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Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du jeudi 1er décembre 2022 à 15h00
Juridiction spécialisée dans l'expulsion des étrangers délinquants — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

La présente proposition de loi, rejetée en commission, vise à créer une juridiction spécialisée consacrée au traitement des recours concernant les décisions d'expulsion des étrangers pour un motif d'ordre public. Selon le rapporteur, la réforme se veut procédurale : il s'agirait de gagner du temps par la spécialisation de la juridiction dont seul le Conseil d'État aurait à connaître des décisions. Les délais de recours seraient raccourcis et, évidemment, le temps ainsi gagné permettrait d'expulser plus rapidement et donc davantage.

Il s'agirait de surcroît de fusionner différentes juridictions successivement impliquées dans les procédures tendant à cet éloignement. Or ceux qui s'interrogent depuis plusieurs années sur l'évolution des décisions d'expulsion savent bien que les difficultés de leur exécution tiennent à la fois au contexte et aux relations de la France avec les États dont sont originaires les personnes concernées.

Les auteurs de la proposition prétendent résoudre le problème par une réforme procédurale, mais celle-ci, j'y reviendrai, ne ferait que créer de nouvelles difficultés.

Il est vrai que le droit des étrangers et des expulsions est complexe, cette complexité étant due à différents éléments tels que la protection dont bénéficient certaines personnes, les situations qualifiées de connexes au regard de la décision d'expulsion elle-même – autrement dit propres à la personne concernée le temps que la décision soit appliquée ; enfin la nécessité de respecter les droits de la défense et de garantir un traitement équilibré, par l'administration, des personnes visées, quelles que soient leurs origines, leur statut ou leur situation.

Or, sous couvert de simplifier le contentieux, la proposition de loi aurait pour effet d'affaiblir les garanties juridictionnelles attachées à l'éloignement des étrangers – ce qui est grave. Je note au passage qu'en dépit des incessantes réformes du droit des expulsions, les ambitions des décideurs aspirant à la « maîtrise des flux » n'ont jamais été satisfaites.

Pour ce qui est de la nouvelle juridiction, il est proposé de la composer de membres du Conseil d'État, ce qui aurait pour effet mécanique d'enlever des ressources aux juridictions de droit commun. Comme l'affirmait ici même un de nos prédécesseurs, la création d'une juridiction spécialisée soulève les mêmes questions que celles que pose le droit en vigueur avec ce paradoxe que le juge spécialisé éveille la suspicion, que celle-ci soit ou non fondée. C'est pourquoi il vaut mieux écarter toute formule de ce type.

Le groupe Socialistes et apparentés s'oppose à ce texte qui se veut technique et dont l'objectif politique n'est qu'à demi avoué, car il ne tient pas compte de la complexité du droit et n'aborde pas les questions de fond comme le manque de personnel au sein des juridictions, les incohérences profondes des politiques d'immigration ou les difficultés liées aux relations entre États. Nous préférons donc aborder ces questions à l'occasion du débat dont on nous a annoncé la tenue prochaine.

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