Je soutiens évidemment le rétablissement de l'article 4.
Pour répondre au représentant du Rassemblement national, les demandeurs d'asile ne sont pas des personnes irrégulières tant que leur demande n'a pas été rejetée. Ils ne sont pas entrés irrégulièrement sur le territoire puisque le droit français – en l'occurrence, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le préambule de la Constitution de 1946, et si vous vouliez les contester, vous avez deux siècles et demi de retard, il fallait être là en 1789 –, impose à ceux qui veulent demander l'asile de le faire sur le territoire de la République. Quand quelqu'un se présente à nos frontières pour demander l'asile, il n'est pas irrégulier jusqu'au jour où on lui dit non. Tant que sa demande d'asile n'a pas été examinée, il a droit à la protection de la nation. C'est la raison pour laquelle nous lui versons une prestation sociale.
Des amendements ont été adoptés au Sénat afin de lutter contre les détournements du droit d'asile. Les personnes qui arrivent irrégulièrement et demandent l'asile uniquement lorsqu'ils sont arrêtés par la police essayent de contourner le droit d'asile, j'en conviens. Pour y remédier, une nouvelle disposition prévoit que, dans ce cas, la demande d'asile doit être étudiée mais sans laisser au requérant la liberté sur le sol national.
Le demandeur d'asile n'est pas considéré comme irrégulier, monsieur le député. C'est très important de le savoir sinon on ne comprend pas ce qu'est la demande d'asile en France. La même règle vaut dans tous les pays du monde qui ont un minimum de vie démocratique et qui acceptent l'asile.
On ne parle pas assez de l'arrêt de la Cour suprême du Royaume-Uni. Vous avez soutenu à l'envi le Brexit dont l'un des objectifs était de reprendre le contrôle de l'immigration. Je ne vous cache pas que les immigrés clandestins n'ont jamais été aussi nombreux au Royaume-Uni que depuis qu'il a quitté l'Union européenne. La Cour suprême estime que, quand bien même le Royaume-Uni dénoncerait la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), il ne pourrait pas mettre en place la demande d'asile hors des frontières, comme il l'avait proposé avec le Rwanda. Aucun pays n'a instauré un tel système. Cela n'a rien à voir avec les traités européens ou la CEDH, c'est une question de démocratie.
Reste la question centrale à laquelle cherchent à répondre les titres II, IV et V du projet de loi : que fait-on une fois qu'on a dit non, une fois que l'étranger est devenu irrégulier ?
Dans le système allemand, mis en place par Mme Merkel et son parti, la CDU, une personne déboutée n'est pas expulsée mais bénéficie d'une tolérance – le Duldung – qui lui permet de travailler sans pour autant être régularisée.
Nous proposons un tout autre système. Il s'agit d'abord d'appliquer deux directives européennes – celle relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier de 2008 et celle relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale de 2013. Madame Genevard, vous êtes peut-être opposée à cette mesure mais, par deux fois, le groupe du parti populaire européen (PPE), auquel appartiennent les élus Les Républicains, a soutenu l'adoption de la directive par le Parlement européen.
Depuis 2018, les demandeurs d'asile disposent en France d'une autorisation éventuelle de travail six mois après le dépôt de leur demande, comme dans tous les pays de l'Union européenne. Ils ne peuvent toutefois pas se prévaloir de cette autorisation pour justifier d'une vie privée et familiale en cas de recours postérieur au rejet de leur demande d'asile. Il est faux de dire qu'un étranger peut se prévaloir de l'autorisation de travail pour obtenir sa régularisation. Les tribunaux disent le contraire.
Ceux qui ne travaillent pas – à cet égard, je dois avouer que les arguments Mme Rousseau et de M. Boyard sont justes et devraient tous nous toucher – perçoivent l'ADA – moins de 300 euros par mois. Il est difficile d'obliger des personnes, qui pourraient travailler, à vivre avec 300 euros par mois et à recourir à l'hébergement d'urgence, que vous décriez par ailleurs, parce qu'on leur refuse le droit de travailler.
Ce sont des cas très concrets. Parmi les Afghans que nous avons évacués et qui nous avaient aidés pendant des années en combattant les talibans, il y avait des interprètes, dont nous avons bien besoin sur le sol national, des médecins, des avocats Quelle situation ridicule que de les accueillir sur notre sol et de pas leur permettre de travailler et d'apporter à la France tout ce qu'ils ont à lui apporter alors qu'ils obtiendront, avec une quasi-certitude, l'asile !
Monsieur Delaporte, je ne suis pas d'accord avec vous sur le choix des pays concernés. Pour la première fois, un gouvernement ne vous propose pas de changer la liste des pays sûrs. D'abord, nous le savons tous, cela n'a pas de sens puisqu' in fine, c'est l'Ofpra qui décide – et ce n'est pas un mal. Ensuite, la liste des pays sûrs a finalement peu d'intérêt puisqu'il faut désormais compter avec la jurisprudence notamment sur l'orientation sexuelle ou la religion.
La politique du Gouvernement en la matière repose sur la rapidité des procédures ainsi que sur le taux de protection. On peut toujours discuter de ce taux dont je rappelle qu'il est réglementaire. Nous l'avons fixé à 50 %. Ce taux permet d'inclure ceux dont on sait qu'ils obtiendront l'asile, sans faire le jeu de ceux qui détournent ce droit pour venir dans notre pays. Par exemple les Sénégalais, les Ivoiriens ou les Marocains n'ont, à quelques exceptions près, aucune raison de demander l'asile. Ils ne méritent pas, me semble-t-il, le même taux de protection que les femmes afghanes. Le critère du taux de protection, qui n'a rien à voir avec la liste des pays sûrs, me semble assez cohérent est démocratique.
Monsieur Delaporte, l'autorisation de travail, sur laquelle j'ai fait une ouverture en direction de M. Taché tout à l'heure, concerne moins l'étranger que l'entreprise. Il s'agit de vérifier que l'entreprise fonctionne bien et est en bonne santé financière et sociale – on ne donne pas une autorisation à une société en redressement. Celle-ci ne peut pas embaucher des personnes étrangères parfois en situation de vulnérabilité si elles ne respectent déjà pas le droit du travail pour ses salariés.
Finalement, de qui parle-t-on ? Comme pour les métiers en tension – je ne crois pas que cela méritait de faire autant la une des journaux –, on parle de quelques milliers de personnes. Cela concerne 20 % des 130 000 à 150 000 demandes d'asile. Si le nombre de demandes en France a augmenté d'environ 20 % depuis cinq ans, personne ne dit jamais que celui-ci est passé en Allemagne de 150 000 à 270 000 en trois ans.
Dans toute l'Union européenne, la France est le pays où la progression des demandes d'asile est la moins forte et celui qui en accepte le moins. Je tiens à rappeler ce constat à l'intention de ceux qui affirment que le système de l'asile fait l'objet de détournements de procédure massifs. Ce n'est pas vrai. Les demandes d'asile, qui reflètent les difficultés du monde, ont progressé de 10 % en France, alors qu'elles ont augmenté de plus 60 % dans l'Union européenne et même doublé en Allemagne en trois ans. Ce n'est pas seulement lié à des évolutions législatives puisque les juges de la CNDA sont indépendants du pouvoir politique et qu'ils appliquent les critères de la CEDH. Il est donc totalement faux de dire que la France est le pays qui accorde le plus le droit d'asile. En revanche, comme d'autres pays, nous avons du mal à renvoyer les personnes déboutées, ce qui fait l'objet des titres III, IV et V du projet de loi. Ne confondons pas les débats.
Nous discutons donc ici de 20 % des 130 000 demandeurs, ceux qui sont à peu près certains d'obtenir l'asile. Ce très bon article 4 ne mérite donc pas toutes les attaques dont il fait l'objet car il aide à lutter contre les passeurs, les trafics et les marchands de sommeil, en permettant aux gens de vivre de fruit du fruit de leur travail. Nous assumons d'y avoir posé une limite, soulignée par M. Delaporte : le préfet peut s'opposer à la demande de travail quand il l'estime manifestement détournée – il ne s'agit pas d'une autorisation de travail de plein droit.
Cette disposition est conforme au droit européen et aux pratiques de nos voisins européens. Elle est aussi cohérente avec l'issue de la procédure : ces personnes obtiendront l'asile, mais si par extraordinaire ce n'était pas le cas, l'autorisation de travail ne pourrait être considérée comme un droit à régularisation. Rappelons que le demandeur d'asile n'est pas une personne en situation irrégulière mais sous protection tant qu'elle n'est pas définitivement déboutée. Si elle reste après avoir été définitivement déboutée et invitée à quitter le territoire, elle se retrouve en situation irrégulière. Nous devons rester dans la ligne de ce qu'ont imaginé les révolutionnaires de 1789.