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Intervention de Roch-Olivier Maistre

Réunion du jeudi 21 mars 2024 à 9h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Roch-Olivier Maistre, président de l'Arcom :

Deux corpus juridiques coexistent. Chacun procède d'une loi relative aux libertés fondamentales. La loi du 29 juillet 1881, qui est l'un des piliers de notre République, est un magnifique texte, toujours en vigueur, qui affirme un principe de liberté complet assorti d'un régime de responsabilité de l'éditeur s'agissant de certaines incriminations. La loi du 30 septembre 1986 n'a certes pas la même ancienneté, mais elle fixe depuis quarante ans une logique de même nature, assortie de limitations plus précises fixées par le législateur.

C'est l'occasion pour moi de rappeler devant votre commission d'enquête que nous avons deux régimes de responsabilité distincts. Devant le régulateur, l'éditeur est seul responsable. Lorsque nous prononçons une sanction consécutive à la diffusion d'un programme présentant une difficulté, nous sanctionnons l'éditeur, et non, comme je l'entends souvent dire, telle ou telle personne ayant pris part au programme. L'éditeur engage sa responsabilité devant nous et a la possibilité de contester nos décisions devant le juge administratif. Par ailleurs, la personne dont les propos sont incriminés engage sa responsabilité propre devant le juge judiciaire. Il n'est donc pas rare que deux procédures cheminent parallèlement, l'une devant l'Arcom selon les règles qui sont les siennes, l'autre devant le juge judiciaire. Il nous est arrivé – il s'agit d'une innovation à mon initiative – de saisir nous-mêmes le juge judiciaire, indépendamment de la responsabilité qui est la nôtre en tant qu'autorité administrative indépendante, considérant que la nature des propos tenus justifiait une saisine du juge judiciaire au titre de l'article 40 du code pénal.

S'agissant du modèle économique, j'ai relu il y a quelques jours l'excellent avis que nous avons rendu – pardon pour ce plaidoyer pro domo – à l'Autorité de la concurrence sur le projet de rapprochement entre TF1 et M6. Pour ceux qui s'intéressent à ces sujets, j'en conseille la lecture. L'Arcom a démontré à cette occasion la qualité des travaux qu'elle peut conduire, s'agissant notamment de l'analyse économique prospective des évolutions du secteur, d'analyse des marchés susceptibles d'être impactés par l'opération, des droits sportifs aux droits de la production en passant par le marché publicitaire, et des limites que nous avons suggéré à l'Autorité de la concurrence de prendre en compte si l'opération devait aller plus loin. Je l'ai relu simplement car nous venons de publier, avec le ministère de la culture, une très intéressante étude sur l'évolution du marché publicitaire à l'échéance de 2030 – c'est demain. Elle met notamment en évidence le fait que le marché publicitaire des médias, en France, est capté à 52 % par les géants du numérique, et que cette proportion sera de 65 % en 2030. Lorsque tout cet argent quitte la sphère de nos médias traditionnels, nos médias de contenu – la presse écrite, les radios et les chaînes de télévision – sont directement affectés.

Le mouvement est amorcé dans le secteur de la presse écrite depuis longtemps, même si certains titres de presse tels que Le Figaro et Le Monde s'approchent d'un modèle économique résilient. Il l'est dans le secteur de la radio, qui suit une pente en ce sens. Il le sera dans le secteur de la télévision. L'étude démontre clairement que les développements de ces acteurs dans la sphère numérique compenseront difficilement cette situation.

Deux modèles coexistent, l'un très régulé, l'autre, dominé par les acteurs du numérique, dont la régulation est embryonnaire. Certes, il existe des règles à l'échelon européen. Le règlement sur les marchés numériques, le DMA, améliore l'équité en matière de concurrence. Le règlement sur les services numériques, le DSA, régule les contenus, notamment sur les réseaux sociaux. Mais le modèle économique, lui, ne fait l'objet d'aucune régulation équilibrée.

J'estime, pour ma part, que cette question est celle à laquelle les états généraux de l'information devraient répondre en priorité. Nous pourrons gloser à l'infini sur le pluralisme et vanter nos principes constitutionnels, si nous ne parvenons pas à garantir aux entreprises et au service audiovisuel public un modèle économique pérenne, il ne nous restera que nos yeux pour pleurer. La question centrale est vraiment celle-ci : comment bâtir un modèle de régulation de la publicité pérenne vis-à-vis des acteurs du numérique pour préserver nos médias de contenu ?

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