La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Suite de la discussion d'une proposition de loi
Ce matin, l'Assemblée a commencé la discussion des articles de la proposition de loi, s'arrêtant à l'amendement n° 115 portant article additionnel après l'article unique.
Le lien entre les personnes bénéficiant du statut d'étranger sur le territoire de la République et la délinquance est de plus en plus évident, ainsi que M. le rapporteur l'a démontré. Madame la ministre déléguée, vous l'avez reconnu en citant des chiffres que le Président de la République a lui-même évoqués. Nous devons en tirer les conclusions, malgré la suppression de l'article unique de cette proposition de loi à la suite d'un vote de la majorité et des groupes de la NUPES, unis dans un programme commun contre le bon sens et l'efficacité du combat contre l'immigration illégale et la délinquance.
Je vais encore plus loin que M. le rapporteur, qui proposait d'alléger certaines garanties de la procédure d'expulsion d'étrangers pour des faits mettant gravement en cause l'ordre public, puisque cet amendement vise une expulsion dès qu'existe une menace à l'ordre public, laquelle déchire en effet le contrat de confiance avec la nation que constitue le titre de séjour. Il faut en tirer les conséquences, qu'il s'agisse de faits graves ou moins graves.
La parole est à M. Mansour Kamardine, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour donner l'avis de la commission.
La commission n'a pas examiné ces amendements.
À titre personnel, mon avis est favorable, car je pense qu'il s'agit d'amendements de bon sens, qui méritent une attention toute particulière, compte tenu de la situation actuelle. Nous reviendrons tout à l'heure sur le cas spécifique de Mayotte.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, pour donner l'avis du Gouvernement
L'impossibilité d'expulser un mineur est solidement ancrée dans notre droit et il n'apparaît pas opportun de remettre en cause ce principe. La mise à exécution de la mesure d'expulsion serait, en tout état de cause, particulièrement complexe. Elle nécessiterait en effet que le pays de renvoi accepte de mettre en place un dispositif particulier d'accueil si les parents de l'intéressé résident en France.
Monsieur Ciotti, nous sommes d'accord sur les chiffres, mais je pense que vous n'avez pas entendu mon propos liminaire dans lequel je rappelais qu'un débat est déjà prévu depuis deux mois à l'Assemblée nationale et qu'il se tiendra les 6 et 13 décembre.
Vous ne pouvez pas dire que nous n'agissons pas. Nous consultons, nous travaillons et nous débattrons, dans les délais prévus, du projet de loi porté par Gérald Darmanin.
Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Monsieur Ciotti, vous avez raison, les étrangers représentent 7 % de la population en France et 16 % des condamnés. Vous oubliez toutefois de dire qu'ils sont principalement condamnés pour des infractions liées au statut d'étranger, notamment pour celles de travail dissimulé. Je vous invite donc, si vous souhaitez vraiment faire baisser les chiffres de la délinquance des étrangers, à œuvrer plutôt à la régularisation des travailleurs sans papiers et à faire sanctionner les patrons qui embauchent clandestinement ces travailleurs. C'est là que se situe la prétendue délinquance étrangère.
Sur la question des mineurs, pourquoi n'avoir pas mené une politique sociale active d'aide à l'enfance lorsque vous présidiez le conseil départemental des Alpes-Maritimes ? En aidant et en accompagnant davantage les mineurs étrangers isolés, vous verrez que les problèmes se régleront.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES, LFI – NUPES et GDR – NUPES.
Vous savez très bien que les obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont très difficiles à faire appliquer en raison des problèmes liés à la délivrance des laissez-passer consulaires et diplomatiques. Vos propositions répétées d'expulsion à outrance et de renforcement de la loi ne sont donc que de l'affichage politique pour satisfaire votre électorat. Je sais que vous êtes en plein congrès, mais soyez sérieux !
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES et LFI – NUPES.
Monsieur Taché, je suis d'accord avec vous : il faut sanctionner les employeurs qui utilisent de la main-d'œuvre clandestine. J'ai d'ailleurs été étonné de voir le porte-parole du Gouvernement, M. Véran, faire, dans une émission de télévision, la publicité d'un restaurateur grenoblois, qui est manifestement un de ses amis, pour souligner la pertinence du texte proposé par M. Darmanin qui vise à régulariser certains clandestins travaillant dans des secteurs en tension. Son argument m'a paru quelque peu spécieux. Cela dit, je pense que, dès que quelqu'un viole la loi de la République, une sanction doit être prononcée.
Madame la ministre déléguée, je suis l'élu d'un département frontalier qui compte sans doute parmi ceux qui accueillent le plus grand nombre de mineurs isolés.
Ils restent toutefois très peu de temps dans le département puisque, une fois placé par les services de l'aide sociale à l'enfance, beaucoup d'entre eux fuguent dans les quarante-huit heures. L'année dernière, le département des Alpes-Maritimes a ainsi accueilli environ 5 000 mineurs non accompagnés (MNA) remis par la police aux frontières, mais seuls 500 demeurent dans les établissements de l'aide sociale à l'enfance.
Monsieur Taché, nous mettons tous les moyens nécessaires pour les entourer et les accompagner. Toutefois, il y a beaucoup de fraudes et la plupart sont de faux mineurs.
Nous ne disposons pas de moyens de contrôle suffisants, même en comptant sur ceux déployés en coordination entre le département et le ministère de l'intérieur au poste frontière de Menton, qui constituent un progrès.
Vous avez cité les pays d'origine de ces mineurs. Aujourd'hui, presque un tiers d'entre eux viennent de Tunisie, qui n'est pourtant pas un pays en guerre. Je ne comprends ni la mansuétude du Gouvernement ni son manque de volontarisme pour procéder au retour des MNA dans leur pays d'origine. Il est inadmissible qu'un pays se désintéresse du sort de ses enfants. Il y a des parents en Tunisie et dans les autres pays ! Pourquoi une politique diplomatique beaucoup plus ferme n'est-elle pas menée ? Il n'y a aucune raison pour que l'aide sociale à l'enfance prenne en charge ces mineurs, avec des coûts très importants pour les départements, à moins bien sûr qu'ils ne soient en danger. Il faut faire preuve de moins de naïveté et vérifier si ces mineurs le sont vraiment et il faut agir et expulser les mineurs de plus de 16 ans qui sont impliqués dans des actes de délinquance.
Il vise à accorder à l'autorité administrative la possibilité de prononcer une peine d'expulsion du territoire national à l'encontre d'un mineur de plus de 16 ans en cas de comportement lié à des activités à caractère terroriste.
Le groupe Les Républicains a un seul et unique cheval de bataille, celui de la sécurité, mais cela ne garantit pas la qualité de ses travaux sur ce sujet, contrairement à ce qu'on pourrait naïvement penser. Ses propositions de réforme sont, à l'image de ce texte, tardives et simplistes. Elles n'apportent que le strict minimum aux Français. Cette proposition de loi vise à faciliter l'expulsion des étrangers en cas de menace grave à l'ordre public. Je vous en félicite, mais je vous rappelle que le 26 novembre 2003, un certain Nicolas Macrony …
Sourires
Il s'agit d'un lapsus, mais peut-être est-il révélateur.
Le 26 novembre 2003, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur de Chirac, faisait voter une loi permettant la protection des mineurs étrangers et leur maintien sur le territoire national, quel que soit leur crime ou comportement à caractère terroriste.
Nous vous proposons par cet amendement de rattraper vos erreurs et de muscler votre jeu. Il est de notre devoir de nous montrer fermes et intraitables face à la menace terroriste, y compris avec les mineurs de plus de 16 ans. Ils peuvent en effet, tout autant qu'un adulte, constituer une menace terroriste grave et un réel danger pour nos concitoyens.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
La commission n'a pas examiné cet amendement.
J'émets à titre personnel un avis défavorable, car l'adoption de votre amendement aurait pour conséquence d'expulser un mineur de plus de 16 ans quel que soit le trouble à l'ordre public causé par l'infraction qu'il aurait commise. Un mineur pourrait donc être expulsé s'il n'a pas respecté un stop ou un feu rouge en voiture. Retirer le mot « grave » pour qualifier le trouble à l'ordre public conduirait à rendre expulsable un trop grand nombre de mineurs pour que les mesures d'expulsion puissent effectivement être exécutées.
Je répète ce que j'ai dit au député Ciotti : l'impossibilité d'expulser un mineur est solidement ancrée dans notre droit et il n'apparaît pas opportun de remettre en cause ce principe. La mise à exécution de la mesure que vous proposez serait, en tout état de cause, particulièrement complexe. Elle demanderait que le pays de renvoi accepte de mettre en place un dispositif particulier d'accueil si les parents de l'intéressé résident en France. En outre, l'expulsion de l'intéressé pourra être envisagée une fois qu'il aura atteint la majorité si le comportement à caractère terroriste est établi.
Avis défavorable.
L'amendement n° 132 n'est pas adopté.
La possibilité d'expulser des mineurs étrangers est une évidence. C'est du bon sens et les Français le réclament !
Je vais rappeler quelques chiffres. En 2020, à Paris, plus de 40 % des vols à la tire, 30 % des vols avec violence et 30 % des cambriolages étaient commis par des mineurs non accompagnés.
Le volume de jeunes en errance impliqués dans des faits violents a augmenté de 407 % entre 2016 et 2020. Aujourd'hui, les mineurs étrangers représentent près de 75 % du total des mineurs déférés devant le parquet de Paris. Les choses sont claires et les chiffres sont ce qu'ils sont. Inutile d'argumenter davantage !
Voyons maintenant si la NUPES et la majorité présidentielle continuent de nier la réalité main dans la main, comme tout à l'heure. On comprend la position des députés de la NUPES, car c'est leur fonds de commerce – plus le chaos, le bordel, est grand, mieux c'est
Protestations sur les bancs du groupe LFI – NUPES
– mais pas la vôtre, chers membres de la majorité présidentielle. Comment pouvez-vous vous regarder en face…
C'est vrai que vous, vous êtes du côté de l'ordre et du calme, surtout dans l'hémicycle !
…après ce que vous avez fait ce matin ? Nous voulons durcir les règles. La secrétaire d'État elle-même nous donne raison en déclarant partager cet objectif. Or quand le rapporteur dépose un texte en ce sens, que les députés ici présents l'amendent pour le rendre plus efficace encore, vous votez un amendement de suppression. Franchement, je ne sais pas comment vous pouvez vous regarder en face.
Quant à vous, membres de la NUPES, vous gardez vos habitudes, alors qu'il est nécessaire d'agir.
Protestations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
N'oubliez pas dans quel état se trouve la France, aujourd'hui, en 2022, et que les Français réclament des actions !
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
La commission n'ayant pas examiné cet amendement, c'est à titre personnel que j'émets un avis défavorable. La raison en est simple : vous proposez des mesures beaucoup plus drastiques pour les mineurs que pour les adultes.
Même avis, pour les mêmes raisons.
Nous sommes bien évidemment défavorables à cet amendement, pour des raisons simples. La France a signé des conventions internationales, notamment en matière de droit des enfants, qu'elle doit respecter sur son territoire. Nous assumons notre position fièrement. Pour nous, ce n'est pas un fonds de commerce, même si je sais qu'à l'extrême droite, la petite entreprise Le Pen ayant prospéré ,
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Jérémie Iordanoff applaudit également
vous considérez que la politique n'est un commerce de haine et de xénophobie.
La protection des enfants est le fonds même de notre formation politique…
…. et nous sommes fiers de nous inscrire dans la grande histoire de la défense des droits des enfants. Nous pensons que tous les enfants, quelle que soit leur situation sur le territoire, qu'ils soient accompagnés ou non, Français ou non, doivent être protégés.
Oui, il est déplorable qu'à Paris, dans ma circonscription, qui est à cheval sur le 18
Il s'inscrit dans une course mortifère dont le seul objectif est électoraliste et antirépublicain.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et GDR – NUPES ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Écolo – NUPES.
Je poursuis dans la même logique que précédemment. Même si cela vous dérange, la protection absolue dont disposent les mineurs étrangers fait l'honneur de la France ; elle sert l'humanité et élève la République.
L'intention du législateur a toujours été claire sur ce principe fondamental, y compris sous la présidence de Nicolas Sarkozy. La Convention européenne des droits de l'homme et surtout la Convention internationale des droits de l'enfant abondent à ce sens : tous les enfants résidant sur le territoire français devraient bénéficier de la même protection, quelle que soit leur situation administrative. La jurisprudence est tout aussi éloquente : « La protection des mineurs contre l'éloignement ne fait pas obstacle à l'éloignement d'étrangers majeurs ayant des enfants mineurs, dès lors qu'il n'existe aucune circonstance mettant les intéressés dans l'impossibilité d'emmener leurs enfants avec eux. »
Enfin, en tout état de cause, il appartient à l'intéressé d'apporter la preuve de son âge.
Quoi qu'il arrive, nous protégerons toujours les mineurs, même quand toute leur famille est menacée d'expulsion à cause de l'OQTF qui pèse sur leurs parents et qu'ils sont internés dans un CRA – centre de rétention administrative. Je rappelle que sous la législature précédente, Florent Boudié a déposé une proposition de loi visant à encadrer strictement la rétention administrative des familles avec mineurs, que nous reprendrons prochainement, afin de limiter le nombre de ces cas. Notre volonté, la volonté de la République est de protéger tous les mineurs, quoi qu'il arrive.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Dem. – Mme Sandra Regol applaudit également.
L'amendement n° 107 n'est pas adopté.
Les mesures prises par les autorités ne sont pas à la hauteur de la volonté affichée. En effet, les dispositions législatives ne sont pas adaptées et ne répondent pas de façon suffisamment ferme aux exigences de la sécurité intérieure du pays. L'amendement vise donc à assouplir la procédure administrative d'expulsion. La dérogation aux règles fixant les conditions d'édiction d'une expulsion ne serait plus réservée aux seuls cas d'urgence « absolue ».
La commission n'a pas examiné cet amendement. Toutefois, j'émets un avis défavorable, à titre personnel. Vous proposez de supprimer l'adjectif « absolue ». Or les auditions que nous avons conduites – avec talent et brio ! – ne nous ont pas permis de conclure à l'intérêt de cette nouvelle caractérisation et à son efficacité ; ce serait une réforme inutile de plus.
Monsieur Gillet, l'article L. 632-1 du Ceseda – code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile – prévoit que les procédures d'expulsion sont précédées d'une audition de l'étranger concerné devant la commission d'expulsion (Comex), sauf en cas d'urgence absolue.
Cette règle permet le respect du principe du contradictoire. Cette procédure est équilibrée, au regard de la Constitution et de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
L'amendement n° 108 n'est pas adopté.
La crise migratoire et la réponse qu'y apportent les pouvoirs publics menacent la sécurité du pays.
Actuellement, les dispositions applicables en matière d'expulsion donnent une grande marge de manœuvre aux autorités administratives qui peuvent abroger la décision d'expulsion à tout moment. Cet amendement vise à mettre l'accent sur la sécurité intérieure du pays, en prévoyant une condition proportionnée et justifiée à de telles décisions que les autorités administratives n'auraient plus le droit de prendre « en cas de menace à l'ordre public ».
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Avis défavorable, à titre personnel. Vous proposez de préciser que les abrogations visées sont impossibles « en cas de menace à l'ordre public ». Or, on peut considérer, compte tenu de l'ordonnancement juridique actuel, que cet amendement est satisfait.
Monsieur Gillet, il est inutile de préciser que l'abrogation d'un arrêté d'expulsion n'est pas possible si l'étranger concerné représente une menace pour l'ordre public. En effet, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion, l'autorité administrative procède à un examen actualisé du comportement adopté par l'intéressé et n'abroge bien évidemment la mesure que s'il est établi que l'intéressé ne représente pas une menace pour l'ordre public. L'amendement étant déjà satisfait, le Gouvernement vous demande de le retirer.
Le problème est que nous n'avons pas tous la même définition de l'ordre public.
Je le maintiens, évidemment. Tout cela montre une chose : alors que ce matin, les députés du groupe Les Républicains faisaient semblant d'avoir retrouvé le courage d'agir – on se demande d'ailleurs s'ils n'avaient pas fait un deal avec la majorité présidentielle pour s'assurer que l'amendement de suppression de l'article unique du texte serait adopté –, ils incarnent de nouveau une droite molle – encore plus molle qu'avant, même.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Encore une fois, les membres de la NUPES, de la majorité, comme ceux du groupe Les Républicains – notez, c'est merveilleux, que leurs bancs sont vides, alors que c'est leur journée de niche – laissent pourrir la situation. Le pays va mal, vous vous en foutez, vous laissez courir. Les Français s'en souviendront !
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
L'amendement n° 109 n'est pas adopté.
La parole est à M. Laurent Jacobelli, pour soutenir l'amendement n° 122 .
Ah, qu'il est difficile d'expulser un criminel ou un délinquant étranger ! C'est presque impossible. Entre les dérogations, les excuses, les OQTF non appliquées, il est bien rare qu'ils quittent le sol national. Certains s'en réjouissent, d'autres font mine de ne pas le croire. Pourtant, c'est la réalité.
Croyez-le ou non, même lorsque l'expulsion est prononcée, un droit de retour est prévu. Oui, tenez-vous bien, au bout de cinq ans, il est possible de réviser le statut de ces personnes ! C'est un peu comme une date de péremption du jugement, qui permet à celui qui avait été jugé comme une menace de revenir en France. C'est aberrant !
Celui qui, une fois, a mis en danger nos concitoyens, une fois, a porté atteinte à nos valeurs, ne doit jamais revenir. Une fois encore, aurez-vous le courage de durcir l'application des lois, comme les Français le demandent et comme c'est nécessaire ?
Ce matin, un amendement de suppression soutenu par l'extrême gauche est devenu un amendement de soumission, après le ralliement de l'extrême centre du Gouvernement. Cette situation est insupportable.
Les Français méritent d'être protégés. Je le dis à la NUPES et à leurs nouveaux alliés : les honnêtes gens en ont marre que vous soyez toujours du côté des délinquants, de ceux qui ne respectent pas la loi. Prenez vos responsabilités !
Ce n'est pas nous qui devons 7 millions d'euros aux Français après avoir fraudé !
Vous êtes députés de la République. Vous êtes là pour défendre les Français, pas les criminels étrangers.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Exclamations sur les bancs du groupe RN.
C'est le respect de la procédure contradictoire qui fait la force de notre État de droit. Or les mesures proposées priveraient les personnes mises en cause de ce droit. Il aurait été compliqué, dès lors, de donner un avis favorable.
Monsieur Jacobelli, même si vous n'avez pas présenté votre amendement, je répondrai sur le fond. La mesure d'expulsion est une mesure de police administrative, aux effets juridiques particulièrement forts. Elle doit à ce titre respecter les principes de nécessité et de proportionnalité, en conformité avec la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la directive européenne « libre circulation » et la Constitution.
Même si la mesure d'expulsion est prononcée sans limitation de durée, le législateur a considéré qu'elle ne pouvait être éternelle et a imposé un réexamen de la situation de l'étranger concerné tous les cinq ans, afin d'apprécier l'opportunité qu'elle soit maintenue. Par parallélisme des formes, la consultation de la commission d'expulsion paraît obligatoire lors de ces réexamens. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable à cet amendement.
Il se fonde sur l'article 70, alinéa 3, du règlement. Les insultes envers les membres de cette assemblée sont interdites. Or, M. Saintoul vient de nous traiter de racistes.
Je demande donc que des mesures soient prises contre ce député, qui ne respecte pas le règlement.
Vifs applaudissements sur les bancs du groupe RN.
J'espère que vous ne ferez pas deux poids deux mesures et qu'une insulte venue de l'extrême gauche est aussi condamnable qu'une autre !
Ce n'est pas une insulte ! Les tribunaux ont tranché ! C'est la simple qualification de votre position politique !
L'amendement n° 122 n'est pas adopté.
Cet amendement nous transporte à 10 000 kilomètres d'ici, à Mayotte, où des événements dramatiques se déroulent, comme chacun sait. Des enfants sont caillassés dans les bus – tout comme certains policiers – ; ils sont blessés, tués à coups de machette. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer a envoyé là-bas en urgence les forces du RAID – recherche assistance intervention dissuasion – ; celles-ci ont été prises à partie violemment hier encore, par les mêmes personnes.
Sans faire la promotion de Paris Match, …
M. le rapporteur brandit un imprimé
Par contre, traiter des députés de racistes, ça ne pose pas de problème !
…les photos de ce numéro montrent des jeunes armés de machettes, qui menacent les personnes alentour. Elles ont été prises dans le cent unième département de la République.
Monsieur le rapporteur, je vous rappelle que l'utilisation de tout document à l'appui d'un propos est interdite dans l'enceinte de l'hémicycle, aux termes de l'article 9 de l'Instruction générale du bureau. Je vous invite donc à reposer ce magazine.
Les médias nationaux – notamment la presse – qualifient la situation de Mayotte de « descente aux enfers ». Ces forfaits, ces crimes, sont commis par des jeunes de 16 à 18 ans et plus. Nous vous proposons donc de faire un geste.
Dans la discussion générale, la secrétaire d'État a évoqué la dérive qui a lieu à Mayotte, tout comme nos collègues de la majorité.
Le temps est venu de faire aboutir nos déclarations. L'adoption du présent amendement enverrait aux Mahoraises et aux Mahorais, à l'ensemble de la population de Mayotte, le signal qu'ils pourront vivre en paix. C'est le seul objet de notre proposition. Le 7 septembre, lorsqu'il a reçu les élus ultramarins à l'Élysée, le Président de la République a déclaré au Gouvernement que la situation de Mayotte était particulière – à situation particulière, mesures spécifiques.
Les amendements précédemment examinés concernaient l'ensemble du territoire. Or la situation de Mayotte impose de porter un regard nouveau. Je vous propose d'adopter cet amendement à l'unanimité.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
M. Ludovic Mendes sourit.
Nous sommes évidemment solidaires de Mayotte, dans la situation qu'elle connaît.
La pression migratoire à Mayotte autorise en permanence à adapter les règles applicables à l'ensemble du territoire national ; le Conseil constitutionnel ne juge pas que ce soit contraire au principe d'égalité. Néanmoins, comme je l'ai plusieurs fois répété depuis ce matin, une telle modification doit être examinée dans le cadre plus général de la révision des protections attachées à certaines catégories d'étrangers.
Le Gouvernement a entrepris de remettre à plat les règles de protection et la désignation des comportements qui permettent de les lever, après concertation avec les parlementaires et le monde associatif qui prend en charge les étrangers.
Par ailleurs, un travail spécifique à Mayotte est également en cours. M. Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, se rendra à Mayotte avant la fin de l'année.
Mme Béatrice Roullaud s'exclame.
Il n'est pas souhaitable de réformer ces règles de protection avant l'aboutissement de ces réflexions et des débats prévus les 6 et 13 décembre.
Avis défavorable.
Je rends hommage au rapporteur : depuis des années, il n'a cessé d'alerter la représentation nationale sur la situation à Mayotte.
Bien avant que le Président de la République lui-même ne reconnaisse que ce territoire de la République subit une pression spécifique liée aux assauts migratoires, devenus insoutenables, Mansour Kamardine a sonné l'alerte ; il n'a cessé de répéter dans notre hémicycle que le Gouvernement et le législateur devaient lui accorder une attention particulière.
Mayotte n'a cessé de clamer son attachement à la République ; elle l'a démontré en votant pour devenir le 101
Le temps est venu que notre nation apporte une réponse spécifique à ce département, qui a besoin de nous. Il a besoin que nous définissions les règles grâce auxquelles il se sentira soutenu, que nous agissions contre le mal qui le frappe, contre la pression devenue insupportable pour ce territoire, qui ne distingue plus la lumière que donne l'espérance républicaine.
Aussi les membres du groupe Les Républicains soutiendront-ils cet amendement du rapporteur.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
Nous comprenons très bien pourquoi vous défendez le présent amendement.
Nous nous sommes mutuellement tendu la main. Mme la ministre déléguée vient d'annoncer que le ministre de l'intérieur et des outre-mer se rendrait à Mayotte avant la fin de l'année. Nous vous avons proposé qu'une délégation de la commission des lois vous accompagne à Mayotte. Nous allons travailler tous ensemble.
Nous connaissons cette spécificité de Mayotte et comprenons la visée du présent amendement. Vous n'arrêtez pas de le répéter : vous accomplissez votre travail en nous informant des difficultés mahoraises, que certains n'ont pas l'air de comprendre.
Le Président de la République a également décrit la réalité, il y a quelques jours, au Salon des maires et des collectivités locales ; il a lui-même souligné l'importance d'adopter des mesures spécifiques adaptées au département Mayotte.
Cependant, même si nous adoptions cet amendement, son dispositif ne pourrait pas s'appliquer, ni même être voté au Sénat, avant que nous ayons examiné l'ensemble du texte relatif à l'asile et à l'immigration.
On vous garantit que le Sénat pourrait voter conforme très rapidement !
Il serait dommage d'adopter un texte, alors qu'un autre texte relatif au même objet, complet, sera examiné en début d'année prochaine…
Si cela ne vous dérange pas, laissez-moi terminer ! Je ne dis pas que nous sommes contre le texte, j'explique notre raisonnement !
Chers collègues, écoutons M. Mendes, le rapporteur interviendra ensuite.
Nous vous tendons la main : nous proposons de travailler ensemble afin que le projet de loi que le ministre de l'intérieur et des outre-mer défendra prochainement prenne pleinement en considération la situation mahoraise.
Comme le Gouvernement l'a dit lors de la présentation, et comme nous l'avons dit dans la discussion générale, nous vous tendons la main pour œuvrer ensemble à la rédaction, afin que ce point figure dans un texte de portée générale, et non seulement dans une proposition de loi présentée à l'occasion d'une niche parlementaire qui prendra fin à minuit : ce n'est pas non plus le bon moment.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – M. Bruno Fuchs applaudit également.
À ceux qui en douteraient ou qui n'auraient pas eu l'information, je précise que je ne suis pas candidat à l'élection à la présidence du parti Les Républicains, bien que j'en sois un membre éminent, et que je sois fier de lui appartenir.
Sourires.
Madame la ministre déléguée, vous avez invoqué des risques d'inconstitutionnalité. Chaque fois que le Conseil constitutionnel a été saisi d'une question concernant Mayotte, parce que nous avions été trop frileux pour agir, il a tendu la main à Mayotte – davantage probablement que le législateur. Il en va ainsi de la décision du 30 décembre 1975, selon laquelle Mayotte est française et ne peut cesser d'appartenir à la République sans que ses habitants en expriment la volonté. Sans elle, il y a longtemps que ce côté-ci
M. le rapporteur désigne les bancs de gauche
Il en va également ainsi de la décision que le Conseil constitutionnel a rendue il y a une semaine seulement, en réponse à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par les associations droit-de-l'hommistes relativement à l'article 78-2 du code de procédure pénale, qui autorise, dans ce contexte d'avalanche migratoire, les forces de l'ordre à procéder à des contrôles. À leur profond regret, le Conseil a décidé que la situation particulière de Mayotte rendait cette mesure conforme à la Constitution, car elle tient compte de la singularité du territoire, soumis notamment à d'incessantes vagues migratoires.
Selon moi, nous pouvons adopter ce texte sans risquer de le voir déclaré inconstitutionnel. À moins que la majorité ne considère que seul le texte du Gouvernement sera bien rédigé, alors que nous savons tous ici correctement rédiger des textes de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 127
Nombre de suffrages exprimés 127
Majorité absolue 64
Pour l'adoption 49
Contre 78
L'amendement n° 6 n'est pas adopté.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE, LFI – NUPES, SOC, Écolo – NUPES et GDR – NUPES.
L'article unique et les amendements portant article additionnel ayant été rejetés, il n'y a pas lieu d'appeler les amendements au titre et la proposition de loi est rejetée.
La parole est à M. le rapporteur.
Je rends hommage à tous ceux qui ont participé à ces travaux ; je salue la disponibilité et la qualité du travail accompli par Mme Poncet, qui m'a accompagné pour élaborer ce texte. Je ne désespère pas que nous nous retrouvions très prochainement, car Mayotte refuse de se laisser abandonner par la République ; elle est fière de ce qu'elle est, une terre entièrement française.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR ainsi que sur plusieurs bancs des groupes RE et HOR. – Mme Laurence Vichnievsky applaudit également.
La parole est à M. Éric Ciotti, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Péguy écrivait : « Il faut toujours dire ce que l'on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l'on voit. »
En écoutant les débats sur le texte que notre collègue Mansour Kamardine a présenté avec beaucoup de courage ,
Applaudissements sur les bancs du groupe LR
j'ai le sentiment que beaucoup d'entre nous ne voient pas ce que voient les Français.
La réalité de la situation migratoire de notre pays est au cœur des préoccupations de nos concitoyens. Ils voient la réalité, lucidement, et elle suscite chez eux une extraordinaire inquiétude.
Que voient nos concitoyens, et que voyons-nous, mes chers collègues ? Une immigration massive, qu'elle soit régulière ou irrégulière, qui ne cesse de croître. Chaque année, plus de 400 000 titres de séjour en moyenne sont octroyés à des ressortissants étrangers, au titre du séjour ou de la demande d'asile. Cela signifie que pendant le premier quinquennat de M. Macron, 2 millions d'étrangers sont entrés sur le territoire national de manière régulière.
Que voient nos concitoyens ? Ils voient également la hausse de l'immigration illégale, quasiment hors de contrôle désormais. Malheureusement, l'arrivée de l'Ocean Viking à Toulon symbolise avec éclat ce laxisme migratoire. Or en matière de population clandestine, l'équivalent de l'Ocean Viking arrive chaque jour à Menton, dans le département des Alpes-Maritimes, que comme moi vous connaissez bien, monsieur le garde des sceaux. Chaque jour, la police aux frontières y interpelle en moyenne 150 immigrés en situation irrégulière. Parmi ces clandestins, près d'un tiers sont de nationalité tunisienne : nous sommes bien loin de la fable que l'on entend réciter en permanence, selon laquelle les étrangers en situation irrégulière arriveraient tous de zones de conflit ou de pays où leur vie est menacée.
Que voient les Français ? Ils constatent que malgré cette situation, il n'y a quasiment pas d'éloignement ni d'expulsion. Les taux de reconduite à la frontière sont ridiculement faibles. Selon les chiffres du ministère de l'intérieur lui-même, à peine 5,7 % des obligations de quitter le territoire français (OQTF), soit 62 000, avaient été exécutées au premier semestre 2021. Ce laxisme est ridicule.
Que voient nos concitoyens ? Ils voient le lien statistique évident, objectif, documenté, entre l'immigration et la délinquance. Ce n'est pas nous qui établissons ce lien, mais le service statistique du ministère de l'intérieur. Les chiffres sont incontestables, et d'ailleurs incontestés. Certains de vos amis ou anciens amis, monsieur le garde des sceaux, commencent à ouvrir les yeux. C'est le cas du ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, qui déclarait à raison il y a quelques jours encore qu'il serait idiot de nier qu'une part importante de la délinquance est le fait de personnes immigrées. C'est le cas d'un de ses illustres prédécesseurs, Gérard Collomb, père fondateur du macronisme, touché par la lumière au dénouement de sa carrière politique :…
…il a osé dénoncer publiquement l'irresponsabilité qui a présidé à l'accueil de l'Ocean Viking, et sa dangerosité. Naturellement, il a raison. C'est encore le cas de l'ancien préfet de police Didier Lallement, qui dans son livre déclare qu'une partie des étrangers primo-arrivants s'intègrent d'abord par la délinquance. Cette phrase terrifiante, qui signe l'échec de toute une politique migratoire, devrait susciter la mobilisation sur tous les bancs.
C'est enfin le cas de celui qui vous réunit dans cette partie de l'hémicycle, le Président de la République lui-même, dont la parole devrait vous guider. Il déclarait encore récemment dans une interview télévisée qu'à Paris, « la moitié des faits de délinquance qu'on observe viennent de personnes qui sont des étrangers » ; il n'en tire pourtant aucune conclusion.
Voilà pourquoi nous voulons faciliter l'expulsion des étrangers qui menacent la France et les Français, grâce à la création d'une Cour de sûreté de la République permettant de faciliter les expulsions et de lever les innombrables obstacles procéduraux qui brisent l'élan et la volonté de la nation de faire respecter le droit. Cette proposition de loi a été défendue en son temps par le président du groupe Les Républicains Olivier Marleix.
Nous voulons stopper l'immigration clandestine et nous voulons nous donner tous les moyens pour ce faire. Tous les clandestins ont vocation à être placés en centre de rétention avant leur expulsion : c'est le seul moyen de faciliter les éloignements. J'ai fait adopter en ce sens, avec l'approbation du Gouvernement,…
Une faiblesse !
…un amendement permettant de porter à 3 000 le nombre de places dans les centres de rétention.
Nous voulons protéger les Français. C'est pourquoi, au moyen de la proposition de loi défendue par Mansour Kamardine, nous voulions rétablir la double peine : la prison, puis l'expulsion, ou l'inverse si la peine peut être exécutée dans le pays d'origine.
La présente proposition de loi vise donc à faciliter l'expulsion de tous les étrangers qui constituent une menace grave pour l'ordre public, qu'ils soient en situation régulière ou irrégulière. Pour cela, nous voulons améliorer le cadre procédural de la décision d'expulsion, qui est trop peu utilisé. En 2021, il y a eu à peine 344 décisions d'expulsion au motif de la menace pour l'ordre public ; en 2020, il y en a eu 246,…
En résumé, il y a peu de décisions et une très mauvaise exécution : tout le monde entre en France comme il le veut, attiré par un modèle social très généreux, et plus personne n'est expulsé.
Bien sûr !
Ces décisions donnent très souvent lieu à des recours ; plusieurs années sont généralement nécessaires pour qu'une décision soit rendue exécutoire. Or la multiplicité des juridictions compétentes ne favorise pas l'homogénéisation indispensable de la jurisprudence. Nous en avons eu un triste et ridicule exemple avec l'affaire de l'imam Iquioussen.
L'arrêté ministériel d'expulsion a été suspendu par le tribunal administratif dans le cadre d'un référé liberté. Certes, cette décision a ensuite été annulée par le Conseil d'État ; entre-temps, l'imam a fui en Belgique.
Il est regrettable que la République n'ait pas eu le dernier mot dans cette sorte de tragi-comédie. Nous avons besoin, plus que jamais, d'une juridiction spécialisée pour traiter efficacement ces recours. La proposition de loi vise justement à créer la Cour de sûreté de la République, juridiction administrative spécialisée dans le contentieux des décisions d'expulsion pour motif d'ordre public. Elle ne concernerait pas le fond du droit, elle est procédurale – nous en reparlerons. Cette simplification est très importante : en créant une juridiction spécialisée, nous favorisons l'harmonisation de la jurisprudence ainsi qu'un traitement rapide des procédures. C'est du bon sens, monsieur le garde des sceaux !
Mais non !
Nous vous invitons à faire preuve de bon sens ! Cela vous manque tellement ! Il faut arrêter de parler et agir : nous avons besoin de bon sens et d'action.
Ne perdez pas votre temps !
La France doit retrouver sa pleine capacité à décider qui elle veut accueillir sur son territoire. Cette proposition de loi y contribue ; c'est pourquoi j'espère qu'elle fera consensus dans cet hémicycle !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Venant d'un parti qui organise ses congrès dans des cabines téléphoniques…
La parole est à M. le garde des sceaux et à lui seul. J'invite nos collègues souhaitant poursuivre leurs conversations à le faire en dehors de l'hémicycle.
J'hésite à prendre la parole dans ce qui s'apparente à la primaire du parti Les Républicains.
Protestations sur les bancs du groupe LR.
Je me pose la question : à quel titre dois-je m'interposer ?
L'Assemblée nationale examine, dans le cadre de la niche parlementaire du groupe LR, la proposition de loi déposée par le président Marleix.
Vous voulez créer une juridiction administrative spécialisée, compétente pour statuer en premier et dernier ressort, sur les mesures administratives d'expulsion prévues par le Ceseda, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette juridiction serait composée de membres du Conseil d'État désignés par son vice-président et serait dénommée la Cour de sûreté de la République. Rien que ça.
Je reviendrai dans un instant sur cet intitulé.
Je voudrais revenir sur les raisons présidant à la création d'une telle juridiction. Les motifs de la proposition de loi nous l'indiquent : permettre l'expulsion plus rapide de personnes étrangères ayant pris part à des actions terroristes ou les ayant encouragées de manière quelconque. Monsieur Schellenberger, qu'en des termes choisis et sobres ces choses-là sont dites, n'est-ce pas ?
Selon vous, le recours à la procédure d'expulsion serait tombé en désuétude et les raisons de cette désaffection des pouvoirs publics seraient – je n'invente rien – à chercher du côté des juridictions, que vous accusez de « se laisser distraire de l'essentiel » parce qu'elles ont, parfois, donné tort à l'État. Quelle solution proposez-vous ? Dessaisir les juridictions de droit commun…
…au profit de cette nouvelle cour de sûreté de la République.
La création de cette juridiction suscite beaucoup d'interrogations, pour ne pas dire plus. Un mot, tout d'abord, sur l'intitulé de cette proposition de loi « portant création d'une juridiction spécialisée dans l'expulsion des étrangers délinquants ». Le mot « délinquant » traduit une compréhension restrictive de la procédure d'expulsion des étrangers ; c'est assez surprenant et même à rebours de l'effet recherché. En effet, la procédure d'expulsion s'applique à toute personne constituant « une menace grave pour l'ordre public ». Dans les textes existants, que vous voulez déconstruire, il ne s'agit pas seulement d'expulser des condamnés, mais d'expulser toute personne dont le comportement crée un danger pour la société. Vous êtes plus restrictifs que les textes s'appliquant déjà !
Ensuite, le nom de cette juridiction me paraît très mal choisi – pardonnez-moi de vous le dire avec autant de liberté. Il renvoie, dans l'esprit de chacun, à la Cour de sûreté de l'État – beau souvenir ! –, juridiction d'exception chargée de réprimer les infractions politiques dans le contexte particulier de 1963, notamment les crimes perpétrés par l'OAS – Organisation armée secrète –, tant aimée par le doyen de l'Assemblée, membre du Front national.
Protestations sur les bancs du groupe RN.
Cette inspiration, qu'elle soit volontaire ou non, paraît tout à la fois inadaptée et anachronique, pour ne pas dire plus encore.
Quand on vous voit passer de l'île d'Yeu à Colombey-les-Deux-Églises, on est en droit de se poser des questions !
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, LFI – NUPES, Dem, SOC, Écolo – NUPES et GDR – NUPES.
Ce qui est honteux, ce sont les propos du doyen de l'Assemblée, qui est issu de vos rangs !
Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem.
En outre, tant les motifs de cette proposition de loi que la dénomination de cette juridiction, qui est loin d'être neutre, ne manqueraient pas de jeter le doute sur sa capacité à respecter l'état de droit. Je n'ai aucun doute sur l'impartialité objective dont feraient preuve ses membres. Mais vous le savez : en la matière, les apparences comptent autant que la réalité. Il ne suffit pas qu'une juridiction soit impartiale, il faut également qu'elle présente toutes les apparences de l'impartialité.
Par ailleurs, le choix d'une juridiction statuant en premier et dernier ressort ne me paraît pas le plus indiqué. De l'appel, le professeur René Chapus disait qu'il est « intimement lié à la considération ou à la conviction qu'un litige doit pouvoir être jugé deux fois ». Pour quelle raison ? Parce que le second jugement – en citant toujours René Chapus – sera le fait « de magistrats normalement plus expérimentés et dont, de toute façon, on peut attendre qu'ils jugent mieux ». Le double degré de juridiction n'est pas seulement une garantie pour les parties au procès et, en l'occurrence, pour l'État aussi, car il vise à garantir que l'affaire sera bien et complètement jugée. En cela, la voie de l'appel ne profite pas seulement à la personne qui en fait l'objet ; en l'occurrence, elle profite tout autant à l'administration lorsque celle-ci n'a pas obtenu gain de cause devant les premiers juges.
Mais il est des contentieux où la voie de l'appel est particulièrement utile : il s'agit des affaires où les appréciations sont les plus délicates, les hésitations les plus lourdes, les données de fait les plus complexes. Dans ces affaires, un double regard, en premier ressort puis en appel, est précieux : les juges d'appel, par le prisme du premier jugement, ont souvent un regard plus aiguisé, « parce que l'instruction devant les premiers juges a décanté et éclairé les données de l'affaire » – encore les mots de René Chapus. Le contentieux de l'expulsion est au nombre de ceux-ci : en cette matière, l'appréciation de la dangerosité de la personne et celle de la proportionnalité de la mesure avec le droit au respect de sa vie privée et familiale, conventionnellement garanti, sont souvent complexes. Le bénéfice d'un deuxième regard est une évidence.
Enfin, la compétence nationale de cette juridiction me paraît poser problème.
Vous faites le choix d'une juridiction à compétence nationale, composée uniquement de membres du Conseil d'État, pour un contentieux de masse, qui concerne des personnes installées sur l'ensemble du territoire.
Ce choix me paraît aller à rebours de l'objectif d'efficacité assigné à cette proposition de loi : l'efficacité commande au contraire de rapprocher autant que possible le jugement de l'affaire de l'auteur de la décision attaquée, généralement le préfet, et de la personne intéressée.
À la lecture du texte proposé pour l'article L. 132-2, un tel choix paraît encore plus inadéquat puisque cette cour de sûreté de la République serait chargée de statuer sur les référés d'urgence, pour lesquels des délais d'enrôlement extrêmement brefs sont observés.
Plus généralement, je ne partage pas votre constat. Je relève en effet que l'ensemble de votre propos est fondé sur une appréciation erronée de la situation. Vous estimez que la France ne prononce chaque année qu'une centaine de mesures d'expulsion, révélant ce que vous appelez un « renoncement ». Rien n'est plus inexact. Le Gouvernement est, de longue date, pleinement engagé sur le sujet.
Le 29 septembre 2020, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a adressé aux préfets une instruction afin de leur demander d'appliquer systématiquement cette procédure, dès lors que les faits le permettent. Cet été, des résultats concrets ont été annoncés : en deux ans, 2 751 étrangers ont été expulsés de notre sol pour des motifs d'ordre public.
En premier lieu, concernant la procédure d'expulsion, je rappelle que la commission d'expulsion doit se prononcer dans un délai qui ne peut être supérieur à un mois et que sa consultation n'est pas obligatoire en cas d'urgence absolue. En deuxième lieu, le recours en annulation qui peut être exercé devant les juridictions administratives n'est pas suspensif. J'insiste sur ce point : la procédure juridictionnelle n'a donc aucune incidence sur le caractère exécutoire de la décision d'expulsion.
La clé de votre analyse réside sans doute dans l'allégation selon laquelle les juridictions de droit commun se laisseraient « distraire de l'essentiel » lorsqu'elles ont le tort, selon vous, de prononcer une annulation. Permettez-moi de rappeler une règle simple : comme il le fait pour toutes les décisions administratives, le juge administratif contrôle le respect par l'administration des règles de légalité externe ainsi que de légalité interne. Il n'est pas acceptable, au prétexte que vous désapprouvez certaines décisions, de jeter le discrédit sur l'ensemble des juridictions administratives et des magistrats qui les composent. Je veux d'ailleurs leur rendre un hommage appuyé.
Ah, que vous critiquiez le Gouvernement, rien n'est plus normal dans une démocratie ! En revanche, en ma qualité de garde des sceaux, le fait que vous critiquiez les magistrats me choque considérablement.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem.
Monsieur Marleix, vous n'êtes pas obligé de vous joindre à moi ; en ce qui me concerne, je veux leur rendre un hommage appuyé.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR.
En matière d'expulsion, l'enjeu du litige se situe très souvent sur le terrain de la vie privée et familiale de l'intéressé. Or celle-ci, que vous le vouliez ou non, est protégée par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Les juridictions sont donc tenues de donner à ce droit une portée effective, dans le respect de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de celle du Conseil d'État. Il n'en demeure pas moins que les juridictions du fond exercent un contrôle particulièrement exigeant. À chaque fois, elles confrontent l'intégration dans la société française dont se prévaut l'individu avec la gravité des risques que son comportement présente. Cette mise en balance est rigoureuse, exigeante, et sans aucune complaisance. J'insiste sur ce point. Au motif que certaines décisions ne vous plaisent pas, vous dites que les magistrats ne sont pas au rendez-vous de leurs devoirs et que vous souhaitez modifier les juridictions. Voilà exactement l'enjeu de la proposition de loi que vous avez déposée.
Vous prenez l'exemple de l'affaire de l'imam Iquioussen, dans laquelle le juge des référés avait, en première instance, suspendu l'exécution de la mesure d'expulsion. Dans cette affaire que, bien entendu, je ne commenterai pas, vous noterez que pour infirmer l'ordonnance rendue en première instance, le Conseil d'État a explicitement fait référence, dans sa décision, à des éléments nouveaux produits en appel. Les premiers juges étaient tout simplement moins bien informés.
À elle seule, cette décision nous rappelle qu'il est impérieux de conserver un double regard et, donc, un double degré de juridiction.
Mme Caroline Yadan applaudit.
Contrairement à ce que vous soutenez, rien ne permet d'affirmer qu'il y aurait un dysfonctionnement des voies de recours ouvertes devant le juge administratif. Au contraire, même. Ainsi, celles-ci ont permis au Conseil d'État de se prononcer dans un très bref délai. Je tiens à souligner que, chaque année, la juridiction administrative statue sur quelques centaines de recours formés contre des arrêtés d'expulsion sans que ces affaires suscitent une quelconque polémique. Rapporté à l'activité globale des juridictions administratives – 240 000 affaires ont été enregistrées par les tribunaux administratifs, 34 000 par les cours administratives d'appel, 11 000 par le Conseil d'État –, le contentieux de l'expulsion représente un très petit nombre d'affaires : environ 500 affaires ont été enregistrées par les tribunaux administratifs, une centaine devant les cours administratives d'appel, une cinquantaine devant le Conseil d'État.
Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à la création d'une cour de sûreté de la République qui rappelle des souvenirs d'un autre temps et ne résout strictement aucun problème. Cette proposition de loi relève de l'affichage, de l'annonce.
Quant aux questions migratoires, qui sont au cœur des préoccupations du Gouvernement, Gérald Darmanin, représenté aujourd'hui par ma collègue et amie Dominique Faure, a annoncé un projet de loi en la matière. Conformément au souhait de la Première ministre, l'examen de ce projet de loi sera précédé d'un débat devant les deux chambres, en vertu de l'article 50-1 de notre Constitution.
Mesdames, messieurs les députés, je vous renvoie donc à ce débat qui aura lieu mardi prochain – « patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » –, afin de construire ensemble des solutions concrètes et efficaces qui tiennent la route juridiquement, car malheureusement ce n'est pas le cas de la présente proposition de loi.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Rappel au règlement
Il se fonde sur l'article sur l'article 70, alinéa 3. Monsieur le garde des sceaux, je suis vraiment chagriné par l'attention particulière que vous me portez. Je vous invite à écouter scrupuleusement mon discours, cela vous évitera de vous tromper ou bien de mentir devant les Français. Maintenant que vous souriez, vous êtes sympathique ; tout à l'heure, ce n'était pas le cas.
Je n'ai jamais parlé de l'OAS, pas plus que des porteurs de valise, d'ailleurs. Soit vous vous êtes trompé, soit vous avez menti devant l'assemblée des Français.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.
Présentation
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
J'ai l'honneur de représenter M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer,…
…que vous savez particulièrement investi sur le sujet qui fait l'objet de la proposition de loi examine aujourd'hui.
L'Assemblée vient tout juste de rejeter la proposition de loi visant à assouplir les conditions d'expulsion des étrangers constituant une menace grave pour l'ordre public, déposée par le groupe Les Républicains.
Oui, mais c'est la démocratie. Vous nous proposez désormais la création d'une juridiction spécialisée pour l'expulsion des étrangers délinquants. Cette proposition relève à titre principal de la compétence du garde des sceaux.
Nous l'avons déjà dit, une mesure d'expulsion permet à l'État d'ordonner à un étranger présentant une menace pour l'ordre public de quitter le territoire français, y compris lorsqu'il se trouve en situation régulière en France. Cette mesure, qui est un outil précieux de notre droit, constitue un pilier de l'action résolue du ministère et du ministre de l'intérieur et des outre-mer visant à la préservation de l'ordre public.
En 2021, le ministre de l'intérieur et des outre-mer et les préfets ont prononcé 454 mesures d'expulsion contre 200 à 250 au cours des années antérieures. Ces mesures concernent les individus les plus dangereux – terroristes, personnes radicalisées ou condamnées à des faits graves. Le chiffre doit être mis en regard avec celui des OQTF, dont 11 630 mesures ont été exécutées en 2021, soit plus que chez nos partenaires européens – on note même une augmentation de 20 % en 2022.
Au nom du ministre de l'intérieur et des outre-mer, je tiens à indiquer que nous n'ignorons pas les progrès qu'il nous reste à accomplir en matière d'exécution des mesures d'expulsion. Votre proposition de loi aborde un sujet crucial pour les Français qui mérite d'être examiné de manière globale. À la demande du Président de la République, le Gouvernement prépare un projet de loi sur l'asile et l'immigration – je vous l'ai déjà dit –, qui fera l'objet d'un large débat préalable à l'Assemblée la semaine prochaine, le 6 décembre.
Pour la troisième fois de la journée, je m'étonne, à quelques jours de ce large débat annoncé il y a déjà deux mois, que vous ayez inscrit à votre ordre du jour réservé une deuxième proposition de loi relative à l'expulsion des étrangers délinquants. Où est l'urgence ? Sommes-nous à six jours près ? Non, mais peut-être un congrès se profile-t-il au tout début du mois de décembre ?
C'est donc avec la volonté de préparer le débat de la semaine prochaine que nous abordons l'examen de votre proposition de loi.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem.
Monsieur le ministre, vous étiez plus convaincant dans vos rôles d'acteur ou d'avocat que lorsque vous défendez un système juridictionnel kafkaïen qui ne fonctionne pas.
En effet, si l'on s'en tient aux chiffres donnés par votre collègue, seule une centaine de mesures d'expulsion sont exécutées chaque année.
Rappelons quelques chiffres – nous les répétons depuis ce matin : 25 % des détenus dans nos prisons sont des étrangers et la moitié de la délinquance générale à Paris est commise par des étrangers. Or seule une centaine d'étrangers délinquants sont expulsés chaque année contre 5 000 dans les années soixante-dix.
Monsieur le garde des sceaux, tel est le système que vous venez de défendre !
Nous sommes parvenus à cette piteuse situation car la France – essayons de regarder les choses en face, sans passion – a elle-même organisé son impuissance.
Rappelons que la même procédure s'applique pour expulser un étranger qui constitue une menace terroriste ou un étranger qui a déjà commis des délits. Lors de la première étape, la personne sera convoquée devant une commission d'expulsion préfectorale. Il suffit que la personne dise qu'elle est souffrante ou qu'elle n'est pas disponible pour demander le report de l'audition. Ensuite, si elle est entendue par la commission, celle-ci vérifie que la personne peut être expulsée, notamment eu égard aux protections dont elle peut bénéficier. Alors seulement, le préfet pourra prendre un arrêté pour décider son éloignement.
C'est là que commence la folie des recours. Le premier est formé devant le tribunal administratif, lequel va se prononcer entre deux dossiers de contentieux de droit de l'urbanisme ou de toute autre matière. Si l'arrêté d'expulsion n'est pas cassé à ce stade, la personne concernée pourra saisir la cour administrative d'appel. Et, quelques mois plus tard – quelques semaines plus tard dans le meilleur des cas –, elle pourra enfin chercher à obtenir la cassation devant le Conseil d'État. Telle est la réalité, monsieur le ministre : trois niveaux de juridiction à franchir pour enfin obtenir – éventuellement – l'exécution de l'expulsion d'un étranger délinquant.
Nous avons ainsi assisté il y a quelques semaines au spectacle pitoyable d'un État incapable d'expulser un étranger menaçant l'ordre public, l'imam Iquioussen, alors même que la procédure était plus courte puisque faisant suite à un arrêté ministériel. L'imam a pu prendre la poudre d'escampette…
…sans que, visiblement, cela vous émeuve outre mesure, monsieur le garde des sceaux.
Une autre organisation est-elle possible, une organisation qui ne bouleverserait pas les âmes sensibles qui composent le Gouvernement ? Je vous invite, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée – même si l'âme sensible, en l'occurrence, est plutôt le garde des sceaux –, à faire un peu de droit comparé…
…et à observer l'Allemagne qui, à ma connaissance, est une démocratie où l'on respecte la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH)… Ne faites pas de grimaces, monsieur le ministre, ça vous va mal.
Je ne fais pas de grimaces, je fais des mimiques…
Mimiques ou grimaces, ce n'est dans les deux cas pas très joli ni très respectueux du débat démocratique.
C'était un sourire…
Merci de le préciser.
Observons donc comment les choses se passent en Allemagne.
Oui, observons !
Peut-être avez-vous entendu parler de cette nuit de la Saint-Sylvestre 2018… Mais cessez vos dénégations, monsieur le ministre ! Je suis en train de m'exprimer sur un sujet sérieux, grave et qui mérite votre attention, sans mimiques. Pendant la nuit de la Saint-Sylvestre, j'y reviens, à Cologne, plus de 2 000 agressions sexuelles ont été commises. L'Allemagne n'y est pas restée indifférente…
…et a souhaité faire évoluer sa législation en matière d'expulsion des étrangers délinquants. Renseignez-vous, monsieur le ministre ! Que se passe-t-il en Allemagne, pays voisin, ami, qui respecte la CEDH ?
Désormais, l'expulsion d'un étranger délinquant y est un acte administratif directement exécutoire,…
…sans recours possible depuis le territoire même de l'Allemagne – même s'il l'est depuis l'étranger.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LR.
Mesurez donc la différence entre notre voisin, qui exécute directement ses décisions d'expulsion, et la France qui en reste à trois niveaux de juridiction – un système kafkaïen dont vous vous faites pourtant le défenseur.
Dès lors, notre proposition de loi est tout à fait raisonnable – nous aurions pu en modifier le titre, s'il n'y avait que cela pour ne pas vous déplaire.
Je termine alors, en répétant que la législation doit évoluer. J'ai bien noté le rendez-vous que nous donne la ministre déléguée, mais on ne peut pas sans cesse nous renvoyer à des discussions au ministère pour résoudre les problèmes du pays. Les Français ont élu les députés pour s'en charger.
C'est ici que nous devons débattre, ce qui implique de ne pas adopter systématiquement des amendements de suppression. Je le répète, ce n'est pas dans les antichambres de vos ministères respectifs et en mangeant des petits-fours que ces problèmes doivent être résolus…
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Les débats sur l'immigration sont récurrents dans notre société. C'est même un débat multiséculaire car fondé sur l'histoire même de l'homme : notre histoire est une histoire de migrations. Et c'est un sujet dont il faut nous saisir avec d'autant plus de sérieux qu'à l'avenir, de nombreux événements tendront à intensifier les mouvements migratoires À nous de nous y préparer avec la mesure et la rigueur qui s'imposent.
Le groupe Les Républicains nous propose de voter un dispositif visant à créer une juridiction spécialisée de plus, clefs en main, laquelle permettrait de garantir une accélération des expulsions des étrangers ayant pris part à des actions terroristes ou les ayant encouragées d'une quelconque façon,…
Pas de grimaces, monsieur Marleix…
Sourires.
…tout en assurant, selon nos collègues, les droits de la défense. Vaste et ambitieux projet que celui-là ! Mais rappelons quelques points.
Le contentieux relatif à l'expulsion implique un équilibre particulièrement délicat entre l'objectif de maintien de l'ordre public et le droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées, prévu par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il y a aussi quelques principes fondamentaux à respecter comme les droits de la défense et la garantie de l'appel. Or il nous semble que ces principes ne seraient plus garantis si nous adoptions ce texte.
Les débats en commission n'ont pas contribué à nous rassurer sur le bien-fondé de votre démarche. Vous expliquiez par exemple que le taux d'exécution des OQTF était très faible mais sans jamais préciser si cela concernait les personnes liées à des actions terroristes – ce qui a, je le répète, motivé votre décision de présenter la proposition de loi – ou si cela concernait l'exécution d'OQTF de droit commun.
Tout à fait !
D'une façon générale, ces débats nous ont révélé un projet sibyllin sur le plan des idées et imprécis sur le plan juridique. Vous proposez en effet de créer un dispositif dérogeant totalement au droit en vigueur.
M. le garde des sceaux opine du chef.
Pour une large majorité d'entre nous, l'application de votre proposition conduirait avant tout à une justice dégradée sur la forme comme sur le fond, raison pour laquelle d'ailleurs la commission l'a rejetée.
Sur la forme d'abord : le nom retenu pour cette juridiction, Cour de sûreté de la République, renvoie à des considérations martiales…
…et douteuses, un nom dont la référence revêt une forme de provocation, admettons-le, chers collègues. Sur le fond ensuite : les débats ont tendu à montrer qu'il y avait chez vous une véritable défiance à l'encontre des juges administratifs car, pour reprendre vos propos, « ils se laisseraient distraire de l'essentiel ».
Votre solution serait donc la création d'une nouvelle juridiction dans laquelle les juges des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel seraient remplacés par des magistrats du Conseil d'État, au motif que ces derniers bénéficieraient d'une meilleure expertise, alors même que les juges administratifs, rappelons-le, traitent quotidiennement de ces questions. Cette défiance à l'encontre des juges administratifs est très grave.
La suppression du double degré de juridiction nous semble également très problématique. Sur ce point, vous ne nous avez pas non plus convaincus, car le double degré constitue la garantie d'une bonne justice. Si nous pouvons nous accorder sur l'existence de dysfonctionnements et le constat d'un encombrement des juridictions administratives, aucune solution ne saurait être trouvée au détriment des garanties procédurales dont tout justiciable doit pouvoir bénéficier.
Vous l'aurez compris, si le groupe Démocrate souhaite simplifier le contentieux des étrangers, une telle entreprise doit être menée avec sérieux et pragmatisme. À l'heure où nous nous apprêtons à mener un grand débat sur le sujet, l'instauration d'une nouvelle juridiction ne paraît ni cohérente ni opportune. Pour toutes ces raisons et bien d'autres encore, et parce qu'il est fondamental que ces débats soient menés dans un cadre clair et cohérent, notre groupe votera contre ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe RE.
La présente proposition de loi, rejetée en commission, vise à créer une juridiction spécialisée consacrée au traitement des recours concernant les décisions d'expulsion des étrangers pour un motif d'ordre public. Selon le rapporteur, la réforme se veut procédurale : il s'agirait de gagner du temps par la spécialisation de la juridiction dont seul le Conseil d'État aurait à connaître des décisions. Les délais de recours seraient raccourcis et, évidemment, le temps ainsi gagné permettrait d'expulser plus rapidement et donc davantage.
Il s'agirait de surcroît de fusionner différentes juridictions successivement impliquées dans les procédures tendant à cet éloignement. Or ceux qui s'interrogent depuis plusieurs années sur l'évolution des décisions d'expulsion savent bien que les difficultés de leur exécution tiennent à la fois au contexte et aux relations de la France avec les États dont sont originaires les personnes concernées.
Les auteurs de la proposition prétendent résoudre le problème par une réforme procédurale, mais celle-ci, j'y reviendrai, ne ferait que créer de nouvelles difficultés.
Il est vrai que le droit des étrangers et des expulsions est complexe, cette complexité étant due à différents éléments tels que la protection dont bénéficient certaines personnes, les situations qualifiées de connexes au regard de la décision d'expulsion elle-même – autrement dit propres à la personne concernée le temps que la décision soit appliquée ; enfin la nécessité de respecter les droits de la défense et de garantir un traitement équilibré, par l'administration, des personnes visées, quelles que soient leurs origines, leur statut ou leur situation.
Or, sous couvert de simplifier le contentieux, la proposition de loi aurait pour effet d'affaiblir les garanties juridictionnelles attachées à l'éloignement des étrangers – ce qui est grave. Je note au passage qu'en dépit des incessantes réformes du droit des expulsions, les ambitions des décideurs aspirant à la « maîtrise des flux » n'ont jamais été satisfaites.
Pour ce qui est de la nouvelle juridiction, il est proposé de la composer de membres du Conseil d'État, ce qui aurait pour effet mécanique d'enlever des ressources aux juridictions de droit commun. Comme l'affirmait ici même un de nos prédécesseurs, la création d'une juridiction spécialisée soulève les mêmes questions que celles que pose le droit en vigueur avec ce paradoxe que le juge spécialisé éveille la suspicion, que celle-ci soit ou non fondée. C'est pourquoi il vaut mieux écarter toute formule de ce type.
Le groupe Socialistes et apparentés s'oppose à ce texte qui se veut technique et dont l'objectif politique n'est qu'à demi avoué, car il ne tient pas compte de la complexité du droit et n'aborde pas les questions de fond comme le manque de personnel au sein des juridictions, les incohérences profondes des politiques d'immigration ou les difficultés liées aux relations entre États. Nous préférons donc aborder ces questions à l'occasion du débat dont on nous a annoncé la tenue prochaine.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
À la veille d'un rendez-vous politique majeur pour le parti Les Républicains,…
…le groupe LR soumet à notre examen un texte visant à créer une cour de sûreté de l'État.
Celle-ci a vocation à être l'unique instance qui aurait à connaître du contentieux aujourd'hui traité par les tribunaux administratifs : le contentieux de l'expulsion des étrangers qui constituent une menace pour l'ordre public.
L'actualité récente a malheureusement montré qu'un trop grand nombre de décisions d'expulsion restent non exécutées. Le futur projet de loi sur l'immigration ira, nous l'espérons, dans le sens d'une plus grande efficacité dans ce domaine.
Je m'interroge sur vos motivations à vouloir créer une juridiction spécialisée. Outre son aspect douteux, la dénomination proposée me semble imprécise, car votre dispositif ne vise en réalité que les décisions administratives et non les décisions judiciaires.
La présente proposition de loi n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle déposée en 2021 par notre ancien collègue, Guillaume Peltier, alors membre du groupe Les Républicains, mais devenu depuis vice-président de Reconquête, qui proposait une justice exceptionnelle et sans appel pour l'expulsion ou l'incarcération des personnes étrangères fichées S.
N'ayez aucun doute, nous partageons pour partie votre constat. Oui, les étrangers qui menacent l'ordre public ou la sûreté de l'État, ou qui contreviennent aux valeurs qui fondent notre contrat social doivent être expulsés. Oui, notre système pâtit de certains dysfonctionnements et il faut le rendre plus efficace.
Cela étant, avec votre proposition de loi vous vous trompez fondamentalement de combat. Plutôt que de vous attacher à créer une juridiction spécialisée, n'auriez-vous pu réfléchir, comme nous le faisons, aux meilleurs moyens d'exécuter les décisions administratives d'expulsion et de maintenir les efforts budgétaires consacrés à la détection de comportements pouvant constituer une menace pour l'ordre public et la sécurité des Françaises et des Français ?
Autrement dit, il faut simplifier le contentieux de l'expulsion des étrangers qui constituent une menace pour l'ordre public, afin de le rendre plus efficace et plus lisible, tout en donnant davantage de moyens à nos services de renseignement.
Chers et chères collègues, vous savez pertinemment que l'exécution réelle des décisions d'expulsion administratives ne dépend pas que de nous : nous sommes en partie tributaires des laissez-passer consulaires délivrés par les pays d'origine des personnes concernées.
Vous estimez que les juges administratifs se laissent « distraire de l'essentiel » : c'est faux. Le contrôle qu'ils exercent est ferme et exigeant. Certes, il est parfois long et nous devons trouver les moyens les plus pertinents d'alléger leur charge et d'accélérer le traitement du contentieux, mais le déplacer vers une juridiction spécialisée ne permettra en rien d'améliorer l'efficacité de notre système.
En outre, votre proposition de loi pose véritablement question d'un point de vue constitutionnel et conventionnel. Vous souhaitez que la Cour de sûreté de la République que vous proposez de créer statue en premier et en dernier ressort, ce qui serait hasardeux et aurait pour seule conséquence une augmentation considérable du nombre de recours en cassation.
Étant profondément attachés aux principes sur lesquels se fonde notre État de droit – et auxquels vous souscrivez vous-mêmes, j'en suis sûr –, nous ne pouvons pas soutenir un système qui ne respecterait pas, en toutes circonstances, le principe du contradictoire, les droits de la défense et le droit à un recours effectif.
Il est indéniable que la fermeté doit être de mise, mais avec un peu d'honnêteté intellectuelle vous vous rendriez compte que cette Cour de sûreté n'y participerait pas. Vous le regrettez peut-être, mais le régime juridique actuel de recours contre les décisions d'expulsion se justifie par le fait que les personnes concernées doivent être assurées de certains droits – avant tout pour que l'expulsion ne soit pas arbitraire.
Vous l'aurez compris, mes collègues du groupe Horizons et apparentés et moi-même étant très attachés aux valeurs républicaines et aux droits de l'homme et du citoyen, nous nous prononcerons contre cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs du groupe RE.
Je ne sais pas si vous l'avez senti, mais la proposition de loi du président Marleix, défendue par le rapporteur Ciotti, exhale un léger parfum de droite. Non pas le parfum d'une droite sociale ou libérale, mais plutôt l'odeur âcre d'une droite réactionnaire, xénophobe, populiste.
Monsieur le rapporteur, je conçois que vous vous sentiez à l'étroit entre une Marine Le Pen expansionniste et un Emmanuel Macron qui vient chasser sur vos terres, mais vous y allez tout de même un peu fort !
Vous donnez à votre machin un nom bien ronflant : la « Cour de sûreté de la République ». Vous vous donnez de grands airs, mais cette référence à la Cour de sûreté de l'État, juridiction d'exception instaurée pendant la guerre d'Algérie, est parfaitement déplacée – vous en conviendrez comme moi.
À cela s'ajoute un second effet de manche : vous dressez une liste de terroristes dans l'exposé des motifs du texte. L'odeur âcre se fait nauséeuse !
Chers collègues, ce texte est construit par juxtapositions, par raccourcis, sans faire en aucune manière la démonstration de son utilité.
Regardons les choses telles qu'elles sont. Notre droit prévoit trois types d'expulsions. La majorité d'entre elles sont prononcées à l'égard de personnes condamnées pour atteinte à l'intégrité physique, trafic de stupéfiants ou récidive d'infractions mineures.
Bien que les comportements liés à des activités terroristes représentent une infime partie des motifs d'expulsion, ils sont brandis ici pour justifier la réforme de l'ensemble du contentieux des expulsions.
Précisons d'ailleurs que les étrangers constituant une menace pour notre sécurité sont déjà expulsés, ou le seront après avoir purgé leur peine. La plupart du temps, leur expulsion a lieu selon une procédure dérogatoire dite d'urgence absolue, sans que les personnes concernées aient été entendues par la Commission d'expulsion, la Comex.
Leur éloignement effectif peut être immédiat et n'est pas subordonné, comme c'est le cas s'agissant des OQTF, au respect d'un délai minimal. En pratique, l'arrêté d'expulsion est notifié à la personne une fois qu'elle se trouve à bord de l'avion, de sorte qu'elle n'a pas le temps de former un recours. Dans l'hypothèse où la personne ne pourrait quitter immédiatement le territoire, elle est assignée à résidence, sans limite de durée. Quant au cas très spécifique d'une expulsion pour motif terroriste, si la personne est assignée à résidence, elle est, par surcroît, placée sous surveillance électronique mobile.
Vous le voyez donc, les outils existent déjà, et il en va de même sur le plan juridictionnel. L'idée selon laquelle la complexité du contentieux de l'expulsion freinerait l'exécution d'une expulsion est fausse. Ni la saisine des juges du fond, ni celle du Conseil d'État en cassation, n'autorise la suspension de l'exécution d'une expulsion. Seule l'activation d'une procédure d'urgence le permet, et ce de manière temporaire, dans des délais resserrés : en l'occurrence, quinze jours pour saisir le juge des référés.
Non contents de présenter un texte dénué de toute nécessité, vous faites passer les juges administratifs pour laxistes, en prétendant qu'ils feraient structurellement obstacle à l'exécution des expulsions. Vous leur reprochez de se « laisser distraire » – ce sont vos mots, cela a été pointé – par la recherche d'un équilibre entre la sauvegarde de l'ordre public et la protection de la vie privée et familiale, laquelle est pourtant consacrée par la Convention européenne des droits de l'homme – même si je sais que certains, sur ces bancs, n'en ont que faire.
Monsieur le rapporteur, vous avez choisi de marquer les esprits plutôt que de faire œuvre utile. Mais, par trop d'esbroufe et de simplification, vous êtes tombé bien bas dans l'approximation et le simplisme. Vous mettez en cause les juges et vous attaquez l'État de droit.
Oui, monsieur Ciotti, le procès, tout comme le contrôle de proportionnalité, sont consubstantiels à l'État de droit.
Cette proposition de loi n'est sans doute pour vous qu'un vulgaire objet d'affichage, un marchepied en période de congrès, en vue d'accéder à la présidence des Républicains.
Cela étant, j'ai lu dans un récent article que vous ambitionniez la fonction de ministre de l'intérieur. Or on ne peut aspirer à devenir un homme d'État quand on fait preuve de tant d'amateurisme,…
…de confusion, et quand on instrumentalise le terrorisme à des fins personnelles.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Les écologistes voteront contre ce texte, et le dénoncent de bout en bout.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES et LFI – NUPES. – Mme Marietta Karamanli applaudit également.
Cette proposition de loi vise à créer une juridiction spécialisée dans l'expulsion des délinquants étrangers. Une Cour de sûreté de la République serait ainsi instituée afin, à en croire l'exposé des motifs du texte, de « permettre l'expulsion plus rapide de personnes étrangères ayant pris part à des actions terroristes, [ou] les ayant encouragées d'une manière quelconque, tout en assurant les droits de la défense ».
…s'inscrit dans une logique autoritaire et identitaire assimilant étrangers et délinquants et terrorisme et immigration, selon la traditionnelle et nauséabonde rhétorique de l'extrême droite et des mouvements populistes.
M. Andy Kerbrat applaudit.
Défi pour la NUPES : faire un discours sans utiliser le mot « nauséabond » !
Cette rhétorique repose sur des fantasmes et des contre-vérités, et non sur la réalité. Contrairement à ce qu'indique l'exposé des motifs du texte, la plupart des attentats terroristes en France n'ont pas été commis par des étrangers.
« Depuis 2015, les quatre cinquièmes des auteurs d'attentats terroristes sur le territoire national sont des ressortissants français » rappelait à cet égard Laurent Nuñez, alors coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, en avril 2021.
S'agissant plus spécifiquement du lien entre terrorisme et immigration,…
…Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS – Centre national de la recherche scientifique – et spécialiste des questions migratoires, souligne que si l'on ramène le nombre de demandeurs d'asile et d'entrées illégales sur le territoire au nombre d'attentats ou de tentatives d'attentats impliquant des personnes de nationalité étrangère, le résultat est « complètement marginal statistiquement » ; et d'affirmer qu'« il n'y a pas de lien entre les flux migratoires et le terrorisme ».
En outre, contrairement à ce que vous assénez sans convaincre, jusqu'en commission des lois, monsieur le rapporteur, l'immigration n'est pas « centrale dans les préoccupations des Français », tout comme il est erroné de prétendre que toutes « les enquêtes d'opinion en témoignent ». En effet, d'après un récent sondage d'Ipsos et Sopra Steria pour France Inter, l'immigration ne serait pas la principale préoccupation des Françaises et des Français : elle arrive loin derrière le pouvoir d'achat, le système de santé et l'environnement, entre de multiples autres sujets.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR.
Vous l'aurez donc compris, nous réfutons le fondement même de cette proposition de loi et rejetons le dispositif proposé.
Selon les auteurs du texte, l'insuffisante application de la procédure d'expulsion administrative par le juge de l'expulsion s'expliquerait par des « manœuvres dilatoires » permettant aux étrangers de se maintenir sur le sol national.
Vous soulignez ainsi que le droit applicable pour l'expulsion des étrangers pour un motif d'ordre public se caractérise par sa grande complexité, tant sur le fond que pour la procédure contentieuse d'examen des recours.
Rappelons à cet égard que vingt et une lois ont été votées depuis 1990, complexifiant toujours plus le droit des étrangers, et sans qu'aucun bilan précis, détaillé, de l'efficacité des mesures ait été dressé.
En l'absence, une fois de plus, d'évaluation précise ou de bilan des dispositifs existants, vous proposez à votre tour de complexifier encore le droit par une nouvelle réforme.
De surcroît, il s'agirait d'une réforme très large puisque, contrairement à ce qui est annoncé dans l'exposé des motifs, l'objet de la proposition de loi n'est pas l'expulsion plus rapide de personnes étrangères ayant pris part à des actions terroristes ou les ayant encouragées, mais l'institution d'une Cour de sûreté de la République, juridiction d'exception dont l'intitulé fait allusion, de façon bien malheureuse, à la Cour de sûreté de l'État, instaurée à la fin de la guerre d'Algérie pour juger les crimes et délits portant atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l'État, dont les actes terroristes.
Ainsi, la juridiction d'exception que vous entendez créer devrait permettre l'expulsion des personnes étrangères qui menacent la sécurité. Or la législation actuelle permet déjà d'expulser des personnes pour des considérations liées à la protection de l'ordre public ou en cas d'atteinte à la sûreté de l'État – expulsion qui peut d'ailleurs être prononcée en l'absence de condamnation pénale.
Ce que vous proposez, c'est l'accélération de la procédure au mépris des droits de la défense, sachant que, cela a été rappelé, on ne compte qu'environ 400 arrêtés d'expulsion en moyenne chaque année.
Plutôt que l'établissement d'une justice d'exception qui condamnera sans discernement et dans la précipitation des personnes qui ne quitteront pas le territoire faute de laissez-passer consulaire,…
…nous appelons à redonner du pouvoir d'action à nos juridictions existantes, grâce à des moyens humains et financiers revalorisés, et à revoir de fond en comble notre politique d'accueil et de prise en charge des personnes étrangères sur notre territoire. En conséquence, le groupe Gauche démocratique et républicaine – NUPES votera résolument contre cette proposition de loi.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES et sur les bancs du groupe SOC. – Mme Sandra Regol applaudit également.
Simplifier le contentieux des étrangers n'est pas chose aisée. Après des décennies de réformes successives, ce droit a atteint une complexité excessive, avec une multiplicité de règles particulières, de procédures et de délais. Nous en sommes à un stade où l'action judiciaire dans ce domaine est devenue peu lisible pour l'ensemble des acteurs, à commencer par les justiciables, mais aussi les avocats et les associations.
Face à ce constat, la proposition de loi vise à créer une nouvelle cour unique et spécialisée, laquelle serait compétente pour tous les recours formés contre les expulsions d'étrangers accusés de troubles à l'ordre public.
En dépit de son objectif affiché d'efficacité, ce texte manque sa cible : le choc de simplification que vous souhaitez se révèle peu adéquat, et les contours des mesures proposées incertains. Mes chers collègues, les enjeux à la fois humains et d'ordre public liés au contentieux des expulsions sont bien trop grands pour que l'on puisse légiférer à ce sujet en quelques heures : l'expérience nous a appris que le législateur ne se montre jamais plus sage, plus avisé, que lorsqu'il prend la plume avec recul, après une nécessaire réflexion.
J'en arrive au cœur du sujet. La situation actuelle est difficile, et notre groupe le reconnaît pleinement. Lorsqu'il met sa casquette de juge des étrangers, si j'ose dire, le juge administratif doit faire face à un flot incessant de dossiers : c'est là son principal problème. Le Conseil d'État a déjà alerté le Gouvernement à ce propos. Sur les 241 300 affaires enregistrées en 2021 par les tribunaux administratifs, plus de 100 000, soit plus de 42 %, relevaient du contentieux des étrangers. Au niveau de l'appel, cette proportion dépasse les 50 % ! Encore une fois, cette situation est intenable, tant pour les justiciables que pour les juges. Les délais de jugement dans les dossiers ordinaires, c'est-à-dire hors procédures d'urgence, demeurent excessifs : plus de un an et quatre mois pour les tribunaux administratifs, par exemple.
Devons-nous en conclure que de notre organisation juridictionnelle en matière d'expulsions il faut faire table rase ? Telle n'est pas notre conviction. Bien que le constat soit alarmant, monsieur le rapporteur, notre groupe ne peut souscrire à vos propositions visant à remédier aux maux de la justice administrative.
En matière d'expulsion des étrangers, le traitement des dossiers incombe intégralement aux tribunaux administratifs, aux cours administratives d'appel et, en dernier lieu, au Conseil d'État ; je salue d'ailleurs ces magistrats dont le travail quotidien garantit l'État de droit. Mais soyons raisonnables : la création d'une cour spécialisée ne résoudrait pas les problèmes de fonctionnement du service public de la justice. Pour mémoire, l'expulsion administrative relève du contentieux du contrôle des mesures de police et, par conséquent, du droit de la préservation de l'ordre public. Il ne s'agit pas d'un contentieux dont la spécificité demanderait une juridiction distincte ; celle-ci pourrait au contraire nuire à l'unité du droit administratif, dont la jurisprudence en la matière est déjà consolidée. Concrètement, nous nous demandons ce qu'apporterait l'adoption de ce texte. En quoi une cour unique serait-elle plus efficace que les quarante-deux tribunaux administratifs, chacun traitant les dossiers de son ressort ? Par ailleurs, face à l'afflux potentiel de dossiers, les cinq conseillers d'État que vous souhaitez y nommer ne suffiraient pas à la tâche.
Monsieur le rapporteur, si votre texte ne convainc pas notre groupe, cela ne signifie pas que nous plaidions pour le statu quo. Une évolution est nécessaire, mais elle requerrait un texte plus englobant, dont notre assemblée aurait à débattre durant plusieurs jours. Je le répète, une niche d'une dizaine d'heures n'est pas suffisante pour bouleverser l'organisation de nos juridictions administratives.
Eh oui ! Voilà !
Par ailleurs, je souhaite insister sur le fait que toute réforme, qu'elle concerne les délais ou les formations de jugement, devra être assortie de moyens à la hauteur des enjeux : nous ne pouvons nous contenter de légiférer, d'empiler des textes, sans accroître les moyens dévolus à la justice. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre cette proposition de loi.
La proposition de loi dont nous entamons l'examen ne manque pas de piquant : par quelque bout qu'on la prenne, on a peine à en déterminer les contours, et pour cause. En hissant au rang de texte législatif le tract de campagne de M. Ciotti,…
Oh là là ! Vous aussi, vous vous abaissez à ces insinuations ? Je suis déçu !
…vous poursuivez des desseins d'un ordre plus élevé que l'élémentaire souci de bien légiférer. Ce texte tend à instaurer une juridiction administrative spécialisée dans l'expulsion des étrangers délinquants. Pour la rendre attrayante, vous la nommez « Cour de sûreté de la République » ; pour la rendre fonctionnelle, vous y affectez des magistrats administratifs soumis au principe d'inamovibilité ; afin d'écluser la masse du contentieux, vous la voulez seule compétente pour juger des recours formés contre les arrêtés ministériels et préfectoraux d'expulsion administrative.
Quant au jugement en cassation, votre cœur incline à nouveau vers le Conseil d'État, lequel serait saisi directement des décisions rendues par la nouvelle juridiction en appel, et en cassation des décisions rendues en référé.
Chers collègues, l'évolution des réserves liées à l'ordre public, quoique assortie de nécessaires garde-fous, peut se concevoir ; nous doutons en revanche que vous contribuiez à concilier la maîtrise des flux migratoires et la protection de l'ordre public avec le respect de la vie familiale et de la liberté individuelle. L'espace qui sépare votre texte de nos valeurs républicaines, c'est celui même qui nous sépare des extrêmes dans cet hémicycle. Votre tribunal d'exception, charriant l'imaginaire d'une espèce de Guantánamo à la française, n'apporterait, en l'état actuel du droit, aucune plus-value – ce qui le rend nul et non avenu, tant sur la forme que sur le fond.
En premier lieu, il n'est en rien nécessaire. Ni le rapprochement entre nombre de décisions administratives et compétence des juridictions de droit commun, ni l'allégation que les magistrats se laisseraient distraire de l'essentiel ne sont fondés. Le droit positif ne présente pas de lacune, puisque le nombre des mesures d'expulsion prises chaque année dépend surtout des pratiques administratives : souvent, l'étranger en situation irrégulière peut aussi bien faire l'objet d'une OQTF que d'une expulsion, mesure d'éloignement de droit commun. Par conséquent, vous tombez dans ce dogmatisme heureux qui consiste à rapprocher le piano du tabouret ! En 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, alors que vous dominiez entièrement l'hémicycle, la commission Mazeaud vous avait pourtant adressé une mise en garde prémonitoire, démonétisant l'idée d'une juridiction spécialisée.
En second lieu, les bénéfices de cette dernière seraient totalement inexistants.
Vous supprimeriez le double degré de juridiction, vous multiplieriez les exceptions au droit commun, pour n'arriver qu'à manquer votre cible. Vous tablez sur la complaisance du juge spécialisé : dans les faits, rien ne l'empêcherait de se montrer bien plus défavorable à l'administration que son prédécesseur, d'autant qu'il aurait à cœur d'affirmer son indépendance. S'ajoute à cela votre méconnaissance du sujet : vous supprimez la voie de l'appel lorsqu'il existe un impératif particulier de célérité ou si le dossier ne présente pas de difficulté particulière. Or, en contentieux de l'expulsion, qui consiste en un arbitrage particulièrement délicat entre l'objectif de maintien de l'ordre public et le droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale, aucune de ces hypothèses ne s'applique ! L'intérêt de juger rapidement est discutable dans la mesure où ces recours ne sont pas suspensifs, à la différence de ceux formés contre une OQTF.
En troisième lieu, l'appellation retenue pour cette juridiction est vraisemblablement d'un ordre qui suscite la nausée, en tant qu'il renvoie au souvenir de la Cour de sûreté de l'État, juridiction d'exception créée durant la guerre d'Algérie en vue de statuer sur les crimes et délits politiques. Ce contexte a beau être un tantinet moins sulfureux que celui du congrès des Républicains,…
C'est stupide, ridicule ! Ce n'est pas nous qui avons choisi la date de notre journée de niche !
…outre l'incongruité de l'amalgame, le choix d'une telle dénomination porterait à soupçonner l'impartialité de la nouvelle cour et de ses magistrats.
En dernier lieu, spécialiser le juge l'inviterait à envisager chaque cas en fonction de la gravité du précédent, à l'accoutumer à une gradation des horreurs consignées, bref, à le déshumaniser.
Vous l'aurez compris : parce qu'elle jetterait le discrédit sur l'institution judiciaire, en particulier sur les juges administratifs du fond, dont l'impartialité serait remise en cause, mais aussi parce que supprimer la possibilité d'appel ne rendrait pas plus efficace la procédure d'expulsion des étrangers délinquants, nous voterons contre le texte, ainsi que contre les amendements qui, taillés dans le même bois, visent à en tirer parti.
MM. Julien Bayou et Andy Kerbrat applaudissent.
Bravo, Ludovic !
Comme j'ai eu l'occasion de le dire en commission, c'est un choix pertinent que de consacrer un texte au droit délaissé, dévoyé, de l'expulsion des étrangers délinquants. L'exposé des motifs rappelle à juste titre que « la plupart des attentats terroristes en France ont été commis par des étrangers » – encore les citoyens binationaux ne sont-ils pas comptabilisés comme tels. Un tiers des personnes inscrites au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) sont étrangères. Quant au rapport d'information rédigé par le sénateur François-Noël Buffet, chargé, alors que la France subit une pression migratoire de plus en plus élevée, d'évaluer les politiques publiques en la matière, j'en extrais cette phrase : « Les travaux menés conduisent au triple constat d'un droit des étrangers devenu illisible et incompréhensible sous l'effet de l'empilement de réformes successives, de procédures inefficaces et d'un manque de moyens des services de l'État pour les mettre en œuvre. »
En 2021 ont été prises 143 226 mesures d'éloignement ; leur taux d'exécution fut de 9,3 %, en incluant les retours volontaires et spontanés. Toujours en 2021, au premier semestre, selon le ministère de l'intérieur, 62 207 OQTF ont été prononcées, 3 501 exécutées, soit un taux d'exécution de 5,6 %. Pendant ce temps, nous ne disposons que de 1 800 places en centre de rétention administrative. À la lecture de ces chiffres, il est aisé de comprendre que le problème réside avant tout dans une législation erratique, laxiste, vidée de sa substance et privée de moyens d'application. Pour parfaire ce travail de démolition, on peut compter sur une jurisprudence européenne – laquelle s'impose aux juges nationaux – complaisante envers l'immigration illégale et qui surprotège les étrangers délinquants. En somme, tout le système est organisé de manière qu'aucun éloignement ne puisse avoir lieu.
Face à ce dysfonctionnement structurel, de nature politique puis législative, on voit mal ce qu'une juridiction d'exception telle que la Cour de sûreté de la République pourrait bien résoudre. Toutefois, afin de pouvoir aborder le sujet cardinal de l'expulsion des étrangers délinquants, nous avons décidé de proposer une série d'amendements. La dénomination de la nouvelle juridiction doit désigner clairement, de façon immédiate, le contentieux auquel elle serait consacrée. De surcroît, il convient de souligner que le contentieux de l'expulsion relève des juges du fond, c'est-à-dire des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, et que les priver de cette compétence serait aussi malvenu qu'indélicat. Ce qu'il faut, c'est donner à ces magistrats les moyens d'être efficaces : un droit positif clair et opérationnel, un pouvoir de contrôle réduit au minimum, étant entendu que ce sujet de haute police relève du pouvoir discrétionnaire de l'administration.
En vertu de la même logique, l'administration doit disposer d'un pouvoir de régularisation de ses décisions en cours d'instance, comme c'est déjà le cas dans d'autres contentieux : c'est pourquoi nous proposons que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort, ainsi que de limiter les possibilités de pourvoi en cassation. Avec des voies de recours à chaque degré de juridiction, les personnes visées par des décisions d'expulsion n'en finissent pas de séjourner sur un sol dont elles ont pourtant violé l'intégrité. L'exposé des motifs évoque le cas de l'Allemagne, où il n'existe pas de possibilité de recours contre une décision d'expulsion : on peut regretter que cet exemple ne soit mentionné qu'à titre informatif, et que les auteurs du texte n'aient pas envisagé de le suivre.
Conserver leur compétence aux juges du fond et limiter les pourvois en cassation permettrait également que les autres contentieux ne restent pas en souffrance faute de magistrats, ainsi que d'éviter l'engorgement du Conseil d'État. Le dispositif proposé, en monopolisant des conseillers d'État, l'aggraverait : il serait même difficile de trouver meilleure méthode pour étouffer définitivement les juridictions françaises et les mettre hors d'état de statuer dans quelque affaire que ce soit. A fortiori, on ne peut instaurer un tribunal spécial pour chaque contentieux. Le système repose sur un dualisme juridictionnel : au nom de quoi remettre cette architecture en cause ? L'archipélisation de la justice française n'est ni souhaitée, ni souhaitable. Toutefois, la formation des juges accroîtrait leur compétence : nous souhaitons que seuls soient saisis des magistrats d'expérience, possédant une solide connaissance du sujet.
Par ailleurs, il s'agirait d'étendre la nouvelle organisation juridictionnelle à l'ensemble du contentieux de l'expulsion ; or celui-ci comprend deux composantes majeures – OQTF et refus d'abrogation des décisions d'expulsion – dont les auteurs de la proposition de loi n'ont manifestement pas eu connaissance. Le principe de spécialité législative aura de même échappé à leur vigilance, car, dans la rédaction actuelle du texte, six collectivités ultramarines ne seraient pas concernées, chose assez ennuyeuse pour l'intégrité du territoire. Nous proposons donc que cette proposition de loi soit appliquée dans la République française tout entière.
Le texte qui nous est présenté est une déception en comparaison de la proposition de loi visant à revaloriser les retraites agricoles et de celle visant à lutter contre les violences intrafamiliales, que nous examinerons tout à l'heure. Surenchère médiatique, inefficacité manifeste et clientélisme menaçant : voilà comment nous pouvons résumer votre proposition, qui relève plus d'un tract pour le congrès de votre parti que du travail législatif.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES. – Mme Sandra Regol applaudit également.
Disons-le, il est mal travaillé et, comme le texte précédent, il donne l'impression que l'auteur n'a pas lu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Non, ce code ne protège pas les individus qui menacent l'ordre public et la sûreté de l'État, ni même les auteurs de provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence – pas plus qu'il ne protège les polygames, comme certains veulent le faire croire à travers certains amendements. Débordés sur votre droite, vous devez faire preuve d'une imagination toujours plus tordue pour rester dans la course à l'échalote. Votre parti était autrefois une digue, c'est aujourd'hui un pont. Je ne disserterai pas plus longtemps sur ce texte incohérent et impossible à adopter, parce que je préfère vous répondre sur le fond.
Ce qui est vraiment révoltant dans ce texte, comme dans le précédent, c'est que vous faites un amalgame abject entre immigration et criminalité.
Dans l'exposé des motifs, vous n'hésitez pas à associer d'une manière simpliste étrangers et terrorisme, sous prétexte que la plupart des attentats seraient commis par des ressortissants étrangers. Revoyez vos statistiques, car 61 % des attentats commis en France l'ont été par des Français. Disons-le clairement : cette rhétorique est raciste.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES. – Mmes Soumya Bourouaha et Sandra Regol applaudissent également.
Elle repose sur des peurs et des fantasmes dignes d'un chroniqueur de CNews qui voudrait faire de l'audience et propager les idées de l'extrême droite. Vous voulez nous faire croire que nous vivons une crise de la criminalité à cause de l'immigration, mais continuons à regarder les chiffres : 99,2 % des étrangers condamnés dans notre pays le sont pour des délits ! On ne parle pas ici de crimes mais d'infractions routières ou de vols. Loin des reportages à sensation, la réalité est finalement très banale. Voilà donc la situation extrêmement alarmante censée justifier une cour de sûreté de l'État ! C'est assez grotesque.
Pour certains délits, oui, les étrangers sont surreprésentés : par exemple, ils représentent un quart des personnes condamnées pour travail illégal. Peut-être les employeurs délinquants qui les exploitent – Chronopost, Derichebourg, Accor et tant d'autres – méritent-ils de passer devant votre cour ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Leurs victimes manifestaient devant notre assemblée et nous les avons écoutées ; je vous invite, vous aussi, à écouter ces personnes qui souffrent et qui sont maltraitées par le patronat !
Les exilés représentent également 41 % des condamnations pour faux en écriture et près de 50 % des condamnations pour infractions douanières. Il s'agit donc, pour l'essentiel, d'infractions liées à la régularité de leur séjour et à leurs difficultés à faire valoir leurs droits. Ainsi, plus vous durcissez l'accueil, plus vous créez des délinquants de papier. Vous condamnez des gens pour ce qu'ils sont, pas pour ce qu'ils font. On est loin de l'« ensauvagement » plaidé par M. le ministre de l'intérieur ou de l'invasion fantasmée par l'extrême droite ! Ce qui relie véritablement criminalité et immigration, ce sont votre peur et votre haine.
Vous voulez détricoter le droit commun en grevant le budget de la justice et en rompant le principe d'égalité. Non, les exilés ne sont ni des criminels, ni des terroristes. Non, collègues de la droite, vous ne gagnerez rien à vous placer entre la catapulte de Mme Le Pen et le charter de M. Darmanin, alors revenez à la raison et laissez M. Ciotti rejoindre ses nouveaux amis.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES. – Mme Soumya Bourouaha applaudit également.
…je ne peux voter contre votre candidature à la tête de votre parti, monsieur le rapporteur. Mais nous, représentation nationale, pouvons rejeter cette proposition. Notre mot d'ordre pour répondre à la vraie question que soulève la crise de l'accueil c'est accueillir, protéger, régulariser. Seule cette politique sera digne pour les exilés.
Mêmes mouvements. – Mme Sandra Regol applaudit également.
Alors que tous les orateurs qui se sont succédé suspectent que notre niche – qui entre dans l'agenda de notre assemblée et relève donc du fonctionnement de la démocratie – n'est qu'un outil de campagne interne ,
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RE. – « Oh, pas du tout ! » sur les bancs du groupe LFI – NUPES
je tiens à les rassurer : malgré mes excellentes relations avec notre rapporteur Éric Ciotti, vous ne pouvez pas me suspecter d'en faire la promotion au sein de notre parti !
La proposition que nous défendons, d'abord présentée à l'initiative de notre président de groupe Olivier Marleix, a un fondement sérieux. Je tiens d'abord à rappeler ce que certains argumentaires tendent à effacer, au fur et à mesure qu'on les déroule : la justice, en France, est bien organisée en deux ordres, et l'un d'entre eux a bien une vocation particulière, celle de protéger l'État. C'est le sens de la justice administrative ; il ne faut pas que nous l'oubliions, y compris lorsque nous évoquons certaines attaques particulières vis-à-vis de l'État.
Il me semble important de rappeler, deuxièmement, que notre nation se construit autour de la réalité juridique qu'est la nationalité. La nationalité, ce n'est pas juste une mention que l'on fait figurer sur sa carte d'identité ou sur son passeport : c'est bien une présomption de loyauté vis-à-vis de la nation et de l'État, ce qui doit aussi avoir des effets juridiques.
Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
C'est sur la base de ce principe que nous avons construit notre proposition de loi.
Troisième constat : même si certains voudraient que le contraire devienne vrai, en assénant des chiffres sortis de nulle part, la majorité des attentats terroristes commis en France ces dernières années ont été perpétrés par des étrangers. C'est une réalité objective qu'il est difficile de nier, en dépit du souhait de certains membres de notre assemblée ou des œillères qu'ils portent. Rappelons le Stade de France en novembre 2015, le Thalys en août 2015, le 14 juillet 2016 à Nice – cette ville si chère à notre rapporteur –, Marseille en 2017, les attaques contre les militaires à Levallois-Perret et au Carrousel du Louvre, l'attaque contre les policiers à Notre-Dame de Paris, l'attentat de la rue Victor-Hugo à Lyon en 2019, le double assassinat terroriste de Romans-sur-Isère en avril 2020, l'attaque au couteau de Villeurbanne en août 2019 et l'assassinat terroriste survenu à Conflans-Sainte-Honorine en 2020. Voilà la réalité de la succession d'attentats perpétrés par des étrangers sur notre territoire national.
Face à cela, notre système souffre d'embolie, englué qu'il est dans des problématiques de procédure ; c'est bien de cela qu'il faut que nous sortions. Alors bien sûr, monsieur le garde des sceaux, les procédures sont là pour protéger les droits et les libertés individuelles. Loin de nous la volonté de nous détacher de cet objectif, qui nous semble important. Néanmoins, force est de constater que la procédure est aussi, par moments, un business en soi, l'opportunité pour certains de développer une activité économique, monétisée. Or, en monétisant la procédure et en la plaçant au cœur du contentieux dans les tribunaux, on dégrade la compréhension de l'État, la compréhension même de la justice par nos concitoyens. À la fin, on défait l'État lui-même, on organise son impuissance.
Rien de moins !
C'est ce qui conduit progressivement au rejet et à la fracture que l'on observe dans notre société. Plutôt que d'aller vers la procédure et le recours au droit, on organise la réponse de l'État pour éviter les procédures, autrement dit pour éviter le traitement, par le droit, de la situation des étrangers qui vivent sur notre sol : ce n'est pas acceptable du point de vue du respect de l'État de droit. Nous croyons en la nécessité d'un État fort, crédible, respecté ; c'est le sens de notre proposition de loi.
Celle-ci, que le président Marleix a présentée de façon étayée, permettrait également de réconcilier notre État et notre système judiciaire avec la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Nous l'avons vu : des États voisins, comme l'Allemagne, ont adopté des systèmes de ce type qui leur permettent un fonctionnement très efficace, y compris avec les institutions européennes. De ce point de vue, monsieur le garde des sceaux, la juridiction d'exception que nous proposons serait peut-être un bon moyen de réconcilier la France avec la CEDH.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
La discussion générale est close.
La parole est à M. le garde des sceaux.
Que nous ayons tous envie d'améliorer l'efficacité des juridictions pour traiter le contentieux de masse dont nous parlons, c'est une évidence. Personne n'a le monopole de cette envie, je pense que vous me le concéderez, monsieur le député. En revanche, ce que vous proposez ne serait pas efficace ; il faut en convenir. Je l'ai dit tout à l'heure, M. le ministre de l'intérieur travaille très activement à un projet qui sera présenté dans les jours à venir. Le ministère de la justice y a d'ailleurs une petite part, qu'il viendra sans doute défendre.
Vous dites, au fond, que les juges du tribunal administratif ne sont pas bons, et vous proposez de les remplacer, dans la procédure visée, par les membres du Conseil d'État. Je voudrais d'abord vous rappeler que nous sommes tenus, les uns et les autres ici, par un petit principe : la séparation des pouvoirs. Il est quand même très curieux que des membres de la représentation nationale disent que les juges des juridictions administratives de premier ressort se sont éloignés de l'essentiel. C'est même assez stupéfiant ! Pour le coup, ce n'est pas une judiciarisation de la vie politique mais c'est la politique qui juge que les juridictions de première instance ne fonctionnent pas ! C'est un premier point.
Ensuite, vous « squeezez » un certain nombre de droits fondamentaux, en particulier celui d'interjeter appel. C'est stupéfiant, mais cela s'inscrit dans une idée de plus en plus récurrente, prégnante : l'idée selon laquelle l'État de droit deviendrait une sorte de scorie dont il faudrait impérativement que l'on se débarrasse. On se souvient d'ailleurs des déclarations de l'extrême droite sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. C'est un grignotage permanent que l'on retrouve dans un certain nombre de pays étrangers – chez vos amis, d'ailleurs. Je suis attaché, pour ma part, à ce qu'un homme, ou l'État, puisse faire valoir ses droits en appel s'il estime qu'ils ont été négligés en première instance : ce n'est pas plus compliqué que ça.
M. Mathieu Lefèvre applaudit.
Puisque vous faites des comparaisons avec l'Allemagne, vous pourriez évoquer les peines planchers ou le taux d'incarcération : vous constateriez que cela exonère la justice française d'un certain nombre de critiques récurrentes sur son laxisme supposé – mais ça n'est pas le sujet. En 2021, la France a procédé à 11 630 éloignements, contre 10 785 pour l'Allemagne et 3 230 pour l'Espagne.
Et depuis le début de l'année 2022, les éloignements sont en hausse de plus de 20 %.
J'entends ce qui vous anime, monsieur le député. Le Gouvernement est très sensible également à une amélioration de l'efficacité des procédures, bien sûr, mais pas au prix d'un texte qui, selon moi, n'a pas été suffisamment travaillé, qui ne serait en rien efficace, qui n'apporterait rien et qui chamboulerait en quelques heures l'architecture de la juridiction administrative. C'est extraordinaire de prétention ! M. Schellenberger – qui est parti – a dit tout à l'heure que j'étais pompeux. En l'occurrence, la prétention est celle du groupe, puisque la proposition de loi figure dans sa niche. Vous n'avez pas choisi le calendrier, j'entends bien ; en revanche, vous avez bien choisi ce que vous mettez dans la niche : ça, c'est une certitude absolue !
Je ne veux pas y revenir, mais nous ne sommes pas ici dans la discussion d'une élection primaire, une élection où, à n'en pas douter, fort du talent dont la nature vous a pourvu, monsieur le rapporteur, vous brillerez.
M. Ludovic Mendes rit.
M. Pradié essaiera ensuite de faire de même, et nous garderons nos impressions pour nous car nous ne participons pas, dimanche prochain, au scrutin qui vous occupe.
Mais, sérieusement, modifier les règles ainsi, en quelques instants, ce n'est pas sérieux ! Souffrez d'attendre quelques heures que nous vous présentions un travail dont j'ai la faiblesse et l'immodestie de penser qu'il est mieux préparé, mieux bâti et mieux à même de répondre à notre souci commun.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Ce texte est très sérieux, monsieur le ministre, car le sujet est non seulement sérieux, mais aussi grave. Vous l'abordez par la dérision, vous y assimilez des considérations politiques, voire politiciennes.
C'est le jeu et, au fond, je peux comprendre que vous vous y livriez. Cependant, convenez que la situation actuelle nécessiterait d'agir plutôt que de se payer de mots en permanence.
C'est ce que vous faites !
M. Gérard Collomb, qui fut le premier à exercer la fonction de ministre de l'intérieur pour la majorité après l'élection du président Macron en 2017, a déclaré il y a quelques jours qu'en matière d'immigration et de sécurité, il y avait eu cinq ans de perdus. Par leur nature dilatoire, vos propos et ceux de Mme la ministre déléguée me font penser à ce temps perdu. On aura peut-être un jour un texte sur l'immigration – il avait été annoncé pour septembre, puis pour décembre, et on dit maintenant qu'il pourrait être présenté en mars prochain, auquel cas il ne serait pas promulgué avant cet été. Le temps que les décrets d'application soient pris, nous serons déjà arrivés à la moitié de cette législature !
Cette lenteur est révélatrice de votre refus d'agir et de légiférer, mais aussi de votre refus de considérer la gravité du problème. Certains orateurs, y compris ceux issus des groupes dont je suis le plus éloigné, ont reconnu qu'il y avait bien un sujet,…
Oui, il y a un sujet !
…que nos procédures d'expulsion, devenues totalement illisibles, constituent en quelque sorte une invitation à détourner la loi,…
…nourrissant même une forme de commerce qui permet à des étrangers entrés sur le territoire national de façon irrégulière de saisir jusqu'à dix niveaux de juridiction et de se maintenir ainsi plusieurs années en France, jusqu'à parfois y rester définitivement. On peut ainsi considérer qu'un étranger mettant un pied sur notre territoire de manière irrégulière a toutes les chances de pouvoir y rester. J'y vois une démission, un échec de la République.
Ce n'est pas avec votre texte qu'on changera les choses !
Quand un pays n'a plus la possibilité de choisir qui il veut, qui il peut accueillir et assimiler – ce terme figure dans le code civil –, il faut y voir un échec dramatique conduisant à des situations que nos concitoyens ne peuvent plus comprendre et accepter.
M. le garde des sceaux fait signe qu'il souhaite prendre la parole.
Oui, la situation est grave, et c'est ce qui justifie que nous proposions des mesures de simplification et de spécialisation dans l'objectif de raccourcir les procédures, d'harmoniser la jurisprudence et d'éviter ainsi les contentieux du type de celui auquel a donné lieu l'expulsion de l'imam Iquioussen, ce qui, vous en conviendrez…
Même mouvement.
Madame la présidente, j'ai l'impression que M. le garde des sceaux souhaite intervenir…
Quand vous aurez terminé !
Je lui donnerai effectivement la parole à l'issue de votre intervention, monsieur Ciotti.
J'ai préféré vous le signaler, car ses gesticulations troublent ma réflexion…
Je vais être expulsé du territoire !
Sourires.
Sur le fond, vous avez cité des chiffres qui renvoient à des situations bien distinctes. Ainsi, vous mélangez les décisions administratives dont font l'objet les étrangers en situation irrégulière, à savoir les OQTF, et celles concernant des étrangers en situation régulière, à savoir les arrêtés préfectoraux d'expulsion et les arrêtés ministériels d'expulsion. Le sujet est grave car, pour ce qui est des premières, les services spécialisés, notamment les services de renseignement, considèrent qu'elles portent sur des personnes dangereuses pour l'ordre public…
Je vous vois secouer la tête, monsieur le ministre, mais c'est un fait, et je vois d'ailleurs derrière vous une personne de votre cabinet qui semble acquiescer à ce que je dis !
Sourires.
Monsieur le rapporteur, vous n'avez pas à interpeller les membres du cabinet de M. le ministre.
Je m'excuse auprès de la personne que j'ai mise en cause, madame la présidente, je n'ai dit cela que pour plaisanter.
J'aimerais rappeler la réponse faite à la commission des lois par le ministère de l'intérieur : selon la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ), il y a eu 344 décisions d'expulsion pour motif d'ordre public en 2021, et 246 en 2020 – dont la moitié seulement ont été exécutées. On peut confronter les chiffres, mais je n'ai pas inventé ceux que je vous cite, qui nous ont été communiqués par les administrateurs de l'Assemblée. Si l'expulsion pour motif d'ordre public ne donne pas lieu à un contentieux de masse, il s'agit cependant d'un contentieux extrêmement sensible, car il concerne des personnes susceptibles de représenter une très grave menace pour l'ordre public,…
Tout ça, c'est du délayage !
…relevant parfois même de la menace terroriste. C'est bien de cela qu'il est question, et c'est ce qui justifie notre proposition de créer une nouvelle juridiction, composée de magistrats spécialisés.
Pour mieux vous faire comprendre l'intérêt de cette proposition, je citerai l'exemple des avis rendus au Premier ministre par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Ces avis peuvent être contestés devant le Conseil d'État, et c'est une section spécialisée du Conseil, habilitée au secret de la défense nationale, qui statue sur les recours déposés à ce titre. C'est le même principe en matière de contentieux de l'expulsion pour trouble à l'ordre public : nous voulons qu'il y ait des magistrats spécialisés en la matière, qui pourraient eux aussi être habilités au secret de la défense nationale – j'ai déposé sur ce point un amendement que nous examinerons tout à l'heure. Ne caricaturez pas notre démarche !
Je ne caricature rien !
Nous parlons là de personnes extrêmement dangereuses, ce qui justifie que le ministère de l'intérieur ou les préfets puissent prendre des arrêtés d'expulsion. Nous voulons simplifier et accélérer les procédures, et il me semble que nous pourrions tous nous retrouver sur l'exigence de simplifier des procédures devenues kafkaïennes.
Oui, mais pas de cette manière !
Cela fait maintenant six ans qu'il est question de le faire. M. le ministre de l'intérieur laisse entendre qu'un texte pourrait venir, et nous espérons que cela finira par arriver.
Oui, la semaine prochaine !
La semaine prochaine, c'est juste un débat qui se tiendra dans cet hémicycle. Le débat, le palabre, la discussion : ça, c'est le macronisme.
C'est utile, le débat, c'est ce qui fait la démocratie !
Ce que nous voulons, nous, ce sont des lois. Nous voulons agir, plutôt que de discuter en vain et sans fin.
C'est assez extraordinaire. Je vous le dis très simplement, nous partageons votre souhait de disposer de procédures plus efficaces. Entre parenthèses, je veux tout de même rappeler que c'est vous qui avez mis en place certaines mesures qui n'autorisent pas l'exécution d'une OQTF ou d'une interdiction du territoire français (ITF) – ces murs peuvent avoir des oreilles, mais ils ont aussi une mémoire… Je veux parler de la double peine, un dispositif que vous avez soutenu à l'époque avec le même enthousiasme que celui dont vous faites preuve aujourd'hui.
Pardon, ce n'est pas à moi ni à Gérard Collomb que l'on doit ces mesures, mais bien à vous !
Quand je vous fais remarquer que votre proposition n'est pas efficace, vous modifiez l'architecture administrative en un claquement de doigts, dans le cadre d'un débat de quelques heures, et vous trouvez cela normal. Pour notre part, nous estimons que le sujet mérite un travail plus approfondi – ce que vous appelez palabre et nous, démocratie.
Ne m'interrompez pas, monsieur le rapporteur, c'est maintenant mon tour de parler !
Votre texte n'est pas du tout efficace, disais-je, et vous devriez être réceptif à cette remarque de bon sens, puisque vous m'exhortiez vous-même au bon sens il y a quelques instants.
Par ailleurs, ce que vous proposez n'est pas très sympathique pour les juges du tribunal administratif, puisque vous balayez d'un revers de main le deuxième degré de juridiction. Or, quand je vous fais cette remarque, vous ne savez que me répéter : « Oui, mais c'est grave ! » sur tous les tons. C'est grave, sans doute, mais votre texte ne permet pas de régler quoi que ce soit, vous en conviendrez.
En fait, vous vous contentez de pratiquer l'enfumage, sans jamais répondre à mes critiques, qui sont pourtant simples – la suppression du deuxième degré de juridiction ; la question consistant à savoir comment les conseillers d'État pourraient effectuer seuls le travail jusqu'alors confié aux juridictions administratives ; la difficulté qu'il y a à ne plus disposer que d'une juridiction centrale, à savoir le Conseil d'État, situé à Paris, alors que des problèmes peuvent survenir sur l'ensemble du territoire. Vous ne répondez à rien de tout cela, vous bornant à répéter que c'est grave. Vous aurez beau le dire cinquante fois, cela ne changera rien au fait que ce texte n'est ni fait ni à faire, inachevé, dangereux, et qu'il constitue une régression au regard des droits, notamment ceux mis en place par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CSDHLF), dont la Cour européenne des droits de l'homme assure l'application.
Je vous ai donné un exemple, celui de l'imam Iquioussen, que vous avez repris. Ce cas montre à quel point il est heureux qu'il y ait un deuxième degré de juridiction, car celui-ci protège également l'État quand la décision rendue en première instance ne lui convient pas.
« Eh oui ! » sur les bancs du groupe RE.
À partir de mardi prochain auront lieu dans cet hémicycle ce que vous appelez des palabres et qui constitue pour moi l'exercice de la démocratie. Nul ici, pas même vous, ne peut mettre en doute la volonté farouche de Gérald Darmanin d'avancer sur ces questions. Pour ce qui est de votre texte, je le répète, il arrive trop vite, il n'est pas fini, il n'est pas efficace, et il doit donc retourner à la niche, si vous me permettez l'expression.
Rires et applaudissements sur les bancs du groupe RE.
J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l'Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n'a pas adopté de texte.
Sur les amendements n° 3 et identiques, je suis saisie par les groupes La France insoumise, Les Républicains et Socialistes et apparentés d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Nous souhaitons supprimer l'article 1er afin de faire tomber ce texte et passer à l'examen d'un autre qui sera sans doute beaucoup plus intéressant, celui de M. Pradié, proposant la création d'un pôle judiciaire de lutte contre les violences intrafamiliales.
Je veux tout de même dire un mot au sujet de la juridiction spécialisée que souhaite créer M. Ciotti, la Cour de sécurité de la République…
De sûreté !
…ce qui fait référence à la Cour de sûreté de l'État, une création du général de Gaulle principalement destinée à lutter contre le terrorisme de l'OAS. On retrouve la philosophie ayant présidé à la création de cette institution dans le texte de M. Ciotti, qui intitule son texte « Création d'une juridiction spécialisée dans l'expulsion des étrangers délinquants » alors qu'il n'y est en réalité question que de terrorisme.
Je vais rappeler un chiffre déjà cité à plusieurs reprises au cours du débat : 61 % des actes de terrorisme commis en France sont dus à des Français : ces actes ne sont donc pas commis en majorité par des étrangers. Puisqu'on parle d'agir avec efficacité, nous estimons qu'il faut commencer par avoir un débat sérieux. Instrumentaliser une telle question en vue de la tenue du congrès interne d'un parti, ce n'est vraiment pas à la hauteur de la République !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – Protestations sur les bancs du groupe LR.
La parole est à M. Jérémie Iordanoff, pour soutenir l'amendement n° 4 .
Sans vouloir refaire la discussion générale, il y a dans l'exposé des motifs de M. Ciotti des mots qui reviennent souvent – les étrangers, l'immigration clandestine –,…
Or, en dehors du totem de l'immigration, ce texte ne contient aucun élément de résolution du problème : il ne démontre rien, et vous n'avez rien à répondre quand on vous en fait la remarque – il en est de même pour les atteintes à l'État de droit.
Bref, ce texte n'est que de l'affichage et ne donne lieu qu'à un débat creux, à l'image du congrès des Républicains qui en constitue le prétexte.
Mme Sandra Regol applaudit.
La parole est à Mme Fatiha Keloua Hachi, pour soutenir l'amendement n° 8 .
Nous proposons nous aussi de supprimer l'article 1er , qui vise à créer une cour de sûreté de la République afin de faciliter l'expulsion des étrangers. Largement inspiré par les thèses du Rassemblement national, ce texte établit ad nauseam un lien entre immigration et terrorisme.
En effet, quel scandale de dire que les terroristes n'ont pas le droit de rester en France !
Ce texte repose sur une erreur magistrale d'interprétation du droit à la sûreté consacré à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen puisqu'il le confond avec un droit à la sécurité. Il vise à faciliter les expulsions en créant des juridictions spécialisées. Il remet totalement en cause les garanties procédurales qui permettent aux étrangers sous le coup d'une mesure d'expulsion…
…de présenter leur défense au regard des droits fondamentaux garantis par la Constitution et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Votre objectif est clairement affiché : expulser plus facilement et plus rapidement. Le groupe Socialistes et apparentés s'oppose à cet amalgame et à la suppression des garanties fondamentales découlant de la Constitution. C'est pourquoi nous proposons la suppression de l'article 1er .
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
L'amendement n° 9 de M. Benoît Bordat est défendu.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements de suppression ?
Ils ont été adoptés en commission mais, à titre personnel, je ne peux qu'y être défavorable puisqu'ils conduisent à déconstruire toute la proposition de loi. Je regrette qu'on ne puisse pas débattre de son fond et que la pertinence même du sujet dont elle traite soit remise en cause. Nous savons combien il est grave, je le redis, n'en déplaise à M. le garde des sceaux. Je regrette que vous refusiez de l'explorer jusqu'au bout.
Les arguments que vous avez développés pour défendre ces amendements reprennent ceux que vous avez déployés lors de la discussion générale et je crois y avoir déjà répondu. Des amendements émanant de divers bancs ont été déposés sur l'article 1er . La question du nom donné à la juridiction peut se poser : vous avez, monsieur Kerbrat, parlé de « cour de sécurité » et vous pourriez déposer un amendement en ce sens au lieu de supprimer l'article, l'enjeu de sécurité étant lui aussi d'une grande importance.
Je m'oppose à la suppression de cet article, donc de ce texte, certain que, dans quelques mois ou dans quelques années, vous y viendrez, comme c'est souvent le cas. On nous annonce ainsi un projet de loi sur les questions migratoires qui semble faire écho à nombre de nos propositions de ces dernières années. Le problème, c'est que d'ici à ce que vous fassiez vôtre ce dispositif, beaucoup de temps et d'efficacité auront été perdus et beaucoup de drames, peut-être, se seront produits.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Vous pensez que j'y viendrai dans quelques années, monsieur le rapporteur : je vous remercie de me voir un avenir.
Vous dites encore que le sujet est grave, mais c'est justement pour cela qu'il ne faut pas procéder n'importe comment.
Cela mérite autre chose que ce texte dont je pense pouvoir démontrer qu'il n'est ni efficace, ni clairvoyant, et qu'il ne résout rien, en plus d'être un peu injurieux à l'égard des magistrats des tribunaux administratifs. Il est, de surcroît, restrictif de nos droits – je me suis expliqué longuement là-dessus. Bref, il ne sert à rien et il a été fait à la va-vite.
Je n'entends pas répondre qu'en grimaçant : mon argumentation est cohérente et elle me permet d'expliquer pourquoi je suis évidemment favorable à ces amendements de suppression.
Le débat qui nous occupe est très important. Entre la naïveté de l'extrême gauche qui voudrait répondre à la question migratoire par toujours plus de régularisations
Protestations sur les bancs du groupe LFI – NUPES
et les caricatures de l'extrême droite qui voit derrière chaque étranger un délinquant en puissance ou en actes, je suis désolé de vous le dire, mais il existe une ambition républicaine qui assume de faire preuve de la plus grande fermeté possible à l'encontre des délinquants étrangers tout en respectant l'État de droit.
Monsieur le rapporteur, vous êtes sur un terrain glissant, position dangereuse qui vous éloigne de plus en plus de l'État de droit. Vous n'avez pas le monopole de la fermeté : les OQTF sont en augmentation depuis 2017 ; le projet de loi de finances pour 2023, contre lequel vous vous êtes prononcés, prévoit une augmentation du nombre de places dans les centres de rétention administrative ;…
…la loi Collomb, contre laquelle vous avez également voté, a permis d'augmenter le délai de la retenue administrative des étrangers jusqu'à vingt-quatre heures.
Vous ne soutenez pas plus l'action diplomatique que mènent le Président de la République et le ministre de l'intérieur pour reconduire aux frontières les étrangers délinquants. Vous la critiquez même en permanence. C'est pourtant elle qui a permis une hausse de plus de 50 % des reconduites à la frontière, notamment grâce à notre coopération avec les pays tiers.
Vous nous dites que dans quelques années, nous en viendrons à faire nôtres vos propositions. Nous ne le ferons pas, pour une raison très simple. Vous souhaitez lever les protections qui accompagnent les mesures d'éloignement, et nous sommes évidemment d'accord avec vous, mais la différence entre nous, c'est que nous, nous faisons confiance aux juges pour apprécier s'il faut ou non lever lesdites protections et pour assurer aux personnes incriminées le respect du droit à la vie privée et familiale.
Pour toutes ces raisons, le groupe Renaissance votera en faveur de ces amendements de suppression de l'article 1er , c'est-à-dire contre cette proposition de loi qui confond vitesse et précipitation.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Cela fait bientôt six ans que je siège dans cet hémicycle et, depuis 2018, j'ai vu s'accumuler toutes les bonnes raisons pour ne pas agir. Un certain ministre de l'intérieur de la précédente législature a pu dire tout ce qu'il pensait de l'échec de la loi « asile et immigration » lorsqu'il a quitté le Gouvernement en 2018.
Au-delà des caricatures qui ont été faites, le présent texte mérite un débat sur le fond. M. le garde des sceaux a avancé des arguments sur la procédure. Celui qui porte sur le principe du double degré de juridiction posé par la CEDH, nous pouvons facilement le balayer : pourquoi en effet ne pas considérer que la cour de sûreté que nous voulons créer constituerait le premier degré et le Conseil d'État le deuxième, en cas de recours en cassation ?
Non, il ne peut être considéré comme une deuxième juridiction.
Quant à M. Lefèvre, je l'invite à faire preuve de davantage d'humilité. Quels ont été vos résultats depuis 2018 alors que nous vous avons alertés sur chacun des problèmes, que nous avons appelé votre attention sur les laissez-passer consulaires, que nous avons insisté sur les contreparties à exiger ? Aucun !
Au contraire, le nombre de titres de séjour délivrés a atteint un record tout comme celui des clandestins.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Alors, ne nous faites pas la leçon après ça !
Du côté de l'extrême gauche, nous savons pertinemment que vous allez rejeter ce texte car votre philosophie est à l'opposé de la nôtre. Vous faites l'amalgame entre les personnes entrant légalement et illégalement sur notre territoire. À force de toujours défendre la clandestinité, vous finissez par nuire à ceux qui font l'effort de suivre les procédures, de respecter les lois et de s'intégrer.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Je voudrais simplement vous répondre, monsieur Lefèvre. Vous affirmez qu'il y a eu une augmentation des OQTF depuis 2017, mais ce qu'il faut avoir à l'esprit, c'est que le nombre de celles qui sont exécutées a baissé.
Leur taux d'exécution est passé de 14 % en 2017 à 5,7 % au premier semestre 2021 !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
À quoi sert de prononcer des OQTF si elles ne sont pas exécutées ? C'est bien le sujet qui nous préoccupe.
Vous savez, hier, j'étais dans un commissariat de Saint-Étienne.
Exclamations sur les bancs des groupes RE et LFI – NUPES.
Je n'ai pas croisé le maire mais j'ai rencontré les policiers de la BAC – brigade anticriminalité –…
Ah, Saint-Étienne ! Belle mairie ! Et qu'alliez-vous donc faire là-bas ?
Ces policiers, disais-je, venaient d'interpeller deux personnes ayant agressé une vieille dame pour lui voler son collier : la première était un mineur non accompagné, l'autre, arrêtée à plusieurs reprises, avait déjà fait l'objet de cinq OQTF.
La part des étrangers parmi les personnes mises en cause dans les circonscriptions de la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de la Loire est passée de 20 % à 30 % en l'espace d'une seule année. Vous pouvez toujours contester, vous voiler la face, nier le problème ;
Exclamations sur les bancs du groupe RE
les Français, eux, mesurent ce phénomène et ne le supportent plus.
Votre impuissance est la source des pires dangers pour notre société.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 123
Nombre de suffrages exprimés 123
Majorité absolue 62
Pour l'adoption 82
Contre 41
Les amendements identiques n° 3 , 4 , 8 et 9 sont adoptés ; en conséquence, l'article 1er est supprimé et les amendements n° 26 , 28 , 27 , 29 , 1 , 35 , 13 , 2 , 31 , 6 , 14 , 32 , 5 , 19 , 34 , 36 , 37 , 20 , 23 , 7 , 16 , 17 , 21 et 12 tombent, de même que les amendements n° 24 , 15 et 1 , portant article additionnel après l'article 1er .
Nous en venons donc à l'article 2.
L'amendement de suppression n° 10 est-il défendu ?
Non, madame la présidente, nous pouvons passer directement au vote de l'article.
De toute façon, il n'a plus de sens après la suppression de l'article 1er .
La séance, suspendue quelques instants, est immédiatement reprise.
L'article 2 n'est pas adopté.
L'ensemble des articles et amendements portant article additionnel ayant été supprimés ou rejetés, la proposition de loi n'est pas adoptée.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures.
La parole est à M. Aurélien Pradié, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Attendre. En 2018, 118 femmes ont été assassinées par leur conjoint. Attendre. En 2019, 146 femmes ont été assassinées par leur conjoint. Attendre. En 2020, 102 victimes. Attendre. Depuis le début de l'année 2022, 102 femmes ont été assassinées par leur conjoint. Entre 2020 et 2021, les féminicides par conjoint ont augmenté dans notre pays de 14 %. En 2021, près d'un quart de ces femmes ont été asphyxiées à mains nues, par strangulation ou par étouffement. Attendre, encore attendre.
L'âge des auteurs ne cesse de diminuer, s'approchant de plus en plus des 30 ans. Attendre, attendre encore, alors que trois quarts des femmes assassinées avaient déjà signalé des violences aux forces de l'ordre. Attendre encore, lorsque douze enfants sont morts en 2022 dans un contexte de violences conjugales. Attendre encore, lorsqu'en 2021, un tiers des assassinats ont été causés par une arme à feu qui n'avait pas été retirée à l'auteur. Attendre…
L'Espagne, elle, n'a pas attendu. Dès 2004, ce pays voisin du nôtre s'est doté du bracelet antirapprochement, pour un budget de 1 milliard d'euros, afin de lutter contre les violences conjugales, et surtout d'une juridiction spécialisée, bras armé d'une justice qui protège vraiment les femmes. Cette juridiction spécialisée n'est pas un détail d'organisation ; elle n'est pas un outil supplémentaire, elle est l'outil essentiel qui manque à notre pays. Pourquoi attendre ? Pourquoi hésiter ? Pourquoi chercher encore et encore des excuses et des prétextes pour ne pas tout faire ? Nous ne luttons qu'à moitié. Si nous voulons vraiment lutter contre les violences conjugales, il faut le faire totalement, entièrement, massivement.
Pourquoi hésiter ? Pourquoi repousser ? Pourquoi patienter ? Quel est le seuil d'alerte et de tolérance au-delà duquel nous ferons tout, absolument tout, pour réduire vraiment le nombre de féminicides ? Une augmentation de 14 % en un an, n'est-ce pas un signal d'alerte ? Une courbe qui ne diminue pas – alors qu'elle décroît ailleurs, comme en Espagne –, n'est-ce pas un seuil d'alerte ? Nous ne pouvons plus attendre. Depuis dix ans, l'Espagne a mis en œuvre la juridiction spécialisée que nous proposons de créer en France. Les résultats sont patents : dans ce pays, le nombre de femmes tuées a diminué de 36 % depuis 2003, et le nombre de plaintes enregistrées par les tribunaux spécialisés depuis 2007 a augmenté de 29 %.
La France compte déjà plusieurs juridictions spécialisées, qui ont fait leurs preuves : le juge des enfants, le juge aux affaires familiales ou encore le juge destiné à la protection des majeurs. Nous savons faire. Nous savons que la juridiction dédiée aux violences intrafamiliales est une des clés qui manquent à la France. Elle est réclamée depuis dix ans par tous les acteurs de terrain ; elle est étudiée et expertisée.
C'est faux !
Nous savons quoi faire et comment le faire. Dès lors, il est inacceptable d'attendre encore. Nous avons dix-huit ans de retard sur l'Espagne – dix-huit ans, et plusieurs centaines de femmes mortes. Qu'il faille étudier et tourner encore autour du pot est absolument fou ! Pendant que nous hésitons, des femmes meurent : cette réalité peut paraître brutale et simpliste, mais elle est la réalité de notre pays. Les assassins courent plus vite que nous – beaucoup plus vite.
Nous vous proposons de passer des paroles aux actes – nous vous proposons tout simplement d'avancer. En 2019, l'Assemblée a voté à l'unanimité une proposition de loi qui accélérait les délais de délivrance des ordonnances de protection et qui généralisait le bracelet antirapprochement dès la phase de prévention. Nous avons agi pour retirer aux auteurs des violences leurs autorisations de port d'arme et pour mieux protéger le logement des victimes. Il y avait à l'époque de nombreux doutes ; il y avait de nombreuses hésitations, y compris dans cette assemblée ; il y avait tant et tant de prudence ! Certains considéraient qu'il fallait attendre, et pourtant, nous avons agi. Les résultats sont au rendez-vous. Le Grenelle des violences conjugales a aussi permis d'agir, mais est-ce suffisant quand on sait qu'en 2021, une femme sur six déclare avoir été victime au moins une fois de violence physique ou sexuelle de la part d'un partenaire depuis l'âge de 15 ans ? Combien de bracelets antirapprochement ont été délivrés dès la phase de l'ordonnance de protection, phase la plus importante ? Treize ! Seuls treize bracelets antirapprochement ont été délivrés dès l'étape la plus cruciale, qui précède le passage à l'acte. Treize bracelets, pour plus de cent femmes assassinées depuis le début de l'année 2022 !
Pourquoi cet échec ? Pour des raisons techniques, sûrement, mais aussi, et surtout, parce que les magistrats chargés des affaires familiales et le juge civil, aujourd'hui compétents, hésitent trop à se saisir de la mesure quasi pénale qu'est le bracelet antirapprochement. Dans le cadre civil actuel, le port d'un bracelet antrapprochement nécessite l'accord de l'auteur – vous m'entendez bien, il faut l'accord de l'auteur !
On est au civil !
Autant dire que cette mesure n'est quasiment jamais appliquée. Telle est la véritable raison pour laquelle notre pays doit se doter d'une juridiction spécialisée. Nous n'avancerons pas davantage si nous ne disposons pas d'un tribunal spécialisé qui associe les pouvoirs du juge civil et du juge pénal. Nous avons besoin de magistrats spécialement formés, totalement dédiés à ces violences spécifiques, qui pourront agir vite et fort. La clé est là. Nous disposons d'outils pour mieux protéger, mais il nous manque l'essentiel : les acteurs qui les utiliseront plus largement. C'est l'objet fondamental de notre proposition de loi : nous proposons de confier à un tribunal spécialisé la mission de protection des femmes, des hommes et des enfants victimes de violences au sein de la famille. Ce tribunal sera présidé par un juge aux violences intrafamiliales spécialisé, formé à ce type de contentieux si singulier. Cette juridiction spécialisée s'appuiera sur des référents au sein de chaque parquet. Dans les faits, les procureurs connaissent déjà une spécialisation ; je proposerai donc que nous actions, dans la loi, leur mobilisation dédiée à la lutte contre les violences intrafamiliales.
Cette juridiction spécialisée sera d'abord une juridiction de proximité. Il est impératif qu'elle soit proche des justiciables : j'ai déposé un amendement pour prévoir la présence d'un tribunal des violences intrafamiliales au sein de chaque tribunal judiciaire. Une victime de violences conjugales ne doit pas avoir à parcourir 200 kilomètres pour se rendre au tribunal – c'était une préoccupation exprimée par plusieurs groupes politiques, et nous avons veillé à y répondre positivement.
Une juridiction spécialisée, c'est aussi une juridiction qui renforce la nécessaire formation des magistrats et leur périmètre d'intervention : je donnerai un avis favorable à un amendement déposé par le groupe Socialistes et apparentés sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale, ainsi qu'à un amendement du groupe Écologiste – NUPES qui apporte des précisions sur la formation que doivent suivre les magistrats exerçant au sein des tribunaux spécialisés.
Lors de l'examen de la proposition de loi en commission, je vous ai dit, au nom du groupe Les Républicains et en mon nom personnel, notre volonté d'avancer avec intelligence : la gravité du sujet l'impose. Nous sommes plusieurs, dans cette assemblée, à mener inlassablement ce combat depuis de nombreuses années. Plusieurs propositions issues de différents groupes ont permis de préciser notre texte. Il a été rejeté en commission, sans véritable raison. Aussi, rappelons une dernière fois ce dont nous parlons : nous parlons de 102 femmes mortes depuis le premier jour de l'année 2022 ; nous parlons d'un retard important de la France ; nous parlons de la création d'un outil qui a fait ses preuves dans d'autres pays ; nous parlons d'un engagement pris par le Président de la République durant la campagne présidentielle ; nous parlons de la création d'une juridiction que vous-même, madame la ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances, avez appelée publiquement de vos vœux ; nous parlons d'un outil qui manque terriblement aux femmes, aux hommes, aux enfants et à la France pour mieux les protéger ; nous parlons d'une juridiction qui recueille l'assentiment général. Alors, pourquoi attendre ? Pourquoi s'y opposer ? Est-ce par dogmatisme, par sectarisme ou par fuite politique ? Je ne veux pas le croire, car le sujet est trop important. Détourner le regard, procrastiner, ce n'est pas manquer une occasion, c'est commettre une faute.
Nous ne pouvons plus attendre : avançons, votons ce texte, engageons la navette parlementaire et enclenchons le processus. Face au fléau des violences faites aux femmes et aux enfants, le plus grand danger est celui de l'habitude ; le plus grand danger, c'est de banaliser ; le plus grand danger, c'est de penser qu'on fait le maximum, alors qu'on n'agit que partiellement. Cette habitude, comme vous, je la refuse. Défendre la juridiction spécialisée que nous prônons, c'est combattre cette habitude et franchir une nouvelle étape qui n'est pas secondaire pour le pays. Ce débat et ce combat n'ont rien de secondaires : la création d'une juridiction spécialisée est l'essentiel de l'action que nous devons engager pour mieux protéger les femmes, les hommes et les enfants victimes de violences au sein de leur propre famille.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Chaque féminicide est un féminicide de trop. Chaque violence, quelle qu'elle soit, est une violence de trop, partout et toujours. Je vous le dis à vous, députés de la nation, comme je l'ai martelé dans la circulaire pénale que j'ai adressée aux procureurs en septembre : le foyer familial doit être érigé en sanctuaire protecteur au sein duquel ne saurait être acceptée aucune violence.
Vendredi dernier, lors de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le Président de la République s'est rendu à Dijon pour réaffirmer son engagement en la matière. Il en a fait la cause de ses deux quinquennats. Isabelle Rome et moi-même l'avons accompagné à la rencontre des gendarmes et des magistrats qui s'engagent avec force pour mettre un terme à ce fléau. Je peux vous assurer qu'ils sont tous mobilisés comme jamais auparavant, et je veux ici très solennellement leur rendre hommage. Il est scandaleux de laisser croire que rien n'est fait, qu'ils et elles ne font rien pour endiguer ce fléau.
Mais la lutte contre les violences faites aux femmes n'est pas seulement le combat des gendarmes, des policiers et des magistrats : c'est le combat de toute la société, notre combat à tous – voisins, collègues de bureau, nous devons tous nous unir pour dénoncer chaque violence, quelle qu'elle soit. Car souvent, dans ces affaires de féminicides, la justice n'est pas informée en amont d'un certain nombre de signaux faibles ou forts : ils existent, mais ils ne sont pas portés à sa connaissance.
Nous partageons une responsabilité collective, mesdames et messieurs les députés – une responsabilité que nous avons déjà assumée ensemble par le passé, monsieur le rapporteur : celle de toujours mieux protéger les victimes les plus vulnérables et, bien sûr, de renforcer l'efficacité de l'action judiciaire. Je le dis tout net : nous pouvons faire encore mieux, et nous allons y employer toute notre énergie.
Oui, il faut encore améliorer le traitement judiciaire des violences faites aux femmes. Faut-il pour autant, comme y tend votre texte, faire table rase de tous les efforts déjà déployés par les magistrats qui se battent contre ces violences, et balayer d'un revers de main tout ce qui a été instauré par les acteurs de terrain ? Surtout, sur quelle évaluation objective et documentée vous fondez-vous pour conclure que la création verticale d'une juridiction spécialisée, sans étude d'impact, entraînerait la moindre avancée ? Personne ici ne peut y répondre. Mesdames et messieurs les députés, le sujet est trop grave pour ne pas le traiter à la hauteur des enjeux qu'il emporte : la vie de centaines de femmes.
Je l'ai dit, le Gouvernement veut et va renforcer le traitement judiciaire des violences faites aux femmes. Néanmoins, il s'est fixé pour cela, en lien avec l'Assemblée nationale et le Sénat, une méthode sérieuse, à la hauteur des enjeux cruciaux qui nous réunissent cet après-midi.
Avant de détailler le projet du Gouvernement et sa méthode, je tiens à rappeler que depuis le Grenelle contre les violences conjugales, grâce à un travail étroit de concertation et d'expertise croisée – auquel vous avez pris part, M. le rapporteur – entre le Gouvernement et le Parlement, les juridictions disposent d'outils efficaces dont elles s'emparent de plus en plus souvent.
Quel est l'état de notre organisation judiciaire en matière de lutte contre les violences intrafamiliales (VIF) ?
L'action judiciaire réactive sur l'ensemble du territoire repose sur mes instructions de politique pénale prioritaire, adressées à tous les procureurs de la République. Quand bien même certains magistrats les jugeaient trop comminatoires, elles ont produit l'effet escompté. Premièrement, la réponse judiciaire s'est accélérée : le nombre de procédures rapides sur défèrement a augmenté de 182 % entre 2017 et 2022. Deuxièmement, la réponse pénale est devenue plus ferme. Ainsi, le nombre de condamnations pour ce motif a augmenté de 100 % entre 2017 et 2022. En outre, les incarcérations sont devenues plus fréquentes : les infractions aggravées par le lien de conjugalité représentent 11 % des années d'emprisonnement ferme prononcées en 2022, contre 5 % en 2017. Enfin, l'éviction du conjoint dès le défèrement a connu une hausse de 205 % entre 2017 et 2021.
Pour mettre en œuvre cette réponse pénale renforcée, les juridictions se sont organisées. Nous les avons aidées et encouragées en diffusant dès février 2020 un guide sur la modélisation des circuits judiciaires de traitement des dossiers de violence conjugale.
Nous avons renforcé notre accompagnement en fournissant à chaque tribunal des outils lui permettant d'instaurer des circuits spécialisés – j'insiste sur ce mot – dans les violences intrafamiliales. Au cœur de cette organisation judiciaire, on trouve trois indicateurs. Le premier d'entre eux est la spécialisation de tous. Dois-je répéter le mot ? La spécialisation non seulement des magistrats, mais également des avocats, des associations ou encore des agents d'accueil au tribunal. Le second est la simplification des audiences grâce à des protocoles locaux avec les partenaires. Le troisième est la transversalité avec les instances locales de pilotage des référents désignés au parquet comme au siège, assurant la coordination de l'ensemble des services afin d'associer tout le monde – je dis bien tout le monde – à cette œuvre commune.
Depuis 2017, les dispositifs de protection se renforcent constamment grâce à la multiplication des filières d'urgence VIF. Les chiffres sont éloquents : ils démontrent que les juridictions luttent au quotidien pour assurer aux victimes une protection à la fois immédiate et pérenne. Le nombre d'ordonnances de protection délivrées par le juge aux affaires familiales (JAF) a doublé depuis 2017 ; près de 6 000 ordonnances ont été délivrées en 2021.
Au pénal, les juridictions se sont emparées des outils de protection grâce à la coordination des partenaires et à la proximité des acteurs auprès des victimes.
Le nombre de téléphones grave danger a été multiplié par dix depuis 2019 ! Ce décuplement le porte à plus de 4 500 appareils déployés. En 2021, ces téléphones ont déclenché 1 179 alarmes ayant permis une intervention des forces de l'ordre. C'est autant de drames évités. De janvier à octobre 2022, ce sont 1 390 alarmes qui ont été déclenchées.
Le nombre d'attributions d'un bracelet antirapprochement (BAR), dispositif que j'ai généralisé en 2021…
Oui, mais c'est moi qui l'ai déployé.
J'entends bien. Pour tout dire, la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) y avait songé un peu avant vous. Vous vous êtes saisis du texte, vous l'avez voté – parfait ! Mais encore faut-il le mettre en œuvre, comme les députés ne manquent pas de me le rappeler régulièrement. Or ce n'est pas vous, mais bien nous, qui l'avons fait.
J'entends bien, mais…
Je ne vous ai pas interrompu, monsieur Pradié.
Souffrez que je vous dise les choses telles qu'elles sont.
Vous n'avez pas tout fait. Vous n'êtes pas le champion de la lutte contre les violences intrafamiliales. C'est un sujet transversal qui nous préoccupe tous.
Je suis dans mon rôle de garde des sceaux lorsque je vous rappelle, calmement, sans qu'il soit besoin de m'interrompre, que, si vous avez voté ce texte – sur lequel la DACG avait beaucoup travaillé –, nous l'avons mis en œuvre rapidement.
J'en reviens donc à mon propos. Le nombre d'attributions d'un bracelet antirapprochement – dispositif que j'ai généralisé en 2021 – a explosé. Près de 1 000 bracelets sont actifs aujourd'hui. Les alarmes qu'ils ont déclenchées ont permis 1 046 demandes d'intervention des forces de sécurité intérieure. C'est, là encore, autant de drames évités.
J'ai beau rappeler cette réalité que votre discours a malheureusement occultée, je ne compte pas me satisfaire de ces avancées. Nous devons assumer collectivement notre responsabilité de renforcer autant que possible l'efficacité de l'action judiciaire. C'est l'engagement qu'a pris le Président de la République.
Trois questions permettront de vérifier si cette proposition de loi répond à notre responsabilité collective. Je vous le dis tout net, avec beaucoup de liberté : si je pensais qu'elle était susceptible d'améliorer notre système de justice,…
…je l'approuverais sans la moindre hésitation. Qui serais-je pour renoncer à un tel progrès, puisque notre volonté est de lutter encore et toujours contre les violences faites aux femmes ?
Première question : la création verticale d'une juridiction spécialisée ou d'un pôle spécialisé répond-elle à un besoin urgent et constitue-t-elle une solution efficace ? La réponse est non. Pourquoi non ? Pas par principe, ni par dogmatisme, ni par attentisme.
Pas du tout.
Si vous aviez prêté attention au travail de coconstruction accompli en la matière, notamment avec la sénatrice Annick Billon, vous vous seriez dispensé de faire une telle réflexion.
Pourquoi ma réponse à cette première question est-elle négative ? Écoutez au moins l'argument !
On vous écoute, mais il faut bien répondre quand on n'est pas d'accord !
La réponse est non, car votre proposition tend à créer un échelon supplémentaire de juridiction qui complexifiera encore l'action judiciaire et la rendra illisible pour les victimes comme pour tous les partenaires des juridictions. Vous affirmez, monsieur Pradié, que tout le terrain réclame cette mesure ; c'est faux !
Le texte promeut à mon sens une vision restrictive de l'action judiciaire limitée à la seule phase de l'instruction et de la condamnation, excluant de facto tout le champ de la détection des violences, qui est pourtant indispensable. Telle qu'elle est rédigée, cette proposition de loi complexifie encore le parcours des victimes. J'en donnerai un seul exemple : une fois l'ordonnance de protection prononcée par le juge spécialisé que vous souhaitez instituer, la victime devra se rendre au tribunal judiciaire de droit commun, devant un autre juge aux affaires familiales, pour obtenir un jugement de divorce au fond. Pensez-vous qu'il s'agisse d'un progrès ?
Enfin, le texte n'atteint pas l'objectif recherché d'une meilleure spécialisation : la composition de la juridiction spécialisée est illisible, notamment en cas de sous-effectif, où il faudra avoir recours à un magistrat non spécialisé. Si une juridiction comporte cinq magistrats dont trois sont spécialisés et que, parmi ces trois magistrats, deux sont indisposés, qui jugera les affaires ? Plus personne !
Aujourd'hui, les tribunaux disposent de filières d'urgence. Vous ne voulez pas l'entendre !
Qui est responsable de la situation ? C'est vous, le ministre de la justice.
Monsieur Léaument, vous prendrez la parole tout à l'heure ; j'aimerais pour l'instant présenter mes arguments. À défaut de les entendre, faites au moins semblant de les écouter.
Deuxième question : cette proposition de loi améliorera-t-elle le traitement judiciaire des violences intrafamiliales ? Là encore, la réponse est non, car le texte tel qu'il est rédigé exclut d'office une réponse judiciaire coordonnée de proximité. C'est assez curieux, d'ailleurs, pour un élu de terrain. Il serait regrettable de renvoyer les victimes à trois heures de route de la justice ; c'est là une des conséquences de la spécialisation.
Il me semble délétère de créer un échelon judiciaire sorti de votre chapeau sans aucune évaluation précise, quand les dernières années ont été consacrées à renforcer les partenariats locaux pour une prise en charge globale et pluridisciplinaire de proximité autour de la victime, mais également de l'auteur, dans les territoires. Je fais ici référence aux protocoles avec les hôpitaux, avec les associations – Mme Rome nous en dira sans doute un mot –, avec les services pénitentiaires, avec les collectivités territoriales, avec les élus ou encore avec les services de protection de l'enfance. Ce réseau de proximité a pour interlocuteurs les référents désignés au sein de chaque juridiction. La nomination de ces référents agissant en binôme avec les contractuels VIF – un poste que nous avons inventé – est un outil salué par l'ensemble des acteurs judiciaires et de leurs partenaires. Je doute que vous les ayez auditionnés.
Par ailleurs, ce texte n'autorise pas la souplesse indispensable à l'adaptation des organisations aux enjeux et aux ressources du territoire. Là encore, j'en donnerai un seul exemple. On peine à comprendre comment une juridiction spécialisée créée à côté du tribunal judiciaire pourrait mobiliser trois magistrats, des greffiers et un barreau afin d'organiser une audience de comparution immédiate, imprévisible par nature.
Pour chaque ressort de tribunal, posez-vous la question des effectifs : notre organisation actuelle doit-elle être balayée d'un trait de plume ? Chaque juridiction adapte son rythme d'audiences correctionnelles et civiles en fonction du nombre d'affaires. Ainsi, chez vous, monsieur le rapporteur, à Cahors, la Chancellerie a eu connaissance en 2021 de cinq condamnations pour des faits de violences intrafamiliales jugées en procédure urgente. Comment voudriez-vous, pour un petit tribunal comme le vôtre, que cela justifie une juridiction à part entière ? Avez-vous seulement demandé leur avis aux magistrats de Cahors ?
En matière de lutte contre les violences faites aux femmes, il nous faut, je le concède, agir dans l'urgence. Mais l'urgence n'est pas de créer, sans concertation ni étude d'impact approfondie, une juridiction sortie de nulle part, porteuse de plus d'interrogations que de solutions. Au contraire, il y a urgence à trouver des solutions concrètes et efficaces.
Le Gouvernement s'est engagé en ce sens, à vos côtés, en allouant des moyens supplémentaires à cette politique : depuis 2017, les crédits du ministère de la justice consacrés à l'aide aux victimes ont augmenté de 115 %. Des postes de contractuels, arrivés en juridiction en urgence et affectés au traitement des violences intrafamiliales, ont été pérennisés. Quant aux recrutements de magistrats depuis 2017 et pour les cinq prochaines années au moins, ils sont sans précédent : au moins 1 500 magistrats supplémentaires, là où la droite avait supprimé près de 200 postes en cinq ans – je ferme la parenthèse.
Et je le dirai encore ; je persévère.
Pourquoi ? Ce n'est pas vrai ? C'est un argument ! Le fait est que nous avons été particulièrement sensibles aux difficultés des juridictions, comme en témoigne le fait que nous y avons envoyé, puisque vous me donnez l'occasion de le redire,…
Bien sûr ! …des contractuels spécialisés dans les violences intrafamiliales – dont nous avons ensuite, à la demande desdites juridictions, pérennisé les postes – et que nous avons embauché de nombreux magistrats quand vous, vous avez supprimé des postes, dont j'aurai la délicatesse de ne pas vous rappeler le nombre.
Notre ambition est globale – nous voulons faire en sorte que chacun, à son niveau, s'engage dans la lutte contre les violences faites aux femmes – et rejoint les préoccupations de nombre d'entre vous, sinon de vous tous ; je pense à ceux qui ont déposé des amendements visant à élargir le débat parlementaire en proposant que des rapports évaluent non seulement l'ensemble des dispositifs de protection mais aussi les dispositifs de suivi renforcé des auteurs.
Le sujet est trop grave, monsieur le rapporteur, pour faire les choses à l'envers. Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, je vous annonce qu'une mission parlementaire associant l'Assemblée et le Sénat, la majorité et l'opposition, a été créée fin septembre, à la demande de la Première ministre. Elle est conduite par deux parlementaires d'une couleur politique différente, expérimentées en matière de justice et engagées, comme vous, monsieur Pradié, dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Il s'agit d'Émilie Chandler, avocate au barreau de Pontoise, députée du groupe Renaissance de la 1
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE
et de Dominique Vérien, sénatrice de l'opposition de l'Yonne, rapporteure depuis plusieurs années de la mission "Justice" , membre de la commission des lois et membre active de la délégation aux droits des femmes du Sénat ; je veux les saluer chaleureusement l'une et l'autre.
Elles sont accompagnées de plusieurs magistrats du ministère de la justice, monsieur Pradié, et de membres de l'Inspection générale de la justice, pour réaliser un travail d'envergure – il ne rentre pas dans une niche, si j'ose dire – qui aboutisse, avant le mois de mars, à des propositions concrètes et applicables sur le terrain.
Émilie Chandler aura sans doute l'occasion de vous en dire quelques mots, mais cette mission parlementaire a déjà auditionné quatre-vingts personnes, et elle auditionnera, d'ici à janvier, près de deux cents parties prenantes.
M. Pradié aussi a fait des auditions. Vous croyez qu'il n'a pas travaillé ?
Pardonnez-moi, monsieur le député, mais si je présentais un projet de loi et que vous participiez à une mission sur le même sujet, vous m'accuseriez, et vous auriez raison, de ne pas respecter le Parlement.
Eh oui, j'ai raison ! Monsieur Pradié, vous n'avez pas auditionné les représentants des avocats, par exemple.
Le Conseil national des barreaux, le CNB, nous a d'ailleurs fait savoir…
Soyez correct et courtois. Cela fait mal, n'est-ce pas, lorsque je souligne que vous n'avez pas auditionné le CNB,…
Cela ne fait pas mal du tout. Vous pouvez être en désaccord avec nous, mais ne dénigrez pas le travail des parlementaires !
…lequel, du reste, n'est pas favorable à votre texte. Cela tombe bien…
À l'époque, vous étiez défavorable au bracelet antirapprochement ! Je n'ai rien oublié.
Laissez-moi poursuivre, monsieur Pradié, s'il vous plaît.
Je suis interrompu, monsieur Minot. Si je ne l'avais pas été, mon intervention serait déjà terminée, croyez-moi.
Protestations sur plusieurs bancs du groupe RE.
Le CNB, disais-je, que vous n'avez pas entendu, n'est pas favorable à votre texte et juge nécessaire de poursuivre le travail. Cela tombe bien : c'est précisément ce que nous vous proposons.
Par ailleurs, je crois savoir que les rapporteures Chandler et Vérien vont auditionner tous les groupes politiques du Parlement. Vous aurez donc tout le loisir de dire ce que vous avez à dire, si vous le souhaitez. J'ajoute que cette mission a une feuille de route très vaste, ce qui la rend très libre ; son objet n'est pas limité à la seule organisation des juridictions afin qu'elle puisse envisager toutes les solutions possibles et imaginables.
Votre rapporteur, quant à lui, a déposé un amendement pour – écoutez bien – « repousser l'entrée en vigueur de la présente loi au 1er janvier 2024 ». N'avez-vous pas, monsieur Pradié, parlé vingt fois d'urgence ? De quelle urgence s'agit-il, alors ? De celle de faire voter votre texte – car c'est votre texte !
S'il avait proposé 2023, vous lui auriez dit que c'est trop tôt. C'est de la sophistique !
Quoi qu'il en soit, je vous annonce que le Président de la République a indiqué, lors de son déplacement à Dijon, que les solutions proposées pour l'amélioration du traitement judiciaire des violences faites aux femmes devraient être mises en œuvre à l'été 2023. Les conclusions de la mission parlementaire et la réponse du Gouvernement seront donc appliquées plus rapidement que votre proposition de loi !
Mais ce n'est pas votre sujet, monsieur Pradié, c'est celui de tout le monde.
Vous, c'est votre texte qui n'est pas adapté. Pourtant, vous voulez le faire voter, pour un certain nombre de raisons qui vous sont propres.
Non seulement votre travail n'est pas complet, une mission parlementaire a été créée sur le sujet et les avocats ne sont pas d'accord avec vous, mais, en plus, vous repoussez l'entrée en vigueur du texte à 2024 tout en invoquant l'urgence !
Laissez-moi terminer, monsieur Pradié ! Vous avez le monopole du cœur : vous êtes « M. VIF », et personne d'autre que vous ne compte ni ne peut s'exprimer sur cette question.
En matière de courtoisie républicaine, j'ai déjà eu l'occasion de vous rappeler à l'ordre. Arrêtez !
Chacun appréciera. Choisissez la surenchère si vous le souhaitez.
Le fait est que vous nous parlez d'urgence et d'abandon – c'est la moitié de votre discours ! –,…
…et que vous nous soumettez un texte qui n'entrerait en vigueur qu'en 2024. Je vous dis que nous, nous irons plus vite, que l'objet de la mission parlementaire est plus complet, plus large, et qu'elle a auditionné davantage de personnes que vous.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Vous proposez de changer le cours des juridictions sans même que les conséquences d'une telle mesure aient été examinées. Cette proposition est sortie, non pas de nulle part, mais de votre chapeau, monsieur Pradié.
Je termine. Parce que le sujet qui nous rassemble aujourd'hui touche tous les groupes politiques et parce que je connais l'engagement de tous, j'y insiste – et pas uniquement le vôtre –,…
…je vous annonce que, dès la remise des conclusions de la mission parlementaire, je créerai, avec ma collègue Isabelle Rome, un groupe de contact flash de deux semaines,…
…composé de représentants de tous les groupes politiques afin de recueillir vos réflexions sur les conclusions de la mission et vos propositions – j'attendrai les vôtres.
Ainsi, la réforme qui devra être mise en œuvre à l'été prochain sera entièrement coconstruite. C'est un engagement solennel que je prends devant vous et que je tiendrai, comme je l'ai fait sur des textes précédents, tels que la loi Billon ou le code de justice pénale des mineurs. Nous sommes là pour faire avancer la cause des victimes ; la gravité du sujet qui nous rassemble cet après-midi nous impose, à tous, d'agir en responsabilité. Voilà donc la méthode que nous vous proposons et qui nous permettra, d'ici à l'été, d'aboutir, tous ensemble : gauche, centre et droite.
Je prends donc cette proposition de loi pour ce qu'elle est, c'est-à-dire une contribution versée à nos débats, qui nourrira, j'en suis certain, les travaux de la mission parlementaire. Je veux remercier le rapporteur pour son engagement et je l'invite à se joindre aux futurs travaux de cette mission. Compte tenu de leur état d'avancement, je ne peux être que défavorable à l'adoption de la présente proposition de loi, qui jetterait le trouble sur les travaux de la mission qu'il nous faut laisser avancer. Seul, on va parfois plus vite, monsieur Pradié, mais, ensemble, on va plus loin.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances.
Trop longtemps tues, les violences faites aux femmes sont désormais regardées en face, avec l'intransigeance qui s'impose. Ce qui se passe une fois la porte du domicile refermée concerne la société tout entière lorsqu'il s'agit de délits ou de crimes. Il n'y a pas de crimes passionnels, il n'y a que des homicides volontaires aggravés. Les violences intrafamiliales sont une affaire, non pas privée, mais bien publique.
Trop souvent au cours de ma carrière de magistrate, notamment lorsque je présidais une cour d'assises, j'ai eu à juger des féminicides. J'ai entendu le désarroi des victimes et trop souvent constaté leur destruction à petit feu, du fait de leur conjoint violent. Je ne cesserai jamais de le dire : les violences faites aux femmes ne sont pas des violences comme les autres, ce sont des violences spécifiques. Et parce qu'elles sont spécifiques, elles nécessitent un traitement judiciaire spécifique.
Cette proposition de loi a le mérite de mettre sur la table un sujet qui doit être traité avec sérieux, sujet qui nécessite un important travail de fond et de coconstruction avec l'ensemble des professionnels et des acteurs de la société civile, au premier rang desquels les associations, qui, elles aussi, portent la voix des victimes et participent à leurs combats. Oui, il est fondamental que l'ensemble des acteurs de la chaîne connaissent et comprennent des notions telles que l'emprise, le cycle de la violence, le psychotrauma. Il est aussi fondamental de bien prendre en considération l'impact dévastateur des violences conjugales sur les enfants et d'en tirer les conséquences en matière d'exercice de l'autorité parentale, de droit de visite ou d'hébergement.
Depuis le Grenelle des violences conjugales organisé par le Gouvernement en 2019, auquel j'ai participé en tant que haute fonctionnaire chargée de l'égalité femmes-hommes au ministère de la justice, d'importantes avancées sont intervenues dans le traitement judiciaire de ces violences, au premier rang desquelles la création des 123 filières de l'urgence, qui marque un progrès majeur. Je tiens à saluer la forte implication d'Éric Dupond-Moretti dans la mise en œuvre d'une politique très volontariste en la matière.
Nous avons encore du chemin à parcourir pour assurer une véritable cohérence du traitement de ces violences et éviter les failles dans la communication d'informations ainsi que les divergences d'appréciation entre magistrats ayant à statuer sur une même situation. Il est, par ailleurs, essentiel de garantir une formation ad hoc aux magistrats amenés à juger de telles affaires.
C'est tout l'objet de la mission parlementaire transpartisane associant Assemblée nationale et Sénat qui a été annoncée par la Première ministre le 2 septembre dernier. Je sais que ses membres effectuent un important travail de concertation et de terrain, et je fais toute confiance à la députée Chandler et à la sénatrice Vérien pour proposer un dispositif efficace et formuler des recommandations ambitieuses. Je connais leur engagement dans ce domaine et je sais le travail titanesque qu'elles accomplissent actuellement. Je sais aussi qu'elles prennent le soin de consulter l'ensemble des parties prenantes et qu'elles associeront à leur travail chacun des groupes parlementaires.
Cette justice spécialisée ne peut se construire sans concertation avec les acteurs de la justice, les associations et, évidemment, les victimes. C'est un travail collégial et transpartisan qui a permis la spécialisation de la justice en Espagne – que vous citez en exemple, monsieur Pradié. Au Québec, une expérimentation est actuellement menée en vue de cet objectif. Cette cause est trop importante pour être l'objet de luttes partisanes. Ce qui importe, ce n'est pas d'apposer un nom sur un texte, mais que soit adopté un dispositif qui protège mieux les victimes en alliant efficacité et proximité.
Vous dites qu'il y a urgence. Oui, il y a urgence, urgence à bâtir le dispositif le plus efficace possible pour protéger les victimes. Vous le reconnaissez vous-même dans votre rapport : le texte que vous proposez aujourd'hui est loin d'être abouti. Vous avez d'ailleurs déposé un amendement pour que votre proposition de loi n'entre en vigueur qu'en 2024. Urgence, dites-vous, monsieur le rapporteur ?
Dans sa rédaction actuelle, le texte que vous proposez n'aurait pas les effets escomptés et éloignerait les victimes de la justice. Nous ne pouvons pas demander à une victime de violences intrafamiliales de faire des heures de route pour se rendre dans un tribunal doté d'une juridiction spécialisée : elle a un besoin urgent de proximité.
Avec Éric Dupond-Moretti, nous avons accompagné le Président de la République le 25 novembre dernier à Dijon. Nous avons échangé avec les gendarmes, le procureur, les présidents des tribunaux, des JAF, des juges de l'application des peines (JAP), des juges du tribunal correctionnel et des associations. Tous avaient une position claire : créer des tribunaux ex nihilo, comme vous le proposez, aurait des effets délétères pour les victimes.
Avez-vous entendu les victimes, monsieur le rapporteur ?
Vous avez vu ce qui s'est passé en Espagne ? Des effets terribles : les violences ont baissé.
Je me suis déjà exprimée à ce sujet.
Vous faites une pirouette : vous étiez favorable à ce dispositif il y a quelques mois.
La voie que nous vous proposons, mesdames et messieurs les députés, est celle de la collégialité, de la rapidité et du respect du travail parlementaire.
Cette voie est aussi celle de l'efficacité : nous voulons aboutir, le plus rapidement possible, à un système dédié, adapté aux besoins des victimes, et non à système de bric et de broc…
…conçu et instauré à la hâte. Les victimes méritent mieux que cela : nous leur devons le meilleur.
Nous ne vous avons pas interrompu, monsieur Pradié !
Taisez-vous !
Écoutez madame la ministre déléguée. Chacun pourra répondre par la suite.
Comme l'a rappelé le garde des sceaux, nous prenons deux engagements devant la représentation nationale.
Le premier est d'organiser un groupe de contact de deux semaines à l'issue de la mission parlementaire pour associer les différents groupes politiques aux recommandations qui seront émises. L'examen en commission des lois a permis de montrer la volonté partagée sur ces bancs d'avancer ensemble. C'est ce que nous vous proposons.
Le second engagement, et vous pouvez compter sur moi, est d'instaurer, d'ici à l'été 2023, un dispositif efficace et opérant pour mieux protéger les victimes.
Pas en 2024, monsieur le rapporteur, pas à la fin du quinquennat, à l'été 2023. Nous vous proposons de travailler ensemble, en concertation, parce que nous partageons le même objectif, monsieur Pradié.
En l'état, je suis défavorable à cette proposition de loi.
Je tiens tout d'abord à saluer le travail de mon collègue et ami, Aurélien Pradié, qui est engagé depuis de nombreuses années sur le sujet des violences au sein de la famille et qui a déjà permis l'adoption à l'unanimité par notre assemblée de sa proposition de loi visant à agir contre les violences faites aux femmes, promulguée le 28 décembre 2019. Ce texte a permis de nombreuses avancées comme le déploiement du bracelet électronique antirapprochement, la fixation à six jours maximum du délai de délivrance par le JAF d'une ordonnance de protection, ou encore la suspension automatique de l'autorité parentale lors d'un crime contre le conjoint. Merci de faire preuve d'une telle ténacité et de ne jamais avoir abandonné ce sujet essentiel qui nous concerne tous et qui devrait nous pousser à agir unanimement.
Nous sommes amenés à discuter de la proposition de loi portant création d'une juridiction spécialisée aux violences intrafamiliales. Concrètement, cette nouvelle formation du tribunal judiciaire, le tribunal des violences intrafamiliales, traiterait des délits commis au sein de la cellule familiale. Le juge aux violences intrafamiliales qui verrait le jour aurait des compétences sur le volet pénal, comme statuer en juge unique sur certains délits de violences intrafamiliales, et sur le volet civil, comme statuer sur les demandes d'ordonnance de protection.
Pourquoi le faire ? Parce que nous n'avons plus le temps d'attendre. Depuis le début de l'année 2022, 102 femmes sont déjà mortes sous les coups de leur compagnon. Ce sont 102 morts de trop. Nous ne pouvons pas nous permettre d'égrainer ces chiffres semaine après semaine sans rien faire. Combien faudra-t-il encore de crimes avant qu'une partie de la majorité décide qu'il est temps d'agir ? Quel est votre seuil de tolérance ?
Pourquoi attendre ? Pourquoi attendre les conclusions d'une mission parlementaire sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales avant de réaliser une nouvelle expérimentation sur le sujet, puis attendre encore de nombreuses années avant, enfin, de créer ces pôles spécialisés que tout le monde réclame ? Attendre, vous ne nous rétorquez que ce mot face aux mesures dont vous n'avez pas l'initiative.
Vous pensez que les maris et les femmes violents, que les pères et les mères qui battent leur enfant vont s'arrêter jusqu'au rendu des conclusions ?
Si nous devons aller vers une spécialisation de pôles dans chaque tribunal judiciaire, c'est parce que ces violences sont particulières, du fait que les victimes entretiennent ou ont entretenu des relations familières avec leur auteur et qu'au nom de cette complicité, elles n'osent pas dénoncer les faits. Pour comprendre ces violences et pour les traiter il faut une justice spécialement formée. Elle contribuera à restaurer la confiance des victimes en l'institution judiciaire et à enrayer un phénomène de société qui ne fait qu'augmenter chaque année : rappelons qu'en 2021, 143 personnes dont 122 femmes ont connu une mort violente au sein du couple, soit une hausse de 14 % par rapport à 2020.
Nous nous emparons encore une fois de ce sujet car des exemples étrangers démontrent que le dispositif proposé fonctionne. Comme l'a dit M. le rapporteur, en Espagne, où ce modèle a été instauré en 2004, les faits parlent d'eux-mêmes : le nombre de femmes tuées a diminué de 36 % depuis 2003 ; le nombre de plaintes enregistrées par les tribunaux spécialisés a augmenté de 29 % depuis 2007 ; les juges espagnols ont tous suivi une formation sur ce contentieux. Les tribunaux spécialisés sont compétents à la fois sur le volet civil de la procédure et sur le volet pénal : ils ont ainsi une vision transversale du dossier. C'est ce que nous proposons ici.
Vendredi dernier, le 25 novembre, se tenait la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Ce serait plus qu'un symbole de leur prouver que nous ne renonçons jamais. Il n'est jamais trop tôt pour agir, mais il ne faut surtout pas patienter, car après il sera trop tard.
Comment mettre en place le système proposé ? Ce sujet doit nous unir : il est trop important pour en faire l'objet d'une lutte partisane. C'est pourquoi tous les groupes d'opposition ont fait des propositions pour faire évoluer ce texte qui pourra être affiné au cours des débats parlementaires puis de la navette parlementaire. La proposition de loi rassemble une majorité sur tous les bancs de gauche et de droite. Malheureusement, une partie de la majorité, qui méprise parfois les propositions venant de l'opposition, a décidé de voter contre. Drôle de manière de mettre en œuvre l'esprit de coconstruction que vous vantez !
Bien sûr, nous pouvons exposer des interrogations ; c'est normal et légitime. C'est pour cela que le rapporteur a souhaité travailler avec chacun d'entre vous, pour coconstruire une proposition plus forte. C'est aussi pour cela qu'il a lui-même modifié son texte après avoir entendu des professionnels et des demandes des autres groupes politiques. C'est ainsi que nous envisageons le travail parlementaire. Pour reprendre votre conclusion, monsieur le garde des sceaux, quand on travaille ensemble, on va toujours plus loin ; c'est bien dommage que ce soit si souvent affirmé au lieu d'être appliqué.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Le ministère de l'intérieur a publié un panorama inédit des violences en France à la suite d'une enquête conduite en 2021. Celle-ci se concentre d'abord sur les violences subies pendant l'enfance. La secrétaire d'État chargée de l'enfance rappelait cet été qu'un enfant meurt tous les cinq jours au sein de son environnement familial dans des conditions violentes. L'enquête aborde aussi les violences au sein d'un couple et les violences commises par une autre personne que le partenaire. Près d'une femme sur quatre a subi des violences dans la sphère conjugale, et 102 femmes ont été tuées depuis le début de l'année. La protection des femmes et la prévention des violences intrafamiliales sont donc primordiales et essentielles. Ces chiffres édifiants en sont la preuve.
Nous débattons à nouveau du fléau des violences intrafamiliales auquel nous devons continuer d'apporter des réponses pertinentes et efficaces, loin de toute récupération politicienne. Nous devons avoir pour unique boussole l'intérêt des victimes et faire preuve d'humilité face aux solutions techniques, juridiques et sociales qui doivent émerger du travail législatif. Nous ne devons pas croire que nous sommes les seuls à détenir la vérité, car c'est avec l'ensemble des acteurs concernés que nous avancerons sur le douloureux chemin de la lutte contre ces violences. Nous devons donc effectuer des concertations et privilégier la coconstruction, et non agir dans la précipitation.
Vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, nous devons répondre à ces actes odieux, intolérables, à ces meurtres, à ces vies brisées, en rétablissant la justice. Le Président de la République a lui-même rappelé lors de son déplacement à Dijon vendredi dernier son ambition et sa volonté de développer les moyens de lutte contre les violences intrafamiliales.
Le groupe Démocrate approuve le consensus exprimé au sein des groupes politiques pour lutter contre ces violences. Mais la création d'une juridiction spécialisée par une proposition de loi ne nous semble pas la solution la plus adaptée. En effet, les magistrats que vous avez questionnés à ce sujet la semaine dernière, madame la ministre déléguée, ont clairement indiqué que ce n'était pas la solution et que ce dispositif ne pourrait pas être opérationnel. Nous devons les écouter.
Le système proposé risque de complexifier la procédure judiciaire dans le cadre des affaires de violences : se tournant d'abord vers un parquet judiciaire de son domicile, la victime devra ensuite s'adresser à un magistrat spécialisé qui peut se situer dans une autre juridiction.
À l'heure où les victimes se retrouvent dans des situations d'urgence extrêmement difficiles, avons-nous la certitude qu'il s'agisse de la meilleure solution ? Nous en doutons, car elle conduirait à un éloignement géographique de la juridiction et des magistrats spécialisés et elle compliquerait la circulation des informations.
Certes, vous avez déposé des amendements pour tenter de corriger votre dispositif inopérant et contre-productif, mais notre groupe a la conviction qu'il faut continuer le travail.
Face à une accélération de la libération de la parole et surtout face à l'amélioration de l'écoute de la société, le groupe Démocrate souhaite souligner les nombreux progrès réalisés. Ces avancées sont issues d'un travail de fond, de concertation et de décision par-delà les clivages politiques. Poursuivons donc cette démarche de coconstruction.
Les condamnations et les incarcérations pour faits de violence ont augmenté : en 2022, les infractions aggravées par le lien de conjugalité représentent près de 11 % des années d'emprisonnement fermes, contre 5 % en 2017. La réponse judiciaire par condamnation est de plus en plus et de mieux en mieux appliquée. Même si l'on peut bien évidemment mieux faire et que notre travail ne sera abouti que lorsque toute forme de violence sera éradiquée, il est important de souligner les efforts fournis depuis 2017.
Vous pouvez en être sûr, monsieur le rapporteur, toutes ces données seront analysées dans le rapport que remettront en mars prochain la députée Émilie Chandler et la sénatrice Dominique Vérien. Il s'agira d'un travail véritablement approfondi, avec plus d'une centaine d'auditions, dont celles de représentants de tous les groupes politiques. Il permettra d'apporter une réponse plus large au processus de judiciarisation des violences intrafamiliales. À partir des conclusions de cette mission, nous pourrons mettre en œuvre les réponses législatives les plus appropriées et les plus efficaces pour lutter contre ce fléau.
Pour notre groupe, la complexité et la sensibilité du sujet nécessitent de ne pas légiférer dans la précipitation, mais au contraire d'agir avec humilité et de s'emparer des conclusions de la mission parlementaire pour faire émerger, tous ensemble, les bonnes solutions. Nous avons le devoir de réussir car, derrière la loi, il y a des femmes, des hommes, des enfants, des victimes.
C'est la raison pour laquelle notre groupe ne votera pas en faveur de ce texte.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et RE.
Je souhaite tout d'abord saluer l'initiative d'Aurélien Pradié qui, comme moi, est engagé depuis longtemps dans la lutte contre les violences.
Une juridiction spécialisée est une demande forte de notre société. J'ai entendu vos discours, madame la ministre déléguée, monsieur le garde des sceaux, mais je forme le vœu que nous avancions et que ce texte soit adopté. Peu importe que cette proposition de loi vienne du groupe Les Républicains, Socialistes et apparentés ou d'un autre parti politique, c'est l'intérêt général qui doit primer pour changer de paradigme en France.
Nous le devons aux familles endeuillées par le meurtre sauvage de leur fille dans le cadre des féminicides. Pour avoir été très longtemps vice-présidente du conseil départemental du Val-de-Marne chargée de la protection de l'enfance, je sais que nous le devons aux enfants qui sont souvent des témoins terrorisés des violences conjugales exercées contre leur mère.
Au moment où je prononce ce discours, 102 femmes ont été sauvagement tuées depuis le début de l'année ; lorsque le rapporteur a déposé la proposition de loi, le 18 octobre, il y en avait 79 ! L'urgence de la situation est évidente.
On en parle d'ailleurs, y compris dans votre majorité, depuis longtemps – au moins cinq ans.
Alors que je prononce ce discours, des femmes en France sont en train d'être battues ; une peut-être même tuée, devant son enfant. Peut-être un enfant découvre-t-il, à son retour à la maison, sa mère, victime. C'est contre ces violences quotidiennes que nous nous battons, nous, parlementaires engagés dans ce combat, chacun avec notre parcours, mais aussi les très nombreux acteurs qui connaissent la réalité : élus, magistrats, avocats – vous aussi, monsieur le garde des sceaux.
Notre responsabilité est immense. Nous devons envoyer un message clair à la société : la peur doit changer de camp.
En 2021, 113 femmes sont mortes ainsi, laissant derrière elles 135 orphelins, dont une quarantaine avaient été témoins du meurtre de leur mère.
C'est une question qui me touche beaucoup, car si on parle depuis longtemps des féminicides, on ne parle que peu de ceux qui en sortent orphelins. Malgré les avancées et les textes, malgré l'exemple donné par l'Espagne, qui montre le chemin depuis plus de dix ans, combien de temps cela va-t-il durer ? Il faut que cela cesse en France ! Nous devons être capables de faire bouger toutes les lignes. Pour répondre à ce problème, l'Espagne a décidé de créer des juridictions spécialisées : ce choix donne des résultats, même s'ils ne sont pas parfaits – le risque zéro n'existe pas. La France doit se doter d'une législation similaire.
Je répète que les féminicides ont rendu 135 enfants orphelins, dont une quarantaine avaient été témoins du meurtre de leur mère. Il faut savoir que parmi eux, certains ne font toujours pas l'objet de soins psychiques.
Or le traumatisme est tel qu'il perturbe les fonctions vitales des enfants et leur devenir.
Laissez-moi vous donner un exemple, monsieur le garde des sceaux : la plupart du temps, quand ces enfants sont pris en charge par les services de protection de l'enfance et placés en foyer, le soir du féminicide de leur mère, on n'a même pas le temps d'appeler le pédopsychiatre pour qu'il vienne les voir ; le lendemain, un magistrat les a déjà envoyés ailleurs, dans un autre département. Ne me dites pas que les choses fonctionnent correctement ! Il existe bel et bien des dysfonctionnements…
…et nous devons, tous ensemble, avancer sur ce sujet et trouver des réponses judiciaires plus adaptées. J'entends que le Gouvernement y travaille – et j'ai bien noté que vous nous tendiez la main pour que nous participions à ces travaux –, mais en tant que députés de la nation, nous devons aussi pouvoir légiférer sur ce sujet et formuler des propositions, et sommes en droit d'attendre du Gouvernement qu'il les écoute. La proposition de loi d'Aurélien Pradié est une première marche en ce sens, et j'aurais aimé que nous accompagnions ce début de commencement du travail.
Nous réfléchirons aux propositions que nous pouvons vous soumettre. Quoi qu'il en soit, nous nous inscrirons dans ce débat de manière absolument non partisane, parce qu'il y va de l'intérêt général des femmes et des enfants de la France. Ils le méritent.
Le groupe Socialistes et apparentés soutiendra bien évidemment ce texte.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et LR.
En 2021, en France, plus d'une femme sur cinq et près d'un homme sur six, âgés de 18 à 74 ans, ont déclaré avoir subi une violence intrafamiliale – psychologique, physique ou sexuelle – avant l'âge de 15 ans. Plus d'une femme sur quatre et un homme sur cinq déclarent avoir subi au moins une fois, depuis l'âge de 15 ans, des violences psychologiques au sein du couple, infligées par leur partenaire.
Les violences intrafamiliales sont un fléau auquel on peine aujourd'hui à apporter une réponse judiciaire efficace. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la majorité travaille sur la question des violences intrafamiliales depuis plus de cinq ans : en effet, le Président de la République a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes la priorité de son combat pour l'égalité entre les femmes et hommes. Ainsi, depuis 2017, d'importants efforts ont été fournis en la matière : déploiement d'outils de protection comme les téléphones grave danger et les bracelets antirapprochement, développement des formations délivrées aux magistrats, création des filières de l'urgence dans 123 tribunaux judiciaires. La politique pénale en matière de violences intrafamiliales s'est durcie, en témoignent le nombre de procédures rapides pour juger les auteurs de tels actes, en augmentation de 182 %, et le nombre de condamnations, en hausse de 99 %.
Mme la Première ministre a également confié à notre collègue Émilie Chandler, députée du groupe Renaissance, et à la sénatrice Dominique Vérien une mission dont l'objectif est de dresser un bilan du traitement judiciaire des violences intrafamiliales et de formuler des propositions concrètes pour mieux traiter ce contentieux. Pourtant, monsieur le rapporteur, vous avez choisi de déposer votre proposition de loi sans en attendre les résultats. Je connais votre implication sur ce sujet, comme celle de nos collègues Guillaume Vuilletet et Guillaume Gouffier Valente, et je comprends votre impatience.
Votre proposition de loi a le mérite d'exister, et je ne peux que me réjouir de votre initiative, qui s'inscrit finalement dans la même démarche que celles menées par le Gouvernement depuis plus de cinq ans. Votre texte vise à créer, dans le ressort de chacune des trente-six cours d'appel, un tribunal des violences intrafamiliales qui aurait à connaître des délits constitutifs d'une atteinte à l'intégrité de certaines personnes déterminées, et qui serait composé d'un juge aux violences intrafamiliales, d'un président et de deux assesseurs. J'ai également pris connaissance de vos amendements, examinés en commission des lois, visant à créer une formation dédiée au sein de chaque tribunal judiciaire. C'est bien, mais malheureusement incomplet.
Ainsi, nous regrettons que vous omettiez le caractère très éclaté du contentieux des violences intrafamiliales – ou alors, que vous ayez choisi de ne traiter que partiellement le sujet, en retenant uniquement le champ pénal et une partie du champ civil, sans inclure, par exemple, l'ensemble des mesures éducatives.
Proposer de créer une juridiction spécialisée consacrée aux violences conjugales est un objectif louable, que nous partageons d'autant plus que le décloisonnement de ce contentieux nous semble être un axe majeur de l'efficacité d'un dispositif tendant à assurer un traitement plus rapide et plus efficace des violences intrafamiliales, et une meilleure prise en charge des victimes. Mais en l'état, la proposition de loi conduirait nécessairement, pour les acteurs de la justice, à un manque de vision globale de chaque dossier. Or ce n'est absolument pas ce dont les victimes ont besoin dans ces situations.
Dès lors, vous comprendrez, monsieur le rapporteur, que nous ne puissions pas voter en faveur de la proposition de loi que vous nous soumettez aujourd'hui. Afin qu'il n'y ait pas le moindre doute, je tiens à préciser que nous sommes évidemment prêts à continuer d'avancer, ensemble, sur ce sujet. Seulement, il nous paraît plus raisonnable d'attendre le résultat de la mission menée par nos collègues parlementaires, qui permettra non seulement de disposer d'un bilan du traitement judiciaire actuel de ce contentieux, mais également de formuler des propositions concrètes et adaptées.
En conséquence, le groupe Horizons et apparentés ne soutiendra pas le texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs des groupes RE et Dem.
Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec attention promettre que, demain, bientôt, vous feriez quelque chose contre les violences faites aux femmes. Sans pouvoir vous comparer à Alain Delon – ne le prenez pas mal –, j'ai tout de même envie de vous répondre : paroles, paroles, paroles…
Je répète les chiffres déjà donnés par mes collègues : 160 000 victimes de violences intrafamiliales, lesquelles représentent 44 % des plaintes pour violences ; une petite centaine de milliers de victimes de viols ; 122 féminicides rien que cette année. Une femme sur deux est victime de violences – sexuelles, sexistes ou psychologiques – à un moment dans sa vie. Nous sommes 215 élues dans l'hémicycle : cela signifie que 107 d'entre nous sont ces victimes. Ces chiffres ont été largement rappelés par mes collègues, preuve que la prise de conscience concerne tous les bords politiques.
Oui, la lutte contre les violences intrafamiliales est un enjeu pour toute la société. Oui, la lutte contre les violences sexuelles est une priorité, tant celles-ci tuent – et en premier lieu les femmes.
Nous avons donc besoin d'outils adaptés, et nos voisins européens peuvent être source d'inspiration, à commencer par l'Espagne, qui fait aujourd'hui figure de référence en matière d'expérimentation de dispositifs adaptés à la lutte contre ces violences. Les résultats qu'elle a obtenus prouvent qu'avec une volonté politique, il est possible d'agir. D'ailleurs, dans Le Journal du dimanche du 4 septembre, vous vous prononciez en faveur de la création rapide de juridictions spécialisées, madame la ministre déléguée.
D'une justice spécialisée, pas de juridictions spécialisées !
Ce texte n'est certes pas suffisant, mais en France, les dispositifs sont quasi inexistants. La nouvelle législature nous permet tout de même d'avancer – à peine, quelques miettes, mais quand on part de quasiment rien, c'est presque un progrès : nous avons abondé le budget du 3919, pour que les femmes victimes disposent d'une écoute et puissent bénéficier d'un conseil et d'un soutien adapté, et nous avons obtenu que tous les agents soient formés à la réception de la parole des victimes dans les commissariats et les gendarmeries. C'est un début : du premier appel à la plainte, miette après miette, nous instaurons quelques outils. C'est nécessaire, il y a urgence.
Mais il faut désormais trouver sans attendre une réponse judiciaire adaptée, car l'essentiel des plaintes pour violence intrafamiliale ou sexuelle n'est pas traité ou ne peut aboutir. Il est de notre devoir d'agir. Disposer d'outils adaptés est une urgence, afin d'offrir une réponse cohérente tout au long du parcours.
Je reconnais que nous étions critiques à l'endroit de la première version du texte – je vous l'avais d'ailleurs dit, monsieur le rapporteur : il faut dire que Les Républicains et les écologistes ne partagent, a priori, pas grand-chose. Il est d'ailleurs sain d'assumer ses valeurs, ses différences, ses militances – quel beau mot que « militer » : c'est aussi cela, la démocratie. Nous notions à ce moment-là une intention certes louable, mais des manques, du flou, des inexactitudes – certaines ont d'ailleurs figuré dans votre discours, madame la ministre déléguée – propres à produire l'effet inverse à celui affiché. C'était le cas, par exemple, de la concentration des moyens, qui induisait un manque d'équité en fonction du lieu de résidence et des moyens financiers des victimes : cette mesure ne figure plus dans le texte, qui a évolué.
En parlementaires appliqués, les députés de la NUPES ont donc déposé des amendements tendant à continuer à faire évoluer le texte. Le rapporteur adoptant la même attitude, c'est ensemble – notez le tournant disruptif de cette belle histoire !
Sourires
– que nous avons mené le travail parlementaire. Vous avez écouté, monsieur le rapporteur, vous n'avez pas cédé à la facilité, celle « des mots faciles, des mots fragiles […] qui sonnent faux » et « que [l'on] sème au vent ».
« Oh ! » sur les bancs du groupe RE.
Initialement centralisatrice, la proposition de loi prévoit désormais la création de pôles, plus adaptés car pensés pour assurer leur proximité dans tous les territoires : cela change la donne. Pas parce que vous avez entendu nos propositions – même si c'est suffisamment rare pour être souligné, comme quoi les congrès ne produisent pas que de l'opportunisme
M. le rapporteur sourit
– mais parce que cela répond aux besoins des victimes. Et si je parle d'opportunisme, c'est parce qu'entendre les écologistes vanter votre action ne doit pas vous rapporter beaucoup de voix en ce moment, ça doit même vous en coûter quelques-unes !
Sourires.
A contrario, je note que nos collègues du groupe Renaissance, qui, sur d'autres sujets, comme la vidéosurveillance, veulent légiférer tout de suite, sans attendre les études d'impact, veulent, cette fois, attendre : dès qu'il s'agit des droits des femmes, il faut encore et toujours attendre.
Pour que cette proposition de loi produise des effets importants, il faudra des moyens – mais c'est un autre débat. Aujourd'hui, les victimes attendent surtout une action : pourriez-vous faire un effort, un geste, un pas vers elles ? Voilà ce que nous vous demandons. Pour que l'amour ne cogne que le c?ur, pour qu'il n'y ait plus de tempêtes, pour qu'on n'ait plus à chanter de requiem, les députés du groupe Écologiste – NUPES demandent du concret et de l'action pour les victimes de violences intrafamiliales et sexistes : des progrès dans le traitement des plaintes, des moyens pour que la justice soit rendue et devienne enfin réparatrice pour les victimes.
Alors pour qu'on avance, enfin, et en toute confiance, nous voterons en faveur de ce texte.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et SOC ainsi que sur quelques bancs du groupe LR.
La violence est la défaite de l'humanité. Quelle qu'elle soit, elle demeure, et doit demeurer, une infraction sanctionnée par une justice libre, éclairée et suffisamment dotée pour remplir son office.
La proposition de loi qui nous est soumise s'attaque à ce fléau ancien, connu, persistant et si destructeur. Sa particularité est de détruire un peu plus l'humain, car il sévit au sein de la famille et du couple, qui devraient être un sanctuaire. Les violences intrafamiliales représentent 70 % de la hausse des violences aux personnes entre 2017 et 2021. Oui, les violences intrafamiliales sont un fléau, et je salue l'initiative du rapporteur de cette proposition loi, mais nous devons d'abord rendre hommage aux associations, aux professionnels de la santé et du droit, et aux intervenants sociaux qui, chaque jour, sauvent et protègent ces victimes trahies par la confiance du sang ou par leur amour et leur affection.
M. Antoine Léaument et Mme Danièle Obono applaudissent.
Il faut certes accélérer les procédures judiciaires et soutenir la formation des magistrats, des intervenants sociaux, de la police et de la gendarmerie pour traiter au mieux les violences intrafamiliales, mais cette proposition de loi, en l'état, ne permettra pas de répondre efficacement aux problèmes que connaît le traitement de ces violences sur l'ensemble du territoire.
En effet, les moyens dévolus à la justice, insuffisants, ne lui permettent pas d'absorber une nouvelle juridiction si l'on ne réalise pas, au préalable, un travail de fond sur ces moyens humains et matériels. De plus, le texte retire des compétences nécessaires et indispensables aux juges aux affaires familiales qui, à chaque décision, pensent aux enfants et à leur bien-être. Le mélange de compétences civiles et pénales entre les mains d'une seule juridiction risque de conduire à l'insécurité juridique.
Les juridictions disposent de la souplesse nécessaire pour s'organiser afin de faire face aux problèmes de calendrier ainsi qu'aux difficultés structurelles et financières ; certaines d'entre elles ont déjà mis en place des audiences spécifiques en la matière. Et cela marche !
Oui, bien sûr.
Chers collègues, il ne faut pas fragiliser le service public de la justice, il faut au contraire le soutenir et le renforcer. Attaquons-nous aux racines du mal et donc aux causes de ces violences. Il ne s'agit pas de les excuser mais de les comprendre pour mieux les éviter. Aidons l'aide sociale à l'enfance, aidons les associations d'aide aux victimes, aidons les professionnels du droit, aidons les professionnels de santé ! Hélas, les conditions de discussion du projet de loi de finances ne nous ont pas permis de le faire.
M. Antoine Léaument applaudit.
Le combat est noble et la cause est juste. Nous serons donc attentifs aux débats, notamment à certains amendements qui précisent les missions dévolues à cette juridiction spécialisée que nous appelons de nos vœux. Un tel sujet ne peut pas nous diviser, il doit nous rassembler. Ensemble, nous sommes toujours plus forts, ou, comme on le dit en créole : ansanm nou toujou pli fo.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
Il est des sujets sur lesquels il est nécessaire de faire front commun. Les violences commises au sein de la cellule familiale et, en particulier, les violences conjugales sont un fléau qu'il nous faut combattre. En dépit de l'action des parlementaires et des nombreux dispositifs – vous en avez cité, monsieur le ministre –, les violences ne cessent d'augmenter. Un chiffre a été rappelé : depuis janvier, 102 féminicides ont été commis. Parmi ces femmes, 56 étaient mères et 115 enfants se sont retrouvés orphelins, dont 32 ont été témoins de la mort de leur maman. Oui, la parole doit se libérer. Oui, la peur, la culpabilité, la honte, l'isolement et la sanction doivent changer de camp.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Les initiatives parlementaires pour établir une loi et une justice à la hauteur des enjeux sont bien présentes et réelles. Ainsi, en octobre dernier, le Sénat adoptait la proposition de loi de la sénatrice du Nord Valérie Létard créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales. Depuis trente ans, par plusieurs lois successives, le législateur a entendu renforcer la répression des violences familiales, notamment en étendant le champ de divers dispositifs. Cependant, jusqu'à présent, aucune réforme législative profonde des juridictions judiciaires, civiles ou pénales, n'a été réalisée et notre pays marque un retard certain en ce domaine. En Espagne, des formations spécialisées de jugement existent depuis 2004. Le groupe LIOT soutient donc pleinement les objectifs de ce texte.
Le contentieux actuel est éclaté entre plusieurs juges, ce qui nuit à l'efficacité de la réponse, allonge les délais des contentieux et complexifie le parcours des justiciables. Instaurer un juge aux violences intrafamiliales, qui aurait une compétence élargie, est une solution ambitieuse ; ce pari pourrait nettement faciliter le parcours des victimes de violences. Simplifier, accompagner et écouter : ce sont les qualités et les critères qui devront guider cette réforme afin d'apporter une réponse aux souffrances des victimes.
Certaines questions restent sans réponse.
Comment se manifestera la coordination entre ce nouveau juge et les autres juridictions existantes ? Quels seront les dispositifs de formation mis en œuvre et, le cas échéant, quels seront les organismes chargés de dispenser ces formations ? Je crois en la capacité de débat de notre assemblée et je sais que la navette parlementaire nous permettra de perfectionner le texte.
Quelle navette ?
Il y a une mission parlementaire en cours !
Notre groupe avait émis une réserve en commission sur la territorialisation car, dans ce domaine, la proximité doit être la priorité. Nous espérons que le discours de notre rapporteur et ses amendements pourront nous rassurer, car, en l'état, la proposition de loi prévoit une juridiction par ressort de cour d'appel, soit seulement trente-six dans l'Hexagone et en outre-mer. Notre groupe craint que la présence de ces juridictions ne soit limitée aux grandes villes, isolant ainsi davantage les victimes des zones rurales et d'outre-mer et portant préjudice au double objectif de proximité et de simplification de cette proposition de loi.
Monsieur le rapporteur, vous avez entendu les réserves des différents groupes sur ce point et je vous en remercie. Notre groupe soutiendra donc pleinement vos amendements visant à créer des pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales au sein de chaque tribunal judiciaire. C'est l'adaptation du service public de la justice aux victimes qui doit guider nos débats.
Pour toutes ces raisons, le groupe LIOT votera ce texte et soutiendra la démarche qu'il promeut afin de répondre aux fortes attentes des victimes.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Mmes Sandra Regol et Danièle Obono applaudissent également.
Nous conviendrons tous qu'il est nécessaire d'améliorer la réponse judiciaire au fléau que sont les violences intrafamiliales.
Le 3 septembre 2019 s'ouvrait le Grenelle contre les violences conjugales, qui a abouti à cinquante-quatre mesures. Trois ans plus tard, afin de les évaluer, le Gouvernement confiait une mission à la sénatrice Dominique Vérien et à moi-même. L'amélioration de la prise en charge des victimes des violences intrafamiliales, notamment des enfants, doit être réelle car nous devons apporter une solution à toutes les victimes. À ce jour, notre mission a auditionné plus de quatre-vingts personnes, dont quarante personnalités engagées sur le sujet, mais aussi des professionnels du droit et du secteur médico-social, des associations et des victimes. Nous avons retracé le parcours de la victime jusqu'au dernier kilomètre avant d'arriver au commissariat ou à la gendarmerie pour porter plainte.
Je tiens à saluer l'ouverture des débats que permet le texte en discussion, mais je déplore sa méthode individualiste.
Elle est collective, car cette proposition est celle d'un groupe parlementaire !
Laissez-moi parler, merci !
Le texte reste cependant insuffisant car il oublie des points importants qu'il nous faut travailler ensemble pour endiguer le fléau des violences intrafamiliales.
Il est tentant de suivre le modèle espagnol, mais ne nous leurrons pas, car leur système juridictionnel est très différent du nôtre.
Bien sûr !
J'ai échangé avec des victimes des violences, mais aussi avec des parents témoins de la violence de leur conjoint sur leur enfant. La question de l'enfant est insuffisamment traitée : c'est la principale faiblesse de ce texte qui ne s'intéresse qu'à la délivrance d'ordonnances de protection.
Où sont les mesures de protection du mineur ? Où sont les mesures éducatives ? Comment s'articule la chaîne pénale ? Quelle place pour l'avocat et pour les travailleurs sociaux ?
La conjugalité doit être au cœur du dispositif. On ne peut se limiter au pénal et à la commission d'une infraction. Le fléau de ces violences, qui touche à quelque chose d'aussi intime que le couple, ne peut être régi par un unique article de loi. La mobilisation de tous les acteurs est nécessaire pour permettre aux victimes de sortir de cette situation et aux auteurs de ne jamais récidiver.
Si l'idée d'une juridiction spécialisée est séduisante sur le papier, elle ne fait pas consensus. C'est ce qui ressort des multiples auditions. Elle n'est pas la première demande des victimes, des magistrats ou des associations de victimes qui accompagnent la réinsertion de ceux qui ont subi les violences. Leur première demande est la considération et l'engagement. L'engagement financier certes, mais aussi humain : les moyens de se former, les moyens de travailler ensemble pour endiguer ce fléau qui brise des vies, qui détruit des familles. Comme vous l'avez dit dans une interview, monsieur le rapporteur, c'est la dernière pièce à porter à l'édifice, mais si cette pierre est mal posée, l'édifice sera bancal et la justice s'en trouvera affaiblie au détriment de l'ensemble des victimes.
De nombreux amendements ont été déposés. Certains comblent des manques de votre proposition de loi, mais la plupart visent à corriger ses problèmes structurels car c'est une proposition en kit. Elle manque de visibilité et il est donc difficile d'en estimer l'impact potentiel.
Sur tous les bancs, nous sommes conscients de l'urgence de la situation. La mission rendra son rapport définitif le 28 mars, dans quatre mois. Un amendement propose de renvoyer l'application de votre texte au 1er janvier 2024, dans treize mois donc. C'est une urgence variable !
La mission travaille à trouver le bon équilibre, la bonne organisation et les bons moyens. Nous ne pourrons trouver le bon équilibre qu'en travaillant conjointement, de manière transpartisane et, monsieur Pradié, je vous invite à travailler avec nous.
C'est pour cela que nous auditionnerons les groupes politiques dès la semaine prochaine. Certains de leurs membres ont déjà confirmé leur présence après avoir reçu l'invitation que nous leur avons adressée.
La protection de la vie et de la sécurité de nos concitoyens doit être l'unique fil conducteur de notre action.
Cet objectif – qui a l'air de soulever des débats – vaut mieux que des décisions prises hâtivement, sans cadre cohérent et mal adaptées aux situations remontées par les professionnels. C'est ce en quoi je crois !
Vous n'étiez pas là en 2019 !
Heureusement que nous ne vous avons pas attendus pour avancer !
Nous le devons aux femmes, aux mères et à toutes les victimes de ces violences ; nous le devons surtout à nos enfants.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
Le nombre de femmes et d'hommes battus ou tués par leur conjoint augmente continuellement depuis des années. En 2020, on dénombrait 102 femmes victimes de ces violences. En 2021, elles étaient 122. Et, depuis le début de cette année, ce sont 120 femmes qui ont succombé sous les coups de leur conjoint. N'oublions pas les enfants qui, eux aussi, subissent ces violences. Des associations comme L'Enfant bleu enfance maltraitée constatent même que depuis 2019, les témoignages de maltraitance et les appels de victimes ont augmenté de 45 %. Aujourd'hui, un enfant est tué tous les cinq jours dans notre pays. Ces chiffres terribles rapportés par l'Unicef sont glaçants. Il est de notre responsabilité de prendre ces constats macabres à la hauteur de leur gravité et de proposer des solutions viables pour les victimes.
Nous débattons de la création de juridictions spécialisées aux violences intrafamiliales. Le texte que nous avons étudié en commission des lois n'était pas suffisant. Celui qui arrive en séance publique ne l'est pas non plus. Il prévoit, en somme, la création d'un étage supplémentaire dans le millefeuille administratif français, qui n'apporterait rien de concret ni de nouveau en faveur des victimes : créer une juridiction spécialisée pour les violences intrafamiliales relève surtout de l'habillage, puisque les acteurs du procès pénal resteraient les mêmes. Les mêmes greffiers, le même procureur, le même juge, les mêmes lois seraient mobilisés. La seule chose qui changerait, c'est l'appellation.
Je l'ai dit, dans sa version initiale, le texte présentait déjà des limites. Il proposait la création d'un nombre infime de juridictions spécialisées dans le ressort de chaque cour d'appel. Ainsi, une victime de violences conjugales ou infantiles à Fréjus aurait dû faire plusieurs heures de route pour contacter la juridiction spécialisée, installée à Aix-en-Provence ! Le texte prévoyait donc un éloignement considérable entre la justice et les justiciables. De plus, il était prévu que les juges spécialisés exerçant au sein de ces juridictions pourraient être remplacés par des magistrats sans spécialisation. La logique même du texte n'était ainsi pas respectée, car cette disposition enlève tout intérêt à la juridiction spécialisée. En commission, nous avions donc défendu un amendement de suppression de l'article 1er , qui instaure notamment les juridictions spécialisées.
Parce que nous sommes cohérents avec notre ligne politique et notre ambition de protéger les Françaises et les Français, nous avons également défendu des solutions pour améliorer le texte. Nous avons ainsi proposé que les juridictions spécialisées en question soient prévues dans tous les tribunaux judiciaires, ce qui aurait sensiblement rapproché la justice des ayants droit, qu'une fonction de juge spécialisé soit créée et que de tels magistrats soient présents dans tous les tribunaux judiciaires, par collège de trois. Au travers de ces amendements, nous avons cherché à corriger, à améliorer ce texte.
Nous n'étions et ne sommes toujours pas favorables à cette proposition de loi. Cependant, les amendements que M. le rapporteur a déposés sur sa proposition de loi après notre discussion collective en commission tendent à instaurer des mesures très proches de celles que nous proposions. Les députés du groupe Rassemblement national sont ravis de voir que leurs critiques ont payé et que les modifications nécessaires, quasiment calquées sur nos amendements, sont proposées par le rapporteur.
Si nous ne défendrons pas d'amendement de suppression sur ce texte dans l'hémicycle, nous répétons tout de même qu'il est urgent de procéder à une réforme profonde de la justice dans notre pays. Il est urgent de se doter de moyens humains et matériels supplémentaires. Les victimes de ces violences méritent des améliorations concrètes. Elles méritent des effectifs supplémentaires de police, une réduction des délais de traitement et d'application des mesures de protection. Elles méritent davantage de moyens d'alerte, comme les bracelets électroniques auxquels on a trop peu souvent recours actuellement.
Il est également indispensable de porter à 20 000 le nombre de magistrats en France. La demande n'est pas exorbitante, car cet effectif placerait notre pays dans la moyenne européenne en matière de nombre de magistrats par habitant. Les pistes sont nombreuses, les actes sont maintenant nécessaires. Si les amendements du rapporteur sont adoptés pendant la discussion, le groupe Rassemblement National votera pour ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi de M. Pradié, qui vise à créer une juridiction spécialisée dans la lutte contre les violences intrafamiliales. Ce n'est pas une petite question. L'an dernier, 122 femmes ont été tuées par leur compagnon ou leur ex-compagnon. Cette année, et alors que nous ne sommes que le 1er décembre, nous comptons déjà 124 féminicides. Ces drames ne sont pas le fait d'un hasard, de relations de couple qui se passent mal. Ils sont le fait d'un système de domination des hommes sur les femmes qu'on appelle le patriarcat. Ainsi, au-delà des féminicides, chaque année, 231 000 femmes sont victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint.
Pour lutter contre ce système de domination, il ne suffit pas d'une modification de notre système juridique. Il faut de l'éducation et un service public de la police et de la justice à la hauteur des enjeux. Et pour cela, il faut des moyens.
Les associations réclamaient 1 milliard d'euros pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Mais comme Emmanuel Macron a refusé d'engager cette dépense durant son quinquennat précédent, elles demandent aujourd'hui 2 milliards à cause du retard pris ; nous les demandons avec elles. Cette somme est nécessaire pour assurer une meilleure formation des policiers et des magistrats sur le sujet et pour sortir de la situation actuelle où 80 % des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite. Elle est nécessaire pour accorder aux femmes victimes de violences un accompagnement judiciaire pour aller jusqu'au bout des procédures. Cette somme est aussi indispensable pour protéger les femmes et les enfants victimes de violences en leur accordant un hébergement d'urgence et un accès aux soins. Je rappelle que chaque année, 20 000 femmes ont besoin d'un hébergement d'urgence, et que, parmi elles, quatre sur dix n'y ont pas accès. Mais s'il faut investir les 2 milliards demandés par les associations, c'est aussi parce que cette somme est nécessaire pour transformer durablement la société en apprenant dès l'école le consentement et l'égalité.
Ces grandes mesures étaient celles que proposait Jean-Luc Mélenchon pendant l'élection présidentielle dans son plan pour mettre fin aux féminicides. Dans ce plan, d'ailleurs, Jean-Luc Mélenchon formulait une proposition proche de celle de M. Pradié.
Pour notre part, cependant, nous ne sommes pas favorables aux juridictions spécialisées. Celles-ci diminuent l'indépendance des magistrats et elles ne peuvent de toute façon pas être créées à moyens constants pour la justice. Une des propositions de Jean-Luc Mélenchon consistait donc à créer un pôle judiciaire de lutte contre les violences intrafamiliales au sein des juridictions.
Nous avons déposé un amendement dans ce sens. Étant donné que le rapporteur a déposé un amendement identique, nous pourrons nous accorder sur ce point.
J'ajoute que selon l'association L'Enfant bleu enfance maltraitée, 16 % des Françaises et des Français ont subi une maltraitance sexuelle dans leur enfance. Par ailleurs, l'auteur le plus fréquemment cité de violences sexuelles avant la majorité est un oncle. C'est ensuite un frère, un demi-frère, le père ou un cousin. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé des amendements pour élargir le champ de compétence du pôle spécialisé envisagé dans le texte aux violences sexuelles faites aux enfants ; les auteurs de ces violences pourront ainsi être punis.
Idéalement, il conviendrait de créer un pôle au périmètre plus large incluant l'ensemble des violences sexistes et sexuelles. En effet, l'an dernier, 72 000 infractions à caractère sexuel commises hors du cadre familial ont été enregistrées par la police et la gendarmerie. Il s'agit dans 73 % des cas de violences sexuelles physiques ; 86 % des victimes sont des femmes ; 55 % des mineurs. Il est temps d'entendre la violence terrible du patriarcat et d'en écouter les victimes : en France, plus d'une femme sur deux a déjà subi une violence sexuelle.
Je dis aux hommes, et en particulier à ceux qui ne veulent pas croire ces chiffres tant ils sont insupportables : regardez tout autour de vous, demandez tout autour de vous, écoutez tout autour de vous : ce sont vos mères, vos sœurs, vos compagnes, vos amies. Une sur deux a subi une violence sexuelle. Une sur deux ! Cela n'est pas le fruit du hasard, mais celui d'un système de domination implacable et méthodique qu'on appelle le patriarcat et pour lequel, tant qu'il ne sera pas aboli, chaque homme porte une part de responsabilité.
Aussi, je le dis, si nous souhaitons la création d'un pôle spécialisé qui dépasse le champ des seules violences intrafamiliales, la proposition de loi de M. Pradié est un pas en avant. Le rapporteur a travaillé et fait évoluer son texte dans un sens que nous pouvons soutenir. Nous sommes prêts à voter favorablement cette proposition de loi, si certains amendements cruciaux pour nous sont adoptés.
Je ne peux conclure sans adresser un mot aux groupes qui hésiteraient. Aux macronistes, je dis qu'aujourd'hui, les femmes victimes de violences nous regardent. Elles ne comprendraient pas que vous soyez incapables de voter un texte qui, sans tout régler, améliorera les choses.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, LR, SOC et Écolo – NUPES.
Quel courage, monsieur Léaument ! Quel effet ! Quel discours méritant !
La discussion générale est close.
La parole est à M. le garde des sceaux.
Nourri de ces différentes interventions, je voudrais vous dire quelques mots.
Vous évoquez tous une nécessaire formation des magistrats concernant les violences intrafamiliales, mais celle-ci existe déjà et depuis un certain temps ; il s'agit aussi bien de formation initiale que de formation continue. Ceux qui interviennent en premier dans ces situations – enquêteurs, gendarmes et policiers – en bénéficient également. Il serait donc inexact de penser que c'est dans le cadre de cette proposition de loi que la formation serait créée.
Je remarque par ailleurs que le mot « spécialisé » est une large valise, dans laquelle on peut tout mettre. Pour les violences conjugales, il existe déjà 123 filières de l'urgence dans les 164 tribunaux judiciaires de notre pays. C'est aussi une forme de spécialisation.
Enfin, la présente proposition de loi entrerait en vigueur en 2024. Chers membres du groupe Les Républicains, vous nous reprochez d'attendre encore et encore, alors que votre proposition nous ferait attendre plus longtemps ! Les travaux de la mission parlementaire sont en cours ; ils donneront lieu à des propositions. Le champ de sa réflexion est d'ailleurs plus large que celui de cette proposition de loi. Monsieur Pradié, je crois que vous avez auditionné huit personnes dans le cadre de l'élaboration de celle-ci. Huit personnes, indique le rapport !
Donnez-nous les noms alors ! Je reprends seulement ce qui est indiqué dans votre rapport. Nul ne doute que vous vous intéressiez au sujet depuis longtemps ; vous le dites suffisamment pour qu'on l'ait retenu. Pardon toutefois de vous dire que dans le cadre de la mission qui leur a été confiée, Mmes Chandler et Vérien – je rappelle d'ailleurs que ces deux parlementaires ont des sensibilités politiques différentes, Mme Vérien étant plus proche de vous – ont déjà auditionné quatre-vingts personnes. Comment pouvez-vous imaginer changer l'organisation des juridictions sans avoir consulté les conférences des magistrats, la Conférence nationale des premiers présidents, celle des procureurs généraux, celles des présidents, celle des procureurs de la République ?
Tout à l'heure, vous nous avez proposé de chambouler les juridictions administratives en un claquement de doigts ; vous le proposez de nouveau dans le cadre de cette proposition de loi, mais cette fois pour tout spécialiser.
Nous avons fait en sorte que le traitement des victimes soit effectué dans le même trait de temps et dans le même lieu, alors que vous, vous comptez les contraindre à de longs déplacements qui compliqueront considérablement la situation déjà dramatique dans laquelle elles se trouvent.
Vous évoquez les féminicides, mais la création d'une juridiction spécialisée influera-t-elle sur leur nombre ? En la matière, quand la justice est saisie, il est trop tard. Nous travaillons donc sur un autre volet, la prévention, afin que la justice intervienne avant que le drame ait eu lieu. Vous dramatisez une situation qui est déjà dramatique – nous en convenons tous –, pour en tirer argument en faveur d'une réforme des juridictions. Mais c'est un non-sens, ce n'est pas la création d'une juridiction spécialisée qui fera diminuer le nombre de féminicides !
Venons-en à l'Espagne, votre référence suprême, comme l'Allemagne l'était pour vos camarades tout à l'heure. Nous avons déployé le bracelet antirapprochement en trois fois moins de temps que les Espagnols – il nous a fallu trois ans quand il leur en a fallu dix.
Même si vous ne le dites jamais, il s'agit d'abord d'une question sociétale, celle de l'attitude générale des hommes envers les femmes. Puisque le nombre de féminicides était important en Espagne, le gouvernement espagnol est intervenu. Toutefois, en dépit des mesures qu'il a prises – et dont nous nous sommes inspirés, je vous rejoins sur ce point – il a fallu sept ans avant que les féminicides commencent à diminuer dans ce pays ; vous devriez le dire. Sept ans !
Si, c'est vrai. Je suis allé en Espagne.
Nous n'avons peut-être pas vu les mêmes personnes.
Vous voulez vraiment faire cavalier seul. Vous ne voulez pas entendre ce que les autres pensent.
Protestations sur les bancs des groupes LFI – NUPES, LR et Écolo – NUPES.
Ne m'interrompez pas !
M. le rapporteur proteste.
Vous m'interrompez en permanence, monsieur Pradié !
Monsieur le garde des sceaux, poursuivez votre intervention. M. le rapporteur s'exprimera ensuite.
Prenez des notes…
En matière de suffisance, vous n'avez de leçon à donner à personne !
Je ne suis pas Alain Delon, mais vous n'êtes pas Dalida non plus, alors on va se calmer !
Je vais mener mon raisonnement à son terme. Les mesures que les Espagnols ont adoptées ont mis un certain temps à montrer leur efficacité, ce qui est bien normal. Les progrès ne s'obtiennent pas en un claquement de doigts. Le phénomène est le même chez nous. Puisque le problème est pris en considération collectivement, nationalement, par la société, je suis convaincu que nous parviendrons à diminuer le nombre des féminicides. L'évolution des courbes en Espagne révèle d'ailleurs deux plateaux. Le premier s'observe après l'adoption des mesures : le nombre de féminicides ne diminue pas immédiatement ; après un délai, la courbe descend – et nous connaîtrons la même évolution. Puis la courbe atteint un nouveau plateau et les chiffres ne diminuent plus en deçà. En effet, un fou furieux, deux bracelets antirapprochement ne suffiront pas à l'arrêter.
Il faut remettre les choses dans leur contexte. L'Espagne est l'Espagne. Vous souhaitez en importer une juridiction spécialisée qui n'est pas transposable, pour de nombreuses raisons. Si vous aviez approfondi vos auditions, par exemple en entendant plusieurs Espagnols, vous auriez compris quelles difficultés s'opposent à la transposition.
Que croyez-vous ? Je ne vais pas faire de la petite politique à cette heure-ci. Je vous le dis très librement et sincèrement, monsieur Pradié, si j'étais convaincu que votre texte est à même de diminuer le nombre des féminicides, je le soutiendrais des deux mains et des deux pieds.
M. Jérémie Iordanoff proteste.
Lorsque la sénatrice Annick Billon a présenté un texte visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, nous l'avons soutenu parce que nous pensions que les mesures qu'il contenait seraient utiles et efficaces.
La mission parlementaire a déjà entendu quatre-vingts personnalités. Selon nous, ce travail aboutira en 2023. Arrêtez d'invoquer l'urgence urgente : en quoi cela vous gênerait-il d'apporter à la mission en cours votre expertise, votre dévouement à la cause et votre investissement ? Si j'avais présenté un projet de loi sans tenir aucun compte des missions parlementaires en cours, vous auriez légitimement hurlé pour protester que le Gouvernement ne respecte rien.
La juridiction spécialisée que vous voulez créer est peut-être une bonne idée, mais peut-être aussi une fausse bonne idée. On peut y mettre beaucoup de choses. Approfondissons encore le travail : on ne peut pas modifier l'organisation des juridictions en quelques heures de débat.
Tout à l'heure, M. Jiovanny William a tenu des propos d'une grande sagesse.
Son argument était fondé : la confusion des compétences pénales et civiles pose de véritables problèmes. Nous pourrions égrener – nous le ferons au cours des débats – les raisons pour lesquelles votre proposition est dangereuse pour les juridictions.
Je ne mets pas en doute votre volonté de réussir. Ne croyez pas pour autant que vous soyez seul : nous avons tous envie de résoudre ce problème, qui nous taraude. Personne n'a le monopole du cœur : ni vous, ni moi, ni aucun autre ! Quand le matin nous recevons des fiches d'action publique et que nous y découvrons un nouveau féminicide, nous le vivons évidemment comme un véritable échec.
Si vous parvenez un jour au pouvoir, ou d'autres, vous savez bien que vous connaîtrez, qu'ils connaîtront, leur lot de crimes.
Madame Garrido, je ne suis opposé à aucune mesure susceptible d'améliorer la situation.
Il existe déjà 123 filières de l'urgence, réparties dans 164 tribunaux de grande instance. Vous me concéderez peut-être qu'il faudrait au moins consulter les conférences de magistrats.
Je ne crois pas. Il faudrait également entendre des avocats. Il vous arrive de défendre des amendements qu'ils ont inspirés – je suis bien placé pour le savoir. D'autres viennent des syndicats de magistrats. Or le CNB estime que la proposition doit encore être travaillée. Nous n'opposons pas un refus dogmatique : nous demandons à approfondir le travail sur le sujet.
Enfin, monsieur Pradié, il ne peut vous avoir échappé que nous avons organisé les états généraux de la justice. Pourquoi ne pas nous avoir fait parvenir une contribution sur laquelle nous aurions pu travailler ? Savez-vous ce que j'ai fait en recevant le rapport de Jean-Marc Sauvé ? Je l'ai soumis à tout le monde, vraiment tout le monde. Nous avons travaillé sur toutes les questions qui nous avaient été soumises. Nous aurions pu étudier la vôtre. Je pense que vous voulez faire cavalier seul.
Laissez-moi tranquille ! C'est pathologique ! Mais vous finirez par guérir !
Je ne comprends pas cela.
La Première ministre a confié une mission à des parlementaires qui sont ici : joignez-vous à eux ! Ceux qui ont été désignés ne valent pas moins que vous !
C'est obsessionnel ! Trouvez-vous une thérapie ! Affichez ma photo et jetez des fléchettes !
Très bien monsieur Pradié, votre loi est votre loi !
Cela fait trente ans que je travaille sur les violences faites aux femmes. Chaque féminicide est une tragédie. Le garde des sceaux a bien expliqué la situation, je ne formulerai donc qu'une objection : on ne traite pas les femmes victimes de violences d'un revers de main, avec une proposition de loi élaborée à la va-vite.
Protestations sur les bancs du groupe LR.
Comment osez-vous dire une chose pareille ? C'est du mépris ! Vous avez le sentiment qu'on s'en fiche : c'est inacceptable !
Une mission parlementaire est engagée, qui a déjà entendu quatre-vingts personnes et qui poursuivra ses travaux durant encore plusieurs mois.
C'est une loi au rabais !
C'est inacceptable ! D'où sortez-vous ? Où est la considération pour les parlementaires ?
Écoutez, je vais aussi exprimer mon avis : j'aimerais qu'on laisse les femmes ministres s'exprimer, comme les hommes ministres.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion de la proposition de loi portant création d'une juridiction spécialisée aux violences intrafamiliales.
La séance est levée.
La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra