On trouve toutes ces femmes cassées par le boulot et dont les douleurs ne sont jamais reconnues comme des maladies professionnelles. Derrière les accidents du travail, on trouve de plus en plus de femmes : les accidents avec arrêt de travail ont augmenté de 28 % pour les femmes en quinze ans, quand ils ont diminué de 28 % pour les hommes, si bien qu'une aide à domicile est davantage exposée au risque d'accident qu'un travailleur du BTP (bâtiment et travaux publics).
Voilà comment on passe d'une prétendue réforme de progrès, de justice sociale à une réforme profondément sexiste. Au commencement, cet aveu terrible du ministre Riester : les femmes « sont un peu pénalisées » par la réforme, comme si les femmes n'étaient pas déjà pénalisées dans la société du fait d'être des femmes et, pire, comme s'il s'agissait d'une anecdote, d'un inconvénient à la marge, d'un ennui dont on peut s'accommoder. Cette réforme pénalise les femmes, donc la majorité de la population, et alors ? Que dites-vous si ce n'est : « après tout, ce ne sont que des femmes » ? Ce n'est pas grave si les femmes subissent des temps partiels, sont victimes de discrimination à l'embauche, ont des salaires 22 % inférieurs à ceux des hommes et des retraites 40 % inférieures, ce qu'aucun index n'a d'ailleurs jamais permis de résorber. Après tout, ce ne sont que des femmes. Pas grave non plus si l'écart de patrimoine entre les femmes et les hommes est passé en quinze ans de 9 % à 16 %. Pas grave si les femmes hétérosexuelles perçoivent en moyenne 32 % de moins que leur conjoint, si bien qu'elles doivent compter sur l'effet des pensions de réversion pour vivre à la retraite et choisir ainsi, à l'aube de leur vie, entre le mariage et la pauvreté. Après tout, ce ne sont que des femmes. Pas si grave de reconduire la division genrée du travail, avec des métiers occupés majoritairement par des femmes, moins valorisés, moins rémunérés malgré leur utilité sociale, au prétexte qu'il serait naturel pour elles de prendre soin des autres. Pas si grave que ces femmes le paient au prix fort au moment de leur retraite. Après tout, ce ne sont que des femmes.
Je vous entends déjà me dire : cette réforme ne peut pas résoudre les inégalités qui précèdent la retraite. Comme le disent les sociologues Céline Bessière et Sibylle Gollac, vous repoussez la ligne d'arrivée en faisant mine d'ignorer que la moitié des coureurs ont des semelles de plomb. Les inégalités que vous ne corrigez pas sont celles que vous perpétuez.