La séance est ouverte à 9 heures 05
Présidence de M. Sacha Houlié, président.
La commission poursuit l'examen des articles du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration (n° 1855) (M. Florent Boudié, rapporteur général ; Mme Elodie Jacquier-Laforge, M. Ludovic Mendes, M. Philippe Pradal, M. Olivier Serva, rapporteurs)
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Chapitre II
Favoriser le travail comme facteur d'intégration
Article 3 (supprimé) (art. L. 421-4-1 [nouveau] du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Création, à titre expérimental, d'une carte de séjour temporaire portant la mention « travail dans des métiers en tension »
Amendement CL635 de M. Michel Castellani, amendements CL887, CL889 et CL890 de M. Boris Vallaud, amendement CL724 de Mme Danièle Obono, amendements identiques CL1444 de Mme Stella Dupont, CL888 de M. Boris Vallaud et CL1247 de M. Jean-Louis Bricout, amendements identiques CL1095 de M. Philippe Brun, CL1404 de M. Benjamin Saint-Huile et CL1429 de Mme Stella Dupont, amendement CL638 de M. Christophe Naegelen (discussion commune)
Avec les articles 3 et 4 bis, nous abordons une partie essentielle du projet de loi, qui nous invite à faire part de notre vision de l'immigration. Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) défend un durcissement de la loi contre ceux qui ne respectent pas l'ordre public et les principes républicains, mais souhaite ne pas occulter la situation des travailleurs en situation irrégulière ni certains besoins du marché du travail.
L'amendement vise à rétablir l'article 3, dans une version modifiée par rapport à celle du projet de loi initial déposé par le Gouvernement. Nous posons comme critères de la régularisation l'obligation d'avoir exercé pendant douze mois au cours des deux dernières années – et pas seulement huit mois comme dans le texte du Gouvernement – et l'établissement à l'échelle départementale de la liste des métiers en tension – la région est un espace trop grand.
L'amendement CL887 tend à rétablir l'article 3, qui n'a pas été rédigé par le groupe Socialistes et apparentés mais par le Gouvernement, lequel présentait ce dispositif comme l'un des éléments d'équilibre du texte. Il était central à nos yeux, même si le ministre de l'intérieur et des outre-mer avait affirmé qu'il ne méritait ni les bravos de ceux qui le considéraient comme l'alpha et l'oméga du texte, ni les hennissements de ceux qui l'estimaient affreux. Sans doute, mais il présentait, du point de vue des associations et du nôtre, quelques vertus, notamment celle de supprimer l'action préalable de l'employeur.
Nous connaissons les limites du dispositif : il est réservé aux métiers en tension, avec les aléas, la bureaucratie et l'injustice que cela peut comporter ; les travailleurs des plateformes et les indépendants ne sont pas concernés ; enfin, il ne s'agit que d'une expérimentation. Cependant, comme certains ont pu le dire, c'est mieux que rien ; le Sénat ayant proposé à peu près rien, nous souhaitons rétablir ce que vous avez plébiscité pendant des semaines voire des mois.
Avec l'amendement CL889 nous défendons l'idée que le travail donne droit au séjour. Il faut sortir de l'hypocrisie considérable qui consiste à accepter que des secteurs entiers de l'économie fonctionnent grâce à des travailleurs étrangers, dont beaucoup sont en situation irrégulière : ces personnes paient des impôts et des cotisations sociales mais ils sont maintenus dans une zone de non-droit. Le système pousse parfois l'absurdité jusqu'à laisser des travailleurs étrangers se trouvant en situation régulière et possédant une autorisation de travail perdre leur droit à travailler à cause des délais de traitement de leur dossier par les préfectures. Un titulaire d'un CDI ou d'un CDD depuis six mois doit pouvoir obtenir une carte de séjour, pluriannuelle pour le premier, temporaire pour le second, qu'il exerce un métier en tension ou non – je rappelle que l'hôtellerie-restauration ne fait pas partie de la liste de ces métiers.
L'amendement CL890 réintroduit l'article 3 sans en limiter le champ aux métiers en tension. J'insiste sur la puissance d'intégration du travail ; j'entends les nombreux zélateurs de la valeur travail exclure de ses bienfaits des personnes qui occupent un poste dans l'hôtellerie-restauration, la propreté, les travaux publics, le bâtiment et l'aide à la personne. Il y a quelques jours, le ministre délégué chargé de l'industrie a affirmé que l'économie française allait avoir besoin, dans les dix ans à venir, de 100 000 à 150 000 travailleurs dans les secteurs en tension. Nous devons défendre la base industrielle française et lutter contre la désindustrialisation, sans confondre ce combat avec une quelconque défense du productivisme. Dans les secteurs du soin à la personne et de l'aide à domicile, les besoins sont également nombreux : dans le seul département des Landes, il manque 500 aides à domicile. Nous nous battrons pour améliorer les conditions de travail, la formation, la reconnaissance de l'utilité sociale et la rémunération de ces métiers.
L'amendement vise à élargir le périmètre de l'article 3 du projet de loi initial. Il faut régulariser l'ensemble des travailleurs sans-papiers présents dans le territoire national, dont le nombre est estimé à 800 000. Ces gens ont contribué à maintenir le pays debout durant la crise sanitaire, mais ils travaillent dans la peur et sous la pression : ils méritent d'être régularisés. Il convient de sortir de la vision utilitariste qui, s'agissant des populations, fait le tri entre l'essentiel et le superflu.
Nous souhaitons élargir la régularisation aux étudiants étrangers présents dans le pays en leur octroyant un titre de plein droit. Il est inutile de demander chaque année à ces étudiants de renouveler leur titre de séjour alors que l'administration est engorgée : cette pression nuit à la sérénité de leurs études.
Enfin, nous voulons étendre la régularisation aux parents étrangers d'enfants français qui n'obtiennent pas de titre de plein droit alors qu'ils vivent en France aux côtés de leurs enfants : il y a lieu de mettre un terme à cette injustice absolue.
La régularisation des personnes sans-papiers travaillant dans les métiers en tension constitue l'un des points importants du projet de loi.
L'amendement que je défends et que nous avons été plusieurs à signer vise à réintroduire la régularisation des travailleurs sans-papiers de plein droit dans les métiers et les zones géographiques en tension. Le Sénat a supprimé cette mesure qui figurait dans le texte déposé par le Gouvernement et l'a remplacée par un dispositif de régularisation minimal, dont certains aspects sont même moins avantageux que le droit actuel.
La régularisation répond pourtant aux besoins de recrutement des entreprises dans nos territoires, tout en permettant aux personnes étrangères concernées de subvenir à leurs besoins. Elle constitue un moyen efficace de lutter contre la propagation de l'économie souterraine, dont on parle peu dans nos débats. Nous sommes très attachés à cette mesure importante d'assainissement de notre économie.
Notre amendement, identique au précédent, est de repli. Le travail doit devenir le vecteur de la régularisation, afin d'éviter les situations d'exploitation, de clandestinité, de précarité et d'illégalité. Le sujet des métiers en tension est revenu à plusieurs reprises dans les discussions de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires et européennes de l'Union européenne (Cosac), qui a réuni, au début de la semaine, des représentants de l'ensemble des parlements des États membres pour évoquer la question migratoire.
Plusieurs métiers ne sont pas considérés comme étant en tension, justement parce qu'ils emploient des travailleurs étrangers ; néanmoins, ils pourraient, eux aussi, entrer dans cette catégorie dans un avenir plus ou moins proche. L'exclusion des étudiants, des travailleurs saisonniers et des demandeurs d'asile du champ du dispositif vide le sens du principe de régularisation par le travail.
À tort ou à raison, ce texte sera qualifié d'équilibré selon les résultats de nos discussions sur l'aide médicale de l'État (AME) et sur la régularisation des travailleurs sans-papiers exerçant un métier en tension. La discussion peut être longue sur le volume de régularisations, le temps de travail, les zones géographiques et l'intensité de la tension. Nous avons déposé un amendement que je pourrais qualifier, de manière un peu pompeuse, de transpartisan et nous nous réjouissons que d'autres aient repris cette proposition, fondée sur cette bonne base de travail qu'est la rédaction initiale du Gouvernement.
Le Sénat a supprimé l'article 3, que nous souhaitons réintroduire dans le texte. Dans ce pays, on peut cotiser sans en tirer le moindre droit : le Président de la République rappelle très souvent que les droits appellent les devoirs mais, en l'occurrence, les devoirs des cotisations sociales ne donnent ici aucun droit ; bien que ces personnes aient perdu leur titre de séjour, on peut les considérer comme en règle à l'égard de la République, cette dernière ne l'étant pas avec elles. Il faut rééquilibrer cette relation en octroyant des droits, et pas seulement des devoirs, à ceux qui contribuent à l'économie et à la vie sociale du pays.
L'amendement CL1404 tend à élargir le champ de l'article 3, orientation que certains ne manqueront pas de qualifier d'appel d'air, pour reprendre une expression à la mode. Il vise en effet à supprimer la durée de validité d'un an de la carte de séjour délivrée à la personne exerçant un travail dans les métiers en tension. La suppression de cette limite temporelle inquiétera ceux qui voient dans le dispositif un danger potentiel, mais l'amendement étend le champ de la discussion.
Les travailleurs sans-papiers, dont le nombre est compris entre 600 000 et 800 000, contribuent à l'économie et à la vie sociale de notre pays ; s'ils cessaient leur activité, des secteurs entiers devraient s'arrêter, comme on l'a vu il y a quelque temps à l'occasion d'une mobilisation dans le bâtiment et les travaux publics (BTP) en Île-de-France.
Des règles rigides en apparence masquent un profond déséquilibre dans notre système économique, qui s'appuie sur un marché du travail dans lequel l'application des normes se révèle totalement inégale et sur l'exploitation d'une main-d'œuvre qui ne bénéficie d'aucune protection.
Cet amendement transpartisan, issu d'un travail favorisant les convergences, vise à porter l'exigence de régularisation des travailleurs sans-papiers exerçant un métier en tension. Nous souhaitons aller aussi loin que possible dans l'intérêt des personnes concernées et des entreprises.
Nous avons besoin de critères objectifs pour définir les métiers en tension, évaluer la durée d'exercice dans le poste dont est capable la personne et attribuer la carte de séjour.
L'amendement durcit légèrement la rédaction du Gouvernement : il exige une période de douze mois d'exercice du métier et confère au préfet un droit général d'opposition à la régularisation. Le préfet, représentant de l'État dans le département, est le plus à même de disposer d'informations précises pouvant l'inciter à refuser une régularisation que la loi autoriserait : l'objectif de l'amendement est de lui permettre de le faire.
Des sans-papiers travaillent dans des métiers en tension ; leurs perspectives de régularisation, actuellement limitées, dépendent uniquement de la procédure dite de l'admission exceptionnelle au séjour, dont le fondement juridique est une circulaire du 28 novembre 2012, dite circulaire Valls.
Cette situation présente trois difficultés majeures : les décisions préfectorales sont discrétionnaires, elles n'intègrent pas la tension qui peut exister dans certaines professions et elles dépendent d'une action de l'employeur, qui doit obligatoirement participer à la demande de régularisation – si celui-ci ne coopère pas, le dossier n'existe pas. Voilà pourquoi l'article 3 du projet de loi initial visait à lancer une expérimentation temporaire, dont les résultats devaient être évalués au bout d'un certain temps et qui consistait à délivrer une carte de séjour de plein droit aux personnes présentes en France depuis plus de trois ans et pouvant justifier d'une activité professionnelle salariée dans un métier et une zone géographique caractérisés par des difficultés de recrutement depuis au moins huit mois, consécutifs ou non, au cours des deux dernières années.
Le projet de loi initial du Gouvernement réservait le lancement de la procédure à la seule initiative du demandeur. Le Sénat a remplacé l'article 3 par l'article 4 bis, qui réduit la portée du dispositif. La Haute Assemblée a en effet créé un article additionnel dans le chapitre du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) relatif à l'admission exceptionnelle au séjour, qui dispose que la délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur temporaire ou salarié » n'intervient qu'à titre exceptionnel. En outre, les difficultés de recrutement doivent avoir duré au moins un an lors des deux dernières années et non plus seulement huit mois. L'article précise également que l'autorité compétente prend en compte l'insertion sociale et familiale de l'étranger, son respect de l'ordre public et son intégration dans la société française : les obligations que doit remplir le travailleur étranger pour obtenir la carte sont donc plus fortes. Le dispositif sénatorial prévoit enfin que l'autorisation de travail peut être accordée après vérification auprès de l'employeur de la réalité de l'activité alléguée, là où le texte initial donnait à la carte de séjour la valeur d'une autorisation de travail.
Le rapporteur général a déposé, à l'article 4 bis, un amendement proposant un dispositif d'équilibre : il reprend l'idée sénatoriale du maintien de la délivrance d'une carte de séjour temporaire, qui porte la mention « travailleur temporaire ou salarié », mais également les réserves indiquant que la carte de séjour est délivrée sauf si le représentant de l'État s'y oppose pour l'une des raisons énumérées, par exemple l'existence d'une menace contre l'ordre public. Dès lors que l'étranger remplit la totalité des conditions et qu'il ne tombe pas dans l'une des exceptions, il obtient une carte de séjour.
Il s'agit donc d'un dispositif d'équilibre : la procédure n'est pas discrétionnaire, mais il n'y a pas de droit automatique à la régularisation. Je donne donc un avis défavorable aux amendements qui viennent d'être présentés, au profit de celui du rapporteur général à l'article 4 bis.
Le sujet a fait beaucoup parler ces dernières semaines et ces derniers mois. Il est profondément hypocrite de considérer à la fois que nous avons des besoins économiques et qu'il est acceptable de maintenir des personnes dans une précarité totale. Le Gouvernement avait proposé, dans le projet de loi initial, une procédure ciblée de régularisation. Il y a des phénomènes d'exploitation et d'esclavagisme contemporain d'une part, et des filières économiques dans lesquelles des métiers se trouvent en tension, d'autre part. Certaines personnes exercent ces métiers depuis longtemps, paient leurs cotisations sociales et leurs impôts, possèdent un contrat de travail ; elles peuvent être des piliers de l'activité économique d'une entreprise, d'une PME, d'un hôtel ou d'un restaurant. Il nous apparaît indispensable de créer une procédure ad hoc de régularisation, ciblée sur ces métiers en tension.
Certains arguments manquent de pertinence. Prenons celui de l'appel d'air : le dispositif du Gouvernement comme celui que je vous présenterai à l'article 4 bis ne peuvent pas provoquer d'appel d'air ; il faut remplir une condition de résidence de trois ans et l'expérimentation prendra fin le 31 décembre 2026 – date que nous souhaitons repousser car le projet de loi a été examiné en Conseil des ministres en février dernier. Ces deux critères font qu'aucune personne vivant actuellement hors de France ne pourra bénéficier du processus de régularisation. Après avoir largement communiqué sur le caractère inacceptable d'une politique ciblée de régularisation – j'ai même entendu le slogan « Zéro régularisation ! » –, la majorité sénatoriale a reconnu la nécessité d'un tel processus. Elle a élaboré une procédure plus ciblée que celle du Gouvernement : je vous proposerai certains aménagements afin de la faire converger vers celle que nous souhaitons déployer.
Le Sénat a remis en cause deux points qui me paraissent fondamentaux.
Le premier, clef de l'article 3 initial que je souhaite réintégrer dans le texte, est l'autonomie de la demande de régularisation par rapport à l'employeur. Comme le dit souvent le ministre de l'intérieur et des outre-mer, il faut couper l'écosystème d'exploitation et de subordination – nous le ferons d'ailleurs dans d'autres domaines, en prévoyant des sanctions administratives contre les employeurs malveillants et en luttant contre les marchands de sommeil qui font commerce de logements indécents. L'article 4 bis du Sénat remet l'employeur au cœur du dispositif : dans la version actuelle du texte, rien ne peut se faire sans l'employeur.
Le second tient à la place du préfet : la Haute Assemblée a remis dans les mains du représentant de l'État dans le département l'appréciation de toutes les situations. Le préfet est doté, aux termes de l'article 4 bis actuel, d'un pouvoir absolu, général et discrétionnaire, semblable à celui que la circulaire Valls lui conférait. Or nous voulons créer une procédure ad hoc, destinée à répondre à des situations spécifiques. Nous sommes en accord avec le Sénat sur la nécessité d'élaborer une procédure ciblée de régularisation, mais nous divergeons sur la place du préfet dans le dispositif. En effet, conférer un pouvoir discrétionnaire au préfet entraînerait de très fortes inégalités territoriales dans l'application de la procédure : des injustices et une casuistique ne manqueraient pas d'apparaître et de heurter le principe d'égalité.
Je donnerai un avis défavorable aux amendements à l'article 3 et vous proposerai d'apporter plusieurs aménagements à l'article 4 bis. Le premier de ceux-ci est de supprimer la dépendance vis-à-vis de l'employeur, celui-ci pouvant subir, le cas échéant, des contrôles : la personne en situation irrégulière est-elle la seule dans ce cas à travailler dans l'entreprise ? Quelle rémunération perçoit-elle ? Quelles sont les conditions de travail ? Je le redis, l'autonomie de la demande de régularisation est indispensable. Ensuite, la régularisation ne doit pas être automatique, contrairement à ce que prévoyait la rédaction initiale de l'article 3. Pas d'automaticité, mais pas de pouvoir discrétionnaire du préfet non plus. Ce dernier doit néanmoins pouvoir interrompre à tout moment la procédure de régularisation ou retirer le titre de séjour pour des raisons qui devraient nous rassembler : polygamie – qui empêche déjà toute délivrance d'un titre de séjour –, menace contre l'ordre public – qui pourrait comprendre qu'une personne ayant bénéficié d'un titre de séjour puisse conserver celui-ci si elle menace l'ordre public ? –, comportement et agissements contraires aux valeurs de la République – à la condition que celles-ci soient précisément définies. Voilà les modifications de l'article 4 bis que nous vous proposerons.
Ce dispositif est efficace et il répond à des besoins économiques ; en outre, il romprait certains liens de subordination qui s'apparentent à de la maltraitance à l'égard de ressortissants de nationalité étrangère en situation irrégulière, lesquels n'ont pas toujours voulu se trouver dans l'illégalité car celle-ci résulte parfois de la complexité de procédures administratives que nous souhaitons simplifier. Ce dispositif est également juste car il repose sur l'autonomie de la présentation de la demande de régularisation par rapport à l'employeur et sur la possibilité pour le préfet de refuser la délivrance du titre de séjour en cas de menaces contre l'ordre public et d'agissements contraires aux principes de la République.
Monsieur Naegelen, la question de la meilleure adaptation possible de la liste des métiers en tension aux réalités locales est essentielle. Nous rencontrons quelques obstacles non pas politiques mais techniques, car il n'existe pas de données agrégées à l'échelle départementale sur l'évolution du marché de l'emploi par métier : ni Pôle emploi ni l'Insee ne sont organisés pour produire des données départementalisées et pour les actualiser. Je m'engage – M. le ministre nous le confirmera – à trouver un dispositif d'identification hyperterritoriale des métiers en tension d'ici à la séance publique. Je proposerai, ou votre groupe le fera, un dispositif qui s'appuie sur les données régionales dont nous disposons mais qui les décline aussi localement que possible. Pour ce faire, il conviendrait d'associer, comme en Suisse, les partenaires sociaux, les acteurs consulaires et peut-être d'autres institutions, afin de nous appuyer sur une connaissance précise et concrète, pas uniquement statistique, des réalités de terrain.
« On vit ici, on bosse ici, on reste ici » : voilà le slogan scandé depuis des années par de très nombreux travailleurs sans-papiers : je partage ce mot d'ordre car ces milliers d'hommes et de femmes travaillent dans des secteurs divers et utiles à la société, mais ils subissent un système totalement hypocrite puisqu'ils n'ont pas le droit de travailler mais ont besoin de fiches de paie pour être régularisés. Il faut mettre fin à cette situation et octroyer des droits à ces travailleurs, qui sont exploités car ils forment une main-d'œuvre malléable pour les employeurs.
L'une de ces personnes m'expliquait récemment qu'un individu muni de papiers ne pouvait travailler que trois heures par jour sur un marteau-piqueur quand elle restait huit heures par jour sur son outil : huit heures par jour sur un marteau-piqueur ! Leur régularisation vise à mettre un terme à ces situations d'exploitation et de grande vulnérabilité.
La régularisation des travailleurs sans-papiers est une mesure urgente et juste que nous défendrons ici jusqu'au bout. Nous soutenons évidemment l'autonomie du salarié dans la procédure de régularisation : il ne doit pas dépendre de l'employeur pour lancer cette démarche. En outre, le salarié doit obtenir un titre de plein droit. Enfin, dernier aspect essentiel, la limitation de la régularisation aux métiers en tension est à la fois trop restrictive et trop utilitariste.
Le groupe Renaissance soutient la rédaction initiale de l'article 3, celle du Gouvernement que différents groupes souhaitent réintroduire par voie d'amendement. Comme l'a rappelé le rapporteur général, le projet de loi créait un dispositif ciblé, qui prévoyait qu'un étranger exerçant, pendant au moins huit mois sur les deux dernières années, une activité salariée figurant sur la liste des métiers et des zones géographiques en tension et vivant de manière ininterrompue en France depuis trois ans pouvait obtenir une carte de séjour temporaire.
Nous étions d'autant plus attachés à cette rédaction que le salarié étranger ne peut pas dépendre de son employeur pour être régularisé. Plusieurs témoignages ont été portés à notre connaissance, dans le cadre d'auditions ou de rencontres sur le terrain, sur le fait que des personnes se retrouvent dans les mains d'employeurs indélicats, qui ne souhaitent pas les accompagner dans une procédure de régularisation. Nous sommes extrêmement attentifs à cette question.
Nous voterons néanmoins contre les amendements car les débats au Sénat ont imposé la recherche d'un compromis entre le Gouvernement et la majorité sénatoriale et les groupes Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) et Les Indépendants – République et Territoires du Sénat. Nous reparlerons à l'article 4 bis de la proposition du rapporteur général, car la rédaction du Sénat ne nous donne pas entière satisfaction.
Le débat parlementaire au Sénat a pris comme point de départ le projet de loi initial déposé par le Gouvernement, dont l'article 3 partait du droit existant, à savoir la circulaire Valls. La rédaction adoptée au Sénat nous convient davantage que le texte adopté en Conseil des ministres.
La rédaction initiale de l'article 3 créait un nouveau titre dans le Ceseda, alors que le projet de loi tente d'opérer une simplification du droit. L'article 4 bis n'instaure pas de nouveau titre : la proposition du rapporteur général reprend ce choix que nous soutenons. Ensuite, les partisans de l'article 3 ne souhaitent pas de personnalisation de la régularisation, ils défendent une procédure de plein droit. Nous sommes opposés à une telle orientation, car la réalité des activités, le mode de vie, le comportement et l'adhésion aux valeurs de la République du demandeur doivent être pris en compte. Le groupe Horizons et apparentés votera contre l'adoption des amendements tendant à rétablir l'article 3 ; nous discuterons de la proposition du rapporteur général lorsque nous en viendrons à l'examen de l'article 4 bis.
Nous avons débattu ici depuis des mois, à l'occasion de l'examen de divers textes, d'une prétendue valeur travail. Nous considérons qu'il convient désormais d'accorder de la valeur aux travailleurs et de donner des droits à ceux qui travaillent : ce n'est pas un cadeau, mais une reconnaissance de leur rôle dans la société, même si les nouveaux arrivants ne sauraient constituer des variables d'ajustement économique, ni dépendre du bon vouloir de listes parcellaires de métiers en tension et de zones géographiques déterminées. L'article 3 initial était mieux que rien, mais il n'était presque rien : il représentait une maigre contrepartie de bon sens économique et d'humanisme au rabais, en un mot, un alibi.
Depuis le début de l'examen du projet de loi par notre commission, plusieurs orateurs d'extrême droite et de droite radicalisée ont mis en avant différents sondages montrant une prétendue adhésion des Français à une politique de fermeté ; figurez-vous, chers collègues, qu'une écrasante majorité de nos concitoyens est favorable à la régularisation des travailleurs sans-papiers – n'oublions pas que presque tous les Français ont applaudi les travailleurs de la première ligne pendant la crise sanitaire du covid. Il nous appartient maintenant de leur donner à tous des droits.
Enfin, certains d'entre vous vont entonner le refrain de l'appel d'air : j'attends de ceux qui s'y livreront qu'ils nous fournissent une étude statistique, une réalité historique, un fait ou un chiffre qui démontre la survenue d'un appel d'air lorsque des politiques d'inclusion et de régularisation sont conduites : je suis impatient de les découvrir.
Ce que je vais dire ne vous surprendra pas : nous sommes frontalement opposés aux amendements qui viennent d'être présentés. Ils partent en effet du principe que le travail donne droit, d'une façon inconditionnelle, au séjour. Cela conduira à des excès, à un appel d'air et à des régularisations massives alors même que les Français disent, sondage après sondage, qu'ils veulent une réduction de l'immigration dans notre pays, parce que nous ne pouvons plus intégrer, ce qui pose énormément de problèmes. Vous ne pouvez pas nier que les Français sont totalement opposés, y compris au sein de votre électorat, à toute mesure qui viserait à augmenter massivement le nombre d'étrangers.
Ces amendements sont catastrophiques car ils ouvrent la porte à des régularisations extrêmement importantes. Je rappelle que le nombre d'étrangers en situation irrégulière est compris entre 700 000 et 900 000 dans notre pays. Vous aviez, au fond, préparé les choses puisque vous avez supprimé le délit de séjour irrégulier. Il est donc possible, désormais, de venir en France sans autorisation et de n'être pas inquiété. Vous avez également supprimé l'AMU – aide médicale urgente –, si bien qu'on pourra accéder à un panier de soins complets et gratuits. Tout cela va dans le sens d'une ouverture sans frein pour les personnes qui se trouvent déjà en situation irrégulière et à tous ceux qui voudraient venir dans notre pays dans l'espoir d'être régularisés et de disposer de l'ensemble des droits.
Nous ne pensons pas que l'article adopté par le Sénat soit un compromis. Le texte a au contraire été durci. Par ailleurs, il faudrait arrêter avec l'hypocrisie : les 800 000 travailleurs sans papiers font vivre le pays, ils participent à l'économie. Il faut les régulariser, toutes et tous, et donner un titre de séjour pluriannuel à tous les étudiants et à tous les parents d'enfants scolarisés. On doit donner ces possibilités aux étrangers si on veut qu'ils s'installent dans notre pays – je n'emploie pas, pour ma part, le terme d'intégration et encore moins celui d'assimilation.
Au-delà de la vision très raciste et très xénophobe qui prévaut en général, vous êtes inspirés par une vision utilitariste qui, elle aussi, a toujours existé. J'ai en tête les paroles d'une chanson de François Béranger : « On a pressé le citron / On peut jeter la peau ». C'est exactement ce qui va se passer dans les métiers dits en tension : une fois qu'ils ne le seront plus, on enverra ailleurs les travailleurs ou on les renverra dans leur pays, alors qu'ils auront contribué à notre économie.
C'est inexact. Au terme de la carte de séjour temporaire ou de l'admission exceptionnelle au séjour dont bénéficiera un étranger travaillant dans un métier en tension, une carte de séjour pluriannuelle pourra être sollicitée – la rédaction initiale du Gouvernement et l'amendement de compromis du rapporteur général le prévoient.
Nous sommes arrivés à l'un des pivots du texte, à savoir le travail. Je regrette d'ailleurs l'absence continue, lors de nos débats, du ministre chargé de cette politique.
La volonté de rétablir l'article 3 symbolise l'espèce d'union sacrée qui existe entre une partie de la Macronie et la NUPES, dont l'idéologie immigrationniste est totalement assumée : vous signez ensemble des tribunes dans Libération.
Nous avons entendu des propos contestables, comme l'idée selon laquelle le travail irrégulier contribue à l'économie – oui, incontestablement, mais c'est de l'économie souterraine qu'il s'agit – ou bien l'argument selon lequel les travailleurs irréguliers répondent à un besoin de main-d'œuvre. Je trouve que c'est assez méprisant à l'égard des Français, que vous soupçonnez d'être trop faignants pour accepter certains métiers, et particulièrement malhonnête. Les chefs d'entreprise vous ont dit qu'ils ne demandaient pas la régularisation de ces travailleurs et, plus encore, qu'ils ne souhaitaient pas être instrumentalisés dans les débats.
Le Rassemblement national réitère sa ferme opposition à la création d'une filière d'immigration supplémentaire et lance une alerte sur les risques de dérive liés à cet article. Vous nous expliquez que tout sera encadré, sauf que, sous la pression des associations immigrationnistes et de l'extrême gauche, la liste des métiers en tension sera allongée, les zones concernées seront élargies et les bénéficiaires seront plus nombreux. Les régularisations seront notamment étendues aux conjoints. Cet article pourrait, par ailleurs, exercer une pression à la baisse sur les salaires.
Nous ne souhaitons pas, je le répète, créer une filière d'immigration supplémentaire. Vous dites que vous allez réguler l'immigration avec ce texte, mais vous ne voulez ni expulser ni dissuader de venir : vous voulez juste régulariser les clandestins.
Il faudrait peut-être, après les diatribes et les fantasmes de l'extrême droite, revenir à la réalité à laquelle nous sommes toutes et tous confrontés, chaque jour, dans nos circonscriptions. Elle est marquée par une grande hypocrisie et une grande injustice.
Les travailleurs qui viennent nous voir nous disent qu'ils vivent en France, qu'ils sont carreleurs, maçons ou aides à domicile, ou qu'ils travaillent à l'hôpital, et que leurs enfants vont à l'école, mais que leur situation est intenable, car ils sont en situation irrégulière.
L'article 3 se proposait d'atténuer légèrement l'hypocrisie et l'injustice de la situation actuelle en prévoyant un socle minimal, mais vous êtes en train de renier l'esprit qui inspirait cette disposition, puisque vous avez dit, monsieur le rapporteur général, que l'automaticité initialement prévue par l'article 3 ne serait pas préservée.
Si je parle de socle minimal, c'est parce qu'il était question des métiers en tension, alors qu'on sait très bien que le travail irrégulier ne concerne pas forcément des métiers reconnus comme tels par Pôle emploi. Ce n'est pas toujours le cas, par exemple, dans la restauration ou le bâtiment, car on peut trouver des gens pour travailler.
La Défenseure des droits a pointé une autre hypocrisie, qui consiste à poser une condition de durée du séjour de trois ans. En faisant cela, vous encouragez le travail illégal, le séjour irrégulier et la précarité. Cette borne temporelle ne nous paraît pas acceptable.
Ne soumettons pas le droit opposable que nous souhaitions à l'arbitraire et au non-droit.
Nous ne pratiquons pas la numérologie : qu'il s'agisse de l'article 3 ou de l'article 4 bis nous est complètement égal. C'est le contenu de l'article qui nous importe.
Monsieur le rapporteur général, la départementalisation de la liste des métiers en tension est pour nous une question extrêmement importante. Vous nous dites qu'on n'a pas d'informations, ce que je ne comprends pas : Pôle emploi m'envoie régulièrement des chiffres précis par bassin de vie – en l'occurrence, celui de Remiremont et celui de Gérardmer, dans les Vosges. De nombreuses administrations arrivent à faire de même par circonscription. On pourrait donc travailler sur quelque chose d'encore beaucoup plus précis que le département, même si nous trouvons que c'est l'échelon le plus intéressant. Dans la région Grand Est, par exemple, Strasbourg et Le Thillot n'ont pas les mêmes problématiques : si on veut être capable de prendre des décisions qui collent le plus possible aux préoccupations des habitants, on doit aller jusqu'à ce niveau de précision.
Il faudra aussi, comme vous l'avez dit, que les décisions ne soient pas uniquement prises par les préfets. Nous avons ainsi déposé un amendement visant à réunir autour de la même table les représentants des chambres consulaires, des administrations, du conseil départemental et du conseil régional ainsi que les parlementaires, afin que les acteurs les plus proches des réalités du terrain puissent discuter ensemble de la question des métiers en tension.
Rétablir cet article qui vise à régulariser les clandestins travaillant dans des métiers en tension est une fausse bonne idée.
Je rappelle, d'abord, que les régularisations n'ont jamais cessé depuis l'époque de François Mitterrand : il y a eu la circulaire Sarkozy de 2008, qui a créé une liste de trente métiers en tension et permis l'embauche de travailleurs étrangers pourvus d'un certificat de travail, puis la circulaire Valls de 2012, qui a régularisé les étrangers en situation irrégulière vivant en France depuis au moins cinq ans et ayant un contrat de travail ou une promesse d'embauche. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ces régularisations sont loin d'avoir réglé le problème qui nous occupe.
L'article 3 tend à octroyer une carte de séjour de plein droit à des clandestins présents en France depuis plus de trois ans et ayant exercé un métier en tension durant huit mois au cours des deux années précédentes. Le Sénat a souhaité prendre en compte des critères relatifs au comportement, à l'adhésion à nos modes de vie et tout simplement à l'insertion, et il a allongé la durée de travail nécessaire, ce qui me paraît le minimum.
Ce qui me gêne dans vos arguments, c'est votre petite musique de défiance envers les préfets, dont les décisions seraient discrétionnaires – en gros, certains seraient des méchants qui ne régulariseraient personne. Si tel est le cas, pourquoi ne pas appliquer la même défiance dans d'autres domaines et donc réduire drastiquement les prérogatives de ces serviteurs de l'État ? De la même façon, les employeurs seraient forcément de vilains patrons désireux de profiter de la précarité de leurs employés en ne les faisant pas régulariser.
Enfin, vous prétendez que l'argument de l'appel d'air est faux. Mais croyez-vous vraiment que les passeurs qui organisent les filières vont s'embarrasser de détails et expliquer les conditions nécessaires pour obtenir, éventuellement, un titre de séjour ? Ils diront tout simplement aux gens qu'ils n'ont qu'à se prétendre maçons, serveurs ou livreurs pour être régularisés et ils les inciteront ainsi à venir en France.
Voilà pourquoi je suis totalement opposée aux amendements visant à rétablir l'article 3.
Nous arrivons effectivement à un moment important – même si les articles 3 et 4 ne constituent pas l'essentiel du texte, ils sont cohérents avec le reste.
De qui parle-t-on ? Malgré des semaines voire des mois de débats au Parlement et dans les médias, on continue, parfois, à ne pas parler de ce qui figure dans le texte, mais de choses qui auraient pu s'y trouver ou qui n'ont pas d'autre existence que médiatique. Il est question, en réalité, de travailleurs en situation irrégulière du point de vue du droit du séjour, mais régulière sur le plan du droit du travail – telle est la difficulté. Ces gens sont déjà sur le sol national et ils ont des fiches de paie, voire des contrats de travail. Ils font donc partie de l'énorme masse de personnes qu'on appelle les « ni-ni » – ni expulsables ni régularisables, parce qu'arrivées depuis déjà très longtemps sur le territoire national. Il n'est pas question, comme l'a dit le rapporteur général, de personnes se trouvant hors de France, mais de gens qui ont des fiches de paie, qui s'acquittent de leurs impôts, dans le cadre du prélèvement à la source, et qui paient des cotisations même s'ils ne bénéficient pas des droits reconnus aux travailleurs. Deux solutions peuvent dès lors être envisagées : soit on expulse ces personnes, après avoir condamné les entreprises qui les embauchent, soit on procède à des régularisations, pour tout ou partie. Le problème est que notre droit ne permet aujourd'hui aucune de ces solutions.
Le projet de loi résoudra la difficulté. D'abord, et c'était la mesure la plus importante de l'article 3, le texte permettra au salarié d'être régularisé sans son employeur. Aujourd'hui, une régularisation n'est pas possible si l'employeur ne signe pas le formulaire Cerfa. Pourquoi ne le voudrait-il pas ? Il devrait, d'abord, payer une contribution à l'Ofii, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, ce dont il n'a sans doute aucune envie, et il sait très bien, par ailleurs, qu'il ferait ainsi la démonstration qu'il n'aurait pas dû employer la personne concernée, c'est-à-dire qu'il est, en grande partie, un patron voyou. L'article 8 permettra de libérer le salarié du joug de l'employeur et de savoir qui embauche des personnes sans papiers, en leur délivrant de vrais faux documents. Cela permettra des poursuites pénales, lesquelles sont malheureusement peu nombreuses à l'heure actuelle – moins de 500 sont exercées par an, alors que le ministère de l'intérieur et l'inspection du travail en engagent 15 000. Surtout, le texte donnera aux préfets la possibilité de prononcer des fermetures administratives et d'infliger des amendes extrêmement fortes afin d'arrêter le flux continu des embauches au moyen de vrais faux contrats de travail ou bulletins de salaire. Il faut regarder le texte dans sa globalité.
En refusant ces dispositions, non seulement vous ne réglerez pas le problème du lien entre l'employé et l'employeur – je m'adresse en particulier à la partie gauche de la salle –, mais en plus vous ne tarirez pas le flux des personnes irrégulières, puisque vous laisserez hypocritement les patrons continuer à embaucher irrégulièrement des gens sans jamais être condamnés. Et si vous ne libérez pas l'employé de l'employeur, en ce qui concerne la demande de régularisation, vous ne connaîtrez pas le continent caché que forment tous ceux qui exploitent, dans des conditions souvent indignes, des personnes en situation irrégulière.
Autre élément, le texte concerne les métiers en tension, lesquels ne sont pas si nombreux que cela. Il arrive souvent que les exemples cités ne correspondent pas à la réalité. Ainsi, alors que la restauration n'est pas aujourd'hui un métier en tension, il a encore été question, tout à l'heure, des serveurs. Le texte s'applique, ensuite, à des zones géographiques où il existe des difficultés d'embauche. Les dispositions envisagées dans le cadre de la rédaction initiale de l'article 3, des modifications apportées par le Sénat et des propositions faites par le rapporteur général lient ces deux questions, celle des métiers en tension et celle des zones géographiques dans lesquelles le marché du travail est tendu. Dans les endroits où le taux de chômage est de 12 ou 13 %, par exemple dans les Hauts-de-France, des régularisations ne sont pas prévues. En Bretagne, où le taux de chômage est très peu élevé et où on a besoin de personnes dans l'agriculture ou les travaux publics, par exemple, le texte s'appliquera au contraire. Il est donc tout à fait faux de dire qu'il y aura une régularisation nationale, massive et ne tenant pas compte de la question du chômage.
J'ajoute que l'hypocrisie règne partout. C'est notamment vrai du côté des employeurs qui ont recours à une main-d'œuvre étrangère non déclarée, payée moins cher et privée de droits syndicaux et de protection sociale. Il ne faut pas se plaindre que davantage de monde dépende de l'AME lorsque des gens qui paient des cotisations ne peuvent pas bénéficier de la sécurité sociale – il faudrait être un peu cohérent. Il y a aussi de l'hypocrisie, permettez-moi de le dire, sur le plan législatif, car nous procédons par circulaires. J'entends les arguments de la gauche, mais elle ne fait pas ce qu'elle demande une fois qu'elle est dans la majorité. Je pense à la circulaire Valls, qui a été prise durant la présidence de François Hollande : le gouvernement socialiste de l'époque a préféré l'hypocrisie. Nous aurions pu agir aussi par circulaire et donc continuer à régulariser des gens sans le dire sur le plan législatif. Procédons-nous aujourd'hui à des régularisations, notamment au titre du travail ? La réponse est oui. D'ailleurs, tous les groupes politiques m'écrivent pour demander des régularisations. C'est normal, mais tout cela se fait sans rien dire au Parlement et aux Français : on s'y prend en cachette. On envoie des courriers, les gens ont rendez-vous à la préfecture, puis des régularisations ont lieu ou non, et c'est tout.
Le Gouvernement vous demande aujourd'hui de fixer des critères dans la loi. Certains veulent qu'on précise dans le projet de loi que c'est le niveau A2 qui est visé en matière de compétences linguistiques, alors que la question relève clairement du domaine réglementaire – ces parlementaires voudraient même savoir comment se passera l'examen de français, et peut-être à quelle heure les gens seront convoqués – mais quand on vous demande de prévoir des critères en matière de régularisation, que vous pourriez souhaiter plus larges ou au contraire plus restreints que ce que nous proposons, vous refusez de le faire.
Nous pourrions discuter des critères si vous trouvez qu'ils ne conviennent pas. Vous pourriez préférer une durée de cinq ou sept ans de séjour au lieu de trois ou bien une période de douze ou quatorze mois de travail au lieu de huit. Vous pourriez également nous demander pourquoi nous visons les métiers en tension et pas d'autres, ou pourquoi nous procédons par zones géographiques. À cet égard, monsieur Naegelen, je pense que nous pourrons trouver, dans l'hémicycle, un moyen de répondre à votre demande, mais il faudra le faire en lien avec le ministère du travail – je ne veux pas vous faire une promesse sans lendemain. Le principe même de la réforme est de prendre en considération des zones géographiques particulières : nous avons ainsi ouvert la voie à une forme de départementalisation et à un travail avec les branches professionnelles.
En réalité, deux positions différentes sont exprimées. Certains disent qu'il ne faut pas de critères parce qu'ils veulent régulariser tout le monde, ce qui n'est évidemment ni possible ni acceptable. D'autres préféreraient qu'on ne parle même pas de cette question. Ils nous demandent donc de continuer à faire preuve d'hypocrisie : selon eux, une simple circulaire suffirait. Néanmoins, après avoir entendu ces différents arguments, le Sénat a souhaité qu'on inscrive dans la loi un certain nombre de critères. J'imagine que si M. Retailleau a voté de telles dispositions, certes modifiées, c'est qu'elles correspondaient bien pour lui à une réalité.
En refusant par principe les dispositions que nous vous proposons, vous encouragez – je le dis notamment au groupe LR – le contraire de ce que vous voulez. Prenons le cas d'une dame qui travaille dans un secteur en tension. Si son employeur ne veut pas signer le document Cerfa nécessaire, cette personne ne pourra pas être régularisée, même si le parlementaire qui m'a écrit le souhaite et même si le préfet, ou le ministre, le voulait : c'est une disposition législative qui s'applique. Comment la dame en question pourra-t-elle donc être régularisée ? C'est possible, dans le cadre de la circulaire Valls, si elle fait un enfant. Pensez-vous que c'est une manière intelligente de traiter la question ? C'est absurde, surtout que le titre de séjour temporaire, pour un an, qui serait alors délivré n'ouvrirait pas droit au regroupement familial.
Nous avons proposé, à l'article 1er, de conditionner la délivrance d'un titre pluriannuel à la réussite d'un examen de français. Par ailleurs, nous ne tirerons pas les salaires vers le bas, pour reprendre l'expression utilisée par la France insoumise. L'article 2, que vous avez adopté à l'unanimité, prévoit que les cours de français proposés auront lieu pendant les heures de travail. Quant à l'article 8, il permettra de sanctionner très fortement l'employeur et de fermer l'entreprise.
Je précise aussi que les régularisations au titre du travail dans le cadre de la circulaire Valls concernent 7 000 personnes par an, sur environ 12 000 ou 13 000 dossiers. Je ne sais donc pas d'où sortent les chiffres évoquant des centaines de milliers de personnes, mais rien ne vous empêche de prévoir des quotas, comme l'a demandé l'excellent sénateur Szpiner, qui n'appartient pas à la majorité parlementaire et qui a été maire du 16e°arrondissement de Paris – on ne peut donc pas dire que c'est absolument un gauchiste. Puisqu'on peut considérer qu'il s'agit de cas particuliers, fixez des quotas, de 5 000, 8 000 ou 10 000 personnes par an, si vous avez peur d'un appel d'air.
Certaines modifications apportées par le Sénat sont tout à fait heureuses. J'accepte ainsi bien volontiers qu'on regarde si les gens n'ont pas de casier judiciaire et si la manière dont ils vivent est conforme aux valeurs de la République. C'était déjà prévu dans le texte déposé par le Gouvernement, à l'article 13, et il n'y a aucune raison de ne pas inscrire des dispositions similaires à l'article 3 ou à l'article 4 bis.
Certains disent – je pense aux membres du groupe Socialistes – qu'ils auraient vraiment aimé voter le texte, l'article 3 n'étant pas mal, mais ils nous reprochent de reculer. Soyons clairs : ce groupe a dit, avant même qu'on puisse dire un mot du texte, qu'il voterait contre. J'observe que les autres groupes politiques, à l'exception de La France insoumise, n'ont pas agi de la même façon. Vous pariez peut-être sur la bêtise du Gouvernement, en vous disant qu'il n'a qu'une majorité relative et que la droite déclare ne pas vouloir de régularisations de plein droit. Vous déclarez, en tout cas, que vous voulez l'article 3, mais que vous voterez à la fin contre le texte, c'est-à-dire aussi contre cet article. Cela s'appelle de l'hypocrisie. Vous n'avez pas fait lorsque vous étiez aux responsabilités ce que vous demandez maintenant que vous êtes dans l'opposition, et vous poussez pour une régularisation tout en n'en voulant pas, puisque vous voterez contre le texte. Personne n'y comprend rien : on se croirait dans un congrès du parti socialiste. Arrêtez, s'il vous plaît, de faire preuve d'hypocrisie.
L'amendement CL1665 du rapporteur général mérite peut-être quelques modifications, notamment dans le sens de la territorialisation évoquée par M. Naegelen. Néanmoins, l'idée que Mme Jacquier-Laforge a exposée – il ne s'agirait ni d'une régularisation de plein droit ni d'un droit premier et unique du préfet – me paraît constituer un compromis assez ingénieux. Par ailleurs, j'ai eu l'occasion de dire à M. le rapporteur général que nous n'avions rien à cacher aux branches professionnelles ou aux parlementaires : comme ils interviennent beaucoup pour soutenir les demandes de tel ou tel travailleur, qu'ils connaissent mieux que nous, on pourrait imaginer de les associer aux décisions prises, dans le cadre de commissions départementales ad hoc.
Je suis sensible aux arguments de ceux qui disent que leur préfet est très fermé dans ce domaine ou au contraire très ouvert, et je pense qu'on peut rendre encore meilleur l'amendement CL1665, qui pourrait être adopté finalement, mais je tiens à souligner que ce projet de loi fera preuve d'une fermeté absolue contre les étrangers délinquants, ce qu'on ne faisait pas auparavant – nous réparons donc des erreurs – tout en mettant fin à l'hypocrisie qui prévalait, parce que c'est aussi ce que demandent nos concitoyens.
Pour toutes ces raisons, je vous invite à rejeter les amendements visant à rétablir l'article 3 et j'apporte mon soutien à l'amendement de compromis proposé par Mme la rapporteure et M. le rapporteur général.
Je voudrais répondre au ministre. J'ai effectivement dit, lorsqu'il est entré dans des discussions exclusives avec M. Ciotti, que s'il voulait obtenir notre soutien à un texte coécrit avec la droite, c'était mal barré. Il y a manifestement deux ministres de l'intérieur – au moins : celui qui siège au Sénat et qui dit une chose, et ce que les Allemands appellent un Doppelgänger, qui siège à l'Assemblée nationale et dit autre chose. Pour notre part, nous avons continuellement joué le jeu du parlementarisme. Chaque fois que nous pouvons remporter des victoires pour les Français et les Françaises, nous le faisons. Nous avons déjà soutenu, après les avoir amendés, des textes déposés par le Gouvernement.
Qu'il faudrait aller au-delà de la circulaire Valls, j'en suis aujourd'hui convaincu, et j'ajoute que c'est en tant que parlementaire, ce que je n'étais pas auparavant, pas plus que ministre, que j'exprime une position dont le parti socialiste a délibéré en toute clarté. L'absence de clarté et l'hypocrisie, pardon de le dire, monsieur le ministre, sont du côté des positions que vous prenez avec duplicité tantôt au Sénat et tantôt à l'Assemblée.
La commission rejette successivement les amendements.
Après l'article 3
Amendements CL1489, CL1490 et CL1491 de M. Aurélien Taché
Ces amendements abordent un sujet extrêmement important, qui est l'autorisation de travail des demandeurs d'asile : ils ne peuvent l'obtenir qu'avec l'accord du préfet six mois après le dépôt de leur demande. Nous proposons, par l'amendement CL1489, un dispositif beaucoup plus ouvert et plus aligné sur ce qu'on fait un peu partout en Europe, qui consiste à ouvrir le marché du travail aux demandeurs d'asile un mois après le dépôt de leur demande, dans les mêmes conditions que pour les réfugiés. Puisqu'il est question d'intégration par le travail, dans votre bouche, monsieur le ministre, et dans celles de parlementaires de la majorité, il faudrait avancer réellement dans ce domaine. Le fait que les demandeurs d'asile ne puissent pas travailler est une anomalie complète sur le plan européen et c'est un vrai frein pour leur intégration future.
Les amendements de repli CL1490 et CL1491 portent respectivement le délai à deux et trois mois.
Avis défavorable. Je partage la conviction qu'il faut permettre aux demandeurs d'asile d'accéder au travail, mais je vous proposerai plutôt de rétablir les dispositions prévues à l'article 4, qui me paraissent équilibrées : un demandeur d'asile pourra, selon sa nationalité et le taux de protection associé, accéder au travail dès le dépôt de sa demande. Nous aurons l'occasion d'y revenir lorsque nous examinerons cet article.
Avis défavorable, même si je comprends votre demande, monsieur Taché. Je militerai, comme je l'ai fait au Sénat, pour les dispositions de l'article 4, qui permettront de donner une autorisation de travail aux gens dont on sait qu'ils ont une très grande chance, compte tenu des taux constatés, de bénéficier d'une protection au titre de l'asile. Ce n'est pas le cas, vous le savez, pour toutes les nationalités : certaines des personnes qui viennent en France, soit par l'intermédiaire de passeurs soit toutes seules, détournent la procédure d'asile, puisqu'il s'agit en réalité d'une immigration de travail.
Le rétablissement de l'article 4 serait en soi une très bonne chose, mais on pourrait reparler du taux de protection. Nous avions envisagé un seuil de 50 % en dessous duquel on n'accorderait pas d'autorisation de travail avant six mois. Notre proposition était de fixer ce seuil par voie réglementaire, mais je suis prêt à discuter aussi bien de son niveau que de son éventuelle inscription dans la loi.
Il me semble par ailleurs qu'un délai d'un ou deux mois serait un peu court – même les associations qui accompagnent les demandeurs d'asile disent que ces derniers ne peuvent pas travailler tout de suite après leur arrivée en France, en raison de leur parcours, qui a été très difficile. Il faudrait que nous regardions ensemble la question, mais je ne rejette pas par principe votre demande.
J'en profite pour signaler, car je sais que vous êtes également attentif à ce sujet, que nous prévoyons une mesure de simplification concernant non pas les demandeurs d'asile mais les travailleurs étrangers. Alors que l'autorisation de travail est normalement distincte du titre de séjour délivré par la préfecture, le rapporteur général propose, après des discussions avec le Sénat, que le titre de séjour puisse valoir autorisation de travail pour les métiers en tension, ce qui simplifierait grandement la vie de tout le monde, y compris l'administration. La fusion du titre de séjour et de l'autorisation de travail permettrait de gagner beaucoup de temps, dans le respect des travailleurs et de la demande sur le marché du travail.
J'ai effectivement déposé des amendements allant dans le sens d'une fusion entre le titre de séjour et l'autorisation de travail. J'espère donc que nous pourrons les adopter.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements CL1485 et CL1487 de M. Aurélien Taché
Ces amendements visent à mettre fin à la taxe que doivent payer les employeurs recrutant un travailleur étranger. Je considère, contrairement à ce que l'on entend souvent dire du côté de l'extrême droite, que la préférence nationale existe déjà en France. Quand on veut employer un travailleur étranger en situation régulière, il faut payer une taxe extrêmement importante, ce que je ne comprends pas : si un chef d'entreprise veut recruter un travailleur parce qu'il l'estime plus compétent que d'autres, quelles que soient les nationalités considérées, il doit pouvoir le faire sans subir ce type de frein. Je propose de mettre un terme dans ce domaine à l'application de la préférence nationale, principe que je combats.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL1053 de M. Benjamin Lucas
Nous entendons protéger l'étranger salarié sans titre qui demanderait à être régularisé pour motif professionnel contre d'éventuelles mesures de rétorsion de la part de son employeur. Il arrive en effet qu'il soit indélicat – c'est le terme très pudique qui a été employé tout à l'heure. On ne peut pas écarter l'hypothèse dans laquelle un employeur qui prendrait connaissance de la démarche de régularisation engagée par son salarié procéderait à son licenciement, par crainte d'une sanction prononcée par l'administration.
Afin d'éviter un tel effet pervers, je propose d'assimiler les intéressés à des salariés protégés au sens du code du travail, le temps de la procédure de régularisation : le licenciement ou la rupture du contrat de travail seraient soumis à l'autorisation de l'inspection du travail, qui déterminera s'il existe un autre motif que la démarche de régularisation.
Je comprends votre préoccupation mais, dans la rédaction que vous en avez proposée, cet amendement ne me paraît ni opérationnel ni opportun. J'émettrai donc un avis défavorable.
S'agissant de l'opérationnalité, l'amendement est discordant avec son exposé sommaire. Vous dites souhaiter une protection par l'inspection du travail dans le cas d'une rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur consécutivement à une demande de régularisation présentée par un salarié étranger sans titre, mais il n'y a pas de référence à l'engagement d'une démarche de régularisation dans le dispositif proposé. Si on votait votre amendement en l'état, l'étranger en situation irrégulière qui serait licencié par son employeur bénéficierait donc, quel que soit le motif du licenciement, d'une protection comparable à celle accordée aux délégués syndicaux.
D'autre part, votre amendement ne semble pas opportun. En vertu de l'article L. 8252-1 du code du travail, un travailleur en situation irrégulière est autorisé à saisir le conseil des prud'hommes pour contester la rupture du contrat de travail. Il bénéficie donc déjà d'un recours. La meilleure réponse à votre préoccupation n'est pas de placer l'étranger sous la protection de l'inspection du travail mais de lui permettre d'engager une procédure de régularisation pour motif professionnel, ce que prévoit le projet de loi. Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Amendements CL1486 et CL1502 de M. Aurélien Taché.
Outre la taxe qu'ils doivent acquitter, les employeurs désireux de recruter un travailleur étranger doivent prouver qu'ils n'ont trouvé aucun travailleur de nationalité française pour occuper le poste – si ce n'est pas de la préférence nationale, je ne sais pas ce que c'est !
Quant aux autorisations de travail, le ministre a fait allusion à la possibilité de les fusionner avec les titres de séjour pour s'épargner une double instruction mais aussi pour éviter les cas dans lesquels le titre est accordé mais pas l'autorisation de travail. Il vous est proposé ici de supprimer l'autorisation de travail. Laissons les chefs d'entreprise choisir les travailleurs qu'ils veulent embaucher en fonction de leurs compétences et non de leur nationalité. Cela n'a aucun sens.
Avis défavorable. Bien que je partage votre préoccupation s'agissant des autorisations de travail, celles-ci peuvent avoir un intérêt dans certains cas – je pense à la visite médicale à laquelle doivent se soumettre les saisonniers.
Je suis prêt à avancer sur les autorisations de travail dans trois directions. Premièrement, bien que cela relève du domaine réglementaire, je suis disposé à prendre l'engagement formel d'aboutir à une fusion entre titre de séjour et autorisation de travail qui simplifiera la vie de tout le monde. Il faut que la rédaction ménage une certaine souplesse pour éviter que nous ayons à recourir à la loi à la moindre modification.
Deuxièmement, nous pouvons travailler sur la mansuétude dont devraient bénéficier les travailleurs étrangers qui basculent dans l'irrégularité du fait de l'incurie administrative. Je pense à une personne, entrée régulièrement sur le territoire national et travaillant tout à fait convenablement, qui n'obtient pas à temps la réponse de la préfecture à sa demande de titre de séjour et se retrouve donc en situation irrégulière. Soit la personne perd son travail, soit l'employeur endosse l'irrégularité par solidarité avec son salarié, qui peut être sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). C'est totalement absurde. J'ai eu vent récemment de problèmes de cette nature pour des ingénieurs donc cela ne concerne pas que les métiers en tension.
En attendant la réforme des préfectures que j'ai évoquée à plusieurs reprises, je propose de trouver une solution, sur le modèle de la « tolérance » qui existe en Allemagne, pour que des personnes, titulaires d'un contrat de travail, arrivées régulièrement sur le territoire national et devenues irrégulières du fait de l'incurie de l'administration, ne connaissent ni les OQTF ni l'incertitude dans leur vie professionnelle.
Troisièmement, la vérification de la véracité du travail, qui est à l'origine de la création de l'autorisation de travail, doit rester un objectif mais elle peut s'opérer autrement que par une double démarche administrative. Elle peut l'être par la présentation d'un engagement de l'employeur dès le début du titre de séjour.
Enfin, lorsque les travailleurs changent d'employeur, ils sont tenus aujourd'hui de demander une nouvelle autorisation de travail. C'est absurde. Je suis prêt à travailler avant la séance pour faire en sorte que l'autorisation de travail, couplée au titre de séjour, soit valable pour l'ensemble des employeurs dès lors que les conditions liées aux besoins de main-d'œuvre, à la maîtrise de la langue et aux valeurs de la République sont remplies. La situation actuelle est kafkaïenne pour la personne étrangère comme pour l'administration française.
Nous pourrions donc travailler, sous l'autorité de la rapporteure et avec les députés intéressés, sur un amendement global sur les autorisations de travail reprenant ces différents points. Celui-ci fixerait les principes et renverrait pour le reste au pouvoir réglementaire dans le but de simplifier les procédures sans perdre de vue la vérification de la réalité du travail.
J'ai bien compris que vous ne proposiez pas un détournement mais une simplification. Je suis néanmoins défavorable à vos amendements tout en vous encourageant à travailler en vue de la séance publique.
Je maintiens les amendements, mais j'entends l'ouverture que vous faites, monsieur le ministre. S'il est possible d'adopter un amendement global sur les autorisations de travail, je suis disponible pour y travailler.
Vous avez évoqué la continuité des droits. J'avais déposé hier un amendement visant à instituer une présomption de continuité afin d'éviter la rupture des droits consécutive à l'incurie administrative des préfectures – je reprends vos termes. La continuité devrait s'appliquer, au-delà des autorisations de travail, à l'ensemble des droits. Certaines personnes, à cause du non-renouvellement d'un titre de séjour dans les temps, perdent leur logement social, leur formation professionnelle, des droits sociaux, etc. Je proposerai en séance des amendements sur ce point.
Si préférence il y a, elle doit aller aux étrangers en situation régulière qui vivent dans notre pays et qui peuvent se trouver sans emploi. Notre pays compte près de six millions de demandeurs d'emploi dont trois millions en catégorie A. C'est dans ce vivier qu'il faut puiser pour combler les besoins dans les métiers et les régions en tension.
Monsieur Taché, j'ai déposé, après l'article 4 bis, un amendement CL1645 en vertu duquel le titre de séjour vaut autorisation de travail. De même, en vertu de l'amendement CL1646, identique à ceux de Mmes Buffet et Pochon, la carte de séjour « travailleur saisonnier » vaudra autorisation de travail, quel que soit l'employeur. La carte ne pourrait ainsi pas être retirée en cas de changement d'employeur.
La commission rejette successivement les amendements.
Article 4 (supprimé) (art. L. 554-1-1 [nouveau] du CESEDA) : Accélérer l'accès au marché du travail des demandeurs d'asile ressortissants de pays bénéficiant d'un taux de protection internationale élevé en France
Amendements CL1083 de Mme Caroline Abadie, CL1096 de M. Philippe Brun et CL733 de Mme Danièle Obono, amendements identiques CL1703 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, CL259 de la commission des affaires étrangères, CL1630 de M. Sacha Houlié, CL640 de M. Christophe Naegelen, CL1262 de M. Jean-Louis Bricout, CL1299 de M. Emmanuel Mandon, CL1445 de Mme Stella Dupont et CL1558 de Mme Marie Guévenoux (discussion commune).
L'amendement CL1083 a été travaillé avec l'Association pour le droit à l'initiative économique (Adie), spécialiste de l'accompagnement de l'entrepreneuriat, notamment des personnes les plus précaires. Selon elle, 85 % des entreprises dont les créateurs sont accompagnés passent le cap des trois ans et 16 % d'entre eux sont des ressortissants étrangers. La création d'entreprise est un fort levier d'intégration au même titre que l'activité salariée.
L'amendement vise à rétablir l'article 4, supprimé par le Sénat, en ajoutant l'entrepreneuriat aux activités que le demandeur d'asile peut exercer dès l'introduction de sa demande, sous certaines conditions. Si l'objectif de l'article 4 est de permettre aux demandeurs d'asile de s'assumer financièrement le plus vite possible, l'amendement va dans le même sens. Plus les demandeurs d'asile travailleront, plus ils s'intégreront et moins ils seront dépendants de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA).
Il s'agit de mettre fin à une injustice qui est souvent vécue par les demandeurs d'asile comme une marque d'hostilité de la France à leur égard. Cette injustice consiste à les priver du droit de travailler, donc de s'engager dans un parcours d'intégration plein et entier.
Pour répondre à nos collègues de l'extrême droite, qui mettent en avant le coût faramineux de l'immigration pour les finances publiques, si un demandeur d'asile pouvait travailler, il n'aurait pas à vivre de la solidarité nationale. Non seulement l'État pourrait faire des économies mais surtout cela favoriserait la cohésion nationale et l'intégration de ceux qui ont fui leur pays, la guerre, les violences, et les persécutions. C'est aussi leur permettre de s'engager dans une reconstruction.
Nous souhaitons que tous les demandeurs et demandeuses d'asile puissent travailler dès l'introduction de leur demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Le projet de loi limite ce droit aux personnes originaires d'un pays inscrit sur une liste fixée annuellement par l'autorité administrative, introduisant ainsi une inégalité de traitement injustifiée. Pour nous, c'est la dignité de la personne, consacrée par la jurisprudence constitutionnelle, qui doit être respectée. Je rappelle que l'ADA s'élève aujourd'hui à 14 euros par jour. Il est impossible de vivre dignement avec un tel revenu. C'est l'une des raisons pour lesquelles nombre de demandeurs d'asile se retrouvent à la rue. Voilà pourquoi il faut leur permettre de travailler dès le premier jour.
L'amendement vise à rétablir l'article 4 et je me réjouis que de nombreux collègues aient déposé des identiques.
En l'état du droit, le demandeur d'asile peut accéder au marché du travail six mois après l'introduction de sa demande lorsque l'Ofpra n'a pas statué dans ce délai.
De nombreux rapports parlementaires se sont intéressés au sujet. Je pense notamment au rapport d'information de 2020 de nos collègues de la commission des finances, Stella Dupont et Jean-Noël Barrot, relatif à l'intégration professionnelle des demandeurs d'asile et des réfugiés.
L'amendement vise à autoriser l'accès au marché du travail dès l'introduction de la demande d'asile dès lors que le demandeur est originaire d'un pays pour lequel le taux de protection internationale accordée en France est supérieur à un seuil fixé par décret et figurant sur une liste fixée annuellement par l'autorité administrative.
Le nouvel article ouvre la possibilité aux mêmes demandeurs d'asile de suivre certaines formations, linguistiques et professionnelles.
Les objectifs recherchés sont, d'une part, l'accélération du parcours d'intégration des étrangers dont il est le plus probable qu'ils vont rester sur le territoire et, d'autre part, la lutte contre l'emploi illégal des étrangers.
S'agissant du taux de protection internationale qui sera retenu, j'imagine que le ministre apportera des précisions.
Convaincue que l'équilibre trouvé est satisfaisant, je serai défavorable à l'ensemble des autres amendements de la discussion commune.
La suppression par le Sénat de l'article 4 nuit à l'équilibre du texte en restreignant l'accès des travailleurs étrangers au marché du travail français alors que les demandes sont fortes dans les métiers dits en tension.
L'article 4 instaurait un dispositif d'accès au marché du travail sans délai pour les demandeurs d'asile dont il est fortement probable au regard de leur nationalité qu'ils obtiendront une protection internationale en France. Le groupe Renaissance de la commission des affaires étrangères tient à le rétablir.
J'ai également déposé un amendement de rétablissement de l'article 4.
Si nous souhaitons faciliter l'accès au marché du travail des personnes qui ont le plus de chance d'obtenir l'asile, c'est d'abord parce que nous avons inversé l'ordre d'examen des demandes d'asile.
Avant 2019, étaient examinées prioritairement les demandes d'asile émanant des personnes qui avaient le plus de chances d'être protégées – les Syriens ou les Afghans. Les demandeurs qui avaient le moins de chances d'être éligibles – les Albanais et les Géorgiens, notamment – devaient patienter six, sept, huit mois avant de voir leur dossier examiné. Ce choix créait une trappe à l'irrégularité.
Depuis 2019, l'ordre de priorité est inversé : sont d'abord examinées les demandes des personnes qui ont le moins de chances d'être protégées en raison de leur nationalité, de sorte qu'elles puissent rapidement être reconduites si elles ne sollicitent pas un titre de séjour. En revanche, les Syriens ou les Afghans restent sur le territoire pendant plusieurs mois, avec de grandes chances d'être protégés, donc ayant vocation à rester, mais sans pouvoir travailler. Ils sont condamnés à bénéficier de l'ADA. C'est à la fois une hérésie économique et un obstacle à l'intégration. L'article 4 proposé initialement par le Gouvernement est donc pleinement justifié.
Cet amendement du groupe LIOT part d'un constat pragmatique : il est préférable de permettre à la personne qui est accueillie sur notre sol et a vocation à y rester – la liste des pays d'origine des demandeurs d'asile concernés sera évolutive – de travailler tout de suite. De nombreux groupes l'ont dit, le demandeur d'asile perçoit aujourd'hui l'ADA et vit dans des locaux qui ne sont pas toujours adaptés. S'il peut travailler, il crée de la valeur, il paie éventuellement des impôts, il n'est plus dépendant de la solidarité nationale. Puisqu'il a vocation à rester et à travailler, autant qu'il le fasse tout de suite.
Je tiens particulièrement à cet amendement identique à celui de la rapporteure. En tant que rapporteure spéciale de la commission des finances, je travaille, depuis de nombreuses années, sur le travail des demandeurs d'asile et leur intégration, notamment avec Jean-Noël Barrot. Les rapports parlementaires ne sont pas faits uniquement pour caler les armoires, ils servent aussi à éclairer nos débats et à nourrir nos propositions pour faire évoluer la loi. Il me semble nécessaire de faciliter et d'accélérer l'accès au travail de tous les demandeurs d'asile, pas seulement les plus protégés comme le propose l'article 4. Nous devons donc continuer à avancer sur ce sujet.
Notre groupe est très attaché à l'intégration. Il est favorable au rétablissement de l'article qui témoigne d'une approche équilibrée.
Il s'agit de rétablir l'article 4 du projet de loi initial.
Le président de la commission l'a rappelé, depuis la loi Collomb, nous avons inversé l'ordre d'instruction des demandes d'asile pour faire en sorte que ceux qui ne relèvent pas du droit d'asile puissent être éloignés du territoire national. Nous avons également raccourci les délais d'instruction. Compte tenu de ces évolutions, il nous semble important que les personnes les plus susceptibles de bénéficier de la protection internationale puissent entrer de manière accélérée sur le marché du travail, de façon à pouvoir s'intégrer le plus vite possible et à ne plus vivre des aides mais bien du travail.
Par cet article, vous voudriez donc permettre aux demandeurs d'asile de travailler sans condition, au mépris des cinq millions de Français sans emploi.
Vous encouragez ainsi le dévoiement du droit d'asile. « Dans tous nos pays, nous assistons à un dévoiement du droit d'asile par les trafiquants, par des réseaux ou des personnes venant de pays qui ne sont pas en guerre », ce sont les paroles non pas de Yoann Gillet ou de Marine Le Pen, mais d'Emmanuel Macron lui-même le 10 novembre 2020.
Par cette mesure, vous encouragez également une immigration massive. Vous incitez à l'irrégularité pour in fine aboutir à la régularisation massive que vous être nombreux ici à appeler de vos vœux. Je m'explique : un demandeur d'asile arrive en France, il entre donc illégalement sur le territoire national, il peut travailler. Lorsqu'il est débouté de sa demande d'asile, une OQTF lui est délivrée que le ministère de l'intérieur est incapable de faire exécuter. Il se trouve dès lors en situation irrégulière, tout en continuant à travailler. Grâce à l'article 4 bis, il sera régularisé.
Cet article confirme votre volonté d'accentuer l'immigration et de faire subir aux Français l'immigration massive dont ils ne veulent plus.
Je relève beaucoup d'erreurs dans une seule intervention mais je laisserai le ministre de l'intérieur rectifier vos nombreuses inexactitudes.
Nous sommes absolument opposés à l'idée d'autoriser un demandeur d'asile à accéder au travail avant même que sa situation n'ait été examinée et qu'il n'ait reçu une réponse. En cas d'acceptation de sa demande, il bénéficie d'un titre de séjour et de tous les droits qui y sont attachés, parmi lesquels le droit de travailler.
Tant qu'il n'a pas été statué sur la demande d'asile, nous sommes résolument opposés à l'octroi d'un droit au travail. C'est ouvrir la voie à tous les trafics qui s'empareront inévitablement de cette possibilité. Il faut toujours envisager l'utilisation frauduleuse des facilités que nous accordons.
Sous couvert d'une prétendue générosité, l'article 4 que vous voulez rétablir introduit une nouvelle forme d'arbitraire. En effet, il est écrit : « l'accès au marché du travail peut être autorisé ». Autrement dit, l'administration a la faculté de le refuser ; ce n'est pas une autorisation de plein droit.
En ce qui concerne la liste des pays sûrs, on ne sait pas quels pays ouvriront droit au travail – sans doute la Syrie, l'Érythrée, l'Afghanistan. Mais que direz-vous aux Guinéennes qui fuient l'excision ? Que direz-vous à toutes celles et tous ceux qui seront exclus ? Les critères de détermination des pays éligibles – non sûrs – restent très flous et ne prennent pas en considération les situations individuelles et leur précarité.
Enfin, il y a à Ouistreham des Soudanais et à Caen des Afghans ; la moitié d'entre eux ont déposé une demande d'asile. Rares sont pourtant ceux qui bénéficient de l'ADA. Cela montre les difficultés d'accès au droit pour les demandeurs d'asile, ne serait-ce que pour avoir le minimum vital.
Il y a au moins trois inexactitudes dans votre propos que je ne peux pas laisser passer : d'abord, l'accès au marché du travail est bien un droit. Ensuite, il n'est pas question d'une liste des pays sûrs mais d'une liste établie selon le degré de protection des nationalités, qui peut évoluer chaque année. Aujourd'hui, les Afghans sont protégés quasiment à 93 % parce que c'est un pays en guerre et dirigé par les talibans. La liste est susceptible d'évoluer plus rapidement que la liste des pays sûrs. Enfin, quant aux Guinéennes qui fuiraient l'excision, une protection leur est déjà octroyée au titre de la loi Collomb.
La loi Collomb est totalement inopérante en l'espèce. J'entends les députés de la droite et de l'extrême droite, que je peine désormais à distinguer, énoncer des principes qui ne s'appliqueront pas à eux. Ce projet de loi ne changera rien pour eux.
Nous parlons de personnes qui, elles, n'ont pas la chance de pouvoir décider de leur sort, nous parlons de vies humaines – j'ai l'impression que vous avez tendance à l'oublier.
Vos principes procèdent tous d'une idée assez simple : l'anti-immigration. Il y a partout une suspicion et un mépris, encore plus caractérisé dès lors qu'il s'agit d'immigration africaine ou du Moyen-Orient. Or il faut toujours confronter ses principes à la réalité. Quelle est-elle ? Il est question de personnes qui vivent avec 14 euros par jour pendant huit mois : ce n'est pas un inconfort, c'est dangereux. Comment faites-vous, avec 14 euros par jour, pour payer le loyer, pour vous nourrir, pour vous soigner ? Ce sont des difficultés concrètes qui contredisent vos principes.
J'aimerais vous rappeler d'autres principes : liberté, égalité, fraternité. Au milieu de la cour d'honneur de l'Assemblée nationale, se trouve une boule qui est censée symboliser l'universalité des droits. Pourquoi ne voulez-vous pas donner à tous l'accès au marché du travail ? Pourquoi ceux qui ne sont pas originaires des pays inscrits sur la liste devraient-ils vivre avec 14 euros par jour ? Au-delà de l'intégration, c'est une question de survie. Aucun Français n'accepte de voir des personnes vivre à la rue, dans la détresse et la misère, parce qu'elles doivent vivre avec 14 euros par jour. L'amendement de Mme Obono me paraît être le plus juste et le plus efficace.
Je suis toujours étonnée d'entendre parler de dévoiement de l'asile. Il me semble que le problème tient plutôt au manque de voies d'immigration régulière. Certaines personnes déposent une demande d'asile alors que ce n'était pas leur objectif premier. Les voies d'immigration économique régulière sont si étroites que les candidats se détournent vers l'asile et causent l'encombrent que nous connaissons.
Il me semble utile de le rappeler surtout à l'extrême droite qui pointe en permanence l'asile et les réfugiés dans notre pays.
Le projet de loi accepte d'octroyer des droits aux seules personnes qui travaillent dans les métiers en tension. Les salariés qui acceptent des conditions de travail difficiles et qui servent le PIB français peuvent bénéficier d'une régularisation, mais pas les autres.
Les amendements visent à étendre la possibilité d'accéder à un emploi. Leurs bienfaits sont doubles : non seulement ils facilitent l'intégration dans notre pays, et non l'assimilation comme on l'a entendu hier, mais ils permettent aussi de lutter contre des employeurs et des logeurs peu scrupuleux. Tant que les personnes n'ont pas accès au travail, elles sont entre les mains de marchands de sommeil et d'employeurs indélicats qui les font travailler huit heures sur des marteaux-piqueurs comme l'expliquait Mme Faucillon.
Il faut absolument ouvrir des droits à ces personnes pour les aider à s'intégrer. Loin d'encourager une immigration qui menacerait les emplois français, nous assurerions le respect de droits humains essentiels que nous devons aux personnes qui arrivent dans notre pays.
Je soutiens évidemment le rétablissement de l'article 4.
Pour répondre au représentant du Rassemblement national, les demandeurs d'asile ne sont pas des personnes irrégulières tant que leur demande n'a pas été rejetée. Ils ne sont pas entrés irrégulièrement sur le territoire puisque le droit français – en l'occurrence, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le préambule de la Constitution de 1946, et si vous vouliez les contester, vous avez deux siècles et demi de retard, il fallait être là en 1789 –, impose à ceux qui veulent demander l'asile de le faire sur le territoire de la République. Quand quelqu'un se présente à nos frontières pour demander l'asile, il n'est pas irrégulier jusqu'au jour où on lui dit non. Tant que sa demande d'asile n'a pas été examinée, il a droit à la protection de la nation. C'est la raison pour laquelle nous lui versons une prestation sociale.
Des amendements ont été adoptés au Sénat afin de lutter contre les détournements du droit d'asile. Les personnes qui arrivent irrégulièrement et demandent l'asile uniquement lorsqu'ils sont arrêtés par la police essayent de contourner le droit d'asile, j'en conviens. Pour y remédier, une nouvelle disposition prévoit que, dans ce cas, la demande d'asile doit être étudiée mais sans laisser au requérant la liberté sur le sol national.
Le demandeur d'asile n'est pas considéré comme irrégulier, monsieur le député. C'est très important de le savoir sinon on ne comprend pas ce qu'est la demande d'asile en France. La même règle vaut dans tous les pays du monde qui ont un minimum de vie démocratique et qui acceptent l'asile.
On ne parle pas assez de l'arrêt de la Cour suprême du Royaume-Uni. Vous avez soutenu à l'envi le Brexit dont l'un des objectifs était de reprendre le contrôle de l'immigration. Je ne vous cache pas que les immigrés clandestins n'ont jamais été aussi nombreux au Royaume-Uni que depuis qu'il a quitté l'Union européenne. La Cour suprême estime que, quand bien même le Royaume-Uni dénoncerait la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), il ne pourrait pas mettre en place la demande d'asile hors des frontières, comme il l'avait proposé avec le Rwanda. Aucun pays n'a instauré un tel système. Cela n'a rien à voir avec les traités européens ou la CEDH, c'est une question de démocratie.
Reste la question centrale à laquelle cherchent à répondre les titres II, IV et V du projet de loi : que fait-on une fois qu'on a dit non, une fois que l'étranger est devenu irrégulier ?
Dans le système allemand, mis en place par Mme Merkel et son parti, la CDU, une personne déboutée n'est pas expulsée mais bénéficie d'une tolérance – le Duldung – qui lui permet de travailler sans pour autant être régularisée.
Nous proposons un tout autre système. Il s'agit d'abord d'appliquer deux directives européennes – celle relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier de 2008 et celle relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale de 2013. Madame Genevard, vous êtes peut-être opposée à cette mesure mais, par deux fois, le groupe du parti populaire européen (PPE), auquel appartiennent les élus Les Républicains, a soutenu l'adoption de la directive par le Parlement européen.
Depuis 2018, les demandeurs d'asile disposent en France d'une autorisation éventuelle de travail six mois après le dépôt de leur demande, comme dans tous les pays de l'Union européenne. Ils ne peuvent toutefois pas se prévaloir de cette autorisation pour justifier d'une vie privée et familiale en cas de recours postérieur au rejet de leur demande d'asile. Il est faux de dire qu'un étranger peut se prévaloir de l'autorisation de travail pour obtenir sa régularisation. Les tribunaux disent le contraire.
Ceux qui ne travaillent pas – à cet égard, je dois avouer que les arguments Mme Rousseau et de M. Boyard sont justes et devraient tous nous toucher – perçoivent l'ADA – moins de 300 euros par mois. Il est difficile d'obliger des personnes, qui pourraient travailler, à vivre avec 300 euros par mois et à recourir à l'hébergement d'urgence, que vous décriez par ailleurs, parce qu'on leur refuse le droit de travailler.
Ce sont des cas très concrets. Parmi les Afghans que nous avons évacués et qui nous avaient aidés pendant des années en combattant les talibans, il y avait des interprètes, dont nous avons bien besoin sur le sol national, des médecins, des avocats Quelle situation ridicule que de les accueillir sur notre sol et de pas leur permettre de travailler et d'apporter à la France tout ce qu'ils ont à lui apporter alors qu'ils obtiendront, avec une quasi-certitude, l'asile !
Monsieur Delaporte, je ne suis pas d'accord avec vous sur le choix des pays concernés. Pour la première fois, un gouvernement ne vous propose pas de changer la liste des pays sûrs. D'abord, nous le savons tous, cela n'a pas de sens puisqu' in fine, c'est l'Ofpra qui décide – et ce n'est pas un mal. Ensuite, la liste des pays sûrs a finalement peu d'intérêt puisqu'il faut désormais compter avec la jurisprudence notamment sur l'orientation sexuelle ou la religion.
La politique du Gouvernement en la matière repose sur la rapidité des procédures ainsi que sur le taux de protection. On peut toujours discuter de ce taux dont je rappelle qu'il est réglementaire. Nous l'avons fixé à 50 %. Ce taux permet d'inclure ceux dont on sait qu'ils obtiendront l'asile, sans faire le jeu de ceux qui détournent ce droit pour venir dans notre pays. Par exemple les Sénégalais, les Ivoiriens ou les Marocains n'ont, à quelques exceptions près, aucune raison de demander l'asile. Ils ne méritent pas, me semble-t-il, le même taux de protection que les femmes afghanes. Le critère du taux de protection, qui n'a rien à voir avec la liste des pays sûrs, me semble assez cohérent est démocratique.
Monsieur Delaporte, l'autorisation de travail, sur laquelle j'ai fait une ouverture en direction de M. Taché tout à l'heure, concerne moins l'étranger que l'entreprise. Il s'agit de vérifier que l'entreprise fonctionne bien et est en bonne santé financière et sociale – on ne donne pas une autorisation à une société en redressement. Celle-ci ne peut pas embaucher des personnes étrangères parfois en situation de vulnérabilité si elles ne respectent déjà pas le droit du travail pour ses salariés.
Finalement, de qui parle-t-on ? Comme pour les métiers en tension – je ne crois pas que cela méritait de faire autant la une des journaux –, on parle de quelques milliers de personnes. Cela concerne 20 % des 130 000 à 150 000 demandes d'asile. Si le nombre de demandes en France a augmenté d'environ 20 % depuis cinq ans, personne ne dit jamais que celui-ci est passé en Allemagne de 150 000 à 270 000 en trois ans.
Dans toute l'Union européenne, la France est le pays où la progression des demandes d'asile est la moins forte et celui qui en accepte le moins. Je tiens à rappeler ce constat à l'intention de ceux qui affirment que le système de l'asile fait l'objet de détournements de procédure massifs. Ce n'est pas vrai. Les demandes d'asile, qui reflètent les difficultés du monde, ont progressé de 10 % en France, alors qu'elles ont augmenté de plus 60 % dans l'Union européenne et même doublé en Allemagne en trois ans. Ce n'est pas seulement lié à des évolutions législatives puisque les juges de la CNDA sont indépendants du pouvoir politique et qu'ils appliquent les critères de la CEDH. Il est donc totalement faux de dire que la France est le pays qui accorde le plus le droit d'asile. En revanche, comme d'autres pays, nous avons du mal à renvoyer les personnes déboutées, ce qui fait l'objet des titres III, IV et V du projet de loi. Ne confondons pas les débats.
Nous discutons donc ici de 20 % des 130 000 demandeurs, ceux qui sont à peu près certains d'obtenir l'asile. Ce très bon article 4 ne mérite donc pas toutes les attaques dont il fait l'objet car il aide à lutter contre les passeurs, les trafics et les marchands de sommeil, en permettant aux gens de vivre de fruit du fruit de leur travail. Nous assumons d'y avoir posé une limite, soulignée par M. Delaporte : le préfet peut s'opposer à la demande de travail quand il l'estime manifestement détournée – il ne s'agit pas d'une autorisation de travail de plein droit.
Cette disposition est conforme au droit européen et aux pratiques de nos voisins européens. Elle est aussi cohérente avec l'issue de la procédure : ces personnes obtiendront l'asile, mais si par extraordinaire ce n'était pas le cas, l'autorisation de travail ne pourrait être considérée comme un droit à régularisation. Rappelons que le demandeur d'asile n'est pas une personne en situation irrégulière mais sous protection tant qu'elle n'est pas définitivement déboutée. Si elle reste après avoir été définitivement déboutée et invitée à quitter le territoire, elle se retrouve en situation irrégulière. Nous devons rester dans la ligne de ce qu'ont imaginé les révolutionnaires de 1789.
La commission rejette successivement les amendements CL1083, CL1096 et CL733.
Elle adopte les amendements identiques.
En conséquence, l'article 4 est ainsi rétabli.
Après l'article 4
Amendements CL1488 de M. Aurélien Taché, CL1704 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, CL1170 de Mme Elsa Faucillon, CL506 de M. Julien Bayou, CL164 et CL165 de M. Éric Pauget, CL1252 de Mme Clara Chassaniol et CL730 de M. Andy Kerbrat (discussion commune)
Nous proposons qu'un étranger devienne titulaire d'un document provisoire lui permettant d'exercer une activité professionnelle dès le dépôt de sa demande d'asile. L'autorisation de travailler serait ainsi liée à la condition de demandeur d'asile. Comme vient de le rappeler le ministre, un demandeur d'asile n'est pas un immigré en situation irrégulière : il est en situation régulière le temps de l'examen de sa demande. S'il est en situation régulière, il doit être autorisé à travailler.
L'article 4, qui vient d'être rétabli, permettra à ceux qui bénéficient d'un taux de protection élevé de travailler. Il ne manque pas d'arguments convaincants, notamment ceux qui ont été avancés par notre collègue Delaporte, pour justifier que bien d'autres devraient pouvoir le faire, même s'ils viennent de pays pour lesquels le taux de protection est moins élevé.
Notre amendement vise à modifier l'article L.554-1 du Ceseda, afin d'étendre l'accès au marché du travail aux demandeurs d'asile faisant l'objet d'une décision de transfert en application du règlement n° 604/2013, lorsque la décision n'a pas été exécutée dans le délai de six mois à compter de sa notification, et, en tout état de cause, dans un délai de neuf mois à compter de l'enregistrement de sa demande.
Il s'agit de mettre notre législation en conformité avec les dispositions de la directive 2013/33/UE qui prévoit que les États membres veillent à ce que les demandeurs aient accès au marché du travail dans un délai maximal de neuf mois à compter de la date d'introduction de la demande de protection.
Je me réjouis du rétablissement de l'article 4, mais nous souhaitons aller plus loin en ouvrant le droit au travail à tous les demandeurs d'asile.
Nous voulons aussi ouvrir d'emblée un plein droit au travail pour les demandeurs d'asile, afin de faciliter leur inclusion ultérieure.
Pour notre part, nous ne voulons pas que le demandeur puisse accéder au marché du travail avant que l'Ofpra ait statué. Il s'agit de ne pas créer des situations où l'état de fait devient plus fort que l'état de droit. Le message est important. Imaginons que l'on autorise l'accès au travail à une personne qui vient de déposer sa demande d'asile. Si l'Ofpra lui accorde ce statut par la suite, il n'y a pas de problème. Dans le cas contraire, elle ne sera plus en situation régulière mais la décision de l'Ofpra sera plus difficile à appliquer. Comme on l'aura admise sur le marché du travail, on se dote des outils pour que la situation de fait prime sur le droit, comme nous le verrons lors de l'examen de l'article 4 bis, ce qui suscite de la défiance dans notre pays. D'une manière générale, l'état de droit s'adapte trop souvent aux situations de fait, ce qui alimente un système dont nous n'arrivons pas à sortir.
L'amendement CL164 propose qu'il n'y ait pas d'accès au marché du travail tant que l'Ofpra n'a pas statué. L'amendement CL165, de repli, tient compte de la directive européenne dont vient de parler la rapporteure : si l'Ofpra n'a pas pris de décision dans un délai de neuf mois, le demandeur peut accéder au marché du travail.
Mon amendement CL1252 est satisfait puisqu'il est similaire à ceux que nous venons d'adopter.
Nous voulons que l'attestation de dépôt d'une demande d'asile vaille autorisation de travail pour tous les demandeurs d'asile, sans aucune discrimination. Monsieur le ministre, vous parlez pourcentages, chiffres, flux et volumes, mais c'est une question de droits humains et de dignité. Il faut que ces gens-là puissent travailler immédiatement car, comme l'a rappelé mon collègue Boyard, ils ne peuvent pas vivre décemment avec 14 euros par jour.
L'extrême droite oppose les Français aux étrangers, reprochant aux seconds de prendre le travail des premiers. Vous n'avez rien inventé. En 1978, les affiches de Jean-Marie Le Pen clamaient déjà : « 1 million de chômeurs, c'est 1 million d'immigrés de trop ! La France et les Français d'abord ! » Ces slogans, nous les entendons dans les manifestations néonazies qui se tiennent dans le pays. Vous êtes vraiment la branche politique de ces gens-là, des racistes qui sèment la terreur dans le pays.
Pour répondre à M. Pauget, j'aimerais revenir sur le profil des personnes concernées, en insistant sur les taux de protection. En 2021, ce taux était de 92 % pour les Afghans – en l'occurrence, il s'agit plutôt d'Afghanes puisqu'elles représentent 70 % des demandes. Cela signifie que la personne se verra accorder l'asile dans 92 % des cas. « Il s'agit de ne pas créer des situations où l'état de fait devient plus fort que l'état de droit », dites-vous à juste titre. Discutons alors du taux de protection plutôt que de la durée de six ou neuf mois ouvrant l'accès au marché du travail – ce qui revient à reculer pour mieux sauter. L'idée est de ne pas ouvrir la possibilité aux ressortissants de pays dont le taux de protection est très faible : 16 % pour le Nigeria, 15 % pour l'Albanie, 7 % pour la Géorgie et pour les Comores.
Dans ces cas, ne soyons pas hypocrites en accordant la possibilité de travailler à des gens qui n'ont quasiment aucune chance d'obtenir l'asile. Ce n'est d'ailleurs pas ce que nous proposons ici. Nous proposons de donner l'autorisation de travailler à des gens à qui nous accordons l'asile dans 92 % des cas. Il s'agit de leur éviter de vivre avec 300 euros par mois dans des logements d'urgence, en étant obligés de travailler illégalement et exposés aux risques inhérents à ce type de situation – prostitution, trafic de drogue et autres. Nous pouvons toujours discuter du taux de protection, mais votre argument ne me paraît pas recevable car nous ne proposons pas de donner des autorisations de travail à tout le monde.
Votre raisonnement vaudrait si nous n'adoptions pas les titres III, IV et V, directement inspirés des travaux du Sénat à partir du rapport Buffet. Quelle est la cause de l'immigration irrégulière ou du détournement du droit d'asile en France ? Ce ne sont pas les décisions des juges, qui sont les plus sévères d'Europe. Ce n'est pas davantage la maîtrise de nos frontières : en regardant autour de nous, nous ne pouvons pas considérer que nous sommes les plus laxistes. Ce ne sont pas non plus nos réglementations : dans un monde difficile, nous parvenons à mieux contenir la situation que nos voisins. La raison réside dans la longueur de nos délais de réponse.
Nous mettons environ trois ans à apporter une réponse définitive négative à un demandeur d'asile qui a détourné la procédure – nous pouvons parfois mettre autant de temps à répondre de manière positive. La loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, dite loi Collomb, a permis de faire passer de neuf à cinq mois, en moyenne, les délais d'examen du dossier par l'Ofpra. Le demandeur débouté fait appel devant la CNDA, qui mettra entre un an et un an et demi à se prononcer. Le refus de la demande n'entraînant pas systématiquement une OQTF – ce que nous voulons changer avec le présent texte –, nous lui notifions qu'il doit quitter le territoire. Il fait un recours, à caractère suspensif, ce qui se traduit par un nouveau délai de neuf mois à un an. Face à un nouveau refus, il saisit la cour administrative d'appel puis le Conseil d'État. Trois ans se sont écoulés. À ce stade, le problème n'est pas tant qu'il ait travaillé régulièrement ou non, mais qu'il se soit marié et ait fait des enfants : dès lors, sa vie privée et familiale est en France. Le juge nous dit que nous avions eu raison de lui opposer un refus, mais qu'il est là et que sa situation a évolué. Le pays d'origine va faire valoir qu'il est chez nous depuis trois ou quatre ans, et la situation se complique encore s'il s'est radicalisé ou qu'il a commis des actes de délinquance dans l'intervalle.
Il faut voir le projet de loi dans sa globalité. À ceux dont on est à peu près certains d'accorder le droit d'asile, nous permettons de travailler de manière anticipée sur autorisation du préfet, ce qui n'est tout de même pas faire preuve d'un grand laxisme. À tous les autres, on indique que leur cas sera tranché définitivement dans un délai maximum de neuf mois. Les titres III, IV et V permettront en effet d'améliorer encore les délais de l'Ofpra, d'obliger la CNDA à se prononcer plus rapidement, de faire en sorte qu'un refus de la CNDA vaille OQTF, et de réduire à trois, voire à deux, le nombre de recours possibles. Une fois ce texte adopté, le demandeur aura donc une réponse en moins d'un an, qu'elle soit positive ou négative. Ne faites pas comme si les titres III, IV et V n'existaient pas.
À ce stade de nos débats, il s'agit d'autoriser à travailler les gens quasiment assurés d'obtenir le droit d'asile, afin qu'ils ne vivent pas avec la seule ADA de 300 euros par mois. Sinon, vous viendrez vous plaindre que l'ADA augmente, que les demandeurs d'asile prennent des places dans les logements d'urgence, qu'ils sont dans des réseaux de trafiquants – ce qui peut se comprendre, quand on a 300 euros par mois, même si cela ne se justifie pas. Ceux qui n'auront pas l'autorisation de travailler auront l'assurance d'obtenir une réponse rapide. Nous gagnerons un an et demi de procédure, du seul fait que le refus d'asile vaudra OQTF, comme proposé par le sénateur Buffet. Battons-nous éventuellement sur les taux de protection, si vous estimez que le taux de 50 % est trop bas, mais il ne me semble pas judicieux de débattre sur des durées de six ou neuf mois.
Quant à vous, monsieur Taché, reconnaissez qu'il ne serait pas très juste de donner cette autorisation de travail à des ressortissants des Comores ou de Géorgie, qui ont 7 % de chance de se voir accorder le droit d'asile. Leur cas relève des procédures d'immigration de travail classiques.
Monsieur le ministre, nous ne nions pas que le texte va dans le bon sens en ce qui concerne le raccourcissement de la durée des procédures. Ces situations d'incertitude sont mauvaises pour tout le monde, que ce soit sur le plan juridique ou sur le plan humain, et nous ne voulons pas tout interdire. Cela étant, nous créons aussi des situations inextricables, en donnant à certains le signal que tout est acquis d'avance, alors qu'il y a parfois des décisions contraires. Si 92 % des Afghans obtiennent l'asile, cela veut dire que 8 % d'entre eux ne l'obtiennent pas, ce qui n'est pas rien. Et le pourcentage de déboutés peut être plus élevé pour d'autres nationalités. En écho à notre collègue Pauget, je dirai que l'état de droit court après l'état de fait, ce qui ne nous paraît pas acceptable.
L'idée de donner la possibilité de travailler à tous les demandeurs d'asile est profondément républicaine puisqu'elle évite les discriminations en matière d'accès au marché du travail en raison de la nationalité. Vous avez eu l'amabilité, monsieur le ministre, de reprendre plusieurs fois mes citations de principes fondamentaux de notre République. Je vais donc vous citer deux articles de la Constitution de 1793, celle de la première République, qui peuvent éclairer nos débats du jour. L'article 120 disposait : « Le peuple français donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans. » L'article 4 définissait pour la première fois la notion de citoyenneté, indiquant globalement qu'elle pouvait être accordée à tout étranger ayant travaillé un an sur le territoire.
Notre position s'inscrit donc dans une tradition profondément républicaine, datant de deux siècles. Nous sommes carrément dans le thème .
Chers collègues, j'aimerais rappeler quelques vérités. Théoriquement de six mois, l'instruction par l'Ofpra dure en réalité huit mois et vingt et un jours en moyenne. Je me fonde sur le rapport de l'Ofpra, monsieur le ministre, je n'ai pas inventé les chiffres. Rappelons que le dévoiement du droit d'asile est vecteur d'irrégularités puis de régularisations. J'ai déjà décrit le processus : vous demandez l'asile ; vous allez travailler puisque vous y êtes autorisé ; vous êtes débouté ; on vous délivre une OQTF, vous restez sur le territoire national en situation irrégulière ; in fine, vous êtes régularisé grâce aux dernières mesures. Rappelons aussi que le dévoiement du droit d'asile n'est pas sans conséquences sur la sécurité des Français. À cet égard, je citerai la décapitation de Samuel Paty par un réfugié tchétchène, l'incendie de la cathédrale de Nantes, puis le meurtre d'un prêtre par un débouté rwandais du droit d'asile, le meurtre de trois étudiants par un demandeur soudanais…
Le Rassemblement national est obsédé par le dévoiement du droit d'asile et stigmatise les demandeurs d'asile de façon permanente. Les chiffres de demandes d'asile en France et en Allemagne, cités par M. le ministre, montrent que notre pays n'est pas le plus généreux, comme d'aucuns le prétendent, mais qu'il est plutôt moins attractif que d'autres. Il faut arrêter de surfer sur des idées reçues qui sont sans fondement. Nombre d'étrangers ne choisissent plus la France. L'image et le rayonnement de notre pays sont abîmés par notre façon d'accueillir, par le parcours d'obstacles que représentent les procédures et par la stigmatisation des étrangers dans les discours politiques, en particulier dans ceux de l'extrême droite. La dignité nous impose d'avoir des politiques à la hauteur de la patrie des droits de l'homme.
Ce projet de loi n'a tiré quasiment aucun enseignement de l'excellent rapport d'information relatif à l'intégration professionnelle des demandeurs d'asile et des réfugiés, dont Stella Dupont était corapporteure avec Jean-Noël Barrot. C'est un rapport où l'on apprend notamment qu'autoriser les demandeurs d'asile à travailler dès le dépôt de leur demande permet de réduire la dépense publique et de favoriser l'intégration des réfugiés une fois qu'ils ont obtenu le statut.
S'agissant de la formation en langue, il s'écoule environ seize mois entre le moment où ils déposent leur demande et le moment où ils accèdent à une formation en langue. Je voudrais aussi reprendre à mon compte les résultats de certaines études réalisées en Allemagne, montrant que les étrangers ayant pu accéder à l'emploi dès leur arrivée sur le territoire allemand s'inscrivent durablement dans l'emploi et s'y maintiennent. Certains pays européens tels que l'Autriche, l'Espagne, le Portugal et la Suède autorisent l'accès immédiat des demandeurs d'asile au marché du travail. Le Portugal et la Suède, par exemple, n'exigent pas d'autorisation administrative spécifique. Voilà pourquoi nous défendons l'accès au marché du travail pour tous les demandeurs d'asile .
Vos propos, monsieur Gillet, qui consistent à mettre un signe égal entre la demande d'asile et la décapitation sont dégueulasses, immondes, honteux. Je regrette qu'ils puissent être prononcés, y compris à l'Assemblée nationale. S'y ajoutent les mensonges que vous proférez systématiquement sur la durée de traitement des demandes d'asile par l'Ofpra, par exemple. Cessez de parler aux instincts les plus bas. Vous êtes – et vos propos l'ont été – repoussant.
Monsieur Gillet, vous pouvez vous reporter à la page 68 du rapport 2022 de l'Ofpra, au chapitre « Les dossiers en instance et les délais de traitement ». Vous pourrez y lire : « Le délai de traitement, qui s'était maintenu à un niveau élevé en 2021 et n'avait amorcé sa décrue qu'à partir du mois de septembre 2021, a considérablement diminué. Ainsi, le délai moyen de traitement, qui avait atteint 261 jours en 2021, a été amené en 2022 à 159 jours (5,2 mois), soit un niveau comparable à celui de l'année 2019 (161 jours). »
Monsieur Gillet, vous racontez n'importe quoi en donnant des sources fausses. Le délai de traitement de l'Ofpra est donc de cinq mois, ce dont nous devrions nous réjouir. Tant qu'à faire, monsieur Gillet, étayez au moins vos thèses sur un semblant de vérité.
Successivement, la commission rejette l'amendement CL1488 et adopte l'amendement CL1704.
En conséquence, les autres amendements tombent.
La réunion est suspendue de onze heures trente-cinq à onze heures cinquante-cinq.
Article 4 bis (nouveau) (art. L. 435-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Procédure d'admission exceptionnelle au séjour pour les travailleurs sans papiers exerçant dans des métiers en tension
Amendement de suppression CL431 de Mme Edwige Diaz
Le Rassemblement national a bel et bien raison : ce texte vise à créer une énième filière d'immigration, même si vous semblez prendre nombre de précautions. Vous dites que ces régularisations se feront à titre expérimental, mais nous savons très bien que les expériences finissent par être pérennisées. Vous dites retenir une liste de métiers en tension, mais, sous la pression des associations immigrationnistes et de l'extrême gauche, cette liste risque de s'élargir. Vous dites que ce sera limité à des zones géographiques tendues, mais, au vu de certains amendements, la France entière risque d'entrer dans le périmètre. Vous dites qu'une période de résidence de trois ans sera exigée, mais nous savons d'expérience qu'elle se réduira à deux ans, un an, puis six mois avant de disparaître. Il y aurait urgence à régulariser dans certains métiers comme ceux du secteur du BTP. Il y a quelques jours, j'ai été invitée par la Fédération française du bâtiment (FFB) de la région Nouvelle-Aquitaine où les professionnels m'ont expliqué qu'ils redoutaient d'avoir à licencier 100 000 personnes d'ici à 2025 en raison de la crise du logement.
Suivant l'avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette l'amendement.
Amendement CL1665 de M. Florent Boudié, sous-amendements CL1744 de Mme Caroline Abadie, CL1743 de M. Christophe Naegelen, CL1759 de M. Boris Vallaud, CL1742 de M. Christophe Naegelen, CL1760 de M. Boris Vallaud, CL1757 de M. Emmanuel Mandon, sous-amendements identiques CL1740 de M. Sacha Houlié, CL1755 de M. Benjamin Saint-Huile et CL1761 de M. Boris Vallaud, sous-amendements CL1756 de Mme Stella Dupont, CL1762 de M. Christophe Naegelen et CL1739 de M. Benjamin Saint-Huile, sous-amendements identiques CL1741 de M. Sacha Houlié et CL1758 de M. Boris Vallaud, sous-amendement CL1737 de M. Benjamin Saint-Huile, amendement CL645 de M. Christophe Naegelen (discussion commune)
Il s'agit de l'amendement, annoncé à plusieurs reprises, concernant les améliorations que nous souhaitons apporter au dispositif sénatorial.
En lieu et place de l'automaticité générale et absolue de toute régularisation dans les métiers en tension, nous souhaitons que le préfet ait son mot à dire. En revanche, contrairement au Sénat, nous ne voulons pas que le préfet dispose d'un pouvoir discrétionnaire. Nous réintroduisons l'autonomie de la demande de régularisation par rapport à l'employeur, car nous n'ignorons pas qu'il peut exister des liens de subordination, voire d'exploitation. Contrairement à ce que vous prétendez, madame Diaz, c'est précisément en régularisant que l'on évite les pressions aux bas salaires. Nous voulons aussi faire en sorte qu'à tout moment au cours de la procédure de demande de régularisation, le préfet puisse s'y opposer si l'étranger représente une menace pour l'ordre public ou contrevient par ses agissements aux principes et valeurs de la République définis à l'article 13 du projet de loi.
Avec ces aménagements, il me semble que nous atteignons notre objectif. C'est un dispositif de régularisation resserré, qui correspond à des besoins économiques tout en permettant de sortir certaines personnes de l'illégalité, voire de conditions inacceptables de maltraitance. Il exige du demandeur une résidence régulière sur le territoire français de trois ans, et il est limité dans le temps – la borne, fixée au 31 décembre 2026, devrait être repoussée pour tenir compte du fait que le projet de loi a été présenté en conseil des ministres il y a près de onze mois, ce qui ne changera rien à l'efficacité du dispositif.
Le sous-amendement CL1744 vise à s'assurer que l'apprentissage sera bien pris en compte dans le calcul de la durée de travail effectué dans un métier en tension. En effet, il arrive parfois, de façon disparate, que l'apprentissage soit considéré comme un contrat aidé et non pas comme une activité salariée. Il vaut mieux clarifier ce point qui peut faire l'objet d'interprétations variables.
Nous proposons d'établir la liste des métiers en tension à l'échelle du département plutôt qu'à celle de la région, en réunissant les acteurs clés du département autour du préfet.
Nous proposons d'étendre l'expérimentation à toutes les activités professionnelles salariées, sans limitation liée à la notion de métier en tension. Si vous considérez que les métiers de la restauration ne font pas partie des métiers en tension, monsieur le ministre, c'est parce que le secteur emploie des travailleurs en situation irrégulière qui ne sont pas comptabilisés comme tels. Il y a là une grande injustice. Si vous commencez à territorialiser, vous allez créer une énorme usine à gaz, mais aussi des inégalités importantes entre les différents départements ou même entre les différents bassins d'emploi.
Nous voulons porter la durée minimale de travail dans un métier en tension de huit à douze mois au cours des vingt-quatre derniers mois, comme proposé par le Sénat. Il nous semble que le minimum est de demander à la personne d'avoir travaillé la moitié du temps au cours des deux dernières années.
Nous demandons de supprimer la faculté accordée au préfet de s'opposer à la délivrance du titre pour les motifs énumérés à l'alinéa 3 de l'amendement du rapporteur général. Dans la version initiale du projet de loi, il n'y avait pas cette intervention du représentant de l'État, une restriction qui nous éloigne du droit opposable.
Pour le groupe Démocrate, cet article 4 bis et l'amendement du rapporteur général revêtent une grande importance car ils favorisent une intégration poussée des personnes en situation irrégulière qui manifestent leur bonne volonté et qui ont un contrat de travail régulier. Or une bonne intégration passe notamment par le travail.
Nous voulons préciser l'amendement du rapporteur général, un peu dans le même esprit que Mme Abadie : outre les travailleurs salariés, il faut prendre en compte ceux qui sont en apprentissage et même tous les travailleurs indépendants. Mon groupe souhaite d'ailleurs aller au-delà des seuls métiers en tension et fera des propositions en ce sens lors des débats en séance.
D'emblée, je tiens à dire que l'amendement du rapporteur général n'est pas la version idéale que j'aurais souhaitée, mais le résultat d'un compromis. Il témoigne de notre volonté de faire aboutir ce texte non pas pour nous, parlementaires, mais pour les personnes concernées par les régularisations. Pour elles, nous devons dépasser le jeu politique car elles méritent d'accéder à ce droit aménagé : il reste opposable dans certaines circonstances, mais il ne l'est plus si l'étranger représente une menace pour l'ordre public, contrevient par ses agissements aux principes et valeurs de la République ou qu'il vit en France en état de polygamie.
Dans le texte initial du Gouvernement, il y a des éléments que je souhaite modifier. Je pense qu'il faut ainsi tenir compte des périodes travaillées sous le statut de saisonnier, d'étudiant ou de demandeur d'asile. Il faut unifier le régime pour que toutes ces périodes puissent entrer dans le décompte des huit mois de travail effectués durant les deux dernières années. Je propose aussi de retarder la fin de l'expérimentation de deux ans, c'est-à-dire de la reporter du 31 décembre 2026 au 31 décembre 2028, pour tenir compte du fait que l'examen du projet de loi a été maintes fois décalé. À tous ceux qui s'inquiéteraient d'un appel d'air, je précise que nous comptons les étrangers qui, à la date d'adoption du texte, pourront justifier de trois ans de présence et de huit mois de travail sur le territoire.
Le sous-amendement de notre collègue Saint-Huile vise à permettre d'inclure, pour le décompte des périodes d'activité professionnelle dans les métiers en tension ouvrant droit à un titre de séjour, les périodes de travail exercées sous le statut de demandeur d'asile, de saisonnier et d'étudiant.
Comme vous-même, monsieur le président, nous demandons que toutes les périodes d'activité soient comptabilisées, y compris celles effectués sous statut de demandeur d'asile, de saisonnier ou d'étudiant. C'est un minimum.
L'amendement du rapporteur général propose une véritable avancée en matière de régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension. Toutefois, le texte initial prévoyait la possibilité de délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle à l'expiration de la carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur temporaire » ou « salarié » d'une durée d'un an, dans le cas où la personne est titulaire d'un CDI. Cette précision n'apparaissant pas dans l'amendement du rapporteur général, il me semble utile de l'ajouter explicitement. C'est un point de vigilance : il ne faut pas se contenter d'une année, en particulier quand il y a un CDI à la clef.
Le sous-amendement CL1762 vise à limiter ce dispositif aux personnes déjà présentes sur notre territoire à la date d'entrée en vigueur de la loi. Notre groupe estime nécessaire d'être clair sur ce point afin de ne pas créer un appel d'air qui favoriserait l'arrivée illégale de travailleurs étrangers.
Le rétablissement d'une carte de séjour temporaire est une mesure importante pour l'économie mais la date limite d'application au 31 décembre 2026 est trop restrictive pour rendre le dispositif pleinement effectif. Le sous-amendement CL1739 tend donc à fixer la durée de cette disposition à trois ans à compter de la promulgation de la loi.
Il s'agit d'étendre la durée de l'expérimentation de trois à cinq ans et d'en fixer le terme à 2028 au lieu de 2026. On peut regretter qu'il ne s'agisse que d'une expérimentation, mais c'est mieux que rien.
Le sous-amendement CL1737, toujours selon la même logique, vise à fixer la date de fin de l'expérimentation au 31 décembre 2027.
L'amendement CL645 tend à réécrire l'article 4 bis, en reprenant les différents arguments que j'ai eu l'occasion de présenter – définition de la liste des métiers en tension au niveau départemental, condition de douze mois d'activité sur les deux dernières années. C'est un résumé de mes trois précédents sous-amendements.
J'émets un avis favorable au sous-amendement CL1744, relatif à l'extension du dispositif au contrat d'apprentissage, ainsi qu'au sous-amendement CL1743, qui vise à établir la liste des métiers en tension à l'échelon départemental.
Avis défavorable en revanche au sous-amendement CL1742, qui étend de huit à douze mois la durée minimale de travail dans un métier en tension, ainsi qu'au sous-amendement CL1760.
Avis favorable au sous-amendement CL1757, qui concerne également le contrat d'apprentissage, ainsi qu'au sous-amendement CL1740, qui vise à inclure dans le dispositif les périodes d'activité professionnelle des saisonniers, des étudiants et des demandeurs d'asile.
Le sous-amendement CL1756 étant satisfait, je souhaite son retrait ; à défaut, l'avis sera défavorable.
Je ne vois pas concrètement à quoi renvoie le sous-amendement CL1762, qui a pour objet de limiter le bénéfice de la mesure aux personnes présentes sur le territoire au moment de l'entrée en vigueur de la loi, car à mon sens cela est déjà couvert. Nous pourrons en rediscuter.
Enfin, concernant les sous-amendements relatifs à la durée du dispositif, nous pouvons tenter de trouver une position commune afin que l'expérimentation soit suffisamment longue pour être pertinente.
Je souhaite apporter quelques éclaircissements supplémentaires. Concernant la condition de durée – huit ou douze mois d'activité dans un métier en tension –, nous aurons probablement l'occasion d'en rediscuter avec le Sénat en commission mixte paritaire. Il en ira de même, sans doute, du décalage de deux ans du terme de l'expérimentation car nous devons tenir compte du temps qui s'est écoulé depuis la présentation du texte en Conseil des ministres. Il est important de se donner cette souplesse compte tenu des délais de promulgation de la loi et de parution des décrets d'application, que nous ne connaissons pas à ce stade.
Pour répondre à Stella Dupont sur la possibilité d'accorder une carte de séjour pluriannuelle, il était indispensable de formaliser ce point lorsque l'article 3 prévoyait la création d'un titre spécifique. Or, en l'occurrence, nous renvoyons à des catégories de titres existantes – salarié, travailleur temporaire –, qui relèvent par conséquent du droit commun. Nous souhaitons sortir de l'illégalité les ressortissants remplissant les conditions que nous avons explicitées afin qu'ils puissent assumer un parcours d'intégration. À terme, la logique est que ces personnes, si elles respectent les conditions de droit commun, bénéficient d'une carte de séjour pluriannuelle.
Les sous-amendements défendus par nos collègues du groupe LIOT sont contradictoires : le sous-amendement CL1762 de M. Naegelen impose que la personne soit déjà présente sur le territoire national au moment de la promulgation du texte, tandis que celui défendu ensuite par M. Castellani impose une présence de trois ans à partir de la promulgation de l'expérimentation. Ces deux conditions sont antinomiques mais nous pourrons retravailler ce sujet en vue de la séance publique.
Concernant le sous-amendement CL1740 du président de la commission, il faut que nous y réfléchissions plus longuement d'ici à la séance publique. Le titre de séjour « saisonnier » pourrait, si ce sous-amendement était adopté, servir de motif de régularisation. Or le statut de saisonnier est, par définition, limité à un objectif très précis – je suis issu d'un territoire viticole où il est très utilisé – et le risque est que, après deux ou trois titres de séjour, l'on soit dans une logique de régularisation qui ne correspond pas au motif initial. Travail saisonnier et travail temporaire ne sont pas équivalents. Je souhaiterais que l'on réfléchisse à ce sujet.
Il en va de même pour les visas étudiants. Les étudiants étrangers peuvent travailler dans la limite de 60 % de la durée légale du travail. Toutefois ce sont les études, et non le travail, qui justifient leur venue sur le territoire national. Or vous proposez de les régulariser au titre du travail. Nous devons y réfléchir de façon plus précise. Enfin, je vois mal comment nous pourrions créer une forme d'automaticité dans la régularisation d'une personne déboutée du droit d'asile et qui n'aurait pas respecté les décisions d'éloignement. Je souhaiterais donc, monsieur le président, que vous retiriez ce sous-amendement.
En revanche, les sous-amendements relatifs au contrat d'apprentissage me semblent parfaitement fondés. Nous savons tous que le passage de la minorité à la majorité entraîne des ruptures dans la régularité du séjour. Cet angle mort crée des situations d'insécurité. Il me semble donc tout à fait justifié de tenir compte de la durée de contrat d'apprentissage dans la possibilité de régularisation du séjour.
Je comprends vos arguments et j'accepte d'étudier pour la séance les différents publics concernés et la prise en compte des périodes de travail, notamment celles faisant l'objet de délivrance pour des périodes spécifiques – saisonniers, étudiants. Je retire donc le sous-amendement CL1740.
J'émets également un avis favorable aux sous-amendements portant sur le contrat d'apprentissage. En revanche, concernant les indépendants, et même si je peux comprendre la question posée par les représentants du groupe Démocrate, il faut considérer le texte dans sa globalité. Le statut de salarié et celui d'auto-entrepreneur ne répondent pas aux mêmes ressorts. Dans le premier cas, le salarié en situation irrégulière est exploité par un patron voyou qui utilise le sans-papier dans des conditions de travail déplorables – pression sur le droit syndical, salaires tirés vers le bas. On peut considérer que le salarié subit plutôt qu'il n'organise le trafic, exploité par quelqu'un qui a le pouvoir capitalistique. Il est donc normal de le protéger en le libérant de la tutelle de l'employeur, laquelle n'est autre que du servage moderne ; c'est une question d'humanité. En outre, l'article 8 prévoit des sanctions administratives très fortes contre l'employeur qui embauche des personnes en situation irrégulière. Ce texte vise donc à lutter contre l'hypocrisie, à mettre fin à des flux et à étudier le stock pour savoir qui exploite qui et comment combattre ce phénomène. C'est la fin d'un écosystème.
Le statut d'auto-entrepreneur pose un problème différent puisqu'il repose sur une faille de l'administration française, qui ne vérifie pas la régularité du séjour. Nous savons tous que même lorsqu'il devient son propre patron, un auto-entrepreneur peut être exploité. Notre objectif étant de mettre fin aux flux, nous vous proposerons à l'article 5 de supprimer la possibilité pour une personne en situation irrégulière de créer une auto-entreprise. C'est une disposition très importante.
Je ne suis pas favorable à ce que l'article 4 bis traite d'autre chose que des salariés, car cela reviendrait à légaliser une activité conçue en détournant notre droit. Il est vrai, cependant, que certaines personnes, exploitées sous le statut d'auto-entrepreneur, peuvent être assimilées à des salariés. Je propose donc, avec l'engagement de le faire sous trois mois, la création d'un groupe de travail avec le ministère de l'économie et des finances et avec le ministère du travail pour distinguer la fraude au droit des étrangers de ce qui relève de la philosophie de l'article 4 bis. Je souhaite donc le retrait de ce sous-amendement, avec un engagement très fort de ma part sur la question des indépendants.
Avis défavorable sur les autres sous-amendements, même si M. Naegelen a compris que nous retravaillerons en séance, avec le ministre du travail, la question de la territorialisation départementale.
Je remercie le ministre pour l'engagement qu'il vient de prendre et je retire le sous-amendement CL1757 au profit du CL1744 de Mme Abadie, qui se limite à l'apprentissage.
Il est affligeant de constater que vous ignorez les 65 % de Français qui considèrent que notre pays compte déjà beaucoup d'étrangers et qu'accueillir des immigrés supplémentaires n'est pas souhaitable. Avec cet article et ces amendements, vous créez un appel d'air sans précédent et, croyez-moi, il sera entendu par les passeurs. Je vous ai indiqué mes craintes il y a quelques instants sur le risque de pérennisation de ce dispositif présenté comme expérimental : vous venez de passer un premier palier en le prolongeant jusqu'en 2028. Je vous ai alertés sur le risque d'élargissement des catégories éligibles à la carte de séjour « travailleur » : avec vos sous-amendements, elles seront élargies aux saisonniers, puis aux étudiants, puis aux apprentis, puis à ceux qui sont en formation, puis aux auto-entrepreneurs, etc. Ce faisant, vous ouvrez la voie à la régularisation des 600 000 à 900 000 clandestins présents dans notre pays. Il faut que les Français sachent que votre texte a vocation à créer une nouvelle filière d'immigration particulièrement dangereuse.
Tout d'abord, je tiens à vous faire part de mon amertume car je n'ai pu défendre notre amendement de suppression de l'article 4 bis, les conditions d'examen des textes de la niche LFI et en commission rendant cela difficile – vous ne m'empêcherez pas de penser que cela vous arrange un peu, monsieur le président. Nous souhaitions supprimer l'article 4 bis parce qu'il constitue une régression non seulement par rapport au texte initial, déjà peu ambitieux, mais aussi par rapport à l'existant. Il nous est impossible de valider cette démarche.
Ensuite, s'agissant de vos amendements, que vous qualifiez de compromis, ils visent tous à répondre à l'idée, défendue par la droite et l'extrême droite, qu'il y aurait un appel d'air – comme si les vagues de régularisations, même quand elles ont été massives, avaient créé un quelconque appel d'air ! Cela suffit ! L'appel d'air n'existe pas, c'est un mythe qui ne repose sur aucun élément rationnel. Arrêtez de défendre des amendements qui donnent l'impression qu'en accordant un titre de séjour à 1 000 travailleurs de plus – car il ne s'agit que de quelques petits milliers –, on va créer une bombe politique. Il faut revenir à la réalité, à savoir que des milliers de travailleurs sont exploités : voilà ce à quoi il faut mettre fin.
Concernant votre amendement de suppression, j'ai demandé à vos collègues de la commission, lors de la reprise, si j'attendais votre retour pour reprendre nos travaux ou s'ils souhaitaient commencer : tous ont demandé que les débats reprennent. J'en suis désolé mais il n'y avait pas malice de ma part, madame Faucillon.
Le texte adopté par le Sénat, déjà issu d'un compromis, nous convenait parfaitement. Je salue l'effort accompli par le rapporteur général pour essayer, à l'Assemblée, de trouver également une voie de compromis, notamment sur l'opposabilité du droit avec un passage sur un veto préfectoral en maintenant un certain nombre d'éléments faisant l'objet de l'examen du dossier. La présentation de la carte de séjour constitue selon moi un progrès. Je voterai favorablement le sous-amendement de notre collègue Naegelen sur les délais car il me semble qu'un an vaut mieux que huit mois. L'amendement proposé par le rapporteur général va globalement dans le bon sens : nous le voterons également.
Concernant les sous-amendements, je salue le retrait de celui du président dans l'optique d'en discuter en séance dans quelques jours. Nous ne voterons pas les autres sous-amendements, à l'exception de celui sur la départementalisation souhaitée par le député Naegelen.
Un petit bilan d'étape à ce stade de l'examen du texte : vous avez supprimé les quotas, vous avez rétabli l'AME, vous avez supprimé le délit de séjour irrégulier et, avec cet article 4 bis, vous consacrez un droit de régularisation pour les personnes en situation irrégulière dans les métiers en tension, droit opposable qui sera probablement une source infinie de contentieux. Pour nous, il s'agit d'une quatrième ligne rouge. Nous sommes frontalement opposés à cette disposition. Le pouvoir de veto du préfet sera très encadré et donc très difficile à exercer. C'est l'expression d'une méfiance à l'égard des préfets et de leur pouvoir discrétionnaire en la matière.
Enfin, je reprendrai le propos de Pierre Brochand, ex-directeur général de la sécurité extérieure (DGSE), qui sait de quoi il parle : selon lui, « régulariser les clandestins dans les métiers en tension, c'est amorcer une pompe inépuisable ». Nous le pensons également. C'est la raison pour laquelle nous sommes résolument opposés aux dispositions de l'article 4 bis.
Ni amorce d'une pompe inépuisable, ni appel d'air : l'article 4 bis, qui est très ciblé puisqu'il concerne des étrangers qui séjournent sur le territoire depuis déjà trois ans et qui exercent une activité salariée dans des métiers ou des zones en tension. Cela concerne tout au plus 7 000 personnes.
Nous apportons notre soutien à l'amendement du rapporteur général, qui permet de mettre un terme à une procédure discrétionnaire tout en permettant au préfet de mettre son veto en cas de menace à l'ordre public ou de non-respect des principes de la République. Ce n'est pas pour autant un droit automatique à la régularisation, qui placerait l'étranger dans les seules mains de son employeur. Le groupe Renaissance sera également sensible aux sous-amendements déposés par nos collègues Abadie et Houlié, qui ont reçu un avis favorable des rapporteurs et du Gouvernement, sur l'apprentissage. Nous apportons enfin notre soutien à la territorialisation des données proposée par M. Naegelen.
Vous avez des méthodes un peu particulières, monsieur le président : vous suspendez la séance quand ça vous arrange, et vous la reprenez quand ça vous arrange aussi. Nous n'avons donc pas pu défendre nos amendements de suppression mais nous avons gagné dans l'hémicycle le rétablissement d'un article majeur qui confortera le pouvoir d'achat des Françaises et des Français.
Nous étions pour la suppression de l'article 4 bis car il repose sur une vision utilitariste de l'immigration, dont nous ne voulons pas. Ce n'est pas un article de compromis car plusieurs problèmes demeurent : les huit mois d'exercice de l'activité dans les métiers en tension au cours des vingt-quatre derniers mois – on a besoin des étrangers, on les garde ; on n'en a pas besoin, on les renvoie chez eux – ; la résidence ininterrompue de trois ans, qui est reprise de la formulation la plus stricte adoptée par le Sénat ; l'opposition du préfet, qui reste possible. Pour toutes ces raisons, nous voulions supprimer l'article 4 bis. La bataille n'est pas finie : cela se jouera en séance et j'espère que nous parviendrons à nos fins.
L'article fait partie de la collection des régressions dont le Sénat s'est rendu coupable. Il est au fond le refus de regarder la réalité en face, de régulariser des travailleurs qui, par ailleurs, paient des impôts et des cotisations sociales mais ne peuvent pas payer leur loyer parce qu'ils ne sont pas en mesure de produire un titre de séjour. Nous avons tout à l'heure défendu l'article 3 originel proposé par le Gouvernement et défendu avec vigueur par la majorité. Vous n'avez pas vous-même soutenu le projet initial du Gouvernement.
Nous avons déposé plusieurs sous-amendements pour que cette réécriture apporte un véritable progrès, et non un simple changement cosmétique. Le ministre nous a dit que l'article 3 représentait 7 000 cas par an, ce qui correspond à peu près à ce qui se fait déjà sur la base de la circulaire Valls. Ce ne sera donc vraiment pas un droit supplémentaire.
Nous voulions un titre de plein droit, avec un élargissement aux étudiants et aux saisonniers ; nous aurions souhaité que les indépendants et les travailleurs des plateformes puissent être pris en considération. Ce n'est pas le cas. C'est toujours mieux que ce qu'a fait le Sénat mais, franchement, convenez que nous sommes loin du compte et qu'il y a encore du travail à faire en séance pour répondre aux demandes non seulement du secteur économique mais des Françaises et des Français dans leur très grande majorité.
Si l'on veut pouvoir mieux gérer l'immigration et améliorer l'intégration, il faut commencer par régler la situation des personnes qui sont déjà présentes dans le pays. Pour ce faire, il convient d'agir au plus près des réalités du territoire. Tel est l'objectif de notre amendement visant à établir la liste des métiers en tension au niveau départemental, et cela continuera avec la décentralisation de l'Ofpra et de l'Ofii. Nous devons aussi définir des critères beaucoup plus stricts concernant la notion de présence dans ces métiers en tension, raison pour laquelle nous avions déposé un sous-amendement visant à imposer une durée d'activité de douze mois au cours des vingt-quatre derniers mois.
Nous devons cependant veiller à ne pas créer un biais qui pourrait demain entraîner une immigration que l'on ne saurait ni contrôler ni accueillir. C'est pourquoi je tiens particulièrement à la règle des douze mois. Nous devrons déterminer à partir de quand un étranger ne pourrait bénéficier du titre « métier en tension ». Nous devons en rediscuter en séance, en déposant un amendement qui encadre mieux que celui présenté aujourd'hui.
Je remercie M le rapporteur général et Mme la rapporteure pour leur réponse concernant la précarité des travailleurs sans-papiers, dont on améliore la situation avec votre amendement. Mais il ne faut pas oublier que les difficultés suscitées par l'embolisation des services des préfectures se trouvent au cœur de notre sujet. Réintroduire l'annualité des titres « métiers en tension » poserait problème aux préfectures elles-mêmes et bien sûr aux étrangers concernés. Le caractère pluriannuel doit être favorisé et faire l'objet d'une incitation forte du ministre auprès de l'ensemble de ses services. Ayant entendu les arguments présentés, je retire le sous-amendement CL1756 mais je reparlerai de ce sujet en séance.
Il faut rappeler ce qu'est l'article 4 bis. Initialement, les sénateurs avaient adopté un article 3 en commission des lois puis, quand ils se sont rendu compte que l'opinion publique était défavorable, ils ont conclu un petit compromis avec la majorité, avec la gauche, avec tout le monde, et pondu l'article 4 bis en espérant que cela passerait inaperçu aux yeux du grand public. Mais en quoi consiste cet article ? Nous maintenons qu'il créera un appel d'air et, plus grave encore, vous êtes en train de prévoir la régularisation de personnes qui n'ont pas respecté les lois de la République, donnant ainsi une prime à la clandestinité, à des gens qui sont entrés illégalement sur le territoire et qui travaillent illégalement. Voilà ce qu'il faut dire aux Français !
Monsieur Naegelen, nous allons émettre un avis favorable à votre amendement relatif à la départementalisation même si, en l'état, cet amendement ne fonctionne pas, afin de vous montrer que notre volonté sur ce point est très forte.
Les sous-amendements CL1757, CL1740 et CL1756 sont retirés.
Successivement, la commission adopte les sous-amendements CL1744 et CL1743, rejette les sous-amendements CL1759, CL1742, CL1760, CL1755, CL1761, CL1762 et CL1739, et adopte les sous-amendements CL1741 et CL1758.
En conséquence, le sous-amendement CL1737 tombe.
La commission adopte l'amendement CL1665 sous-amendé et l'article 4 bis est ainsi rédigé.
En conséquence, l'amendement CL645 tombe. De même, les autres amendements sur l'article tombent.
Madame Genevard, pour répondre à votre intervention sur l'article 4 bis, je souhaite vous faire part du cas de deux personnes dont la régularisation a été demandée au ministre de l'intérieur par des élus. Dans le premier exemple, une dame est arrivée en France en 2011. Veuve, elle assume seule la charge de ses deux enfants scolarisés. Elle est agente de propreté depuis 2019, avec des horaires de travail qui lui font quitter son domicile à cinq heures du matin pour un retour à vingt-deux heures ; elle est rémunérée entre 600 et 1 100 euros par mois, pour un travail effectif supérieur à quarante heures par semaine sur quatre chantiers, à Vitry, Livry-Gargan, au Blanc-Mesnil et à dans le 16e arrondissement de Paris. L'employeur n'a jamais voulu signer le Cerfa de régularisation. Cette dame est donc toujours en situation irrégulière sur le territoire national et je cherche toujours une solution pour la régulariser en dépit du refus de son employeur. Ce cas illustre les difficultés persistantes pour appliquer la loi.
Le deuxième exemple concerne une dame arrivée en France en 2010, qui cumule cinquante-six bulletins de salaire dans la branche du nettoyage. La préfecture a été informée de ses conditions de vie dramatiques et de la grande précarité dans laquelle elle se trouve. Elle n'a pas d'enfant et, ces deux dernières années, a dormi dans une cage d'escalier. À plusieurs reprises, on lui a proposé des logements d'urgence et, à ce jour, elle vit dans un logement insalubre – nous l'aidons d'ailleurs dans la procédure qu'elle a intentée contre son marchand de sommeil. Elle n'est pas régularisable non plus parce qu'une très grande entreprise française refuse de signer son Cerfa et de reconnaître qu'elle l'a embauchée de manière irrégulière.
Par ailleurs, madame Genevard, vous avez cité M. Brochand. Il s'agit d'un homme respectable, personne n'en disconvient, mais quel est le rapport entre l'ancien patron de la DGSE puis ambassadeur et les métiers en tension ? M. Brochand n'a jamais eu à gérer une préfecture ni à s'occuper de métiers en tension. La DGSE est composée de gens formidables, les diplomates le sont également, mais quel rapport avec les métiers en tension ? Ils s'occupent de la menace pour notre territoire : en quoi ces dames constituent-elles une menace pour notre territoire ? Il ne me paraît pas nécessaire d'évoquer la DGSE, d'autant que le texte contient plusieurs dispositions, notamment aux articles 9, 10 et 13, qui apporteront une réponse à votre préoccupation.
Permettez-moi, madame Genevard, de dresser quant à moi la liste des dispositions qui ont été retenues depuis le début de l'examen du texte à l'Assemblée : le débat annuel au Parlement, avec la définition d'objectifs chiffrés ; l'exigence d'une couverture par l'assurance maladie et de ressources régulières, stables et suffisantes pour demander un regroupement familial ; l'exigence de l'apprentissage du français, qui s'accompagnera de dispositions similaires à celles de la loi de 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile – adoptée sous Nicolas Sarkozy –, aux termes de laquelle l'apprentissage de la langue française débute avant le regroupement familial ; le pouvoir conféré aux maires en matière de regroupement familial.
Le retrait du titre de séjour pour toute personne menaçant ou portant atteinte à des élus a été retenu également, comme l'ont été le conditionnement plus strict du titre de séjour « étranger malade », instauré par le Sénat ; le contrôle du caractère réel et sérieux du cursus suivi ouvrant droit à la carte pluriannuelle pour les étudiants ; la suppression de la réduction tarifaire dans les transports en commun pour les étrangers en situation irrégulière ; l'instruction des demandes à « 360 degrés », enfin, proposée par le sénateur Buffet afin d'accélérer les retours et à réduire les délais de réponse.
L'article 1er, qui prévoit un examen de langue pour l'obtention d'un titre pluriannuel, a été adopté ; il ne concernera pas moins de 370 000 titres par an. L'article 2, qui oblige les étrangers à suivre des cours de français sur leur temps de travail – ce qui les rendra sans doute moins compétitifs que leurs collègues français – a été retenu lui aussi.
Il faut donc se garder de toute caricature, même s'il est vrai que l'Assemblée n'est pas le Sénat. Vous pouvez vous opposer, madame Genevard, à un texte qui conditionne l'obtention d'un titre pluriannuel à un examen de français, mais vous aurez beaucoup de mal à expliquer que les Français s'y opposent également.
Après l'article 4 bis
Amendement CL500 de M. Julien Bayou, amendements CL793, CL1058 et CL1172 de Mme Elsa Faucillon (discussion commune)
L'amendement CL500 vise à faciliter et à organiser la régularisation des travailleurs sans papiers. Il s'agit de mettre fin à ce que M. le ministre a qualifié d'incurie administrative des préfectures, malheureusement transformées en machines à fabriquer des sans-papiers. De très nombreuses personnes qui travaillent en France, payent leurs impôts et ne demandent qu'à s'intégrer basculent dans l'irrégularité administrative du jour au lendemain, plaçant leurs employeurs devant un dilemme. Pour faciliter leur régularisation, nous proposons d'affranchir la délivrance de la carte de l'aval de l'employeur et de réduire le champ discrétionnaire du préfet.
L'amendement CL793 vise à étendre la régularisation des travailleurs sans-papiers – une disposition initialement prévue par l'article 3 – à ceux qui n'exercent pas un métier en tension. Travaillant majoritairement dans les secteurs du bâtiment, du nettoyage, du soin et du lien ou encore de la sécurité, ils ont été en première ligne pendant la crise du covid. Alors que la plupart d'entre eux effectuent des missions très utiles à la société, ils sont invisibilisés par une clandestinité forcée. Nous devons les protéger de l'exploitation qu'en font nombre de leurs employeurs.
L'un d'entre eux déclare ainsi : « Tout le monde sait que nous n'avons pas de papiers : l'agence d'intérim, les chefs… Ils nous traitent d'emblée différemment : on est insulté, sous pression. À croire qu'un chef qui ne crie pas, qui n'insulte pas, n'est pas un chef. Si on se défend, on nous répond “fin de mission”. » Et d'ajouter : « Le travail est obligatoire pour gagner sa vie. Tout le monde le sait ici, tout le monde le fait. Le problème, ce n'est pas le travail, c'est de ne plus être un esclave. » Voilà la situation à laquelle nous devons apporter une réponse aujourd'hui en régularisant les travailleurs sans-papiers.
J'aurai ainsi défendu également l'amendement CL1058.
Quant à l'amendement CL1172, cosigné par des commissaires aux lois des groupes Écologiste, Socialistes, Insoumis et GDR, il reprend telle quelle la disposition initiale de l'article 3 en supprimant simplement la mention « métiers en tension » afin de pouvoir régulariser toutes celles et tous ceux qui travaillent en France. Contrairement à ce que disent nos collègues de l'extrême droite depuis tout à l'heure, cette mesure donnerait un pouvoir de négociation plus important à l'ensemble des salariés et permettrait d'élever les normes salariales.
Pour les raisons évoquées précédemment, j'émets un avis défavorable à ces quatre amendements.
J'entends les arguments avancés au sujet des autorisations de séjour et de l'incurie administrative que j'ai moi-même dénoncée. Mais votre amendement, monsieur Bayou, propose de régulariser tous les travailleurs, et non pas seulement ceux qui exercent des métiers en tension. C'est un choc de simplification qui ressemble plutôt à un choc politique !
Si je m'oppose à votre amendement, je suis néanmoins prêt à travailler, en séance publique, sur la validation directe des autorisations de travail après la délivrance du titre de séjour, s'agissant notamment des cartes pluriannuelles. Toutefois, cela ne concernerait que les personnes auxquelles la législation actuelle et le présent texte autoriseront la délivrance d'un titre de séjour – il faut bien que nous vous laissions un peu de travail pour le moment où vous arriverez aux responsabilités !
Avec son amendement CL1645 le président Houlié proposera de dispenser d'une autorisation de travail les détenteurs d'une carte de séjour portant la mention « salarié », tout comme Mme la rapporteure avec son amendement CL1687, auquel je donnerai un avis favorable. Je propose donc que nous en adoptions un – ce qui répondrait en partie à votre demande, monsieur Bayou – et que nous rejetions les quatre amendements qui viennent d'être défendus. Nous pourrons, dans l'hémicycle, retravailler avec M. Taché et avec d'autres de vos collègues sur l'autorisation de travail – sujet sur lequel nous pouvons, je crois, dépasser les clivages.
Quand des étudiants français partent étudier dans d'autres pays, ou quand des salariés français s'établissent à l'étranger pour travailler, nous ne nous posons pas de questions. Nous n'avons pas l'impression qu'ils sont d'horribles profiteurs – au contraire, nous avons même l'impression qu'ils participent au rayonnement de la France ! C'est notre privilège : nous pouvons partir n'importe où dans le monde et nous sommes globalement bien accueillis.
Les amendements dont nous discutons visent à accorder des papiers à tous les travailleurs, en sortant de la logique qui consiste à réserver ce droit à ceux qui exercent des métiers en tension. Au-delà du choc de simplification, il s'agit surtout d'octroyer les mêmes droits à toutes les personnes qui viennent travailler en France, quelle que soit leur nationalité. Le fait de les régulariser nous permettrait de les regarder droit dans les yeux et de les remercier de venir participer à l'économie française.
Les Républicains voteront évidemment contre ces amendements qui visent à augmenter massivement le nombre de régularisations. M. Bayou et M. le rapporteur général refusent tous les deux que le préfet ait un pouvoir discrétionnaire, mais c'est une folie ! Il faut évidemment que le préfet conserve ce pouvoir.
De deux choses l'une, en effet : soit il sera très strict dans ses décisions, ce qui conduira à un encombrement des juridictions mais aussi de ses propres services, qui ne pourront plus s'acquitter d'autres tâches – délivrer des OQTF, par exemple ; soit il accordera directement l'ensemble des régularisations pour éviter d'être soumis à un contentieux qu'il risquerait de perdre. Les amendements en discussion auraient le même effet que celui qu'aura l'article 4 bis revisité : les préfets vont massivement régulariser car ils n'auront pas d'autre choix.
Avec ces amendements, chers collègues, vous travestissez la réalité – pire, vous l'instrumentalisez. Si vous contactez les chefs d'entreprise du secteur du bâtiment, vous verrez qu'ils ne demandent pas la régularisation des travailleurs clandestins ! Leurs problèmes, aujourd'hui, ce sont la crise du logement, l'inflation normative et l'inflation du prix des matériaux.
Le Gouvernement ayant été incapable de les protéger, les entreprises du secteur risquent de perdre 100 000 emplois d'ici à 2025. Quant aux restaurateurs, s'ils peinent à recruter dans les villes touristiques, c'est simplement parce que les travailleurs n'ont pas les moyens de s'y loger – parce que vous avez refusé les augmentations de salaire que Marine Le Pen avait proposées et que vous n'apportez pas de réponse à la crise du logement et de l'hébergement saisonnier. Le groupe RN votera contre ces amendements qui visent à favoriser les étrangers au détriment des salariés français.
La commission rejette successivement les amendements.
La séance est levée à 13 heures
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Erwan Balanant, M. Romain Baubry, M. Ugo Bernalicis, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, M. Louis Boyard, Mme Blandine Brocard, M. Michel Castellani, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, M. Jean-François Coulomme, M. Arthur Delaporte, Mme Mathilde Desjonquères, Mme Edwige Diaz, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Elsa Faucillon, Mme Annie Genevard, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Marie Guévenoux, M. Jordan Guitton, M. Sacha Houlié, M. Timothée Houssin, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Marietta Karamanli, Mme Emeline K/Bidi, M. Andy Kerbrat, M. Gilles Le Gendre, M. Antoine Léaument, Mme Marie Lebec, Mme Marie-France Lorho, M. Benjamin Lucas, M. Emmanuel Mandon, M. Laurent Marcangeli, Mme Alexandra Martin (Gironde), Mme Élisa Martin, M. Thomas Ménagé, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, Mme Naïma Moutchou, M. Christophe Naegelen, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, M. Emmanuel Pellerin, M. Thomas Portes, M. Éric Poulliat, M. Philippe Pradal, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Sandra Regol, Mme Claudia Rouaux, Mme Béatrice Roullaud, Mme Sandrine Rousseau, M. Thomas Rudigoz, M. Raphaël Schellenberger, M. Philippe Schreck, Mme Sarah Tanzilli, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, M. Boris Vallaud, M. Guillaume Vuilletet, Mme Caroline Yadan
Excusés. - M. Éric Ciotti, M. Davy Rimane, M. Olivier Serva
Assistaient également à la réunion. - M. Julien Bayou, M. Carlos Martens Bilongo, Mme Stella Dupont, M. Olivier Marleix, Mme Marie Pochon, M. Benjamin Saint-Huile, M. Hervé Saulignac, Mme Sabrina Sebaihi, M. Aurélien Taché