Celle-ci a vocation à être l'unique instance qui aurait à connaître du contentieux aujourd'hui traité par les tribunaux administratifs : le contentieux de l'expulsion des étrangers qui constituent une menace pour l'ordre public.
L'actualité récente a malheureusement montré qu'un trop grand nombre de décisions d'expulsion restent non exécutées. Le futur projet de loi sur l'immigration ira, nous l'espérons, dans le sens d'une plus grande efficacité dans ce domaine.
Je m'interroge sur vos motivations à vouloir créer une juridiction spécialisée. Outre son aspect douteux, la dénomination proposée me semble imprécise, car votre dispositif ne vise en réalité que les décisions administratives et non les décisions judiciaires.
La présente proposition de loi n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle déposée en 2021 par notre ancien collègue, Guillaume Peltier, alors membre du groupe Les Républicains, mais devenu depuis vice-président de Reconquête, qui proposait une justice exceptionnelle et sans appel pour l'expulsion ou l'incarcération des personnes étrangères fichées S.
N'ayez aucun doute, nous partageons pour partie votre constat. Oui, les étrangers qui menacent l'ordre public ou la sûreté de l'État, ou qui contreviennent aux valeurs qui fondent notre contrat social doivent être expulsés. Oui, notre système pâtit de certains dysfonctionnements et il faut le rendre plus efficace.
Cela étant, avec votre proposition de loi vous vous trompez fondamentalement de combat. Plutôt que de vous attacher à créer une juridiction spécialisée, n'auriez-vous pu réfléchir, comme nous le faisons, aux meilleurs moyens d'exécuter les décisions administratives d'expulsion et de maintenir les efforts budgétaires consacrés à la détection de comportements pouvant constituer une menace pour l'ordre public et la sécurité des Françaises et des Français ?
Autrement dit, il faut simplifier le contentieux de l'expulsion des étrangers qui constituent une menace pour l'ordre public, afin de le rendre plus efficace et plus lisible, tout en donnant davantage de moyens à nos services de renseignement.
Chers et chères collègues, vous savez pertinemment que l'exécution réelle des décisions d'expulsion administratives ne dépend pas que de nous : nous sommes en partie tributaires des laissez-passer consulaires délivrés par les pays d'origine des personnes concernées.
Vous estimez que les juges administratifs se laissent « distraire de l'essentiel » : c'est faux. Le contrôle qu'ils exercent est ferme et exigeant. Certes, il est parfois long et nous devons trouver les moyens les plus pertinents d'alléger leur charge et d'accélérer le traitement du contentieux, mais le déplacer vers une juridiction spécialisée ne permettra en rien d'améliorer l'efficacité de notre système.
En outre, votre proposition de loi pose véritablement question d'un point de vue constitutionnel et conventionnel. Vous souhaitez que la Cour de sûreté de la République que vous proposez de créer statue en premier et en dernier ressort, ce qui serait hasardeux et aurait pour seule conséquence une augmentation considérable du nombre de recours en cassation.
Étant profondément attachés aux principes sur lesquels se fonde notre État de droit – et auxquels vous souscrivez vous-mêmes, j'en suis sûr –, nous ne pouvons pas soutenir un système qui ne respecterait pas, en toutes circonstances, le principe du contradictoire, les droits de la défense et le droit à un recours effectif.
Il est indéniable que la fermeté doit être de mise, mais avec un peu d'honnêteté intellectuelle vous vous rendriez compte que cette Cour de sûreté n'y participerait pas. Vous le regrettez peut-être, mais le régime juridique actuel de recours contre les décisions d'expulsion se justifie par le fait que les personnes concernées doivent être assurées de certains droits – avant tout pour que l'expulsion ne soit pas arbitraire.
Vous l'aurez compris, mes collègues du groupe Horizons et apparentés et moi-même étant très attachés aux valeurs républicaines et aux droits de l'homme et du citoyen, nous nous prononcerons contre cette proposition de loi.