Le sujet a fait beaucoup parler ces dernières semaines et ces derniers mois. Il est profondément hypocrite de considérer à la fois que nous avons des besoins économiques et qu'il est acceptable de maintenir des personnes dans une précarité totale. Le Gouvernement avait proposé, dans le projet de loi initial, une procédure ciblée de régularisation. Il y a des phénomènes d'exploitation et d'esclavagisme contemporain d'une part, et des filières économiques dans lesquelles des métiers se trouvent en tension, d'autre part. Certaines personnes exercent ces métiers depuis longtemps, paient leurs cotisations sociales et leurs impôts, possèdent un contrat de travail ; elles peuvent être des piliers de l'activité économique d'une entreprise, d'une PME, d'un hôtel ou d'un restaurant. Il nous apparaît indispensable de créer une procédure ad hoc de régularisation, ciblée sur ces métiers en tension.
Certains arguments manquent de pertinence. Prenons celui de l'appel d'air : le dispositif du Gouvernement comme celui que je vous présenterai à l'article 4 bis ne peuvent pas provoquer d'appel d'air ; il faut remplir une condition de résidence de trois ans et l'expérimentation prendra fin le 31 décembre 2026 – date que nous souhaitons repousser car le projet de loi a été examiné en Conseil des ministres en février dernier. Ces deux critères font qu'aucune personne vivant actuellement hors de France ne pourra bénéficier du processus de régularisation. Après avoir largement communiqué sur le caractère inacceptable d'une politique ciblée de régularisation – j'ai même entendu le slogan « Zéro régularisation ! » –, la majorité sénatoriale a reconnu la nécessité d'un tel processus. Elle a élaboré une procédure plus ciblée que celle du Gouvernement : je vous proposerai certains aménagements afin de la faire converger vers celle que nous souhaitons déployer.
Le Sénat a remis en cause deux points qui me paraissent fondamentaux.
Le premier, clef de l'article 3 initial que je souhaite réintégrer dans le texte, est l'autonomie de la demande de régularisation par rapport à l'employeur. Comme le dit souvent le ministre de l'intérieur et des outre-mer, il faut couper l'écosystème d'exploitation et de subordination – nous le ferons d'ailleurs dans d'autres domaines, en prévoyant des sanctions administratives contre les employeurs malveillants et en luttant contre les marchands de sommeil qui font commerce de logements indécents. L'article 4 bis du Sénat remet l'employeur au cœur du dispositif : dans la version actuelle du texte, rien ne peut se faire sans l'employeur.
Le second tient à la place du préfet : la Haute Assemblée a remis dans les mains du représentant de l'État dans le département l'appréciation de toutes les situations. Le préfet est doté, aux termes de l'article 4 bis actuel, d'un pouvoir absolu, général et discrétionnaire, semblable à celui que la circulaire Valls lui conférait. Or nous voulons créer une procédure ad hoc, destinée à répondre à des situations spécifiques. Nous sommes en accord avec le Sénat sur la nécessité d'élaborer une procédure ciblée de régularisation, mais nous divergeons sur la place du préfet dans le dispositif. En effet, conférer un pouvoir discrétionnaire au préfet entraînerait de très fortes inégalités territoriales dans l'application de la procédure : des injustices et une casuistique ne manqueraient pas d'apparaître et de heurter le principe d'égalité.
Je donnerai un avis défavorable aux amendements à l'article 3 et vous proposerai d'apporter plusieurs aménagements à l'article 4 bis. Le premier de ceux-ci est de supprimer la dépendance vis-à-vis de l'employeur, celui-ci pouvant subir, le cas échéant, des contrôles : la personne en situation irrégulière est-elle la seule dans ce cas à travailler dans l'entreprise ? Quelle rémunération perçoit-elle ? Quelles sont les conditions de travail ? Je le redis, l'autonomie de la demande de régularisation est indispensable. Ensuite, la régularisation ne doit pas être automatique, contrairement à ce que prévoyait la rédaction initiale de l'article 3. Pas d'automaticité, mais pas de pouvoir discrétionnaire du préfet non plus. Ce dernier doit néanmoins pouvoir interrompre à tout moment la procédure de régularisation ou retirer le titre de séjour pour des raisons qui devraient nous rassembler : polygamie – qui empêche déjà toute délivrance d'un titre de séjour –, menace contre l'ordre public – qui pourrait comprendre qu'une personne ayant bénéficié d'un titre de séjour puisse conserver celui-ci si elle menace l'ordre public ? –, comportement et agissements contraires aux valeurs de la République – à la condition que celles-ci soient précisément définies. Voilà les modifications de l'article 4 bis que nous vous proposerons.
Ce dispositif est efficace et il répond à des besoins économiques ; en outre, il romprait certains liens de subordination qui s'apparentent à de la maltraitance à l'égard de ressortissants de nationalité étrangère en situation irrégulière, lesquels n'ont pas toujours voulu se trouver dans l'illégalité car celle-ci résulte parfois de la complexité de procédures administratives que nous souhaitons simplifier. Ce dispositif est également juste car il repose sur l'autonomie de la présentation de la demande de régularisation par rapport à l'employeur et sur la possibilité pour le préfet de refuser la délivrance du titre de séjour en cas de menaces contre l'ordre public et d'agissements contraires aux principes de la République.
Monsieur Naegelen, la question de la meilleure adaptation possible de la liste des métiers en tension aux réalités locales est essentielle. Nous rencontrons quelques obstacles non pas politiques mais techniques, car il n'existe pas de données agrégées à l'échelle départementale sur l'évolution du marché de l'emploi par métier : ni Pôle emploi ni l'Insee ne sont organisés pour produire des données départementalisées et pour les actualiser. Je m'engage – M. le ministre nous le confirmera – à trouver un dispositif d'identification hyperterritoriale des métiers en tension d'ici à la séance publique. Je proposerai, ou votre groupe le fera, un dispositif qui s'appuie sur les données régionales dont nous disposons mais qui les décline aussi localement que possible. Pour ce faire, il conviendrait d'associer, comme en Suisse, les partenaires sociaux, les acteurs consulaires et peut-être d'autres institutions, afin de nous appuyer sur une connaissance précise et concrète, pas uniquement statistique, des réalités de terrain.