame Bordes.
En réalité, vous nous avez déjà fait confiance par le passé. Pour le code de la justice pénale des mineurs – j'étais le rapporteur du projet de loi –,…
…nous avions employé exactement la même méthode : loi d'habilitation, consultation des parlementaires, comité scientifique, ratification de l'ordonnance à la suite d'un débat au Parlement. Figurez-vous qu'à l'issue de ce débat, la plupart des membres de votre groupe ont voté en faveur du code.
La méthode a donc été éprouvée, vous nous avez déjà fait confiance et nous vous demandons de réitérer cette confiance en considérant que les choses sont bien cadrées du fait de l'intervention du Conseil d'État et du débat parlementaire à l'occasion de la ratification de l'ordonnance.
Avis défavorable.
Que craignons-nous ? Rien du tout ! Mais la loi ne peut être bavarde, madame Bordes. Or votre amendement est parfaitement superfétatoire. Je rappelle qu'interviendront la Commission supérieure de codification, le Conseil d'État, un comité de parlementaires et qu'au moment de la ratification de l'ordonnance, c'est vous qui déciderez. D'ailleurs, puisque la question vous passionne, je vous suggère – l'impératif m'étant interdit – de demander à votre groupe qu'il vous désigne pour en assurer le suivi parlementaire.
Il n'y a aucun risque. Ce que je ne veux pas, c'est que la loi soit mal écrite.
Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.
Que craignez-vous ? Je vous repose la question, monsieur le ministre. Pourquoi refuser ce travail démocratique légitime qui consiste à revenir devant nous ? Nous, nous y sommes déjà passés – et nous avons compris ce qu'il en était, notamment pour ce qui concerne le code de la justice pénale des mineurs.
C'est vous que je crains, assurément…
Est-ce bavard, est-ce superfétatoire, d'inscrire dans la loi le considérant du Conseil constitutionnel auquel vous tenez tant ? Non, bien au contraire. Ce qui est bavard, ce qui est superfétatoire, c'est la formule que vous avez retenue au deuxième alinéa : « Elle est effectuée à droit constant, sous réserve de… » Arrêtez-vous à « droit constant » ! Ou alors ajoutez la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur laquelle nous nous accordons tous.
L'amendement n° 219 n'est pas adopté.
Cet amendement vise à inscrire dans la loi l'engagement pris par le garde des sceaux, non seulement quant au principe, mais aussi quant à la forme – y compris le nom donné à l'instance consultative rassemblant les parlementaires.
Même si le projet de loi présente la codification envisagée comme un processus technique à droit constant, les débats qui traversent depuis longtemps la société et la question brûlante de la réponse à apporter aux violences urbaines rendent cette conception fragile.
Il convient donc d'appuyer la démarche gouvernementale, en reconnaissant juridiquement autant que symboliquement une responsabilité partagée.
Rappelons qu'en 1992, la réforme du code pénal avait suivi la voie de la procédure législative ordinaire.
Nous souhaitons suivre au plus près la réalité des travaux de codification, en soumettant les projets de texte élaborés au fur et à mesure de la codification à une concertation nécessaire.
La parole est à M. Jocelyn Dessigny, pour soutenir l'amendement n° 1021 .
Conformément aux dispositions de l'article 34 de la Constitution, selon lesquelles la procédure pénale relève du domaine de la loi, cet amendement tend à donner une portée normative à la procédure d'association des parlementaires au travail de codification évoquée dans le rapport annexé. Si le Parlement est étroitement associé aux travaux rédactionnels, la ratification sera plus fluide.
En adoptant le présent amendement, on assurerait une ventilation renouvelée des rapports entre le Parlement et le Gouvernement, garante d'une société démocratique.
Nous souhaiterions qu'à l'avenir, les lois ne soient pas promulguées sans qu'elles soient ratifiées par le Parlement – sinon, à quoi servons-nous ?
La parole est à M. Jérémie Iordanoff, pour soutenir l'amendement n° 1309 .
S'agissant d'une matière aussi sensible, le recours à la législation déléguée doit être très contrôlé. Si la simplification du code de procédure pénale est nécessaire et prend du temps, le Parlement doit y être associé. C'est certes prévu dans le rapport annexé, mais il convient de sécuriser juridiquement cette disposition en l'inscrivant dans le corps de la loi.
En outre, je propose que le comité de parlementaires soit, autant que possible, composé paritairement d'hommes et de femmes.
Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable sur l'ensemble des amendements en discussion commune.
L'engagement figure dans le rapport annexé, à la demande des sénateurs. L'inscrire dans le corps du texte aurait un petit côté baroque : cela n'a jamais été fait. Certes, nous sommes là pour innover, mais je crains qu'une telle rédaction n'introduise de la lourdeur et que le comité de suivi ne puisse plus disposer de la souplesse qui lui serait nécessaire.
Un tel comité avait été constitué pour le code de la justice pénale des mineurs. Il avait effectué un travail remarquable. Tous les groupes y avaient été associés – mais tous n'y avaient pas participé, ce qui est dommage. Néanmoins, l'ordonnance fut un succès.
Je rappelle que nous exercerons un contrôle final à l'occasion de l'examen du projet de loi de ratification. Nous mettrons la pression sur le Gouvernement pour qu'il nous le soumette dans le délai imparti. Et peut-être le garde des sceaux pourra-t-il s'engager à ce que le comité de suivi soit mis en place dès que possible pour que nous puissions commencer à travailler rapidement.
Le comité de suivi sera mis en place dès que le texte sera adopté, monsieur le rapporteur…
Mesdames et messieurs les députés, vous examinerez ultérieurement l'amendement n° 826 du rapporteur, qui précise que seront présentés tous les trois mois au comité de parlementaires l'état de l'avancement des travaux et les propositions de clarification et de simplification préconisées par le comité scientifique. Je pense que vous disposerez ainsi de toutes les assurances requises.
Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable sur l'ensemble des amendements en discussion commune.
La recevabilité des amendements est une science aléatoire…
J'avais déposé au nom de mon groupe un amendement similaire, visant à demander la mise en place d'un comité parlementaire, et il a été déclaré irrecevable ! Je rappelle que le législateur est là pour débattre et que quand on déclare un amendement irrecevable, on empêche non seulement son auteur de le soutenir, mais aussi les autres parlementaires d'en discuter – ce qui est extrêmement préjudiciable à tous.
Applaudissements sur certains bancs SOC et GDR – NUPES.
D'autre part, on nous renvoie au rapport annexé, qui est le réceptacle des frustrations : on y met tout ce que l'article 40 ou l'article 45 de la Constitution nous empêche d'inscrire dans le corps du texte. C'est un problème.
La discussion parlementaire est importante. Si je suis favorable à une codification par la voie de l'ordonnance, nous pourrions innover et avoir le courage d'inscrire dans la loi ce que vous acceptez de faire figurer dans le rapport annexé – et si le Conseil constitutionnel veut le censurer, qu'il le fasse ; au moins aurons-nous fait notre office.
Ces amendements m'embêtent un peu – même si, vu que c'est mieux que si c'était pire, nous allons les voter. Le rapporteur a expliqué à plusieurs reprises que nous n'avions pas les moyens, à l'Assemblée, de passer six mois à un an sur la réécriture du code de procédure pénale ; de fait, il a raison : nous sommes, parmi les parlements européens, l'un de ceux qui ont le moins de moyens – je parle là non de l'indemnité parlementaire, mais de tout ce qui nous entoure, y compris les fonctionnaires. Alors, quand on reçoit 2 000 articles à analyser, même si c'est morceau par morceau et de trimestre en trimestre, on n'a pas la possibilité de repérer le moindre problème, on n'y voit que du feu.
Il serait donc bon que l'Assemblée nationale dispose de plus de moyens. Prenez l'évaluation des politiques publiques : on nous dit d'arrêter de demander tous les quatre matins des rapports au Gouvernement – mais si nous avions quatre fois plus d'administrateurs, nous nous en chargerions, et il y aurait profusion de rapports parlementaires ! Il existe une incroyable asymétrie de moyens entre le Parlement et le Gouvernement au profit de ce dernier. Pour un régime qui se prétend parlementaire, c'est un comble !
Qu'il soit impossible d'inscrire dans la loi, à propos d'une ordonnance, que tous les groupes doivent être représentés dans le comité de suivi parlementaire, c'est un peu dérangeant… Quand on a l'esprit mal tourné, on en vient à se demander si le rapport annexé est opposable au même titre que la loi, et si l'on ne pourrait pas éviter d'inviter Bernalicis parce qu'il risque de fiche la pagaille lors de la réunion – alors que si c'était inscrit dans le dur, ce serait plus compliqué.
Quel orgueil ! Un peu d'humilité, monsieur Bernalicis, vous n'êtes pas le centre du monde !
Et s'agissant du code de la justice pénale des mineurs, il s'en est fallu de peu que les dispositions ne s'appliquent alors qu'on n'en avait pas encore discuté à l'Assemblée nationale. Eh oui ! Il existe une jurisprudence du Conseil conditionnel qui permet de mettre en œuvre des ordonnances sans qu'on n'en sache rien !
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à dix-neuf heures cinquante.
L'amendement n° 1309 n'est pas adopté.
Sur l'article 2, je suis saisi par les groupes Renaissance et La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Je suis saisi de deux amendements identiques, n° 293 et 563 .
La parole est à M. Jean-Pierre Taite, pour soutenir l'amendement n° 293 .
Par cet amendement de mon collègue Ian Boucard, nous proposons de raccourcir de deux ans à un an le délai accordé au Gouvernement pour publier l'ordonnance visant à réécrire la partie législative du code de procédure pénale. Compte tenu de l'importance, pour l'efficacité de la justice, de la réforme de la procédure pénale, il est primordial que le Gouvernement publie cette ordonnance dans un délai raisonnable, d'autant que les travaux en la matière sont menés depuis suffisamment de temps – les états généraux de la justice ont été lancés en octobre 2021.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement n° 563 .
J'avais moi aussi déposé un amendement relatif au suivi des travaux par un comité de parlementaires. Il a également été déclaré irrecevable. Monsieur le ministre, je suis ravie d'apprendre qu'un autre amendement, bien évidemment déposé par la majorité, nous sera présenté ultérieurement sur ce point. Toutefois, j'ai un peu de mal à comprendre pourquoi certains amendements sont recevables et d'autres ne le sont pas, alors qu'ils portent sur le même sujet.
La réécriture, par la voie ordinaire, de la partie législative du code de procédure pénale prendrait effectivement un temps considérable. On peut donc comprendre la nécessité de recourir à une ordonnance. Toutefois, l'autorisation que nous sommes appelés à donner à cette fin ne peut pas être un blanc-seing pour le Gouvernement. Le contrôle parlementaire est nécessaire et aurait dû être inscrit dans le projet de loi.
Mon amendement n° 563 vise à réduire de deux ans à un an le délai dont disposera le Gouvernement pour prendre l'ordonnance. Certes, il s'agit d'un travail titanesque – on l'a dit à plusieurs reprises – mais, si l'on cumule les différents délais qui figurent dans le texte, on constate que la refonte de la procédure pénale ne sera pas ratifiée avant trois ans et demi. Cette durée me paraît beaucoup trop longue, compte tenu de l'urgence que vous n'avez cessé d'invoquer depuis le début de la discussion en séance.
L'irrecevabilité n'est prononcée ni par les rapporteurs ni par le président de la commission. Au stade de l'examen en séance, c'est la direction de la séance qui formule des propositions en la matière. Si vous avez des interrogations, vous pouvez vous adresser à elle : elle vous précisera les raisons de l'irrecevabilité.
On entend si souvent à l'Assemblée – nous l'avons entendu tout à l'heure de la part des Insoumis – le reproche selon lequel nous allons trop vite, nous légiférons dans l'urgence, nous sommes soumis à la pression, etc.
Or, pour une fois, nous nous donnons deux ans, sur un sujet colossal et très important pour la justice : le code de procédure pénale. Cette durée permettra tout simplement de garantir la qualité du travail et, précisément, de tenir des réunions régulières avec les parlementaires, auxquelles ils pourront tous être présents – nos emplois du temps étant un peu contraints, vous le savez parfaitement. En un an, le travail serait réalisé beaucoup trop rapidement et ne serait pas de qualité.
Quant à la ratification, elle interviendra non pas dans trois ans et demi, mais dans deux ans et demi : le Gouvernement disposera de deux ans pour rédiger l'ordonnance, puis de six mois pour déposer un projet de loi de ratification – sachant qu'il pourra le faire avant la fin de ce deuxième délai. Mon avis est donc défavorable.
Nous n'avons pas choisi ce délai au doigt mouillé ! Lorsque nous l'avons interrogé, le comité scientifique de suivi des travaux a répondu qu'il lui fallait deux ans pour mener à bien sa mission. Vous comprenez bien que ce n'est pas contre vous, madame Ménard !
D'autre part, votre assemblée vient de voter une habilitation donnant au Gouvernement un délai de trente-six mois pour réécrire la partie législative du code des douanes.
Or le code des douanes est beaucoup moins volumineux que le code de procédure pénale. J'en appelle donc à la cohérence.
Selon la formule consacrée, qui a fait ses preuves, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Nous souhaitons en rester à ce délai de deux ans, parce qu'il s'agit effectivement d'un travail titanesque et que le comité scientifique a estimé avoir besoin de cette durée.
Pour une fois, nous n'avons pas lieu de dénoncer une incapacité du Parlement à légiférer. S'agissant de la réécriture d'un bloc aussi important, le recours à l'article 38 de la Constitution est plutôt la bonne voie. Nous n'y arriverions pas par la voie législative ordinaire, sauf si nous y passions des jours et des nuits.
Certes, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, mais ce délai de deux ans est tout de même très long. Au demeurant, si vous voulez que votre loi soit appliquée, il va falloir mettre les bouchées doubles ! Dans le meilleur des cas, compte tenu de la navette parlementaire, nous adopterons définitivement ce texte à la mi-octobre – sachant que la commission mixte paritaire ne se tiendrait pas avant le 5 octobre. Et encore faut-il tenir compte des débats budgétaires, ce qui pourrait nous amener vers la fin de l'année. Mme Ménard est dans le vrai : la ratification de l'ordonnance aura lieu plutôt dans trois ans que dans deux ans et demi.
Or, dans trois ans, nous serons à un an de l'élection présidentielle, autrement dit à la fin du quinquennat. Sans vouloir vous faire offense, monsieur le ministre, nous aurons sans doute changé x fois de garde des sceaux d'ici là.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
On ne me suspectera pas d'être favorable au texte tel qu'il est écrit, c'est-à-dire à une réécriture à droit constant. En outre, j'ai moi-même subi les foudres du service de la séance, qui a déclaré l'irrecevabilité de l'un de mes amendements.
Je suis bien plus clément que le service de la séance ! Vous en avez bénéficié.
Néanmoins, soyons lucides : je ne vois pas comment on pourrait procéder à cette réécriture en moins de deux ans. Ce délai me paraît tout à fait réaliste. Combien de temps a-t-il fallu pour réécrire le code de justice pénale des mineurs ?
Le Rassemblement national en soutien du Gouvernement ! Cela devait arriver.
Merci, madame Bordes.
Exiger une réécriture plus rapide serait saborder le travail. Est-ce cela que nous voulons ? Certes, les délais sont toujours trop longs, ils fixent un horizon trop lointain. Mais alors, peut-être aurait-il fallu commencer le travail avant. Nous devons, tous autant que nous sommes, faire notre autocritique. Nous ne découvrons pas le problème : cela fait des années que le code de procédure pénale est totalement indigeste, des années que les praticiens se plaignent. Aujourd'hui, nous avons la perspective, en surveillant ce que fait le Gouvernement – j'insiste sur ce point –, de voir un jour sortir un code de procédure pénale digeste. Donnons-nous les moyens de le faire.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement n° 565 .
C'est un amendement de cohérence avec le précédent. Vous avez dit tout à l'heure, monsieur le garde des sceaux, que le comité scientifique avait déjà commencé à travailler ; si c'est bien le cas et si, comme l'a très bien rappelé M. Gosselin, le texte n'est adopté que vers la fin de l'année 2023, il me semble que ma proposition n'est pas complètement incohérente.
Deux ans à partir de la promulgation de la loi, cela fait beaucoup de temps perdu. On peut varier les délais de présentation de l'ordonnance de ratification – trois mois, six mois – si cela vous fait plaisir, mais il me semble que l'on pourrait retrancher des deux ans le temps que le comité scientifique a déjà passé à travailler sur le sujet. Ce ne sera pas le cas.
Avis défavorable. Le délai généralement prévu est de six mois, mais la ratification peut être plus rapide.
L'amendement n° 565 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 109
Nombre de suffrages exprimés 103
Majorité absolue 52
Pour l'adoption 79
Contre 24
L'article 2 est adopté.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 et du projet de loi organique relatif à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra