Nous arrivons effectivement à un moment important – même si les articles 3 et 4 ne constituent pas l'essentiel du texte, ils sont cohérents avec le reste.
De qui parle-t-on ? Malgré des semaines voire des mois de débats au Parlement et dans les médias, on continue, parfois, à ne pas parler de ce qui figure dans le texte, mais de choses qui auraient pu s'y trouver ou qui n'ont pas d'autre existence que médiatique. Il est question, en réalité, de travailleurs en situation irrégulière du point de vue du droit du séjour, mais régulière sur le plan du droit du travail – telle est la difficulté. Ces gens sont déjà sur le sol national et ils ont des fiches de paie, voire des contrats de travail. Ils font donc partie de l'énorme masse de personnes qu'on appelle les « ni-ni » – ni expulsables ni régularisables, parce qu'arrivées depuis déjà très longtemps sur le territoire national. Il n'est pas question, comme l'a dit le rapporteur général, de personnes se trouvant hors de France, mais de gens qui ont des fiches de paie, qui s'acquittent de leurs impôts, dans le cadre du prélèvement à la source, et qui paient des cotisations même s'ils ne bénéficient pas des droits reconnus aux travailleurs. Deux solutions peuvent dès lors être envisagées : soit on expulse ces personnes, après avoir condamné les entreprises qui les embauchent, soit on procède à des régularisations, pour tout ou partie. Le problème est que notre droit ne permet aujourd'hui aucune de ces solutions.
Le projet de loi résoudra la difficulté. D'abord, et c'était la mesure la plus importante de l'article 3, le texte permettra au salarié d'être régularisé sans son employeur. Aujourd'hui, une régularisation n'est pas possible si l'employeur ne signe pas le formulaire Cerfa. Pourquoi ne le voudrait-il pas ? Il devrait, d'abord, payer une contribution à l'Ofii, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, ce dont il n'a sans doute aucune envie, et il sait très bien, par ailleurs, qu'il ferait ainsi la démonstration qu'il n'aurait pas dû employer la personne concernée, c'est-à-dire qu'il est, en grande partie, un patron voyou. L'article 8 permettra de libérer le salarié du joug de l'employeur et de savoir qui embauche des personnes sans papiers, en leur délivrant de vrais faux documents. Cela permettra des poursuites pénales, lesquelles sont malheureusement peu nombreuses à l'heure actuelle – moins de 500 sont exercées par an, alors que le ministère de l'intérieur et l'inspection du travail en engagent 15 000. Surtout, le texte donnera aux préfets la possibilité de prononcer des fermetures administratives et d'infliger des amendes extrêmement fortes afin d'arrêter le flux continu des embauches au moyen de vrais faux contrats de travail ou bulletins de salaire. Il faut regarder le texte dans sa globalité.
En refusant ces dispositions, non seulement vous ne réglerez pas le problème du lien entre l'employé et l'employeur – je m'adresse en particulier à la partie gauche de la salle –, mais en plus vous ne tarirez pas le flux des personnes irrégulières, puisque vous laisserez hypocritement les patrons continuer à embaucher irrégulièrement des gens sans jamais être condamnés. Et si vous ne libérez pas l'employé de l'employeur, en ce qui concerne la demande de régularisation, vous ne connaîtrez pas le continent caché que forment tous ceux qui exploitent, dans des conditions souvent indignes, des personnes en situation irrégulière.
Autre élément, le texte concerne les métiers en tension, lesquels ne sont pas si nombreux que cela. Il arrive souvent que les exemples cités ne correspondent pas à la réalité. Ainsi, alors que la restauration n'est pas aujourd'hui un métier en tension, il a encore été question, tout à l'heure, des serveurs. Le texte s'applique, ensuite, à des zones géographiques où il existe des difficultés d'embauche. Les dispositions envisagées dans le cadre de la rédaction initiale de l'article 3, des modifications apportées par le Sénat et des propositions faites par le rapporteur général lient ces deux questions, celle des métiers en tension et celle des zones géographiques dans lesquelles le marché du travail est tendu. Dans les endroits où le taux de chômage est de 12 ou 13 %, par exemple dans les Hauts-de-France, des régularisations ne sont pas prévues. En Bretagne, où le taux de chômage est très peu élevé et où on a besoin de personnes dans l'agriculture ou les travaux publics, par exemple, le texte s'appliquera au contraire. Il est donc tout à fait faux de dire qu'il y aura une régularisation nationale, massive et ne tenant pas compte de la question du chômage.
J'ajoute que l'hypocrisie règne partout. C'est notamment vrai du côté des employeurs qui ont recours à une main-d'œuvre étrangère non déclarée, payée moins cher et privée de droits syndicaux et de protection sociale. Il ne faut pas se plaindre que davantage de monde dépende de l'AME lorsque des gens qui paient des cotisations ne peuvent pas bénéficier de la sécurité sociale – il faudrait être un peu cohérent. Il y a aussi de l'hypocrisie, permettez-moi de le dire, sur le plan législatif, car nous procédons par circulaires. J'entends les arguments de la gauche, mais elle ne fait pas ce qu'elle demande une fois qu'elle est dans la majorité. Je pense à la circulaire Valls, qui a été prise durant la présidence de François Hollande : le gouvernement socialiste de l'époque a préféré l'hypocrisie. Nous aurions pu agir aussi par circulaire et donc continuer à régulariser des gens sans le dire sur le plan législatif. Procédons-nous aujourd'hui à des régularisations, notamment au titre du travail ? La réponse est oui. D'ailleurs, tous les groupes politiques m'écrivent pour demander des régularisations. C'est normal, mais tout cela se fait sans rien dire au Parlement et aux Français : on s'y prend en cachette. On envoie des courriers, les gens ont rendez-vous à la préfecture, puis des régularisations ont lieu ou non, et c'est tout.
Le Gouvernement vous demande aujourd'hui de fixer des critères dans la loi. Certains veulent qu'on précise dans le projet de loi que c'est le niveau A2 qui est visé en matière de compétences linguistiques, alors que la question relève clairement du domaine réglementaire – ces parlementaires voudraient même savoir comment se passera l'examen de français, et peut-être à quelle heure les gens seront convoqués – mais quand on vous demande de prévoir des critères en matière de régularisation, que vous pourriez souhaiter plus larges ou au contraire plus restreints que ce que nous proposons, vous refusez de le faire.
Nous pourrions discuter des critères si vous trouvez qu'ils ne conviennent pas. Vous pourriez préférer une durée de cinq ou sept ans de séjour au lieu de trois ou bien une période de douze ou quatorze mois de travail au lieu de huit. Vous pourriez également nous demander pourquoi nous visons les métiers en tension et pas d'autres, ou pourquoi nous procédons par zones géographiques. À cet égard, monsieur Naegelen, je pense que nous pourrons trouver, dans l'hémicycle, un moyen de répondre à votre demande, mais il faudra le faire en lien avec le ministère du travail – je ne veux pas vous faire une promesse sans lendemain. Le principe même de la réforme est de prendre en considération des zones géographiques particulières : nous avons ainsi ouvert la voie à une forme de départementalisation et à un travail avec les branches professionnelles.
En réalité, deux positions différentes sont exprimées. Certains disent qu'il ne faut pas de critères parce qu'ils veulent régulariser tout le monde, ce qui n'est évidemment ni possible ni acceptable. D'autres préféreraient qu'on ne parle même pas de cette question. Ils nous demandent donc de continuer à faire preuve d'hypocrisie : selon eux, une simple circulaire suffirait. Néanmoins, après avoir entendu ces différents arguments, le Sénat a souhaité qu'on inscrive dans la loi un certain nombre de critères. J'imagine que si M. Retailleau a voté de telles dispositions, certes modifiées, c'est qu'elles correspondaient bien pour lui à une réalité.
En refusant par principe les dispositions que nous vous proposons, vous encouragez – je le dis notamment au groupe LR – le contraire de ce que vous voulez. Prenons le cas d'une dame qui travaille dans un secteur en tension. Si son employeur ne veut pas signer le document Cerfa nécessaire, cette personne ne pourra pas être régularisée, même si le parlementaire qui m'a écrit le souhaite et même si le préfet, ou le ministre, le voulait : c'est une disposition législative qui s'applique. Comment la dame en question pourra-t-elle donc être régularisée ? C'est possible, dans le cadre de la circulaire Valls, si elle fait un enfant. Pensez-vous que c'est une manière intelligente de traiter la question ? C'est absurde, surtout que le titre de séjour temporaire, pour un an, qui serait alors délivré n'ouvrirait pas droit au regroupement familial.
Nous avons proposé, à l'article 1er, de conditionner la délivrance d'un titre pluriannuel à la réussite d'un examen de français. Par ailleurs, nous ne tirerons pas les salaires vers le bas, pour reprendre l'expression utilisée par la France insoumise. L'article 2, que vous avez adopté à l'unanimité, prévoit que les cours de français proposés auront lieu pendant les heures de travail. Quant à l'article 8, il permettra de sanctionner très fortement l'employeur et de fermer l'entreprise.
Je précise aussi que les régularisations au titre du travail dans le cadre de la circulaire Valls concernent 7 000 personnes par an, sur environ 12 000 ou 13 000 dossiers. Je ne sais donc pas d'où sortent les chiffres évoquant des centaines de milliers de personnes, mais rien ne vous empêche de prévoir des quotas, comme l'a demandé l'excellent sénateur Szpiner, qui n'appartient pas à la majorité parlementaire et qui a été maire du 16e°arrondissement de Paris – on ne peut donc pas dire que c'est absolument un gauchiste. Puisqu'on peut considérer qu'il s'agit de cas particuliers, fixez des quotas, de 5 000, 8 000 ou 10 000 personnes par an, si vous avez peur d'un appel d'air.
Certaines modifications apportées par le Sénat sont tout à fait heureuses. J'accepte ainsi bien volontiers qu'on regarde si les gens n'ont pas de casier judiciaire et si la manière dont ils vivent est conforme aux valeurs de la République. C'était déjà prévu dans le texte déposé par le Gouvernement, à l'article 13, et il n'y a aucune raison de ne pas inscrire des dispositions similaires à l'article 3 ou à l'article 4 bis.
Certains disent – je pense aux membres du groupe Socialistes – qu'ils auraient vraiment aimé voter le texte, l'article 3 n'étant pas mal, mais ils nous reprochent de reculer. Soyons clairs : ce groupe a dit, avant même qu'on puisse dire un mot du texte, qu'il voterait contre. J'observe que les autres groupes politiques, à l'exception de La France insoumise, n'ont pas agi de la même façon. Vous pariez peut-être sur la bêtise du Gouvernement, en vous disant qu'il n'a qu'une majorité relative et que la droite déclare ne pas vouloir de régularisations de plein droit. Vous déclarez, en tout cas, que vous voulez l'article 3, mais que vous voterez à la fin contre le texte, c'est-à-dire aussi contre cet article. Cela s'appelle de l'hypocrisie. Vous n'avez pas fait lorsque vous étiez aux responsabilités ce que vous demandez maintenant que vous êtes dans l'opposition, et vous poussez pour une régularisation tout en n'en voulant pas, puisque vous voterez contre le texte. Personne n'y comprend rien : on se croirait dans un congrès du parti socialiste. Arrêtez, s'il vous plaît, de faire preuve d'hypocrisie.
L'amendement CL1665 du rapporteur général mérite peut-être quelques modifications, notamment dans le sens de la territorialisation évoquée par M. Naegelen. Néanmoins, l'idée que Mme Jacquier-Laforge a exposée – il ne s'agirait ni d'une régularisation de plein droit ni d'un droit premier et unique du préfet – me paraît constituer un compromis assez ingénieux. Par ailleurs, j'ai eu l'occasion de dire à M. le rapporteur général que nous n'avions rien à cacher aux branches professionnelles ou aux parlementaires : comme ils interviennent beaucoup pour soutenir les demandes de tel ou tel travailleur, qu'ils connaissent mieux que nous, on pourrait imaginer de les associer aux décisions prises, dans le cadre de commissions départementales ad hoc.
Je suis sensible aux arguments de ceux qui disent que leur préfet est très fermé dans ce domaine ou au contraire très ouvert, et je pense qu'on peut rendre encore meilleur l'amendement CL1665, qui pourrait être adopté finalement, mais je tiens à souligner que ce projet de loi fera preuve d'une fermeté absolue contre les étrangers délinquants, ce qu'on ne faisait pas auparavant – nous réparons donc des erreurs – tout en mettant fin à l'hypocrisie qui prévalait, parce que c'est aussi ce que demandent nos concitoyens.
Pour toutes ces raisons, je vous invite à rejeter les amendements visant à rétablir l'article 3 et j'apporte mon soutien à l'amendement de compromis proposé par Mme la rapporteure et M. le rapporteur général.