Trop longtemps tues, les violences faites aux femmes sont désormais regardées en face, avec l'intransigeance qui s'impose. Ce qui se passe une fois la porte du domicile refermée concerne la société tout entière lorsqu'il s'agit de délits ou de crimes. Il n'y a pas de crimes passionnels, il n'y a que des homicides volontaires aggravés. Les violences intrafamiliales sont une affaire, non pas privée, mais bien publique.
Trop souvent au cours de ma carrière de magistrate, notamment lorsque je présidais une cour d'assises, j'ai eu à juger des féminicides. J'ai entendu le désarroi des victimes et trop souvent constaté leur destruction à petit feu, du fait de leur conjoint violent. Je ne cesserai jamais de le dire : les violences faites aux femmes ne sont pas des violences comme les autres, ce sont des violences spécifiques. Et parce qu'elles sont spécifiques, elles nécessitent un traitement judiciaire spécifique.
Cette proposition de loi a le mérite de mettre sur la table un sujet qui doit être traité avec sérieux, sujet qui nécessite un important travail de fond et de coconstruction avec l'ensemble des professionnels et des acteurs de la société civile, au premier rang desquels les associations, qui, elles aussi, portent la voix des victimes et participent à leurs combats. Oui, il est fondamental que l'ensemble des acteurs de la chaîne connaissent et comprennent des notions telles que l'emprise, le cycle de la violence, le psychotrauma. Il est aussi fondamental de bien prendre en considération l'impact dévastateur des violences conjugales sur les enfants et d'en tirer les conséquences en matière d'exercice de l'autorité parentale, de droit de visite ou d'hébergement.
Depuis le Grenelle des violences conjugales organisé par le Gouvernement en 2019, auquel j'ai participé en tant que haute fonctionnaire chargée de l'égalité femmes-hommes au ministère de la justice, d'importantes avancées sont intervenues dans le traitement judiciaire de ces violences, au premier rang desquelles la création des 123 filières de l'urgence, qui marque un progrès majeur. Je tiens à saluer la forte implication d'Éric Dupond-Moretti dans la mise en œuvre d'une politique très volontariste en la matière.
Nous avons encore du chemin à parcourir pour assurer une véritable cohérence du traitement de ces violences et éviter les failles dans la communication d'informations ainsi que les divergences d'appréciation entre magistrats ayant à statuer sur une même situation. Il est, par ailleurs, essentiel de garantir une formation ad hoc aux magistrats amenés à juger de telles affaires.
C'est tout l'objet de la mission parlementaire transpartisane associant Assemblée nationale et Sénat qui a été annoncée par la Première ministre le 2 septembre dernier. Je sais que ses membres effectuent un important travail de concertation et de terrain, et je fais toute confiance à la députée Chandler et à la sénatrice Vérien pour proposer un dispositif efficace et formuler des recommandations ambitieuses. Je connais leur engagement dans ce domaine et je sais le travail titanesque qu'elles accomplissent actuellement. Je sais aussi qu'elles prennent le soin de consulter l'ensemble des parties prenantes et qu'elles associeront à leur travail chacun des groupes parlementaires.
Cette justice spécialisée ne peut se construire sans concertation avec les acteurs de la justice, les associations et, évidemment, les victimes. C'est un travail collégial et transpartisan qui a permis la spécialisation de la justice en Espagne – que vous citez en exemple, monsieur Pradié. Au Québec, une expérimentation est actuellement menée en vue de cet objectif. Cette cause est trop importante pour être l'objet de luttes partisanes. Ce qui importe, ce n'est pas d'apposer un nom sur un texte, mais que soit adopté un dispositif qui protège mieux les victimes en alliant efficacité et proximité.