Notre époque est tristement marquée par une défiance généralisée à l'égard de nos institutions et une remise en cause de l'état de droit et de l'État républicain qu'une partie de la classe politique elle-même va jusqu'à dangereusement terroriser – pardon, théoriser, quoiqu'en l'occurrence, les deux verbes puissent s'employer – et mettre en pratique. La justice, rendue au nom du peuple français, n'y fait malheureusement pas exception. Face aux défis et aux incertitudes auxquels elle est confrontée, son salut tient en grande partie dans sa capacité à s'adapter, d'une certaine façon, à se remettre en cause et à dialoguer, selon des règles propres, avec la société et les pouvoirs publics. C'est à ce prix, sans compromettre son indépendance et son impartialité, qu'elle pourra accomplir la mission essentielle qui est la sienne. C'est un impératif d'autant plus grand que l'attente de justice reste, paradoxalement, toujours aussi forte chez nos concitoyens.
C'est à relever ce défi majeur pour notre démocratie que se sont employés, depuis plusieurs années, notre majorité et le Gouvernement. Cette action, née d'une volonté forte et décisive exprimée par le Président de la République, a pris la forme des états généraux de la justice qui ont été suivis par un plan d'action particulièrement ambitieux du ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, dont nous trouvons une traduction dans les deux textes que nous examinons. Nous poursuivons ainsi le patient et indispensable travail de restauration de notre justice, conformément aux engagements que nous avons pris.
Nous attendons, sur tous les bancs de cet hémicycle, un consensus autour des efforts budgétaires sans précédent qui ont été consentis, des perspectives hors normes de recrutement qui ont été tracées, des évolutions réglementaires annoncées, en particulier s'agissant de la réforme fondamentale de la médiation en matière civile ainsi que de la déconcentration et du dialogue de gestion que vous préconisez, monsieur le ministre. Ces changements de paradigme ne seraient toutefois pas complets s'ils n'étaient pas accompagnés de nouvelles transformations du corps judiciaire.
Recruter en quelques années 1 500 magistrats supplémentaires, c'est nécessairement continuer à faciliter l'accès des professionnels à la magistrature, rendre les carrières plus attractives, assouplir encore le lien entre grades et fonctions, mieux évaluer le rôle essentiel des magistrats en matière de gestion et de ressources humaines et reconstruire le dialogue social sur des bases solides. Ce sont quelques-uns des fondamentaux du texte auxquels les magistrats veulent croire.
Ne nous y trompons pas, la dernière réforme d'ampleur du statut de la magistrature remonte à plus de vingt ans, pour être exact, à la loi organique du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature. Avec ce projet de loi organique, il s'agit rien de moins que de changer en profondeur les règles concernant l'accès au corps judiciaire et sa structuration, tout en lui apportant de fortes garanties sur le plan de l'indépendance et de la stabilité.
Il importait de prendre en compte les demandes exprimées au cours des états généraux comme de suivre les suggestions du CSM concernant un affermissement de la responsabilité des magistrats. C'est ainsi que la loi organique prévoit une reformulation du serment des magistrats, l'élaboration d'une charte de déontologie, une diversification accrue de l'échelle des sanctions ainsi qu'une amélioration sensible de l'exercice du droit de plainte des justiciables.
Assurer plus d'efficacité et plus de transparence pour plus de confiance, tout en maintenant un système suffisamment équilibré pour ne pas perturber l'activité des magistrats ni attenter, de quelque façon que ce soit, à leur indépendance, tels sont les objectifs poursuivis.
Le Sénat, en première lecture, a opéré un travail de fond auquel il faut rendre hommage. Notre commission des lois, en lien avec le Gouvernement, n'a cependant pas été en reste. Nous avons pu rectifier ou améliorer – de manière plutôt consensuelle, il faut le souligner – de nombreux dispositifs comme l'encadrement de la liberté syndicale des magistrats, que le Sénat voulait lier à un critère d'impartialité, ce qui revenait, pour beaucoup d'entre nous, à le vider de son sens. Nous avons également restauré certains équilibres afin d'assurer une meilleure garantie d'indépendance du corps judiciaire, notamment en prévoyant la présence majoritaire des magistrats dans les nouveaux jurys ou collèges d'évaluation. Nous avons eu aussi à cœur de maintenir le rôle spécifique du ministre de la justice, en particulier dans le nouveau schéma de responsabilité des magistrats.
Pour toutes ces raisons, j'ai la conviction que les évolutions à la fois internes et externes du corps judiciaire contenues dans ce projet de loi organique répondent parfaitement aux exigences de qualité et d'efficacité de notre justice et s'imbriquent pleinement dans le large plan d'action mis en œuvre par Éric Dupond-Moretti. Notre groupe y sera, bien évidemment, favorable.