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Intervention de Roch-Olivier Maistre

Réunion du jeudi 21 mars 2024 à 9h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Roch-Olivier Maistre, président de l'Arcom :

Le collège et les équipes de l'Arcom ont suivi avec beaucoup d'attention vos travaux. Nous y avons activement contribué par la mobilisation des membres du collège et des collaborateurs de l'institution dans le cadre de sept auditions, par plusieurs jeux de contributions écrites et par la transmission, à la demande de votre rapporteur, de plus de 27 000 documents.

À la lumière des auditions que vous avez conduites, je partagerai avec vous trois séries d'observations. Tout d'abord, l'Autorité est engagée depuis cinq ans dans une forte dynamique de transformation. Ensuite, cette transformation a été mise au service d'une régulation toujours plus en prise avec les réalités du secteur et les attentes du public. Enfin, il convient de rappeler les particularités et les exigences du cadre juridique dans lequel agit l'Arcom.

L'Arcom d'aujourd'hui n'est plus le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) d'hier. Cette transformation résulte de l'intervention de très nombreux textes européens et nationaux, en réponse aux profondes mutations du paysage audiovisuel et numérique.

Au cours des cinq années écoulées, l'Union européenne a adopté ou s'apprête à adopter des textes de premier plan :

- la directive (UE) 2018/1808 du 14 novembre 2018 modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, dite « directive SMA » ;

- la directive (UE) 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique ;

- le règlement (UE) 2022/1925 du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique, dit Digital Markets Act (DMA) ;

- le règlement (UE) 2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques, dit Digital Services Act (DSA) ;

- le règlement (UE) 2021/784 du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne ;

- la proposition de règlement établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur (législation européenne sur la liberté des médias) et modifiant la directive 2010/13/UE, le futur European Media Freedom Act (EMFA) ;

- la proposition de règlement établissant des règles harmonisées concernant l'intelligence artificielle, futur AI Act.

Tous ces textes ont fait ou feront évoluer nos missions.

Le législateur national n'a pas été en reste. Il a adopté une douzaine de lois qui ont élargi nos compétences et permis la création de l'Arcom. Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique, qui sera examiné mardi prochain en commission mixte paritaire (CMP), devrait compléter cet ensemble en faisant de l'Arcom le coordinateur de la mise en œuvre du DSA dans notre pays.

Dans ce contexte, la gouvernance de l'institution a beaucoup évolué pour en conforter la collégialité et l'indépendance. Notre collège a été élargi à neuf membres, tous permanents – contrairement à nombre d'autorités indépendantes –, dont un membre du Conseil d'État et un de la Cour de cassation. Les membres sont nommés par cinq autorités différentes, pour un mandat de six ans non renouvelable. Tous sont soumis à l'un des régimes d'incompatibilités les plus sévères en matière d'autorité indépendante, non seulement au cours de leur mandat, mais également à son terme. Ce régime a été profondément renforcé par la loi du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes (AAI) et des autorités publiques indépendantes (API), dite « loi Mézard ». Elle prévoit notamment des obligations de déclaration d'intérêts et de patrimoine devant la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ainsi que des règles déontologiques, qui s'appliquent au sein de l'Arcom – nous les avons encore actualisées au début de cette année.

L'indépendance de l'institution a ainsi été confortée. Je témoigne de l'unité, de la solidité et de l'engagement du collège que je préside. Tel n'a pas toujours été le cas dans l'histoire de cette institution, que je connais depuis quarante ans. Le collège délibère et statue, semaine après semaine, en toute sérénité, attentif aux débats qui entourent l'action du régulateur, mais imperméable aux pressions de toute nature.

Notre indépendance s'exerce vis-à-vis du pouvoir politique, mais aussi vis-à-vis des acteurs que nous régulons. Ce n'est pas pour autant synonyme d'isolement : la tour Mirabeau qui nous abrite n'est pas une tour d'ivoire. Le régulateur n'est pas le simple arbitre d'intérêts privés ; il n'est ni un conciliateur – même s'il peut aider à la résolution des litiges –, ni un corégulateur. Sa seule boussole est l'intérêt général, pour faire respecter la règle de droit.

L'indépendance n'est pas un blanc-seing, elle est une exigence. Son premier corollaire est le contrôle étroit exercé par la représentation nationale et par le juge. Nous entretenons avec l'Assemblée nationale et le Sénat des liens étroits, sous la forme d'échanges nombreux, de rencontres et d'auditions régulières – les membres de la commission des affaires culturelles peuvent en témoigner. En 2023, le collège et les services de l'Arcom ont été auditionnés à trente-et-une reprises. Quant au contrôle du juge, il s'exerce sur l'ensemble de nos décisions.

Le second corollaire est la transparence qui s'applique à notre action. Qu'il s'agisse des nominations aux présidences des entreprises de l'audiovisuel public ou de l'attribution des fréquences, toutes les étapes de nos procédures sont publiques. L'Arcom rend ainsi régulièrement compte de son activité, de ses résultats, de sa feuille de route.

Pour mieux remplir ses nouvelles missions, l'Arcom a changé de dimension et adapté son organisation. Lorsque j'ai pris mes fonctions, début 2019, le CSA comptait environ 300 collaborateurs ; l'Arcom en compte aujourd'hui près de 400, après l'intégration des effectifs de l'ex-Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) et la création de 30 emplois supplémentaires par le Parlement depuis 2020 – nous vous en sommes reconnaissants.

En parallèle, nous avons refondu notre organigramme, en créant une direction des plateformes en ligne pour gérer nos nouvelles compétences et une direction de la création pour mieux contrôler le respect des obligations en matière de financement de la production. Nous avons élargi le champ d'action de nos seize délégations territoriales ; dématérialisé nos procédures ; développé de nouveaux outils d'interaction et de communication avec les publics ; renforcé nos liens avec le monde de la recherche et la société civile en nous appuyant sur différents observatoires et comités placés auprès de nous.

Avec l'entrée en vigueur du DSA, nous pouvons dire sans rougir que l'Arcom est un régulateur reconnu sur le théâtre européen, au sein du comité européen des services numériques comme du comité européen pour les services de médias.

Ce bilan est naturellement celui du législateur, mais aussi celui du collège, de la direction générale et de tous les collaborateurs de l'Arcom – l'une des administrations les plus compétentes qu'il m'ait été donné de servir et d'animer depuis que je suis engagé dans le service public, soit presque quarante-cinq ans. Je tiens à leur rendre un hommage tout particulier.

Cette dynamique de transformation, c'est mon deuxième point, a été mise au service d'une régulation davantage en prise avec les réalités du secteur et les attentes du public. Au fil des auditions, vous avez pu prendre la mesure de l'étendue des missions de l'autorité et de l'intensité de ses activités. Je remettrai en perspective le chemin parcouru pour mieux accompagner la modernisation de la diffusion, renforcer les obligations des éditeurs et leur contrôle, et préparer les échéances de 2025.

Nous avons d'abord mené plusieurs chantiers importants pour moderniser la diffusion de la radio et de la télévision. S'agissant de la radio, les cinq dernières années ont été dominées par le déploiement de la radio numérique, le DAB+ (Digital Audio Broadcasting), qui couvre à présent 60 % de la population métropolitaine. Il s'agit d'une étape décisive pour offrir un nouvel horizon à ce média auquel les Français sont particulièrement attachés. Nous avons également poursuivi la modernisation de la télévision numérique terrestre (TNT) en achevant la généralisation de la haute définition et en déployant l'ultra-haute définition pour les antennes de France 2 et France 3, dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de cet été.

Nous avons engagé récemment un important travail sur les services d'intérêt général afin d'assurer à nos acteurs une visibilité appropriée sur les téléviseurs connectés, face aux plateformes payantes étrangères. C'est un enjeu de pluralisme et d'intérêt du public ainsi que de souveraineté française et européenne. Le dossier est en cours d'examen par la Commission européenne.

En parallèle, l'Autorité a porté une attention particulière au renforcement des obligations des éditeurs et à celui de leur contrôle. Dans le contexte de transformation rapide des usages et des technologies, la TNT reste pour les Français un vecteur central d'accès aux contenus audiovisuels – au savoir, à la culture, à l'information, au divertissement –, avec un large choix d'offres gratuites diffusées à l'ensemble de la population. C'est le seul espace à être régulé de façon aussi aboutie afin d'imposer aux éditeurs des obligations de financement, des objectifs de cohésion sociale et des règles de pluralisme.

S'agissant de la TNT nationale, les trois appels à candidature que nous avons traités depuis 2019 ont été l'occasion de revoir les termes des conventions liant les éditeurs au régulateur, notamment les clauses relatives au pluralisme, au soutien à la création ou aux obligations sociétales. Les dernières conventions de TF1 et M6 traduisent l'attention accordée à la place des femmes sur les antennes, à la visibilité du handicap, à l'accessibilité des programmes, à la représentation de la diversité, tout en intégrant pour la première fois des engagements en matière de transition écologique et d'éducation aux médias. De la même façon, les renouvellements d'autorisation ont permis de mettre à jour les obligations des éditeurs.

Nous avons renforcé les procédures de contrôle des obligations en facilitant le dépôt des signalements par le grand public, en intervenant chaque fois que nécessaire, et en réduisant les délais de traitement. Depuis 2019, l'autorité a prononcé 194 mises en garde, 98 mises en demeure, 31 sanctions. Elle a relevé de façon très significative le montant des sanctions financières.

C'est dans cet esprit que nous avons lancé, le 28 février dernier, l'appel à candidature pour les quinze fréquences de la TNT nationale qui arrivent à échéance en 2025. Les attentes à l'égard des candidats ont été singulièrement renforcées. Le régulateur sera attentif aux impératifs de pluralisme et d'intérêt du public, comme aux exigences fixées par la loi. Nous privilégierons une logique de mieux-disant quant aux engagements des candidats. Ce sera l'occasion de revoir les obligations des conventions, en particulier celle de respecter le pluralisme des courants de pensée et d'opinion, à la lumière de la récente décision du Conseil d'État.

À cet égard, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication énonce sans ambiguïté que la délivrance des autorisations est subordonnée à la conclusion d'une convention, qui décline les engagements pris par le candidat devant le régulateur, dans son dossier de candidature et lors de son audition publique. Sans convention, il ne peut y avoir d'autorisation d'émettre.

Je rappellerai, en guise de dernier point, les particularités du cadre juridique dans lequel agit l'Autorité. Au fil de vos auditions, des critiques ont parfois été formulées sur l'action du régulateur. Nous y sommes naturellement attentifs, tant l'Autorité s'attache à toujours mieux remplir ses missions. Il importe toutefois de bien prendre la mesure d'un environnement juridique dont les exigences sont souvent peu connues, quand elles ne sont pas sous-estimées ou tout simplement ignorées.

Notre modèle de régulation repose sur un équilibre fondamental. Il y a, d'un côté, l'affirmation d'un principe constitutionnel auquel nous sommes tous très attachés : la liberté de communication, qui embrasse la liberté éditoriale des médias audiovisuels. Ce principe est extrêmement protégé, aussi bien par la Constitution et par la loi que par les juridictions nationales et européennes. C'est le titre de la loi de 1986 dont nous sommes les garants. Plusieurs décisions du régulateur ont été annulées sur ce seul fondement. De la même façon, dans son célèbre arrêt de principe Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) affirme sans ambiguïté la forte protection dont bénéficie la liberté d'expression sur notre continent. N'oublions jamais que cette liberté publique fondamentale, l'un des droits les plus précieux de l'homme, est au cœur de notre modèle démocratique. Elle a encore été réaffirmée dans la proposition de règlement sur la liberté des médias ( European Media Freedom Act – EMFA), récemment adoptée par le Parlement européen.

De l'autre côté, il y a les limites posées par la loi pour assurer la protection des publics. Nous en avons aussi la charge et nous y veillons scrupuleusement. Notre action s'exerce jour après jour sur cette ligne de crête dessinée par le constituant et le législateur. Le collège pèse et soupèse chacune de ses décisions à l'aune de cet équilibre fondamental.

L'action de l'Arcom s'exerce donc dans un cadre balisé par la loi et les jurisprudences. La procédure de sanction obéit à une logique progressive et à un impératif de proportionnalité. Aucune sanction ne peut être prononcée directement par le régulateur. En vertu du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, celui-ci est tenu dans un premier temps de prononcer une mise en demeure, exposant de façon précise le fondement juridique qui la motive. Contestable devant le juge, cette mise en demeure a une durée de validité limitée à cinq ans, depuis une modification adoptée par le Parlement en 2021. Ce n'est qu'en cas de réitération d'un manquement de même nature que celui ayant fait l'objet de la mise en demeure préalable qu'une procédure de sanction peut être envisagée.

Cette procédure est à la seule main d'un rapporteur indépendant, membre du Conseil d'État, qui dispose du monopole des poursuites et conduit son instruction à charge et à décharge, à son rythme et en toute indépendance. Ce n'est qu'au vu de son rapport que l'Arcom peut, après avoir entendu les parties, prononcer l'une des sanctions prévues par la loi.

Ce sont là les garanties et les exigences de notre État de droit, d'autant plus justifiées que l'autorité administrative est dotée d'un pouvoir de sanction important et qu'elle agit dans le champ d'une liberté publique fondamentale. Le temps du droit ne sera jamais le temps des réseaux sociaux.

Si ces principes gardent toute leur pertinence, il faut néanmoins envisager l'adaptation de notre droit aux bouleversements en cours. La loi de 1986 a été modifiée à plus de cent reprises, ce qui lui a fait perdre en lisibilité et en intelligibilité. Chacun sent bien que le moment est venu de mettre à jour ce texte pour l'adapter aux nouvelles réalités du moment.

Pour conforter le pluralisme externe, si précieux pour notre démocratie, il est plus que temps de revisiter la réglementation anti-concentration, construite à l'heure de la diffusion par voie hertzienne, pour permettre aux autorités de régulation, et en particulier à l'Arcom, de mieux traiter la dimension plurimédia des groupes. Plusieurs travaux ont été conduits récemment en la matière, par le Sénat mais aussi par l'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection générale des affaires culturelles (Igac), qui ont rendu le 18 mars 2022 un rapport sur la concentration dans le secteur des médias dont nous faisons pleinement nôtres les recommandations.

Il est également indispensable d'engager une réflexion d'ensemble pour conforter le modèle économique des médias – presse écrite, radio, télévision – et leur permettre de financer une information et des contenus de qualité, dans l'intérêt des publics. Cet objectif impliquera une nouvelle régulation des grands acteurs de la publicité numérique.

Bien d'autres pistes peuvent être évoquées, comme celles issues de la récente mission d'évaluation de la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, dite « loi Bloche », qui reprend une grande partie de nos propositions, et les dispositions spécifiques aux chaînes d'information proposées, fin 2021, par le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la concentration des médias en France. Espérons que d'autres encore résulteront des travaux des états généraux de l'information (EGI).

Avec l'appui constant du Parlement, le régulateur s'est profondément transformé pour mieux prendre en compte les évolutions du paysage, mieux répondre aux attentes du public, et s'intégrer pleinement au concert européen. Ce mouvement se poursuivra dans les années qui viennent, et l'Autorité continuera d'avoir besoin du soutien du Parlement pour adapter son cadre juridique au nouvel environnement qui se dessine sous nos yeux.

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