Pour répondre à M. Pauget, j'aimerais revenir sur le profil des personnes concernées, en insistant sur les taux de protection. En 2021, ce taux était de 92 % pour les Afghans – en l'occurrence, il s'agit plutôt d'Afghanes puisqu'elles représentent 70 % des demandes. Cela signifie que la personne se verra accorder l'asile dans 92 % des cas. « Il s'agit de ne pas créer des situations où l'état de fait devient plus fort que l'état de droit », dites-vous à juste titre. Discutons alors du taux de protection plutôt que de la durée de six ou neuf mois ouvrant l'accès au marché du travail – ce qui revient à reculer pour mieux sauter. L'idée est de ne pas ouvrir la possibilité aux ressortissants de pays dont le taux de protection est très faible : 16 % pour le Nigeria, 15 % pour l'Albanie, 7 % pour la Géorgie et pour les Comores.
Dans ces cas, ne soyons pas hypocrites en accordant la possibilité de travailler à des gens qui n'ont quasiment aucune chance d'obtenir l'asile. Ce n'est d'ailleurs pas ce que nous proposons ici. Nous proposons de donner l'autorisation de travailler à des gens à qui nous accordons l'asile dans 92 % des cas. Il s'agit de leur éviter de vivre avec 300 euros par mois dans des logements d'urgence, en étant obligés de travailler illégalement et exposés aux risques inhérents à ce type de situation – prostitution, trafic de drogue et autres. Nous pouvons toujours discuter du taux de protection, mais votre argument ne me paraît pas recevable car nous ne proposons pas de donner des autorisations de travail à tout le monde.
Votre raisonnement vaudrait si nous n'adoptions pas les titres III, IV et V, directement inspirés des travaux du Sénat à partir du rapport Buffet. Quelle est la cause de l'immigration irrégulière ou du détournement du droit d'asile en France ? Ce ne sont pas les décisions des juges, qui sont les plus sévères d'Europe. Ce n'est pas davantage la maîtrise de nos frontières : en regardant autour de nous, nous ne pouvons pas considérer que nous sommes les plus laxistes. Ce ne sont pas non plus nos réglementations : dans un monde difficile, nous parvenons à mieux contenir la situation que nos voisins. La raison réside dans la longueur de nos délais de réponse.
Nous mettons environ trois ans à apporter une réponse définitive négative à un demandeur d'asile qui a détourné la procédure – nous pouvons parfois mettre autant de temps à répondre de manière positive. La loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, dite loi Collomb, a permis de faire passer de neuf à cinq mois, en moyenne, les délais d'examen du dossier par l'Ofpra. Le demandeur débouté fait appel devant la CNDA, qui mettra entre un an et un an et demi à se prononcer. Le refus de la demande n'entraînant pas systématiquement une OQTF – ce que nous voulons changer avec le présent texte –, nous lui notifions qu'il doit quitter le territoire. Il fait un recours, à caractère suspensif, ce qui se traduit par un nouveau délai de neuf mois à un an. Face à un nouveau refus, il saisit la cour administrative d'appel puis le Conseil d'État. Trois ans se sont écoulés. À ce stade, le problème n'est pas tant qu'il ait travaillé régulièrement ou non, mais qu'il se soit marié et ait fait des enfants : dès lors, sa vie privée et familiale est en France. Le juge nous dit que nous avions eu raison de lui opposer un refus, mais qu'il est là et que sa situation a évolué. Le pays d'origine va faire valoir qu'il est chez nous depuis trois ou quatre ans, et la situation se complique encore s'il s'est radicalisé ou qu'il a commis des actes de délinquance dans l'intervalle.
Il faut voir le projet de loi dans sa globalité. À ceux dont on est à peu près certains d'accorder le droit d'asile, nous permettons de travailler de manière anticipée sur autorisation du préfet, ce qui n'est tout de même pas faire preuve d'un grand laxisme. À tous les autres, on indique que leur cas sera tranché définitivement dans un délai maximum de neuf mois. Les titres III, IV et V permettront en effet d'améliorer encore les délais de l'Ofpra, d'obliger la CNDA à se prononcer plus rapidement, de faire en sorte qu'un refus de la CNDA vaille OQTF, et de réduire à trois, voire à deux, le nombre de recours possibles. Une fois ce texte adopté, le demandeur aura donc une réponse en moins d'un an, qu'elle soit positive ou négative. Ne faites pas comme si les titres III, IV et V n'existaient pas.
À ce stade de nos débats, il s'agit d'autoriser à travailler les gens quasiment assurés d'obtenir le droit d'asile, afin qu'ils ne vivent pas avec la seule ADA de 300 euros par mois. Sinon, vous viendrez vous plaindre que l'ADA augmente, que les demandeurs d'asile prennent des places dans les logements d'urgence, qu'ils sont dans des réseaux de trafiquants – ce qui peut se comprendre, quand on a 300 euros par mois, même si cela ne se justifie pas. Ceux qui n'auront pas l'autorisation de travailler auront l'assurance d'obtenir une réponse rapide. Nous gagnerons un an et demi de procédure, du seul fait que le refus d'asile vaudra OQTF, comme proposé par le sénateur Buffet. Battons-nous éventuellement sur les taux de protection, si vous estimez que le taux de 50 % est trop bas, mais il ne me semble pas judicieux de débattre sur des durées de six ou neuf mois.
Quant à vous, monsieur Taché, reconnaissez qu'il ne serait pas très juste de donner cette autorisation de travail à des ressortissants des Comores ou de Géorgie, qui ont 7 % de chance de se voir accorder le droit d'asile. Leur cas relève des procédures d'immigration de travail classiques.