France Insoumise (NUPES)
PCF & ultramarins (NUPES) PS et divers gauche (NUPES) EELV (NUPES)
Radicaux, centristes, régionalistes... LREM et proches (Majorité gouv.)
MoDem et indépendants (Majorité gouv.) Horizons (Majorité gouv.) LR et UDI
RN et patriotes
Non-Inscrits (divers gauche à droite sans groupe)
La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Femmes et retraite ».
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties : nous entendrons d'abord les orateurs des groupes, puis le Gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
La parole est à Mme Mathilde Panot.
« Elle serait à la retraite dans quinze ans, si le gouvernement ne pondait pas une connerie d'ici là. C'était loin encore. Elle comptait les jours. Le week-end, elle voyait sa sœur. Elle rendait visite à des copines. C'était fou le nombre de femmes seules qui voulaient profiter de la vie. Elles faisaient des balades, s'inscrivaient à des voyages organisés. […] Dans leur vie, les enfants, les bonshommes n'auraient été qu'un épisode. Premières de leur sorte, elles s'offraient une escapade hors des servitudes millénaires. […] Tout ce temps, les femmes avaient tenu, endurantes et malmenées. »
L'escapade hors des servitudes millénaires dont parle l'écrivain Nicolas Mathieu attendra deux ans. Pas de plage de galets ou de camping pour Steph, Corinne ou Inès. Avec votre réforme, elles devront travailler deux années de plus, même en ayant acquis tous leurs trimestres grâce à leurs enfants.
Vous aviez pourtant des milliers d'options.
Mais c'est sur le dos des femmes que vous voulez faire des économies. Les femmes, les millions de femmes, les mêmes qui ont tenu le pays debout pendant la crise du covid-19 et qui représentent 77 % des professions de santé, 94 % des aides à domicile, 64 % des personnels de nettoyage et 67 % du corps enseignant. Encensées à l'époque par Emmanuel Macron qui semblait provisoirement retrouver le chemin de la gratitude. Depuis, rien n'a été fait pour améliorer leurs conditions de travail, rien pour augmenter leurs rémunérations, rien pour prendre en compte la pénibilité de leurs métiers.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Pire encore, la réforme des retraites est une régression sociale sans précédent et les femmes en seront les premières victimes, car dans chaque angle mort, dans chaque point aveugle de votre réforme, on trouve des femmes.
Derrière la fable des 1 200 euros pour tous, ces centaines de milliers de femmes qui ne toucheront rien, faute d'être parvenues à une carrière complète au Smic. Derrière le recul de l'âge de départ, les femmes qui partent déjà plus tard que les hommes à la retraite : à 62 ans et 7 mois en moyenne pour elles, contre 62 ans pour les hommes ; 20 % des femmes sont obligées d'attendre d'avoir 67 ans pour arrêter de travailler, contre 10 % des hommes. C'est donc à elles que vous demandez encore des efforts. C'est d'ailleurs écrit noir sur blanc dans votre étude d'impact : les femmes de la génération 1980 devront travailler huit mois de plus en moyenne, contre quatre mois pour les hommes.
Derrière le recul de l'âge de départ, encore des femmes à qui on annule le bénéfice des trimestres supplémentaires acquis grâce à la maternité. Même les Républicains vous demandent de revoir votre copie ! On se souviendra qu'en 2023, Éric Ciotti donnait des leçons de féminisme à la Macronie.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Dans la trappe de pauvreté, toujours des femmes : 45 % des nouvelles retraitées étaient sans emploi, contre 35 % des nouveaux retraités. Combien de femmes seront coincées dans ce sas de précarité avec votre réforme ? Combien d'entre elles seront au chômage ou en invalidité ? Peu importe. Pour vous, les économies d'abord, les inégalités après, si on a le temps.
Derrière la suppression du critère d'exposition aux agents chimiques, on trouve ces coiffeuses qui respirent de l'ammoniac plusieurs heures d'affilée ou ces ouvrières du textile qui manipulent des solvants à longueur de journée. Derrière la non-prise en compte de certains métiers pénibles, on trouve ces aides à domicile qui portent leurs patients à bout de bras, ces caissières qui soulèvent jusqu'à 2 tonnes de marchandises par jour, ces infirmières qui ont une espérance de vie de sept ans inférieure à celle de la moyenne des femmes et qui, pour 20 % d'entre elles, partent à la retraite en incapacité. On trouve toutes celles qui occupent les métiers des services et subissent des cadences de plus en plus fortes, jusqu'à rêver du tic-tic de la caisse automatique la nuit. On leur diagnostique un syndrome du canal carpien et elles finissent opérées du poignet ou des mains. Elles souffrent de hernie, de mal de dos chronique, elles peinent à bouger les épaules.
On trouve toutes ces femmes cassées par le boulot et dont les douleurs ne sont jamais reconnues comme des maladies professionnelles. Derrière les accidents du travail, on trouve de plus en plus de femmes : les accidents avec arrêt de travail ont augmenté de 28 % pour les femmes en quinze ans, quand ils ont diminué de 28 % pour les hommes, si bien qu'une aide à domicile est davantage exposée au risque d'accident qu'un travailleur du BTP (bâtiment et travaux publics).
Voilà comment on passe d'une prétendue réforme de progrès, de justice sociale à une réforme profondément sexiste. Au commencement, cet aveu terrible du ministre Riester : les femmes « sont un peu pénalisées » par la réforme, comme si les femmes n'étaient pas déjà pénalisées dans la société du fait d'être des femmes et, pire, comme s'il s'agissait d'une anecdote, d'un inconvénient à la marge, d'un ennui dont on peut s'accommoder. Cette réforme pénalise les femmes, donc la majorité de la population, et alors ? Que dites-vous si ce n'est : « après tout, ce ne sont que des femmes » ? Ce n'est pas grave si les femmes subissent des temps partiels, sont victimes de discrimination à l'embauche, ont des salaires 22 % inférieurs à ceux des hommes et des retraites 40 % inférieures, ce qu'aucun index n'a d'ailleurs jamais permis de résorber. Après tout, ce ne sont que des femmes. Pas grave non plus si l'écart de patrimoine entre les femmes et les hommes est passé en quinze ans de 9 % à 16 %. Pas grave si les femmes hétérosexuelles perçoivent en moyenne 32 % de moins que leur conjoint, si bien qu'elles doivent compter sur l'effet des pensions de réversion pour vivre à la retraite et choisir ainsi, à l'aube de leur vie, entre le mariage et la pauvreté. Après tout, ce ne sont que des femmes. Pas si grave de reconduire la division genrée du travail, avec des métiers occupés majoritairement par des femmes, moins valorisés, moins rémunérés malgré leur utilité sociale, au prétexte qu'il serait naturel pour elles de prendre soin des autres. Pas si grave que ces femmes le paient au prix fort au moment de leur retraite. Après tout, ce ne sont que des femmes.
Je vous entends déjà me dire : cette réforme ne peut pas résoudre les inégalités qui précèdent la retraite. Comme le disent les sociologues Céline Bessière et Sibylle Gollac, vous repoussez la ligne d'arrivée en faisant mine d'ignorer que la moitié des coureurs ont des semelles de plomb. Les inégalités que vous ne corrigez pas sont celles que vous perpétuez.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Au fond, vous êtes de vrais conservateurs, qui ne souhaitent pas que la société change.
Si vous voulez faire travailler les femmes davantage, c'est au mépris du travail qu'elles accomplissent déjà tout au long de leur vie. Celles en couple avec enfants travaillent en moyenne cinquante-quatre heures par semaine, contre cinquante et une heures pour les hommes dans la même situation, mais seul un tiers de ce travail est rémunéré pour les femmes, contre deux tiers pour les hommes. La vie de tant de femmes est rythmée par une charge mentale, une interminable liste de tâches pour lesquelles, ne vous en déplaise, elles n'ont aucun goût ni don inné. Penser aux coton-tiges, vérifier quel jour la nounou part en vacances, faire le chèque pour le voyage scolaire, se libérer pour la réunion parents-professeurs, prendre un congé quand le petit est malade, l'aider dans ses devoirs, changer le billet de train, faire les courses, laver à la main le maillot de foot plein de boue, recoudre les boutons, prendre rendez-vous pour le rappel du vaccin, rendre la BD à la bibliothèque, emmener le petit à la guitare, préparer le goûter, faire à manger, passer l'aspirateur, repasser les affaires du petit, étendre le linge, vider le lave-vaisselle…Oui, les femmes passent encore aujourd'hui deux fois plus de temps à faire le ménage et à s'occuper des enfants que les hommes !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Vous n'avez aucun égard pour ce travail invisible, gratuit, épuisant. On ne vous entendra jamais vanter la société de l'effort ou la valeur travail à ce sujet, puisque ce travail n'est accompli que par des femmes.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Voilà le vrai visage des grands réformateurs qui affichent en vitrine une grande cause du quinquennat tout en préparant la réforme la plus réactionnaire dans l'arrière-boutique.
Ce débat est d'ailleurs l'occasion pour certains de réveiller les pires poncifs antiféministes. Quand le Rassemblement national convoque l'imaginaire nauséabond de la politique nataliste et promeut un discours où les femmes seraient des utérus sur pattes, vous ne mouftez pas.
Ils disent que le déficit imaginaire des retraites peut être comblé par des grossesses et il n'y en a pas un chez vous qui lève les yeux au ciel.
Faut-il rappeler ici que le modèle de l'extrême droite est celui de la Hongrie ou de la Pologne, où l'avortement est quasiment interdit et où on fait écouter le cœur du fœtus aux femmes enceintes lorsqu'elles décident d'avorter ?
« Elle a raison ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Ni politique nataliste ni exploitation des femmes ! Une bonne réforme des retraites n'est pas celle qui prend les femmes pour des ventres ou pour une variable d'ajustement budgétaire.
Vous voulez lutter contre les inégalités ? Augmentez les salaires. Portez le Smic à 1 600 euros net. Dégelez le point d'indice des fonctionnaires. Revalorisez les métiers du soin et du lien. Fonctionnarisez les AESH – accompagnants d'élèves en situation de handicap – et autres métiers féminisés.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Sanctionnez véritablement les entreprises qui ne respectent pas l'égalité professionnelle. Financez un plan massif d'éducation à l'égalité de genre.
Créez un service public la petite enfance. Ouvrez 500 000 places en crèche. Surtout, supprimez la décote et faites la retraite à 60 ans !
Oui, collègues, une réforme juste implique nécessairement de s'attaquer à la longue histoire qui mène des millions de femmes à un sort misérable lors de leur retraite.
J'achève en les saluant : aides à domicile, aides-soignantes, infirmières ,
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES
secrétaires, professeures des écoles, femmes de ménage, coiffeuses, esthéticiennes, gynécologues, serveuses, professionnelles de la justice, agricultrices, assistantes maternelles, vendeuses, toutes ces femmes sans lesquelles notre pays ne tiendrait pas debout. Je les salue et je leur dis que le combat n'est jamais vain. Je leur donne rendez-vous le 7 mars pour bloquer votre gouvernement.
Nous allons vous faire battre en retraite et ainsi rendre possible l'escapade hors des servitudes millénaires que les femmes méritent.
Les députés du groupe LFI – NUPES se lèvent et applaudissent. – Les députés des groupes Écolo – NUPES et GDR – NUPES applaudissent également.
Vous le savez, les Républicains sont très attachés à la sauvegarde de notre système de retraite par répartition,…
…garant de la solidarité nationale telle que voulue par le général de Gaulle à l'issue de la seconde guerre mondiale. Toutefois, si une réforme est nécessaire, elle ne doit pas se faire au détriment des femmes. La présidente Panot vient d'ailleurs de rappeler les propos en ce sens du président Ciotti.
Sourires sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Au-delà, la réforme doit même corriger les nombreuses inégalités du marché du travail qui se répercutent immédiatement sur les pensions de retraite des femmes. S'appuyant sur des éléments et des droits créés à des époques très différentes, le débat concernant la retraite des femmes est complexe. La retraite des femmes, c'est aussi notre combat. Notre droite, c'est la droite de la valeur du travail et qui sait protéger les travailleurs. Notre droite, c'est la droite de l'émancipation des femmes, celle qui leur a permis de voter, de travailler, d'être indépendantes, d'avoir accès à l'IVG – interruption volontaire de grossesse –, grâce à Simone Veil. Notre droite, c'est la droite qui veillera toujours à protéger les carrières hachées liées à la maternité. Notre droite, c'est donc la droite qui se tient aux côtés des femmes qui travaillent. Je veux saluer ici tout particulièrement le travail acharné de notre collègue Véronique Louwagie au service d'une juste retraite pour toutes les femmes.
Oui, madame la ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels, mes chers collègues, une trop grande injustice pèse sur la retraite des femmes. Ces femmes qui consolident le régime par répartition en participant au renouvellement des générations alors qu'elles ont, du fait de leurs congés maternité, des carrières ralenties par rapport à celle des hommes. Ces mères pour lesquelles le recul à 64 ans de l'âge de départ annulera des trimestres de majoration acquis au titre de leur grossesse. Elles pourraient ainsi perdre jusqu'à huit trimestres. Ces mères qui accumulent plus ou moins de trimestres selon qu'elles travaillent dans le secteur public ou le secteur privé. Ces veuves dont le bénéfice d'une pension de réversion dépend de critères devenus obsolètes. Rappelons que, parmi les 4,4 millions de bénéficiaires de la réversion, 88 % sont des femmes.
En somme, les débats autour de la refonte de notre système des retraites ont mis en lumière les inégalités qui pèsent sur les pensions de retraite des femmes par rapport à celles des hommes, inégalités que les Républicains avaient pour ambition de rectifier. Il nous semblait plus important que jamais de soutenir les familles en proposant par exemple de baisser le taux de CSG – contribution sociale généralisée – sur les revenus d'activités des mères ou de rétablir l'universalité des allocations familiales, des mesures qui auraient permis de compenser les nombreux rabots opérés depuis une dizaine d'années sous les quinquennats de François Hollande et d'Emmanuel Macron et qui ont pénalisé ces dernières années les mères de famille qui travaillent.
Il aurait été aussi important de donner aux femmes ayant eu deux enfants ou plus et qui ont atteint la durée nécessaire pour bénéficier du taux plein la possibilité de partir à la retraite plus tôt. Mais c'était compter sans l'extrême gauche qui, par son obstruction, n'a pas permis de faire avancer le débat, cette gauche qui sait brandir le féminisme sur les plateaux télé et les réseaux sociaux, mais qui ne sait plus défendre les femmes à l'Assemblée nationale, alors même que c'est ce qu'elles attendaient de leurs représentants.
Ben voyons ! Ce n'est pas vous qui défendez la retraite à 60 ans ! Vous condamnez les femmes à deux ans de plus !
Mais nous ne lâcherons rien et nous savons que les sénateurs poursuivront notre combat au service d'une juste retraite pour les femmes.
Le président du groupe Les Républicains au Sénat, Bruno Retailleau, a par exemple proposé deux options, soit une surcote de 5 % pour les mères de famille ayant atteint à la fois une carrière complète et l'âge légal de départ à la retraite, soit un départ anticipé à 63 ans. M. Dussopt a lui-même annoncé dans la presse qu'il était, je cite : « d'accord avec [nous] et ouvert » et qu'il était possible de « trouver des solutions pour améliorer le texte quant à la situation des femmes ».
Cette lucidité tant attendue n'est-elle pas toutefois un aveu d'échec, dans la continuité des déclarations de M. Riester ? En tout cas, simplement reconnaître ces inégalités ne suffit pas ; il faut les corriger. Nous, députés du groupe Les Républicains, espérons que vous saurez mettre en pratique vos discours. Nous veillerons jusqu'au bout à ce que les femmes ne soient pas les grandes oubliées de cette réforme. La justice sociale pour toutes et tous, là est notre combat et notre cap.
Évoquer la retraite des femmes, c'est inévitablement se pencher sur les inégalités entre hommes et femmes qui, bien en amont, perdurent pendant l'activité professionnelle et dans toute la société ; on ne saurait être surpris qu'elles se confirment au moment de la retraite. Même si, fort heureusement, les choses progressent, il faut bien constater que les femmes ont trop longtemps été un impensé des réformes des retraites ; pour rappel, malgré neuf réformes en cinquante ans, ce n'est qu'à partir de la réforme menée par M. Fillon en 2003 que la question des femmes a été traitée.
Longtemps, nombre de femmes – pensons aux agricultrices, aux commerçantes – ont travaillé, comme elles le disent elles-mêmes, pour leur mari, sans être déclarées ni cotiser, et n'ont eu que leurs yeux pour pleurer, lors de leur départ à la retraite, à l'heure de constater que bien qu'ayant travaillé tout autant que leur époux – tout en ayant de surcroît assumé la majorité des tâches ménagères et assuré la plus grande part de l'éducation des enfants –, elles ne pouvaient prétendre à une pension équivalente au minimum vieillesse. Elles ont pourtant participé à la richesse du pays.
De plus, les femmes, parce qu'elles quittent leur emploi pour prendre en charge leurs enfants lorsqu'elles ont du mal à trouver un mode de garde, parce qu'elles interrompent plus souvent que les hommes leur activité vers 50 ans pour s'occuper d'un parent malade ou dépendant, sont aussi les premières concernées par les carrières courtes ou le temps partiel et perçoivent des salaires inférieurs. En 2022, selon les chiffres de l'Insee, les salaires des femmes sont inférieurs en moyenne de 22 % à ceux des hommes. Le constat est sans appel : 37 % des femmes retraitées touchent moins de 1 000 euros bruts de pension, alors que ce n'est le cas que pour 15 % des hommes. Le taux de pauvreté des femmes retraitées est aussi sensiblement plus élevé – il est de 10,4 % contre 8,5 % pour les hommes.
Pour éviter une décote, les femmes sont aussi davantage contraintes que les hommes à liquider leurs droits à l'âge de 65 ans ou après – pour la génération née en 1950, c'est le cas de 19 % des femmes contre 10 % des hommes.
Le projet de réforme en cours d'examen, sans prétendre traiter l'ensemble des problèmes en amont, les prend du moins en compte, grâce à plusieurs mesures. Pour rappel, l'âge d'annulation de la décote restera de 67 ans. C'était impératif puisque ce sont d'abord les femmes qui, n'ayant pu cotiser tous leurs trimestres, travaillent jusqu'à cet âge et sont concernées par ce seuil. Les femmes dont la carrière est incomplète ou hachée seront prises en compte grâce à l'octroi, nouveau, de trimestres pour congé parental dans le dispositif carrières longues – jusqu'à quatre trimestres pourront ainsi être gagnés ; 2 000 femmes seront concernées chaque année.
La prise en compte des trimestres cotisés auprès de l'assurance vieillesse du parent au foyer – AVPF – est aussi une avancée ; jusqu'à quatre pourront l'être. Puisque ce sont plus souvent les femmes que les hommes qui remplissent le rôle d'aidant, selon le Gouvernement, la mesure permettra d'augmenter de 2 points le nombre de femmes bénéficiant du Mico – minimum contributif – majoré, réservé, pour rappel, à ceux qui ont cotisé cent vingt trimestres.
Les femmes seront également plus nombreuses à bénéficier du dispositif pour les petites pensions, à savoir l'augmentation du minimum contributif – 29 % d'entre elles seront concernées, contre 17 % des hommes. La réforme prévoit en effet une augmentation de 25 euros du socle de base du minimum contributif et de 75 euros s'agissant de sa version majorée. Les femmes bénéficieront d'une hausse plus franche que les hommes, de 38 euros brut par mois en moyenne, contre 25 euros bruts pour eux.
J'en viens à l'octroi de trimestres – quatre dans le secteur privé, deux dans le secteur public – pour la naissance et l'éducation d'un enfant, une mesure instaurée à la fin des années 1960 pour compenser la perte de trimestres liée à la grossesse, qui conduisait souvent les femmes à arrêter le travail. Il est utile de rappeler que le dispositif est maintenu et permet toujours de transférer à l'autre parent les quatre trimestres complémentaires octroyés pour l'éducation d'un enfant.
L'amendement du groupe Démocrate visant à permettre aux femmes ayant eu des enfants avant 2012 d'intégrer leurs indemnités de congé maternité dans le calcul de leur pension est repris par le Gouvernement. La loi prévoyait déjà cette possibilité, mais uniquement pour les congés maternité pris à partir du 1er janvier 2012. Cette avancée complémentaire était donc attendue.
Le débat n'ayant pas pu se dérouler comme nous l'aurions souhaité, le sujet de la pénibilité n'a guère été qu'entrevu. C'est un vrai regret car, trop souvent, le caractère pénible des métiers féminins est comme occulté, invisibilisé. On peut le comprendre tant les représentations mentales sont liées aux images de port de charges lourdes, à celles du marteau-piqueur, de la truelle ou du bitume sur les chantiers. Certains métiers exercés majoritairement par des femmes sont pourtant extrêmement pénibles – il suffit de penser aux aides-soignantes, amenées à soulever des patients. Les femmes sont, pour rappel, beaucoup plus concernées par les troubles musculo-squelettiques. Elles devront donc faire l'objet d'une attention toute particulière dans le futur plan de prévention doté d'1 milliard d'euros.
L'abaissement du seuil d'obtention de points de pénibilité prévu dans le cadre du C2P – compte professionnel de prévention – pour le travail de nuit – celui-ci passera de cent vingt à cent nuits par an, et quand ce travail est effectué en équipes successives, de cinquante à trente nuits par an ; la suppression du plafond de 100 points de pénibilité ; le renforcement de la valeur des points pour l'accès à la formation ou au temps partiel ; l'instauration du suivi médical personnalisé sont des points importants, particulièrement pour les femmes.
Ainsi, si le débat actuel appelle évidemment à continuer à réduire les inégalités salariales entre hommes et femmes, première cause des inégalités lors de la retraite, c'est plus largement à une réforme massive des représentations et des pratiques que chacun d'entre nous, citoyen, élu, chef d'entreprise, homme ou femme est appelé…
…pour qu'un jour nous ne soyons plus obligés d'organiser ce type de débat consacré spécifiquement aux femmes à l'Assemblée.
Applaudissements sur les bancs du groupe HOR. – Mme Estelle Youssouffa applaudit également.
Il y a dix jours, le Gouvernement a clos prématurément les débats sur le projet de réforme des retraites sans laisser aux députés la possibilité de débattre des mesures d'âge, alors qu'elles sont porteuses d'injustices profondes pour les Français et les Françaises.
Les femmes, en particulier, porteront l'essentiel du poids de la réforme ; elles s'annoncent déjà comme les perdantes de celle-ci, à rebours des contre-vérités du Gouvernement. Ainsi, l'économiste Michaël Zemmour a estimé qu'environ 60 % des 17,7 milliards d'euros d'économies par an recherchées d'ici 2030 avec cette réforme seraient faites au détriment des femmes. Ce chiffre, non infirmé par la direction de la sécurité sociale lors du contrôle sur pièce et sur place mené par notre collègue Jérôme Guedj, en sa qualité de vice-président de la Mecss – mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale –, est tout simplement inadmissible.
Il l'est encore davantage quand on se remémore les injustices pesant déjà sur les femmes tout au long de leur carrière. Tout d'abord, les carrières courtes concernent davantage les femmes que les hommes : quand les femmes accouchent, nous le savons, elles basculent souvent vers un temps partiel ou se retirent temporairement de la vie professionnelle pour se consacrer à l'éducation de leur enfant. Mécaniquement, les femmes sont plus nombreuses à attendre l'âge d'annulation de la décote pour liquider leurs droits : c'est le cas de 19 % d'entre elles, contre seulement 10 % pour les hommes. Les carrières fractionnées concernent également davantage les femmes. Elles sont enfin plus nombreuses que les hommes à renoncer à leur carrière pour assister un proche en perte d'autonomie.
Les femmes, plus touchées par les carrières courtes, sont ainsi les perdantes de la réforme des retraites qui exige une carrière complète de quarante-trois ans à temps plein pour bénéficier d'une retraite à taux plein.
Le même constat s'impose concernant la retraite à 1 200 euros dont Jérôme Guedj a démontré lors de nos débats la faiblesse du nombre de bénéficiaires. M. Dussopt a ainsi indiqué hier par courrier qu'entre 10 000 et 20 000 personnes supplémentaires en bénéficieraient chaque année,…
Quand on pense qu'on est passé de 1,3 million de bénéficiaires à 10 000 en une semaine !
Nous attendons donc cette précision, même si nous savons déjà que le choix du Gouvernement d'augmenter de 75 euros le minimum contributif majoré et de 25 euros le Mico de base désavantagera les femmes. En effet, alors que le bénéfice du minimum contributif majoré est subordonné à la cotisation de trimestres – et non à leur validation –, les femmes cotisent en général moins de trimestres que les hommes.
La conséquence de votre réforme apparaît clairement : les femmes seront amenées à travailler plus longtemps pour bénéficier d'une retraite à taux plein au niveau actuel. Le Gouvernement l'a lui-même reconnu dans son étude d'impact : avec la réforme, alors que l'âge moyen de départ à la retraite des femmes nées en 1970 progressera de douze mois, passant de 63,5 ans à 64,5 ans, celui des hommes de la même génération ne progressera que de huit mois et demi, passant de 64 ans à 64,7 ans.
Enfin, l'injustice majeure que constitue l'importante inégalité de revenu et de pension entre les femmes et les hommes n'est aucunement prise en compte dans votre réforme ; elle risque même d'être accentuée par le recul de l'âge de la retraite et l'allongement de la durée de cotisation. Sur ce dernier point, votre étude n'a pas évalué la diminution des pensions de retraite des femmes liée à la suppression des surcotes dont celles-ci bénéficiaient jusqu'à présent quand elles travaillaient au-delà de l'âge légal de départ à la retraite, suppressions elles-mêmes liées au report de l'âge légal de 62 à 64 ans. Pour mesurer ces effets sur les différentes catégories professionnelles et bénéficier d'un débat éclairé, nous avons demandé au Gouvernement plus d'information et plus de temps, mais nous nous sommes heurtés à un double refus inacceptable.
Si nous comprenons que les femmes seront en moyenne plus concernées que les hommes par le décalage de l'âge de la retraite, nous ne connaissons pas les détails des effets selon les profils, mais seulement des moyennes reposant sur des hypothèses trop générales. Nulle part nous ne disposons d'indications claires sur les effets de la réforme du dispositif carrière longue sur les femmes, qui en bénéficient moins, en proportion, que les hommes, ni d'informations transparentes concernant le nombre de femmes pour qui la réforme annulera le bénéfice des majorations de trimestres. Enfin, le COR – Conseil d'orientation des retraites – note que le taux de pauvreté des retraités augmente depuis 2016, en particulier chez les personnes âgées de plus de 65 ans qui vivent seules ; parmi elles, ce taux atteint même 16,5 % pour les femmes. Quel sera l'impact de la réforme sur ce taux ? Vous ne le précisez pas.
Les Français ne s'y sont pas trompés et rejettent massivement la régression que souhaite imposer le Gouvernement sans même permettre la tenue d'un débat suffisamment long et éclairé. Nous vous demandons des précisions sur l'ensemble de ces points.
Mme Soumya Bourouaha et M. Matthias Tavel applaudissent.
Je me réjouis de nourrir le débat entamé il y a quelques semaines sur les retraites, dans de bien meilleures conditions que précédemment. Je souhaite rappeler mon profond regret quant à la manière dont les débats se sont déroulés, ce qui a empêché que se tiennent des échanges constructifs.
Nos concitoyens ne méritent pas ces mises en scène et ces campagnes de désinformation.
M. Matthias Tavel proteste
…alors qu'elle mérite tellement plus de décence et de dignité. Au sein de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (DDF), nous avons eu l'occasion d'aborder la question de l'impact de cette réforme des retraites pour les femmes, dans un climat apaisé, constructif – sans doute parce que nous travaillions loin des caméras.
Malgré tout, je remercie le groupe La France insoumise d'avoir inscrit cette question à l'ordre du jour et de permettre d'échanger au-delà des postures et des caricatures.
C'est une question primordiale qui mérite l'attention de tous et le respect de chacun. Permettez-moi de développer quelques chiffres : en 2021, les femmes liquidaient leurs droits à la retraite en moyenne dix mois après les hommes ; le montant moyen de la pension de retraite, de 1 459 euros mensuel sexes confondus, était de 1 674 euros pour les hommes et de 1 272 euros seulement pour les femmes – c'est 24 % de moins. Si nous déduisons la majoration de pension perçue pour trois enfants ou plus, l'écart de pension de retraite entre hommes et femmes s'élève à 39 %.
Cette réforme a donc été l'occasion de rappeler que la situation des femmes en matière de pensions de retraite est particulièrement inégalitaire. Certaines de ces inégalités peuvent être corrigées en prenant en compte les trimestres d'interruption d'activité des femmes, tant pour l'éligibilité au dispositif carrières longues que pour le calcul de la retraite minimale. Il importe de noter que la revalorisation des petites pensions favorisera majoritairement les femmes, puisque près de 30 % d'entre elles verront leur pension augmenter.
Je n'oublie pas que cette augmentation est avant tout la conséquence des faibles pensions perçues par les femmes. Évidemment, toutes ces inégalités existent depuis trop longtemps. Sans doute une réforme systémique aurait-elle permis d'aller plus vite et plus loin dans la correction de ces injustices. C'est pourquoi je veux rappeler que la meilleure manière de lutter contre ces inégalités, c'est d'abord et avant tout de s'attaquer à l'inégalité professionnelle, aux différences salariales, à la question des métiers pénibles. Les écarts de pension s'expliquent en grande partie par ces écarts de salaire contre lesquels il faut absolument lutter car le système de retraite ne peut entièrement les corriger. Quand considérerons-nous enfin la femme comme un homme comme les autres ?
Cela fait maintenant plusieurs semaines que le Gouvernement et la majorité travaillent leurs éléments de langage pour tenter de nous faire croire que la réforme des retraites serait juste et équilibrée. Les femmes en seraient même les premières bénéficiaires – le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement dit pourtant le contraire.
Notre débat est donc l'occasion de rappeler quelques faits et d'expliquer pourquoi votre réforme n'est favorable à aucun de nos concitoyens, et certainement pas aux femmes. Elle va davantage les affecter car elles seront plus touchées par le relèvement de l'âge de départ à la retraite, comme l'illustrent ces quelques exemples, parlants. Ainsi, pour la génération née à partir de 1966, l'âge de départ légal moyen est repoussé de sept mois pour les femmes, contre cinq mois pour les hommes. Pour la génération née à partir de 1972, c'est encore pire : l'âge de départ légal moyen recule de neuf mois pour les femmes, contre cinq mois pour les hommes.
En outre, l'accélération brutale de la mise en œuvre de la loi, dite Touraine, garantissant l'avenir et la justice du système de retraites affaiblit la portée de l'avantage des trimestres acquis par enfant. Ce phénomène était parfaitement prévisible, mais le Gouvernement a fait le choix de ne pas réévaluer ce bénéfice proportionnellement au rallongement de la durée de travail. De surcroît, si, dans le privé, les femmes bénéficient d'une majoration de durée d'assurance de huit trimestres par enfant, dans le public, c'est seulement deux trimestres si l'enfant est né après 2004, et quatre trimestres s'il est né avant 2004. Vous avez vanté les bénéfices de votre réforme pour les femmes. Par cohérence, vous auriez donc pu faire un geste ! Mais rien ! En réalité, votre réforme n'avantagera que le capital et les actionnaires !
L'écart de pension entre les hommes et les femmes est en moyenne de 40 %. Ce chiffre est largement connu, il est alarmant et, si le sort des femmes préoccupait sérieusement ce gouvernement, vous l'auriez également traité lors de nos débats. Malheureusement, la réforme ne prévoit aucun rattrapage, aucune compensation. Ce n'est certainement pas la petite revalorisation du Mico pour une carrière complète au Smic qui augmentera le montant des pensions touchées par les femmes, elles qui sont les premières soumises aux bas salaires et au temps partiel.
En réalité, s'il était question d'agir concrètement pour davantage d'égalité et de justice sociale, nous aurions débattu des moyens de favoriser l'égalité professionnelle afin qu'à postes et compétences équivalents aux hommes, les femmes perçoivent la même rémunération et, donc, des pensions de retraite qui ne soient plus 40 % inférieures à celles des hommes.
Le Gouvernement nous explique que la pension moyenne des femmes va augmenter et qu'il s'en réjouit. Mais il oublie de préciser que c'est uniquement grâce à l'effort qu'elles devront fournir en travaillant deux années de plus !
De surcroît, le Gouvernement ne parle pas de toutes celles, bien plus nombreuses, dont les retraites seront rabotées parce qu'elles ne tiendront pas deux ans de plus. Pourtant, votre projet de loi fait aussi l'impasse sur la pénibilité au travail et sa compensation. Or, parmi les métiers à dominance féminine, ceux du soin et du lien sont primordiaux dans notre société, mais dévalorisés et exécutés dans des conditions très précaires. D'ailleurs, l'hiver dernier, la Cour des comptes a alerté sur le taux de sinistralité hors norme observé dans ces métiers. Les femmes qui y travaillent seront parmi les très grandes perdantes de votre réforme.
Quant à la prise en compte des périodes de congés parental dans les trimestres acquis au titre des carrières longues, il s'agit d'une avancée minuscule au regard des réalités et des besoins. Concrètement, il s'agira de prendre en compte quatre trimestres pour les femmes ayant commencé à travailler avant 20 ans. Selon l'étude d'impact, ce dispositif concernerait 2 ou 3 000 femmes sur les 400 000 qui partent en retraite chaque année.
Au lieu d'infliger brutalement deux années de travail supplémentaires aux hommes et aux femmes de ce pays, il y avait bien d'autres dispositions à prendre, des dispositions urgentes et de progrès social. Il y avait – et il y a toujours – la possibilité, si votre gouvernement en a la volonté politique, de faire le choix du progrès et de la justice sociale en renonçant à cette funeste réforme des retraites pour construire, à la place, des droits collectifs plus protecteurs et plus justes pour toutes et tous.
Parler femmes et retraites, c'est parler d'inégalité, d'inégalité des sexes face à l'argent. Car il me semble que l'égalité est avant tout une question économique. L'Hexagone serait bien inspiré de réfléchir aux traditions de mon département, Mayotte. Terre française et majoritairement musulmane, Mayotte est un matriarcat matrilinéaire : les femmes y sont cheffes de famille et la coutume veut qu'à leur naissance, le père construise une maison pour chacune de ses filles. Nos coutumes mahoraises protègent les femmes en leur garantissant un toit sous lequel l'époux n'est qu'un invité.
Après son mariage, le Mahorais va en effet habiter chez sa femme et les enfants du couple resteront chez leur mère. Mayotte donne ainsi le pouvoir aux femmes, avec la possession de leur foyer, socle de l'autonomie économique. Cela a nourri notre société matriarcale, où l'égalité hommes-femmes est réelle.
À Mayotte, l'entrepreneuriat féminin est extrêmement dynamique et c'est le pilier de notre économie. Notre histoire est marquée par les maîtresses femmes qui ont mené, dans les années 1970, le combat pour que Mayotte soit française : Zakia Madi, Zéna M'Déré – dont je porte les couleurs –, Zéna Méresse, Mouchoula, Mama Bolé Latifa, Tava Colo, Coco Laza et toutes les autres ont lutté contre les indépendantistes en chatouillant jusqu'aux larmes les Comoriens et autres émissaires qui voulaient faire sortir Mayotte de la République.
Modestes mais déterminées, non violentes mais en lutte, les Chatouilleuses ont humilié et pourchassé les ministres et leurs idées néfastes pour garantir à Mayotte la liberté, l'égalité et la fraternité. Mayotte et la France sont les héritières de ce féminisme combattant. La République doit aux sorodas – soldates mahoraises –, et à toutes ces femmes, de pouvoir encore faire flotter notre drapeau tricolore sur l'île aux parfums.
Certaines de ces femmes puissantes sont toujours parmi nous, mais elles vivent souvent dans le plus grand dénuement : les retraites à Mayotte atteignent péniblement 286 euros en moyenne. Nos aînées réclament de pouvoir vieillir dignement.
Je vous raconte cette histoire pour que l'on se souvienne de ce que notre pays doit aux femmes et que nous les traitions enfin à égalité, dans le travail et dans les retraites. Notre pays connaît une période politique historique, avec une féminisation inégalée des postes clefs : pour la première fois, notre pays compte une Première ministre, une présidente de l'Assemblée nationale épaulée de cinq vice-présidentes, quatre femmes à la tête des principaux groupes politiques de notre assemblée, qui n'atteint pourtant pas la parité, avec seulement 37,3 % de députées.
Ici, nous sommes les égales de nos homologues masculins et payées comme telles – même indemnité et même retraite. La plupart de nos électrices n'ont pas cette chance. Tous temps de travail confondus, les Françaises touchent 28,5 % de moins que les hommes. Les emplois féminisés sont moins considérés et moins bien payés. À travail égal, s'il y a un sexe faible, c'est surtout parce qu'il est plus faiblement payé.
Si l'égalité homme-femme est toujours grande cause nationale, force est de constater que le Gouvernement a discriminé nos concitoyennes dans cette réforme des retraites. Force est de constater qu'il a perpétué l'injustice économique qui frappe les Françaises en alimentant les inégalités dans le grand âge. À titre d'exemple, la majoration de durée d'assurance pour enfants est variable : dans le privé, elle est de huit trimestres par enfant quand, dans le public, elle est seulement de deux trimestres. Il en est de même pour la majoration de pension : dans le privé, elle est de 10 % à partir de trois enfants tandis que, dans le public, la majoration passe à 5 % à partir du troisième. On s'y perd ! Quant aux pensions de réversion, on compte plus de onze régimes différents. C'est pourtant un outil important pour réduire les inégalités de pensions entre les hommes et les femmes, car les pensions de réversion réduisent l'écart de 40 à 28 % !
Le groupe LIOT a proposé de relever à 30 000 euros le plafond de ressources des bénéficiaires des pensions de réversion – contre 23 000 actuellement. Nous proposons aussi d'ouvrir les droits pour enfants dès le deuxième, pour tenir compte de la baisse du nombre d'enfants par femme.
La question n'est pas d'inciter les Françaises à avoir des enfants, pour en faire des variables d'ajustement budgétaire de notre système de retraite par répartition. Non ! La maternité doit rester un choix libre de toute pénalisation professionnelle et financière. Il s'agit de garantir de bonnes conditions d'emploi et de conciliation avec la vie professionnelle pour celles qui souhaitent fonder une famille, et d'améliorer leurs droits au moment de leur retraite.
La justice sociale passe par l'égalité des sexes et l'émancipation économique des femmes : la réforme des retraites doit revoir sa copie pour que nos concitoyennes, nos électrices, ne soient pas que des bonnes poires et que notre système soit à la hauteur de Marianne, symbole de notre République.
Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT. – Mme Emmanuelle Ménard et M. Emmanuel Taché de la Pagerie applaudissent également.
Je prends la parole au nom du groupe Renaissance dans ce débat très opportunément inscrit par nos collègues de La France insoumise – alors qu'ils ont largement privé les Français de débat au cours des dernières semaines !
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Il est toujours savoureux de constater que, maintenant, ils veulent débattre alors qu'il y a quelques jours, ils préféraient le désordre et le chaos…
Il existe effectivement des différences structurelles et des inégalités de pension entre les femmes et les hommes. Nous devons impérativement identifier les racines de ces inégalités, liées notamment à une organisation du travail qui malmène les femmes et dont les effets se répercutent – voire se densifient – au moment de la retraite.
On l'a déjà dit ! Qu'avez-vous fait, à part contribuer à ce que la situation empire ?
C'est pour cela que nous avons d'ores et déjà fait progresser plusieurs chantiers importants.
Par exemple, nous revalorisons les petites pensions, sachant que les femmes sont plus nombreuses à avoir cotisé avec des revenus modestes. Ainsi, 33 % des femmes à la retraite obtiendront une augmentation de leur pension. Sur les 2 millions de retraités actuels, 60 % sont des femmes, et leur pension sera revalorisée de 6,7 % en moyenne, contre 5,1 % pour les hommes.
Nous avons également pris en compte les périodes de congé parental dans le calcul des trimestres requis pour bénéficier d'une retraite anticipée pour carrière longue. Les femmes pourront ainsi obtenir plus tôt une retraite à taux plein.
Si La France insoumise n'avait pas préempté et dévoyé le débat,…
…nous aurions pu défendre cette avancée parlementaire et inscrire, dans la loi, une trajectoire de réduction des inégalités. En une génération, au plus tard en 2050, les écarts de pension entre les femmes et les hommes seront éradiqués.
Les travaux menés par la présidence de la DDF nous ont permis d'envisager des mesures structurelles à même de corriger ces inégalités, et nous contribuerons à les faire figurer dans le futur projet de loi sur le plein emploi.
Je ne parle pas ici de mesures compensatoires – de mesurettes – qui pourraient combler temporairement ces inégalités, mais bien d'une transformation en profondeur du travail, afin de lui redonner sa fonction première, émancipatrice. C'est l'un des principaux piliers sur lesquels s'appuyer pour atteindre l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Je le répète, ces inégalités sont intolérables et contraires à l'esprit de justice et d'équité.
D'ailleurs, ces inégalités sont le symptôme d'un mal bien plus vaste : les inégalités touchant la valeur travail. En cela, nous différons, chers collègues situés à l'extrême droite ou à l'extrême gauche de cet hémicycle.
Pour nous, le travail, c'est l'émancipation, la mobilité, l'agilité. C'est par le travail que nous faisons société, que nous nourrissons notre solidarité. Les Françaises et Français connaissent cette valeur et l'estiment. Nous souhaitons donc valoriser le travail autant qu'il le mérite.
Les femmes doivent aussi pouvoir se saisir de la portée émancipatrice du travail et, en fin de carrière, percevoir les mêmes pensions que les hommes, parce qu'elles auront eu les mêmes conditions de travail.
Mme Anna Pic s'exclame.
Les écarts que nous constatons sont le résultat édifiant des inégalités structurelles relatives à l'emploi des femmes dans le marché du travail. Trois leviers sont susceptibles d'y remédier, que nous pourrons actionner par l'intermédiaire des prochains textes qui nous seront soumis.
Premièrement, les femmes perçoivent des rémunérations inférieures à celles des hommes. À partir de ce constat, nous avons créé l'index de l'égalité professionnelle, sur lequel nous poursuivons le travail.
Deuxièmement, conséquence des stéréotypes de genre, les femmes occupent plus souvent que les hommes des positions socioprofessionnelles moins favorables, dans des secteurs d'activité moins rémunérateurs. Nous devons agir sur la mixité des filières et des métiers, donner aux jeunes filles l'envie de s'orienter vers des secteurs d'avenir, stratégiques, comme le numérique et les sciences, et accompagner les entreprises pour ouvrir leurs portes aux femmes qui se réorientent en cours de carrière. Aujourd'hui même, dans cet hémicycle, avec la DDF, nous recevons quatre-vingts lycéens qui travaillent sur ce sujet. Je vous invite à venir écouter leurs conclusions à seize heures.
Enfin, le taux d'activité des femmes est inférieur à celui des hommes. Elles travaillent plus souvent à temps partiel
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES
et interrompent davantage leur carrière que les hommes pour des motifs familiaux. L'accès au travail constitue un levier essentiel pour accompagner les femmes vers l'emploi.
Cessons d'instrumentaliser politiquement ces situations et apportons des changements structurels ; corrigeons les inégalités à la racine.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Tel sera l'objectif du prochain texte relatif au plein emploi.
Vous venez d'entendre quelques-unes de mes propositions. Maintenant, j'aimerais entendre les vôtres, plutôt que le brouhaha auquel vous nous avez habitués !
Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Il fallait écouter ! Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre !
Notre objectif, c'est zéro écart en 2050, à l'horizon d'une génération. Nous emploierons tous les outils possibles pour réduire et supprimer définitivement les inégalités de pension. Il s'agit d'un combat social fort. Gagner ce combat, voilà tout le sens de la grande cause nationale du quinquennat, que nous soutenons depuis 2017.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – Mme Frédérique Meunier applaudit également. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Le présent débat offre l'occasion de souligner le caractère particulièrement discriminant pour les femmes de la réforme des retraites que le Gouvernement s'entête pourtant à imposer.
La situation respective des hommes et des femmes à la retraite constitue l'une des plus criantes inégalités entre eux. D'après l'Insee, les femmes perçoivent une pension moyenne inférieure de près de 40 % à celle des hommes.
L'autoritarisme et la brutalité du Gouvernement ont encore une fois fait leur œuvre en limitant nos débats, secondés par l'obstruction parlementaire absurde d'une partie de la NUPES qui, en essayant de jouer les Jean Moulin, n'a fait que prouver une nouvelle fois qu'ils ne sont que des Tartuffe.
Protestations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Tous ces comportements ont eu comme seul effet de priver la représentation nationale d'une discussion sereine sur le fond du texte.
Alors profitons de ce débat pour rappeler qu'à l'inutilité budgétaire qui caractérise cette réforme…
…s'ajoutent une profonde injustice sociale et une grande brutalité. Elle pénalisera les femmes en général, a fortiori les mères avec une carrière hachée.
Dans un instant de vérité, M. Riester, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, a concédé aux médias qu'avec cette réforme « [les femmes] sont évidemment un peu pénalisées », avant d'ajouter : « On n'en disconvient absolument pas. » Cet aveu, qui a le mérite de la clarté et de l'honnêteté, est confirmé par l'étude d'impact : la réforme aura pour conséquence de reculer de plusieurs mois l'âge effectif moyen de départ à la retraite pour les femmes.
Les femmes partent déjà plus tard à la retraite et touchent des pensions plus faibles : le report de l'âge de départ les affectera davantage. Toutes les réformes qui retardent l'âge de départ ont pour effet mécanique de pénaliser les femmes, plus nombreuses à avoir des carrières hachées. Actuellement, 40 % d'entre elles partent à la retraite avec une carrière incomplète. Cette réforme inique aura pour conséquence d'accentuer cette injustice.
Dans le régime général des retraites, huit trimestres sont attribués pour tout enfant né ou adopté, dont quatre le sont à la mère au titre de la naissance ou de l'adoption. Or ces trimestres ne comptent pas pour la durée de cotisation. Une femme qui a validé l'ensemble de ses trimestres avant l'âge légal devra donc continuer à travailler : le report de l'âge légal de départ efface le bénéfice des trimestres validés avec la maternité. Ainsi, quand Mme la Première ministre déclare que les femmes partiront à la retraite plus tôt que les hommes, c'est encore un mensonge. Parce que si aujourd'hui les femmes partent plus tard que les hommes, avec votre réforme, elles ne partiront sûrement pas plus tôt. Quant aux mères de famille qui subissent déjà l'injustice du système actuel, elles seront plus lésées encore. Quelle hérésie, lorsqu'on sait que ces mêmes femmes sont les pierres angulaires de notre système de retraite par répartition, puisque par définition les enfants d'aujourd'hui seront les cotisants de demain.
Vous proposez d'infliger aux femmes une double peine : elles subissent déjà une décote à cause des carrières hachées ; avec votre réforme, elles seront encore plus pénalisées ! Toute réforme des retraites sérieuse et ambitieuse devrait être accompagnée d'une campagne familiale et nataliste.
Encore une fois, le Gouvernement n'a rien anticipé, contrairement à la présidente du groupe Rassemblement national, Marine Le Pen, qui propose depuis fort longtemps des mesures simples, justes et efficaces pour protéger les femmes. Plus vous avez travaillé tôt, plus vous partez tôt. Notre projet est un projet de justice. Il permet aux femmes, à toutes les femmes, y compris les mères de famille, de profiter de leur retraite en bonne santé, sans avoir les bras cassés et le dos brisé.
Il aurait fallu déposer des amendements ! Vous auriez pu un peu travailler !
Car dans les faits, les femmes sont les plus fréquemment exposées aux facteurs de risques psychosociaux ou touchées par les maladies professionnelles. Mais là non plus, le Gouvernement n'a rien fait pour prendre en considération la pénibilité à laquelle elles sont confrontées au travail. De toute évidence, votre réforme aura pour conséquence de fragiliser encore un peu plus la situation financière de nombreuses femmes qui exercent des métiers difficiles et qui ne pourront pas se maintenir dans l'emploi jusqu'à l'âge légal de départ à la retraite.
La politique est avant tout une question de choix. Ce gouvernement a fait celui de pénaliser les femmes en défendant une réforme aussi brutale qu'injuste.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
En France, la pension moyenne des femmes se monte à 1 145 euros par mois, celle des hommes à 1 924 euros ; le taux de pauvreté des femmes retraitées atteint 10,4 %, alors qu'il est sensiblement plus faible chez les hommes, et l'écart a tendance à se creuser depuis 2012. Enfin, les femmes partent un peu plus tard à la retraite que les hommes. Vous voyez où je veux en venir : les inégalités à la retraite sont le miroir des inégalités entre les femmes et les hommes tout au long de la vie. Très souvent, c'est un miroir grossissant.
Que proposez-vous pour remédier aux inégalités, par exemple professionnelles ? Rien. La loi de 2006 n'est toujours pas appliquée et aucune sanction n'est en vue pour les entreprises qui ne la respectent pas. Que proposez-vous pour améliorer le taux d'emploi des femmes ? Rien. Sur trente-huit pays de l'OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques –, la France est vingt-cinquième en la matière. Nous vous avons notamment proposé, à l'occasion des derniers textes examinés, de sanctionner les employeurs qui abuseraient des temps partiels. Toujours rien. Cette pratique est pourtant monnaie courante, en particulier dans les secteurs fortement féminisés.
Si l'an dernier, le taux d'activité des femmes avait été identique à celui des hommes, 10 milliards de cotisations supplémentaires auraient été versées pour nos retraites. J'insiste : parce que les femmes travaillent moins que les hommes, le manque à gagner en cotisations atteint 10 milliards. Parce que les femmes gagnent moins que les hommes, il manque 5,5 milliards. Forcément, on se dit qu'on peut faire mieux. Le total se monte à 15,5 milliards. Si vous êtes un peu matheux, vous comprenez que le compte y est, en comparaison des 12 milliards de déficit temporaire que prévoit le Conseil d'orientation des retraites.
Cela montre bien que la priorité politique du Gouvernement est de faire travailler les gens plus longtemps, de faire des économies sur le dos des plus précaires, plutôt que de chercher à atteindre l'égalité entre les femmes et les hommes au travail.
S'agissant de l'égalité, vous ne vous contentez pas de ne rien faire. Votre réforme creusera les inégalités, dans un système déjà défavorable aux femmes. À l'évidence, le report de l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans et, surtout, l'allongement de la durée de cotisation toucheront tout le monde. Toutefois la mesure affectera particulièrement tous ceux – en fait surtout toutes celles – dont les carrières ont été courtes ou hachées, ou qui ont travaillé à temps partiel.
Pour bien me faire comprendre, je citerai l'exemple de Quentin et d'Auriane, nés en 1975, qui ont commencé à travailler dans le privé à 23 ans. Leurs carrières ont été identiques et ils ont deux enfants. Avec le système actuel, Quentin doit attendre d'avoir 66 ans pour pouvoir partir avec une pension à taux plein. Auriane, grâce aux trimestres gagnés en compensation de ses deux grossesses, peut partir à 62 ans, puisque c'est l'âge légal. Après votre réforme, la situation de Quentin ne changera pas. En revanche, Auriane perdra les deux années gagnées en compensation de ses deux grossesses car elle devra travailler deux ans de plus pour atteindre l'âge légal, que vous souhaitez hausser à 64 ans.
C'est aussi simple que cela. Nous nous y opposons.
Par ailleurs, reconnaîtrez-vous enfin la pénibilité des métiers fortement féminisés ? Nous parlons de toutes ces femmes qui ont fait marcher le pays pendant la crise liée au covid, comme les caissières et les soignantes. Les critères de pénibilité sont définis à partir de métiers masculins. Or les métiers féminisés peuvent être tout aussi difficiles, puisqu'ils cumulent bien souvent des contraintes physiques et émotionnelles importantes. J'ajoute que le nombre des accidents du travail progresse chez les femmes alors qu'il baisse chez les hommes ; il en va de même des maladies professionnelles et des troubles musculo-squelettiques.
Je vous livre le témoignage de Sarah, infirmière à Lyon, qui nous a écrit après avoir regardé les débats dans l'hémicycle. « J'ai bossé pendant six ans en réanimation des grands brûlés à Édouard-Herriot. Six ans où je me suis brisé le dos. Les pansements duraient en moyenne une heure trente par patient chaque jour ; les patients prenaient en moyenne 20 kilos d'œdème en phase initiale. On devait porter chacun de leurs membres pour faire leurs pansements, pour la plupart les personnes étaient intubées, ventilées, séparées, donc étaient des "poids morts". » Elle précise que les patients pèsent rarement 50 kilogrammes à leur arrivée ; il faut donc tourner et porter la jambe et le bras de patients de 100 kilogrammes, sans aide mécanique. Pour finir, Sarah demande comment, dans ces conditions, on peut tenir physiquement jusqu'à 64 ans.
Cette question, c'est à vous qu'elle s'adresse, aux membres du Gouvernement. Vous avez tenté de nous vendre une réforme juste à l'égard des femmes : personne n'est dupe. Nous soutenons les femmes et nous demandons le retrait de cette réforme.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES, LFI – NUPES, SOC et GDR – NUPES.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels.
Vous portez au débat une question fondamentale : la retraite des femmes. Le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, Olivier Dussopt, regrette de ne pas pouvoir y participer, parce qu'il est retenu au Sénat.
Les concertations ont été très utiles dans ce domaine ; elles nous ont permis de rester attentifs aux effets sur les femmes de chacune des dispositions de la réforme. De plus, la retraite des femmes est au cœur de l'examen parlementaire, depuis son commencement.
Certains d'entre vous s'en souviennent, il y a un mois exactement, le ministre est intervenu devant la représentation nationale pour répondre aux questions de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Cette audition a permis d'enrichir le texte, puisque le Gouvernement a soutenu et repris des amendements issus des échanges. Ils n'ont pu être débattus, à cause du blocage des discussions, que vous avez été nombreux à regretter.
L'amendement déposé par Mme Véronique Riotton vise à atteindre l'égalité des pensions entre les hommes et les femmes d'ici à 2050. D'autres avancées très précises concernent les droits à la retraite des parents confrontés à la perte d'un jeune enfant. Mme Karine Lebon a mis en lumière que dans la fonction publique, la majoration de 10 % pour famille nombreuse est retirée lorsque l'on perd un enfant avant ses 9 ans. Cette réalité doit changer. M. Paul Christophe a déposé un amendement visant à supprimer la diminution du nombre de trimestres supplémentaires en cas de décès de l'enfant avant ses 4 ans. D'autres amendements tendent à réviser plus largement les droits familiaux, tels celui de M. Thibaut Bazin et ceux visant à corriger une inégalité qui empêche les personnes exerçant une profession libérale de bénéficier d'une majoration de leur pension.
Nos débats en première lecture n'ont malheureusement pas permis d'examiner ces dispositions. Avec Olivier Dussopt, je formule le vœu que la suite de la navette parlementaire permette de les graver dans le marbre de la loi.
Le thème de la retraite des femmes restera présent dans les discussions parlementaires. Il donne lieu à des interrogations légitimes, mais aussi à de mauvais procès et à des informations trompeuses. Tout cela suscite en retour de l'incompréhension parmi nos concitoyens, surtout nos concitoyennes. Nous voulons dissiper les doutes.
La réforme que nous défendons prend en considération les parcours des femmes. D'abord, celles-ci partiront à la retraite plus tôt que les hommes, et continueront de percevoir leur retraite plus longtemps que les hommes. Actuellement, les femmes partent en moyenne plus tard que les hommes. Cette inégalité est bien entendu la conséquence d'une inégalité dans la vie active et non d'un aspect spécifique du système de retraite. Les départs sont retardés à cause d'interruptions de carrière plus nombreuses et plus longues en moyenne.
Les évolutions du marché du travail ont permis de mieux concilier la maternité et la vie professionnelle. D'autre part, nous renforçons l'assurance vieillesse des parents au foyer. Ainsi, les femmes peuvent moins interrompre leur carrière.
Elles partiront progressivement plus tôt que les hommes, y compris après la réforme. Une fois celle-ci entièrement entrée en vigueur, c'est-à-dire pour les Français nés en 1972, l'âge moyen de départ sera de 64 ans et 4 mois pour les femmes, contre 64 ans et 6 mois pour les hommes.
Ces mêmes dispositifs permettent aux femmes de partir progressivement plus tôt que les hommes. Sous l'effet de la réforme, elles devront décaler leur départ à la retraite de neuf mois en moyenne, contre cinq mois pour les hommes. Ce décalage ne découle pas d'une disposition spécifique aux femmes, il résulte du fait qu'en moyenne, les femmes atteignent plus facilement le taux plein avant l'âge légal de départ à la retraite – ou dès cet âge.
Pour éviter un décalage plus important et répartir l'effort entre les femmes et les hommes, nous avons voulu à la fois repousser l'âge légal et allonger la durée d'assurance, plutôt que de porter l'effort sur le seul âge légal en le reportant à 65 ans. C'est l'un des points qui a été particulièrement discuté pendant la concertation, lorsque les différents scénarios ont été présentés aux partenaires sociaux.
Quelle concertation ? Tous les syndicats sont contre !
Vous vous concertez avec votre nombril ?
L'enjeu prioritaire est moins de permettre un départ plus précoce à la retraite que de garantir l'amélioration des pensions des mères qui ont dû interrompre leur activité et dont la progression salariale a été, en conséquence, ralentie par la suite. Nous examinerons avec attention les propositions qui seraient formulées dans la suite des débats, en particulier au Sénat où débute demain l'examen du texte en séance. La présente discussion, ainsi qu'une discussion plus large sur les droits familiaux, ouvrira la voie à une réforme d'autant plus juste pour les femmes qu'elle remédiera à la principale inégalité entre les femmes et les hommes en matière de retraite : le plus faible niveau de leurs pensions.
Les femmes seront les premières bénéficiaires de la revalorisation des pensions.
Pourtant les femmes manifestent aussi ! Elles seront dans la rue le 7 mars !
C'est peut-être le point qui a le plus souffert d'informations erronées depuis que la réforme est débattue.
Le constat est pourtant simple : près de 30 % des femmes de la génération née en 1962 verront leur pension augmenter grâce à la réforme, contre un peu plus de 15 % des hommes. Le gain moyen sera supérieur de 50 % à celui des hommes.
De la même manière, plus d'un million de femmes déjà retraitées verront leurs pensions augmenter d'environ 6 % par an en moyenne ; là encore, c'est davantage que les hommes. Si la réforme a des effets asymétriques, c'est en faveur des femmes.
Ce n'est pas dû à une disposition spécifique aux femmes : étant plus nombreuses à cotiser avec des niveaux de revenus modestes et des temps partiels, elles bénéficient de la revalorisation des petites pensions prévue par la réforme. Au total, en prenant en compte toutes les pensions pour la génération née en 1972, la pension moyenne des femmes augmentera de 2,2 % – deux fois plus que celle des hommes.
Cela contribuera à réduire les écarts de pension entre les femmes et les hommes et renforcera encore le mouvement impulsé par la réduction progressive de l'écart salarial. Cet écart est supérieur à 30 % pour la génération née en 1961, qui part à la retraite cette année. Il diminuera de dix points pour la génération née en 1971 et continuera à décroître pour s'établir progressivement en deçà de 20 % pour les générations pour lesquelles la réforme jouera à plein.
Ce n'est pas seulement dû à la réforme, mais elle y contribue. Ainsi, si elle prévoit d'augmenter les pensions pour l'ensemble des assurés et pour toutes les générations concernées – avec un gain croissant au fur et à mesure des générations –, ce sont les femmes qui en bénéficient le plus et le mieux. Nous pouvons tous nous en réjouir.
La réforme accordera également aux femmes de nouveaux droits, attendus depuis longtemps. Elle répare une injustice existant de longue date en actant la prise en compte des congés parentaux et des trimestres acquis au titre de l'assurance vieillesse des parents au foyer. Ces trimestres seront retenus pour l'éligibilité aux dispositifs de carrières longues et de retraite minimale ; ils entreront désormais intégralement, et non plus partiellement, dans le calcul du minimum de pension. Ces congés constituent une grande partie des interruptions de carrière des femmes, à l'origine des écarts de pension. La réforme améliorera donc concrètement la prise en compte des carrières hachées des femmes et fera en sorte que le choix de la maternité ne soit pas synonyme d'un renoncement à la retraite.
Enfin, les femmes qui ont connu de longues interruptions de carrière n'auront pas à travailler plus longtemps.
Les femmes sont plus nombreuses à voir leurs carrières interrompues, de manière plus ou moins choisie, et à devoir travailler au-delà de l'âge légal pour avoir une pension suffisante. Pour 20 % des femmes, le départ à la retraite intervient à l'âge du départ à taux plein.
Pour faire en sorte que ces interruptions soient moins pénalisantes, l'âge du départ à taux plein sera maintenu à 67 ans. La durée maximale entre l'âge légal et l'âge du départ à taux plein sera réduite d'autant que le premier est repoussé ; d'un maximum de cinq ans, elle passe à un maximum de trois ans.
Pour mémoire, la réforme de 2010 avait choisi de repousser l'âge du départ à taux plein en même temps que l'âge légal ; nous décidons de ne pas procéder ainsi, mais de faire mieux.
L'égalité femmes-hommes est une priorité du Gouvernement, notamment du ministère du travail.
Cette réforme n'y fait pas exception :…
…elle fait progresser la situation de nombreuses femmes à la retraite, améliore les retraites de celles qui ont des carrières hachées parce qu'elles les ont interrompues, de celles qui les ont commencées plus tôt et de celles qui ont de faibles revenus.
Protestations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Bien entendu, des inégalités subsistent ; la réforme ne peut à elle seule corriger intégralement celles du marché du travail. La priorité consiste donc à continuer à se battre pour l'égalité professionnelle femmes-hommes, en matière de salaires comme de carrières. Nous poursuivrons l'approche déterminée engagée sous le précédent quinquennat par le Président de la République,…
…avec notamment l'index de l'égalité professionnelle et les mesures encourageant l'accélération de l'égalité économique et professionnelle.
L'égalité femmes-hommes dans l'émancipation économique démarre dès l'orientation et se joue tout au long de la carrière, pour se retrouver évidemment au moment de la retraite.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem.
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée des questions ainsi que celle des réponses est limitée à deux minutes sans droit de réplique.
La parole est à Mme Élise Leboucher.
Le 26 février, Olivier Dussopt déclarait sur BFM TV qu'« avoir des âges de départ différenciés entre les femmes et les hommes, ce n'est pas très juste ». J'admire son sens de l'euphémisme !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
En effet, il n'est pas très juste que les femmes partent plus tard que les hommes à la retraite en raison des carrières hachées et du système injuste de décote. Il n'est pas non plus très juste que les femmes perçoivent des pensions inférieures de 40 % à celles des hommes – 28 % si on inclut les pensions de réversion –, que le taux de pauvreté des femmes retraitées atteigne 10,4 % ou que les femmes seules représentent 50 % des allocataires du minimum vieillesse.
Vous le voyez dans les sondages et à travers les mobilisations : les Françaises et les Français rejettent clairement cette réforme. Vous pouvez encore sortir par le haut et retirer ce projet funeste.
Mêmes mouvements.
Mais nous devons aller encore plus loin : il est anormal que les femmes touchent des pensions de misère et soient plongées dans la précarité à la retraite.
Pour les femmes, le système de protection sociale se base encore trop souvent sur les droits dérivés liés au conjoint, au lieu de protéger leurs droits propres. Compter uniquement sur les pensions de réversion pour garantir des retraites dignes, c'est antiféministe.
Mêmes mouvements.
Il est urgent de sortir de ce système patriarcal et de faire évoluer la protection sociale, alors que les femmes participent pleinement au monde du travail.
Que devons-nous faire ? Tout d'abord renforcer les droits propres et éliminer les dispositifs qui discriminent les carrières hachées, comme la décote. Mais il faut traiter le problème à la racine : les inégalités salariales sont à la base des écarts de pension. Il est urgent d'adopter une politique de l'emploi pour contrer la précarisation des femmes, particulièrement affectées par les contrats à temps partiel ; de revaloriser les métiers majoritairement occupés par des femmes ; de prendre des mesures pour favoriser l'accès à l'emploi. La France se classe vingt-cinquième
Mêmes mouvements.
Voilà nos propositions ; les solutions sont devant vous. Que comptez-vous faire pour sortir les retraites du patriarcat ? Dans l'attente d'une réponse satisfaisante, nous resterons mobilisées, dès mardi prochain et le 8 mars lors de la grève féministe.
Mêmes mouvements.
Vous m'interrogez sur la philosophie générale de cette réforme. Je tiens à rappeler que dans le système actuel, les femmes attendent plus souvent l'âge maximal de départ à la retraite pour ne pas subir de décote. Pour protéger les femmes, cet âge restera fixé à 67 ans, car elles perçoivent le plus souvent les plus petites pensions.
Cette réforme agit sur l'écart de pension entre les femmes et les hommes, qui s'établit autour de 30 %. Nous visons sa réduction à 20 % à l'horizon 2030, grâce à une meilleure prise en considération des congés parentaux et des congés de proche aidant, et grâce au travail mené sur le minimum de pension, qui bénéficiera plus largement aux femmes – 60 % d'entre elles sont concernées.
Au-delà de l'augmentation des pensions, de 6 % en moyenne pour les femmes – un peu moins pour les hommes –, nous avons pris un ensemble de mesures pour résoudre ce problème à la source, et ce dès 2018, avec la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel…
…dont le titre III, relatif à l'index d'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, présente certaines exigences et vise à réduire les inégalités de rémunération et de carrière.
La loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle permet également d'aller vers plus d'égalité entre les femmes et les hommes dans leur parcours de carrière et dans leurs responsabilités – c'est aussi un enjeu.
Vous refusez de prendre en compte la pénibilité des métiers féminisés dans votre réforme des retraites, avec pour conséquence l'aggravation des inégalités.
La situation des femmes sur le marché du travail se dégrade. Entre 2001 et 2015, le nombre d'accidents du travail avec arrêt a diminué de 28 % pour les hommes, mais a augmenté dans la même proportion pour les femmes.
Si vous n'aviez pas déposé 17 000 amendements, on aurait pu en discuter !
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Ces chiffres sont évidemment problématiques et sont le fruit de l'histoire du monde du travail : la prévention des risques professionnels s'est d'abord construite dans les branches professionnelles du bâtiment, de la chimie et de la métallurgie, qui sont masculines.
Mais l'histoire n'excuse pas tout. Nous sommes en 2023, il serait temps de prendre conscience que la moitié des travailleurs sont des travailleuses et qu'elles aussi ont droit à une prévention des risques professionnels et à une reconnaissance de la pénibilité. Malheureusement, cette prise de conscience n'a pas eu lieu dans les rangs macronistes.
Prenons l'exemple très concret du compte professionnel de prévention de M. Emmanuel Macron, instauré en 2017. Sur ses six critères, un seul concerne majoritairement les femmes : les gestes répétitifs. Je vais vous détailler le processus par lequel ces critères peuvent exclure les femmes. Le critère relatif au port de charges lourdes, par exemple, est calculé en fonction de poids unitaires et non de poids cumulés. Par conséquent, une hôtesse de caisse – métier presque exclusivement féminin –, qui porte 1 tonne de charge par jour, n'y est pas éligible, ce qui est absolument aberrant.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
J'ajoute la pénibilité psychologique, qui concerne beaucoup de métiers du lien ; de nombreuses femmes sont ainsi confrontées à la détresse sociale.
Madame la ministre déléguée, qu'avez-vous fait pour corriger la faiblesse de la prise en considération de la pénibilité des métiers féminisés ? Rien !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Vous avez fait pire, parce que la meilleure des préventions serait de pouvoir partir à la retraite avant que le travail ait cassé le corps et l'esprit. Lorsque vous reculez l'âge du départ à la retraite, vous aggravez la situation.
Mêmes mouvements.
Je regrette que les débats sur ce sujet n'aient pu se tenir dans le cadre de la discussion sur la réforme des retraites …
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES
…qui a été bloquée par votre groupe.
C'est fort dommage, parce que beaucoup de députés auraient souhaité y participer.
Les députés de la majorité ont œuvré en matière de santé au travail avec la loi de 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, que vous n'avez peut-être pas encore eu le temps de découvrir.
Vous n'êtes pas obligée d'être méprisante avec la représentation nationale ! Baissez donc le ton !
J'en étais la co-autrice et je vous confirme qu'elle visait à améliorer la prévention en santé au travail pour tous, travailleuses comme travailleurs.
Vous m'interrogez sur le projet de retraite défendu par le Gouvernement, qui renforce la prise en considération par tous les leviers disponibles de l'usure professionnelle. Le débat de lundi dernier, organisé à l'initiative du groupe Écologiste – NUPES et consacré à la pénibilité, a permis de rappeler plusieurs éléments.
D'abord, sont améliorés les droits acquis au titre du compte professionnel de prévention, dont bénéficient bien entendu les femmes, qui représentent un quart des personnes exposées, soit environ 160 000 personnes.
Le nombre de points pouvant être acquis sera donc déplafonné et la valeur des points pouvant être utilisés pour suivre des formations ou pour travailler à temps partiel sera augmentée de 30 %. Cette mesure concernera particulièrement les femmes – vous n'êtes pas sans le savoir.
Ensuite, notre mobilisation est inédite puisque nous créerons un fonds d'investissement, doté de 1 milliard d'euros sur le quinquennat, dédié à la prévention de l'usure professionnelle, liée aux conditions d'exercice de certains métiers – port de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques – auxquelles sont soumises les personnes, en particulier les femmes. Très concrètement, une aide-soignante, par exemple, se verra allouer des droits supplémentaires pour suivre une formation professionnelle et bénéficier d'une adaptation de son poste de travail.
Depuis 2017 et dans la droite ligne de François Hollande, Emmanuel Macron a poursuivi la destruction de la politique familiale française, en baissant le plafond de la prestation d'accueil du jeune enfant – ce qui ne facilite pas le travail des femmes –, en ne restaurant pas l'universalité des allocations familiales et en continuant de rogner sur le quotient familial. Les familles, plus particulièrement les femmes qui travaillent et qui veulent avoir des enfants, ont été pénalisées par ces choix.
Cette année, la France a atteint le triste record de son taux de natalité le plus bas. Il ne faut pas s'en étonner, il est la conséquence de ces choix. Nous n'accompagnons pas les femmes afin de leur permettre de mener, dans le même temps, une vie familiale, une vie de mère et une vie professionnelle épanouies. L'avenir de notre pays, sa puissance et notre système de solidarité et de retraite sont également en jeu.
Malheureusement, la réforme des retraites prend le relais de ces mesures : elle supprimerait la pleine reconnaissance de la maternité dans notre système de retraite. Ma question est simple : comment corrigerez-vous les effets négatifs du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023 sur les femmes qui ont eu des enfants ? Il est impératif que d'une manière ou d'une autre, en améliorant leurs pensions, ou en agissant sur l'âge de départ ou l'âge auquel les femmes percevront une retraite à taux plein, cette réforme prenne mieux en considération la grossesse et l'éducation des enfants.
Quid de la proposition des Républicains d'octroyer une surcote de 5 % aux mères de famille qui auraient effectué une carrière complète et atteint l'âge légal de départ à la retraite, ou un départ à la retraite anticipé à 63 ans ? Pour les femmes qui ont eu des carrières hachées, qui ont arrêté de travailler pour élever leurs enfants, qui sont surreprésentées parmi les Français devant travailler jusqu'à 67 ans et qui perçoivent les pensions les plus faibles car elles ont souvent travaillé à temps partiel, quid d'un abaissement de l'âge de départ à taux plein de 67 à 65 ans ou d'une surcote ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Vous m'avez interrogée sur plusieurs cas de figure. S'agissant des carrières complètes, les personnes se voient accorder des trimestres supplémentaires, au titre de la majoration de durée d'assurance, qui deviennent obsolètes du fait de l'absence d'interruption de carrière. Au contraire, les personnes dont les carrières ont été longuement interrompues doivent travailler jusqu'à 67 ans pour pouvoir bénéficier d'une retraite à taux plein.
Le premier point a fait l'objet d'un amendement, voté par la commission des affaires sociales du Sénat. Il vise à accorder le bénéfice d'une surcote aux femmes ayant atteint la durée d'assurance requise un an avant l'âge légal, soit 63 ans, et ayant bénéficié de majorations pour enfants. La Première ministre s'est dite favorable à cette disposition, qui complète les avancées en faveur des futurs retraités.
S'agissant du second point relatif à l'abaissement à 65 ans de l'âge de départ à taux plein, cette disposition n'est pas financièrement viable puisqu'elle engendrerait un surcoût estimé à plus de 10 milliards d'euros par an. Néanmoins, le projet de loi présenté par le Gouvernement prévoit des mesures visant à accompagner la carrière des personnes souhaitant bénéficier d'une retraite à taux plein, notamment en créant une assurance vieillesse des aidants ou en facilitant les rachats de trimestres pour études supérieures et pour les stages.
Du reste, il convient de noter que le report de l'âge légal à 64 ans implique l'abaissement de 25 % à 15 % de la décote maximale. Ainsi, les femmes qui souhaitent partir le plus tôt possible malgré des carrières très incomplètes partiront toujours avec une décote, mais elle sera moins élevée.
Ma question concerne précisément la génération des femmes agricultrices et commerçantes, actuellement à la retraite, qui perçoivent souvent de faibles pensions, bien inférieures au minimum vieillesse. De fait, de nombreuses Françaises, avant que des statuts plus stables et protecteurs n'aient été instaurés, ont travaillé sans toujours cotiser, le plus souvent au sein d'entreprises que dirigeaient leur père puis leur mari. Depuis le certificat d'études jusqu'à leur fin de carrière, elles ont exercé en qualité d'aide familiale, avant d'obtenir le statut de conjointe collaboratrice, reprenant parfois en leur nom l'entreprise en tant que cheffe d'exploitation agricole ou gérante. Elles ont bien souvent validé leurs trimestres, sans pour autant toujours cotiser, mais sont évidemment très concernées par la question des petites pensions et de la pauvreté, à l'heure où sonne la retraite.
Dès lors, que changera pour elles la réforme en cours ? Seront-elles concernées par la revalorisation du minimum contributif ? Parmi ces femmes, combien verront leur pension revalorisée ? On sait bien que l'objectif d'une pension minimale à 1 200 euros…
…pour les femmes qui ont exercé une carrière complète, travaillé à temps plein et perçu le Smic est particulièrement compliqué à atteindre. Elles étaient souvent mal rémunérées, au-dessous du Smic, et ne pouvaient pas toujours cotiser. Or nos prédécesseurs ont bien trop longtemps occulté cette question.
Le dispositif ne concernera, pour ainsi dire, que les futurs retraités. Mais ces femmes pourront-elles bénéficier de l'augmentation du socle de base du minimum contributif de 25 euros et de sa majoration de 75 euros, allouée aux personnes qui auront cotisé cent vingt trimestres ? J'ai cru comprendre que les agricultrices percevant une pension à taux plein, sans forcément avoir atteint la durée d'assurance requise, pourraient bénéficier de cette revalorisation. En ira-t-il de même pour les commerçantes ? Étant donné que les réponses à ces questions sont très attendues dans nos territoires, pouvez-vous éclairer la représentation nationale ?
Les femmes conjointes collaboratrices, qu'elles soient anciennes agricultrices ou indépendantes, perçoivent en effet des pensions particulièrement peu élevées, du fait d'un faible niveau de cotisations.
Rappelons d'abord les avancées votées sous le précédent quinquennat, notamment dans le cadre de la loi du 17 décembre 2021 visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles les plus faibles, dite loi Chassaigne 2, adoptée à l'unanimité, avec le soutien du Gouvernement. Elle prévoit le versement d'une pension minimale aux non-salariés agricoles, qui a été revalorisée et dont bénéficient notamment les conjointes collaboratrices et les aides familiaux. On dénombre 200 000 bénéficiaires, dont 60 % de femmes, avec un gain moyen de 70 euros par mois, pouvant dépasser 100 euros par mois pour 30 % des bénéficiaires.
La deuxième disposition de cette loi que je souhaite saluer est l'encadrement du statut du conjoint collaborateur pour les agriculteurs et les artisans, dont la durée d'affiliation est limitée à cinq ans, afin d'éviter d'enfermer les personnes dans un statut générant peu de droits.
S'agissant des mesures de revalorisation des petites pensions, prévues dans le PLFRSS pour 2023, la pension minimale augmentera autant pour les personnes affiliées au régime général que pour celles affiliées au régime agricole. Il en ira donc de même pour les commerçants et les artisans. Dans les deux cas, les trimestres des conjoints collaborateurs sont considérés comme des trimestres cotisés. La hausse sera donc bien calculée sur la base de 100 euros supplémentaires par mois, en fonction des durées et des profils de carrière.
Sur la question des anciens agriculteurs, il s'agit d'un dispositif spécifique prévu par la loi du 3 juillet 2020 visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer, dite loi Chassaigne 1, s'appliquant aux anciens exploitants qui ont parfois été conjoints collaborateurs. La loi prévoyait que seuls ceux qui pouvaient justifier d'une pension à taux plein avaient droit à la garantie spécifique égale à 85 % du Smic net. Nous supprimons cette disposition pour ouvrir le dispositif à ceux qui bénéficient d'une retraite à taux plein pour d'autres raisons, par exemple l'invalidité ou l'âge de départ. Cela permettra à 45 000 personnes de voir leur pension augmenter d'environ 80 euros en moyenne par mois.
Dans huit jours très précisément, mercredi 8 mars, nous célébrerons la Journée internationale des droits des femmes. Parmi ces droits, il y a le droit à un salaire égal. Or en matière salariale, comme en matière de retraite, force est de constater que les femmes sont les éternelles laissées-pour-compte.
Les chiffres le rappellent : leurs salaires sont en moyenne inférieurs de 22 % à ceux des hommes ; leurs pensions sont inférieures de 40 % à celles versées aux hommes ; 70 % des bénéficiaires de la pension minimale sont des femmes ; parmi le million de retraités pauvres, 76 % sont des femmes. Neuf réformes des retraites en cinquante ans n'auront pas suffi à réduire ces inégalités ; au mieux, elles les auront freinées.
Votre réforme n'y changera rien, bien au contraire, puisque 60 % de son coût sera supporté par les femmes. L'allongement de la durée de cotisation pénalise les personnes qui ont des carrières courtes ou hachées et qui ne parviennent pas à atteindre la durée de cotisation. Ce sont en majorité des femmes. Dans le calcul de la retraite des personnes ayant accompli des carrières courtes, deux éléments sont plus discriminants : le calcul sur les vingt-cinq meilleures années et la décote. C'est une double discrimination pour les personnes ayant effectué des carrières incomplètes, et les femmes sont les plus touchées.
Tous les spécialistes s'accordent à dire que pour réduire les écarts de pension entre les femmes et les hommes, il faut s'attaquer à tout ce qui vient avant et pendant l'activité professionnelle : réduire voire supprimer les inégalités salariales, s'attaquer à la question des pénalités que subissent les femmes quand elles sont mères.
À ce titre, j'ai lu avec intérêt les déclarations de M. le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion dans un article du journal Le Monde où il indiquait vouloir permettre aux mères de famille de choisir entre des trimestres pour maternité et une majoration de leur pension à la carte. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos intentions précises à ce sujet et en quoi ces dispositions seraient réellement de nature à rétablir les femmes dans leurs droits, et surtout à mettre un terme à ces inégalités ? Par ailleurs, pouvez-vous m'indiquer si de telles mesures s'appliqueront indistinctement aux femmes travaillant dans le secteur privé comme à celles exerçant dans le secteur public ?
Mme Andrée Taurinya applaudit.
Vous m'avez interrogée sur la possibilité de choisir entre les trimestres de maternité et des majorations de pension. Votre question souligne le fait que les droits familiaux actuels ne sont pas exercés de la même manière par tous ; on estime que près d'un tiers des femmes qui partent à la retraite bénéficie d'une majoration de leur pension. Ce phénomène se renforcera dans les années à venir, notamment car les femmes sont davantage présentes sur le marché du travail.
Le droit d'option entre majoration de la pension dès le premier enfant et diminution de la durée d'assurance est une piste de réflexion plutôt nouvelle, qui viendra renforcer les options en vigueur. Par exemple, la majoration accordée au titre de l'éducation des enfants peut être partagée entre les deux parents. Elle pourra faire partie des nouvelles pistes étudiées dans le cadre du rapport du COR en cours d'élaboration sur les droits familiaux et conjugaux, afin d'évaluer les effets financiers et redistributifs de cette mesure et la lisibilité du système de retraite. Ce rapport sera remis au Parlement, afin de poursuivre les avancées dans ce domaine.
Dans la droite ligne de mon intervention sur la nécessité de traiter la question des inégalités de retraite par la racine, je vous propose de l'envisager sous l'angle de l'impérieuse obligation de corriger les inégalités salariales.
En début d'après-midi, j'ai reçu une classe de ma circonscription du Chablais. Une jeune fille de 15 ans m'a demandé si c'était bien les députés qui votaient les lois. Elle a poursuivi en me demandant pourquoi, dans ce cas, les femmes étaient-elles moins rémunérées que les hommes. Que répondre à cette jeune fille qui ne peut comprendre cette situation complètement injuste ?
Je vous propose donc un axe de réflexion. Mis en place en 2019 par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, l'index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, dit index Pénicaud, permet de mesurer les inégalités salariales au sein des entreprises d'au moins cinquante salariés. Il vise à supprimer ces écarts de rémunération entre les hommes et les femmes. Il s'articule autour de cinq critères : les écarts de rémunération, les écarts entre les augmentations annuelles, les écarts de taux de promotions, les augmentations au retour de congé maternité, la part des femmes dans les plus hautes rémunérations de l'entreprise. Toutes ces données doivent être publiées par les entreprises.
La création de cet index a certes permis une avancée en matière d'égalité professionnelle. Néanmoins, les femmes restent bien moins rémunérées que les hommes – ce fait a été rappelé à plusieurs reprises. Ne serait-il pas pertinent de durcir les contraintes et les pénalités financières de cet index, afin qu'on puisse un jour résoudre cette question de l'inégalité salariale ?
Voilà une conviction que nous partageons. Il est difficile, en effet, d'expliquer aux jeunes générations ces inégalités salariales, qui sont absolument inacceptables. La loi, en la matière, n'est pas si facile à faire appliquer, mais nous devons nous y employer avec détermination. J'ajoute que cet état de fait explique largement les inégalités qui subsistent entre les hommes et les femmes en matière de retraite. S'en prendre aux écarts de salaires, c'est donc attaquer le problème à la racine.
Certes, les droits familiaux et conjugaux permettent de réduire ces écarts, mais nous devons agir dès l'orientation des jeunes, notamment des jeunes filles, en les encourageant à se former aux métiers d'avenir et aux métiers les mieux rémunérés. Nous avons un rôle à jouer dans ce domaine, d'une part, en luttant, dès la découverte des métiers, au collège, contre les stéréotypes de genre et, d'autre part, en développant des dispositifs tels que le mentorat – M. Le Vigoureux, ici présent, connaît bien le sujet – pour inciter les jeunes filles à se montrer ambitieuses et à embrasser des carrières prometteuses, notamment en matière de rémunération.
L'index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est désormais une réalité – la plupart des entreprises le publient – et commence à produire ses effets. Ainsi, différentes études de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) montrent que l'écart de salaires entre les femmes et les hommes en équivalent temps plein a été ramené de 16,8 % à 16,1 % entre 2017 et 2019, puis de 16,1 % à 14,8 % entre 2019 et 2020.
On constate donc une accélération de la réduction des inégalités salariales, mais elle doit être encore plus rapide pour que nous parvenions à supprimer l'écart entre les rémunérations, donc entre les pensions. Tel est notre objectif commun, et nous sommes tous, je crois, déterminés à l'atteindre.
Ne faut-il pas sanctionner davantage ? Cette question ne vous intéresse donc pas ?
Lors de l'examen du projet de loi de réforme des retraites, le Gouvernement nous a habitués aux fausses promesses ; nous les avons dévoilées ici même, dans l'hémicycle. La première d'entre elles, c'est la pension minimale à 1 200 euros que, nous l'avons bien compris, tant de femmes ne toucheront pas, car elles ont été contraintes de travailler à temps partiel. Ensuite, contrairement à ce que vous affirmez, madame la ministre déléguée, les femmes ne seront pas les premières bénéficiaires de la réforme des retraites : elles seront, au contraire, les premières à être pénalisées.
Vous avez évoqué le débat qui s'est tenu lundi sur la pénibilité, débat auquel a participé une représentante des aides à domicile, Mme Anne Lauseig. Elle a rappelé que le compte pénibilité ne concerne pas les auxiliaires de vie : la pénibilité liée au port de charges lourdes, aux cadences, aux postures, n'est pas prise en compte. Or – et c'était son message – elles sont trop épuisées, nerveusement, moralement et physiquement, pour travailler jusqu'à 64 ans.
Au-delà, les chiffres sont contre vous. Michaël Zemmour, dont on a souvent évoqué les travaux, a étudié les personnes sur lesquelles porteront les économies permises par la réforme – car celle-ci n'est rien d'autre qu'une mesure d'économie : il s'agit de faire travailler et cotiser les gens plus longtemps pour permettre à l'État de dépenser moins d'argent public.
Or il ressort très clairement de son étude que c'est sur les femmes que pèseront 60 % des économies immédiates réalisées grâce au report de l'âge légal de départ à la retraite. Il cite l'exemple de la génération des personnes nées en 1972 : alors que les femmes de cette génération percevront des pensions inférieures en moyenne de 30 % à celles des hommes, elles travailleront neuf mois de plus – contre cinq mois de plus pour les hommes. Près de 12 000 euros seront ainsi économisés sur le dos de chaque femme née en 1972.
Pouvez-vous confirmer ces chiffres et enfin reconnaître que les économies permises par la réforme seront faites sur le dos des femmes ?
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES et GDR – NUPES.
Votre question est simple ; ma réponse le sera tout autant. Si l'on inclut les mesures d'accompagnement prévues dans le texte initial du Gouvernement, notamment la revalorisation des petites retraites, le bilan financier de la réforme montre qu'à l'horizon 2030, la répartition du rendement entre les femmes et les hommes est parfaitement équilibrée : 50-50.
Ma question portait sur les économies immédiates, celles qui seront réalisées d'ici à 2030 !
Dans la continuité des travaux menés par le président de mon groupe, André Chassaigne, et près d'un an après l'adoption définitive de sa proposition de loi visant à revaloriser les pensions de retraite agricoles à hauteur de 85 % du Smic pour une carrière complète de chef d'exploitation, nous avons défendu une proposition de loi visant à reconnaître à sa juste valeur le travail des conjoints collaborateurs et aides familiaux.
En effet, au quatrième trimestre de 2020, la pension mensuelle moyenne s'élevait à 574 euros pour les conjoints ayant validé au moins cent cinquante trimestres et à 716 euros pour les membres de la famille ayant validé au moins cent cinquante trimestres. Mais le montant de la pension de ces travailleurs peut être encore plus faible, en particulier s'ils n'ont pas validé un nombre suffisant de trimestres. C'est pourquoi cette seconde loi Chassaigne prévoit une revalorisation mensuelle de 100 euros en moyenne à partir du 1er janvier 2022 de la pension des quelque 210 000 retraités concernés, dont 67 % sont des femmes.
Si cette nouvelle loi, fruit d'une mobilisation collective et continue des retraités agricoles, représente une avancée, beaucoup reste à faire pour garantir à tous ces retraités une retraite digne. Aussi ma question est-elle simple. Quelles initiatives le Gouvernement entend-il prendre pour revaloriser les pensions de ces femmes conjointes collaboratrices, dont les carrières sont souvent hachées, et réduire les inégalités qui subsistent avec les retraités du régime général ?
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR – NUPES et Écolo – NUPES.
Sous la précédente législature, une proposition de loi visant à revaloriser les pensions des conjoints collaborateurs agricoles a été effectivement adoptée à l'unanimité, avec le soutien du Gouvernement. Plus de 200 000 anciens conjoints collaborateurs ou aides familiaux – le plus souvent des femmes – ont pu ainsi bénéficier d'une revalorisation sans précédent de leur pension. Il convenait toutefois de prendre des mesures pour améliorer le montant des futures pensions de retraite et réduire l'écart qui les sépare de celles des salariés.
Ainsi, depuis l'adoption de la loi Chassaigne, le bénéfice du statut de conjoint collaborateur est limité à cinq ans maximum. Au terme de ce délai, il faudra choisir un statut plus valorisant et, surtout, créateur de droits : celui d'associé ou de salarié. Par ailleurs, la hausse des minima de pension – qui peut atteindre 100 euros par mois pour les futurs retraités ayant une carrière complète – s'appliquera également aux minima de pension des non-salariés agricoles, donc aux conjoints collaborateurs, qui partiront à la retraite à compter du 1er septembre 2023.
Dans le projet de loi de réforme des retraites, on ne trouve rien sur les pensions de réversion. Or les règles auxquelles elles sont soumises varient selon le régime concerné – il en existe quarante-deux ! Dans le régime général, elles sont subordonnées à une condition d'âge – 55 ans – et soumises à un plafonnement en cas de cumul avec des droits propres ; dans les régimes spéciaux, ces conditions n'existent pas. De manière générale, plus les régimes sont favorables, plus les conditions d'octroi des pensions de réversion sont libérales ; plus ils sont défavorables, plus ces conditions sont dures.
Ma question est donc simple. Le Gouvernement est-il ouvert au rétablissement du principe d'égalité en matière de pensions de réversion, quel que soit le régime ?
Votre question revêt, au-delà des aspects financiers, une dimension sociétale qui est au cœur de nos réflexions, car il y va, au fond, de la vision que l'on a de la pension de réversion et même du mariage. Les évolutions qui peuvent être envisagées dans ce domaine méritent de faire l'objet de débats approfondis et d'études d'impact afin de mesurer leurs effets redistributifs.
Prenons le cas de l'ouverture de la réversion aux couples pacsés. Actuellement, si les conjoints survivants sont plusieurs, la pension de réversion est partagée entre eux. Faut-il prévoir un partage de la pension entre la veuve du défunt et l'ancienne conjointe avec laquelle il a été pacsé dans le passé ?
Ce sont des questions complexes, qui doivent faire l'objet d'une réflexion sociétale approfondie. C'est tout l'objet du futur rapport du COR sur la refonte des droits conjugaux et familiaux.
Hier matin, on pouvait lire, dans le courrier des lectrices et des lecteurs de Ouest-France, le témoignage d'une certaine Christelle, qui fait écho aux préoccupations exprimées par beaucoup des femmes que, tous, nous avons reçues dans nos circonscriptions.
« Je suis née en 1968, j'ai quatre trimestres cotisés avant l'âge de 20 ans (donc pas de carrière longue) puis je compte quatre trimestres par an jusqu'à 64 ans et une majoration de ving-quatre trimestres pour mes trois enfants… Résultat : deux cent quatre trimestres à 64 ans ! Je perds donc le bénéfice des trimestres de maternité et d'éducation qui passent à la trappe…[…] »
Comme Christelle, beaucoup de femmes attachées à la sauvegarde du régime de retraite par répartition m'ont dit comprendre les évolutions démographiques et savoir qu'il y a de moins en moins d'actifs pour financer de plus en plus de retraités. Beaucoup comprennent que si nous voulons préserver le niveau des pensions sans alourdir des prélèvements déjà très élevés sur les actifs ou sur ceux qui les emploient, nous devons tous accepter de travailler un peu plus longtemps.
Mais ces femmes m'ont dit aussi qu'elles ont eu des enfants et, à ce titre, des majorations de trimestres qui compensent une carrière freinée, des possibilités de progression professionnelle moins nombreuses, des salaires qui n'ont pas suivi pas la même courbe que celle suivie par les salaires de leurs collègues masculins ou de celles de leurs collègues qui n'ont pas connu les joies mais aussi les exigences et les renoncements que suppose l'accueil d'un enfant dans son foyer.
Cette question des trimestres « en trop », qui ne sont pas pris en compte et sont au cœur des articles 7 et 8 de la réforme des retraites, nous souhaitions en débattre dans cette assemblée. J'avais, à cette fin, déposé un amendement avec quarante-trois de mes collègues de la majorité. Las ! Nous en avons été empêchés par l'obstruction pitoyable de quelques députés LFI et leurs milliers d'amendements identiques. Je me réjouis néanmoins que ce sujet s'annonce au cœur des débats du Sénat et que le ministre Dussopt se soit montré très ouvert à des avancées en la matière.
Madame la ministre déléguée, pouvez-vous nous confirmer que des contreparties, sous la forme d'une majoration de pension ou d'un départ anticipé, sont à l'étude pour toutes ces femmes qui, parce qu'elles ont travaillé toute leur vie tout en éduquant leurs enfants, ont cotisé, au moment de leur départ à la retraite, pendant un nombre de trimestres beaucoup plus important que celui qui est requis ?
Le témoignage que vous citez met en exergue un phénomène assez courant, celui d'une majoration de la durée d'assurance en sus d'une carrière déjà complète. En raison de la plus grande participation des femmes au marché du travail, les majorations de durée d'assurance, créées dans les années 1970 pour compenser des trous dans la carrière et faciliter un départ à taux plein, viennent de plus en plus s'ajouter à des carrières déjà complètes. On estime actuellement à 30 % la part des femmes qui se trouvent dans cette situation, et ce phénomène est appelé à se développer.
J'ai bien entendu à l'esprit la démarche collective que vous avez entreprise pour prendre en compte cette réalité et participer à la réflexion générale sur les droits familiaux et conjugaux. Deux options peuvent être proposées à cet égard : celle d'un départ anticipé du fait de la maternité – c'était l'objet de l'amendement que vous avez évoqué – ou celle d'une augmentation des pensions des femmes concernées. Le Gouvernement privilégie la seconde option pour parvenir à l'égalité des pensions entre les femmes et les hommes et favoriser le pouvoir d'achat.
Je sais que vous-même et vos collègues de la majorité êtes très attentifs à la question, essentielle et légitime, de la retraite des femmes, et je me réjouis que le Sénat vous accompagne dans votre démarche en reprenant votre proposition de surcote. C'est à présent au débat parlementaire de s'emparer du sujet pour aller vers plus de justice sociale.
Les débats à l'Assemblée nationale sur la réforme des retraites n'auront pas permis, en raison d'une obstruction permanente, d'examiner l'ensemble des situations et des mesures proposées – je pense en particulier à la situation des femmes. Nous faisons tous le constat d'inégalités entre les hommes et les femmes, constat étayé par les chiffres et de multiples rapports et, au-delà, par les situations humaines dont nous avons connaissance dans l'exercice de nos mandats.
Des avancées sont proposées dans le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Vous le savez, si ces avancées sont autant de graines semées, il faut poursuivre la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes, inégalités qui, constatées tout au long de la vie, se traduisent pour les femmes par une vraie injustice au moment de leur départ à la retraite.
Je sais le souci permanent du Gouvernement et de la majorité, car c'est également le mien, de gommer les injustices et les inégalités professionnelles mais, vous le reconnaissez tout à fait, cela ne va pas assez vite.
N'ayant pas pu, comme nombre de collègues, défendre une série d'amendements à ce sujet, je souhaite que vous confirmiez, madame la ministre déléguée, l'engagement du Gouvernement à prendre les dispositions nécessaires pour en terminer avec ces inégalités salariales, ainsi que les dispositions annoncées sur les carrières interrompues et sur la pénibilité.
Je tiens en outre à évoquer les pensions de réversion, facteur d'inégalité selon les régimes, qu'il s'agisse des conditions d'âge, de ressources, de durée de mariage, de non-remariage… sans parler des méthodes de calcul – au nombre, si je ne m'abuse, de treize. Il y a trois ans, au moment de présenter le système universel de retraite, on avait évoqué l'idée de remplacer ces règles par une augmentation du montant de la pension, qui passerait de 54 % de la pension du défunt à 70 % des revenus du couple. Cette mesure permettrait de garantir de meilleurs revenus à la personne survivante qui est le plus souvent une femme.
Pouvez-vous nous préciser la manière dont vous entendez procéder, nous confirmer que nous allons traiter prochainement de cette question, enfin nous dire si le dispositif des pensions de réversion sera étendu aux couples pacsés ?
Vous proposez d'une part de revoir les pensions de réversion pour garantir le maintien du niveau de vie de la personne survivante à 70 % des deux pensions du couple, alors que la personne survivante perçoit actuellement une fraction de la pension du défunt, et, d'autre part, d'étendre les pensions de réversion aux couples pacsés.
Ces deux questions ont été particulièrement abordées par les partenaires sociaux au cours du second cycle de concertation consacré à l'équité et à la justice sociale. Un consensus s'est dégagé puisque, au-delà du seul aspect financier, il s'agit d'une question de société. La place qu'on donne à la pension de réversion et la place accordée au mariage doivent en effet être pensées collectivement. Les évolutions en la matière méritent des discussions approfondies, en particulier sur les effets redistributifs attendus, et elles devront avoir lieu dans le cadre du rapport sur la refonte des droits familiaux. Nous y reviendrons donc prochainement.
Le projet de réforme des retraites, depuis l'étude d'impact jusqu'à nos débats en séance, conduit à un constat très clair : cette réforme est injuste et brutale. Les femmes seront en effet davantage défavorisées par le recul de l'âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Elles devront travailler en moyenne quatre mois de plus que les hommes, quatre mois qui s'ajoutent aux dix actuels, alors même que, d'après le rapport du COR, et abstraction faite de la réforme, l'amélioration des carrières féminines et la meilleure prise en compte de la maternité doivent permettre, à l'horizon 2050, l'amélioration du niveau des pensions perçues par les femmes et son rapprochement de celui des retraites des hommes. Or cette dynamique positive sera brisée car celles qui pouvaient partir dès 62 ans à taux plein grâce aux trimestres acquis à l'occasion de la naissance de leurs enfants devront désormais attendre l'âge légal, soit deux ans de plus.
J'ai interrogé le ministre Dussopt le 1er février au sein de la délégation aux droits des femmes mais il s'est dérobé. Et pourtant je me réjouis que, depuis mon interpellation, le Gouvernement ait amendé sa position sur la question et envisagé de prendre des mesures pour remédier à cette injustice. En effet, le ministre Dussopt a lui-même admis ce dimanche qu'il fallait agir contre 1'effet de « neutralisation » des trimestres validés au titre de la maternité qui seraient, selon lui, « perdus » du fait du relèvement de l'âge de départ à la retraite.
La Première ministre s'est elle-même déclarée favorable à une mesure de bonification des trimestres validés par les mères de famille. Le Sénat a adopté un amendement visant à ce que les mères de famille totalisant quarante-trois annuités de cotisations du fait d'une majoration de durée d'assurance par enfant, bénéficient d'une surcote à partir de 63 ans. Dans l'hypothèse où vous persisteriez à maintenir cette réforme des retraites injuste, pouvez-vous vous engager à soutenir cet amendement ou une proposition parlementaire allant dans le même sens ?
Au fond, vous m'interrogez sur le mécanisme qui permet à certaines femmes de partir à la retraite avant l'âge prévu, mécanisme qui correspond de moins en moins à des carrières de plus en plus complètes – ce qui est heureux. L'amendement adopté par la commission sénatoriale des affaires sociales est en discussion afin que nous puissions voter des dispositions de ce type en séance. Je tiens néanmoins à réaffirmer que même après l'adoption de la réforme, les femmes partiront en moyenne plus tôt que les hommes à la retraite. Il est important de le rappeler.
La réforme prévoit des mesures pour faciliter les départs après une carrière longue, notamment en prenant en compte les trimestres de congés parentaux dans la durée exigée des carrières longues. Elle prévoit également que l'âge du taux plein, notamment pour les femmes dont la carrière a été hachée, restera 67 ans, réduisant ainsi l'écart actuel de cinq ans à trois ans.
Autant de mesures qui se complètent les unes les autres pour répondre à la question de la maternité mais aussi à celle de l'allongement de la durée de la vie et à celle de la chute de la démographie. Grâce à tous ces dispositifs, encore une fois, le système des retraites sera en équilibre en 2030. Enfin, je tiens à le répéter, le rendement net de la réforme est dû aux hommes et aux femmes à parts égales.
« Inégalités », c'est le seul mot qui me vient à l'esprit quand je pense à la situation des femmes au travail : inégalités pendant leurs années travaillées, inégalités une fois à la retraite. Le constat est amer tant ces inégalités persistent pour celles qui cumulent salaires inférieurs et carrières plus courtes et souvent hachées. En chiffres, la différence du montant des pensions de retraite est édifiante : elle est de 40 % en faveur des hommes. On sait que les salaires des femmes sont, quant à eux, inférieurs de 22 % à ceux des hommes.
De plus, la prise en compte de la pénibilité au travail, citée dans le projet de loi, occulte les métiers majoritairement féminins. Certes, personne ne contestera que les métiers du BTP sont particulièrement pénibles mais est-ce une raison pour ne pas prendre en considération, par exemple, les aides-soignantes qui doivent soulever leurs patients ?
Tous les observateurs s'accordent pour considérer que la réforme pénalise les femmes. Certains vont plus loin en la qualifiant de sexiste. Même si la durée de carrière est en nette augmentation, nous savons tous qu'elle reste plus courte chez les femmes. Ceci s'explique notamment par l'arrivée des enfants. Nombreuses sont celles qui se retrouvent pénalisées, non pas à cause leur enfant, mais, malheureusement, par leur direction. Certaines font dès lors le choix de se consacrer à l'éducation de leurs enfants et se mettent pour un certain temps en retrait de la vie professionnelle.
Croyez-vous que les entreprises garderont ces femmes en poste jusqu'à 67 ans ? Croyez-vous vraiment qu'après une coupure dans leur carrière, ces mêmes femmes pourront reprendre un poste équivalent pour un salaire équivalent ? Croyez-vous sincèrement que ces femmes seront suffisamment en forme pour travailler jusqu'à l'aube de leurs 70 ans ?
Par ailleurs, les femmes sont nettement majoritaires parmi les aidants – elles en représentent 57 %. Avec l'augmentation de l'espérance de vie et le vieillissement de la population, le nombre d'aidants va s'accroître. Il faut tenir compte de cet enjeu de société. Vous avez annoncé la création d'une assurance vieillesse pour les aidants afin que les trimestres consacrés à aider une personne soient validés. Pouvez-vous nous en préciser les modalités ?
Je tiens à affirmer que la réforme ne pénalise pas les femmes…
…mais au contraire protégera celles dont la carrière aura été hachée, celles qui ont commencé à travailler tôt et celles qui ont des revenus faibles. Jusqu'à présent, les femmes partaient à la retraite en moyenne plus tard que les hommes – notamment du fait d'interruptions de carrière. Or les choses changent pour les nouvelles générations de retraitées : désormais, les femmes partiront légèrement plus tôt que les hommes. De plus en plus souvent, les femmes peuvent concilier maternité et poursuite de leur activité professionnelle, ce qui est heureux. Un tiers des trimestres « enfant » ne sont pas utilisés parce que, précisément, les femmes ont pu continuer leur activité – c'est, j'y insiste, une bonne nouvelle.
En ce qui concerne les aidants, l'article 12 du projet de loi – article que nous n'avons pas pu examiner – prévoit trois grandes dispositions. Il s'agira d'abord de rassembler des droits dont la dispersion explique qu'ils sont souvent mal connus et qu'on n'y recoure pas, ensuite d'accorder des droits, notamment aux aidants des parents bénéficiant du complément d'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), enfin de supprimer la condition de cohabitation avec l'aidant, ou la condition du lien familial. Nous faciliterons ainsi le recours aux aidants et permettrons que, désormais, 100 000 personnes soient couvertes contre 70 000 aujourd'hui.
Le nombre de retraités en France augmente de 150 000 à 200 000 par an alors que celui des actifs demeure relativement stable. Dans les années 1960, on l'a dit, le régime général des salariés comptait plus de quatre cotisants pour un retraité, ratio qui est passé à 1,7 et qui va continuer à baisser. C'est donc en particulier sur ce ratio et sur la natalité que nous devons agir pour assurer la viabilité du système de retraite par répartition.
Il est dès lors impératif de partir du principe que les mères de famille contribuent peut-être plus que tous les autres à pérenniser nos retraites. Lors de la naissance d'un enfant, on accorde huit trimestres dans le secteur privé, quatre au titre de la maternité ou de l'adoption et quatre au titre de l'éducation de l'enfant, trimestres qui, depuis 2010, peuvent être répartis entre les deux parents. J'ajoute une petite précision qui a son importance : ces trimestres comptent pour la durée de cotisation mais pas pour l'âge de départ à la retraite.
Avec votre réforme, le décalage de l'âge légal de départ efface donc le bénéfice des trimestres validés pour la maternité. Les femmes qui, grâce à ces trimestres, pouvaient partir de façon anticipée avec une carrière complète – on les estime à plus de 100 000 par an – vont désormais devoir attendre l'âge de 64 ans. Parce que vous mélangez nombre d'annuités et âge de départ, parce qu'il faudra travailler jusqu'à 64 ans et avoir travaillé quarante-trois annuités pour ne pas subir de décote, les femmes qui ont mis leur carrière entre parenthèses pour avoir des enfants ou pour les élever subissent donc, du fait de votre réforme, une double injustice : non seulement leurs retraites sont souvent moindres, du fait de carrières hachées et de salaires toujours inférieurs à ceux des hommes, mais ces retraites seront très souvent soumises à une décote.
Je regrette que nous n'ayons pas pu avoir ce débat dans l'hémicycle mais pouvez-vous, madame la ministre déléguée, nous éclairer sur les mesures que le Gouvernement prendra, d'une part, pour que le bénéfice des trimestres accordés aux femmes pour leur maternité ne soit pas effacé et, d'autre part, pour qu'elles ne subissent pas cette décote qui les pénaliserait encore un peu plus.
M. Charles de Courson et Mme Estelle Youssouffa applaudissent.
En ce qui concerne les trimestres de maternité, il s'agit probablement d'une question liée à la surcote, nous en avons déjà discuté. Pour ce qui est la décote des retraites des femmes, les éléments de réponse que j'ai à vous apporter sont en fin de compte les mêmes que ceux que j'ai pu donner à Mme Bonnivard : baisser l'âge d'annulation de la décote n'est pas réaliste d'un point de vue financier, mais le Gouvernement lutte contre cette décote en accordant des trimestres supplémentaires assimilés pour l'assurance vieillesse des aidants, et en reportant l'âge légal de départ à la retraite qui implique une décote maximale de 15 % plutôt que 25 % pour celles qui souhaitent partir dès que possible malgré des carrières très incomplètes.
Le ministre Olivier Dussopt a indiqué sur BFM TV, le week-end dernier, être d'accord pour enrichir le texte sur les retraites. Il a notamment fait part de sa volonté de reprendre des amendements lui paraissant pertinents mais qui n'ont pas pu être examinés en commission ou en séance. Il a illustré son propos en évoquant un amendement d'un de nos collègues communistes, visant à corriger la cruelle suppression de la majoration de pension pour les parents de trois enfants lors du décès de l'un d'eux. Nous ne pouvons qu'aller dans son sens.
Je souhaite néanmoins revenir sur cette majoration pour le troisième enfant. Le code de la sécurité sociale prévoit un montant de 10 % pour la mère et de 10 % pour le père. Savez-vous que sur les 8,8 milliards d'euros que coûte cette disposition, 5,1 milliards d'euros bénéficient à ces messieurs contre 3,3 milliards d'euros à ces dames ? Ce sont en moyenne 140 euros de pension en plus par mois pour les hommes et seulement 70 euros pour les femmes.
C'est injuste ! Oui, injuste, car ce sont les femmes qui enfantent, car ce sont leurs carrières qui sont pénalisées par les grossesses, car ce sont elles qui touchent les pensions les plus faibles. Je rappelle à cet égard que la pension moyenne des femmes est inférieure de 40 % à celle des hommes.
Ainsi, le mode de calcul de la majoration pour troisième enfant reproduit et accentue les inégalités femmes-hommes accumulées tout au long de la carrière, ce qui est une aberration.
J'avais déposé sur cette question un amendement au projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale que le groupe Renaissance avait soutenu, mais qui n'a pu être examiné en séance. Il visait à porter le montant de la majoration à 15 % pour les mères et à le réduire à 5 % pour les pères. De cette manière, nous inverserions la situation et ce seraient 4 millions de femmes qui verraient leur pension majorée en moyenne de 800 euros par an. De plus, selon mes estimations, cette nouvelle ventilation permettrait même d'économiser 200 millions d'euros par an.
Si nous ne sommes pas capables de réparer ce type d'injustice systémique et hautement symbolique, comment pourrons-nous nous atteler au reste ?
Que pensez-vous donc de cette proposition ? M. Dussopt serait-il prêt à la défendre par voie d'amendement lors de l'examen du texte au Sénat ?
Vous souhaitez modifier la répartition de la majoration accordée aux parents d'une famille de trois enfants ou plus pour qu'elle ne soit plus partagée à parts égales, mais au bénéfice des mères.
Il est vrai que cette majoration de 10 % pour famille nombreuse profite en moyenne davantage aux hommes qu'aux femmes, étant donné que les pensions des hommes sont plus élevées. Ce constat avait été fait lors de l'élaboration du projet de loi instituant un système universel de retraite, lequel prévoyait l'instauration d'une majoration dès le premier enfant, fléchée vers les femmes. Au fond, votre réflexion s'inscrit dans cette logique.
Nous souhaitons que cette possibilité soit étudiée dans le cadre du futur rapport relatif aux droits familiaux et conjugaux, car elle pose de nombreuses questions plus globales.
Premièrement, y a-t-il un consensus pour opérer une telle redistribution au bénéfice des pensions des femmes et au détriment de celles des hommes ? Si oui, cette évolution devrait-elle concerner les familles déjà existantes ou seulement les enfants à naître ? Ensuite, quel mécanisme de partage des droits entre les femmes et les hommes choisir et que prévoir lors des séparations ? En outre, faudrait-il prévoir, à l'instar du projet d'établissement d'un système universel de retraite, une majoration dès le premier enfant ? Le cas échéant, comment financer une telle mesure ?
Ainsi votre proposition pose-t-elle un très grand nombre de questions, et il reviendra donc à la mission dédiée aux droits familiaux de les étudier et d'apporter des éléments de réponse.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures quinze.
L'ordre du jour appelle les questions sur les échecs de la politique migratoire.
Je rappelle que la conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse, sans droit de réplique.
La parole est à M. Pierre-Henri Dumont.
En 2022, le nombre de traversées illégales de la Manche par des migrants clandestins sur des small boats a atteint le chiffre record de 45 756, soit une hausse de 58 % en un an. Cette explosion des traversées irrégulières, opérées dans des conditions météorologiques de plus en plus difficiles, s'accompagne malheureusement d'une succession de drames transformant progressivement la Manche en un vaste cimetière maritime.
Si nous gardons tous en mémoire le drame de novembre 2021, d'autres naufrages mortels n'ont pu être empêchés en 2022, malgré le travail exemplaire réalisé au quotidien par les forces de police et de gendarmerie, par les militaires du Cross – centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage – Gris-Nez, par les sauveteurs en mer de la SNSM – Société nationale de sauvetage en mer – ou par de simples plaisanciers et marins pêcheurs répondant aux appels de détresse.
Compte tenu de ces chiffres et de ces drames, il apparaît évident que nous devons agir au-delà de la simple logique « argent contre barbelés » que nous avons tissée avec les Britanniques. Cela doit passer par la renégociation des accords du Touquet, afin que nous ne soyons plus les garde-barrières de nos voisins, mais aussi par l'ouverture d'une voie légale permettant de déposer des demandes d'asile auprès des autorités britanniques sans avoir à risquer sa vie sur un rafiot.
Les Britanniques doivent, par ailleurs, modifier en profondeur leur droit du travail et rendre plus contraignant l'établissement des clandestins. Ces sujets seront-ils au menu des discussions du prochain sommet bilatéral franco-britannique ?
Il importe aussi que la France réfléchisse aux modifications à apporter à son droit pour mieux empêcher les traversées et sauver des vies. Quand les clandestins sont sur la côte, il est trop tard : ils sont prêts à tout pour traverser. Il faut donc les arrêter avant. Le Gouvernement compte-t-il dans son projet de loi sur l'immigration rétablir le délit de séjour irrégulier sur tout ou partie du territoire, en particulier sur la bande littorale ? Va-t-il renforcer le droit afin de rendre à nouveau illégales les distributions de nourriture par les associations dites No Borders dans des lieux inappropriés et dangereux pour la vie des migrants ? Demanderez-vous à vos collègues européens de réinstaurer des visas pour les ressortissants albanais et géorgiens, qui sont au cœur des trafics d'êtres humains et qui peuplent nos centres de rétention ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Je remercie le groupe Les Républicains d'avoir organisé ce débat, auquel le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne peut prendre part, car il est en ce moment dans l'avion qui l'emmène en Nouvelle-Calédonie.
Vous m'interrogez sur les enjeux liés à l'immigration irrégulière à Calais. Les tentatives des migrants pour traverser la Manche à bord d'embarcations de fortune n'ont malheureusement cessé de croître depuis fin 2018, avec pour conséquence des tragédies humaines. Ce phénomène s'explique essentiellement par le renforcement de la surveillance et du contrôle des trains et des poids lourds transitant par Eurotunnel et le port de Calais. Face à cette situation, les forces de sécurité intérieure et de sauvetage en mer continuent de se montrer extrêmement actives pour empêcher des embarcations de quitter les côtes françaises – 60 % des tentatives de traversées ont été mises en échec – mais aussi pour sauver des vies en mer, conformément à nos obligations internationales et humanitaires.
En 2022, année où 79 000 migrants ont tenté de rejoindre illégalement le Royaume-Uni, le taux de mise en échec des traversées a été de 55 %, 325 filières de passeurs ont été démantelées et 1 165 trafiquants ont été interpellés. Il faut aller plus loin et renforcer le cœur de notre action. Le 1er janvier 2023, l'Office de lutte contre le trafic illicite de migrants (Oltim) a été créé dans cet objectif.
Le projet de loi que vous examinerez dans les prochaines semaines prévoit d'agir sur les causes de cette immigration irrégulière et de mieux contrôler les entrées sur le territoire. Nous voulons lutter contre les réseaux de passeurs en portant jusqu'à vingt ans d'emprisonnement les peines encourues par les passeurs agissant en bande organisée, dispositions qui tirent les conséquences du naufrage intervenu le 24 novembre 2021 au large de Calais, qui a conduit à la mort de vingt-sept personnes. Nous entendons aussi doter de nouveaux pouvoirs de contrôle les policiers de la police aux frontières (PAF) en leur donnant la possibilité d'inspecter visuellement des véhicules particuliers dans la zone frontalière des 20 kilomètres.
Quant aux accords du Touquet, qui régissent les flux réguliers entre la France et le Royaume-Uni, ils seront effectivement à l'ordre du jour du prochain sommet franco-britannique.
Depuis 2012, le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) est en chute libre. Alors qu'il n'atteignait que 22,3 % en 2012, il s'est effondré pour s'établir à 6 % en 2021. Vous avez à maintes reprises exprimé votre volonté de rendre plus efficace l'application de ces OQTF, préalable indispensable si nous voulons reprendre en main la maîtrise de notre immigration en France. Toutefois, le projet de loi sur l'immigration, que le ministre de l'intérieur vient de présenter, nous laisse quelque peu dubitatifs. À sa lecture, on se demande si vous vous donnez réellement les moyens d'augmenter le taux d'exécution des OQTF.
Pour le moment, votre texte ne s'attaque pas à l'une des principales causes de cet échec, je parle évidemment de l'obtention des laissez-passer consulaires, nécessaires pour mener à bien l'expulsion des étrangers en situation irrégulière. En 2021, seule la moitié a été délivrée dans les temps. L'Algérie a donné suite à moins de 6 % des demandes, ce qui a eu pour conséquence directe le fait que seules 3,5 % des mesures d'éloignement prononcées vers ce pays ont été réellement exécutées en 2021. À ce propos, confirmez-vous les dernières informations selon lesquelles l'Algérie suspendrait la délivrance de ces laissez-passer consulaires, ce qui de facto nous empêcherait de reconduire à la frontière les Algériens en situation irrégulière ?
Madame la secrétaire d'État, en 2018, lors du débat sur le précédent projet de loi sur l'immigration, Les Républicains avaient souhaité inscrire dans la loi la limitation du nombre de visas accordés aux pays qui ne coopèrent pas avec la France en ne délivrant qu'un nombre dérisoire de laissez-passer consulaires. Cette disposition avait été écartée par la majorité parlementaire d'alors. Comptez-vous améliorer votre projet de loi en renforçant réellement les moyens d'obtenir la délivrance des laissez-passer consulaires ? Si vous ne le faites pas, votre volonté de lutter contre l'immigration clandestine restera malheureusement une vaine incantation.
Vous m'interrogez sur le refus de certains pays d'accorder des laissez-passer consulaires lorsqu'ils doivent réadmettre leurs ressortissants parce que nous souhaitons les éloigner. Lorsque les étrangers ayant fait l'objet d'une OQTF sont dépourvus de documents d'identité ou de voyage, nos services ont besoin de ces laissez-passer émis par les pays dont ils sont originaires pour exécuter les mesures d'éloignement. Je vous confirme qu'à ce jour, l'échec de leur application tient principalement aux difficultés que nous rencontrons dans l'obtention de ces documents.
Les enjeux liés aux flux migratoires et à la coopération en matière de retour ont d'ailleurs justifié l'inscription de sept pays sur la feuille de route migratoire de l'ambassadeur chargé des migrations. Il s'agit de l'Algérie, de la Côte d'Ivoire, de la Guinée, du Mali, du Maroc, du Sénégal et de la Tunisie.
La réponse à ce problème est par essence diplomatique.
Le Président de la République, la Première ministre, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, la ministre de l'Europe et des affaires étrangères ont eu l'occasion d'échanger ces derniers mois avec les responsables politiques des États avec lesquels la coopération en matière de retour est insuffisante.
Nous avons apporté une première forme de réponse en restreignant la délivrance de visas pour les ressortissants des trois pays du Maghreb que j'ai cités. Cette décision a permis de revenir à un niveau de coopération consulaire satisfaisant. Ainsi, les éloignements vers l'Algérie ont pu retrouver leur niveau de 2019, c'est-à-dire d'avant la crise sanitaire.
Je rappelle que l'Algérie est le premier pays représenté dans l'immigration régulière et irrégulière en France. Les restrictions dans la délivrance de visas ont été levées. Nous ne manquerons toutefois pas de les réactiver ou de les renforcer en fonction des résultats obtenus en matière d'éloignement. Il n'est pas acceptable que certains de nos partenaires et leurs ressortissants, d'un côté, profitent de la générosité de la France, qu'il s'agisse de la délivrance de visas ou de notre politique d'aide au développement, et rechignent, de l'autre, à coopérer en matière de retours.
Les statistiques du ministère de la justice mettent en évidence une surreprésentation des ressortissants étrangers parmi les détenus condamnés puisqu'ils forment 24,6 % de la population carcérale alors qu'ils représentent seulement 7,7 % de la population résidant en France. Le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin a même déclaré que la part des étrangers parmi les délinquants était en hausse ces dernières années. Pour les cambriolages de logements, elle est ainsi passée de 28 % à 40 % entre 2017 et 2022, phénomène accentué dans les grandes villes comme Bordeaux, Toulouse ou Paris, où cette proportion peut dépasser 50 %.
Dans la métropole de Lyon, 60 % des actes de délinquance sur la voie publique, dont les vols avec violences, sont perpétrés par des étrangers. Dans ma propre circonscription, que M. le ministre de l'intérieur connaît bien, frappée le 15 décembre dernier par l'incendie de Vaulx-en-Velin qui a coûté la vie à dix personnes, 30 kilos d'héroïne ont été saisis dans le cadre du démantèlement d'un vaste trafic de stupéfiants. Sept malfaiteurs chevronnés ont été interpellés dont cinq sont aujourd'hui incarcérés. Depuis, des dealers tentent de reprendre à Vaulx-en-Velin le point de trafic du chemin des Barques, lieu de l'incendie. Parmi les trafiquants interpellés, on retrouve un Guinéen, né en 1997, condamné à six mois de prison ferme après avoir été arrêté en possession d'héroïne, de cocaïne et de cannabis.
Conscient du problème, Gérald Darmanin a indiqué dans cet hémicycle, le 6 décembre 2022, que « nul ne peut prétendre rester durablement sur notre sol, s'il ne respecte pas les valeurs de la République ». Nous nous attendions donc à ce que le Gouvernement prévoie des mesures fortes destinées à faire respecter la République et ses valeurs. Or que proposez-vous ? L'article 13 de votre projet de loi indique que « l'étranger qui sollicite un document de séjour s'engage à respecter la liberté personnelle, la liberté d'expression et de conscience ». Autrement dit, il s'agit d'une simple déclaration sur l'honneur. Pouvez-vous me dire en quoi cette procédure empêchera les futurs délinquants et radicalisés de commettre leurs méfaits ?
Vous nous indiquez attendre de notre part des mesures fortes face aux étrangers auteurs d'actes de délinquance. Les auteurs de crimes et délits doivent prendre conscience que, par leurs actions, ils bafouent notre accueil. L'éloignement des étrangers qui se rendent coupables de troubles à l'ordre public est donc une priorité absolue du ministre de l'intérieur et des outre-mer, priorité qui se traduit en actes. Depuis octobre 2020, ont été prononcés 2 500 retraits de titres de séjour et 90 000 refus d'octroi ou de renouvellement de titres pour des raisons liées à des troubles à l'ordre public contre seulement quelques centaines antérieurement. En 2022, 3 615 étrangers auteurs de troubles à l'ordre public ont été éloignés, soit un doublement par rapport à 2021.
On retrouve cette même ambition de fermeté dans le projet de loi dont vous aurez à débattre dans quelques semaines. Ce texte assouplit les conditions d'expulsion des étrangers en levant les protections existantes. Il prévoit par ailleurs le retrait des titres de séjour pour des faits allant à l'encontre des principes de notre République comme l'outrage au drapeau ou le refus de se voir prodiguer des soins par un médecin de sexe opposé. Ce sont autant de mesures fortes.
Vous soulignez que l'article 13 du projet de loi renvoie à une attestation sur l'honneur. C'est vrai et, comme tout engagement, elle oblige donc son auteur à se conformer aux impératifs d'intégration de notre République. Comme l'a affirmé le ministre de l'intérieur, l'immigration est un « contrat librement consenti entre celui qui souhaite venir en France et le pays qui l'accueille », un contrat avec des conditions et des engagements dont la rupture aura bien évidemment des conséquences. Nous continuerons donc à sanctionner ceux qui trahissent leurs obligations morales et à être intransigeants à leur égard. Ils s'exposeront au non-renouvellement de leur titre de séjour et à l'éloignement. Cela a encore été le cas ce lundi pour un étudiant radicalisé reconduit dans son pays.
Notre pays fait l'objet d'une pression migratoire sans précédent. Les derniers chiffres publiés sont particulièrement accablants et traduisent l'échec de votre politique d'immigration.
À la demande du groupe Les Républicains, le moment est venu de faire le point sur ces mauvais résultats : en 2022, 3,7 millions de titres de séjour ont été délivrés et le nombre de visas a augmenté de 137 % par rapport à 2021. Et que dire de votre volonté de régulariser massivement des clandestins exerçant des métiers en tension ? Elle est inacceptable !
Derrière ces chiffres alarmants se cachent des réalités de terrain encore plus préoccupantes. Dans les Alpes-Maritimes, trois exemples illustrent votre échec. Tout d'abord, on assiste à une flambée du nombre de migrants traversant chaque jour illégalement la frontière italienne. Ensuite, on doit déplorer la gestion des mineurs non accompagnés (MNA). Plus de 5 000 d'entre eux ont été pris en charge par le département en 2022. Un record ! Avec le président du conseil départemental, Charles-Ange Ginesy, je souhaite vous alerter sur les conséquences catastrophiques de cette politique. La situation a débordé les collectivités, saturé leurs capacités d'accueil, et l'explosion des coûts – 50 000 euros par an et par mineur – fragilise désormais leurs finances. Le système est à bout de souffle !
Enfin, dans ma circonscription, la réquisition d'un hôtel antibois pour y installer vingt-cinq mineurs étrangers, décision prise sans aucune concertation, révèle la faiblesse de l'État et mine les relations de confiance avec les élus locaux.
Madame la secrétaire d'État, l'immigration n'est pas un gros mot. C'est un défi pour éviter rejet et stigmatisation. Alors, passez des paroles aux actes ! Quand aurons-nous des effectifs suffisants pour contrôler nos frontières ? Quand aurons-nous des places supplémentaires en centres de rétention administrative (CRA) ? Quand l'État revalorisera-t-il l'accompagnement financier des MNA et quand imposerez-vous la présomption de majorité ?
Enfin, quand aura-t-on les moyens de reprendre le contrôle de notre immigration ? Les Alpes-Maritimes ne doivent pas devenir la plateforme de l'immigration clandestine de la France !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
J'apporterai d'abord des précisions sur les Alpes-Maritimes où il y a eu 5 766 interpellations à la frontière en 2023 contre seulement 4 228 à la même époque en 2022. La semaine dernière, les interpellations à la frontière franco-italienne ont connu une accélération, passant de 94 par jour contre 77 précédemment. Cette reprise est liée au retour progressif de deux unités de forces mobiles dans le dispositif.
Ensuite, vous m'interrogez sur la situation des mineurs non accompagnés. Il s'agit évidemment d'une question complexe qui mobilise plusieurs départements ministériels mais aussi les collectivités locales, à commencer par les conseils départementaux.
Je rappelle que, dans le droit français, les mineurs ne sont pas soumis au droit au séjour. Les textes en vigueur prévoient deux situations lors de l'accession d'un mineur à la majorité : la délivrance de plein droit d'un titre de séjour pour les mineurs isolés confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE) au plus tard à l'âge de 16 ans et une voie d'admission exceptionnelle au séjour pour ceux pris en charge entre 16 et 18 ans qui justifient de six mois au moins de formation professionnelle, sous certaines conditions. Une circulaire du ministre de l'intérieur du 21 septembre 2020 prévoit un examen anticipé du droit au séjour des mineurs étrangers confiés à l'ASE, afin d'éviter les ruptures de droits au moment du passage à la majorité.
Par ailleurs, les préfets disposent d'un pouvoir d'appréciation dans le cadre de l'admission exceptionnelle au séjour pour traiter les situations particulières, notamment celles des mineurs isolés qui poursuivent des études secondaires ou universitaires avec assiduité et sérieux. L'examen des dossiers de demande d'admission au séjour relève surtout de la difficulté parfois rencontrée pour authentifier les documents d'état civil et de nationalité : en définitive, seules 7 % des demandes de titre sont rejetées, essentiellement au motif de la fraude à l'état civil.
Enfin, il faut distinguer la situation des vrais mineurs, inscrits dans un parcours d'insertion et d'intégration par les études et le travail de celle des prétendus mineurs, qui se signalent par leur délinquance violente. La seule réponse possible pour ces derniers, c'est la sévérité de la justice et le retour dans leur pays d'origine.
Depuis plusieurs décennies, la France fait face à une pression migratoire continue, croissante et ininterrompue. Nous assistons, sous nos yeux, à un changement en profondeur de la population française : en 2022, les immigrés représentaient en France 10 % de la population totale. En moyenne, selon l'Insee, « quatre immigrés entrent sur le territoire national lorsqu'un en sort ».
Mais ne nous y trompons pas, ce n'est pas l'État qui supporte cette situation : à la fin, ce sont bien les Français qui subissent les conséquences directes de l'échec de la politique migratoire.
Nous sommes incapables de sélectionner et d'expulser. Nous sommes spectateurs d'un flux devenu hors de contrôle et qui, de surcroît, représente une charge lourde pour les Français.
Alors que le Gouvernement somme les Français de se serrer la ceinture, de mettre des pulls et de travailler plus longtemps pour préserver les retraites, vous leur demandez d'être les spectateurs dociles de cette dérive. Ils le refusent ! Alors que sept Français sur dix considèrent qu'il faut durcir la politique migratoire, voilà que le ministère de l'intérieur imagine un projet de loi permettant de régulariser massivement, avec pour prétexte la réponse aux difficultés de recrutement dans les métiers dits en tension.
Eh bien non, le Gouvernement fait fausse route : la réponse aux métiers en tension n'est pas ailleurs, mais chez nous : notre pays compte 6 millions de chômeurs et 1,4 million de jeunes sans emploi ni formation.
La réponse à nos difficultés, c'est d'abord en France, c'est d'abord en nous-mêmes, en croyant en nos forces, que nous devons la trouver.
Non, l'immigration n'est pas une solution et risque même d'être la mère de nouveaux problèmes : accentuation de la crise du logement, écoles surchargées, difficultés d'intégration dans des classes où se côtoient parfois des enfants de plus de dix nationalités différentes, délinquance ou encore flambée du coût des aides sociales.
Madame la secrétaire d'État, qu'envisage le Gouvernement pour faire du travail et de l'emploi une priorité pour les Français avant d'en faire un prétexte à toujours plus d'immigration ? Accueillir à tour de bras les migrants débouchera inévitablement, nous le savons, sur une crise culturelle majeure. Les Français y sont majoritairement opposés. Écoutez-les !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs du groupe RN.
Cela fait deux fois que vous parlez de régularisation massive ; c'est exactement le contraire de ce que nous envisageons de faire. Le ministre de l'intérieur l'a dit et redit, notre politique de l'immigration doit être guidée par une logique très simple : celle des droits et des devoirs. Si nous nous opposons de toutes nos forces à ceux qui considèrent les étrangers comme des criminels en puissance, nous ne ferons pas non plus preuve de naïveté envers ceux d'entre eux qui veulent atteindre la République ou, plus simplement, qui ne veulent pas la respecter.
Le projet que nous défendons repose sur trois objectifs. Tout d'abord, l'humanité dans l'accueil des étrangers, grâce à l'engagement d'une grande réforme de simplification du système d'asile mais aussi du contentieux des étrangers, avec la généralisation de l'intervention du juge unique à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), la territorialisation de la CNDA et la création de l'espace « France asile » – l'idée est de mieux accueillir ceux que nous avons décidé d'accueillir.
Ensuite, la fermeté envers les délinquants : nous voulons mieux contrôler les frontières, agir sur les causes de l'immigration irrégulière et éloigner les étrangers présentant une menace pour l'ordre public, en levant les protections contre l'éloignement pour motif d'ordre public et en rendant possible le recours à la coercition pour le relevé des empreintes digitales.
L'intégration, enfin, de ceux qui veulent vivre en France : par la langue, bien sûr, par le respect des principes de la République, évidemment, mais, enfin et surtout, par le travail qui doit redevenir le premier vecteur de l'intégration des étrangers, grâce notamment au passeport talent. Nous souhaitons désormais engager la discussion parlementaire pour enrichir ce texte et le faire évoluer, afin d'en améliorer l'efficacité.
Parler d'échec de la politique migratoire, c'est évidemment parler de la situation à Mayotte. En 2002, Mayotte comptait 34,5 % d'étrangers sur son sol ; ils seraient aujourd'hui plus de 50 %. Cela veut dire qu'une personne sur deux croisées dans les rues de mon département est étrangère, le plus souvent en situation irrégulière. Nous subissons depuis plus d'une décennie la tyrannie de la politique des chiffres en matière de reconduites à la frontière : l'an dernier, à Mayotte, 25 380 personnes ont ainsi été renvoyées dans leur pays. Mais c'est en réalité un trompe-l'œil car ceux qui sont expulsés le matin reviennent aussitôt par bateau dans les jours qui suivent.
Il est impossible d'envisager une politique migratoire efficace sans protéger et verrouiller réellement notre frontière, avec l'aide de la marine nationale et la mobilisation d'un bâtiment militaire basé de manière permanente à Mayotte. Car Mayotte est devenue le point d'arrivée des migrants de toute la région : Comoriens en tête, mais aussi Malgaches et Africains des Grands Lacs, qui débarquent quotidiennement par bateau. Paris se sert de notre insularité pour transformer Mayotte en cul-de-sac, au moyen d'un visa territorialisé. La préfecture distribue largement des permis de séjour qui régularisent les étrangers sur notre île uniquement, ce document ne leur permettant pas de se rendre dans l'Hexagone ou dans le reste de l'espace Schengen. À travers une loi inique, Mayotte se trouve hors de la République, seule face au déferlement migratoire. L'État isole Mayotte en raison de son voisinage, évoquant un hypothétique appel d'air. Le Gouvernement compte-t-il mettre fin à cette injustice et abolir enfin le visa territorialisé dans sa loi relative à l'immigration ?
Enfin, je tiens ici à apporter mon soutien au ministre Darmanin et au Gouvernement concernant l'opération, annoncée dans la presse, de destruction des bidonvilles. Cette annonce répond à la demande des Mahorais de détruire ces zones insalubres et ces quartiers de non-droit. Connaissant l'habitude des représailles qui s'exercent après les décasages, pouvez-vous nous assurer que toutes les mesures seront prises pour protéger la population française de Mayotte des inévitables campagnes de terreur qui suivront la destruction des bidonvilles ?
M. Christophe Naegelen, Mme Sabrina Agresti-Roubache et Mme Emmanuelle Ménard applaudissent.
Vous m'interrogez sur la pression migratoire à laquelle doit faire face le département de Mayotte, où 50 % de la population, vous l'avez rappelé, est étrangère. La demande d'asile à Mayotte a été multipliée par cinq depuis 2016 : 4 036 demandes en 2021. La pression migratoire, vous le savez madame la députée, provient essentiellement de l'île comorienne d'Anjouan, distante de seulement 70 kilomètres. Nous avons également vu apparaître de nouveaux flux en provenance de Madagascar et d'Afrique continentale, qui se traduisent d'ailleurs à travers les demandes d'asile.
Dans le cadre de l'opération Shikandra, l'État déploie des moyens importants afin de lutter contre l'immigration irrégulière. En 2022, plus de 32 000 interpellations d'étrangers en situation irrégulière et 26 000 éloignements ont été réalisés, 75 % des kwassa-kwassa sont interceptés ou dissuadés d'accoster à Mayotte. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer, qui s'est rendu sur place fin décembre, a indiqué souhaiter renforcer encore les moyens accordés pour lutter contre l'immigration clandestine. Une surveillance aérienne plus performante a été instituée en 2021 pour un coût annuel de 2 millions d'euros et la rénovation du parc de radars de détection a été entérinée sur trois ans, pour un budget de 3 millions d'euros. Au premier trimestre 2023, deux intercepteurs Rafale seront livrés et les capacités de rétention ont été augmentées de cinquante places, pour atteindre 258 places.
Par ailleurs, il est essentiel de prévenir et d'empêcher les départs depuis les Comores, grâce à des opérations d'entrave et une opération consulaire qui permettra la remise aux autorités comoriennes de près de 20 000 étrangers en situation irrégulière. Madame la députée, notre mobilisation pour Mayotte est totale : non seulement les dispositions du futur projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration s'y appliqueront, mais nous engageons, vous l'avez vu, des moyens très significatifs pour répondre à la situation spécifique de votre territoire.
Nous débattons aujourd'hui de l'échec de la politique migratoire, en amont d'un projet de loi que nous examinerons d'ici à quelques semaines relatif à l'immigration et, dans une deuxième partie, à l'intégration. Ce n'est toutefois pas en deux minutes que nous pourrons aborder l'alpha et l'oméga des questions migratoires sur le territoire français. Néanmoins, comme sur de nombreux autres sujets, le problème en France réside dans la centralisation ou, devrais-je dire plutôt, l'hypercentralisation : ainsi, le siège social de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) est situé à Fontenay-sous-Bois, tandis que celui de la CNDA est à Montreuil. En raison de cette hypercentralisation, le délai de traitement des dossiers des étrangers est beaucoup trop long.
Le futur projet de loi prévoit une territorialisation de la CNDA qui accuse, je le répète, un retard dans le traitement de la majorité des dossiers. Je souhaiterais donc savoir à quel échelon vous envisagez cette territorialisation : départemental ou régional ? Deuxième point, entendez-vous territorialiser également les services de l'Ofpra, au niveau du département ou de la région ? J'irai même plus loin : il serait nécessaire de disposer dans les départements d'équipes dédiées de la PAF ou de la gendarmerie, parce qu'il est toujours très compliqué lorsque l'on veut réaliser une OQTF de faire venir des professionnels exerçant dans des territoires éloignés.
Enfin, l'article 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) a été abrogé, pour se mettre en conformité avec la politique européenne. Néanmoins, la reconnaissance du délit de maintien sur le territoire pour un étranger en situation irrégulière est un aspect très important. Comptez-vous le rétablir ?
Vous m'interrogez sur la future réforme. D'abord, vous l'avez souligné, cette réforme est nécessaire. En effet, notre droit doit être plus clair et les décisions rendues plus rapidement. Il nous faut accueillir plus vite ceux à qui nous devons l'asile et refuser plus rapidement ceux qui ne peuvent pas en bénéficier. Des délais parfois bien trop longs sont à l'origine de situations administratives complexes, voire inextricables pour des personnes qui ne peuvent être ni régularisées, ni expulsées.
La question que vous posez sur la centralisation est l'un des éléments de réponse : la territorialisation de la CNDA à un échelon plutôt régional ou interdépartemental, pour répondre à votre interrogation, a pour objectif de réformer la juridiction localisée à Montreuil, en s'appuyant sur le maillage actuel des cours administratives d'appel, dans une volonté d'agir au plus près des usagers. La création de pôles « France asile » permettra la présence d'agents de l'Ofpra en dehors de son siège de Fontenay-sous-Bois et au plus près des guichets uniques – cela permettra de gagner sans doute un mois sur les délais d'instruction des demandes.
Vous m'interrogez également sur le délit de maintien sur le territoire, qui concerne l'étranger se maintenant sur le territoire sans motif légitime, malgré une mesure d'éloignement. Celui-ci s'expose à une peine d'un an d'emprisonnement et à une amende de 3 750 euros. En 2021, 489 condamnations de cet ordre ont été prononcées. Le Gouvernement est résolu à appliquer les mesures d'éloignement et à agir contre le maintien sur le territoire des personnes soumises à une OQTF. La volonté du Gouvernement de s'emparer de ce sujet se matérialise par les mesures contenues dans le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, avec par exemple l'élargissement des critères permettant d'expulser les étrangers bénéficiant d'une protection quasi absolue, la levée des protections contre les OQTF en cas de menace grave à l'ordre public, une réforme des voies de recours contre les décisions d'éloignement qui passeront de douze à quatre.
La situation migratoire en France, comme celles des autres États membres de l'Union européenne, est mauvaise, pour au moins trois raisons. D'abord, c'est une crise qui se prolonge depuis l'annonce par la présidente de la Commission européenne de la fin du règlement de Dublin, le pacte européen sur la migration et l'asile annoncé pour le remplacer tardant à voir le jour et étant repoussé régulièrement depuis bientôt trois ans. Ensuite, c'est une crise qui mine l'Europe et qui conduit à ne pas examiner sereinement les sujets d'élargissement ayant pourtant une portée stratégique ; elle pourrait aussi remettre en cause les règles de la liberté de circulation au sein de l'Union. Enfin, c'est une crise qui conduit chaque État à traiter séparément les questions migratoires.
En France, nous examinerons prochainement le projet de loi sur l'immigration et l'intégration. L'Allemagne a, de son côté, annoncé une loi assouplissant les conditions d'entrée des étrangers sur son territoire, selon laquelle il ne sera désormais plus nécessaire de parler la langue ou de présenter un contrat de travail pour s'installer dans le pays. L'Espagne, l'Italie, la Bulgarie, ou encore la Roumanie ont besoin du soutien du reste de l'Europe pour contenir les flux migratoires irréguliers alimentés par le trafic des êtres humains.
Dès lors, le sauvetage en mer repose sur des associations bénévoles. Celles-ci sont accusées de faire le jeu des passeurs, alors qu'elles ne font qu'appliquer strictement le droit maritime international : une embarcation en détresse doit être secourue. Si nous avions l'ambition de travailler conjointement avec nos partenaires européens et extra-européens pour résoudre ce problème, sans doute en aurions-nous déjà fini avec les passeurs et serions-nous en mesure d'accueillir dignement des migrants chaque année. En France, aucun dispositif public ne vient en aide aux migrants en mer : le seul réseau associatif qui y soit dédié, SOS Méditerranée, doit quémander des subventions privées. Occupées à sauver des vies, ces associations se heurtent au cynisme absolu des États européens et de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) qui, loin de les assister dans leur tâche, entravent la réalisation de leur mission en les contraignant à respecter des normes toujours plus ubuesques.
Ma question est simple : à défaut d'avoir impulsé une dynamique durant la présidence française du Conseil de l'Union européenne, que propose la France et que fait le Gouvernement pour engager un grand débat européen en la matière – l'Europe étant la seule échelle à laquelle ce sujet peut être traité avec efficacité et ambition ?
Vous m'interrogez sur le traitement européen de la situation migratoire. Depuis 2016, la France fait face à un flux important de demandeurs d'asile relevant du règlement Dublin, principalement alimenté par des personnes qui ont déjà été déboutées en Allemagne et dans les États centraux et nord-européens, ainsi que par des personnes qui ont franchi irrégulièrement les frontières extérieures en Italie et en Espagne.
En 2022, environ 40 % des demandes d'asile effectuées en France résultaient d'un flux secondaire au sein de l'Union européenne – les deux tiers des flux secondaires ayant pour destinations l'Allemagne et la France. Cette même année, la France a réalisé 3 300 transferts sortants, ce qui la place en première position devant l'Allemagne et l'Espagne, et a reçu 1 453 transferts entrants, essentiellement en provenance d'Allemagne et de Suisse.
Le pacte sur la migration et l'asile, présenté par la Commission en 2020, comporte le remplacement du règlement de Dublin et l'ajout d'un volet relatif à la solidarité. La France juge cette solution insuffisamment dissuasive, car elle maintient le délai de transfert de six mois au-delà duquel l'État membre requérant devient responsable de la demande d'asile. Nous avons donc proposé le principe d'une procédure d'asile unique, qui rendrait en principe irrecevable toute nouvelle demande d'asile dans un autre État membre, et qui réserverait l'octroi des conditions matérielles d'accueil dans l'unique État reconnu responsable de la demande d'asile.
Nous nous apprêtons, en juin prochain, à discuter de la dixième réforme du droit des étrangers en dix ans. Le présent débat sur l'échec de la politique migratoire est important, car ces dix ans de réformes successives n'ont pas permis d'atteindre le double objectif qui était visé.
Le premier était l'augmentation du nombre de reconduites à la frontière. Or les réformes successives ont abouti au contraire à réduire la coopération avec les pays concernés, et donc à diminuer notre taux d'expulsion d'étrangers en situation irrégulière.
Le deuxième objectif était de simplifier le droit des étrangers et d'améliorer la situation de ces derniers sur notre sol. Or nous constatons une complexification du droit, accroissant le nombre de recours et soumettant les étrangers qui travaillent en France à une bureaucratie tatillonne, qui nuit à leur intégration.
Cette situation a une raison simple : notre politique migratoire ne peut fonctionner en l'état. Il est impossible d'expulser davantage d'étrangers, quand certains pays ne se montrent pas coopératifs, et n'ont pas de raison de le devenir. Il n'est pas non plus possible de mettre à exécution les quelque 140 000 OQTF que la France prononce chaque année. Mettrons-nous quatre policiers et gendarmes derrière chacun des 140 000 étrangers en situation irrégulière ? C'est évidemment inenvisageable. Aussi notre politique migratoire coûteuse et inefficace doit-elle être profondément réformée.
Enfin, nous parlons trop peu du volet de l'intégration. Notre pays doit déployer une véritable politique en la matière, et donner davantage de pouvoirs à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii). Quelles sont vos intentions dans ce domaine ?
Pour commencer, je rappellerai que trois lois relatives à l'immigration ont été adoptées sous le mandat de François Hollande,…
…contre une seule durant le premier mandat d'Emmanuel Macron – une deuxième étant bientôt prévue. Nous devons tous reconnaître que les phénomènes migratoires évoluent et que nous devons nous y adapter.
Vous estimez qu'il n'est pas possible d'expulser davantage. C'est pourtant possible, à condition de lever certaines protections et de continuer à exercer notre politique diplomatique vis-à-vis des pays de retour, de manière à maintenir une pression et à continuer d'exclure les personnes qui n'ont pas leur place sur le territoire français.
Vous m'interrogez, par ailleurs, sur notre politique en matière d'intégration : elle constitue un élément essentiel du projet de loi élaboré par M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer et M. le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
L'intégration recouvre deux volets majeurs, à commencer par celui, essentiel, de la langue. Nous pouvons noter des insuffisances en la matière. C'est pourquoi le projet de loi entend aller plus loin concernant l'intégration par la langue.
Le second volet fondamental de l'intégration réside dans le travail : c'est également une composante importante du projet de loi. De même que l'intégration est plus facile pour les jeunes – nous l'avons constaté avec les jeunes Ukrainiens qui ont rejoint les classes françaises –, elle est plus aisée pour les personnes qui ont accès au monde du travail : elles y apprennent certes des compétences techniques, mais aussi la culture française. Ce vecteur d'intégration est essentiel.
Comme l'affirmait le président du groupe Horizons et apparentés, Laurent Marcangeli, le 6 décembre, il est absolument indispensable de muscler notre stratégie d'éloignement. Ce qui pèche n'est pas tant notre arsenal juridique que notre capacité à éloigner réellement les délinquants.
Le projet de loi que vous présenterez prochainement permettra de prononcer davantage de décisions d'expulsion ou d'OQTF – dans ses articles 9 et 10 –, et de refuser le renouvellement de titres de séjour – dans les articles suivants. Je ne peux que saluer ce durcissement de ton à l'encontre de ceux qui ne respectent pas la loi, par principe et par souci d'équité avec tous les autres résidents de France, Français ou non, qui s'appliquent à respecter les règles.
Cependant, tant que des mesures fortes ne seront pas prises en direction des pays d'origine des personnes concernées, l'augmentation du nombre d'OQTF ne fera qu'accroître le taux d'expulsions non effectuées. Le nombre de décisions d'expulsion croîtra, et la proportion de décisions non exécutées augmentera en parallèle. D'où mes questions. Quelles conséquences a eues la décision du Président de la République de diminuer le nombre de visas d'entrée en France à certains pays qui refusaient les réadmissions ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour obtenir une meilleure coopération des pays d'origine ?
Comme vous le savez, le groupe Horizons et apparentés défend l'idée de conditionner l'aide au développement à la coopération en matière de réadmission. Nous ne pouvons continuer à financer des projets structurants dans des pays sans exiger de leur part une coopération efficace en matière de réadmission. Le durcissement de notre politique d'éloignement et d'expulsion est une nécessité, dont nous espérons qu'elle trouvera une traduction claire, sans équivoque, dans le projet de loi.
Vous m'interrogez sur le refus de certains pays d'accorder des laissez-passer consulaires lorsqu'ils doivent réadmettre leurs ressortissants que nous souhaitons éloigner. Pour éloigner les étrangers en situation irrégulière s'étant vu délivrer une OQTF, nos services ont besoin d'obtenir de leur pays d'origine un laissez-passer consulaire, lorsque ces étrangers sont dépourvus de documents d'identité ou de voyage. Sans cela, l'éloignement n'est pas possible. La difficulté d'obtenir des laissez-passer consulaires constitue l'une des principales causes d'échec de l'éloignement.
Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, les enjeux relatifs aux flux migratoires et à la coopération en matière de retour ont justifié l'inscription de sept pays sur la feuille de route migratoire de l'ambassadeur chargé des migrations : il s'agit de l'Algérie, de la Côte d'Ivoire, de la Guinée, du Mali, du Maroc, du Sénégal et de la Tunisie. La réponse à ce problème est par essence diplomatique.
Le Président de la République, la Première ministre, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ainsi que la ministre de l'Europe et des affaires étrangères ont échangé, ces derniers mois, avec les responsables politiques des États avec lesquels la coopération en matière de retour est insuffisante. Une première forme de réponse réside dans la restriction des délivrances de visas vis-à-vis de trois pays du Maghreb. Cette décision a permis de retrouver un niveau de coopération consulaire satisfaisant. À titre d'illustration, les éloignements vers l'Algérie ont retrouvé leur niveau de 2019, avant la crise sanitaire.
M. Laurent Jacobelli s'exclame.
Rappelons que l'Algérie est le premier pays représenté dans l'immigration régulière et irrégulière en France. À cette heure, les mesures de restriction dans la délivrance de visas ont été levées. Toutefois, nous ne manquerons pas de les réactiver ou de les renforcer en fonction des évolutions constatées, pour atteindre nos objectifs d'éloignement.
Par ailleurs, comme vous le soulignez, il n'est pas acceptable que certains de nos partenaires et leurs ressortissants profitent, d'un côté, de la générosité de la France en matière de délivrance de visas ou d'aide au développement, et rechignent, d'un autre côté, à coopérer en matière de retour.
La mer Méditerranée est un cimetière à ciel ouvert, mais la France et l'Europe préfèrent regarder ailleurs. Dimanche 26 février, il y a quelques jours, plus de soixante personnes, dont douze enfants, ont trouvé la mort dans le naufrage de leur embarcation en Italie du Sud. Nous parlons bien de soixante morts et d'enfants noyés, madame la secrétaire d'État. Quelle a été la réaction de la France ? Aucune : pas un communiqué, pas un tweet des membres du Gouvernement ni du Président de la République, pourtant si prompts à réagir sur tous les sujets.
La France est une terre d'immigration et une terre d'accueil ; elle doit le rester. Ceux qui traversent la Méditerranée au risque de leur vie méritent que la fin de leur voyage soit digne du statut de notre pays – qui compte, rappelons-le, 10 % d'immigrés. Assurer un accueil digne nous impose d'améliorer nos conditions d'intégration, pour que nous puissions faire société. J'espère que le projet de loi que nous examinerons bientôt en sera l'occasion – vous pouvez compter sur les députés du groupe Écologiste – NUPES pour formuler des propositions en ce sens.
L'accueil digne doit aussi passer par une politique de régularisation de tous ceux qui travaillent dans notre pays. En 2022, la France a délivré plus de 320 000 premiers titres de séjour, en augmentation de plus de 17 % par rapport à 2021. Les régularisations de travailleurs sans-papiers ont crû de 29 % : sur un total de plus de 34 000, 11 000 avaient pour motif le travail. Nous semblons donc aller dans la bonne direction. Vous avez fait un pas supplémentaire en ouvrant la porte à une régularisation des travailleurs sans-papiers occupant des métiers en tension, mais vous rétropédalez à présent en parlant de quotas.
M. Darmanin, qui dit tant aimer le travail et les travailleurs, et qui rappelle souvent les origines modestes de sa mère, aurait été heureux d'apprendre que la mienne était agent d'entretien dans un hôpital. Je n'ai pourtant pas le souvenir de l'avoir vu dans les défilés du 1er mai ou à la sortie des usines ! Ce n'est pas grave ; il est ministre de l'intérieur, il peut faire mieux, comme vous pouvez faire mieux : régularisez le million de travailleurs sans-papiers qui se trouvent dans notre pays et qui font tourner nos chantiers et nos restaurants. Vous trouverez alors les quelques milliards d'euros qui manquent pour équilibrer le système de retraite en 2030, au lieu d'épuiser nos compatriotes au travail, ou de céder aux fantasmes natalistes et empreints de racisme du Rassemblement national.
Nous nous trouvons à un tournant majeur de notre politique migratoire. Ma question est simple : êtes-vous prêts à engager une politique massive de régularisation des travailleurs sans-papiers ?
Mme Andrée Taurinya applaudit.
Votre question porte sur la régularisation des travailleurs sans-papiers. La piste d'une régularisation générale et inconditionnelle doit évidemment être écartée : ce serait totalement déraisonnable. Je note d'ailleurs qu'aucun gouvernement de droite ou de gauche ne l'envisage sérieusement ou ne l'a envisagé.
M. Philippe Brun s'exclame.
Pour autant, il est vrai que certaines personnes, présentes sur notre territoire depuis des années, travaillent et contribuent à la vitalité économique de notre pays, mais demeurent enfermées dans l'illégalité, bien souvent du fait d'employeurs indélicats. Dans le cadre de la circulaire dite Valls – circulaire du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile –, ces personnes peuvent voir leur situation examinée sous l'angle de l'admission exceptionnelle au séjour, à condition de prouver leur ancienneté sur le territoire et la réalité de leur activité professionnelle. En 2022, 10 000 admissions exceptionnelles ont été délivrées.
Avec M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer et M. le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, nous souhaitons, tout particulièrement dans les métiers en tension comme ceux du bâtiment, que les travailleurs immigrés en situation irrégulière puissent solliciter la possibilité de rester sur le territoire sans passer par un employeur. Cela permettra d'inverser le rapport de force avec quelques employeurs que l'on sait indélicats, et qui peuvent trouver un intérêt à ce que leurs salariés soient dans l'illégalité. Il est vrai que nous ne délivrons peut-être pas assez de titres de séjour aux gens qui travaillent, et qu'un certain patronat en profite.
Le projet de loi qui sera débattu au Parlement dans les prochaines semaines se fonde notamment sur le constat – que vous partagez, je pense – selon lequel le travail doit redevenir le premier lieu d'intégration des étrangers. Pour atteindre cet objectif, nous souhaitons permettre à des demandeurs d'asile de travailler dès leur arrivée sur le sol français – comme nous l'avons fait pour les personnes déplacées d'Ukraine –, lorsque nous estimons qu'ils ont de grandes chances d'obtenir la protection internationale en France.
Par ailleurs, nous souhaitons créer une voie d'accès au séjour spécifique pour les étrangers déjà présents sur le territoire et qui participent à la vitalité de l'économie française, en vue de répondre aux besoins des métiers en tension. Nous visons en particulier les secteurs qui manquent de main-d'œuvre, comme l'hôtellerie, la restauration, le bâtiment, le nettoyage, les métiers du soin, les transports ou encore la logistique. Vous aurez l'occasion d'examiner cette mesure dans le cadre du projet de loi.
Le thème dont nous débattons, c'est-à-dire les échecs de la politique migratoire, peut être abordé sous divers angles. Pour ma part, je souhaite évoquer en particulier l'échec de notre politique d'accueil des milliers de migrants qui fuient leur pays en raison de la guerre, de la pauvreté ou de difficultés sociales et économiques.
Lundi 27 février, une embarcation sur laquelle se trouvaient entre 120 et 200 personnes a fait naufrage près des côtes italiennes, entraînant la mort de 64 migrants, dont 12 enfants. La Méditerranée se transforme peu à peu en cimetière, dans un silence assourdissant. En dépit de cela, l'agence européenne Frontex n'assure aucun sauvetage en mer. Pire encore, l'Office européen de lutte antifraude (Olaf), dans son dernier rapport, accuse Frontex – qui, rappelons-le, est l'agence européenne la mieux dotée financièrement – d'avoir été complice de refoulements en mer Égée, voire d'y avoir participé, ainsi que d'avoir ignoré des appels de bateaux en détresse.
Dès lors, le sauvetage en mer repose sur des associations bénévoles. Celles-ci sont accusées de faire le jeu des passeurs, alors qu'elles ne font qu'appliquer strictement le droit maritime international : une embarcation en détresse doit être secourue. Si nous avions l'ambition de travailler conjointement avec nos partenaires européens et extra-européens pour résoudre ce problème, sans doute en aurions-nous déjà fini avec les passeurs et serions-nous en mesure d'accueillir dignement des migrants chaque année. En France, aucun dispositif public ne vient en aide aux migrants en mer : la seule association dédiée, SOS Méditerranée, doit quémander des subventions privées. Occupées à sauver des vies, ces associations se heurtent au cynisme absolu des États européens et de l'agence Frontex qui, loin de les assister dans leur tâche, entravent la réalisation de leur mission en les contraignant à respecter des normes toujours plus ubuesques.
Après l'affaire de l'Ocean Viking, le ministre de l'intérieur a affirmé que le droit de la mer doit être strictement appliqué. Il s'agit ici de milliers de vies humaines.
Quand comptez-vous mettre en place des dispositifs de financement public du sauvetage en mer et donner à la France les moyens de mettre en œuvre une véritable politique d'accueil ?
Nous ne pouvons rester indifférents face au drame qui a touché l'Italie : le bilan du récent naufrage s'élève à soixante-quatre morts, dont plusieurs enfants, et risque de s'aggraver encore. Les premiers responsables de cette situation sont les passeurs criminels qui font embarquer des hommes, des femmes et des enfants dans des navires hors d'état, les poussant ainsi à la mort.
La pression migratoire en Méditerranée est particulièrement forte. En 2022, on dénombre 328 000 franchissements irréguliers des frontières extérieures de l'Union européenne, avec une hausse de 51 % des flux en Méditerranée centrale à destination de l'Italie. Je tiens à rappeler que les ONG sont loin d'être les seules à intervenir pour secourir les personnes en détresse. En effet, cette mission est principalement assurée grâce à des moyens étatiques, avec le renfort de l'agence Frontex.
Fin novembre 2022, Frontex mobilisait ainsi 2 300 personnels, 65 moyens nautiques et 259 voitures de patrouille, répartis sur plusieurs terrains d'opération, la majeure partie des effectifs et des navires étant déployés en Grèce. L'agence mène actuellement en Méditerranée plusieurs opérations conjointes relatives à la gestion des flux migratoires : l'opération Indalo au sud de l'Espagne, l'opération Themis en Italie, l'opération Poséidon en Grèce, l'opération Ledra à Chypre et une opération au large des îles Canaries. S'y ajoutent des opérations terrestres et maritimes à la frontière entre les Balkans et la Turquie.
À la suite de l'arrivée de l'Ocean Viking, la France a demandé l'organisation d'une réunion extraordinaire du Conseil des ministres de l'Union européenne, tenue le 28 novembre 2022. À cette occasion, les ministres ont adopté un plan d'action d'urgence proposé par la Commission européenne, avec plusieurs objectifs. Il s'agit d'abord de mieux prévenir les départs irréguliers en créant les conditions adéquates pour que les pays de la rive sud de la Méditerranée désignent des ports sûrs, et en améliorant l'efficacité de la politique de l'Union européenne et de ses États membres en matière de retour. Il s'agit ensuite de mieux encadrer l'action des ONG en précisant les droits et les obligations qui s'appliquent à leurs navires effectuant des opérations de sauvetage, et en mettant en place un cadre de coopération entre États méditerranéens et ONG qui permettra davantage de coordination et d'anticipation. Ce plan insiste enfin sur l'importance de faire aboutir le Pacte sur la migration et l'asile, qui prévoit notamment la mise en œuvre de la procédure d'asile à la frontière.
Dans ce débat, dont je note qu'il est uniquement orienté vers les échecs de la politique migratoire, nous en revenons toujours à la même question : comment conjuguer le principe universel de la libre circulation et celui de la liberté des peuples et de leurs gouvernants de disposer de leurs frontières ? Je concède que cet équilibre est difficile à trouver. Certains souhaitent la fin irréaliste des frontières, d'autres forment le projet tout aussi illusoire de construire des murs autour de leur pays. Ce débat se doit d'être juste et équilibré. Ne le réduisons pas aux postures politiques ni aux faits d'actualité.
Il persiste en France une zone grise dans laquelle se trouvent les étrangers en situation irrégulière livrés aux aléas de relations diplomatiques fluctuantes, comme l'ont rappelé plusieurs collègues. Mon propos portera donc sur les centres de rétention administrative – j'ai d'ailleurs visité récemment, en compagnie de mon collègue Emmanuel Mandon, le nouveau CRA de Lyon Saint-Exupéry. Je souhaite revenir en particulier sur la question soulevée par plusieurs orateurs, notamment par M. Herbillon, qui a déjà quitté l'hémicycle : celle des laissez-passer consulaires.
Comme vous le savez, l'administration française est chargée d'organiser l'éloignement des personnes sous OQTF, assignées à résidence ou placées en CRA. Dès que la nationalité de la personne retenue est connue, les instances compétentes du pays d'origine émettent en principe un laissez-passer consulaire. Or il est fréquent qu'un laissez-passer arrive trop tardivement ou ne soit jamais émis. Je souhaite donc vous demander, madame la secrétaire d'État, votre avis sur la rétention et sur ses conséquences pour les étrangers concernés.
J'ai déjà répondu à plusieurs questions relatives aux laissez-passer consulaires, comme celles de M. Herbillon ou de M. Pradal. Je vous confirme la difficulté que nous rencontrons à obtenir de certains pays ces documents. Nous avons évoqué le cas de l'Algérie ; à ce sujet, j'ajouterai que la politique diplomatique menée par le Gouvernement en matière de visas et d'aide au développement a permis de multiplier par trois les retours forcés dans ce pays effectivement exécutés, qui ont atteint le nombre de 140 par mois à la fin de l'année 2022, contre 44 au cours des deux années précédentes. Nous devons continuer ce travail diplomatique : le Président de la République, la Première ministre, le ministre de l'intérieur et des outre-mer et la ministre de l'Europe et des affaires étrangères ont eu l'occasion d'échanger récemment avec les responsables politiques des États avec lesquels la coopération en matière de retours est insuffisante. La première réponse à ces difficultés a pris la forme de restrictions de délivrance des visas.
Comme vous le savez, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a souhaité utiliser différemment les CRA, de manière à éloigner en priorité les délinquants. Notre politique en matière de rétention administrative a donc évolué significativement.
La sécurisation des frontières est l'un des enjeux de la politique migratoire. L'Union européenne a enfin pris conscience qu'il s'agit d'un défi majeur qui nécessite une réponse commune à l'échelle européenne. L'Union européenne a d'ailleurs institutionnalisé dès sa création la liberté de circulation, d'installation et de travail. Chacun sait que notre continent est depuis toujours l'une des grandes régions d'émigration et d'immigration.
La longue absence de coordination européenne constitue l'une des raisons de l'échec des politiques nationales promues depuis trente ans par les États pour lutter contre l'immigration irrégulière sur leur sol. Le Pacte sur la migration et l'asile, prévu pour le printemps 2024, devrait y apporter une réponse plus efficace.
En l'état, le Gouvernement s'est déjà donné, grâce à la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), des moyens visant à sécuriser nos frontières. L'objectif désigné est bien le démantèlement des réseaux criminels et de passeurs, car sans réseau, pas de migration. Il faut pour cela intercepter des clandestins et neutraliser l'ensemble des réseaux criminels – en particulier les filières de passeurs – qui organisent les trafics les plus divers.
Pour épauler les États, le Conseil européen vient de décider de bâtir des plans d'action relatifs aux routes de l'Atlantique et de la Méditerranée occidentale et orientale. Il s'agit en effet de casser le modèle économique des passeurs, devenus en France une organisation de criminels inquiétante. J'approuve les moyens d'action innovants en la matière et la montée en puissance d'une border force, force aux frontières, associant tous les services compétents en la matière, notamment les services de contrôle aux frontières et de lutte contre l'immigration clandestine. Il faut pour cela une coopération renforcée avec nos voisins signataires des accords de Schengen ou de Dublin. Madame la secrétaire d'État, que peut faire le Gouvernement pour rendre plus efficace la politique migratoire de la France ?
Dimanche dernier, nous l'avons rappelé, au moins soixante-quatre migrants ont péri dans un naufrage près d'une plage de Calabre. Ce drame fait écho à celui du 24 novembre 2021 au large de Calais et nous incite à renforcer la lutte contre les traversées maritimes irrégulières, apparues très progressivement à partir de 2016. Nous déployons des moyens considérables pour les empêcher et pour casser le modèle économique des passeurs.
Les forces de sécurité intérieure et de sauvetage en mer continuent à se montrer extrêmement actives, non seulement pour empêcher les embarcations de quitter les côtes françaises – elles ont mis en échec 60 % des tentatives de traversée –, mais aussi pour sauver les vies en mer, conformément à nos obligations internationales et humanitaires. Si le taux de 60 % peut sembler faible, il faut souligner que le nombre de tentatives de passage augmente constamment depuis plusieurs années. Cela résulte d'ailleurs de nos succès : puisque nous avons sécurisé les autres voies de passage comme le rail et les ferrys, les passeurs ont réorienté leurs efforts vers la voie maritime, pourtant plus périlleuse. En 2022, 79 000 migrants ont ainsi tenté de rejoindre illégalement le Royaume-Uni.
Grâce aux efforts de nos forces de sécurité sur le terrain, auxquelles je tiens à rendre hommage, grâce à l'approfondissement de la coopération avec les pays voisins, notamment en matière de renseignement et en matière judiciaire, 325 filières de passeurs ont été démantelées et 1 165 trafiquants interpellés.
Mais il faut aller encore plus loin dans la lutte contre ce business de la mort. Au 1er janvier 2023, un nouvel Office de lutte contre le trafic illicite de migrants a été créé à cette fin. Aussi le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, défendu par Gérald Darmanin et par Olivier Dussopt prévoit-il de reconnaître comme crimes, et non seulement comme délits, les faits commis en bande organisée par les passeurs, et de les sanctionner par une peine pouvant aller jusqu'à vingt ans d'emprisonnement. Il vise à mieux lutter contre l'immigration clandestine et à combattre les réseaux de passeurs qui profitent de la misère humaine. La multiplication des drames en mer révèle l'urgente nécessité de détruire leur modèle économique.
Entre 2017 et 2022, le gouvernement et notre majorité ont construit une politique migratoire à la fois ferme et bienveillante, grâce à une hausse significative des moyens et à la nécessaire adaptation du cadre législatif et réglementaire. Ces derniers mois ont été l'occasion de doubler les effectifs mobilisés à la frontière pour lutter contre l'immigration irrégulière. Depuis 2020, les exécutions d'OQTF ont augmenté de 32 % ; contrairement à ce qu'on entend parfois, la France est le pays européen ayant expulsé le plus d'étrangers en situation irrégulière en 2021. Par ailleurs, nous avons créé 480 places en CRA entre 2018 et 2021, soit une hausse de près de 30 %. Enfin, dès 2019, nous avons augmenté les moyens de l'Ofpra par le recrutement de 200 équivalents temps plein, ce qui lui a permis de traiter plus de 150 000 dossiers en 2021. Nous avons également agrandi de 30 000 places le parc d'hébergement. Nous pouvons nous féliciter de ce bilan positif.
Cependant, il nous faut aller plus loin, car les mutations du monde dans lequel nous vivons nous imposent un devoir de solidarité absolue, un devoir d'accueil envers ceux qui souffrent ou sont menacés dans leur pays. Nous avons également la responsabilité de leur dire qu'ils auront, eux aussi, des devoirs : le devoir d'intégration, à commencer par l'apprentissage de la langue, le devoir de maîtrise de nos codes et de nos valeurs, et le devoir d'accepter de vivre selon nos lois. Ces principes seront pleinement consacrés par le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, que nous examinerons prochainement.
Madame la secrétaire d'État, pourriez-vous nous expliquer quelles avancées et changements structurels réalisera la réforme en matière de délai de traitement des demandes d'asile, dont on sait qu'elles engorgent nos préfectures ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Le projet que nous défendons vise à simplifier le traitement des demandes d'asile. L'objectif est d'engager une réforme structurelle afin de réduire les délais de traitement des demandes pour permettre aux bénéficiaires de la protection internationale de s'inscrire plus rapidement dans un parcours d'intégration ou tirer plus rapidement les conséquences d'un rejet de la demande.
Nous voulons engager notre dispositif d'asile dans une logique d'« aller vers », en cohérence avec la démarche de rééquilibrage territorial déjà instaurée par des dispositions inscrites dans la loi du 10 septembre 2018, afin d'alléger une pression excessive sur l'Île-de-France.
Vous le savez, les moyens alloués depuis 2017 n'ont pas permis de réduire suffisamment les délais pour atteindre l'objectif d'un traitement en six mois. Celui-ci réclame près d'un an : trois jours en préfecture – à ce niveau l'objectif est atteint –, moins de cinq mois à l'Ofpra et plus de six mois à la CNDA.
Néanmoins, les réformes que nous avons engagées ont permis à l'Ofpra de devenir en 2021 l'autorité d'asile la plus productive d'Europe, avec plus de 140 000 décisions rendues. En outre, le délai d'examen actuel par l'Ofpra est le meilleur depuis douze ans.
Très concrètement, dans le projet de loi, nous proposons la création d'espaces « France asile » pour organiser une présence d'agents de l'Ofpra en dehors de son siège, la territorialisation de la CNDA pour réformer la juridiction en s'appuyant sur le maillage actuel des cours administratives d'appel, la généralisation de l'intervention du juge unique à la CNDA, tout en préservant la possibilité de renvoyer les affaires complexes à une formation collégiale.
En outre, nous souhaitons simplifier le contentieux des étrangers en réduisant de douze à quatre le nombre de procédures contentieuses, sans dégrader les délais de jugement pour les OQTF fondées sur un motif d'ordre public et pour les déboutés du droit d'asile.
Par ailleurs, nous voulons augmenter le recours à la vidéo-audience en centre de rétention et en zone d'attente pour limiter les charges d'escorte pour les policiers et gendarmes. Enfin, nous voulons étendre à quarante-huit heures le délai de jugement du juge des libertés et de la détention en cas de placement simultané d'un nombre important d'étrangers en zone d'attente à la frontière.
La question migratoire nourrit un sentiment d'impuissance et de perte de contrôle face aux grandes transformations de la mondialisation. Les transitions démographiques et économiques, ainsi que les crises géopolitiques et climatiques ne feront que renforcer les flux migratoires dans les prochaines décennies. Face à ces défis, le politique doit prendre ses responsabilités. Nous ne sommes pas pour l'immigration zéro ni pour la fermeture des frontières : ce sont des postures démagogiques contre les intérêts économiques et les valeurs de notre pays et contre les réalités du monde. C'est la maîtrise de l'immigration qui doit être au cœur de notre politique : nous devons reprendre le contrôle.
Cette maîtrise repose sur deux principes clairs. Premièrement, choisir qui entre dans notre territoire, selon nos critères et nos besoins, et aider ces personnes à s'intégrer. Deuxièmement, se donner les moyens de faire partir ceux qui ne respectent pas nos règles et qui n'ont pas vocation à rester.
Nos concitoyens, même ceux qui veulent que notre pays reste ouvert et généreux, sont nombreux à nous interpeller au sujet des étrangers délinquants, parfois récidivistes, qui font déjà l'objet d'OQTF. À cet égard, la politique du Gouvernement en matière d'éloignement des étrangers en situation irrégulière auteurs de troubles à l'ordre public commence à porter ses fruits. Ces dernières années, les mesures d'expulsion sont devenues plus nombreuses et elles sont de mieux en mieux exécutées. Depuis janvier 2022, par exemple, nous avons pu observer une nette reprise des éloignements, qui ont augmenté de 20 % ; près de 15 000 sorties du territoire ont ainsi été exécutées. Il faut continuer.
Le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin a déjà instauré un plan de renforcement des capacités de rétention administrative qui doit permettre, d'ici à la fin 2023, d'augmenter d'un tiers par rapport à 2017 le nombre de places disponibles. Il a également demandé le renforcement de l'utilisation du nombre d'assignations à résidence.
En amont, nous devons renforcer, car il s'agit d'un objectif du Président de la République, notre lutte contre les facteurs qui facilitent l'immigration irrégulière. Parmi ceux-ci, on compte non seulement les réseaux de passeurs et de marchands de sommeil, mais aussi la possibilité d'acquérir le statut d'auto-entrepreneur et de travailler pour des plateformes collaboratives sans titre de séjour. Madame la secrétaire d'État, dans le projet de loi pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration, quelles mesures envisagez-vous pour renforcer cette politique de fermeté ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
D'abord, vous le savez, le Gouvernement partage votre souci de maintenir un équilibre entre une amélioration de l'accueil et de l'intégration de ceux que nous avons choisi de garder sur notre territoire et une plus grande fermeté envers ceux qui n'y ont pas leur place et qui ne respectent pas les règles de la République. Toutes les réponses à vos questions se trouvent dans le projet de loi que vous aurez la joie d'examiner dans quelques semaines.
Vous m'interrogez plus particulièrement sur l'éloignement des étrangers en situation irrégulière qui troublent l'ordre public.
Je veux d'abord souligner l'action volontaire et efficace du Gouvernement en matière de reconduite des étrangers en situation irrégulière. Depuis 2017, l'efficacité de la politique d'éloignement s'améliore, en raison notamment des évolutions autorisées par la loi du 10 septembre 2018. Celle-ci a permis d'allonger la durée de rétention administrative à vingt-quatre heures et la durée de rétention à quatre-vingt-dix jours. Par ailleurs après deux années, 2020 et 2021, marquées par les restrictions sanitaires, le nombre d'éloignements a de nouveau progressé de 20 % en 2022. Contrairement à ce que les oppositions laissent entendre, je note que nous faisons mieux que nos voisins européens en la matière. Au sein de l'Union européenne, la France est le pays qui éloigne le plus ; elle se place, à cet égard, devant l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie.
Vous m'interrogez sur les causes de l'immigration irrégulière et sur les réponses que nous comptons y apporter. Comme je l'ai dit, la première de ces réponses réside dans la lutte contre les passeurs. La deuxième – vous l'avez évoquée – consiste dans la lutte contre le travail illégal. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a déjà renforcé les sanctions en matière de lutte contre le travail illégal. Nous comptons aller encore plus loin avec notre projet de loi qui prévoit le renforcement des sanctions pour l'employeur, notamment une augmentation significative du montant des amendes administratives.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le député, ce texte contient des solutions concrètes pour lutter contre celles et ceux qui souhaiteraient, sur le territoire national ou dans nos eaux, profiter honteusement de la misère humaine pour s'enrichir et nourrir l'immigration illégale.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Nous débattons des échecs de la politique migratoire dans notre pays. Ce pluriel semble indiquer que les responsabilités de ceux-ci sont partagées.
Néanmoins, à rebours de cette assertion, l'activité d'éloignement a augmenté, sous votre autorité, de plus de 15 % par rapport à 2021 : environ 20 000 sorties de territoire ont été comptabilisées l'an passé. Le rythme des éloignements a retrouvé des niveaux proches de ceux de 2019, avant la crise du covid. De fait, madame la secrétaire d'État, la concentration de vos efforts sur les étrangers qui troublent l'ordre public produit des effets très nets : 3 615 étrangers délinquants ont été éloignés en 2022 contre 1 834 en 2021.
Ces résultats confortent la stratégie adoptée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer depuis l'été 2022 consistant à placer en priorité en centre de rétention administrative les étrangers troublant l'ordre public, qui y occupent 90 % des places. En six ans, la capacité de rétention en métropole a été accrue de plus de 30 %, passant de 1 500 places en 2017 à 2 500 places en 2023. Ce mouvement est appelé à se confirmer, puisque vous avez fixé un objectif de 3 000 places en 2027.
Ne devrait-on pas accélérer cette trajectoire, puisqu'il s'agit d'une priorité ?
Par ailleurs, vous avez publié en août dernier une instruction relative à l'assignation à résidence, qui permet de mieux caractériser la non-présentation des délinquants étrangers. Comment entendez-vous renforcer l'application de cette instruction ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Vous m'interrogez sur le placement prioritaire en centre de rétention administrative des étrangers troublant l'ordre public. Cette stratégie est essentielle : nul ne peut rester durablement sur notre sol s'il ne respecte pas les valeurs de la République. Depuis le plan de construction de places de centres de rétention administrative engagé dès 2017, 400 places supplémentaires y ont été ouvertes, ce qui représente une augmentation de 24 %. Entre 2018 et 2022, 100 millions d'euros ont été investis.
Bien sûr, il faut poursuivre nos efforts et continuer sur cette trajectoire, il faut même – vous l'avez dit – l'accélérer. C'est dans cette visée que la cible du nombre de places en centre de rétention administrative a été portée à 3 000 places à l'occasion du vote de la Lopmi pour 2023 à 2027, ce dont nous nous félicitons. Nous souhaitons en effet être plus fermes à l'encontre des étrangers troublant l'ordre public et nous l'assumons. Des ouvertures prochaines de places en centre de rétention administrative auront lieu : on créera douze places à Perpignan, quatre-vingt-dix à Olivet, près d'Orléans, et 140 places à Mérignac.
Le ministre de l'intérieur et des outre-mer a également demandé aux préfets d'identifier avec les élus les sites qui pourront accueillir de nouveaux CRA et des locaux de rétention administrative. Vous m'interrogez également sur l'instruction donnée en août dernier aux préfets par le ministre de l'intérieur et des outre-mer d'augmenter le recours à l'assignation à résidence. Elle est bien la traduction de la volonté du ministre de se montrer le plus ferme possible envers les étrangers ne respectant pas notre droit.
Pour renforcer son application, le ministre a enjoint les préfets en novembre dernier d'appliquer cette assignation à résidence à l'ensemble des étrangers sous OQTF pour atteindre une activité d'éloignement encore plus forte. Vous le voyez, monsieur le député, nous entendons bien accélérer cette trajectoire au cours du quinquennat.
Soixante-deux vies perdues : c'est le nouveau drame qu'a connu l'Europe dimanche 26 février. Ces vies s'ajoutent aux dizaines de milliers de morts en Méditerranée depuis 2015. La présidente de la Commission européenne a, en réponse, appelé à redoubler d'efforts concernant le pacte sur la migration et l'asile et sur le plan d'action pour la Méditerranée centrale, car cette réforme n'avance pas depuis 2018. L'échec des négociations pousse une partie de l'Europe à créer un nouveau rideau de fer avec la partie la plus orientale ; cela n'est pas tolérable et va à l'encontre des valeurs européennes.
Au cours de la législature précédente, la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale a rendu plusieurs travaux. En 2018, avec Christophe Naegelen, nous nous inquiétions du manque d'avancées sur la réforme de l'espace Schengen et sur la maîtrise des frontières extérieures de l'Union européenne, qui poussait des États membres à agir seuls et remettait donc en cause notre cadre collectif et solidaire. En 2019, avec la députée du groupe Socialistes et apparentés Marietta Karamanli, nous appelions, par un rapport d'information sur la réforme européenne du droit d'asile, à mener cette réforme de manière rapide, collective, solidaire et européenne afin de répondre aux besoins des pays de première entrée, ainsi que des pays de destination.
De nombreux sujets n'ont pas avancé, cependant on ne peut pas dire que l'Europe n'a pas avancé. En effet, sous l'impulsion de la France et de ses alliés, l'Union européenne a pu travailler sur le pacte européen migration et asile. Par exemple, à la suite de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE), l'Union européenne a adopté des orientations sur les règlements « filtrage » et Eurodac, ainsi qu'une déclaration commune sur la solidarité. Sous cette même présidence, un mécanisme de solidarité temporaire et volontaire a été validé : il concerne quatorze États qui s'engagent à procéder à 8 199 relocalisations, dont 3 000 vers la France et 3 500 vers l'Allemagne d'ici à juin 2023.
Enfin, les dernières décisions européennes concernent un plan d'action d'urgence instauré pour éviter des drames comme celui auquel a donné lieu l'accueil de l'Ocean Viking. En tant que corapporteur pour la commission des lois de l'Assemblée nationale d'une mission flash sur l'accueil de l'Ocean Viking à Toulon en novembre 2022, je tiens à féliciter la France pour son plan instauré en 2015 pour l'accueil exceptionnel de navires de sauvetage. On peut convenir que, sans la France, ces questions n'auraient pas avancé. Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous nous dire où en sont les négociations européennes et quel rôle joue la France à ce niveau ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
À un an exactement de la fin de la législature européenne, je peux vous assurer que les négociations continuent de progresser. L'adoption du pacte sur la migration et l'asile dans le temps qui nous reste est plus crédible que jamais. La présidence française du Conseil de l'Union européenne a été déterminante. Nous avons sorti les négociations de l'ornière et permis aux États de reprendre confiance dans ce processus. C'est ce qui a permis les résultats que vous avez rappelés : l'adoption d'orientations générales sur les règlements « filtrage » et Eurodac, ainsi que l'approbation par une majorité d'États membres du mécanisme de solidarité reposant à titre principal sur des relocalisations. J'ajoute que la PFUE a aussi intensifié et structuré le travail de l'Union européenne en matière migratoire avec les pays tiers.
Nos travaux ont été prolongés par la présidence tchèque puis par la présidence suédoise. La présidence tchèque a mené des discussions approfondies sur les principes de solidarité et les procédures d'asile. La présidence suédoise entre maintenant dans le vif des négociations. Son objectif est d'atteindre un accord du Conseil d'ici à la fin du mois de juin sur la réforme du règlement Dublin, y compris sur les dispositions touchant à la solidarité et aux procédures d'asile. Le Parlement européen devrait adopter plusieurs mandats de négociation très prochainement. Le trilogue sur Eurodac a déjà commencé.
Nous continuons d'insister pour que ces réformes permettent, comme vous le proposez dans votre rapport d'une grande qualité, de mieux contrôler la frontière extérieure, avec des procédures frontalières obligatoires, de mieux lutter contre les mouvements secondaires, avec des procédures de transfert Dublin facilitées et un principe de responsabilité réaffirmé, de tenir compte des situations de pression particulières en revoyant certaines règles de responsabilité et en prévoyant une solidarité adaptée à chaque situation. Les futures présidences espagnole et belge partagent le souhait de l'adoption du pacte d'ici à la fin de la législature. Les cinq présidences de 2022, 2023 et du premier semestre 2024 sont convenues de cet objectif avec le Parlement européen en septembre dernier. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer encouragera à poursuivre sur cette voie lors du prochain Conseil « Justice et affaires intérieures » qui se tiendra à Bruxelles les 9 et 10 mars.
Ces derniers jours, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a annoncé sa volonté d'aborder sans tabou le sujet ô combien délicat du durcissement des conditions du regroupement familial. À titre personnel, je m'en réjouis.
Je souhaiterais vous interroger sur un aspect de notre législation qui m'a beaucoup interpellé lorsque j'étais maire : le regroupement familial par le mariage. En effet, si la loi confortant le respect des principes de la République a modifié les dispositions sur le mariage figurant dans le code civil, en prévoyant notamment la conduite d'entretiens individuels et la saisie obligatoire du procureur en cas de doute sérieux quant à la légalité du mariage, à mon sens, le législateur est resté au milieu du gué.
En effet, il est toujours possible à une personne dont le titre de séjour est périmé, et qui se trouve donc en situation illégale sur notre territoire, de contracter un mariage avec un citoyen français. Cela est même plus aisé que de contracter un pacte civil de solidarité (pacs), lequel nécessite la présentation d'une pièce d'identité valide, qui n'est pas exigée pour le mariage. C'est pourtant bien le contrat de mariage, et non le pacs, qui ouvre la porte à la naturalisation. Même si l'absence d'une pièce d'identité en cours de validité pour l'un des époux n'est pas nécessairement synonyme de mariage arrangé ou simulé – pour obtenir un titre de séjour, par exemple –, cette différence me surprend.
Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous nous indiquer quelle politique le Gouvernement entend mener pour lutter contre les mariages simulés ou frauduleux ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Soyez assuré, monsieur le député, de l'examen le plus attentif de ces situations. En effet, lorsqu'elles sont signalées par les préfectures, elles font systématiquement l'objet de poursuites engagées par le procureur, au nom de notre volonté d'affirmer la plus grande fermeté face à ceux qui ne respectent pas les règles de la République.
Il est vrai que l'immigration familiale représente une part importante de l'immigration en France : en effet, 36 % des titres de séjour en cours de validité début 2022 – soit 1,2 million – avaient été attribués à ce titre. Je note néanmoins que cette part n'a progressé que de 4,5 % par rapport à 2021, alors même que l'immigration économique et l'immigration étudiante – immigrations choisies – ont respectivement augmenté de 44,9 % et 22,8 %. Nous assistons donc, pour la première fois, à une augmentation non de l'immigration familiale, mais de l'immigration choisie, qui traduit l'évolution de la politique migratoire menée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer.
L'immigration familiale se répartit en trois catégories : 20 000 titres par an sont délivrés dans le cadre de l'admission exceptionnelle au séjour, 12 000 à 14 000 titres dans le cadre du regroupement familial, et 4 000 à 5 000 personnes sont régularisées dans le cadre de la réunification familiale accordée aux familles de réfugiés et de bénéficiaires de la protection subsidiaire.
Vous déplorez que le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, ne comporte pas de dispositions relatives au regroupement familial, mais, comme le rappelle régulièrement Gérald Darmanin – et encore au cours des dernières heures –, ce texte a vocation à être enrichi lors de son examen par les deux chambres du Parlement, qui pourraient proposer d'encadrer davantage encore le regroupement familial en adoptant des restrictions de trois ordres.
Elles pourraient d'abord modifier les conditions de taille du logement, de revenus et de durée de la présence sur le territoire national qui doivent être remplies pour prétendre à l'immigration au titre du regroupement familial. Ce sont actuellement les maires qui en délivrent la preuve aux préfectures.
Ensuite, la conception de la famille dans le droit international en matière d'asile est large, et il nous semblerait pertinent que le Parlement entende la restreindre.
Enfin, le Gouvernement sera très sensible aux propositions du Parlement tendant à renforcer les exigences en matière de niveau linguistique et de respect des valeurs de la République des impétrants, comme l'ont fait d'autres pays européens ayant déjà adopté de telles dispositions. Je suis convaincue que les débats à venir permettront d'enrichir le dispositif français sur ce point.
Vous saluer, madame la secrétaire d'État, me donne l'occasion de regretter l'absence du ministre de l'intérieur et des outre-mer, M. Gérald Darmanin. Peut-être avait-il peur d'assumer son bilan devant la représentation nationale… Celui-ci est en effet bien triste, pour un ministre chargé de l'immigration et de la sécurité : les courbes de l'immigration et de l'insécurité s'envolent, suivant des trajectoires étonnamment parallèles. L'immigration massive et incontrôlée qui nous submerge génère le chaos social, culturel et, bien sûr, sécuritaire, dans notre pays.
Comment supporter que la France, qui laisse filer ses talents en exportant ses ingénieurs et chercheurs importe, au même moment, la délinquance et la violence ? Comment supporter que, dans notre pays, un Kosovar déjà condamné pour vol et agression sexuelle viole une étudiante de 20 ans ? Comment tolérer qu'un réfugié soudanais ne soit pas expulsé après avoir menacé de mort et agressé une jeune femme en plein cœur de Rouen ? Au-delà des faits divers, les chiffres sont réels – et terribles : en Île-de-France, 93 % des vols dans les transports et, plus largement, la moitié des actes de délinquance, sont commis par des étrangers. Alors qu'elles ne représentent que 7 % de la population en France, plus de 20 % des personnes incarcérées sont étrangères. Il existe donc bel et bien une surreprésentation des étrangers dans la délinquance et le crime en France.
Au vu de son bilan catastrophique, on se demande si M. Darmanin, censé être le ministre de l'intérieur – c'est-à-dire celui qui protège les Français à l'intérieur du territoire – n'est pas plutôt le ministre de l'extérieur – celui qui protège les autres, ceux qui arrivent sans aucun contrôle.
Ma question est simple, madame la secrétaire d'État : quand vous déciderez-vous enfin à agir – je dis bien agir, et non pas tweeter ? Quand contrôlerez-vous enfin les frontières nationales, pour empêcher les délinquants d'arriver ? Quand mènerez-vous enfin une politique efficace pour arrêter et emprisonner tous les délinquants étrangers ? Et quand vous déciderez-vous enfin à les expulser systématiquement après qu'ils ont purgé leur peine ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Je regrette que vous estimiez que le ministre, en déplacement en Nouvelle-Calédonie, est absent parce que le sujet manque d'importance à ses yeux.
Vous appelez mon attention sur les étrangers auteurs de crimes ou de délits. C'est un sujet que nous ne pouvons ignorer : comme l'a rappelé l'Insee dans une étude de décembre 2021, 18 % des personnes mises en cause par la police et la gendarmerie sont étrangères, alors qu'elles ne représentent que 7 % de la population. Admettre que les étrangers sont surreprésentés dans certaines catégories de délinquance n'est pas un biais idéologique : c'est seulement reconnaître la réalité telle qu'elle est, et c'est bien ainsi que nous concevons notre politique.
« Ah, c'est bien ! » sur plusieurs bancs du groupe RN.
Néanmoins, généraliser la situation en affirmant qu'il existe un lien consubstantiel entre l'immigration et la délinquance, comme vous l'avez fait, relève d'une forme de syllogisme.
M. Laurent Jacobelli s'exclame.
Si ! Or, plutôt que de céder à la facilité de raccourcis fort contestables, nous devons au contraire, comme je l'ai déjà dit au député Vincendet tout à l'heure, nous montrer fermes et intraitables envers les étrangers auteurs d'actes de délinquance, de crimes ou de délits et, plus largement, envers ceux qui ne respectent pas les valeurs de la République. Ils doivent prendre conscience que, par leurs actions, ils bafouent la tradition d'accueil dont la République s'honore. L'éloignement des étrangers qui se rendent coupables de troubles à l'ordre public est donc une priorité absolue du ministre de l'intérieur et des outre-mer.
C'est pourquoi, depuis octobre 2020, 2 500 titres de séjour ont été retirés à leurs bénéficiaires coupables de troubles à l'ordre public, 90 000 refus de délivrance ou de renouvellement de titre ont été prononcées pour ce motif, et 3 615 étrangers en situation irrégulière expulsés en 2022…
…soit le double de 2021, où ils étaient seulement 1 834.
Le projet de loi dont vous débattrez dans quelques semaines traduit cette même ambition de fermeté, puisqu'il assouplit les conditions d'expulsion en levant les protections existantes : en effet, aujourd'hui, un étranger violeur multirécidiviste ne peut être éloigné vers son pays d'origine s'il est présent en France depuis l'âge de 13 ans. J'espère donc que vous voterez ce projet de loi.
À l'heure où les Français payent toujours plus d'impôts et de taxes avec le sentiment que l'État est toujours moins performant, les dépenses en matière de politique migratoire sont en constante augmentation, bien que deux tiers des Français estiment qu'il y a trop d'immigration.
Aujourd'hui, 10 milliards d'euros financent chaque année les prestations sociales versées aux étrangers – c'est précisément le montant auquel vous avez évalué le déficit de nos caisses de retraite. À ces prestations s'ajoutent, entre autres, l'aide médicale de l'État (AME), la prise en charge des mineurs clandestins non accompagnés et les frais de sécurité.
Mme Ersilia Soudais s'exclame.
Pas moins de 7,1 milliards d'euros ont été attribués à votre ministère pour 2023 au titre de la mission "Immigration, asile et intégration" . Alors, comme des millions de Français, nous voulons savoir ce que vous faites, avec ce budget, pour limiter l'immigration : nous voulons savoir où passe notre argent. Car, dans les faits, nous constatons toujours plus d'immigration, notamment irrégulière, et toujours moins de résultats en matière de lutte contre ce phénomène.
Le rapport de la commission des finances du Sénat sur les crédits de la mission "Immigration, asile et intégration" pour 2023 nous révèle que seuls 8,4 % de son budget est dédié à la lutte contre l'immigration illégale. Disons-le aux Français : plus de 90 % des 7 milliards accordés chaque année à Gérald Darmanin au titre de la politique migratoire sont dédiés à l'asile et à l'intégration, et financent donc des mesures favorisant l'immigration ; seuls 8 % financent effectivement la lutte contre l'immigration illégale. Le rapport du Sénat est clair : « Ces chiffres portent une atteinte grave à la crédibilité du discours du Gouvernement en la matière. » Les fonds dédiés à votre ministère pour gérer l'immigration sont très importants : comment comptez-vous les réorienter afin de doter le pays d'une politique de lutte contre l'immigration illégale efficace ? Quelles économies sur les politiques favorisant l'immigration comptez-vous opérer pour y parvenir ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Contrairement à ce que vous avez affirmé, monsieur le député, le budget dédié à l'immigration et à l'intégration n'est pas de 10 milliards d'euros, mais atteignait seulement 6,6 milliards d'euros en 2021.
Dix-neuf programmes, répartis au sein de treize missions différentes du budget général de l'État, participent actuellement à cette politique. Le budget finance donc à la fois les dépenses engagées directement au titre de la politique publique d'immigration, d'asile et d'intégration des primo-arrivants, comme le coût des forces de sécurité affectées à la lutte contre l'immigration irrégulière – qui nous tient autant à cœur que vous –, mais aussi les dépenses engagées par le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, ou encore le ministère de la santé et de la prévention s'agissant de l'octroi de l'AME – j'y reviendrai.
Selon une étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de 2021, qui portait sur vingt-cinq pays, entre 2006 et 2018, la contribution des immigrés sous la forme d'impôts et de cotisations avait en moyenne été supérieure aux dépenses publiques consacrées à leur protection sociale, à leur santé et leur éducation.
Toutefois, le taux de chômage des immigrés en France s'élève à 13 %, contre seulement 7,5 % pour les personnes nées en France. C'est pour cette raison que nous proposons de renforcer l'intégration des étrangers par le travail, en particulier en demandant à leurs employeurs de contribuer davantage à leur apprentissage du français.
Par ailleurs, le ministère de la santé et de la prévention préparant l'application des dispositions relatives à l'AME adoptées dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, nous avons choisi de ne pas aborder ce sujet dans le projet de loi. Nous sommes pleinement conscients de l'augmentation du nombre de bénéficiaires de l'AME, mais faut-il réduire les droits des personnes présentes sur notre territoire, au risque que davantage se présentent directement aux urgences parce qu'elles n'ont pas pu être soignées en amont, ou au contraire réduire le nombre de personnes en situation irrégulière, qui sont les seules bénéficiaires de cette aide ?
Avec le projet de loi auquel nous travaillons, nous avons choisi cette dernière option.
En octobre 2019, le président Macron déclarait au sujet des clandestins et des OQTF : « Mon objectif, c'est de sortir tous les gens qui n'ont rien à faire là. » Au journaliste qui lui demandait combien exactement, il avait précisé : 100 %.
En 2021, le ministre Darmanin réaffirmait que cet objectif pouvait – et serait – atteint. En novembre dernier encore, alors que les Français étaient sous le coup de l'émotion du meurtre de la jeune Lola, il déclarait à nouveau : « Nous avons un travail à faire pour rendre impossible la vie des OQTF en France. » Des promesses, encore des promesses, toujours des promesses : vous n'avouez jamais que l'exécution des OQTF connaît de lourds dysfonctionnements, et que les Français sont trop souvent victimes de votre inaction en la matière. En effet, le taux d'exécution des OQTF est passé de 22 % en 2012 – ce qui n'était déjà pas brillant – à un taux piteux de 5,7 % en 2021. Les présidents Sarkozy et Hollande ont échoué ; le président Macron, désormais dans son deuxième mandat, prend le même chemin.
Madame la secrétaire d'État, il faut modifier la législation : un étranger tenu de quitter le territoire doit aller dans un centre de rétention. La France, où ceux-ci ne disposent en tout que de 1 600 places, soit moins de 5 % des capacités européennes, pour plusieurs centaines de milliers de clandestins, doit se donner les moyens de cette mesure. Or le projet de loi consacré à l'immigration ne va pas du tout dans ce sens : rien n'y tend à garantir que les OQTF soient plus souvent exécutées. Pire, l'article 12 aurait même pour effet de restreindre les possibilités de placement en CRA.
Par ailleurs, les révérences d'Emmanuel Macron, de la Première ministre et des quinze autres membres du Gouvernement à avoir fait le déplacement ne vont pas améliorer nos relations avec l'Algérie : il serait temps d'opposer la plus grande fermeté au chantage permanent et de geler l'octroi de dizaines de milliers de visas. Alors qu'approche le terme des dix ans de mandat de M. Macron, ses promesses et celles de M. Darmanin seront-elles enfin tenues, quand et avec quels moyens ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
La réponse est oui, monsieur le député : ces promesses seront tenues. Vous m'interrogez également au sujet du taux d'exécution des OQTF, qui non seulement cristallise beaucoup de tensions, mais donne lieu à beaucoup d'approximations ; avant toute chose, je précise donc que l'on appelle taux d'éloignement la proportion des OQTF prononcées qui sont exécutées. Nous entendons souvent dire que ce taux serait plus élevé chez nos voisins allemands :…
…c'est vrai, mais en Allemagne, l'OQTF est prononcée au moment même de l'éloignement. En France, elle fait suite au constat d'une situation irrégulière ; son exécution constitue une étape distincte, ultérieure. Cela explique l'écart : ne comparons que ce qui est comparable !
Il existerait certes une solution afin d'accroître le taux d'éloignement : cesser de délivrer systématiquement une OQTF à la suite du rejet d'une demande d'asile ou de titre de séjour. Je m'empresse de vous rassurer : le Gouvernement n'a nullement l'intention de recourir à une telle mesure, d'autant que l'efficacité de la politique d'éloignement va croissant, entre autres grâce aux effets de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, qui a notamment porté à vingt-quatre heures la durée de la rétention administrative et à quatre-vingt-dix jours celle de la rétention.
Le fait est, monsieur le député, que le nombre d'éloignements forcés progresse. En 2019, il avait augmenté de 54 % par rapport au précédent quinquennat ; après les années 2020 et 2021 marquées par les restrictions sanitaires, il a connu en 2022 une nouvelle hausse de 15 %, bien que les postures diplomatiques de certains pays prioritaires limitent encore très nettement notre action. Du reste, la France a procédé en 2021 à 11 630 éloignements, contre 10 700 pour l'Allemagne, 3 200 pour l'Espagne et 975 pour l'Italie : vous m'accorderez qu'en dernier ressort, ce ne sont pas les taux qui importent, mais les valeurs absolues !
…se rapprochant du niveau antérieur à la pandémie : 156 000 ont été effectuées, soit près de 6 000 de plus qu'en 2019. Avec 22 570 demandes, l'Afghanistan reste, comme en 2021, le principal pays d'origine des intéressés ; suivent le Bangladesh, la Turquie, la Géorgie et la République démocratique du Congo. Sans doute ces chiffres vertigineux expliquent-ils l'absence de M. Darmanin, peu soucieux d'assumer face à la représentation nationale son bilan catastrophique en matière d'immigration !
À Paris, en 2020, plus de 40 % des vols à la tire, 30 % des vols avec violence et 30 % des cambriolages étaient le fait de mineurs non accompagnés. Entre 2016 et 2020, la part prise aux faits de violence par ces jeunes en errance a augmenté de 407 % dans l'agglomération parisienne ; ils représentent désormais près de 75 % des mineurs déférés au parquet de la capitale, et leur délinquance a gangrené le pays tout entier ! En outre, il s'agit souvent de faux mineurs ,
Mme Ersilia Soudais s'exclame
se faisant passer pour tels afin d'échapper aux sanctions pénales et à une OQTF. Le ministère reste aveugle à cette réalité.
Madame la secrétaire d'État, cette surreprésentation des étrangers parmi les délinquants et criminels impose une révision de la politique migratoire ! Compte tenu de l'augmentation continue de l'insécurité liée aux mineurs non accompagnés et à leur présence de plus en plus importante sur le territoire français, quelles mesures comptez-vous prendre face à ce qui ne relève pas d'un sentiment d'insécurité, mais reflète la réalité quotidienne de nos compatriotes ?
Mme Andrée Taurinya s'exclame. – Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Vous m'interrogez au sujet des mineurs non accompagnés : le Gouvernement est bien sûr très sensible à ce sujet complexe qui mobilise plusieurs départements ministériels, en premier lieu la Chancellerie, mais concerne également les instances locales, à commencer par les conseils départementaux.
Ces mineurs ne sont pas soumis au droit du séjour. Lors de leur accession à la majorité, le droit en vigueur prévoit deux solutions, selon que l'aide sociale à l'enfance les a pris en charge à 16 ans au plus tard ou entre 16 et 18 ans : dans le premier cas, la délivrance de plein droit d'un titre de séjour ; dans le second, une voie exceptionnelle d'admission au séjour s'ils justifient de six mois de formation professionnelle dans les conditions que détaille le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Une circulaire du ministre de l'intérieur en date du 21 septembre 2020 prévoit l'examen anticipé de ce droit au séjour, en vue d'éviter les situations de rupture du droit. Les difficultés rencontrées lors de l'examen des dossiers ont surtout trait à l'authentification des justificatifs d'état civil et de nationalité ; seules 7 % des demandes sont rejetées, le plus souvent pour fraude à l'état civil.
Contrairement à vous, semble-t-il, j'opère une distinction entre vrais mineurs inscrits dans un parcours d'insertion, d'intégration, par les études et le travail, et prétendus mineurs qui se signalent par une délinquance violente, la seule réponse possible à cette dernière étant la sévérité de la justice et le retour des auteurs dans leur pays d'origine.
La France est un pays d'immigration et d'émigration, comme d'autres – plutôt moins que d'autres, car tandis que 2,5 millions de Français vivent à l'étranger, nous nous situons, en matière d'immigration, au soixante-dix-septième rang mondial. Par conséquent, s'il faut déplorer un échec de la politique migratoire, celui-ci réside dans l'amalgame entre insécurité et immigration, ainsi que dans le tri opéré entre les immigrants considérés comme des travailleurs utiles et ceux qui vous paraissent indésirables.
« Indésirables, exactement ! » sur les bancs du groupe RN.
Les discours dangereux qui nourrissent le mythe d'une immigration massive et incontrôlée vers les pays du Nord cautionnent le délitement des droits fondamentaux des étrangers. La Cimade a récemment dénoncé la multiplication des éloignements de demandeurs d'asile, l'absence de prise en compte des problèmes de santé, notamment psychiatriques, et le recours croissant à l'isolement pour une durée indéterminée.
À la suite de son retrait des CRA du Mesnil-Amelot, la Défenseure des droits, s'étant saisie d'office, rappelle que « toute personne, quelle que soit sa situation au regard du droit au séjour, doit voir pleinement garantis ses droits les plus fondamentaux, notamment le droit au recours effectif, le droit de mener une vie privée et familiale normale, d'accéder à des soins appropriés et de ne pas subir de traitements inhumains ou dégradants ».
Ce que vous souhaitez, c'est une régularisation massive !
M. Darmanin a fait savoir que l'accueil des réfugiés ukrainiens avait déjà coûté à la France un demi-milliard d'euros : vous oubliez ce qu'ils apportent et apporteront à notre pays. C'est l'honneur de celui-ci que d'avoir accueilli les Ukrainiens fuyant les bombes, son déshonneur qu'il n'en aille pas de même pour ceux et qui fuient d'autres guerres ou une crise économique, écologique, politique majeure. Expulser ces réfugiés est aussi illusoire qu'inhumain : ceux qui vivent l'horreur continueront de chercher à y échapper, coûte que coûte. Ne serait-il pas temps de changer de cap, de consacrer les moyens nécessaires pour les recevoir fraternellement, comme nous avons su le faire lorsqu'ils venaient d'Ukraine, et de fermer enfin les lieux d'indignité que sont les CRA ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Comme vous le savez, le texte du Gouvernement est bel et bien axé sur un meilleur accueil et une meilleure intégration des immigrés ayant vocation à rester sur le territoire national. Cela n'exclut pas certaines exigences à leur égard, et nous entendons renforcer celle qui concerne le respect des valeurs de la République. L'objectif d'intégration sera ainsi garanti par une obligation d'apprentissage du français. Ce projet de loi tend à un équilibre : par la langue, par le travail, nous avons vocation, je le répète, à mieux intégrer les arrivants, mais il convient de faire preuve au besoin de la plus grande fermeté. Vous auriez d'ailleurs tout intérêt à nous soutenir sur ce point, car il touche à l'honneur de beaucoup d'étrangers vivant en France, lesquels ont honte de se voir assimilés à ceux d'entre eux qui ne respectent pas les valeurs républicaines !
Murmures sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Encore une fois, il importe de pouvoir accueillir dignement les personnes que nous avons décidé, choisi d'admettre sur notre sol, et de ne laisser aucune place à celles qui enfreignent nos règles.
Madame la secrétaire d'État, les travailleurs sans papiers ne cessent de revendiquer leurs droits à une régularisation générale. Les affaires se suivent et se ressemblent : en janvier, le groupe La Poste était mis en cause pour avoir, au sein de son entreprise de livraison Stuart, embauché illégalement, y compris des clandestins ; dernièrement, l'inspection du travail révélait la présence de nombreux sans-papiers sur les chantiers des Jeux olympiques de Paris. Ne nécessitant pas de cotisations, et sous-payés, ces travailleurs constituent souvent une aubaine pour les employeurs ; exploités, dénués de toute protection sociale, ils exercent les métiers les plus pénibles, les plus dangereux, effectuent des milliers d'heures supplémentaires non rémunérées, en risquant l'expulsion à chaque instant. Leurs conditions de vie sont alarmantes : 118 résidents des foyers de travailleurs migrants de Boulogne-Billancourt se retrouvent ainsi menacés d'expulsion pour avoir fait la grève des loyers afin de dénoncer l'insalubrité de leur logement. De telles situations sont inhumaines et inacceptables !
Votre énième projet de loi consacré à l'immigration prévoit un titre de séjour d'un an pour les intéressés exerçant un métier en tension : cette mesure révèle que vous les considérez comme une main-d'œuvre d'appoint, corvéable à merci aussi longtemps qu'elle peut être utile au marché, congédiable aussitôt que ce n'est plus le cas. Telle n'est pas notre vision de l'humanité.
En vertu des règles que vous imposez depuis des années, les immigrés devront encore et toujours trouver un travail en vue d'obtenir des papiers, sans pouvoir travailler légalement tant qu'ils ne les ont pas. On se croirait dans Les Douze Travaux d'Astérix !
Mes questions seront donc simples : quand régulariserez-vous ces travailleurs, sans distinction ? Quand leur permettrez-vous d'avoir droit à la protection sociale, au salaire minimum, à l'hébergement ? Quand reviendrez-vous au standard de la carte de séjour de dix ans renouvelable ? Quand les accueillerez-vous dignement ?
« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Tout d'abord, comme vous l'avez rappelé, l'intégration des étrangers par le travail est une composante majeure de notre projet de loi. Le taux de chômage des immigrés s'élève aujourd'hui à 14,6 %, contre 8,3 % pour les personnes nées en France ; l'écart atteint même 15 points si l'on ne considère de part et d'autre que les femmes. Il convient de renforcer cette intégration en permettant à certains demandeurs d'asile de travailler plus rapidement, comme nous l'avons fait pour les déplacés d'Ukraine, lorsqu'ils ont de grandes chances d'obtenir en France une protection internationale.
Les travailleurs étrangers peuvent être régularisés en vertu de la circulaire dite Valls du 28 novembre 2012, mais cette mesure dépend du bon vouloir de l'employeur ; c'est pourquoi nous souhaitons également créer une voie spécifique d'accès au séjour pour les étrangers résidant sur le territoire national et qui participent à la vitalité de l'économie française ou exercent des métiers en tension – par exemple dans les secteurs de l'hôtellerie, de la restauration, du bâtiment, du nettoyage et du soin. Par ailleurs, vous avez fait allusion à la nécessité de sanctionner les employeurs indélicats : l'article 8 du projet de loi prévoit une amende allant jusqu'à 4 000 euros par travailleur en situation irrégulière, prononcée par le préfet de département et pouvant s'ajouter aux sanctions pénales et administratives existantes, soit jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende par employé concerné.
Par neuf fois, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France pour sa politique en matière de rétention administrative des mineurs. La neuvième condamnation pointait « un traitement inhumain et dégradant » réservé à un enfant géorgien de 8 ans, accompagné de ses parents. La huitième concernait un nourrisson de 4 mois et sa mère, placés dans un centre inadapté pendant onze jours. Ces rétentions, jugées inhumaines, sont malgré tout possibles dans la patrie des droits de l'homme – parce que la loi les permet.
Après ces condamnations à répétition, on aurait pu espérer des différents gouvernements un changement radical dans ce domaine, ne serait-ce que pour l'honneur des valeurs humanistes qui sont à la source de notre République. Hélas, rien n'a changé, tout a continué et même empiré. Après s'être entêtée dans une politique indigne et n'avoir pas réagi face aux multiples condamnations, la France fait aujourd'hui l'objet d'une enquête du comité des droits de l'enfant mandaté par l'ONU. On a vu cet hiver des mineurs non accompagnés tenter d'interpeller le Gouvernement : leur minorité est constamment remise en cause ici comme à Mayotte, où des mineurs sont interpellés, retenus puis expulsés sans avoir pu exercer le moindre recours juridique. Votre machine administrative s'emballe. En 2021, elle réussit même l'exploit d'expulser un mineur de 16 ans vers les Comores alors qu'il est français.
Quelle réponse envisager ? Le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, dont les associations redoutent déjà les conséquences négatives ? Ce projet de loi qui recevra la validation, après quelques arrangements pour le durcir encore, de la droite et de l'extrême droite ? Quelle réponse concrète pour en finir avec les conditions indignes de rétention ? Quelle réponse concrète pour laver l'honneur de notre pays, patrie des droits de l'homme ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Il est prévu qu'une réponse soit apportée aux faits que vous dénoncez : l'article 12 du projet de loi que vous aurez l'occasion d'examiner prévoit de mettre fin à la possibilité de placer des mineurs de moins de 16 ans en CRA. Le droit en vigueur interdit l'éloignement des mineurs, donc leur placement en rétention, alors même que le droit de l'Union européenne ne l'exclut pas. La rétention de familles accompagnées de mineurs n'est mise en œuvre qu'en dernier recours, lorsque l'exécution de l'éloignement est soumise à un risque de soustraction à la procédure dûment caractérisé, ou dans la limite de quarante-huit heures précédant le départ prévu.
Il est proposé d'interdire le placement en centre de rétention administratif de tout étranger mineur de moins de 16 ans. Les étrangers mineurs de 16 à 18 ans pourraient toujours être placés en rétention, dès lors qu'ils sont accompagnés d'un étranger majeur. Cette mesure ne découle pas d'une obligation internationale, je l'ai dit, la rétention des mineurs étant possible dans le droit européen. Le Gouvernement a souhaité traduire en droit national les apports des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme sur la rétention des mineurs que vous avez évoqués, madame la députée, en opérant une distinction entre les mineurs de moins de 16 ans et ceux âgés d'au moins 16 ans.
En guise d'introduction, je voudrais citer les propos de Dominique Reynié, directeur de la Fondation pour l'innovation politique : « En France, les personnes étrangères font l'objet d'un accueil incomparablement plus généreux que partout ailleurs, qu'il s'agisse des réfugiés, des demandeurs d'asile, des mineurs non accompagnés ou encore des étrangers en situation irrégulière. » En matière d'immigration, Emmanuel Macron parle de fermeté et appelle à durcir les règles, quand jamais la France n'a délivré autant de titres de séjour ni accueilli autant de demandeurs d'asile, et alors qu'elle expulse toujours aussi peu les illégaux qui se trouvent sur son sol. Lors de sa campagne électorale de 2022, Emmanuel Macron avait annoncé vouloir réduire de façon drastique le nombre de visas accordés aux Algériens, aux Marocains et aux Tunisiens, afin que leurs gouvernements respectifs délivrent davantage de laissez-passer consulaires. Un an plus tard, on nous annonce un retour à la normale. Vraiment ? Pendant ce temps, on apprend qu'Alger aurait décidé de suspendre la délivrance des laissez-passer consulaires pas plus tard qu'hier. Pourriez-vous, madame la secrétaire d'État, nous donner des chiffres sans vous contenter de citer les 22 % d'exécution des OQTF en 2022 que vous avancez régulièrement, mais qui ne nous disent rien de précis ?
Par ailleurs, qu'en est-il du coût de l'immigration en France, de l'aide médicale de l'État ouverte aux clandestins, de la protection universelle maladie (Puma), accordée aux candidats à l'asile politique mais aussi aux déboutés du droit d'asile lorsqu'ils restent sur le territoire français ?
Et que sait-on du coût des 30 000 titres de séjour pour soins, accordés chaque année à des patients qui bénéficient d'une prise en charge souvent complète dont rêveraient nombre de nos ressortissants ?
« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe RN.
Enfin, le Gouvernement va-t-il s'inspirer de politiques vertueuses comme celle adoptée par exemple par le Danemark, un pays que l'on peut difficilement classer à l'extrême droite ? « Le Danemark a en effet placé la barre très haut concernant l'accès à la nationalité », explique encore Dominique Reynié. « Chaque fois que vous avez une contravention, votre temps d'attente pour la naturalisation double. Si vous avez une condamnation à une peine de prison, c'est fini pour la vie. Au Danemark, la nationalité, ça se mérite. » Rien ne figure, dans l'actuel projet de loi, sur l'octroi de la nationalité, mais vous l'avez dit vous-même madame la secrétaire d'État : l'examen parlementaire sera l'occasion d'enrichir le texte. La balle est dans votre camp.
J'ai eu l'occasion d'aborder avec Dominique Reynié la question du Danemark et du modèle qui y prévaut. Il convient d'abord de souligner que c'est un gouvernement plutôt de gauche qui a mis en place des mesures très restrictives.
Il faut ensuite analyser point par point ces différentes mesures. Les règles applicables à la naturalisation et au droit du séjour sont tout à fait comparables à celles mises en place dans notre pays. Si celles qui régissent l'asile sont évidemment beaucoup plus strictes qu'en France, cela s'explique notamment par le statut particulier de ce pays au sein de l'Union européenne.
Il convient enfin de comparer ce qui est comparable. La situation de la France, qui est riveraine de la Méditerranée et possède un passé colonial, n'est évidemment pas similaire à celle du Danemark. Quoi qu'il en soit, le projet de loi que l'Assemblée a vocation à examiner dans les prochains jours proposera des restrictions plus importantes, ce qui va sans doute dans le sens que vous évoquez.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Débat sur le thème : « Politique du médicament et pénuries ».
La séance est levée.
La séance est levée à dix-neuf heures dix.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra