La séance est ouverte à neuf heures.
La commission auditionne M. Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), accompagné de M. Guillaume Blanchot, directeur général, et de Mme Justine Boniface, directrice de cabinet.
Mes chers collègues, nous recevons M. Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), accompagné de M. Guillaume Blanchot, directeur général, et de Mme Justice Boniface, directrice de cabinet.
Je vous remercie pour votre disponibilité. Nous vous avions déjà entendu le 14 décembre dernier, en ouverture de notre cycle d'auditions, afin que vous nous éclairiez sur le cadre dans lequel l'Arcom intervient. Nous vous recevons cette fois-ci pour réagir aux enseignements de nos travaux et à la décision rendue par le Conseil d'État le 13 février dernier en matière de pluralisme. Vous pourrez également évoquer l'appel à candidatures que l'Arcom a lancé le 28 février pour l'attribution de quinze autorisations d'émettre sur la TNT. Dans le respect des limites de cet exercice pour vous, pouvez-vous indiquer quels groupes ont d'ores et déjà fait part de leur souhait de renouvellement et que pouvez-vous en dire ?
Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Dans un souci de transparence, j'invite les députés qui ont pu avoir un passé dans l'audiovisuel, à le préciser.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Roch-Olivier Maistre, M. Guillaume Blanchot et Mme Justine Boniface prêtent successivement serment.)
Le collège et les équipes de l'Arcom ont suivi avec beaucoup d'attention vos travaux. Nous y avons activement contribué par la mobilisation des membres du collège et des collaborateurs de l'institution dans le cadre de sept auditions, par plusieurs jeux de contributions écrites et par la transmission, à la demande de votre rapporteur, de plus de 27 000 documents.
À la lumière des auditions que vous avez conduites, je partagerai avec vous trois séries d'observations. Tout d'abord, l'Autorité est engagée depuis cinq ans dans une forte dynamique de transformation. Ensuite, cette transformation a été mise au service d'une régulation toujours plus en prise avec les réalités du secteur et les attentes du public. Enfin, il convient de rappeler les particularités et les exigences du cadre juridique dans lequel agit l'Arcom.
L'Arcom d'aujourd'hui n'est plus le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) d'hier. Cette transformation résulte de l'intervention de très nombreux textes européens et nationaux, en réponse aux profondes mutations du paysage audiovisuel et numérique.
Au cours des cinq années écoulées, l'Union européenne a adopté ou s'apprête à adopter des textes de premier plan :
- la directive (UE) 2018/1808 du 14 novembre 2018 modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, dite « directive SMA » ;
- la directive (UE) 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique ;
- le règlement (UE) 2022/1925 du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique, dit Digital Markets Act (DMA) ;
- le règlement (UE) 2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques, dit Digital Services Act (DSA) ;
- le règlement (UE) 2021/784 du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne ;
- la proposition de règlement établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur (législation européenne sur la liberté des médias) et modifiant la directive 2010/13/UE, le futur European Media Freedom Act (EMFA) ;
- la proposition de règlement établissant des règles harmonisées concernant l'intelligence artificielle, futur AI Act.
Tous ces textes ont fait ou feront évoluer nos missions.
Le législateur national n'a pas été en reste. Il a adopté une douzaine de lois qui ont élargi nos compétences et permis la création de l'Arcom. Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique, qui sera examiné mardi prochain en commission mixte paritaire (CMP), devrait compléter cet ensemble en faisant de l'Arcom le coordinateur de la mise en œuvre du DSA dans notre pays.
Dans ce contexte, la gouvernance de l'institution a beaucoup évolué pour en conforter la collégialité et l'indépendance. Notre collège a été élargi à neuf membres, tous permanents – contrairement à nombre d'autorités indépendantes –, dont un membre du Conseil d'État et un de la Cour de cassation. Les membres sont nommés par cinq autorités différentes, pour un mandat de six ans non renouvelable. Tous sont soumis à l'un des régimes d'incompatibilités les plus sévères en matière d'autorité indépendante, non seulement au cours de leur mandat, mais également à son terme. Ce régime a été profondément renforcé par la loi du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes (AAI) et des autorités publiques indépendantes (API), dite « loi Mézard ». Elle prévoit notamment des obligations de déclaration d'intérêts et de patrimoine devant la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ainsi que des règles déontologiques, qui s'appliquent au sein de l'Arcom – nous les avons encore actualisées au début de cette année.
L'indépendance de l'institution a ainsi été confortée. Je témoigne de l'unité, de la solidité et de l'engagement du collège que je préside. Tel n'a pas toujours été le cas dans l'histoire de cette institution, que je connais depuis quarante ans. Le collège délibère et statue, semaine après semaine, en toute sérénité, attentif aux débats qui entourent l'action du régulateur, mais imperméable aux pressions de toute nature.
Notre indépendance s'exerce vis-à-vis du pouvoir politique, mais aussi vis-à-vis des acteurs que nous régulons. Ce n'est pas pour autant synonyme d'isolement : la tour Mirabeau qui nous abrite n'est pas une tour d'ivoire. Le régulateur n'est pas le simple arbitre d'intérêts privés ; il n'est ni un conciliateur – même s'il peut aider à la résolution des litiges –, ni un corégulateur. Sa seule boussole est l'intérêt général, pour faire respecter la règle de droit.
L'indépendance n'est pas un blanc-seing, elle est une exigence. Son premier corollaire est le contrôle étroit exercé par la représentation nationale et par le juge. Nous entretenons avec l'Assemblée nationale et le Sénat des liens étroits, sous la forme d'échanges nombreux, de rencontres et d'auditions régulières – les membres de la commission des affaires culturelles peuvent en témoigner. En 2023, le collège et les services de l'Arcom ont été auditionnés à trente-et-une reprises. Quant au contrôle du juge, il s'exerce sur l'ensemble de nos décisions.
Le second corollaire est la transparence qui s'applique à notre action. Qu'il s'agisse des nominations aux présidences des entreprises de l'audiovisuel public ou de l'attribution des fréquences, toutes les étapes de nos procédures sont publiques. L'Arcom rend ainsi régulièrement compte de son activité, de ses résultats, de sa feuille de route.
Pour mieux remplir ses nouvelles missions, l'Arcom a changé de dimension et adapté son organisation. Lorsque j'ai pris mes fonctions, début 2019, le CSA comptait environ 300 collaborateurs ; l'Arcom en compte aujourd'hui près de 400, après l'intégration des effectifs de l'ex-Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) et la création de 30 emplois supplémentaires par le Parlement depuis 2020 – nous vous en sommes reconnaissants.
En parallèle, nous avons refondu notre organigramme, en créant une direction des plateformes en ligne pour gérer nos nouvelles compétences et une direction de la création pour mieux contrôler le respect des obligations en matière de financement de la production. Nous avons élargi le champ d'action de nos seize délégations territoriales ; dématérialisé nos procédures ; développé de nouveaux outils d'interaction et de communication avec les publics ; renforcé nos liens avec le monde de la recherche et la société civile en nous appuyant sur différents observatoires et comités placés auprès de nous.
Avec l'entrée en vigueur du DSA, nous pouvons dire sans rougir que l'Arcom est un régulateur reconnu sur le théâtre européen, au sein du comité européen des services numériques comme du comité européen pour les services de médias.
Ce bilan est naturellement celui du législateur, mais aussi celui du collège, de la direction générale et de tous les collaborateurs de l'Arcom – l'une des administrations les plus compétentes qu'il m'ait été donné de servir et d'animer depuis que je suis engagé dans le service public, soit presque quarante-cinq ans. Je tiens à leur rendre un hommage tout particulier.
Cette dynamique de transformation, c'est mon deuxième point, a été mise au service d'une régulation davantage en prise avec les réalités du secteur et les attentes du public. Au fil des auditions, vous avez pu prendre la mesure de l'étendue des missions de l'autorité et de l'intensité de ses activités. Je remettrai en perspective le chemin parcouru pour mieux accompagner la modernisation de la diffusion, renforcer les obligations des éditeurs et leur contrôle, et préparer les échéances de 2025.
Nous avons d'abord mené plusieurs chantiers importants pour moderniser la diffusion de la radio et de la télévision. S'agissant de la radio, les cinq dernières années ont été dominées par le déploiement de la radio numérique, le DAB+ (Digital Audio Broadcasting), qui couvre à présent 60 % de la population métropolitaine. Il s'agit d'une étape décisive pour offrir un nouvel horizon à ce média auquel les Français sont particulièrement attachés. Nous avons également poursuivi la modernisation de la télévision numérique terrestre (TNT) en achevant la généralisation de la haute définition et en déployant l'ultra-haute définition pour les antennes de France 2 et France 3, dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de cet été.
Nous avons engagé récemment un important travail sur les services d'intérêt général afin d'assurer à nos acteurs une visibilité appropriée sur les téléviseurs connectés, face aux plateformes payantes étrangères. C'est un enjeu de pluralisme et d'intérêt du public ainsi que de souveraineté française et européenne. Le dossier est en cours d'examen par la Commission européenne.
En parallèle, l'Autorité a porté une attention particulière au renforcement des obligations des éditeurs et à celui de leur contrôle. Dans le contexte de transformation rapide des usages et des technologies, la TNT reste pour les Français un vecteur central d'accès aux contenus audiovisuels – au savoir, à la culture, à l'information, au divertissement –, avec un large choix d'offres gratuites diffusées à l'ensemble de la population. C'est le seul espace à être régulé de façon aussi aboutie afin d'imposer aux éditeurs des obligations de financement, des objectifs de cohésion sociale et des règles de pluralisme.
S'agissant de la TNT nationale, les trois appels à candidature que nous avons traités depuis 2019 ont été l'occasion de revoir les termes des conventions liant les éditeurs au régulateur, notamment les clauses relatives au pluralisme, au soutien à la création ou aux obligations sociétales. Les dernières conventions de TF1 et M6 traduisent l'attention accordée à la place des femmes sur les antennes, à la visibilité du handicap, à l'accessibilité des programmes, à la représentation de la diversité, tout en intégrant pour la première fois des engagements en matière de transition écologique et d'éducation aux médias. De la même façon, les renouvellements d'autorisation ont permis de mettre à jour les obligations des éditeurs.
Nous avons renforcé les procédures de contrôle des obligations en facilitant le dépôt des signalements par le grand public, en intervenant chaque fois que nécessaire, et en réduisant les délais de traitement. Depuis 2019, l'autorité a prononcé 194 mises en garde, 98 mises en demeure, 31 sanctions. Elle a relevé de façon très significative le montant des sanctions financières.
C'est dans cet esprit que nous avons lancé, le 28 février dernier, l'appel à candidature pour les quinze fréquences de la TNT nationale qui arrivent à échéance en 2025. Les attentes à l'égard des candidats ont été singulièrement renforcées. Le régulateur sera attentif aux impératifs de pluralisme et d'intérêt du public, comme aux exigences fixées par la loi. Nous privilégierons une logique de mieux-disant quant aux engagements des candidats. Ce sera l'occasion de revoir les obligations des conventions, en particulier celle de respecter le pluralisme des courants de pensée et d'opinion, à la lumière de la récente décision du Conseil d'État.
À cet égard, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication énonce sans ambiguïté que la délivrance des autorisations est subordonnée à la conclusion d'une convention, qui décline les engagements pris par le candidat devant le régulateur, dans son dossier de candidature et lors de son audition publique. Sans convention, il ne peut y avoir d'autorisation d'émettre.
Je rappellerai, en guise de dernier point, les particularités du cadre juridique dans lequel agit l'Autorité. Au fil de vos auditions, des critiques ont parfois été formulées sur l'action du régulateur. Nous y sommes naturellement attentifs, tant l'Autorité s'attache à toujours mieux remplir ses missions. Il importe toutefois de bien prendre la mesure d'un environnement juridique dont les exigences sont souvent peu connues, quand elles ne sont pas sous-estimées ou tout simplement ignorées.
Notre modèle de régulation repose sur un équilibre fondamental. Il y a, d'un côté, l'affirmation d'un principe constitutionnel auquel nous sommes tous très attachés : la liberté de communication, qui embrasse la liberté éditoriale des médias audiovisuels. Ce principe est extrêmement protégé, aussi bien par la Constitution et par la loi que par les juridictions nationales et européennes. C'est le titre de la loi de 1986 dont nous sommes les garants. Plusieurs décisions du régulateur ont été annulées sur ce seul fondement. De la même façon, dans son célèbre arrêt de principe Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) affirme sans ambiguïté la forte protection dont bénéficie la liberté d'expression sur notre continent. N'oublions jamais que cette liberté publique fondamentale, l'un des droits les plus précieux de l'homme, est au cœur de notre modèle démocratique. Elle a encore été réaffirmée dans la proposition de règlement sur la liberté des médias ( European Media Freedom Act – EMFA), récemment adoptée par le Parlement européen.
De l'autre côté, il y a les limites posées par la loi pour assurer la protection des publics. Nous en avons aussi la charge et nous y veillons scrupuleusement. Notre action s'exerce jour après jour sur cette ligne de crête dessinée par le constituant et le législateur. Le collège pèse et soupèse chacune de ses décisions à l'aune de cet équilibre fondamental.
L'action de l'Arcom s'exerce donc dans un cadre balisé par la loi et les jurisprudences. La procédure de sanction obéit à une logique progressive et à un impératif de proportionnalité. Aucune sanction ne peut être prononcée directement par le régulateur. En vertu du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, celui-ci est tenu dans un premier temps de prononcer une mise en demeure, exposant de façon précise le fondement juridique qui la motive. Contestable devant le juge, cette mise en demeure a une durée de validité limitée à cinq ans, depuis une modification adoptée par le Parlement en 2021. Ce n'est qu'en cas de réitération d'un manquement de même nature que celui ayant fait l'objet de la mise en demeure préalable qu'une procédure de sanction peut être envisagée.
Cette procédure est à la seule main d'un rapporteur indépendant, membre du Conseil d'État, qui dispose du monopole des poursuites et conduit son instruction à charge et à décharge, à son rythme et en toute indépendance. Ce n'est qu'au vu de son rapport que l'Arcom peut, après avoir entendu les parties, prononcer l'une des sanctions prévues par la loi.
Ce sont là les garanties et les exigences de notre État de droit, d'autant plus justifiées que l'autorité administrative est dotée d'un pouvoir de sanction important et qu'elle agit dans le champ d'une liberté publique fondamentale. Le temps du droit ne sera jamais le temps des réseaux sociaux.
Si ces principes gardent toute leur pertinence, il faut néanmoins envisager l'adaptation de notre droit aux bouleversements en cours. La loi de 1986 a été modifiée à plus de cent reprises, ce qui lui a fait perdre en lisibilité et en intelligibilité. Chacun sent bien que le moment est venu de mettre à jour ce texte pour l'adapter aux nouvelles réalités du moment.
Pour conforter le pluralisme externe, si précieux pour notre démocratie, il est plus que temps de revisiter la réglementation anti-concentration, construite à l'heure de la diffusion par voie hertzienne, pour permettre aux autorités de régulation, et en particulier à l'Arcom, de mieux traiter la dimension plurimédia des groupes. Plusieurs travaux ont été conduits récemment en la matière, par le Sénat mais aussi par l'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection générale des affaires culturelles (Igac), qui ont rendu le 18 mars 2022 un rapport sur la concentration dans le secteur des médias dont nous faisons pleinement nôtres les recommandations.
Il est également indispensable d'engager une réflexion d'ensemble pour conforter le modèle économique des médias – presse écrite, radio, télévision – et leur permettre de financer une information et des contenus de qualité, dans l'intérêt des publics. Cet objectif impliquera une nouvelle régulation des grands acteurs de la publicité numérique.
Bien d'autres pistes peuvent être évoquées, comme celles issues de la récente mission d'évaluation de la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, dite « loi Bloche », qui reprend une grande partie de nos propositions, et les dispositions spécifiques aux chaînes d'information proposées, fin 2021, par le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la concentration des médias en France. Espérons que d'autres encore résulteront des travaux des états généraux de l'information (EGI).
Avec l'appui constant du Parlement, le régulateur s'est profondément transformé pour mieux prendre en compte les évolutions du paysage, mieux répondre aux attentes du public, et s'intégrer pleinement au concert européen. Ce mouvement se poursuivra dans les années qui viennent, et l'Autorité continuera d'avoir besoin du soutien du Parlement pour adapter son cadre juridique au nouvel environnement qui se dessine sous nos yeux.
Pourriez-vous nous préciser clairement à quelles questions vous ne pourrez pas répondre au sujet de l'état des demandes de renouvellement en cours ?
Je ne ferai aucun commentaire sur les chaînes qui arrivent à la fin de leur autorisation et qui, selon toute probabilité, seront candidates dans le cadre de l'appel que nous avons lancé le 28 février, afin de respecter le principe d'impartialité et ne pas préjuger des décisions que le régulateur rendra. Je n'ai aucune connaissance des dossiers qui ont été déposés. L'expérience montre d'ailleurs qu'ils ne sont remis qu'à la dernière minute de la dernière heure du dernier jour. Nous y verrons plus clair le lendemain du 15 mai, l'échéance fixée pour la remise des dossiers.
La règle était bien la même le 14 décembre dernier.
Votre prédécesseur, Olivier Schrameck, estimait que l'Arcom était un régulateur faible. Partagez-vous son avis, notamment par rapport aux homologues européens de l'Arcom ?
Il a également jugé que l'Arcom ne disposait pas des moyens nécessaires pour mener son action correctement. Le pensez-vous également, compte tenu des trente équivalents temps plein (ETP) qui se sont ajoutés aux effectifs de la Hadopi ?
Le temps a rempli son office : les cinq ans écoulés se sont accompagnés de bien des transformations et l'Arcom d'aujourd'hui n'est pas le CSA d'hier. Je ne considère pas que le régulateur est faible, mais au contraire qu'il détient beaucoup de pouvoirs.
Quant aux moyens, je répète les chiffres : il y avait 300 collaborateurs quand j'ai pris mes fonctions, contre 400 aujourd'hui. La fusion avec la Hadopi a été l'occasion de revoir l'organigramme et de rassembler les fonctions support des deux autorités, ce qui a dégagé des ressources supplémentaires. En outre, la Hadopi n'utilisait pas le plafond d'emplois. Le Parlement nous a également autorisés à créer trente emplois, permettant à l'Autorité de se renforcer dans ses différentes composantes. L'Arcom est donc aujourd'hui l'un des régulateurs les plus reconnus et respectés dans le concert européen.
Nous avons auditionné les comités d'éthique ainsi que M. Patrick Bloche au sujet de la loi qu'il avait fait adopter par cette assemblée. Quel regard portez-vous sur ces comités, ainsi que sur le poids et le rôle que la loi leur confère ?
Les comités d'éthique ont jugé la coordination opérée par l'Arcom insuffisante, en termes de pilotage et d'animation du réseau. Quel est votre avis à ce sujet ? Le lien entre l'Arcom et ces comités pourrait-il être amélioré ou renforcé, peut-être à travers l'octroi de moyens ou la mise en partage des méthodes ?
Je tiens tout d'abord à saluer l'engagement des personnalités qui sont membres de ces comités et y consacrent du temps et de l'énergie – vous les avez toutes auditionnées.
Comme on dit à la Cour des comptes, il y a des marges de progression. Tel est notamment le cas s'agissant de la composition des comités. Ainsi que je l'ai dit devant la mission d'évaluation de la loi Bloche par la commission des affaires culturelles dont Mme Isabelle Rauch était rapporteure, il serait positif que le régulateur ait un droit de regard sur cette composition, soit qu'il formule un avis sur le choix opéré par les entreprises, soit qu'il nomme certains membres. Il faudrait renforcer les moyens dont disposent ces comités et donner plus de visibilité à leurs travaux. Il serait également normal que les conseils d'administration des entreprises entendent au moins une fois par an les comités.
Dans les conventions conclues avec TF1 et M6, nous avons introduit une disposition qui figure non pas dans la loi, mais dans les conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur la concentration des médias en France. Elle consiste à demander à chaque entreprise d'avoir, parmi les administrateurs indépendants siégeant au conseil d'administration, un membre référent des rédactions sur les sujets d'indépendance qui soit aussi le référent des comités relatifs à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes (Chipip), chargé de transmettre les questions soulevées par eux.
Les comités d'éthique peuvent être très utiles. Celui du groupe Canal+, avec lequel j'ai travaillé lorsque j'ai pris mes fonctions, a rendu certains avis très forts dans leur rédaction, qui nous ont été très utiles, y compris dans la gestion de procédures de sanction.
L'articulation de leurs relations avec le régulateur est améliorable. Nous avons veillé, depuis que je préside l'Arcom, à réunir chaque année les comités d'éthique, à l'occasion de la publication de leurs rapports d'activité, pour les auditionner. Nous avons tenu il y a quelque temps une réunion avec tous les comités d'éthique, pour qu'ils se connaissent et partagent leurs expériences.
Par ailleurs, nous prenons désormais l'initiative, sur des saisines dont nous estimons qu'elles n'entrent pas directement dans le champ de compétence du régulateur, notamment parce qu'elles portent sur un manquement qui n'est pas de nature à être sanctionné par lui, mais qu'elles n'en soulèvent pas moins une question de déontologie, de saisir nous-mêmes un comité d'éthique pour qu'il examine la question.
Pour éviter d'évoquer une chaîne en particulier, j'aborderai le cadre fixé par les conventions, qui se ressemblent ou sont appelées à évoluer en commun.
Il arrive qu'un certain nombre d'heures d'inédit soit imposé aux chaînes. Il s'agit parfois d'une demande de celles-ci en amont, je n'émets pas l'idée que l'Arcom l'impose de façon arbitraire, même si des échanges ont lieu. De façon générale, avez-vous identifié une corrélation entre le nombre d'heures d'inédit et la prise de risque, donc le nombre de sanctions ?
Dans la procédure fixée par la loi du 30 septembre 1986, les candidats sont libres de présenter leurs projets, au titre de la liberté de communication et de la liberté du commerce et de l'industrie. L'Arcom lance des appels à candidature sur les fréquences disponibles ; les candidats proposent des projets en tenant compte des attentes du régulateur – chacun aura observé que l'appel que nous avons publié pour les échéances à venir est nettement plus dense que les précédents. La présentation du dossier incombe au candidat. La compétence du régulateur est une compétence d'attribution, sur la base de critères fixés par la loi.
Certes, le direct présente un risque accru. Toutefois, le principe fondateur de la régulation est la maîtrise de l'antenne en tout temps et en toutes circonstances par l'éditeur. C'est sous cet angle qu'il engage sa responsabilité. Dans presque toutes les décisions que nous rendons, la maîtrise de l'antenne est un critère d'appréciation très important. Les choix de l'éditeur engagent sa responsabilité.
À ce sujet, une fois les projets transmis, avez-vous la possibilité d'émettre, en tenant compte du passé ou en jugeant nécessaire une forme de renouvellement, des propositions visant à les amender ?
Sur le contenu des conventions, j'ai entendu dire beaucoup de choses. Je m'inscris en faux avec toute idée de négociation. Je rappelle qu'il y a plusieurs étapes dans la procédure. Une fois lancé l'appel à candidatures, chaque candidat remet son dossier. Nous en examinons la recevabilité. Puis, le candidat précise ses engagements, lors d'une audition publique, devant le régulateur et devant les Français. Nous procédons ensuite à une présélection des candidats.
S'agissant de la rédaction de la convention, son contenu est précisément décrit par la loi du 30 septembre 1986, dans un article particulièrement long. La convention détaille les engagements pris par le candidat dans son projet et précisés lors de son audition. Elle énumère les obligations fixées par la loi et par les décrets. Elle est la condition de délivrance de l'autorisation. Faute d'accord sur ses termes, l'autorisation n'est pas délivrée.
La convention précise le format des chaînes. Dans les conventions conclues avec TF1 et M6, nous avons été attentifs à rendre plus précis le descriptif des obligations, au regard des conventions que l'histoire nous a léguées. Tel est l'état d'esprit dans lequel nous nous engageons pour 2025.
J'ai noté que les éditeurs dont nous allons renouveler les autorisations se sont plaints, lors de leurs auditions par votre commission d'enquête, d'une démarche escalatoire. Il est exact que le volume des conventions a sensiblement augmenté, parce que nous y avons inséré de nombreuses dispositions supplémentaires, notamment sur le terrain des obligations sociétales et sur le terrain du pluralisme.
Vous parlez davantage de démarche escalatoire, pas forcément de négociation. Toutefois, chacun peut s'attendre à des évolutions, s'agissant notamment des chaînes d'information. Deux des chaînes disponibles en sont, et une troisième s'en approche parfois. Quelles évolutions envisagez-vous en matière de respect du pluralisme compte tenu de l'arrêt rendu par le Conseil d'État le 13 février 2024 ?
Vous avez fait plusieurs déclarations dans la presse au sujet des nouvelles personnalités dont le temps de parole est décompté à ce titre. Comment sont-elles identifiées ? Un échange a-t-il lieu avec elles ? Que prenez-vous en compte ? Comment pondérez-vous l'avenir de chacune d'entre elles et ce qu'elle souhaite ?
Certaines personnalités jadis engagées dans un parti politique ou ayant occupé une fonction élective ou exécutive continuent à se rendre sur les plateaux de télévision et y tiennent des propos politiques. Comment votre procédure tient-elle compte de cet aspect humain de la question ?
S'agissant de la prise en compte de la diversité des opinions hors des courants politiques, nous avons bien compris que tout fichage de grande envergure est exclu. Tant mieux ! Sur ce point, l'audition de responsables de Reporters sans frontières (RSF), tenue cette semaine, était très intéressante.
Quel regard portez-vous sur ce besoin d'améliorer la prise en compte des opinions ? Je prendrai un exemple qui relève du cas d'école : le débat sur la fin de vie que nous aurons bientôt. Comment l'anticipez-vous ? Comment l'analyserez-vous ? Le débat aura lieu sur toutes les chaînes de télévision, et les positions seront parfois sans rapport avec l'appartenance à un parti politique ou l'inscription dans un courant politique.
S'agissant d'un minimum de présence sur le terrain et de reportage, peut-on considérer qu'il s'impose à toutes les chaînes d'information ? Si oui, comment le qualifier et le quantifier ?
Nous examinerons dans quelques jours la proposition de loi visant à protéger la liberté éditoriale des médias sollicitant des aides de l'État, déposée par Sophie Taillé-Polian. Elle appelle à juste titre à renforcer la démocratie interne des organes de presse. L'Arcom peut-elle prendre une place accrue dans la vérification et le contrôle de la déontologie au sein des organes de presse ?
Il me semblerait assez naturel que, parmi les critères de sélection que le législateur fixe au régulateur pour choisir les éditeurs auxquels il attribue une fréquence l'autorisant à émettre, figure un article relatif à l'information. Je suis ces questions depuis un peu plus de quarante ans. J'étais membre du cabinet du ministre de la Culture lors de la rédaction de la loi du 30 septembre 1986. Je connais bien ce texte, dont j'ai suivi les évolutions de près.
L'un des éléments très neufs du paysage audiovisuel français (PAF) des dernières années est l'émergence des chaînes d'information. Cette situation concurrentielle frontale, sur le même marché publicitaire, d'un nombre élevé de chaînes d'information est une situation atypique par comparaison avec les autres pays. Il me semble donc naturel d'introduire, aux côtés des critères essentiels que sont le pluralisme et l'intérêt du public, un critère relatif à l'information, compte tenu de la nature de ces chaînes et de l'importance qu'elles revêtent dans le débat public.
Au sujet de la décision du Conseil d'État du 13 février, j'ai entendu dire et lu beaucoup de choses. Je vous le dis d'emblée, le magistrat que je suis, vieux serviteur de l'État, placé à la tête d'une autorité publique indépendante, ne s'inscrira naturellement pas dans les polémiques qui ont entouré cette décision, laquelle s'impose à toutes les chaînes du PAF, qu'elles soient publiques ou privées, ainsi qu'à l'Arcom.
J'ai entendu dire qu'il s'agissait d'un désaveu de cette dernière. Tel n'est pas le cas. L'avocat de RSF, maître Spinosi, que nous connaissons bien à l'Arcom, a très bien dit ce qu'il en est. Il a dit que le Conseil d'État a réinterprété la loi du 30 septembre 1986. Pour ma part, j'ai dit qu'il en offre une lecture renouvelée.
Il s'agit de ce que l'on appelle un arrêt de principe, dans lequel le Conseil d'État fixe une nouvelle jurisprudence pour l'avenir. Cela ne signifie pas que ce qu'a fait le régulateur auparavant était nul et non avenu. L'Arcom a été présidée, pendant de nombreuses années, par de fins juristes, dont je constate qu'ils n'ont pas fait évoluer la pratique même s'ils saluent, pour au moins l'un d'entre eux, la décision du Conseil d'État. Cette décision s'impose à nous. Notre responsabilité est de la mettre en œuvre.
Nous travaillons dans trois directions.
La première, demandée par le Conseil d'État, est de statuer à nouveau sur la requête de RSF sur deux points particuliers : l'indépendance et le pluralisme. Le Conseil d'État, dans sa sagesse, a laissé au régulateur six mois pour ce faire. Il n'est pas interdit de penser que, s'il a laissé ce délai au régulateur, c'est qu'il considère que le sujet n'est pas simple à traiter et qu'il faut prendre le temps de bien regarder les choses. Nous statuerons à nouveau sur la requête de RSF dans le délai de six mois qui nous est imparti, d'ici à la fin de l'été.
La deuxième direction est de préparer une délibération de portée générale, dans le cadre du pouvoir réglementaire limité délégué à l'Arcom par le législateur, visant à préciser la mise en œuvre de la décision du Conseil d'État, qui nous en a laissé le soin. Nous y travaillons en ayant deux principes à l'esprit.
Le premier, rappelé par la décision du Conseil d'État, est le respect plein et entier de la liberté éditoriale des médias. Le régulateur ne mettra pas le doigt dans le choix des thèmes traités par les éditeurs ni dans celui des intervenants qu'ils choisissent d'inviter. Ces choix relèvent de leur liberté éditoriale et de leur responsabilité, dans la mesure où ils doivent respecter la loi.
Je l'ai dit et le répète devant votre commission d'enquête, nous ne transposerons pas aux intervenants qui s'expriment sur les plateaux des chaînes de télévision les obligations applicables en matière de pluralisme politique. La loi dit explicitement que les médias audiovisuels doivent nous communiquer la liste des personnalités politiques qu'ils invitent mentionnés en tant que tels dans la loi et les temps de parole correspondants. Nous ne transposerons pas ce modèle.
J'ai dit et je répète qu'il n'est pas question de s'engager dans je ne sais quel fichage des intervenants qui s'expriment sur les plateaux de télévision, pour leur attribuer une sensibilité ou une couleur politique, dans un sens ou dans un autre. La liberté éditoriale sera respectée. Au demeurant, le Conseil d'État ne nous demande en aucune façon de nous engager dans cette voie.
Le deuxième principe est le respect du pluralisme, qui a valeur constitutionnelle, comme l'a indiqué le Conseil constitutionnel dans une décision du 18 septembre 1986. S'agissant du respect du pluralisme des courants de pensée et d'opinion, notre approche consistera à identifier les déséquilibres non seulement manifestes mais durables.
Qu'un déséquilibre ponctuel survienne en faveur d'une formation politique donnée, cela arrive chaque jour, en fonction des personnalités politiques invitées. Nous apprécions le respect du pluralisme politique sur une base trimestrielle. Chaque trimestre, nous mesurons les temps de parole de toutes les formations qui concourent à l'équilibre du débat démocratique dans notre pays. Si les médias présentent un déséquilibre, nous intervenons.
Notre approche reposera sur la notion d'erreur manifeste d'appréciation, issue du droit administratif. Il s'agira d'identifier un déséquilibre manifeste et durable sur une certaine durée. Il est imaginable que cette durée soit plus courte pour les chaînes d'information. Elle pourrait par exemple être réduite à un mois. Pour les chaînes d'une autre nature, on pourrait reprendre la même règle que celle applicable au pluralisme politique, à savoir trimestrielle.
Nous bâtirons un faisceau d'indices – nous y travaillons – permettant d'apprécier si ce déséquilibre manifeste et durable est constaté. Conformément au sens de la délibération des conclusions du rapport public et du communiqué publié par le Conseil d'État lui-même lors du rendu de sa décision le 13 février, cet effort sera centré en priorité sur les programmes d'information et les programmes qui concourent à l'information.
La troisième direction dans laquelle nous travaillons, ce sont les conventions. S'agissant de celles conclues avec TF1 et M6, nous avons anticipé. Les clauses relatives au pluralisme ont été revues et sensiblement élargies pour tenir compte en particulier des programmes qui concourent à l'information, notamment les émissions d'infodivertissement ou infotainment, et non seulement des programmes d'information. Les futures conventions incluront une clause relative au pluralisme tenant mieux compte de la décision du Conseil d'État.
Telles sont les trois directions dans lesquelles nous travaillons. Je ne vous dis pas que c'est simple ni que c'est facile. Je vous dis simplement que l'Arcom y travaille et qu'elle mettra en œuvre la décision du Conseil d'État. Je rappelle que celle-ci s'applique depuis le 13 février. Les éditeurs doivent se conformer à sa lettre et à son esprit. Le régulateur prendra les initiatives que j'ai évoquées mais s'inscrit d'ores et déjà dans l'application de la décision du Conseil d'État, sans ambiguïté.
Sur le pluralisme politique, j'ai aussi entendu dire beaucoup de choses, notamment que les dispositions de la loi qui le régissent sont obsolètes. Ce principe a d'emblée été inscrit dans la loi, à la veille de la privatisation de TF1 en 1987. Je me souviens très bien de l'esprit dans lequel nous avons rédigé ce texte. Les dispositions relatives au respect du pluralisme politique, j'en constate particulièrement les vertus depuis cinq ans. Toutes les formations politiques représentées dans cette assemblée se manifestent quasi quotidiennement auprès de nous et sont bien contentes, me semble-t-il, de trouver un régulateur susceptible de rééquilibrer périodiquement les choses dans les médias audiovisuels en matière de respect du poids de telle ou telle famille politique.
Les choses sont simples. Les médias sont tenus de nous communiquer la liste des personnalités politiques qu'ils invitent et les temps de parole correspondant ; nous vérifions ce qu'il en est. Si nos classements et nos comptabilisations ne plaisent pas à telle ou telle personnalité, elle se manifeste auprès de nous ; nous examinons ses observations et modifions le cas échéant notre position.
Nous actualisons périodiquement la liste des personnalités dont le temps de parole est comptabilisé. Nous l'avons fait récemment dans la perspective du scrutin européen. Les échanges avec les personnalités sont fréquents, qu'il s'agisse de chefs de parti, de chefs de groupes parlementaires ou de personnalités politiques souhaitant se manifester individuellement.
S'agissant de la vérification déontologique, la mission qui nous est donnée par la loi est claire. Nous sommes amenés à intervenir régulièrement, sous forme de mises en demeure ou de sanctions, si un éditeur ne se conforme pas aux obligations qui sont les siennes en matière de déontologie, s'agissant notamment de l'honnêteté et de la rigueur de l'information. Encore récemment, nous avons prononcé des mises en demeure et des sanctions.
Il faut trouver le bon équilibre entre la déontologie propre aux rédactions, qui suivent un corpus de règles établi depuis longtemps, les obligations déontologiques qui s'imposent aux éditeurs, lesquelles vont des chartes qu'ils peuvent déployer aux outils internes tels que les Chipip, et le rôle de régulateur, qui est de contrôler le respect par les éditeurs de leurs obligations et le cas échéant de les sanctionner.
Humainement parlant, comment le temps de parole des nouvelles personnalités est-il pris en compte ?
Si vous souhaitez m'interroger sur le cas de Philippe de Villiers, je puis vous dire que nous avons eu un échange téléphonique.
Nous avons aussi eu un échange téléphonique avec Mme Bachelot. Nous ne faisons pas de jaloux. Chacun a été traité par le conseiller chargé de ces questions au sein de notre collège, qui a eu une longue conversation téléphonique avec les intéressés comme avec d'autres. Nous travaillons aussi par échanges écrits.
Nos positions peuvent être contestées devant le Conseil d'État. Elles l'ont parfois été ; généralement, le Conseil d'État nous donne raison. En la matière, il nous laisse une certaine latitude. Le principe fondamental, s'agissant de l'appréciation du pluralisme politique, est d'identifier un lien organique avec un mandat électif ou l'appartenance à un parti politique. Or nous sommes de plus en plus fréquemment confrontés à des situations de personnalités très engagées dans la politique, qui la quittent pour assumer des fonctions à la télévision et y reviennent parfois. Le Conseil d'État, dans une décision du 28 septembre 2022 portant sur l'un de nos classements, nous a laissé une certaine latitude pour les personnalités ayant exercé des responsabilités et demeurant rattachées à la politique, même si elles n'ont plus aucun mandat électif et n'appartiennent plus à un parti politique.
Le cas de Philippe de Villiers est typique. Philippe de Villiers a été comptabilisé pendant l'élection présidentielle et les élections législatives en raison de son soutien au parti et à la candidature de M. Zemmour. Il a ensuite quitté la politique et nous l'a fait savoir. Nous lui avons indiqué que son temps de parole ne serait plus comptabilisé en conséquence, mais que, s'il s'exprimait à nouveau dans les médias, l'Arcom se réservait le droit de comptabiliser à nouveau son temps de parole. Compte tenu de ses interventions sur une chaîne que chacun connaît, l'Arcom a considéré qu'il fallait le comptabiliser à nouveau et un contact personnel a eu lieu avec lui pour le lui dire.
Vous avez dit de la loi du 30 septembre 1986 qu'elle est une loi de liberté. Vous ne pouvez pas interférer avec la ligne éditoriale, dont découle la distribution des sujets traités par les chaînes d'information au cours de la journée, et qui est protégée par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
À cette aune, quel regard portez-vous sur l'augmentation des contraintes, que d'aucuns qualifient de démarche escalatoire ? L'augmentation des contraintes n'a-t-elle pas pour effet mécanique de mettre en difficulté le modèle économique des chaînes ? Ces questions sont d'ordre général et ne visent aucune chaîne en particulier.
Parfois, je m'amuse à dire – et je pense ne pas être loin de la vérité, voire avoir raison en le disant – que nous avons, avec les chaînes de la TNT, les chaînes de télévision les plus régulées et les plus réglementées parmi les États démocratiques.
Deux corpus juridiques coexistent. Chacun procède d'une loi relative aux libertés fondamentales. La loi du 29 juillet 1881, qui est l'un des piliers de notre République, est un magnifique texte, toujours en vigueur, qui affirme un principe de liberté complet assorti d'un régime de responsabilité de l'éditeur s'agissant de certaines incriminations. La loi du 30 septembre 1986 n'a certes pas la même ancienneté, mais elle fixe depuis quarante ans une logique de même nature, assortie de limitations plus précises fixées par le législateur.
C'est l'occasion pour moi de rappeler devant votre commission d'enquête que nous avons deux régimes de responsabilité distincts. Devant le régulateur, l'éditeur est seul responsable. Lorsque nous prononçons une sanction consécutive à la diffusion d'un programme présentant une difficulté, nous sanctionnons l'éditeur, et non, comme je l'entends souvent dire, telle ou telle personne ayant pris part au programme. L'éditeur engage sa responsabilité devant nous et a la possibilité de contester nos décisions devant le juge administratif. Par ailleurs, la personne dont les propos sont incriminés engage sa responsabilité propre devant le juge judiciaire. Il n'est donc pas rare que deux procédures cheminent parallèlement, l'une devant l'Arcom selon les règles qui sont les siennes, l'autre devant le juge judiciaire. Il nous est arrivé – il s'agit d'une innovation à mon initiative – de saisir nous-mêmes le juge judiciaire, indépendamment de la responsabilité qui est la nôtre en tant qu'autorité administrative indépendante, considérant que la nature des propos tenus justifiait une saisine du juge judiciaire au titre de l'article 40 du code pénal.
S'agissant du modèle économique, j'ai relu il y a quelques jours l'excellent avis que nous avons rendu – pardon pour ce plaidoyer pro domo – à l'Autorité de la concurrence sur le projet de rapprochement entre TF1 et M6. Pour ceux qui s'intéressent à ces sujets, j'en conseille la lecture. L'Arcom a démontré à cette occasion la qualité des travaux qu'elle peut conduire, s'agissant notamment de l'analyse économique prospective des évolutions du secteur, d'analyse des marchés susceptibles d'être impactés par l'opération, des droits sportifs aux droits de la production en passant par le marché publicitaire, et des limites que nous avons suggéré à l'Autorité de la concurrence de prendre en compte si l'opération devait aller plus loin. Je l'ai relu simplement car nous venons de publier, avec le ministère de la culture, une très intéressante étude sur l'évolution du marché publicitaire à l'échéance de 2030 – c'est demain. Elle met notamment en évidence le fait que le marché publicitaire des médias, en France, est capté à 52 % par les géants du numérique, et que cette proportion sera de 65 % en 2030. Lorsque tout cet argent quitte la sphère de nos médias traditionnels, nos médias de contenu – la presse écrite, les radios et les chaînes de télévision – sont directement affectés.
Le mouvement est amorcé dans le secteur de la presse écrite depuis longtemps, même si certains titres de presse tels que Le Figaro et Le Monde s'approchent d'un modèle économique résilient. Il l'est dans le secteur de la radio, qui suit une pente en ce sens. Il le sera dans le secteur de la télévision. L'étude démontre clairement que les développements de ces acteurs dans la sphère numérique compenseront difficilement cette situation.
Deux modèles coexistent, l'un très régulé, l'autre, dominé par les acteurs du numérique, dont la régulation est embryonnaire. Certes, il existe des règles à l'échelon européen. Le règlement sur les marchés numériques, le DMA, améliore l'équité en matière de concurrence. Le règlement sur les services numériques, le DSA, régule les contenus, notamment sur les réseaux sociaux. Mais le modèle économique, lui, ne fait l'objet d'aucune régulation équilibrée.
J'estime, pour ma part, que cette question est celle à laquelle les états généraux de l'information devraient répondre en priorité. Nous pourrons gloser à l'infini sur le pluralisme et vanter nos principes constitutionnels, si nous ne parvenons pas à garantir aux entreprises et au service audiovisuel public un modèle économique pérenne, il ne nous restera que nos yeux pour pleurer. La question centrale est vraiment celle-ci : comment bâtir un modèle de régulation de la publicité pérenne vis-à-vis des acteurs du numérique pour préserver nos médias de contenu ?
Plus l'intérêt économique sera difficile à trouver, moins il sera étonnant que les investisseurs recherchent d'autres types d'intérêts.
Jugez-vous toujours valables les raisons pour lesquelles certains secteurs, comme le livre, le cinéma ou la grande distribution, avaient été interdits de publicité à la télévision ?
Le ministère de la culture a saisi l'Arcom d'un projet de modification de la réglementation sur lequel notre collège ne s'est pas encore prononcé. Ne pouvant préjuger de l'avis de mes collègues, je vous apporterai une réponse partielle.
Nous avons soutenu la remise en cause de l'interdiction s'agissant du secteur du cinéma – à raison, je crois. Les exploitants de salles de cinéma, que je connais bien pour avoir été Médiateur du cinéma pendant de nombreuses années, constatent avec satisfaction que la publicité à la télévision contribue à faire revenir les spectateurs en salle. Et nous n'avons pas vu apparaître de déséquilibre avec les salles d'art et d'essai, comme certains le craignaient. Il faut savoir faire bouger les lignes et cette question mérite d'être examinée.
Mais cette modification de la réglementation ne répond pas à la problématique que j'évoquais. Le déséquilibre, en matière de publicité, s'observe avec les quatre grands acteurs du numérique, tous extra-européens, qui d'ici à 2030 capteront 65 % du budget publicitaire média. C'est dans ce secteur que sont en jeu les sommes les plus importantes.
La proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle du sénateur Laurent Lafon est en cours de navette parlementaire. Elle vise notamment à modifier le délai minimal à l'issue duquel une chaîne peut être cédée après la délivrance de son autorisation d'émettre sur la TNT ou le renouvellement de celui-ci. Quel est votre avis – si vous souhaitez en émettre un – sur l'évolution éventuelle du délai et de la procédure ?
Nous auditionnerons la semaine prochaine les dirigeants du groupe CMA CGM, qui viennent de signer une promesse de vente en vue de l'acquisition d'Altice Media, maison mère notamment de BFM TV. À quelles règles la vente est-elle soumise avant que la chaîne demande éventuellement un renouvellement ?
Vous comprendrez que ma réponse soit prudente. Je peux néanmoins rappeler les règles, dont les groupes concernés par cette opération sont bien évidemment informés. Deux procédures vont cheminer en parallèle.
Les autorités de concurrence devront se prononcer. Compte tenu de la taille du groupe CMA CGM, les autorités bruxelloises de la Commission européenne seront sans doute saisies mais, dans la mesure où l'opération ne concerne à ma connaissance que le marché domestique, elles renverront probablement le dossier vers l'Autorité de la concurrence française. Celle-ci devra statuer sur le bien-fondé de l'opération au regard du code du commerce, en étant notamment vigilante au risque d'abus de position dominante. Un dialogue pourra s'instaurer le cas échéant entre nos deux autorités, qui travaillent ensemble de façon très étroite et échangent fréquemment, dans un climat de grande confiance.
La seconde procédure sera menée par l'Arcom : comme vous le savez, les changements de contrôle sont en effet soumis à l'agrément du régulateur sectoriel. Nous serons très probablement conduits, dans le cadre des règles fixées par l'article 42-3 de la loi de 1986, à réaliser une consultation publique, vraisemblablement suivie d'une étude d'impact. Nous examinerons ensuite, bien sûr, la conformité de l'opération aux règles sectorielles anticoncentration.
Les deux groupes ont été informés du fait que l'Autorité ne modifiera en rien le calendrier qu'elle s'est fixé dans le cadre de l'appel à candidatures pour les fréquences arrivant à échéance en 2025.
Vous savez que la règle des cinq ans a été adoptée à l'issue de la commission d'enquête sur les conditions d'octroi d'une autorisation d'émettre à la chaîne Numéro 23 et de sa vente. Le rapporteur en était M. Marcel Rogemont, que vous avez auditionné. Le dispositif adopté par le législateur est d'une double nature, à la fois réglementaire – rendant impossible le changement de contrôle dans les cinq ans suivant le renouvellement d'une autorisation – et fiscal. Ma conviction, c'est que la bonne réponse est fiscale et qu'elle consiste en une taxation réellement dissuasive, voire confiscatoire, de la plus-value. Cette réponse me semble préférable à la fixation d'un délai minimal de cinq ans.
Je comprends l'intention du législateur de l'époque, qui souhaitait éviter qu'un nouvel entrant n'adopte une logique spéculative. La situation est différente aujourd'hui avec des groupes historiques, inscrits de longue date dans le paysage audiovisuel et dont l'autorisation arrivant à échéance pourrait être renouvelée ou non.
Il me semble en outre que bloquer durablement un actionnaire au sein d'un groupe comporte de lourds inconvénients. La période actuelle est marquée par une concurrence effrénée et par la nécessité, pour les groupes, de redéfinir leur stratégie en conséquence. Or un actionnaire souhaitant se retirer ne peut pas porter pleinement un projet de management destiné à adapter l'entreprise. En ce sens, je comprends ce qui motive la proposition de loi que vous évoquiez, qui a été adoptée par le Sénat et dont je ne préjugerai pas du sort à l'Assemblée nationale.
Je vous remercie pour ces explications très claires. Je précise, à l'attention de mes collègues, qu'un groupe possédant plusieurs chaînes dont les calendriers de renouvellement par l'Arcom sont différents peut ainsi voir sans cesse repoussée, durant de nombreuses années, la possibilité d'un changement de contrôle.
Je cède maintenant la parole au rapporteur, en vous remerciant chers collègues pour votre patience. Cette audition est particulièrement importante, dans la mesure où, sans les clore, elle intervient à la fin de ce cycle de nos travaux.
Vous avez précisé, monsieur Maistre, que l'Arcom nous avait communiqué de très nombreux documents. C'est effectivement le cas, et je vous en remercie.
En revanche, nous n'avons pas reçu de réponse écrite au questionnaire ; peut-être est-ce lié à un problème technique ? Quoi qu'il en soit, nous vous remercions par avance de bien vouloir nous transmettre par écrit les réponses aux questions qui vous ont été transmises ainsi qu'à celles que nous pourrions vous poser en complément. Il n'y a cependant aucune urgence.
Je découvre ce retard. Nous avons eu à cœur de répondre dans les délais et le plus rapidement possible à vos demandes, et avons dû pour cela rapatrier un grand nombre de documents des Archives nationales. De quel questionnaire s'agit-il exactement ?
Il s'agit du questionnaire que nous vous avions fait parvenir avant votre première audition, le 14 décembre dernier, et que vous deviez nous renvoyer dans la foulée de celle-ci.
Quoi qu'il en soit, ce retard n'est absolument pas considéré comme une marque de mauvaise volonté : nous avons pu constater que vous nous aviez bien communiqué les documents demandés.
Commençons justement par nous plonger dans les archives. La plupart des procès-verbaux transmis sont très laconiques, s'apparentant davantage à des relevés de décisions. Est-ce une pratique ancienne ? Doit-elle évoluer ? J'ai le sentiment d'être entravé dans ma compréhension des différents cas que je peux regarder.
C'est tout à fait exact : les procès-verbaux de l'Autorité sont des relevés de décisions et non des verbatims.
Je trouve que c'est ennuyeux.
Quinze renouvellements, c'est totalement inédit. Avez-vous eu besoin de recruter des personnes supplémentaires pour traiter ce surcroît de travail qui s'ajoute manifestement à la gestion des affaires courantes ?
Non, nous n'avons pas prévu de renforts spécifiques. Je vous ai présenté tout à l'heure l'évolution des effectifs de l'institution au cours des cinq dernières années. Il est vrai que ces renouvellements entraînent une lourde charge de travail mais sachez qu'à l'Arcom, d'une façon générale, on travaille beaucoup.
Cette hausse de la charge de travail est manifestement exceptionnelle. Je crains que le renfort d'une centaine d'équivalents temps plein issus de la fusion entre le CSA et la Hadopi ne soit pas suffisant pour y faire face. Peut-être faudrait-il recruter des personnes en contrat temporaire ? Je suis un peu inquiet.
Je vous remercie de votre sollicitude. Tous les concours que le Parlement accordera à l'Autorité dans les années à venir seront bienvenus, même si, en tant que magistrat de la Cour des comptes, je suis toujours très parcimonieux en la matière.
Nous avons entamé la procédure en juin dernier avec une consultation publique. Il nous a d'abord fallu préparer le questionnaire, analyser l'ensemble des réponses que nous avons reçues – qui vous ont été transmises – puis en élaborer la synthèse et enfin réaliser l'étude d'impact. Ces différents travaux sont menés en parallèle par deux directions différentes, celle des études et celle de la télévision. Plusieurs équipes sont ainsi impliquées dans le dossier. La rédaction de l'appel à candidatures a constitué un moment important de la procédure : vous avez pu constater qu'il s'agissait d'un document très complet. Nous l'avons solidement renforcé, en y intégrant des attentes et des exigences supplémentaires.
Nos services – qui sont occupés entre-temps sur autre chose, je vous rassure – attendent les dossiers de candidature d'ici au 15 mai. D'ores et déjà, nous commençons à réfléchir à la trame des futures conventions, sur lesquelles nous travaillerons dans la seconde phase de la procédure. Les conventions de TF1, M6 et Canal+ ont été largement réécrites – de même que celle d'Europe 1, d'une certaine façon, à la suite de l'offre publique d'achat (OPA) de Vivendi sur le groupe Lagardère. Cela nous permet d'anticiper les étapes à venir. Il est vrai néanmoins que le plan de charge de l'Autorité et de votre serviteur, cette année, est particulièrement dense.
De quels moyens contraignants disposerait éventuellement l'Arcom pour contrôler le respect des obligations des éditeurs ? Pourrait-elle par exemple, comme l'Autorité de la concurrence, exercer un contrôle sur pièces et sur place ?
Nous n'avons pas ce pouvoir que je qualifierais, sans être certain que ce terme soit le bon, d'intrusif. Il est vrai que l'Autorité de la concurrence dispose de pouvoirs très puissants. Mais l'Arcom intervient dans le champ des libertés publiques fondamentales. Elle veille notamment au respect de la liberté de communication, qui est très protégée. Vous imaginez combien pourrait être sensible une perquisition de l'Arcom au sein d'un groupe de médias. Il serait difficile de lui attribuer le pouvoir intrusif que vous évoquez.
Je voudrais vous donner lecture du dix-huitième considérant de la décision du Conseil d'État de février dernier : « Eu égard à leur nature, les obligations d'un éditeur de service en matière d'indépendance de l'information sont au nombre de celles dont la méconnaissance peut être constatée par l'Arcom non seulement au regard d'un programme donné, mais également au regard de l'ensemble de ses conditions de fonctionnement et des caractéristiques de sa programmation. »
Compte tenu de cet avis, ne considérez-vous pas que les prérogatives que je viens d'évoquer vous aideraient à exercer votre contrôle ?
Je vous remercie d'évoquer ce point, qui a été peu relevé. Le débat s'est en effet focalisé sur la question du pluralisme, à laquelle nous travaillons à répondre en dépit des difficultés que je ne vous ai pas cachées.
Il me semble l'avoir déjà évoqué lors de ma précédente audition, l'application concrète des dispositions relatives à la transparence de la loi Bloche soulève au quotidien des difficultés qui sont loin d'être négligeables.
Nous avions d'abord répondu à Reporters sans frontières que nous contrôlions l'indépendance sur la base d'éléments tangibles, c'est-à-dire sur la base de séquences de programmes ayant entraîné notre saisine ou notre autosaisine. La procédure à l'encontre de la chaîne C8, faisant suite à l'épisode concernant le député Louis Boyard, en est l'exemple typique. Nous avons prononcé une sanction mais avons aussi souhaité, de façon inhabituelle, prononcer une mise en demeure sur le terrain de l'atteinte à l'indépendance. Nous avons en effet eu le sentiment que l'animateur avait fait obstacle par tous les moyens à ce que son invité critique l'actionnaire de l'entreprise : nous disposions d'un élément tangible.
Le Conseil d'État nous dit que ce n'est pas suffisant et qu'il nous faut porter une appréciation plus globale. Je comprends le sens de sa décision. Nous pouvons demander des éléments à l'éditeur, mais je ne suis pas certain qu'il nous communiquera une instruction écrite de son actionnaire lui demandant d'orienter le travail de sa rédaction dans une direction ou dans l'autre ! Nous pouvons aussi interroger le Chipip. Mais la construction matérielle de la démonstration d'un manquement, nécessaire pour fonder notre décision en fait et en droit, est très délicate. C'est sans doute, en l'état actuel des pouvoirs dont dispose l'Autorité, le point le plus délicat à mettre en œuvre dans la décision du Conseil d'État – à moins, encore une fois, d'un constat manifeste dans les programmes. Si un journal télévisé est entièrement consacré à la gloire de l'actionnaire, la démonstration est faite ! Mais comment avoir connaissance de ce qui se dit dans les réunions internes ? L'influence d'un actionnaire sur une rédaction est quelque chose de subtil…
Merci de votre réponse. C'est une question à laquelle je suis particulièrement confronté en tant que rapporteur. Il me semble que nous ne pourrons pas aboutir sans élaborer un faisceau d'indices. L'influence d'un actionnaire est plus ou moins subtile, néanmoins, et doit pouvoir se mesurer : nous devrions pouvoir obtenir des résultats.
Je crois que nous nous sommes bien entendus sur les mots, mais il ne suffit pas de pressentir : sur le terrain du droit, il faut pouvoir étayer une démonstration avec des éléments de fait et de droit. Là est la difficulté.
Disposant de prérogatives que vous n'avez pas pour l'instant, nous pourrons éventuellement essayer de vous fournir du grain à moudre.
La notion d'indépendance doit-elle, selon vous, s'entendre à l'égard de l'actionnaire exclusivement, ou à l'égard du pouvoir politique également ?
L'indépendance de l'Autorité elle-même est entière vis-à-vis du pouvoir politique – cela va sans dire – comme vis-à-vis des acteurs économiques. Je vous remercie d'évoquer ce point qui nous tient beaucoup à cœur. On ne régule bien que ce que l'on connaît bien : l'exercice de cette magnifique mission qu'est la régulation suppose d'être à l'écoute des acteurs, de connaître les évolutions et les problématiques du secteur ainsi que la réalité économique et éditoriale des entreprises.
Mais il faut aussi savoir se tenir à distance de ces acteurs ; c'est un point auquel je suis, comme les autres membres du collège, très attaché. Je l'ai dit, le terme de corégulation utilisé par certains est inapproprié. Il y a la loi, les éditeurs et le régulateur, dont le rôle consiste à veiller à l'application du dispositif. Un bon régulateur ne se fait pas que des amis ; j'en fais l'expérience quotidienne. Une bonne régulation est par nature contentieuse. L'essentiel de nos décisions se retrouvent un jour devant une juridiction.
La loi est très claire à cet égard : les rédactions, qu'elles soient publiques ou privées, doivent pouvoir exercer leur métier en toute indépendance, aussi bien vis-à-vis de l'actionnaire que vis-à-vis des autorités politiques. Elles n'ont pas à être le relais de formations politiques, même si elles disposent d'une certaine liberté éditoriale au titre des principes de la liberté d'expression.
Étant taquin, comme chacun a pu le constater, je vais vous soumettre un cas d'espèce. D'après un journaliste de L'Express, le Premier ministre aurait dit par téléphone à un directeur de chaîne de télévision : « Tu changes le bandeau tout de suite sinon tu ne viens plus dîner avec moi à Matignon. » Considérez-vous que ces propos pourraient constituer une atteinte à l'indépendance ? Ou bien estimez-vous que, si le bandeau n'a pas été changé, cette atteinte n'a pas eu lieu ?
Je confirme que vous êtes taquin, monsieur le rapporteur.
Le contrôle exercé par l'Arcom concerne l'indépendance vis-à-vis de l'actionnaire. C'est bien dans ce sens que va la décision du Conseil d'État du 13 février dernier.
Vous n'avez donc pas la responsabilité de vérifier, par exemple, qu'un directeur de chaîne ne déjeune pas tous les mois avec un responsable politique – fût-il ministériel ?
Considérez-vous que la tenue régulière de ce type de déjeuner constituerait une atteinte à l'indépendance d'une chaîne ?
La liberté d'un journaliste – une noble fonction qu'ont exercée certains députés ici présents – passe nécessairement par des échanges avec les responsables politiques, que ceux-ci soient parlementaires ou membres de l'exécutif. Très clairement, l'Arcom n'a pas pour mission de sonder les reins et les cœurs des journalistes pour savoir qui ils rencontrent et avec qui ils déjeunent.
J'évoquais un directeur de chaîne ; je laisse les journalistes à leur travail et à leurs déjeuners.
Revenons aux autorisations. Vous avez indiqué être en total désaccord avec l'idée qu'elles découleraient d'une négociation – rejoignant Rodolphe Belmer, qui nous a dit « ce n'est pas une négociation : nous étions déjà sélectionnés ». Cette formule a de quoi nous interpeller, car elle laisse entendre que, contrairement à ce que vous avez affirmé, la messe était dite, si vous me passez l'expression, avant même qu'une nouvelle convention soit signée.
Je ne partage pas du tout cette analyse. La loi est très claire sur ce point. L'Autorité détient là un réel pouvoir, car c'est elle qui décide de délivrer ou non l'autorisation. Dans le cadre d'une procédure d'appel à candidatures, elle examine les différentes candidatures, comme elle l'a fait au moment du renouvellement des autorisations de TF1 et de M6. Le dossier de Xavier Niel, qui présentait de nombreuses qualités, a fait l'objet d'un examen approfondi et a été mis en balance avec les autres, après quoi l'Autorité a fait un choix.
L'étape qui suit l'examen de la recevabilité des dossiers et les auditions publiques des candidats est une étape de présélection : la loi énonce clairement que la délivrance de l'autorisation est subordonnée – les mots choisis par le législateur ont un sens – à la signature de la convention. L'Arcom consigne tel un notaire les engagements que l'éditeur présélectionné a mentionnés dans le dossier écrit et précisés à l'occasion des auditions publiques, et analyse le dossier au regard des dispositions de la loi de 1986. Si l'éditeur refuse de signer la convention, le régulateur peut revenir sur son choix et opter pour un autre candidat. Les jeux ne sont donc pas faits ; la loi est très claire sur ce point, quoi qu'en dise M. Belmer.
Son erreur d'appréciation lui aura peut-être permis de passer des nuits plus sereines.
Il a été question tout à l'heure de l'inflation du nombre d'obligations prévues par les conventions. Il me semble, à l'inverse, que les conventions sont souvent renégociées dans le sens d'un assouplissement, les éditeurs mettant en avant l'évolution du contexte, l'érosion du marché publicitaire ou leurs difficultés financières. Mais je peux me tromper. Confirmez-vous ma perception ? Ce phénomène ne conduit-il pas à une homogénéisation des programmes, à un abaissement des exigences et à une dégradation de la qualité des services autorisés ?
Je ne partage pas du tout ce constat. L'état d'esprit du collège est très clair : la tendance qui sera suivie lors de l'attribution des fréquences pour 2025 sera bien celle qui a été observée s'agissant de TF1 et de M6. Je ne sais pas à quels cas spécifiques vous faites référence en parlant d'allégement des obligations. En tout cas, la jurisprudence du Conseil d'État est sans équivoque : on ne peut pas apporter de modifications substantielles à une convention en cours d'exécution ; les ajustements éventuels ne peuvent être que marginaux. En effet, dans la mesure où c'est pour ses engagements que nous choisissons l'un des candidats, une telle modification romprait l'égalité entre lui et ses concurrents.
Si vous avez un exemple plus précis, je suis prêt à l'examiner. Je n'ai en tête qu'une convention qui a fait l'objet de petits ajustements, celle de RMC Découverte, mais ce changement a été compensé par d'autres obligations.
Je m'intéresse aussi à la durée de la négociation – ou de la discussion – entre l'éditeur et le régulateur. J'ai bien un exemple, celui de TF1 – le sujet a été évoqué avec M. Belmer –, dont les obligations de diffusion de magazines politiques, en particulier le périmètre de ces derniers, leur nature, le moment de leur diffusion, ont fait l'objet de discussions entre 2017 et 2023. La convention a été modifiée à deux reprises, en 2018 et en 2023. Néanmoins, l'Arcom a dû faire des rappels à l'ordre, constatant année après année que TF1 semblait considérer que l'ouverture de la discussion suspendait les obligations prévues par la convention. Même si vous n'avez pas cet exemple précisément à l'esprit, n'hésitez pas à réagir.
Lors de l'élaboration de la nouvelle convention de TF1, signée en 2023, nous avons remis les choses à plat, notamment en prenant en compte l'existence au sein du groupe d'une chaîne d'information en continu. En ce qui concerne les magazines politiques, de mémoire – mais nous pourrons vous adresser une réponse écrite plus précise –, nous avons relevé ce point dans nos bilans annuels et l'avons signalé à TF1. Il a donc naturellement été abordé lors de l'établissement des obligations de la nouvelle convention.
Ce non-respect de l'obligation, année après année, n'a donc suscité aucune mise en demeure ou dispositif équivalent. On a simplement constaté que les programmes n'étaient pas en conformité avec les obligations de la chaîne.
Oui, mais on a constaté en même temps que l'offre politique était très présente d'une autre manière sur cette chaîne généraliste et que la vie politique y bénéficiait d'un espace, bien que ce ne soit pas sous la même forme.
C'est l'occasion pour moi de dire très clairement qu'un éditeur peut évidemment modifier sa grille de programmes. À chaque rentrée de septembre, TF1, M6 ou Canal+ présentent leur grille pour l'année suivante. Ces ajustements ne sont pas soumis au contrôle du régulateur.
Vous me tendez une perche : les représentants de Reporters sans frontières ont justement évoqué le sujet, estimant que la catégorisation des émissions n'était pas assez précise. De votre côté, vous avez évoqué le cas d'émissions qui concourent à l'information, et notamment la notion d' infotainment ; cette dernière n'est pas une catégorie que vous utilisez pour caractériser les programmes. Serait-il utile que l'Arcom entre davantage dans les détails en la matière et caractérise davantage les programmes ?
Cela me fournit l'occasion de vous dire que nous avons un héritage en matière de conventions et que l'état d'esprit du collège que je préside est de veiller à ce que les conventions soient le plus précises possible dans la description du format de la chaîne et des obligations qui lui incombent.
En ce qui concerne les émissions qui concourent à l'information, comme vous l'avez vu, dans nos procédures de sanction, nous leur avons appliqué à plusieurs reprises les mêmes règles qu'à des émissions d'information « pure ». Dès lors qu'une émission relevant a priori du divertissement traite de sujets d'information « lourds », les mêmes règles doivent en effet valoir en matière d'honnêteté, de rigueur et de pluralité des points de vue s'agissant des sujets de controverse. Les mises en demeure que nous avions prononcées ont été contestées devant le Conseil d'État, qui nous a donné raison. Il existe désormais une jurisprudence claire. En matière de pluralisme, dans le cadre de la mise en œuvre de la décision du Conseil d'État du 13 février dernier, nous prendrons en compte les émissions d' infotainment au même titre que celles d'information classique.
L'Arcom évalue la valeur financière d'une autorisation d'émettre sur les fréquences attribuées. Avez-vous estimé la valeur de la numérotation ?
Non, cela ne fait pas partie de nos missions. En revanche, parmi les critères de sélection, nous vérifions, au vu du plan d'affaires que le candidat doit présenter devant l'Autorité, sa capacité à assurer pendant la durée de son autorisation le maintien de l'exploitation du signal dans le format qu'il a proposé. Nous n'évaluons pas en tant que telle la valeur de l'actif de la société elle-même – à distinguer de celle de la fréquence : ce qui est cédé lors d'une reprise, c'est une entreprise.
Certes, mais dans le cas du rachat prochain d'Altice Media, on peut supposer que le rang de la numérotation contribue à la valorisation. Le montant annoncé dans la presse est en effet sans commune mesure avec celui du précédent achat. Pour juger de la pertinence et de l'« intégrité » de l'opération, encore faut-il savoir ce qui est réellement vendu : des meubles, une rédaction ou aussi une position sur un marché ? De ce point de vue, j'ai du mal à comprendre que l'Arcom ne cherche pas à estimer la valeur de ce qui est en jeu.
Sur ce point, la loi est très claire. Elle nous impose l'obligation de veiller, lors de l'attribution des fréquences, au pluralisme des acteurs, c'est-à-dire au pluralisme externe – d'ailleurs, le nombre de fréquences par opérateur pouvant être autorisées est limité –, ainsi qu'à l'équilibre économique de l'entreprise : l'éditeur que nous allons retenir aura-t-il la capacité de maintenir durablement le projet qu'il a soumis au régulateur ? La valorisation de l'actif lui-même est différente et n'entre pas dans nos prérogatives.
En ce qui concerne la valeur économique des fréquences, on nous a précisé que l'État avait investi et continuait de pouvoir maintenir les fréquences. Le confirmez-vous ?
Cette évaluation est difficile mais, puisque cela relève du domaine public, il est important de savoir si la valeur des fréquences est surestimée ou sous-estimée. Au vu des offres de rachat des entreprises qui utilisent des fréquences, ce serait intéressant. J'ai été étonnée, il y a plusieurs semaines, de ne pas avoir de réponse à ce sujet de la part de responsables de chaînes et de groupes. Quand on est capitaine d'industrie, comment ne pas soupeser, d'une part, ce que vous rapporte une fréquence, notamment par la publicité, et, d'autre part, les obligations de la chaîne ?
Celles-ci peuvent porter sur le financement de la création, et nous nous en réjouissons, mais vous avez aussi parlé de l'exigence d'information. À ce titre, au-delà de la diffusion elle-même, l'obligation pourrait-elle porter sur l'investissement dans l'emploi de journalistes ou dans l'utilisation de certains moyens servant cette information ?
Certaines chaînes utilisent depuis plusieurs années une fréquence de la TNT mais ne sont pas encore rentables. Vous veillez à la viabilité économique des chaînes auxquelles est attribuée une fréquence ; ne peut-on s'interroger aussi sur les ambitions politiques qui poussent à se procurer un canal d'influence ? Au bout d'un moment, ne devrait-on pas exiger une certaine rentabilité de la part des chaînes qui occupent une fréquence ?
Sur le premier point, soyons clairs : tous les dispositifs qui permettent la diffusion de la TNT sont gérés par des entreprises privées – TDF (Télédiffusion de France) à titre principal, Towercast à titre secondaire. Ce sont elles qui supportent entièrement le coût d'entretien des infrastructures permettant aux Français de recevoir la TNT. Quant aux coûts de diffusion, ils sont intégralement assumés par les éditeurs – c'est une des contraintes de la TNT, car ils sont élevés. Autrement dit, le contribuable ne finance en rien ni les infrastructures ni les coûts de diffusion, sauf, cela va sans dire, pour le service public.
Je trouverais compréhensible que les critères de sélection incluent l'effort des candidats en matière d'information, surtout pour les chaînes d'information. C'était l'une des pistes du rapport sénatorial sur la concentration des médias. La question de savoir en quels termes formuler ce critère ne relève pas de ma compétence. En tout cas, dans un paysage où les chaînes d'information occupent une grande place et jouent le rôle que l'on sait dans le débat public, je ne serais pas choqué qu'elles soient tenues de consacrer une part prépondérante de leurs programmes à l'information nationale et internationale sous forme de journaux télévisés, de reportages et de magazines réalisés par une rédaction professionnelle.
Sur le troisième point, si un candidat ne nous présente pas un projet assorti d'un plan d'affaires structuré et solide, c'est un motif de rejet de la candidature en amont. En revanche, je le répète, nous apprécions la capacité d'un candidat à assumer son projet pendant la durée de l'autorisation ; cela ne veut pas dire être rentable année après année. Le dossier de candidature de Xavier Niel, par exemple, prévoyait une phase initiale d'investissement important qui pouvait se traduire par des déficits d'exploitation ; ce sont des éléments que nous comprenons bien. L'intégration dans un groupe peut aussi faire varier les paramètres économiques pour les candidats.
Alors que chaque foyer compte en moyenne six écrans, le pluralisme peut être menacé pour tous les médias de contenus – presse écrite, radio, télévision. Quelles sont vos pistes pour conforter le modèle économique des médias traditionnels afin qu'ils résistent aux géants du numérique, les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), et à leur captation du marché publicitaire ? Êtes-vous favorable à la taxe sur les géants du numérique, éventuellement fléchée ?
Le déséquilibre est manifeste, et potentiellement durable, entre les quatre grands acteurs du numérique, qui vont capter une part croissante des recettes publicitaires dans les années qui viennent, et nos acteurs nationaux, qui peinent à compenser l'écart malgré leurs efforts. Le rééquilibrage passera à mon sens par des mécanismes de régulation, certainement au niveau européen. L'idée que vous évoquez pourrait être une piste de réflexion.
L'Union européenne est en train de se doter d'un texte important pour établir un corpus commun protégeant la liberté de nos médias, nos services publics et le métier de journaliste. Le corollaire est d'assurer un modèle de financement pérenne – le texte l'évoque à propos des médias de service public. La logique des droits voisins peut être une source d'inspiration.
La récente décision du Conseil d'État relative à CNews et à ses nombreux débordements était attendue face à des dérives facilement observables. Je suis sûr que vous saurez trouver les réponses adéquates pour toutes les chaînes de la TNT, dont les fréquences, qui appartiennent à l'État, sont donc un bien public en quantité limitée.
Avez-vous subi des pressions politiques depuis votre prise de fonctions, y compris au CSA ? Êtes-vous au courant de mouvements en ce sens visant d'autres membres du collège ? Lors de son audition, Olivier Schrameck a avoué que François Hollande lui avait fait part de ses opinions sur la nomination, en 2015, de la nouvelle présidente de France Télévisions.
On vous sait attaché à l'indépendance de votre institution, reconnue par tous. Pouvez-vous nous rappeler les mécanismes qui l'assurent, notamment en empêchant les conflits d'intérêts ?
La régulation a vu le jour au début des années 1980. Il lui a fallu deux alternances politiques pour commencer à se stabiliser et une multiplicité de textes intervenus au fil des ans pour être pleinement indépendante. Il y a les textes et il y a la façon dont on les incarne. Les derniers textes apportent beaucoup de garanties d'indépendance : la nomination des membres du collège par cinq autorités différentes, dont le Conseil d'État et la Cour de cassation ; l'examen des nominations par le Parlement ; la loi portant statut général des AAI et des API et la loi organique relative aux AAI et API, adoptées en 2017, et la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique avec l'obligation de déclaration d'intérêts et de patrimoine ; le régime d'incompatibilités très strict qui s'applique aux membres pendant leur mandat et dans les années qui suivent ; le renouvellement du collège par tiers tous les deux ans ; les votes confidentiels pour les décisions importantes, comme les nominations à la présidence des entreprises audiovisuelles publiques ; nos chartes et règlements déontologiques, ainsi que la présence d'un déontologue au sein de l'institution.
L'indépendance, c'est aussi une manière d'agir et ce sont les valeurs que l'on porte en soi. Il y a des magistrats au sein de l'institution ; j'en suis un moi-même. Mais l'indépendance ne se décrète pas, elle se prouve jour après jour par les décisions que nous prenons. Et j'ai la faiblesse de penser que, depuis cinq ans, aucune des décisions prises par l'Autorité ne porte la marque d'une quelconque influence extérieure. Pour ce qui me concerne, je n'ai subi aucune pression extérieure de quelque nature que ce soit et j'ai exercé ma mission en toute indépendance et en toute impartialité depuis la première heure de mon mandat ; je compte faire de même dans les quelques mois qui me restent à occuper ces fonctions.
La réforme du système des droits voisins peut-elle permettre le rééquilibrage entre les géants du numérique et nos médias de contenus ?
Je l'ai dit, c'est une piste à explorer. En tout cas, nous avons besoin d'un mécanisme de régulation à l'égard de ces grands acteurs du numérique. Notre continent emprunte cette voie ; la Commission européenne sortante a pris plusieurs initiatives importantes en la matière – le DMA, le DSA, ce que vous venez de mentionner avec les initiatives fiscales. Le travail n'est pas achevé et doit être poursuivi au bénéfice de nos médias de contenus, indispensables à l'équilibre de notre vie démocratique.
Je précise par souci de clarté que j'ai été journaliste pendant plus de quarante ans dans les groupes Radio France, Bertelsmann et TF1.
Comment faire respecter le pluralisme quand certains partis politiques refusent d'aller dans certains médias, sur certaines chaînes d'information en continu – vous aurez compris que je parle de CNews –, et que, a contrario, des émissions comme « Quotidien » se vantent de ne pas inviter des personnalités du Rassemblement national car, dit l'un de ses chroniqueurs, « nous ne sommes pas un service public, nous sommes sur une chaîne privée donc nous faisons un peu ce que l'on veut » ? Mon groupe a adressé au président Bataillon un courrier demandant que nous auditionnions les responsables de cette émission comme nous avons auditionné M. Hanouna.
J'accuse bonne réception du courrier des députés du groupe Rassemblement national membres de la commission d'enquête. Je vous répondrai dans la semaine, sans faute.
La décision prise par le Conseil d'État le 13 février s'impose à l'ensemble des médias, publics et privés. Les éditeurs doivent donc tous assurer le respect du pluralisme, principe à valeur constitutionnelle, et le régulateur se met en ordre de marche pour y veiller. Il ne doit pas y avoir de déséquilibre manifeste et durable à cet égard.
On ne peut naturellement pas forcer un représentant d'une formation politique à se rendre sur un plateau télévisé de la même manière qu'une commission d'enquête peut requérir la force publique pour faire venir une personne qui refuserait de témoigner devant elle. L'éditeur a la responsabilité d'apporter au régulateur la preuve de ce qu'il en est, dans le cadre de l'appréciation de son respect du pluralisme politique ; il y en a une trace écrite. Il n'empêche que le même média doit couvrir dans ses journaux d'information l'ensemble des formations politiques, notamment en période électorale. Nous avons adopté et présenté il y a peu une délibération en ce sens dans la perspective des élections européennes.
Quelles seraient les mesures législatives à prendre pour que les groupes audiovisuels français puissent résister aux mastodontes que sont Netflix, Amazon, Google et consorts ?
J'ai évoqué une série de pistes dans mon propos introductif, dont la nécessité de remettre sur le métier la loi de 1986 et de revoir les règles anticoncentration ; d'autres pistes ont été abordées au cours de l'audition. L'un des points décisifs est l'équilibrage du modèle de financement et, surtout, des réglementations applicables : il y a des asymétries à corriger. De ce point de vue, en obligeant les plateformes de diffusion de programmes en continu ou streaming à contribuer au financement de la production audiovisuelle et cinématographique au même titre que nos médias historiques et à exposer dans leur catalogue 30 % d'œuvres d'origine européenne, la directive SMA a représenté un progrès.
Député des 180 000 Français d'Israël, je souhaite vous alerter sur le déséquilibre et les manquements de nombreux médias publics dans le traitement du conflit israélo-palestinien. À mon sens, ils se sont aggravés depuis le 7 octobre 2023 à cause de la partialité de ces médias et de leur traitement biaisé de l'information, contraires aux règles de l'audiovisuel public. Je rappelle les graves propos antisémites de quatre journalistes de la chaîne arabophone France 24, dévoilés l'année dernière et qui sont le symptôme de rédactions presque unanimement acquises aux théories antisionistes. Hélas, cela a des conséquences directes sur la montée énorme de l'antisémitisme en France, qui a tué à plusieurs reprises – je sais que vous y êtes sensible.
Semaine après semaine, les chaînes du service public organisent les mêmes débats orientés, répétant en boucle les mensonges d'apartheid et de génocide sans la moindre contradiction. C'est le service public qui a fait la promotion d'une militante propalestinienne devenue candidate La France insoumise (LFI) aux élections européennes et affirmant que le Hamas mène une action légitime. Est-ce le rôle du service public de promouvoir des militantes radicales recrutées à l'extrême gauche ?
A contrario, les chaînes du service public n'ont jamais jugé opportun d'inviter ne serait-ce qu'une seule fois le député de la circonscription, qu'il s'agisse de France Inter, de France Médias Monde, de France 2 ou de France 5. LCP n'a pas consacré une minute à la commission d'enquête sur Sarah Halimi alors que celle sur l'affaire Benalla a été diffusée et que la présente commission d'enquête l'est également.
L'Arcom doit veiller à la pluralité des courants de pensée et à l'équilibre des opinions. CNews est régulièrement sanctionnée. Le service public a-t-il déjà fait l'objet d'une mise en demeure ? La décision du Conseil d'État s'appliquera-t-elle aussi à lui, qui sert l'intérêt général, et non pas seulement à CNews, chaîne privée qui cristallise toute la détestation de l'extrême gauche ?
Je vous remercie pour votre question. Je sais que vous êtes sensible à ce sujet – vous avez d'ailleurs souhaité me rencontrer pour que nous puissions l'évoquer ensemble, et je répondrai naturellement très volontiers à votre invitation.
Vous nous aviez déjà alertés à propos de France 24. J'avais eu l'occasion de vous répondre que les journalistes incriminés avaient utilisé les réseaux sociaux et que nous n'avions pas la possibilité d'intervenir dans ce secteur, qui échappe à notre compétence. J'avais néanmoins alerté la présidente de France Médias Monde sur ce point.
Plus globalement, j'ai pris l'initiative de réunir, après les événements tragiques du 7 octobre 2023, l'ensemble des directeurs de l'information des groupes de médias publics et privés pour leur rappeler les dispositions d'une délibération relative aux situations de guerre ou de terrorisme par laquelle l'Autorité appelle explicitement les médias à faire preuve d'une extrême rigueur dans la couverture des événements, à vérifier très attentivement les sources de leurs informations et à veiller à la mesure et à l'équilibre des points de vue présentés. Nous veillons bien évidemment à la bonne application de ces dispositions. Nous ferons tous les rappels à l'ordre nécessaires, en utilisant le cas échéant les outils à notre disposition.
Je le répète devant vous, le service public est soumis aux mêmes règles de pluralisme que les médias privés. Il nous arrive de lui faire des rappels à l'ordre lorsque nous constatons certains déséquilibres en matière de pluralisme politique, par exemple. La loi, telle que le Conseil d'État l'a interprétée dans sa décision du 13 février dernier, s'appliquera à tout le monde.
Ma première question complémentaire porte sur le fonctionnement de l'Arcom. Lors de votre première audition, vous nous avez expliqué que votre métier n'était pas de « regarder, matin, midi et soir » les trente et une chaînes de la TNT – ce que je comprends aisément, d'autant qu'un tel travail serait assez pénible. Néanmoins, Olivier Schrameck a évoqué devant notre commission d'enquête l'existence, pendant son mandat, d' « une équipe d'une douzaine de jeunes agents […] chargée de l'observation des programmes, de jour comme de nuit, y compris durant les jours fériés ». Cette équipe existe-t-elle encore ? A-t-elle été dissoute et remplacée par d'autres mécanismes ?
Je confirme l'existence d'une équipe permanente, constituée de salariés au statut permanent. Nous sommes attentifs à leurs conditions de travail, comme à celles de tous les collaborateurs de l'Autorité – cela va sans dire. Nous leur apportons des renforts pendant les périodes plus chargées, en particulier lors des campagnes électorales.
Il existe en réalité plusieurs équipes chargées de contrôler le respect des obligations des acteurs de l'audiovisuel. Celle à laquelle vous faites référence veille notamment au respect du pluralisme, en particulier en période électorale. Elle compte aujourd'hui environ treize personnes, auxquelles sont adjoints des vacataires, notamment en période électorale. Une autre équipe, constituée d'une dizaine de personnes, s'occupe des problèmes de discrimination et réalise, par exemple, des contrôles d'accessibilité. Une troisième équipe, d'une quinzaine de personnes, s'assure du respect des obligations de production et de diffusion. Je mets de côté les autres services soumis à la juridiction de l'Arcom tels que les plateformes en ligne, puisque nous avons créé une direction spécifiquement dédiée à ce secteur.
Sauf erreur de ma part, nous vous avons transmis, conformément à votre demande, la quasi-totalité des signalements que nous avons reçus depuis 2016. Vous avez pu constater que chaque signalement fait l'objet d'une analyse complète portant à la fois sur le contenu de la séquence litigieuse, qui est revisionnée, et sur les considérations juridiques qui s'y attachent. Chaque dossier est ensuite examiné par un groupe de travail présidé par un ou plusieurs membres du collège, avant d'être soumis au collège tout entier. Il arrive régulièrement que nous revisionnions, en assemblée plénière, telle ou telle séquence pour déterminer notre position ou finaliser notre délibéré – nous l'avons encore fait tout récemment. Je salue le travail très approfondi réalisé par l'ensemble de nos équipes, en lien avec la direction juridique, elle aussi pleinement mobilisée, puisque, vous l'avez compris, notre régulation comporte une très forte dimension juridique.
Revenons à la question du pluralisme et aux suites données à la décision du Conseil d'État. Lors de précédentes auditions, en particulier durant celle des représentants de RSF, nous avons évidemment évoqué la question de la liberté éditoriale et de la définition que l'on pouvait donner de cette notion. Quelle est celle adoptée par l'Arcom ? L'idée a été émise que l'élaboration par les chaînes d'une charte éditoriale précisant leur positionnement pourrait profiter à la régulation dans la mesure où elle permettrait de distinguer ce qui relève de la ligne éditoriale et ce qui constitue plutôt l'expression d'une opinion. Qu'en pensez-vous ?
La liberté éditoriale est la liberté laissée à l'éditeur de choisir les sujets qu'il souhaite traiter, la manière dont il souhaite le faire et les personnalités qu'il souhaite inviter, dans le respect de ses obligations législatives et du format déterminé par l'autorisation qui lui a été délivrée. L'élaboration de chartes propres à ces entreprises est une idée intéressante.
Vous l'avez dit vous-même, la décision du Conseil d'État a fait polémique. La chaîne intéressée au premier chef et de nombreux médias appartenant au même groupe ont longtemps et régulièrement affirmé qu'elle concernait uniquement CNews. Le caractère répété et manifestement concerté de cette appréciation, dont vous avez fait litière dès le début de votre propos, témoigne-t-il d'une forme de campagne menée contre cette décision ?
La décision du Conseil d'État porte sur un litige qui a opposé le régulateur à Reporters sans frontières au sujet d'une entreprise particulière. Nous allons réexaminer les deux points sur lesquels le Conseil d'État nous a demandé de nous prononcer. La décision ne va pas plus loin ; elle n'indique pas dans quel sens nous devons prendre position, ni que nous devons prononcer une mise en demeure ou entrer en voie de sanction. Je le redis très clairement, elle s'applique sans aucune ambiguïté à l'ensemble des médias audiovisuels. Chacun doit s'en convaincre.
Permettez-moi d'insister, car ma question n'était pas tout à fait celle-là. Elle portait sur le fait que l'affirmation contraire a été longuement répétée et assénée par de multiples personnes, que ce soit sur la chaîne CNews ou dans les différents médias appartenant au même groupe. Considérez-vous qu'une campagne a été menée contre la décision du Conseil d'État et qu'il ne pouvait pas s'agir d'un simple défaut temporaire d'appréciation ?
Cette décision a été abondamment commentée. J'ai effectivement constaté qu'un débat divisait la communauté des juristes : il s'est exprimé dans de nombreux médias de sensibilités extrêmement variées, et je pense qu'il est loin d'être terminé. J'ai été très frappé par l'évolution des réactions depuis la publication du communiqué du Conseil d'État. Beaucoup de journalistes travaillant pour l'ensemble des médias, privés comme publics, y compris de la presse écrite – alors que ces médias n'entrent pas dans le champ de notre régulation –, nous ont manifesté leur inquiétude, probablement du fait d'une lecture insuffisamment attentive d'une décision qui n'est pas si simple. Pour notre part, nous jonglons avec ces concepts à chaque instant ; ils font partie de notre quotidien et sont donc d'une grande évidence pour nous, ce qui n'est pas nécessairement le cas pour tout le monde. Nous avons ainsi vu des analyses erronées de la décision du Conseil d'État dans beaucoup d'endroits, et pas uniquement dans les médias auxquels vous avez fait allusion.
La décision de couvrir une actualité religieuse relève évidemment de la liberté éditoriale. Vos services ont néanmoins relevé que la prépondérance de contenus relatifs à la religion catholique sur CNews posait régulièrement question au regard du traitement très faible voire inexistant des autres religions. Comment appréciez-vous le respect, par cette chaîne, du pluralisme des courants de pensée et d'opinion en matière religieuse sur l'ensemble de la programmation ? À côté des religions, il existe d'ailleurs aussi des libres penseurs : l'Arcom pourrait demander à CNews de faire état de leurs convictions.
Le Conseil d'État nous invite à procéder à une appréciation élargie du pluralisme et à nous assurer de l'absence de déséquilibre manifeste et durable. Cette question pourra effectivement être prise en compte dans les réflexions du régulateur.
Les faits sont avérés et manifestes. Pourquoi cette situation ne s'est-elle pas traduite, jusqu'à présent, par un rappel à l'ordre ?
Les entreprises de service public sont soumises à des obligations spécifiques, inscrites dans leur cahier des charges, s'agissant de la couverture et du traitement de l'actualité des différentes religions présentes dans notre pays. Ce n'est pas le cas des entreprises du secteur privé. La programmation d'une émission permettant l'expression d'une sensibilité catholique, alors que d'autres sensibilités ont pu s'exprimer dans d'autres émissions, n'a pas suscité jusqu'à présent d'intervention du régulateur. Dans le cadre de l'appréciation élargie du pluralisme que nous venons d'évoquer, nous pourrons effectivement nous pencher sur cette question.
Vous avez été l'un des rédacteurs de la loi de 1986, mais vous avez aussi probablement vu de très près le fameux décret du 30 janvier 1987 fixant le cahier des charges imposé au cessionnaire de TF1 sur le « mieux-disant culturel ». Pourriez-vous nous éclairer sur l'histoire de ce texte ? Le groupe TF1 m'a fait valoir que son contenu n'était plus applicable depuis 2020 ou 2021, mais pourquoi les obligations relatives au mieux-disant culturel n'étaient-elles manifestement pas appliquées non plus auparavant ?
Afin d'éviter des développements trop longs, je préfère vous répondre par écrit sur ce point.
Je lirai avec beaucoup de curiosité votre analyse de l'histoire de ce texte, qui me paraît fondamental pour notre commission d'enquête.
Ma dernière question est liée à la viabilité économique des projets. Les chaînes de la TNT, pour la plupart, ne sont pas rentables à ce jour.
Jusqu'à présent les éditeurs ayant obtenu l'autorisation de diffusion étaient tous adossés au monde économique, selon le même modèle. Le coût d'entrée n'était donc pas considéré comme un obstacle. On peut imaginer que d'autres acteurs, qui n'appartiennent pas au monde économique, revendiquent leur liberté de communiquer. Que pourriez-vous proposer pour abaisser le coût d'entrée pour les acteurs associatifs ? Comment faire en sorte que la viabilité économique ne soit pas un critère dirimant pour leur candidature ?
Le cadre juridique actuel n'interdit pas à des formes juridiques autres, notamment associatives, d'être présentes dans le paysage.
C'est très usuel dans le secteur de la radio. Il existe un peu plus de 1 000 radios en France. Je ne suis pas sûr du chiffre, mais 500 d'entre elles, peut-être même 700, sont des radios associatives. Nous sommes très attentifs, dans notre mission de préservation du modèle radiophonique, à ce que les radios associatives, qui jouent un rôle de proximité important auprès des auditeurs, conservent toute leur place. Dans le déploiement de la radio numérique terrestre, nous veillons à maintenir le même équilibre entre radios de service public, radios privées et radios associatives que celui en vigueur sur la bande FM.
Cela ne s'applique pas aux fréquences de la TNT puisqu'aucune autorisation n'a été délivrée à des acteurs associatifs. Il nous arrive d'en autoriser sur d'autres modes de diffusion. Vous faites peut-être allusion à Le Média auquel une autorisation a été délivrée l'année dernière. Rien n'interdit d'être candidat mais il faut être capable de se conformer au modèle de la TNT, qui a de gros avantages mais aussi une grosse contrainte : il faut couvrir la totalité du territoire, à tout le moins plus de 95 %. Cela expose à des coûts de diffusion particulièrement lourds. La question se pose de la même façon en radio mais les coûts y sont souvent compensés par des contributions des collectivités territoriales puisque le régime de publicité est très encadré.
Il en est de même pour la plupart des chaînes de TNT locales qui sont presque toutes dans une situation d'équilibre économique grâce à un contrat d'objectifs et de moyens conclu avec une collectivité territoriale. Les acteurs que vous avez mentionnés doivent trouver un modèle économique dans lequel des ressources autres viennent compenser les coûts considérables liés à la couverture nationale et à la diffusion vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Une piste ne pourrait-elle pas se trouver dans l'obligation de diffusion vingt-quatre heures sur vingt-quatre, par exemple par la réduction de la plage horaire pour alléger les coûts ?
Le partage des canaux de diffusion, que ce soit pour des radios ou des télévisions locales, est rarement optimal, les expériences le montrent. C'est à la fois compliqué à gérer pour les diffuseurs et très peu lisible pour le téléspectateur ou l'auditeur. En outre, les fréquences étant rares, le réflexe naturel conduit à les attribuer à des opérateurs capables d'offrir une programmation toute la journée et toute l'année, sur l'ensemble du territoire.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la décision de l'Arcom sur les élections européennes et le suivi du respect du pluralisme à cette occasion ?
Je reviens en arrière un instant. J'ai oublié de mentionner, à propos de l'émission « En quête d'esprit », la procédure de sanction engagée sur le panneau relatif à l'interruption volontaire de grossesse. L'Arcom n'est donc pas inactive.
En ce qui concerne les élections européennes, du fait de notre double casquette désormais, nous avons adopté deux délibérations pour que les élections puissent se dérouler dans de bonnes conditions : la première est une recommandation relative au pluralisme politique qui s'adresse aux médias traditionnels ; la seconde comporte des préconisations en direction des plateformes et des réseaux sociaux.
La première a la particularité de porter à huit semaines avant le scrutin – contre six précédemment – la période au cours de laquelle les règles s'appliquent. Nous avons en effet estimé que la campagne électorale avait de fait déjà commencé. Nous avons donc demandé aux médias d'appliquer le principe de l'équité en vertu duquel sont pris en considération les résultats obtenus lors du précédent scrutin européen de 2019 ainsi que ceux des élections intermédiaires, les sondages mais aussi la dynamique de la campagne électorale – autrement dit, ceux qui sont actifs doivent être mieux couverts que ceux qui ne le sont pas J'ai le souvenir des élections européennes de 2019 auxquelles trente-quatre listes s'étaient présentées. Le contrôle du pluralisme est un exercice très mobilisateur pour l'Autorité.
La seconde, à destination des réseaux sociaux, porte sur tous les risques de manipulation de l'information. Compte tenu de la configuration géopolitique du continent, on sait que ces risques sont très élevés pour ce scrutin. Nous travaillons étroitement avec Viginum, le service à compétence nationale de vigilance et protection contre les ingérences numériques étrangères. La Commission européenne, avec laquelle nous collaborons également, a lancé une consultation et publiera prochainement des lignes directrices en direction des réseaux sociaux sur la couverture du scrutin européen. Nous avons réuni tous les éditeurs ainsi que les plateformes. Nous serons évidemment très attentifs au bon déroulement du scrutin avec nos deux familles d'interlocuteurs – médias traditionnels, d'un côté, et réseaux sociaux, de l'autre.
Nous saluons l'ensemble des membres du collège de l'Arcom qui vont suivre les élections européennes et faire vivre le pluralisme, à commencer par Anne Grand d'Esnon.
Nous aurons peut-être d'autres demandes de documents à vous adresser. Nous vous invitons à nous communiquer le questionnaire écrit qui doit faire suite aux auditions, la présente et celle du 14 décembre.
La commission auditionne M. Xavier Niel, président de NJJ Médias et M. Maxime Lombardini, vice-président.
Mes chers collègues, nous concluons cette matinée d'auditions en entendant M. Xavier Niel, président de NJJ Médias, et M. Maxime Lombardini, vice-président.
Monsieur Niel, tout le monde connaît votre réussite à la tête du groupe Iliad et de son opérateur de télécommunications Free. À partir de 2010, vous avez commencé à investir dans la presse – notamment dans Mediapart, Le Monde, Nice-Matin et France-Antilles. En 2016, vous avez créé Mediawan, groupe de production de contenus, qui possède dix-sept chaînes de télévision émettant sur le câble et sur le satellite, issues de l'acquisition du groupe AB. Vous investissez également dans de nombreuses startups : je ne citerai que l'École 42 et l'incubateur Station F.
Monsieur Lombardini, vous avez été secrétaire général de TPS, puis directeur du développement de TF1 et directeur général de TF1 Production, avant de rejoindre Iliad en 2007. Vous êtes aujourd'hui le président de son conseil d'administration. Vous êtes également président de Tigo, opérateur de télécommunications actif en Amérique latine. Vous êtes donc à la fois attributaire de fréquences radioélectriques et producteur de contenus audiovisuels.
Si nous vous recevons aujourd'hui, c'est parce que vous avez été, monsieur Niel, par deux fois candidat à l'attribution d'une fréquence de la TNT. Vous étiez l'un des investisseurs impliqués dans le projet retenu en 2011 par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), qui est devenu la chaîne Numéro 23. Vous êtes sorti de son capital en 2016, avant sa revente.
En 2023, vous étiez candidat à l'attribution d'une fréquence de la TNT, défendant le projet SIX devant l'Arcom. C'est le concurrent sortant, M6, qui l'a emporté. Enfin, votre nom a été cité plusieurs fois pour la reprise de certaines chaînes, notamment LCI et celles du groupe M6.
Il est très important pour nous d'entendre votre retour d'expérience sur la candidature de 2023 et votre opinion sur la possibilité pour de nouveaux acteurs de se voir attribuer des fréquences de la TNT et les difficultés qu'ils rencontrent. Quelles sont, selon vous, les limites de l'exercice et les conditions de ces attributions, en matière notamment de modèle économique et de projet ? Quel comparatif pouvez-vous établir ?
Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Dans un souci de transparence, j'invite aussi les députés à rappeler le passé qu'ils ont pu avoir dans l'audiovisuel lors de leur intervention.
Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Xavier Niel et Maxime Lombardini prêtent successivement serment.)
Je suis heureux de répondre à votre invitation, même si je ne suis pas un acteur de la TNT. Je déclare que je possède, je crois, 1 000 actions du groupe M6.
Même si j'investis dans des milliers de startups, les télécommunications sont mon métier au quotidien. À ce titre, NJJ Médias entretient des relations régulières et fréquentes avec les éditeurs des chaînes de la TNT. Ces relations sont dures et peuvent donner lieu à des disputes, mais nous finissons généralement par trouver un équilibre, car nous avons besoin des chaînes et qu'elles ont besoin de nos canaux de diffusion – des réseaux filaires dont le poids, dans la diffusion de ces chaînes, s'accroît année après année.
Nous avons toujours pensé que les signaux linéaires de la TNT devraient faire l'objet d'une obligation de distribution sans rémunération sur les réseaux filaires, et nous nous sommes battus pour cela. On peut supposer que les chaînes gratuites souhaitent une audience maximale, mais il n'en a pas toujours été ainsi, ce qui a pu occasionner dans leur histoire des coupures du fait des opérateurs de télécommunications – en particulier de notre fait, puisque nous avons interrompu pendant un temps la diffusion de chaînes comme BFM TV notamment.
Il faut en même temps s'assurer que les opérateurs de télécommunications ne subissent pas plus d'obligations de distribution que les téléviseurs connectés ou Smart TV et les applications. Notre pays a parfois envie de sur-réguler ce qui est local et, généralement, fonctionne, au profit de ce qui est ailleurs, n'est pas régulé, et fonctionne parfois encore mieux que nous.
Je ne suis pas un acteur de la TNT, mais ce n'est pas faute d'avoir essayé. On n'a pas voulu de moi. Nous avons souhaité racheter M6 à deux reprises, parce que nous pensons que la télévision linéaire classique peut avoir de l'avenir, mais que malheureusement, les chaînes ne se renouvellent pas. Comme nous n'y sommes pas parvenus, nous avons déposé une candidature pour l'attribution d'une fréquence de la TNT sur laquelle lancer la chaîne SIX.
Notre projet était simple : faire passer les gens avant l'argent. En effet, à côté du niveau de rentabilité des chaînes françaises, notamment M6, le secteur du luxe devrait rougir : M6 est la chaîne la plus rentable d'Europe ! Elle a choisi son combat : faire de l'argent, peut-être pas toujours dans l'intérêt principal du téléspectateur.
Notre vision n'était pas la même. Nous avions le projet de créer une chaîne généraliste, en nous engageant en faveur de beaucoup de création patrimoniale – M6 investit peu – et d'information. Ses émissions à l'heure de grande écoute ou prime time n'auraient jamais commencé après vingt et une heures, puisque l'intérêt du téléspectateur est de pouvoir visionner ses programmes à une heure fixe et non d'attendre la fin de couloirs publicitaires. Nous avions reçu un très bon accueil des professionnels de la production et de la musique, puisque nous prenions des engagements d'investissement forts, formulés en valeur absolue et non en pourcentage de chiffre d'affaires, ce qui leur garantissait des montants significatifs.
L'Arcom ne nous a pas découragés – je viens de croiser son président, qui m'a dit espérer que nous candidations à nouveau. Toutefois, elle n'a rien fait pour notre succès. La consultation publique a été très tardive et nous n'avons disposé, une fois connues les conditions, que d'un mois et demi pour rédiger un dossier de candidature. Un mois et demi pour occuper pendant dix ans, avec une extension possible de cinq ans, le canal 6 de la TNT, numérotation qui en fait l'un des plus importants ! Nous avons demandé à bénéficier d'un délai supplémentaire, qui nous a été refusé.
Après quoi, nous remettons notre dossier papier au régulateur, qui nous invite à une audition d'une heure et trente minutes, et voilà.
Ces mêmes fréquences que nous, opérateurs de télécommunications, achetons pour des centaines de millions d'euros, on peut donc les gagner ou les perdre sur le fondement d'un dossier papier rédigé à la volée en un mois et demi et d'une heure trente d'audition.
Deux semaines après l'audition, l'Arcom retenait le dossier de M6 alors qu'il était moins-disant en termes d'investissement dans la création, d'indépendance des rédactions, de confort des téléspectateurs, et j'en passe. J'ai entendu le président de l'Arcom Roch-Olivier Maistre vous indiquer que, la prochaine fois, cela ne se passerait pas comme cela, qu'il choisirait le meilleur dossier. J'en suis ravi. J'espère que ce ne sont pas que des paroles.
Le motif de tout cela était de garder ce qui existe déjà : c'est plus sûr que de choisir quelque chose de nouveau. D'ailleurs, l'attribution réelle du canal a eu lieu quelques jours avant la date obligatoire du renouvellement. Dans ces conditions, si nous avions été un nouvel entrant, l'intérêt du téléspectateur en aurait souffert, puisqu'il n'était pas possible de créer une chaîne en quelques jours ou quelques heures. Cet appel d'offres n'a donc pas été organisé pour permettre l'entrée d'un nouvel acteur.
Je pense que l'Arcom a « flippé ». Elle a eu peur de la nouveauté, du dialogue, et surtout de la compétition. Pourtant, il ne faut pas avoir peur de la compétition. Notre arrivée dans le secteur des télécommunications a rendu des dizaines de milliards d'euros de pouvoir d'achat aux Français. La nouveauté, l'innovation, l'autorisation d'accès accordée à de nouveaux entrants sont dans l'intérêt du téléspectateur.
Je pense que la procédure n'a jamais été pensée que comme un renouvellement des fréquences, afin de conserver les cinq acteurs historiques et d'empêcher la compétition. Si l'on veut du renouveau, il faut mieux organiser les conditions d'accès des nouveaux entrants aux fréquences. Surtout, il faut se parler, échanger, ne pas se contenter d'un papier et d'une audition : si l'on veut les meilleures conditions, il faut qu'il y ait plusieurs candidatures et qu'il soit possible de les mettre en compétition. Ce n'est pas en regardant des dossiers papier que l'on pourra améliorer l'offre ni assurer la meilleure utilisation possible du domaine public, pour le téléspectateur, pour la production et pour l'ensemble de la filière.
Pour l'appel d'offres en cours, il est trop tard, mais je pense que vous et nous pouvons en tirer de nombreuses leçons pour l'avenir.
Des renouvellements sont en cours. Si vous pouvez nous le dire, avez-vous prévu de candidater auprès de l'Arcom ?
Nous pensons que, pour pouvoir exister sur la TNT, il faut – ce qui n'était pas le cas il y a quelques années – posséder l'une des six premières chaînes, ou un nombre de chaînes formant une masse critique.
Il faudrait donc que nous candidations pour obtenir plusieurs canaux, puisqu'aucun des six premiers n'est disponible. Nous y avons travaillé, mais nous ne sommes pas du tout sûrs de déposer un dossier, même si je ne dis pas catégoriquement non. Nous avons envie, dans l'intérêt du téléspectateur, d'introduire de la compétition, et nous pensons voir la télévision d'une manière différente. Nous comprenons aussi que l'Arcom nous incite à participer, car cela crée une pseudo-compétition. Mais le nouvel appel d'offres, avec ses conditions inchangées, donnera lieu à un renouvellement automatique. Je vous parie que, dans un an, toutes les chaînes auront été renouvelées telles quelles. Pourquoi perdre du temps et de l'argent pour finir par se prendre une baffe ? On peut aimer perdre, plusieurs fois ; mais quand même, on vieillit…
À l'heure de l'évolution de l'OTT (télévision en streaming hors offre du fournisseur d'accès, dite over the top ), quel avenir attend les chaînes de la TNT et les services de boîtiers d'accès à Internet (ou box ) comme celui de Free ? Les gens ne finiront-ils pas par se connecter directement à la télévision, les box devenant des sortes de cabines de péage plutôt que des voies d'accès direct ? Votre rôle actuel est d'une grande importance, notamment s'agissant du futur des services d'intérêt général, c'est-à-dire de l'accessibilité de l'ensemble des chaînes, puisqu'un grand nombre de nos concitoyens passent par vous avant d'atteindre une chaîne de télévision, en particulier sur la TNT.
Nous constatons que l'émergence des plateformes a modifié l'audience. Les chaînes de la TNT restent très fortes parce que leurs marques le sont, grâce à la numérotation. Bien sûr, les adolescents y sont moins sensibles, mais il faudra une ou deux générations avant leur disparition totale.
La numérotation linéaire qui découle de la TNT a un poids et constitue pour les chaînes un moyen d'exister. Elle est imposée par la loi. Alors que, dans la plupart des autres pays, cette numérotation n'existe pas sous cette forme et ne s'impose pas aux distributeurs, l'ensemble des chaînes de la TNT, grâce à un lobbying très intense, se sont réservé des numéros qui leur appartiennent. Je pense qu'il s'agit d'une erreur, puisque ce système ne permet pas aux distributeurs de mettre en avant des canaux qui plaisent aux téléspectateurs et empêche la compétition dans la distribution et l'émergence de nouveaux acteurs en dehors de la TNT.
Nous avançons, en nous efforçant d'agir intelligemment. Néanmoins, à cause de cette difficulté, les plateformes prennent du poids et de la puissance.
Cela tient aussi à l'absence de renouvellement des chaînes classiques. Je vous donne un seul exemple, révélateur. Aujourd'hui, il est naturel pour un adolescent ou un jeune adulte de se connecter à Twitch, un réseau qui diffuse en direct des chaînes de télévision linéaire avec en même temps quelqu'un qui les commente. Les chaînes se plaignent que des contenus de ce type sur les réseaux sociaux portent atteinte à leur propriété intellectuelle – ce qui n'est pas faux. Elles les interdisent, alors qu'ils leur permettraient de toucher un nouveau public, mais elles ne font rien pour rajeunir leur public !
Nous pensons que, si des acteurs capables de comprendre l'usage que notre jeunesse fait de la télévision entraient dans la compétition, les chaînes pourraient reprendre pied et grossir à nouveau plutôt que de maximaliser leurs profits et de se vendre le plus vite possible, comme elles le font actuellement. Le groupe M6 a demandé que le délai d'interdiction de revente d'une chaîne après son renouvellement passe à cinq ans. Vous verrez, des textes vont arriver pour le ramener à deux ans, car le lobbying du groupe est incroyablement puissant !
Tous les éléments sont réunis pour que les diffuseurs des six ou huit premiers canaux n'aient qu'une finalité : maximaliser leurs profits. C'est le jeu, mais la disparition des chaînes de la TNT tient au fait que cette finalité passe devant l'objectif de renouveler leur audience. Comme je vous le disais, elles font passer l'argent avant les gens.
D'après vous, les télévisions connectées, les espaces OTT, voire parfois les box présentent-ils un risque en termes d'accessibilité des chaînes de la TNT ? Leurs marques peuvent-elles les protéger du nombre de clics d'accès ?
On peut recevoir la TNT partout, et c'est la raison pour laquelle on attribue ses fréquences aux chaînes. Dans le même temps, nous avons envie de les distribuer. C'est un deal gagnant-gagnant. Nous constatons juste une érosion de l'audience en raison d'une absence de renouvellement et d'innovation, due elle-même à l'absence d'une compétition réelle.
Vous avez bien fait de préciser que vous possédiez 1 000 actions du groupe M6. On aurait pu craindre un conflit d'intérêts, mais on voit qu'il n'en est rien !
Une première question concernant vos anciens projets. Nous avons auditionné le président et le rapporteur de la commission d'enquête sénatoriale sur la concentration des médias en France, MM. Laurent Lafon et David Assouline, qui suggèrent que le fait que le propriétaire des tuyaux soit aussi celui des programmes diffusés fait courir un risque grave à la démocratie et au pluralisme. Vous tombez sous le coup de ce genre de critiques. Si vous formiez un projet de cet ordre, quelles garanties pourriez-vous fournir à cet égard ?
Dans le dossier que nous avons présenté pour la chaîne SIX, nous nous engagions à diffuser gratuitement son signal linéaire et à permettre sa reprise systématique par l'ensemble des opérateurs. Ce projet présentait en effet un risque de concentration, puisque, détenant à la fois une chaîne et son distributeur, j'aurais pu créer pour moi-même une exclusivité.
Les groupes TF1 et Altice sont dans cette situation. Bien évidemment, nos négociations avec eux ont été plus difficiles qu'avec le groupe France Télévisions, qui s'est toujours montré parfait dans ses relations avec les diffuseurs et, d'une manière générale, avec les autres éditeurs de la TNT. C'est pour éviter ce type de relations plus dures que nous avions pris cet engagement : si le signal est disponible partout gratuitement, les négociations n'ont plus lieu d'être. Nous nous imposions ainsi des obligations semblables à celles qui s'appliquent à France Télévisions.
Quelle est la logique, pour un acteur qui souhaite se faire diffuser le plus largement possible, de chercher à se faire rétribuer pour être distribué ? Pour être sur la TNT, il paie TDF, mais à un diffuseur massif tel que nous, il demande de l'argent. Cela nous semble incohérent.
La finalité d'une chaîne gratuite de la TNT, utilisant des fréquences hertziennes qui sont des biens publics, est d'être distribuée aussi largement que possible, par quelque réseau que ce soit. D'où l'engagement pris dans notre dossier de candidature.
Vous vous êtes prononcé et avez agi en justice contre le projet de fusion de TF1 et de M6. Pourtant, les différents groupes et personnes que nous avons auditionnés ont régulièrement plaidé pour la nécessité d'un changement d'échelle pour faire face à la menace que représentent les géants du numérique ou Gafam, bref les méchants Américains. Vous avez résumé cette argumentation en parlant de maximalisation. Pouvez-vous revenir sur les raisons pour lesquelles vous vous opposiez à cette fusion ?
Nous pensons que ce projet était mauvais pour toutes les parties, à part les actionnaires de ces deux groupes.
Il était mauvais pour le téléspectateur, car une réduction de la compétition lui aurait laissé moins de choix. C'est une chose simple et évidente : il suffit de voir les chaînes de la TNT, qui se contentent souvent de rediffusions de la chaîne principale de leur groupe. Par ailleurs, pour ce qui est de l'information et de la partie journalistique, on serait passé de deux acteurs à un seul, avec une puissance éditoriale bien supérieure. C'est là encore mauvais pour le téléspectateur.
Il était mauvais pour l'économie et pour l'industrie d'une manière générale. En effet, les deux grandes chaînes que sont TF1 et M6 vivent de la publicité et sont en compétition à cet égard. Avec la fusion, cette compétition aurait cessé et l'ensemble de l'économie française aurait payé plus cher ses publicités.
Ce projet était mauvais enfin pour la production. La France compte des milliers de producteurs, qui forment une filière incroyablement riche, brillantissime, qui exporte dans le monde entier. Du fait de la fusion, les producteurs n'auraient plus pu s'adresser qu'à un seul guichet, au verdict sans appel, alors qu'aujourd'hui, un projet essuyant le refus d'un guichet peut s'adresser à l'autre.
À part pour les actionnaires donc, ce projet n'avait aucune forme d'intérêt pour aucune des autres parties. Il était soutenu en raison du poids cumulé des groupes TF1 et M6, qui leur permet d'exercer une forte pression – toujours très indirecte et tacite – sur les responsables politiques. Ce n'est sûrement pas par hasard qu'ils l'ont formé juste avant une élection présidentielle. Il faut saluer le courage de l'Autorité de la concurrence, qui a su résister aux pressions. Elle a tout simplement dit le droit : cette fusion posait un problème de concurrence et toutes les parties auraient été perdantes.
Vous évoquez un lobbying très puissant du groupe M6. En 2013, vous disiez à propos de Martin Bouygues : « Il fait un travail de lobbying exceptionnel, n'hésitant pas à utiliser le 20 Heures sur TF1 comme un outil. Sur ce point, j'ai bien évidemment une conception différente de la liberté de la presse… » À titre personnel, je vous en sais gré. Mais disposez-vous d'informations précises vous faisant dire que Martin Bouygues a fait usage du journal télévisé de TF1 ?
Vous venez d'affirmer que les groupes TF1 et M6 ont un poids politique. Cela touche au cœur des objectifs de cette commission d'enquête. Êtes-vous en mesure de caractériser cette influence et la façon dont la volonté des actionnaires peut s'imposer aux rédactions ?
Le propos que vous citez visait à complimenter Martin Bouygues pour sa très bonne gestion de sa chaîne. Ce n'est pas la mienne – à chacun ses conceptions – mais on peut imaginer que cette gestion était alors qualitative.
Je crois qu'il suffit de regarder quotidiennement TF1 et M6. Elles sont, d'une manière générale, favorables au gouvernement, quel qu'il soit, un peu comme la presse qui peut exister dans d'autres pays. Je ne sais pas si elles font l'objet d'interventions au sens où vous l'entendez. Ces chaînes savent que, par essence, elles seront toujours du côté du fort, du pouvoir, parce qu'elles pourront y trouver intérêt ou en tirer avantage. C'est leur modèle.
Je pense que personne n'est dupe. C'est pour cette raison que, notamment dans le domaine de l'information, on assiste à l'émergence d'autres contenus sur les réseaux sociaux, d'autres types de chaînes.
Vous ne trouverez jamais la preuve d'interventions directes sur des médias qui ne vous appartiennent pas. Le positionnement de ces chaînes est consubstantiel à leur manière et à leur raison d'être.
Je vous entends, et je peux partager ce sentiment d'évidence, mais il me situe très précisément sur le spectre politique. Je pense que la plupart de mes collègues n'accepteraient pas l'idée que le positionnement de ces chaînes est consubstantiel au fonctionnement du marché. Ce n'est peut-être pas votre conviction d'ailleurs, puisque selon vous, la compétition est dans l'intérêt du public.
D'un point de vue légal, ce que vous affirmez pose néanmoins un grave problème. Les chaînes de télévision ne sont pas censées être au service de leurs actionnaires, sauf à leur permettre de gagner plus d'argent.
Je n'ai pas dit qu'elles étaient au service de leurs actionnaires, mais des dirigeants du pays. L'activité des diffuseurs est hyper-régulée : ils savent à qui ils doivent rendre des comptes.
Vous évoquiez le coût de la numérotation et l'importance pour une chaîne d'être diffusée sur l'un des six premiers canaux, sans quoi les perspectives économiques sont mauvaises. Vous êtes-vous livré à un exercice de chiffrage de la valorisation des positions, et de la valorisation d'une fréquence stricto sensu, tâche à laquelle l'Arcom ne s'est pas attelée ?
Je ne sais pas s'il est possible de chiffrer la valorisation d'une chaîne, qui provient de son audience, donc du chiffre d'affaires qu'elle est capable de générer. On sait que 1 point d'audience vaut peut-être 30 millions d'euros de chiffre d'affaires. Une chaîne a donc une valeur si elle diffuse des contenus capables d'attirer 1, ou 2, ou 3 % d'audience. La valeur est liée à l'audience et non directement au spectre hertzien.
On sait toutefois que l'habitude d'appuyer sur les six premiers boutons de sa télécommande, surtout si l'on n'est plus tout jeune, confère aux chaînes correspondantes une audience naturelle significative. Si la première chaîne était diffusée sur le sixième canal et vice versa, la première perdrait de l'audience et la sixième en gagnerait. Je ne sais pas s'ils le font toujours, mais certains diffuseurs, notamment Altice, renvoyaient automatiquement à des chaînes sous leur contrôle à l'allumage de la box, afin de faire progresser visuellement leur audience. Il s'agissait d'un moyen de contourner les effets de cette habitude, mais, très vite, le téléspectateur appuyait à nouveau sur le bouton n° 1, car ce bouton constitue son premier rendez-vous avec sa télévision.
Vous avez évoqué la très grande rentabilité de M6, et laissé entendre qu'elle était due à la méthode que le groupe applique. C'est aussi ce qui m'est apparu lors de l'audition de ses représentants. Vous opposez le choix de la rentabilité à l'intérêt principal du téléspectateur. Est-ce à dire que la rentabilité est l'ennemie de la qualité en télévision ? Comment définissez-vous l'intérêt du téléspectateur ?
M6 est une chaîne dont l'audience baisse et dont les profits montent. En tant que capitaliste, je n'en suis pas choqué par principe. Mais nous sommes dans le domaine public et il faut donc tenir compte de l'intérêt du téléspectateur, qui peut se mesurer à plusieurs paramètres, dont les chiffres d'audience. D'une manière générale, si l'audience d'une chaîne baisse, c'est que ses programmes intéressent moins. S'ils intéressent moins, c'est qu'ils ne sont pas de qualité. Quel est le seul secret pour que les profits montent tandis que l'audience baisse ? C'est assez simple.
Produire moins cher, maximaliser la diffusion d'écrans publicitaires, chercher des publics de cible et non plus des publics larges, pour augmenter sa recette au spot publicitaire… Tout cela n'est pas dans l'intérêt direct du téléspectateur.
Je vous remercie d'être allé au bout de votre raisonnement, où je vois toutefois une faiblesse. Tel que vous présentez les choses – et vous n'êtes pas le premier, parmi les personnes que nous avons auditionnées – vous faites coïncider l'intérêt du public avec la notion d'audience ou d'audimat. Or certains programmes que l'on pourrait juger contraires à l'intérêt du public feraient vraisemblablement de l'audience ; le régulateur est d'ailleurs aux prises avec ce genre de tentation. Sur la TNT, il y a des chaînes dont l'audience est relativement faible, mais dont personne – pas même les gens qui ne les regardent pas – ne conteste la qualité. Pourriez-vous essayer de nous faire avancer vers une définition de la qualité dans le domaine de l'audiovisuel ?
Une fois encore, mon problème, c'est l'usage des six premiers canaux. Qu'il y ait des chaînes de grande qualité, au sens où vous l'entendez, sur des canaux qui ne sont pas destinés à une audience massive, cela se comprend. Il est évident que l'objectif des chaînes privées des six premiers canaux de la TNT – je mets à part France Télévisions, qui a des obligations, qui les respecte et qui fait un travail incroyable – est de maximaliser leurs profits, donc leur audience, ce qui implique de diffuser des programmes qui peuvent être un peu usés et d'éviter la création patrimoniale. Pendant des années, ces chaînes ont diffusé et rediffusé des séries américaines en boucle. Sur d'autres chaînes, on peut trouver d'autres choses : c'est tout l'intérêt d'avoir autant de canaux. Mais sur les six premières chaînes, on a des choses massives, dont la finalité est de faire de l'audience : elles sont là pour ça.
L'appel d'offres définit des critères qualitatifs ; ceux qui le souhaitent font ensuite des propositions qui doivent respecter certaines obligations. C'est à la puissance publique de déterminer les règles de qualité, au sens où vous l'entendez, avant d'attribuer gratuitement des fréquences, mais le but de la chaîne, c'est de maximaliser son audience, donc ses revenus.
J'ai quand même tendance à croire que c'est la structure même du marché qui oblige à ce genre de chose et, même si vos propos sont rafraîchissants, je ne vois pas comment vous échapperiez, en tant que dirigeant de chaîne, au mécanisme qui pousse à maximiser ses profits. Je ne perçois pas vraiment ce qui fait l'originalité de votre proposition, mais je propose que nous ne nous attardions pas sur cette question, dans la mesure où je ne suis pas l'Arcom et où je n'attribuerai pas d'autorisation à qui que ce soit.
Le travail de l'Arcom est de dire : « Voilà ce que vous devez faire. Voilà le minimum que vous devez faire. » Le travail du capitaliste, en face, est de voir ce qu'il doit faire, avec ces règles-là, pour réussir à avoir une recette qui couvrira ses frais et qui fera de la marge. L'Arcom fixe des règles et, en fonction de ces règles, il y aura, ou non, des candidatures. Dans un monde normal, où la compétition existe, c'est ce qui devrait se passer.
Lorsque nous avons candidaté pour la chaîne SIX, nous avons répondu à un appel à candidatures qui était très court, à peine quelques pages. Une fois déposés, les dossiers ne pouvaient plus être modifiés et l'Arcom ne pouvait plus rien nous demander.
Nous avions pris des engagements forts au sujet de l'indépendance des rédactions, de l'heure du prime time et de la création patrimoniale, mais nous avons constaté que l'Arcom n'utilisait pas cet appel à candidatures pour essayer d'obtenir le meilleur de chaque candidat et pour faire monter son niveau d'exigence. Or ce qui peut pousser le capitaliste à faire mieux, c'est la compétition. Si, pour garder une fréquence, il faut donner davantage, il y aura des propositions de meilleure qualité. C'est ce qui fonctionne dans à peu près tous les métiers, mais en l'occurrence cette compétition n'est pas créée.
Merci de cette précision, qui nourrira effectivement notre réflexion. Vous nous parlez des six premières chaînes, mais ne faudrait-il pas se pencher sur les autres, qui ne sont pas rentables ? N'y aurait-il pas quelque chose à faire de ces chaînes sur lesquelles les grands groupes se sont positionnés moins pour des raisons économiques que pour empêcher l'entrée de nouveaux acteurs ? N'y a-t-il pas là un levier que l'Arcom pourrait actionner pour mieux faire jouer la compétition et disposer utilement de ces canaux ?
Certaines chaînes sont rentables, comme BFM TV, mais il est vrai que ce n'est pas la majorité – même si cette notion de rentabilité peut s'entendre de différentes manières. Par exemple, quand un programme de votre chaîne principale est rediffusé sur une autre de vos chaînes, le coût de transfert est à votre main. Si ces acteurs gardent leurs chaînes, c'est qu'ils estiment qu'elles ont quand même une valeur pour eux.
Mais il ne serait pas absurde de se pencher sur la rentabilité des chaînes dans la durée. C'est long, de rentabiliser une chaîne : on ne capte pas tout de suite un public. Il faut des années, peut-être cinq ou sept ans, pour cela ; il vous en reste donc soit trois, soit huit pour rentabiliser votre investissement de départ. Il n'est donc pas aberrant de tester le plan d'affaires ou business plan des chaînes dans les appels d'offres pour s'assurer qu'elles seront un jour rentables. Renouveler pour la énième fois des chaînes qui n'ont jamais été rentables et qui n'ont rien proposé de nouveau peut en effet sembler problématique.
Vous avez été actionnaire de la chaîne Numéro 23. Je ne reviens pas sur l'histoire de cette chaîne, qui a fait l'objet d'une commission d'enquête en 2016, mais j'aimerais savoir pourquoi vous avez décidé d'investir dans ce projet. Pourquoi avoir choisi de suivre M. Pascal Houzelot, dont la précédente expérience dans le domaine de la télévision avait été un échec ?
L'attribution de la chaîne Numéro 23 faisant l'objet d'une procédure judiciaire, notre commission d'enquête ne pourra pas s'engager sur ce terrain, mais la question du rapporteur rentre parfaitement dans le cadre de ce qui est autorisé.
Nous investissons dans 100 à 150 startups par an. J'ai investi dans la chaîne Numéro 23, qui en était une, comme j'ai investi dans BFM TV quand Alain Weill s'est lancé. J'ai toujours eu pour habitude de financer des médias, quels qu'ils soient, en étant minoritaire. C'est ce que j'ai fait pour cette chaîne, mais je n'étais pas le seul : dans le business plan d'origine, j'avais 20 % du capital, mais la terre entière a voulu investir, si bien qu'à la fin je n'avais plus que 2 ou 3 % des parts !
L'entrepreneur qui a lancé ce projet avait une expérience dans le domaine de la télévision. Je ne me rappelle plus si sa chaîne précédente avait été un échec, car ces faits sont anciens, mais dans le monde des startups, un échec est souvent une bonne chose : lorsqu'on s'est planté une première fois, on évite que cela se reproduise. Le porteur du projet avait travaillé pendant vingt ans chez TF1 et on pouvait supposer qu'il avait un peu d'expérience. C'est, du reste, l'un des meilleurs entrepreneurs que j'aie connus et nous avons été plutôt contents d'investir dans cette société, même si nous n'en avions qu'un tout petit bout. Je crois qu'il y avait une trentaine de candidats à l'époque pour cette fréquence – à l'époque, accueillir de nouveaux entrants était une possibilité – et, si je me souviens bien, sept des neuf membres de l'Arcom ont voté pour ce dossier : on peut donc supposer qu'il était de qualité.
En 2016, vos parts dans la société Diversité TV France ont été rachetées par PHO Holding, dont le groupe NextRadioTV a ensuite pris le contrôle majoritaire. Pouvez-vous nous indiquer pour quel montant votre participation a été rachetée et quelle plus-value vous avez réalisée – le cas échéant, par écrit ?
Je vous enverrai les chiffres, mais je dirais que nous avons multiplié notre mise par deux. Je précise que j'étais aussi actionnaire de NextRadioTV.
Le capitalisme a parfois ses avantages.
En 2014, avant même que le CSA ne prenne la décision de refuser le passage de LCI sur la TNT gratuite, vous avez manifesté aux côtés de Pierre Bergé et Matthieu Pigasse votre intérêt pour sa reprise. Le groupe TF1 a dénoncé « une tentative inacceptable dont le seul but est de troubler la sérénité du CSA au moment de sa prise de décision ». Pouvez-vous nous dire en quoi le CSA aurait pu être troublé ? Votre volonté était-elle bien d'influer sur la décision de celui-ci, dont vous semblez dire qu'il était accessible, comme les autorités politiques, au lobbying ?
Le Monde disposait de certains canaux de diffusion et nous voulions voir si nous étions capables d'en ajouter un autre, avec la TNT. Nous avions la surface journalistique permettant de créer une chaîne ; la TNT était très puissante à ce moment-là et nous avions le souhait d'adjoindre au journal Le Monde une chaîne de télévision.
Que j'aie pu troubler le CSA, c'est une bonne nouvelle : je ne l'ai jamais constaté. Le CSA a finalement permis le passage de LCI du payant au gratuit. Mais auparavant, avec Matthieu et Pierre, nous trouvions que c'était le bon moment : nous avions envie de faire une chaîne d'information payante, peu chère, de qualité, garantissant le pluralisme sur les chaînes d'information de la TNT. TF1, à l'époque, disait qu'elle allait devoir fermer la chaîne si elle ne devenait pas gratuite. Nous, nous avons dit que nous étions capables de la récupérer et de la garder en payant. Nous avons donc fait une offre de reprise, qui n'a pas été considérée.
Nous avons évoqué le fait que vous étiez propriétaire des canaux et que vous auriez pu devenir propriétaire d'une chaîne, mais nous n'avons pas évoqué le fait que vous êtes aussi propriétaire de Mediawan, une grande société de production. Dans ces conditions, la concentration arrive à son niveau maximal. Comment pouvez-vous articuler ces trois fonctions sans porter atteinte au pluralisme ?
En effet, avec deux autres actionnaires, nous co-contrôlons la société Mediawan, qui est devenue l'un des premiers, voire le premier producteur français et qui vend des programmes dans le monde entier : c'était Bob Marley au cinéma la semaine dernière, mais aussi BAC Nord ou Dix pour cent. Nous vendons des programmes à l'ensemble de l'écosystème français, sans chercher à favoriser un acteur par rapport à un autre – si nous commencions à le faire, les autres ne voudraient plus travailler avec nous. Le groupe M6 a un peu réduit ses commandes chez Mediawan depuis que nous avons déposé notre candidature pour reprendre son canal… C'est le jeu ! Mais notre job est de produire pour tout le monde.
Dans le dossier de candidature de SIX, nous avions pris l'engagement de diffuser un maximum de créations indépendantes, dans lesquelles aucune des parties n'était associée. Nous prenions l'engagement d'acheter un nombre significatif de programmes chez des tiers, afin d'éviter le risque de la concentration. Le producteur, c'est le talent. Si vous monopolisez ce talent, vous détruisez de la valeur. Le chiffre d'affaires de Mediawan est mondial et le marché français n'est pas son activité principale. Il nous aurait semblé idiot de concentrer le savoir-faire à un endroit, car c'est le contraire de la compétition et de tout ce que nous aimons. Nous avions pris des engagements forts pour éviter la concentration et le monopole, à la fois sur les tuyaux et sur la création patrimoniale audiovisuelle.
Vous répondez à la question de la concentration et du monopole mais il y a aussi l'enjeu de l'indépendance et de la façon dont la concentration verticale ou diagonale amène à refaçonner carrément les contenus. Ainsi, le 30 janvier 2024, vous étiez l'invité de l'émission « C à vous » sur France 5 pour présenter votre nouvelle box internet. Or, comme vous êtes le cofondateur du groupe Mediawan, qui produit l'émission, la fédération CFE-CGC Médias a déposé une saisine auprès de l'Arcom, regrettant la dimension promotionnelle prise par l'entretien et considérant que la séquence contrevient à l'interdiction de la publicité clandestine. Le SNJ CGT de France Télévisions a quant à lui dénoncé un conflit d'intérêts « qui crève l'écran ». C'est aussi ce genre de problème que soulève la concentration. Faire la promotion de son entreprise dans une émission que l'on produit ne constitue-t-il pas un conflit d'intérêts ?
Nous avions lancé une nouvelle box, cela a été évoqué au début de l'émission, mais les sujets ne portaient pas là-dessus. Et, dès la première seconde, il a été dit que j'étais actionnaire du groupe Mediawan : la transparence était donc totale. « Nous avons un actionnaire sur le plateau, il a lancé une nouvelle box, et ensuite nous allons parler d'autre chose » : cela s'est déroulé comme cela, on peut trouver la séquence partout en ligne pour le vérifier. Je suis allé parler de cette nouvelle box chez BFM TV et sur plusieurs autres chaînes de télévision : c'était un sujet d'information. Le Monde aussi en a parlé, en indiquant, de la même manière, que j'étais actionnaire du journal. Ce qui est essentiel, c'est d'être transparent avec les téléspectateurs et de leur expliquer les liens capitalistiques qui peuvent exister entre les différentes parties.
Nous en venons aux questions des députés. Pour rappel, les membres de la commission d'enquête disposent de trois minutes, avec un droit de reprise après la réponse de l'auditionné, et les députés qui ne sont pas membres de la commission, de deux minutes.
Monsieur Niel, vous êtes à la tête de l'un des plus importants groupes dans le domaine des télécommunications en Europe, Iliad, qui emploie plus de 17 000 salariés et a réalisé un chiffre d'affaires de 9,2 milliards d'euros en 2023. Si votre groupe est surtout connu pour ses activités en tant qu'opérateur téléphonique et fournisseur d'accès à internet, vous êtes également très actif dans le domaine de la presse et de la communication audiovisuelle. Vous êtes actionnaire du groupe Le Monde, qui rassemble, outre le quotidien du même nom, une variété de journaux, comme Télérama ou Courrier international.
S'agissant de la télévision, les chaînes de la TNT semblent vous échapper, malgré plusieurs tentatives pour racheter la chaîne M6 et votre candidature pour la chaîne SIX. J'aimerais vous interroger au sujet du pluralisme à la télévision. Vous avez déclaré le 18 février 2022, devant la commission d'enquête sénatoriale sur la concentration dans les médias : « Je ne suis pas choqué par CNews. C'est une chaîne d'opinion. Il n'y a aucun doute là-dessus. Maintenant, 30 % des Français semblent voter sur une ligne qui est assez proche de cette chaîne d'opinion. »
Deux ans plus tard, alors que la ligne éditoriale de CNews suscite de nombreux débats, au sein de notre commission comme au sein de l'opinion publique, votre position a-t-elle évolué ? Pensez-vous que le pluralisme soit respecté sur cette chaîne ?
Je n'ai pas à porter de jugement sur le respect du pluralisme sur les différentes chaînes : ce n'est pas mon travail, je ne suis ni juge, ni régulateur. Ce que je pense, c'est qu'il est toujours plus intelligent d'avoir des médias dont on connaît ou dont on peut supposer la vision politique. En l'occurrence, CNews a une ligne populaire, ou populiste, classée plutôt à droite, voire très à droite. Parce que j'aime la liberté, je ne trouve pas totalement aberrant que les 20 à 30 % de Français qui votent pour une ligne qui correspond à celle de CNews aient un média dans lequel ils se retrouvent ; je préfère cela aux messages insidieux que diffusent d'autres médias. C'est un avis personnel, je ne suis pas un homme politique. Je ne regarde pas, ou peu, cette chaîne et je ne sais pas mesurer si elle respecte le pluralisme. C'est à l'Arcom de juger de la question du pluralisme, la récente décision du Conseil d'État l'a rappelé. Certains médias ont une étiquette politique, réelle ou fausse : cela n'empêche pas qu'ils puissent dire des choses justes. Je ne retirerai rien aux propos que j'ai tenus il y a deux ans.
Une chaîne coûte cher et n'est pas toujours rentable. Vous avez rappelé que si l'on n'est pas sur un des six premiers canaux, il faut avoir plusieurs chaînes. Il faut assumer le coût de grille – on a pu évoquer 500 millions d'euros pour M6 et près de 1 milliard pour TF1 –, les coûts de diffusion, les dépenses de personnel, etc. Malgré cela, vous avez candidaté par le passé et n'excluez pas de le refaire à l'avenir. Pourquoi cela ? Quelles sont vos motivations premières ? Certains ont pu évoquer une volonté d'influence : qu'en est-il ?
J'ai acheté mon premier journal à 18 ans. J'ai toujours investi dans les médias et j'y ai systématiquement gagné de l'argent, même si certains ne sont pas rentables, comme France-Antilles. C'est l'une de mes activités, je l'aime et je crois la connaître. Mon pari est simple : je pense qu'en faisant des contenus de qualité, on trouvera toujours des gens qui seront prêts à les payer.
Quand nous sommes arrivés au journal Le Monde avec Pierre Bergé et Matthieu Pigasse, nous avons fait quelque chose de contre-intuitif : nous avons renforcé la rédaction. D'un peu plus de 400 journalistes en 2010, nous sommes passés à 550 aujourd'hui. Alors que la presse était en train de disparaître, nous nous sommes dit que si nous avions de l'intelligence, nous aurions des gens qui seraient prêts à payer pour cette intelligence. Si l'on voulait vendre plus, il fallait plus d'intelligence. Et Le Monde, de toute son histoire, n'a jamais vendu autant d'exemplaires qu'aujourd'hui – de mémoire, 600 000 par jour – parce qu'il y a un contenu de qualité et des gens qui sont prêts à l'acheter.
De la même manière, quand Alain Weill, puis Pascal Houzelot, m'ont proposé d'investir à leurs côtés, j'ai été ravi de le faire. C'est très immodeste, mais nous nous sentons capables de faire des choses que les autres ne font pas, ou de penser à des choses auxquelles les autres ne pensent pas. Et nous pensons que la compétition, dans tout secteur, est une bonne chose et qu'elle permet de créer de la valeur.
Toutes les chaînes de la TNT sont rentables si l'on considère les choses à l'échelle des groupes, même NRJ 12. Selon que vous avez un magasin avenue Montaigne ou boulevard Barbès, vous ne faites pas le même chiffre d'affaires, ni les mêmes marges ; mais vous ne faites pas non plus le même investissement. On a maintenant les chiffres publics d'Altice Média : l'entreprise fait environ 120 millions d'euros de bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (Earnings before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization ou Ebitda) et a été vendue 1,55 milliard. Il y a une vraie activité économique dans ce secteur et cela nous intéresse. Nous essayons donc d'inventer quelque chose de différent et de créer de la valeur.
Dès qu'on produit un contenu de qualité, on a quelque chose qui marche. Voyez TF1 : la chaîne propose des contenus de qualité qui génèrent de l'audience, des recettes et des marges. On m'a demandé pourquoi nous n'avions pas candidaté sur le canal de TF1. Étant donné que c'est notre concurrent principal dans les télécommunications, c'est donc la chaîne à laquelle nous aurions pu vouloir nous attaquer si nous étions dans un monde où l'on essaie de faire des choses désagréables à ses adversaires. Mais elle fait un travail éditorial de qualité qui fonctionne bien : jamais nous n'aurions imaginé pouvoir remplacer TF1 !
Je répète que nous sommes intéressés par ce métier, parce que nous pensons être capables de créer de la valeur.
Par le passé, vous avez été en concurrence avec CMA CGM dans le secteur de la presse. Ce groupe est en négociation exclusive avec Altice pour racheter BFM TV. Vous avez été également été intéressé par cette chaîne. Quel regard portez-vous sur cette opération ? N'avez-vous jamais été intéressé par une telle opération avec Altice ?
J'ai accompagné Alain Weill lorsqu'il a créé son groupe audiovisuel. Il en a fait un groupe fantastique, puis il l'a vendu. J'imagine qu'à l'époque, si je lui avais demandé de l'acheter aux mêmes conditions, il aurait dit oui. Mais cela aurait été un peu étrange : j'aurais racheté un actif juste après l'avoir vendu. C'est pourquoi nous n'avons jamais envisagé le rachat de ce groupe.
Vous avez rappelé que nous nous sommes un peu disputés avec CMA CGM sur le rachat de La Provence et que ce groupe a gagné. Ce que disent les journalistes de La Provence, c'est qu'ils ont la liberté éditoriale la plus totale. Je suis donc ravi que CMA CGM rachète BFM TV : je pense que c'est une bonne nouvelle pour les journalistes de BFM TV et d'Altice Média.
Vous avez souligné que le délai accordé pour répondre à l'appel d'offres était très court et vous invitez à ménager plus de compétition dans la procédure d'attribution des fréquences de la TNT, notamment par la confrontation des projets. Avez-vous d'autres idées pour développer l'émulation, au moment de l'attribution, mais aussi des contrôles et des sanctions de l'Arcom ?
Selon vous, certains opérateurs regardent plus l'argent que les gens. En tant que législateur, nous avons à cœur de nous assurer que le domaine public est bien utilisé. S'il est difficile d'évaluer la valeur nominale de chaque canal de la TNT, on pourrait craindre que celle-ci diminue jusqu'à les faire disparaître, anéantissant avec eux un actif qui appartient à tous les Français. Parallèlement, d'autres canaux de communication sont libres de toute obligation. Risquons-nous demain de ne plus avoir de candidats à la TNT, faute d'avoir utilisé ces actifs au mieux ?
Vous venez de résumer en quelques secondes ce que j'ai mis plusieurs minutes à exposer !
Si l'on vise l'intérêt du téléspectateur, la vraie difficulté consiste à gérer les transitions. Une chaîne a une audience : un non-renouvellement de son autorisation de diffusion affecterait les téléspectateurs. Il faut donc se poser la question de la continuité des chaînes. Je n'ai pas de réponses claires à vous fournir à ce sujet. S'agissant de M6, nous avions proposé de la transférer sur un autre canal, par exemple W9. C'était une solution très intéressante pour le téléspectateur, qui aurait bénéficié d'une nouvelle chaîne tout en conservant ses anciens programmes. Il faut donc mieux organiser les phases de transition.
Le dialogue avec l'Arcom est un aspect essentiel du processus. Il faudrait mettre les candidats dans une pièce et leur demander comment ils peuvent améliorer leur offre et à quoi ils s'engagent. Ceux qui sont installés, qui font des recettes et dégagent des marges seront capables d'améliorer leur projet. Aujourd'hui, l'Arcom ne souhaite pas procéder ainsi. Je l'ai dit, c'est une erreur de ne pas chercher à perfectionner les offres après le dépôt des dossiers.
Tant que la TNT existera, ses canaux auront de la valeur. En effet, la loi prescrit à toutes les plateformes de les reprendre ; de manière générale, elle impose des obligations aux distributeurs. Sans modification, il y aura toujours des candidats : remporter un appel d'offres permet d'obtenir un numéro de chaîne, qui garantit une audience minimale. Sur les six premiers canaux, vous pouvez diffuser n'importe quoi, vous aurez quelques points d'audience – et, je l'ai dit, un point rapporte environ 30 millions de chiffre d'affaires. Les fréquences TNT, avec leur numérotation attachée, garantissent une recette minimale à la fois aux émetteurs et aux distributeurs : je n'ai donc aucun doute sur le fait qu'elles auront toujours des candidats.
Le marché publicitaire se tourne de plus en plus vers d'autres canaux. Aurons-nous encore des candidats dans ces conditions ? Offrir au public des programmes de basse qualité serait très problématique, du point de vue de la culture et de la démocratie, même s'ils suffisent à créer des recettes.
Nos plans d'achats prévoient systématiquement une diffusion à la fois numérique et télévisée des publicités, parce que cela correspond à deux stratégies différentes. La télévision permet de toucher en même temps des millions de personnes : c'est le seul moyen d'avoir une action massive. Si vous voulez faire du chirurgical, il faut passer par le numérique. Les deux sont complémentaires, donc les campagnes publicitaires ont besoin des deux.
Dans d'autres secteurs, le développement du numérique pose un problème. C'est le cas de la presse, car on ne trouve ni le côté massif, ni le côté chirurgical ; or l'entre-deux n'est pas bon. Mais la télévision a un aspect irremplaçable. Aux États-Unis, le Super Bowl est l'événement qui concentre le plus de publicités : les entreprises achètent la puissance de la télévision, capable de toucher un Américain sur deux ou sur trois à un moment donné. De la même façon, c'est pour pouvoir atteindre 20 millions de téléspectateurs au même moment que M6 a brillamment racheté les droits de diffusion de la Coupe du monde de football – dans le secteur de la télévision, Nicolas de Tavernost est probablement l'une des personnes les plus intelligentes que ce pays ait connues. Les chaînes peuvent donc vendre aux annonceurs cette puissance qu'ils ne trouveront pas ailleurs. Une bonne série, comme HPI sur TF1, peut rassembler 12 millions de spectateurs. Les annonceurs recourent à la diffusion numérique et à la télévision pour satisfaire des besoins différents. Nous proposons les deux et tous les grands annonceurs utilisent les deux. Donc je ne crois pas que la télévision souffre du développement numérique.
Merci, monsieur Niel, pour la qualité de vos réponses. Vous avez jugé sévèrement le modèle économique du groupe M6, notamment dans le cadre de l'attribution de la fréquence numéro 6. Votre projet prévoyait une rédaction de 200 journalistes, plus large que celle du groupe M6 ; un investissement massif dans la fiction française, qui n'a jamais fonctionné sur cette chaîne ; des programmes de deuxième partie de soirée, selon un modèle qui tend à se raréfier à la télévision. Vous avez aussi souligné que vous étiez capitaliste et que vous étiez là pour gagner de l'argent, ce qui est naturel. Quel était votre secret pour avoir la même rentabilité que M6, malgré un investissement bien supérieur ? S'agissait-il de maîtriser la chaîne de la production à la distribution, en passant par la diffusion ?
Je ne suis pas dur avec M6 : comme capitaliste, je suis jaloux de son succès. J'ai voulu l'acheter parce que c'est une chaîne incroyable, qui fait des profits pas possibles – c'est un joyau ! Je reconnais leur talent.
Nous sommes à un moment où il est possible de repenser ce qu'est une chaîne, ce qui serait plus intéressant que de se contenter de laisser glisser le bateau parce qu'il navigue bien. Nous sommes capables d'être plus modernes, d'intégrer des données, de qualifier l'audience et de la valoriser. Une chaîne de télévision peut agir massivement, mais aussi avec une grande précision, selon la qualité de ses contenus. Aucun autre média n'a ce pouvoir. Pour ces raisons, nous avons pensé que nous pourrions être inventifs en matière de publicité. TF1 est en train d'y arriver, M6 y parviendra aussi, parce que cela n'a rien de révolutionnaire. Notre intention était d'améliorer l'audience, l'« accroche » du téléspectateur, en produisant des contenus de meilleure qualité grâce à des investissements, et de la monétiser plus intelligemment. Nous voulions à la fois chercher l'audience massive dont nous avons besoin et concurrencer les plateformes en faisant du chirurgical dans le domaine numérique, grâce aux données ou data. Cette logique nous a plutôt bien réussi dans les médias.
Je le répète, TF1 et M6 sont des chaînes incroyables, chacune à sa manière. Elles sont nos partenaires. Je sais qu'en sortant d'ici, je vais me faire disputer à la sortie par les uns et les autres – c'est le jeu ! Ce sont aussi des chaînes très rentables. Si vous m'avez trouvé sévère, c'est probablement que j'en suis jaloux. Elles font leur travail ; s'agissant de M6, nous pensons que nous aurions pu le faire mieux, modestement.
Vous avez obtenu des fréquences 5G, mais pas encore de fréquence TNT. Voyez-vous des différences dans les deux procédures d'attribution, les trouvez-vous justes – du point de vue de la justesse et surtout de la justice ? L'un des deux systèmes devrait-il s'inspirer de l'autre ?
La différence vient d'abord de la discussion avec le régulateur, à toutes les étapes. Ensuite, nous payons les fréquences de télécommunications ; les années d'appel d'offres, il s'agit d'une part non-neutre de notre budget pour la France. Il ne faut pas oublier qu'en bout de chaîne, c'est le consommateur qui paie au travers du prix. Avec une concurrence efficace, ce qui est généralement le cas dans ce secteur, on peut supposer que si les fréquences étaient moins chères, les abonnements le seraient aussi. Il s'agit donc d'une taxe. Au cours de la procédure d'appel d'offres, le prix est un des éléments de la concurrence ; nous dialoguons avec le régulateur, qui impose notamment des critères de couverture et de qualité. Le sujet est moins politique que l'attribution des fréquences TNT, le dialogue est donc plus serein, moins encadré et moins suivi par la presse. Il aboutit à des résultats pas si mauvais.
Vous avez évoqué à plusieurs reprises les avantages que confère la numérotation aux six premières chaînes. Estimez-vous qu'il serait intéressant de regrouper les chaînes par thématique, par exemple l'information ? Cela pourrait-il provoquer des effets de bord, notamment si une chaîne est plus regardée que d'autres ?
Quand on aime la compétition, on trouve sain de regrouper les gens qui ont une même activité. Malheureusement, quand une chaîne dispose d'un canal et que ses spectateurs y sont habitués, elle n'a pas envie que la numérotation change. Ce ne serait donc pas simple. Pourtant, il serait logique et de bon sens de trouver au même endroit des chaînes dont la thématique est la même, en particulier les chaînes d'information. Ensuite, si l'attribution des numéros posait problème, on pourrait procéder à un tirage au sort entre les chaînes. Une telle organisation simplifierait le zapping du téléspectateur. Ce serait une bonne nouvelle dans le domaine de l'information, car on pourrait choisir rapidement une chaîne sans être obligé de se promener d'un bout à l'autre de la grille, donc de voir d'autres types de contenus.
Il n'y a pas d'ordre thématique dans la TNT, mais c'est une exception. Parmi les centaines de chaînes qui se trouvent en dehors de la TNT, le regroupement est thématique. L'Arcom administre l'ordonnancement avec fermeté ; nous devons lui soumettre toute modification des plans de service.
La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoit en effet que l'Arcom attribue aux chaînes de la TNT « un numéro logique », et non « thématique », ce qui laisse une marge d'appréciation.
Vous dirigez à la fois un opérateur de télécommunications et un producteur de contenus. Nous avons évoqué l'homogénéité des programmes, notamment sur les petites chaînes de la TNT. Estimez-vous utile de délivrer des autorisations d'émettre à trente chaînes ? Ne serait-il pas plus pertinent de réserver cette ressource publique à d'éventuels nouveaux usages ?
Si vous nous proposez d'utiliser ces fréquences pour les télécoms, nous ne sommes pas contre ! Encore une fois, j'aime la concurrence et la compétition. J'aurais donc plutôt tendance à chercher de la réserve spectrale pour augmenter le nombre de chaînes, donc le choix. En faisant entrer de nouveaux acteurs, on aurait du n'importe quoi et certains disparaîtraient, certes, mais au milieu de ce chaos émergerait peut-être de la création. Aujourd'hui, cinq grands groupes coexistent. On pourrait permettre des expérimentations, encadrées par des cahiers des charges clairs. Mais c'est peut-être une vision idéaliste et stupide, il n'y aurait peut-être aucun candidat !
Ce qui pose problème, c'est la concentration, l'absence de véritable concurrence, le manque de liberté ou de place pour de nouveaux talents. Nous distribuons toutes les chaînes, quelle que soit leur ligne politique, tant qu'elles sont légales. Nous nous sommes fait disputer pour avoir longtemps distribué RT, jusqu'à ce qu'elle devienne illégale. Nous distribuons Le Média, qui n'est disponible sur aucune autre box : les gens ont été très surpris que nous acceptions une chaîne étiquetée d'extrême gauche, mais nous avons envie de distribuer tout ce qui existe, parce que nous croyons à la liberté d'expression. L'important n'est pas d'être d'accord avec les propos tenus sur une chaîne, mais de pouvoir donner la parole à tout le monde. Pourquoi donc ne pas laisser des chaînes d'opinion diffuser sur trente nouveaux canaux, au prorata de la représentation de chacun à l'Assemblée nationale ou des suffrages exprimés ? Je milite pour que la liberté d'expression soit la plus large possible, et non concentrée entre les mains de cinq groupes. C'est une position, d'autres sont possibles. Le résultat serait peut-être un énorme n'importe quoi mais j'ai à cœur de donner à chacun la possibilité de s'exprimer et d'être entendu. Les réseaux sociaux tirent en partie leur force du fait de permettre à chacun de créer son média et de s'exprimer. J'aimerais que l'audiovisuel offre la même liberté.
Je vous remercie. Vous pourrez compléter cette audition en nous envoyant tout document utile, ainsi que les réponses au questionnaire écrit qui vous a été remis.
La séance s'achève à treize heures dix.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Philippe Ballard, M. Quentin Bataillon, M. Mounir Belhamiti, M. Ian Boucard, Mme Céline Calvez, Mme Fabienne Colboc, M. Laurent Esquenet-Goxes, M. Philippe Frei, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Sarah Legrain, Mme Béatrice Piron, M. Aurélien Saintoul, Mme Sophie Taillé-Polian
Excusé. – Mme Constance Le Grip
Assistait également à la réunion. – M. Meyer Habib