En outre, tant les motifs de cette proposition de loi que la dénomination de cette juridiction, qui est loin d'être neutre, ne manqueraient pas de jeter le doute sur sa capacité à respecter l'état de droit. Je n'ai aucun doute sur l'impartialité objective dont feraient preuve ses membres. Mais vous le savez : en la matière, les apparences comptent autant que la réalité. Il ne suffit pas qu'une juridiction soit impartiale, il faut également qu'elle présente toutes les apparences de l'impartialité.
Par ailleurs, le choix d'une juridiction statuant en premier et dernier ressort ne me paraît pas le plus indiqué. De l'appel, le professeur René Chapus disait qu'il est « intimement lié à la considération ou à la conviction qu'un litige doit pouvoir être jugé deux fois ». Pour quelle raison ? Parce que le second jugement – en citant toujours René Chapus – sera le fait « de magistrats normalement plus expérimentés et dont, de toute façon, on peut attendre qu'ils jugent mieux ». Le double degré de juridiction n'est pas seulement une garantie pour les parties au procès et, en l'occurrence, pour l'État aussi, car il vise à garantir que l'affaire sera bien et complètement jugée. En cela, la voie de l'appel ne profite pas seulement à la personne qui en fait l'objet ; en l'occurrence, elle profite tout autant à l'administration lorsque celle-ci n'a pas obtenu gain de cause devant les premiers juges.
Mais il est des contentieux où la voie de l'appel est particulièrement utile : il s'agit des affaires où les appréciations sont les plus délicates, les hésitations les plus lourdes, les données de fait les plus complexes. Dans ces affaires, un double regard, en premier ressort puis en appel, est précieux : les juges d'appel, par le prisme du premier jugement, ont souvent un regard plus aiguisé, « parce que l'instruction devant les premiers juges a décanté et éclairé les données de l'affaire » – encore les mots de René Chapus. Le contentieux de l'expulsion est au nombre de ceux-ci : en cette matière, l'appréciation de la dangerosité de la personne et celle de la proportionnalité de la mesure avec le droit au respect de sa vie privée et familiale, conventionnellement garanti, sont souvent complexes. Le bénéfice d'un deuxième regard est une évidence.
Enfin, la compétence nationale de cette juridiction me paraît poser problème.