La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
La parole est à Mme Émilie Chandler, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Je présente devant vous la proposition de loi visant à créer le dispositif de protection des personnes victimes de violences conjugales, accessoire à l'ordonnance de protection. Hier, nous avons su dépasser les clivages partisans pour inscrire dans la Constitution le droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Nous avons gravé dans le marbre de la loi et dans l'histoire de la France la reconnaissance d'un droit auquel une femme peut recourir même si elle est, pour une raison ou pour une autre, en situation de vulnérabilité. Nous l'avons fait ensemble parce que le rôle du Parlement est aussi celui-là : rappeler que l'État doit d'abord et avant tout protéger les plus vulnérables et que le droit s'applique à tous. L'État protecteur est celui qui accompagne le départ, qui préserve les enfants, qui offre la possibilité à une personne de quitter son domicile sans risquer les coups de son conjoint, ces coups qui seraient les coups de trop.
Puisque la France est le premier pays à aller aussi loin dans la protection du droit des femmes, montrons encore une fois notre capacité à œuvrer ensemble pour une cause commune : la lutte contre les violences intrafamiliales. Demain, en nous réveillant, nous pourrons ainsi nous dire que c'est ensemble que nous avançons, dans l'intérêt des Françaises et des Français, partout sur le territoire, partout où l'État doit protéger, même dans le délicat cercle familial.
Je sais que M. le garde des sceaux y œuvre depuis son entrée en fonction. Je salue le travail d'Erwan Balanant, particulièrement investi dans la lutte contre les violences intrafamiliales, et de Cécile Untermaier, à l'origine d'une proposition de loi visant à renforcer l'ordonnance de protection, adoptée en première lecture à l'Assemblée en février 2023. Je tiens également à rendre hommage à toutes ces femmes et ces hommes qui œuvrent discrètement mais sûrement, comme Sarah Barukh, Ernestine Ronai, Ghada Hatem, Isabelle Rome, Marlène Schiappa et bien d'autres, hier, aujourd'hui et demain.
L'ordonnance de protection a été créée en France en 2010. Il s'agit d'une disposition de droit civil par laquelle le juge aux affaires familiales (JAF) peut prendre des mesures destinées à protéger une personne victime de violences commises par son conjoint ou ex-conjoint, notamment des interdictions de contact ou de paraître, mais aussi l'interdiction de détenir une arme. Depuis la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, le juge doit se prononcer en six jours à compter de la fixation de la date de l'audience, contre quarante jours auparavant. L'ordonnance de protection peut – c'est un point important – être prise même si aucune procédure pénale n'a été préalablement engagée.
Deux éléments doivent être réunis pour qu'elle soit délivrée : des violences vraisemblables commises sur la partie demanderesse et un danger vraisemblable auquel cette personne ou ses enfants seraient exposés.
Cette ordonnance est la première étape de la protection de la victime de violences conjugales. Comportant des mesures prises pour une durée maximale de six mois, elle protège la victime et lui donne l'espace et la sécurité nécessaire pour stabiliser sa situation juridique, financière et personnelle. Nous devons aller plus loin et nous le pouvons, en comblant ce vide de six jours entre le moment de la saisine du JAF et le prononcé de la décision – ces six jours durant lesquels l'auteur a connaissance de la date de l'audience et durant lesquels, si on ne protège pas la victime, il peut se présenter au domicile et donner des coups qui peuvent conduire à la mort. Les dossiers nous le montrent : de telles situations existent.
La lutte contre les violences entre partenaires, considérées il y a encore quelques années comme relevant du ressort de l'intime et du foyer conjugal, est devenue un véritable enjeu de politique publique, comme en témoigne la création du téléphone grave danger (TGD), du bracelet antirapprochement (BAR), de l'ordonnance de protection et du pack nouveau départ. Le Grenelle des violences conjugales organisé dès 2019, a favorisé la prise de conscience collective et s'est traduit par des avancées concrètes. Continuons ensemble.
Les violences au sein du foyer restent néanmoins prégnantes : en 2022, 244 000 victimes de violences commises par leur conjoint ou ex-conjoint ont été enregistrées par les services de sécurité. C'est un véritable fléau auquel nous ne devons jamais nous résigner.
La Première ministre Élisabeth Borne, consciente du chemin restant à parcourir, avait, en septembre 2022, chargé la sénatrice Dominique Vérien et moi-même de faire des propositions pour améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales. Plusieurs centaines d'auditions ont abouti à cinquante-neuf recommandations, qui forment le Plan rouge VIF – rouge pour le sang, VIF pour « violences intrafamiliales ». La présente proposition de loi vise à réaliser une de ces recommandations, à savoir la création d'une ordonnance de protection immédiate, outil mis à la disposition du juge pour lui permettre de mieux protéger les victimes.
L'article 1er tend ainsi à créer un nouveau dispositif, l'ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI), qui complète l'ordonnance de protection. L'objectif est de permettre au juge aux affaires familiales de prononcer des mesures de protection en urgence, dans les vingt-quatre heures après sa saisine. Le JAF se prononcera seulement sur les éléments présentés dans la requête : aucun élément avancé par la partie défenderesse ne sera examiné – il n'y a pas lieu à ce stade de parler d'« auteur » car il s'agit d'une procédure civile.
L'absence de contradictoire et le délai extrêmement court dans lequel le juge aux affaires familiales peut prononcer des mesures restrictives de liberté exigent un encadrement très strict du dispositif pour garantir l'équilibre entre la protection de la partie demanderesse et les atteintes aux libertés de la partie défenderesse. Ainsi, seul le procureur de la République sera en mesure de saisir le juge aux affaires familiales pour demander cette ordonnance provisoire. Il pourra le faire uniquement si une demande d'ordonnance de protection a été formulée – demande sur laquelle le juge doit se prononcer dans les six jours, comme je l'ai rappelé. L'ordonnance provisoire de protection immédiate n'est pas un dispositif autonome, mais une étape préalable à l'ordonnance de protection. Le monopole du procureur de la République, ainsi que l'obligation de déposer une ordonnance de protection pour obtenir une ordonnance provisoire, limitent les risques d'instrumentalisation de l'ordonnance provisoire de protection immédiate.
Autre garantie : les mesures prises dans le cadre de l'ordonnance provisoire seront limitées dans le temps. L'article 1er prévoyait, dans sa rédaction initiale, une borne maximale de six jours, que la commission des lois a supprimée. Il n'est pas question de revenir sur le délai de six jours dans lequel le juge aux affaires familiales doit se prononcer, mais de garantir la bonne articulation entre les deux dispositifs.
Les mesures susceptibles d'être ordonnées par le juge aux affaires familiales seront aussi limitées en nombre. Enfin, la délivrance d'une ordonnance provisoire de protection immédiate sera soumise à des exigences plus fortes que pour l'ordonnance de protection : en plus des violences vraisemblables, le juge devra estimer qu'il existe un danger grave et immédiat pour la victime.
L'article 2 prévoit une sanction en cas de violation des mesures prononcées. Enfin, l'article 3 permet l'application de ces dispositions en outre-mer.
La réussite de ce nouveau dispositif repose sur une coopération forte entre le parquet et le juge aux affaires familiales, qui devrait être facilitée par la création des pôles spécialisés au sein de chaque tribunal judiciaire et de chaque cour d'appel, disposition qui figure dans le rapport annexé à la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice du 20 novembre 2023 et qui est effective depuis le 1er janvier 2024. L'objectif est de protéger la personne en danger, en attendant que le juge aux affaires familiales puisse analyser la situation et prononcer des mesures de plus long terme dans le cadre de l'ordonnance de protection, et indépendamment de toute procédure judiciaire ou dépôt de plainte.
En plus de créer ce nouveau dispositif, l'article 1er modifie l'ordonnance de protection en portant à douze mois la durée des mesures susceptibles d'être prises par le juge aux affaires familiales, afin d'aligner la protection des personnes vivant en couple non marié et sans enfant sur celle des personnes mariées avec ou sans enfant.
J'ai pu constater, lors des auditions, la forte mobilisation du monde judiciaire sur ce sujet. Je salue l'investissement sans faille des magistrats, des avocats, mais aussi des associations et du garde des sceaux pour protéger les victimes de violences intrafamiliales, qu'elles soient majeures ou mineures, sans jamais avoir peur. Car la politique, c'est ça : ne jamais trembler, afin de progresser. Ensemble, donnons-nous les moyens de nos ambitions et construisons l'avenir de nos enfants sans violence à la maison. Personnellement, je crois en nous.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et SOC.
Mme Caroline Fiat applaudit
M. Erwan Balanant applaudit.
Effectivement, l'ambiance est festive : nous ne nous sommes pas encore remis du vote qui a eu lieu hier. Permettez-moi, alors que la soirée commence, de m'adresser à vous avec quelque familiarité : quelle semaine pour le droit des femmes ! Elle se prolonge avec cette proposition de loi qui vise à mieux lutter contre les violences faites aux femmes. Après le vote du Congrès hier et avant la cérémonie de scellement vendredi place Vendôme, nous sommes réunis ce soir pour débattre d'une nouvelle avancée majeure et novatrice : l'ordonnance de protection immédiate pour les femmes victimes de violences.
C'est déjà le second texte soumis à l'Assemblée sur la question des violences faites aux femmes depuis le début de l'année, après le vote à l'unanimité de la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille déposée par Hubert Ott pour mettre un terme à ce qui était une sorte de prime au crime conjugal. Toutefois, vous l'aurez compris, en la matière, l'urgence ne faiblit jamais.
C'est pourquoi, je le dis sans ambages, je soutiens pleinement la proposition de loi que nous examinons, défendue avec force, conviction et détermination par Émilie Chandler. Ce texte vise à renforcer encore la lutte contre les violences conjugales en allongeant la durée de l'ordonnance de protection et surtout en créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate. Issu des travaux que vous avez menés avec la sénatrice Dominique Vérien dans le cadre du rapport intitulé « Plan rouge VIF » – qui, à n'en pas douter, fera date en matière de lutte contre les violences faites aux femmes –, il constitue une nouvelle étape dans le renforcement des outils de protection à la disposition du juge civil, en amont de toute déclaration de culpabilité.
Après l'impulsion du Parlement et du Gouvernement, les juridictions se sont adaptées pour délivrer les ordonnances de protection en six jours seulement, contre quarante-deux jours en moyenne en 2017. Le taux d'acceptation dépasse désormais 70 %. En 2022, 3 586 ordonnances de protection ont été délivrées, contre 1 392 en 2017, soit une multiplication par deux.
Toutefois, la lutte contre les violences intrafamiliales ne doit pas connaître de répit ; c'est pourquoi il nous faut encore faire évoluer le dispositif, afin de permettre une intervention judiciaire immédiate dans les situations d'urgence. Le texte s'inscrit dans la droite ligne de l'action conduite par le Gouvernement et par mon ministère depuis plusieurs années en matière de lutte contre les violences intrafamiliales, notamment depuis le Grenelle des violences conjugales de l'automne 2019. L'année qui vient de s'écouler a été riche en réformes. Je pense, par exemple, au décret du 23 novembre 2023 instituant des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au sein de chaque tribunal judiciaire et cour d'appel, entré en vigueur le 1er janvier 2024. Ces pôles VIF reposent sur une équipe dédiée, constituée de magistrats référents et d'attachés de justice spécialement habilités.
Ces pôles – qui étaient aussi l'une de vos recommandations, madame la rapporteure – marquent une étape décisive dans l'adaptation de la justice à la lutte contre le fléau des violences intrafamiliales. Animés par un magistrat du siège et un magistrat du parquet, ils visent à faciliter la circulation de l'information entre les différents acteurs de la chaîne judiciaire concernés par les violences intrafamiliales, afin de leur permettre de prendre la décision la plus éclairée et la plus adaptée possible.
Mettre durablement un terme à la situation endémique des violences conjugales impose d'inscrire notre action dans le temps long. C'est le sens du nouveau plan interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027, qui a pour ambition d'amplifier l'action conduite les années précédentes et de poursuivre le déploiement des dispositifs de protection, comme les bracelets antirapprochement et les téléphones grave danger, qui ont récemment démontré, si besoin était, leur efficacité. Le plan a aussi fixé un objectif : améliorer tous les dispositifs qui existent déjà. C'est précisément ce que nous allons faire aujourd'hui.
D'abord, l'article 1er de la proposition de loi prévoit d'allonger la durée initiale des mesures qui peuvent être prises au titre de l'ordonnance de protection. En l'état du droit positif, ces mesures s'appliquent pendant au maximum six mois à compter de la notification de l'ordonnance. Leurs effets sont toutefois prolongés automatiquement en cas de demande en divorce ou de demande relative à l'exercice de l'autorité parentale. Dans ce cas, les effets de l'ordonnance de protection sont maintenus jusqu'à la décision rendue au fond.
L'article 1er vise à fixer à douze mois la durée initiale des effets des mesures prévues de protection, conformément à la proposition de loi visant à renforcer l'ordonnance de protection déposée par Cécile Untermaier – que je tiens à saluer chaleureusement – et adoptée l'année dernière en première lecture. Avant cela, sous une autre majorité, la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes avait porté à six mois la durée de l'ordonnance de protection, initialement fixée à quatre mois par la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.
L'allongement de la durée des effets de l'ordonnance de protection peut s'avérer opportun dans des situations très conflictuelles, susceptibles de ne pas être résolues dans le délai de six mois, ou encore lorsque la personne en danger ne peut pas bénéficier de protection parce qu'elle n'est pas mariée ou n'a pas d'enfant en commun avec l'auteur présumé des violences. Dans la recherche de l'équilibre entre la protection des femmes et l'atteinte aux libertés du conjoint potentiellement violent, il me semble proportionné de faire passer la durée de l'ordonnance de protection de six à douze mois. Je rappelle qu'il s'agit là d'un dispositif d'urgence, qui permet à un juge civil d'ordonner des mesures de nature quasi pénale et limitant les libertés du défendeur. Il est donc nécessaire de préserver le caractère provisoire de ces mesures pour assurer la constitutionnalité du dispositif.
Ensuite, la proposition de loi prévoit un dispositif totalement novateur : l'ordonnance provisoire de protection immédiate, qui permettra au juge aux affaires familiales, saisi par le procureur de la République avec l'accord de la personne en danger, de prononcer, sans contradictoire et dans un délai de vingt-quatre heures, des mesures de protection urgentes et provisoires. L'objectif est simple : protéger la personne en danger, dans l'attente de l'audience au fond sur l'ordonnance de protection qui devra avoir lieu dans un délai de six jours. Bien sûr, ce dispositif inédit est entouré de plusieurs garanties nécessaires pour assurer sa constitutionnalité. Elles ont été examinées et préservées par la commission des lois.
Première garantie : le ministère public est le seul à pouvoir solliciter la délivrance d'une ordonnance provisoire de protection immédiate. Il saisit le juge aux affaires familiales, avec l'accord de la personne en danger, qui demande l'ordonnance de protection. Il est indispensable de réserver au seul procureur de la République la possibilité de solliciter la délivrance de l'ordonnance provisoire de protection immédiate afin de limiter les risques d'instrumentalisation de la procédure, que le juge aux affaires familiales pourra difficilement identifier, puisqu'il rendra sa décision en urgence et sans aucun débat contradictoire.
Deuxième garantie : en l'absence de tout contradictoire et sans voie de recours possible, cette ordonnance provisoire, qui limite les libertés individuelles, doit obéir à des critères plus restrictifs que ceux prévus pour l'ordonnance de protection. Le danger auquel est exposée la personne doit ainsi être un danger grave et immédiat, et non plus simplement un danger actuel.
Troisième garantie : la liste des mesures que le juge aux affaires familiales pourra prononcer au titre de l'ordonnance provisoire est plus réduite que celle de l'ordonnance de protection. Ainsi ne pourra-t-il pas prononcer de mesures relatives à l'exercice de l'autorité parentale. Cette restriction se justifie par le fait que l'ordonnance provisoire est rendue dans une situation d'extrême urgence, dans l'attente de l'audience relative à l'ordonnance de protection.
Enfin, dernière garantie : l'ordonnance provisoire de protection immédiate est un dispositif accessoire à l'ordonnance de protection. La délivrance de la première ne peut être sollicitée indépendamment de la délivrance de la seconde, et ses effets prennent automatiquement fin une fois l'ordonnance de protection prononcée. Ce caractère accessoire permet d'assurer que les effets de l'ordonnance provisoire de protection immédiate seront limités dans le temps en l'absence de débat contradictoire ; le cas échéant, ils pourront se prolonger une fois le caractère contradictoire de la procédure rétabli.
Vous l'aurez compris, les équilibres qui vous sont soumis sont particulièrement fragiles, notamment en matière constitutionnelle. Il est de notre devoir de les préserver, afin de ne pas mettre en péril le dispositif lui-même. La notion de danger doit rester au cœur de l'office du juge ; nous devons lui faire confiance pour apprécier les violences vraisemblables, le danger vraisemblable et, désormais, le danger grave et immédiat.
Par cohérence, le dernier article de la proposition de loi vise à réprimer les manquements aux interdictions ou aux obligations imposées par l'ordonnance provisoire de protection immédiate.
Mesdames et messieurs les députés, mon engagement dans la lutte contre les violences intrafamiliales n'a jamais faibli et ne faiblira pas. Avec cette proposition de loi, nous avons l'occasion d'aller encore plus loin et de faire mieux, dans le respect des normes constitutionnelles qui protègent nos droits et libertés, au sein de notre État de droit. Faire mieux chaque jour, chaque semaine, à chaque instant, contre toutes les violences déjà subies, mais surtout contre toutes celles que l'on peut – que l'on doit – éviter ; faire toujours mieux, avec humilité mais avec une détermination implacable : telle est ma feuille de route en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.
Madame la rapporteure, grâce à votre proposition, nous avons ce soir l'occasion de faire mieux.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LR, Dem, SOC et HOR et sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Madame la rapporteure, je vous remercie pour la rédaction du rapport « Plan rouge VIF – Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales », qui a débouché sur cette insuffisante proposition de loi. Le récent rapport du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes sur l'état du sexisme en France nous alarme et devrait pousser le Président de la République à agir d'urgence pour la grande cause du quinquennat. Il nous enseigne qu'en dépit d'une sensibilité toujours plus grande aux inégalités depuis le mouvement #MeToo, les clichés et les stéréotypes sexistes perdurent, hélas. Parmi les hommes de 25 à 34 ans, près d'un quart estime qu'il faut parfois être violent pour se faire respecter ; 40 % des hommes trouvent normal que les femmes s'arrêtent de travailler pour s'occuper des enfants. Quant aux femmes, 80 % estiment être moins bien traitées que les hommes et 37 % déclarent avoir subi des rapports sexuels non consentis. À une écrasante majorité, les femmes et les hommes estiment ensemble que l'action des pouvoirs publics est insuffisante.
Monsieur le ministre, qu'attendez-vous pour faire quelque chose – pour faire mieux, pour reprendre votre expression ?
Et ce soir, qu'est-ce qu'on fait ?
La proposition de loi va dans le bon sens en créant un nouvel outil d'urgence pour protéger les victimes de violences sexistes et sexuelles (VSS) ainsi que les victimes de violences intrafamiliales. Elle reste toutefois anecdotique face à l'aggravation de toutes les violences. Deux problèmes majeurs se posent. D'abord, ce nouveau dispositif de protection est irréalisable dans l'état actuel du tissu judiciaire. Malgré les belles promesses, les tribunaux sont toujours en manque d'effectifs et complètement surchargés.
Pourquoi ne pas avoir voté le budget, alors ?
Dès lors, le délai de vingt-quatre heures laissé aux juges aux affaires familiales pour prononcer une ordonnance provisoire ne leur permettra pas de mener une instruction sérieuse, vous le savez bien.
De plus, la proposition de loi s'inscrit dans ce qui s'apparente à une fuite en avant sécuritaire du Gouvernement. Elle ne prend pas la mesure du problème et ne fait qu'ajouter un nouvel outil provisoire, sans s'insérer dans une politique publique plus large de prévention et d'accompagnement des victimes – mise à disposition d'hébergements d'urgence et de téléphones grave danger, éviction de l'auteur du domicile familial, accompagnements psychosociaux. Le texte vient ainsi pallier l'insuffisante réponse à un phénomène systémique que vous refusez d'observer.
L'allongement de la durée de l'ordonnance de protection, qui laisse aux victimes du temps pour prendre les dispositions matérielles ou juridiques nécessaires à leur protection, est une bonne mesure, mais il ne se suffit pas à lui-même : il doit être assorti d'un accompagnement des victimes jusqu'à la sortie effective et durable des violences – par exemple, grâce à l'accès à des soins physiques et psychiques intégralement pris en charge
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES
–, d'un accès à des avocats spécialisés, car les avocats commis d'office n'ont pas le temps d'accompagner les victimes et sont sous-rémunérés, et de la formation de tout le personnel de police et de gendarmerie.
De quels moyens la justice disposera-t-elle pour appliquer ces nouvelles mesures, sachant que les tribunaux sont surchargés, que les JAF n'ont pas de permanence et ne disposent guère que de dix minutes par dossier, que les audiences sont beaucoup trop tardives et que le recrutement des magistrats et des greffiers n'est pas à la hauteur ?
Alors que le Gouvernement n'a toujours pas débloqué le « budget historique » pour la justice ,…
Exclamations sur les bancs du groupe RE
C'est lunaire !
…le manque de greffières et greffiers, et de magistrates et magistrats, ne permettra pas aux tribunaux d'appliquer ces nouvelles mesures. Ce n'est vraiment pas sérieux.
La solution, vous l'aurez compris, reste l'accompagnement des victimes et la formation des professionnels, mais aussi, et surtout, la sensibilisation autour des violences dès le plus jeune âge.
Bla bla bla !
Il y a six ans et demi, le Président de la République avait promis aux associations de leur donner des moyens. Cette promesse n'est toujours pas tenue. Concrétisons-la, comme vous l'avez fait pour l'IVG, dont vous venez de parler.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Associations féministes, JAF, psychologues, avocats, syndicats de police, tous vous le disent : pour mener une politique publique ambitieuse contre les VSS et les VIF, et éradiquer ce fléau, 2,6 milliards d'euros sont nécessaires.
Sans nous bercer d'illusion sur sa capacité à améliorer réellement le sort des femmes victimes de violences, nous voterons malgré tout ce texte.
Alors c'est qu'il n'est pas si mal !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Je prends la parole à la place de la vice-présidente Moutchou, qui aurait dû être notre oratrice ce soir.
La lutte contre les violences conjugales est un combat permanent, toujours nécessaire, et qui nous réunit d'ailleurs régulièrement pour compléter les réponses à y apporter – preuve qu'il ne s'agit plus d'un sujet exclusivement militant, mais bien d'un fléau reconnu publiquement par le plus grand nombre. Toutes les mesures engagées depuis cette prise de conscience, il y a quelques années – je n'en ferai pas la liste –, ont produit des résultats, mais le combat n'est pas achevé : il se poursuivra aussi longtemps que des enfants, des femmes et des hommes seront menacés au sein de leur foyer ; et tout aussi longtemps, nous serons à leurs côtés.
C'est ce qui nous amène à nous réinterroger ce soir sur un mécanisme que nous connaissons bien : l'ordonnance de protection. Notre collègue Cécile Untermaier y a beaucoup travaillé, en déposant notamment un texte adopté à l'unanimité il y a un an.
Notre rapporteure s'est elle aussi saisie de cette cause, qu'elle défend avec sincérité : je la remercie de prendre cette question à cœur et je tiens à souligner son travail méticuleux et solide, qui a d'abord abouti à un rapport important écrit avec la sénatrice Dominique Vérien, puis à la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Je rappelle que l'ordonnance de protection est une décision prise par le juge dans les six jours suivant sa saisine, et qui prévoit des mesures de protection vis-à-vis du plaignant quand deux critères sont réunis – des violences sur la partie demanderesse ou ses enfants, et un danger pour eux, les deux devant être vraisemblables. Pour mieux répondre aux besoins, l'article 1er propose d'aller plus loin, en créant une ordonnance provisoire de protection immédiate, délivrée par le juge dans un délai de vingt-quatre heures, à l'issue d'un examen non contradictoire. La mesure est donc strictement encadrée – un caractère auquel le groupe Horizons et apparentés, soucieux de l'équilibre des droits de chacun, est très attaché.
À travers l'examen des amendements, notamment ceux déposés par Cécile Untermaier, nous aurons l'occasion d'engager des débats importants sur la manière d'écrire ces ordonnances – la nouvelle ordonnance provisoire comme l'ordonnance de protection classique. Par cohérence avec la position qu'il avait lui-même défendue par voie d'amendement à l'occasion de l'examen de la proposition de loi visant à renforcer l'ordonnance de protection – laquelle visait initialement à supprimer purement et simplement la notion de grave danger –, mon groupe ne sera pas opposé à la rédaction proposée dans l'amendement n° 11 , plus souple, qui vise à substituer le critère de violences vraisemblables exposant à un potentiel danger à ceux de violences vraisemblables et de danger grave et immédiat. En revanche, nous y serons opposés s'agissant de l'ordonnance de protection immédiate, une mesure beaucoup plus restrictive des libertés, prise dans un délai très court et sans contradictoire. Dans ces conditions, les éléments constitutifs ne sauraient être identiques pour les deux catégories d'ordonnances.
Enfin, j'appelle votre attention sur l'absence de durée d'application de l'ordonnance provisoire. Si le délai de six jours a été supprimé en commission pour une raison tout à fait légitime – éviter que le plaignant se retrouve sans protection entre la fin des mesures provisoires et la prise de l'ordonnance de protection dans le cas où un renvoi conduirait le juge à statuer en plus de six jours –, nous craignons que le dispositif en soit fragilisé.
En tout état de cause, le groupe Horizons et apparentés votera en faveur de ce texte, pour lequel nous vous remercions, madame la rapporteure.
Prenant peut-être le contre-pied de ce que nous faisons habituellement à cette tribune, je souhaite que mon intervention aujourd'hui ne soit pas seulement politique. Je commencerai par rappeler à toutes les victimes et à tous les témoins de ces violences quels sont les dispositifs à leur disposition.
Le 3919, tout d'abord, est une ligne d'écoute joignable vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept par toutes les victimes de violences. Anonyme et gratuit, l'appel au 3919, possible depuis un poste fixe ou un mobile, en métropole ou dans les départements d'outre-mer, ne figure pas sur les factures de téléphone. Le 08VICTIMES, ensuite, est un numéro dédié à toutes les victimes de violences autant qu'aux témoins de harcèlement, et joignable sept jours sur sept, de neuf heures à vingt et une heures. La plateforme « Mémo de vie », proposée par France Victimes, la fédération nationale d'aide aux victimes, qui regroupe 130 associations locales, réparties dans toutes les régions de France, est destinée aux victimes, aux témoins et aux professionnels. Elle assure l'information des victimes sur leurs droits, leur soutien psychologique et leur accompagnement social. Il est aussi possible d'y stocker des documents. Enfin, le site arretonslesviolences.gouv.fr oriente vers des numéros ou la plateforme permettant de signaler en ligne des violences conjugales, sexuelles ou sexistes.
Si je tenais à rappeler ces numéros et services, c'est parce que la lutte contre les violences conjugales et les violences intrafamiliales est un combat sociétal de chaque instant. Depuis 2017, nous avons pris la mesure de l'urgence de la situation, et, dans la lignée des gouvernements socialistes qui nous ont précédés, nous avons agi. Aux côtés de tous les dispositifs que je viens de citer, d'autres avancées concrètes nous permettent d'assurer une plus grande protection, une meilleure prise en charge et un meilleur suivi de l'ensemble des victimes – je pense ici au déploiement du bracelet antirapprochement et du téléphone grave danger, à la création d'une infraction d'outrage sexiste, ou encore à la suspension des droits de visite et d'hébergement de l'enfant dont la personne mise en examen est titulaire.
Comme je l'avais alors rappelé, lorsque nous avons examiné ce texte en commission, le 22 janvier, déjà neuf femmes étaient décédées sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint ; alors que nous sommes aujourd'hui seulement le 5 mars, il faut encore ajouter seize décès à cet effroyable décompte. Ne nous voilons pas la face : en la matière, tout n'est pas parfait, le chemin est encore long, et le combat doit continuer. Il nous reste beaucoup de travail et nous devons maintenir nos efforts – le garde des sceaux s'y emploie depuis sa nomination, mais les parlementaires aussi : c'est l'objectif de votre proposition de loi, madame la rapporteure. Soyez assurée que vous pourrez compter sur le groupe Démocrate pour agir à vos côtés.
Ce texte est la suite logique de la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, qui avait réduit à six jours le délai dans lequel les ordonnances de protection doivent être prises par le juge aux affaires familiales, contre vingt-cinq jours en moyenne auparavant.
Quarante-deux jours !
Quarante-deux – je me fie à vos chiffres, monsieur le ministre.
Déjà, à l'époque, j'avais insisté sur la nécessité d'agir encore plus vite et de prévoir une protection d'urgence. L'année dernière, la proposition de loi de notre collègue Cécile Untermaier nous a permis d'insister à nouveau sur la nécessité de développer encore davantage l'ordonnance de protection, de favoriser sa délivrance et d'allonger sa durée. Le plan rouge VIF, dont vous êtes l'une des auteurs, madame la rapporteure, a permis d'établir définitivement la nécessité d'une ordonnance provisoire de protection immédiate. Votre proposition de loi est le fruit de ces années de travail et nous nous réjouissons de la voir arriver enfin dans notre hémicycle.
Nos positions divergent cependant s'agissant du dispositif retenu. Si vous proposez que l'OPPI soit prise dans un délai de vingt-quatre heures par le juge aux affaires familiales saisi d'une demande d'ordonnance de protection, j'estime qu'il serait préférable d'aller plus loin encore en la laissant directement à la main du procureur de la République. Il s'agirait d'une sorte de référé pénal – une idée un peu nouvelle, disruptive : une fois l'OPPI prise par le procureur si ce dernier estime qu'il y a suffisamment d'éléments arguant du grave danger que court la victime, les juges disposeraient d'un délai pour prendre une décision après examen du fond.
Malgré cette divergence, le groupe Démocrate votera évidemment en faveur de ce texte qui va dans le bon sens.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, RE et HOR. – Mme Isabelle Santiago applaudit également.
Permettez-moi d'abord de m'associer au sentiment de concorde qui nous a habités hier dans le cadre du Congrès. L'inscription de l'IVG dans la Constitution est historique : nous sommes le premier État à le faire.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, RE et LFI – NUPES.
Réjouissons-nous aussi de discuter dès aujourd'hui du sujet qui nous occupe ce soir – un débat qui fait suite à l'excellent rapport rendu par notre éminente collègue Émilie Chandler.
Nous le savons, le constat est dramatique, et nous le partageons tous : quatre-vingt-quatorze femmes ont été tuées en 2023 – un nombre certes en diminution de 20 % par rapport à 2022, mais rappelons que cette année avait elle-même connu une augmentation de 15 % du nombre de victimes de violences conjugales par rapport à 2021. Près de la moitié de ces femmes avaient été victimes de violences antérieures de la part de leur compagnon, sans que le bloc police-justice n'ait pu agir – cela doit nous interroger. Sur 100 000 femmes victimes de violences se faisant chaque année connaître des services de sécurité en déposant au moins une main courante, seuls 19 000 auteurs de ces violences sont condamnés – un chiffre qui doit, lui aussi, nous interroger.
Les violences subies par les femmes constituent l'une des violations des droits humains les plus répandues dans le monde. Viols, féminicides, discriminations, nous rappellent hélas chaque jour la réalité de ce fléau. C'est dans le contexte de cette réalité discriminatoire que nous venons réformer une procédure judiciaire. Le souci de l'efficacité qui nous habite, et qui passe par l'évaluation, au cas par cas, de ces drames, doit guider nos travaux. Mais cela ne suffit pas – et le texte ne prétend d'ailleurs pas suffire : cette lutte doit s'inscrire dans une série d'actions nécessitant des crédits massifs, que vous avez largement commencé à mobiliser, et une compétence partagée.
Je ne reviendrai pas sur les mécanismes législatifs qui ont déjà été précisément décrits. L'allongement de six à douze mois de la durée maximale de l'ordonnance de protection, sans obligation de renouveler la procédure avec de nouvelles convocations au bout de six mois, est une mesure de bon sens, facilitatrice. Elle représente une possibilité, que le juge sera libre de saisir ou non, selon la situation.
En février 2023, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi que j'avais déposée, nous avions unanimement adopté un amendement visant à atténuer le critère du danger, tant son appréciation par le juge civil est délicate. À notre sens, le caractère vraisemblable des violences suffit à fonder une ordonnance de protection demandée au juge des affaires familiales. La ministre Aurore Bergé ne disait d'ailleurs par autre chose, cet après-midi, lors de la séance de questions au Gouvernement, en déclarant que « quand une femme parle, notre première intention est de dire une chose claire et simple : nous vous croyons. Nous vous croyons, et nous vous écoutons. »
Tous les juges que j'ai rencontrés et qui avaient déjà instauré des chambres spécialisées sur ces questions ont confirmé l'analyse du Comité national de l'ordonnance de protection (Cnop) : la notion de danger vraisemblable complexifie la décision à rendre par le juge, qui se refuse à opérer une hiérarchisation dans les violences en distinguant celles qui sont sources de danger de celles qui ne le sont pas. C'est une mission impossible que nous lui confions.
Les violences vraisemblables fondent l'ordonnance de protection demandée par la victime devant le juge. Rappelons qu'il est ici question d'une mesure de protection et non d'une décision de culpabilité. L'enquête vaste et sérieuse relative aux obstacles aux ordonnances de protection, menée par une magistrate et commandée par le Cnop pour nourrir notre réflexion, identifie cette difficulté et conclut à cette nécessité. La présidente du Comité, Ernestine Ronai, à qui l'on doit l'idée du téléphone grave danger, née au tribunal de Bobigny, doit être écoutée et l'amendement que nous avions voté à l'unanimité en février 2023 et qui avait d'ailleurs fait l'objet d'un travail avec le Gouvernement doit être adopté à nouveau, avec votre soutien, monsieur le ministre.
Enfin, la création d'une ordonnance provisoire de protection immédiate, délivrée sous vingt-quatre heures, est un outil pragmatique. Les procureurs prennent régulièrement des mesures de protection en mettant le conjoint violent à l'écart, par exemple dans le cadre d'une garde à vue. L'ordonnance de protection sous vingt-quatre heures, à la main du procureur et délivrée par le JAF, a tout son sens.
Au tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône, il manque des juges et les retards accumulés dans les affaires civiles sont considérables.
Les juges arrivent, mais vous n'avez pas voté le budget !
Il est difficile de voter le budget dans sa globalité, mais j'ai voté les crédits de la mission "Justice" .
« Ah ! » et sourires sur les bancs du groupe RE.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Le collectif Féminicides par compagnons ou ex dénombre 102 féminicides en 2023. Cette statistique de l'horreur poursuit sa course au fil des années avec son cortège macabre de victimes. Ces féminicides se sont accompagnés de la mort de dix-huit enfants et laissent derrière eux 121 orphelins, dont vingt-quatre ont été témoins de ces violences absolues. Autre statistique effroyable : le service statistique ministériel de la sécurité intérieure a dénombré plus de 244 000 victimes de violences conjugales en 2022. Et ce nombre pourrait être plus élevé encore, puisqu'il repose sur les faits enregistrés par les forces de l'ordre et ne prend pas en compte toutes les victimes emmurées dans le silence. En outre, d'après le rapport de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), 160 000 enfants sont victimes d'agressions sexuelles chaque année. Tous les cinq jours, un enfant meurt sous l'effet de violences dans son environnement familial.
Face au fléau des violences intrafamiliales, l'ordonnance de protection est une arme préventive efficace. Délivrée par le JAF, elle permet à la victime vraisemblable de violences conjugales d'obtenir une mesure de protection judiciaire pour elle et ses enfants. Au total, 5 792 ordonnances de protection ont été demandées en 2022 – un peu moins qu'en 2021, mais nettement plus qu'au cours de la décennie précédente.
Adoptée à l'initiative du groupe Les Républicains, la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a permis de renforcer le recours aux ordonnances de protection.
Elle dispose notamment que l'absence de dépôt de plainte pénale ne peut fonder un refus de délivrance et que la victime conserve la jouissance du logement commun, et prévoit la possibilité d'aménager le droit de visite du conjoint défendeur, le placement sous surveillance électronique du conjoint violent dès la délivrance de l'ordonnance de protection, ou encore l'information automatique du procureur de la République.
Surtout, face à l'urgence des situations, elle a fixé à six jours maximum le délai de délivrance d'une ordonnance de protection par le JAF. Ce délai est une avancée importante, mais insuffisante pour répondre pleinement à l'urgence des situations de violences conjugales. Aussi convient-il de prévoir l'existence d'une ordonnance de protection immédiate, temporaire, dans l'attente de la décision au fond sur l'ordonnance de protection. C'est ce que tend à faire, salutairement, cette proposition de loi en son article 1er , qui crée l'ordonnance provisoire de protection immédiate, délivrée en vingt-quatre heures par le JAF saisi par le procureur de la République.
Ce même article prévoit en outre d'allonger la durée initiale de l'ordonnance de protection de six à douze mois. La durée actuelle est effectivement insuffisante pour répondre à des contextes particulièrement conflictuels, qui nécessitent plus de six mois pour trouver des solutions.
Ces avancées indéniables doivent être unanimement soutenues, tant elles permettent de combler des failles dans notre dispositif de protection et constituent des avancées dans la lutte contre les violences conjugales. Le groupe Les Républicains votera donc en faveur de ce texte.
Pour autant, une importante marge de progression demeure. Si près de 5 800 ordonnances de protection ont été demandées en 2022 en France, près de 40 000 ont été sollicitées en 2018 en Espagne pour une population moins nombreuse. Un long chemin reste à parcourir pour rattraper nos voisins ibériques, qui ont réussi de façon exemplaire à lutter plus efficacement contre les violences conjugales, grâce à un fort volontarisme politique. Cette proposition de loi ne permettra pas de résoudre le problème du faible recours aux ordonnances de protection dans notre pays. Nous devons donc nous montrer particulièrement vigilants sur ce point et viser une amélioration du niveau de recours.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur quelques bancs du groupe RN. – M. Paul Molac applaudit également.
Nous discutons une nouvelle fois d'une modification du dispositif pourtant récent qu'est l'ordonnance de protection créée en 2010. La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à créer une ordonnance de protection immédiate favorisant l'intervention rapide d'un juge pour la protection des personnes victimes de violences intrafamiliales. C'est une nécessité. Ce texte va dans le bon sens et nous le soutiendrons.
Il présente toutefois des lacunes notables, rappelées par plusieurs de nos collègues. Nous regrettons toujours que la victime ne puisse pas solliciter elle-même l'ordonnance de protection immédiate – puisque seul le procureur de la République le peut – et que les conditions d'attribution de l'ordonnance de protection classique ne soient pas assouplies, le critère de danger restant difficile à apprécier et freinant la délivrance des ordonnances de protection.
Un rapport de la Cour des comptes publié en septembre 2023 met l'accent sur l'insuffisance des politiques publiques nationales de lutte contre les violences faites aux femmes. Il pointe notamment une « absence de politique globale continue et coordonnée ». En d'autres termes, il n'y a ni vision d'ensemble du problème, ni feuille de route claire : c'est là le meilleur résumé du bilan des deux mandats d'Emmanuel Macron. Symptôme de ce flou et de ce manque de vision, c'est aujourd'hui la quatrième fois, depuis 2017, que les dispositions relatives à l'ordonnance de protection sont modifiées ou en passe de l'être.
Impossible d'aborder ce texte sans porter un regard rétrospectif sur les politiques déployées pour prévenir plus globalement les violences, qu'elles soient intrafamiliales, sexuelles ou sexistes. Or, toujours selon ce récent rapport de la Cour des comptes, s'il faut bien reconnaître quelques avancées dans la lutte contre les violences conjugales, elles restent largement insuffisantes pour répondre à la réalité des faits. Le rapport pointe également un manque criant de lisibilité s'agissant des moyens alloués à la politique de lutte contre les violences faites aux femmes.
Un bilan est fait de chiffres, et celui d'Emmanuel Macron dans la lutte contre les violences conjugales – pour ne citer que celles-ci – au cours des sept dernières années parle de lui-même. Quel est-il ? En 2022, on recense plus de 244 000 victimes de violences conjugales, soit une hausse de 15 % par rapport à 2021. Depuis le début de l'année 2024 – pourtant encore courte –, plus de vingt femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint.
C'est la faute d'Emmanuel Macron ?
Je suis désolée que cela vous fasse râler, monsieur le ministre, mais les chiffres sont les chiffres.
En définitive, et d'après de nombreuses associations féministes, il est grand temps de définir une véritable feuille de route et d'adopter une loi-cadre prévoyant des moyens importants et adaptés pour lutter contre les violences faites aux femmes et les violences intrafamiliales.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES et LFI – NUPES.
Les associations le réclament depuis longtemps : il faudrait au minimum 1 milliard d'euros pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes. Ce serait la base d'une action de fond de nature à améliorer la prévention et l'accompagnement.
Vous n'avez pas voté le budget !
J'entends votre désaccord jusqu'à cette tribune, monsieur le ministre, mais je m'inquiète lorsque j'entends Bruno Le Maire annoncer de nouvelles coupes franches, alors qu'une légère hausse du budget de la justice vient seulement d'être décidée.
Ces coupes budgétaires nous priveront des marges de manœuvre nécessaires pour que notre pays soit enfin à la hauteur des ambitions affichées en matière de lutte contre les violences sexuelles, sexistes et intrafamiliales.
C'est lunaire !
Vous avez beau hurler depuis votre banc, monsieur le ministre, il faut des moyens pour lutter contre ces violences. Les victimes qui se multiplient chaque jour n'en finissent pas de souffrir de votre refus et de votre inaction.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES, LFI – NUPES et GDR – NUPES.
Vous n'avez pas voté la loi de programmation !
Nous sommes réunis aujourd'hui pour débattre de la proposition de loi visant à allonger la durée de l'ordonnance de protection et à créer l'ordonnance provisoire de protection immédiate. Il s'agit là d'une procédure singulière – un mélange de droit civil et de droit pénal – au cours de laquelle le juge civil statue sur la vraisemblance d'une infraction pénale, alors que l'accusé est encore présumé innocent, et prend des mesures attentatoires aux libertés : interdiction d'entrer en contact avec certaines personnes, de se rendre dans certains lieux, de détenir ou de porter une arme. Cette procédure, déjà rapide actuellement – la décision est rendue dans un délai maximum de six jours –, offre de réels moyens de protection.
Si nous envisageons de l'améliorer, c'est que la question des violences intrafamiliales se pose encore et que les dispositifs existants sont perfectibles. C'est aussi parce que l'ordonnance de protection est trop peu utilisée dans notre pays : trop peu de victimes, de femmes – puisque ce sont souvent elles qui font l'objet de violences conjugales – ont recours à l'ordonnance de protection ; trop peu d'ordonnances de protection sont délivrées lorsque cette procédure est déclenchée.
Cette proposition de loi vise donc à renforcer l'efficacité de l'ordonnance de protection, en en allongeant la durée – de six à douze mois – et en instituant des délais de délivrance extrêmement réduits : vingt-quatre heures pour l'ordonnance provisoire de protection immédiate.
Nous sommes bien sûr favorables à l'allongement de la durée de l'ordonnance de protection, d'autant plus nécessaire que les délais de jugement en matière pénale sont malheureusement de plus en plus longs. En six mois, dans la plupart des cas, l'accusé n'a pas encore été jugé.
C'est pourquoi il est nécessaire de protéger plus longtemps la plaignante, jusqu'à l'obtention d'une décision pénale définitive.
Pour ce qui est de l'ordonnance provisoire de protection immédiate, si nous pourrions regretter que la demande soit laissée à la seule initiative du procureur de la République, cette disposition apporte quelques garde-fous et permettra d'éviter des détournements ou des abus de procédure. Comme nous avons aussi le souci de la mesure et du respect de la présomption d'innocence, il nous semble nécessaire que la saisine du juge demeure l'apanage du procureur de la République à ce stade.
Très bien.
En revanche, le délai de vingt-quatre heures pour délivrer l'ordonnance provisoire de protection immédiate paraît très court, à tel point qu'on peut légitimement se demander s'il sera possible de rendre une justice de qualité dans un tel délai et si notre système judiciaire sera en mesure d'appliquer cette nouvelle procédure. Nous manquons de magistrats. Vous avez certes promis d'en recruter 1 500 d'ici à la fin du quinquennat, mais l'ordonnance provisoire de protection entrera en vigueur bien avant. La justice est particulièrement à la peine dans certains territoires, comme La Réunion, où le besoin en magistrats est criant. Or nous avons appris, entre autres exemples, qu'aucun recrutement supplémentaire de magistrat du siège n'était prévu au tribunal judiciaire de Saint-Pierre, dans le troisième département de France le plus touché par les violences intrafamiliales. Les magistrats pourront-ils statuer en vingt-quatre heures sur ces nouvelles ordonnances ? J'en doute fort, et ces professionnels s'en inquiètent.
Par ailleurs, pourquoi passer la main au juge civil, alors que le procureur pourrait prendre des mesures de contrôle judiciaire, voire de détention provisoire dans les cas les plus graves, puisqu'il détient déjà cette compétence ? Cette disposition présente-t-elle un intérêt si l'initiative est exclusivement laissée au procureur de la République ?
J'en viens à ma dernière interrogation : la proposition de loi augmentera-t-elle les recours à l'ordonnance de protection ? Nous ne le pensons pas, à moins de revoir les conditions de délivrance de cette dernière. C'est pourquoi les députés du groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES voteront l'amendement de Mme Untermaier.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR – NUPES, LFI – NUPES et Écolo – NUPES. – Mme Isabelle Santiago applaudit également.
Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires soutiendra la proposition de loi. Face au fléau des violences conjugales, nous devons être à la hauteur. Chaque fois que l'Assemblée examine un texte traitant des violences faites aux femmes, des chiffres alarmants reviennent : 240 000 victimes de violences conjugales ont été recensées en 2022, essentiellement des femmes, soit 15 % de plus que l'année précédente. Espérons que cette hausse tient au fait qu'il est plus facile de porter plainte – car, reconnaissons-le, le dépôt de plainte auprès de la gendarmerie ou de la police s'est nettement amélioré.
Le bilan des féminicides en 2023 reste intolérable : selon les associations, 134 femmes ont été tuées.
Face à ces drames, l'ordonnance de protection a démontré toute son utilité, mais reste sous-utilisée : on n'en a dénombré que 3 300 en 2020. Il faut donc améliorer cet outil. Notre groupe soutient sans réserve le doublement de la durée de l'ordonnance, portée de six à douze mois. Cette mesure, issue de la proposition de loi de Cécile Untermaier visant à renforcer l'ordonnance de protection, avait été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée il y a un an ; on ne peut que regretter que ladite proposition n'ait pas poursuivi son parcours législatif.
M. Andy Kerbrat applaudit.
L'autre grand apport du texte réside dans la création d'un dispositif complémentaire, une ordonnance provisoire rendue sous vingt-quatre heures. Cette avancée essentielle était très attendue par les associations de défense des droits des femmes et d'aide aux victimes. En effet, l'ordonnance existante est souvent inadaptée aux situations de danger imminent. En cas d'urgence, le juge doit pouvoir intervenir au plus vite – c'est parfois une question de vie ou de mort. J'ai reçu, dans ma permanence, des femmes qui m'ont expliqué combien il était difficile d'écarter un conjoint ou un enfant violent ; elles doivent parfois suivre un parcours du combattant. L'ordonnance provisoire paraît donc proportionnée ; nous estimons pouvoir la voter sans craindre d'attenter aux libertés.
Au-delà des déclarations d'intention, la force d'une loi réside dans sa bonne application. En pratique, le juge aux affaires familiales pourra-t-il se saisir et rendre une décision dans les temps ? Cette question nous inquiète, car les nouvelles dispositions entreront en vigueur à moyens constants, alors que les juges peinent déjà à tenir les délais.
Notre groupe tient à rappeler que les dispositifs votés à Paris doivent être déployés avec la même efficacité et la même exigence dans tous les territoires. En matière de violences conjugales, les fractures territoriales jouent contre les femmes. Faut-il rappeler que certains territoires sont quelque peu délaissés – toujours les mêmes, c'est-à-dire les zones rurales et les outre-mer ?
En voici une illustration : en 2022, treize féminicides ont été recensés dans les territoires ultramarins. En dépit des alertes de mes collègues élus d'outre-mer et des associations, le combat contre les violences faites aux femmes manque de moyens, et les mesures que nous votons y sont souvent appliquées trop tardivement. Ainsi, les téléphones grave danger et les aides d'urgence ne sont pas suffisamment disponibles en outre-mer. Espérons que la présente proposition de loi sera à la hauteur des objectifs qu'elle se donne. Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires se prononcera en sa faveur.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe Écolo – NUPES.
« La violence, en s'épanouissant, produit un épi de malheur qui ne fournit qu'une moisson de larmes », a écrit Eschyle. En 2022, 244 000 cas de violences conjugales ont été enregistrés par les forces de sécurité ; deux tiers étaient des violences physiques, 30 % étaient verbales ou psychologiques, et 5 % étaient sexuelles. Dans 86 % des cas, les victimes étaient des femmes. Ces dernières années, plus de 360 millions d'euros ont été consacrés à prévenir ces violences, à mieux protéger les victimes ainsi qu'à assurer un suivi et une prise en charge des auteurs. La majorité a adopté de nombreuses mesures pour lutter contre ce fléau : formation renforcée des policiers et des gendarmes, bracelet antirapprochement, ordonnance de protection, ou encore multiplication des téléphones grave danger.
L'ordonnance de protection est devenue un outil essentiel de lutte contre les violences conjugales, désormais bien connu du grand public et maîtrisé par les professionnels du droit. Ce moyen de protection est plébiscité par les associations de défense des femmes victimes de violences, qui y voient un dispositif rapide et efficace. Entre 2017 et 2021, le nombre d'ordonnances de protection délivrées a ainsi augmenté de 153 %.
Ces résultats encourageants ne doivent surtout pas nous démobiliser, car, en comparaison avec des pays voisins comme l'Espagne, le nombre d'ordonnances de protection reste insuffisant. La durée du dispositif, son délai d'obtention et les conditions de sa prolongation peuvent être améliorés. C'est l'objet de la proposition de loi de notre collègue Émilie Chandler, dont je salue le travail et l'engagement à défendre cette noble cause.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE. – M. Erwan Balanant applaudit également.
Le texte vise à allonger la durée de l'ordonnance de protection et à créer une ordonnance provisoire de protection immédiate, dont le non-respect serait sanctionné pénalement, pour toujours mieux protéger les victimes de violences et leurs enfants.
L'article 1er prévoit, dans un premier temps, de porter de six à douze mois la durée initiale des mesures prononcées au titre de l'ordonnance de protection. Dans l'état actuel du droit, l'article 515-12 du code civil prévoit une durée maximale de six mois à compter de la notification de l'ordonnance, ce délai pouvant être prolongé si, durant ces six mois, « une demande en divorce ou en séparation de corps a été déposée ou si le juge aux affaires familiales a été saisi d'une demande relative à l'exercice de l'autorité parentale ». En portant la durée maximale à douze mois, le législateur accorderait davantage de temps aux victimes pour réorganiser leur vie, et en ferait bénéficier les victimes non mariées sans enfant.
Dans un second temps, l'article 1er prévoit de créer une ordonnance provisoire de protection immédiate, nouvel outil juridique qui permettra au juge des affaires familiales, saisi par le procureur de la République, de protéger dans un délai de vingt-quatre heures une personne en danger, avec son accord. L'ordonnance provisoire de protection immédiate n'est pas conçue comme un dispositif alternatif à l'ordonnance de protection. Elle protégera provisoirement la victime pendant le délai maximal de six jours qui sépare l'audience de la décision rendue sur le fond par le juge aux affaires familiales, dans les situations où la victime encourt un risque sérieux du fait de sa vulnérabilité face à un conjoint violent.
L'article 2 prévoit de créer une nouvelle sanction pénale pour non-respect des mesures de l'ordonnance provisoire de protection immédiate.
La proposition de loi introduit donc des outils utiles pour la justice et indispensables pour mieux protéger les victimes de violences et leur famille. Sa portée est d'autant plus forte en cette semaine des droits des femmes, au cours de laquelle nous avons presque tous voté en faveur de la constitutionnalisation de l'interruption volontaire de grossesse.
Le groupe Renaissance votera avec conviction et enthousiasme cette proposition de loi de protection et de défense des libertés des femmes.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Le 3 août dernier, Sylvie Sanchez a été tuée par son ex-conjoint ; il l'a poursuivie avec sa voiture et l'a volontairement percutée à plusieurs reprises, avant de l'écraser contre un portail. Sylvie Sanchez avait pourtant déposé une main courante pour menaces de mort le 18 juin 2023. Lors d'une perquisition chez son ex-conjoint, les gendarmes avaient saisi quatre armes – carabines et fusils. Une mesure d'hospitalisation en psychiatrie avait été ordonnée puis levée, l'expert psychiatre n'ayant pas relevé de dangerosité chez l'intéressé ; celui-ci avait reçu une simple convocation à une audience qui devait se tenir le 3 novembre 2023, cinq mois après les faits. Un tel délai n'est malheureusement pas inhabituel – certaines juridictions le dépassent largement. Le temps de la procédure est souvent incompatible avec le temps de la victime ; quels que soient les progrès que nous accomplirons par ailleurs, nous ne combattrons pas plus efficacement les féminicides si nous n'agissons pas sur le facteur absolument prioritaire qu'est le temps.
Néanmoins, l'urgence à statuer ne saurait aller au détriment des droits de la défense et du principe du contradictoire. L'ordonnance de protection créée en 2010 est l'un des moyens de concilier ces paramètres. Cet outil est devenu incontournable au fil des ans, mais nous y recourons bien moins qu'en Espagne, pays pionnier en matière de lutte contre les violences intrafamiliales : le nombre d'ordonnances de protection délivrées y est dix-sept fois plus élevé qu'en France. Certes, nous partons de très loin. Rien n'a été réellement accompli pendant des dizaines d'années, et là encore, le temps est un facteur fondamental qui joue contre les victimes : nous devons rattraper notre retard et redoubler d'ambition. Au-delà de l'ordonnance de protection, nous devons mettre davantage de places d'hébergement spécialisées à la disposition des femmes et des enfants victimes de violences, pour répondre à leurs besoins spécifiques. Seuls de tels hébergements peuvent leur apporter le réconfort, la sécurité et l'aide indispensables à une reconstruction ; or, ils sont trente-trois fois moins nombreux en France qu'en Espagne, alors que notre population est 30 % supérieure. Dans notre pays, le nombre de places existantes correspond à seulement 15 % des besoins identifiés.
Nous avons également besoin de davantage de policiers et de gendarmes pour recueillir les plaintes, car il faut prendre le temps d'écouter les victimes pour dévoiler les faits de violence. Les brigades doivent être spécialisées et formées, tant les notions d'emprise et de dépendance sont parfois difficiles à appréhender.
Il faut aussi davantage de juges et de greffiers, car les ordonnances de protection s'ajoutent à des rôles d'audience déjà bien chargés – vous le savez bien, monsieur le garde des sceaux. Nous devons en outre mettre fin à un empilement législatif qui privilégie les bonnes intentions aux dépens de règles bien pensées et applicables.
En définitive, comme certains viennent de le souligner, il nous faut une loi-cadre, sur le modèle de la loi-cadre espagnole de 2004, qui prenne en compte tous les aspects – civils, pénaux, économiques, familiaux –, précédée d'une remise à plat complète des dispositifs existants et d'une chasse aux angles morts. Malgré le Grenelle des violences conjugales, malgré les campagnes de sensibilisation, malgré les progrès incontestables dans la prise en charge des victimes et les avancées procédurales permises par l'ordonnance de protection, le nombre de féminicides continue d'augmenter : il a connu une envolée record en 2022. Plus inquiétant encore, les tentatives de féminicides ont crû de 45 % sur la même période.
Concernant 2023, il semble que le ministère de la justice et les associations se livrent à une bataille de chiffres ; mais quoi qu'il en soit, rien n'indique une baisse drastique. Tant que nous ne ferons pas en sorte de modifier d'une manière sérieuse et pérenne le regard que certains hommes portent sur les femmes, nombre de celles-ci continueront de mourir sous les coups de leur partenaire. Il faut saluer les progrès réalisés, mais la route est encore longue ; ce texte va dans le bon sens, en ce qu'il améliore la protection des victimes initiée par le dispositif des ordonnances. Le groupe RN votera donc en sa faveur.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Tandis que je lisais votre texte, madame la rapporteure, mes pensées allaient à Eva, abattue il y a un peu plus d'une année dans le Puy-de-Dôme, à Lempdes : elle avait 20 ans. Je pensais également à sa mère, au reste de sa famille, aux 244 000 femmes victimes de violences conjugales recensées par les services de sécurité.
L'article 1er vise à porter de six à douze mois la durée initiale des mesures prononcées au titre de l'ordonnance de protection : il s'agit là d'un ajustement lucide en vue de remédier aux limites de ce dispositif appliqué depuis 2012, une protection de six mois se révélant souvent insuffisante compte tenu des changements profonds – divorce, procès, déménagement, nouvel emploi, nouvelle école – qu'entreprend une femme qui a décidé de laisser sa peur derrière elle. Il ne faut pas moins de douze mois pour traverser cette phase encore conflictuelle, menaçante par essence ; douze mois préalables à la reconstruction, bien qu'en pratique un tel délai reste très court.
Cet article prévoit en outre la création de l'ordonnance provisoire de protection immédiate, réponse ferme, matérielle, au « si tu portes plainte, je te tue », car elle privera l'auteur de cette menace des moyens de la mettre à exécution – ce qu'aujourd'hui il parvient parfois encore à faire. Sous couvert d'un jugement au fond dans les six jours, de faits de violence « vraisemblables » et d'un « danger grave et immédiat », cette mesure pourra sauver des vies. C'est pourquoi, en tant que membre de la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes, je soutiendrai, de même que mes collègues du groupe Démocrate, cette proposition de loi, ainsi que toute autre disposition visant à accroître l'efficacité de la prise en charge d'urgence des femmes victimes de violences conjugales.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – M. Christophe Plassard applaudit également.
L'article 515-12 du code civil dispose qu'après six mois, les mesures prévues par l'ordonnance de protection « peuvent être prolongées au-delà si, durant ce délai, une demande en divorce ou en séparation de corps a été déposée ou si le juge aux affaires familiales a été saisi d'une demande relative à l'exercice de l'autorité parentale », ce qui suppose dans le premier cas que le couple soit marié, dans le second qu'il ait au moins un enfant. Pour les victimes ne répondant à aucune de ces conditions, la prolongation est impossible ; c'est donc la fin du secret concernant leur adresse ou de la jouissance gratuite du domicile conjugal, la fin de l'interdiction de tout contact faite au partenaire violent – qui, s'il est titulaire ou cotitulaire du bail d'habitation, propriétaire ou copropriétaire du logement, peut de surcroît réintégrer celui-ci –, le moment où l'arme déposée au greffe sera restituée à son possesseur. La seule possibilité d'échapper à cette perspective consiste à solliciter du juge aux affaires familiales une nouvelle ordonnance, en reprenant tout le processus, ce qui coûte du temps et de l'argent. L'amendement vise à supprimer cette différence de traitement entre les victimes – celles, je le répète, qui sont pacsées ou en concubinage et n'ont pas d'enfant ne pouvant bénéficier que de la durée initiale de l'ordonnance. Il y a là une incohérence qu'il convient de rectifier.
Nous avons eu ce débat en commission : je le répète, le délai de douze mois permettra de répondre à cette préoccupation et d'homogénéiser la protection des victimes. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de supprimer les possibilités existantes de prolongation. Avis défavorable.
Même avis, pour les mêmes raisons.
Vous-même avez admis que, pour les victimes mariées ou mères de famille, il pouvait être difficile de se reloger, par exemple, dans un délai de six mois. J'avoue que je ne comprends pas pourquoi une femme non mariée et sans enfant rencontrerait moins de difficultés !
L'amendement n° 2 n'est pas adopté.
J'ai déjà abordé ce point lors de la discussion générale : la clé de toutes ces situations, l'adversaire ou l'allié, selon le point de vue, c'est le temps. Il faut aller vite – le plus vite possible. Le dispositif proposé permet que le juge aux affaires familiales soit saisi, sur demande du procureur, dans les six jours. Je suggère en quelque sorte l'inverse, ce qui n'est pas si saugrenu, cet amendement étant issu d'un travail avec des procureurs et correspondant, madame la rapporteure, à la recommandation 33 du rapport « Plan Rouge vif. Améliorer le traitement judiciaire des violences intraconjugales », que vous et Dominique Vérien avez remis en 2023 : le procureur prendrait l'ordonnance de protection immédiate, le juge statuerait sur sa validité dans les six jours. Ce serait résoudre le problème de l'urgence, de l'extrême rapidité de la décision, tout en laissant au juge aux affaires familiales, juge du fond dans ces affaires, le temps de se prononcer. Nous n'inventerions rien : nous créerions une sorte de référé pénal permettant de protéger les victimes sans léser les droits des auteurs. Quant aux sous-amendements, j'avoue n'en avoir pas encore pris connaissance.
La parole est à M. Andy Kerbrat, pour soutenir le sous-amendement n° 29 .
Il vise à remplacer, au sein du texte de l'amendement, les mots « l'exposant à un risque immédiat de mort ou de blessure » par l'adjectif « graves », ce qui élargirait le champ des menaces susceptibles de justifier l'application du dispositif. Lors de l'examen de celui-ci en commission, nous nous étions abstenus, afin de réfléchir à cette proposition d'un transfert de compétence ; mais le collègue Balanant souligne à juste titre son effectivité concrète dans le cadre de la justice – laquelle, je vous le rappelle, monsieur le ministre, et quoi que vous ressassiez au sujet de son budget, fonctionne de manière dégradée.
Ce n'est pas grâce à vous que ça va s'améliorer !
Du reste, comme l'indique l'exposé sommaire de l'amendement, « ce dispositif est calqué sur celui existant pour les ordonnances de placement provisoire des mineurs en danger ». Je le répète, nous suivrons donc le collègue Balanant sur ce point.
La parole est à Mme Pascale Martin, pour soutenir le sous-amendement n° 28 .
Ce sous-amendement vise à préciser que l'ordonnance provisoire de protection immédiate cesse de produire ses effets après les six jours prévus pour la délivrance d'une ordonnance de protection. En effet, le transfert de cette compétence au procureur de la République, dont nous avions débattu en commission des lois, reste problématique ; il ne constitue pas la solution idéale, et le Syndicat de la magistrature signale que les parquets manquent de moyens. La lutte contre les violences intrafamiliales nécessite précisément des moyens financiers et humains, ainsi que de repenser le rôle et les compétences du juge aux affaires familiales. Toutefois, faute de mieux, et en l'état actuel des tribunaux judiciaires, nous soutiendrons l'amendement.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement et les sous-amendements ?
Monsieur Kerbrat, j'ai déjà eu l'occasion d'exposer les raisons de mon opposition à la proposition de M. Balanant ;…
…de même, madame Martin, je répète que le délai de six jours figure à l'article 515-11 du code civil, sa suppression dans le dispositif provisoire garantissant simplement que la personne en danger ne sera pas laissée sans protection dans les rares cas où le juge ne statue pas en six jours. D'ailleurs, il est logique que j'émette un avis défavorable aux sous-amendements visant à modifier un amendement auquel, encore une fois, je suis également défavorable.
Plusieurs amendements ont été déposés en vue de confier la délivrance de l'ordonnance provisoire au procureur et non au juge aux affaires familiales ; le vôtre, monsieur Balanant, vise à ce que le procureur puisse prononcer des mesures restrictives de liberté lorsqu'il demande une ordonnance de protection. Outre le fait que la victime serait ainsi traitée comme mineure, puisque vous-même comparez ce dispositif aux ordonnances de placement provisoire des mineurs en danger, le fait que la procédure soit engagée sans son accord amoindrirait l'efficacité de l'ordonnance de protection, qui repose sur la volonté qu'a la victime d'être protégée, le temps d'organiser la séparation. Contrairement à un mineur, qui n'a pas la capacité d'agir en justice, elle seule est à même de prendre les mesures destinées à l'éloigner définitivement de son conjoint ou ex-conjoint.
Par ailleurs, le procureur serait alors à la fois autorité de poursuite et autorité de jugement, ce qui, n'étant pas compatible avec le statut du parquet, fragiliserait le dispositif. Les conséquences de la jurisprudence européenne sur les données de connexion doivent nous inciter à la prudence : que la décision soit prise par un magistrat du siège constitue une garantie indispensable.
Connaissant votre engagement, monsieur Balanant, je ne doute pas une seconde que vous n'ayez rédigé cet amendement en vous disant qu'il fallait fluidifier les choses.
Mais vous accorderez à votre serviteur le bénéfice des explications à venir. L'unique difficulté que présente votre proposition est de taille : elle touche à la liberté d'aller et venir,…
…au droit à la famille. Confier cela au ministère public, non au siège, entraînerait un risque majeur d'inconstitutionnalité. Si vous me permettez cette familiarité, ni vous ni moi n'avons le goût de l'effort inutile ; nous ne travaillons pas pour voir le fruit de notre labeur se heurter à des difficultés d'ordre constitutionnel !
C'est là le cœur du réacteur – d'autant que votre amendement est complexe, qu'il contient d'autres dispositions. Nous avons beaucoup travaillé, beaucoup réfléchi, car d'une certaine manière, l'idée était séduisante ; constitutionnellement, je le répète, ce n'est pas possible.
Ensuite, permettez-moi de souligner que les chiffres en matière de violences conjugales nous engagent ; ils nous obligent en permanence à améliorer les dispositifs. Or ceux d'entre vous qui regrettent un manque de magistrats ou de greffiers, tout en reconnaissant que nous améliorons les dispositifs, sont ceux-là mêmes qui n'ont pas voté la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice ! C'est tout de même lunaire !
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem. – Protestations sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
Au bout d'un moment, ce discours schizophrénique est insupportable !
C'est moi qui ai la parole, me semble-t-il.
C'est ce que je viens de dire. Monsieur Léaument, arrêtez de hurler et laissez M. le garde des sceaux terminer son propos.
Nous nous efforçons de faire bouger les choses. Il s'agit d'un grand texte, très utile, qui fait consensus. D'ailleurs, même vous, vous dites que vous le voterez !
Vous le voterez tout en dénonçant un manque des magistrats, en répétant qu'il manque ceci ou cela !
Protestations sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Enfin, permettez-moi de vous préciser que le Syndicat de la magistrature lui-même, que vous prenez comme référence, a souligné l'amélioration des moyens qui vont être attribués à toutes les juridictions. Avis défavorable.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
Je donnerai la parole à un intervenant pour et un contre.
La parole est à Mme Pascale Bordes.
Revenons-en aux fondamentaux de notre droit. Il ne faut pas oublier que l'ordonnance de protection constitue une véritable intrusion du droit pénal dans le droit civil de la famille. En mélangeant ces deux branches du droit, nous prenons le risque, à terme, d'une déformation certaine du droit civil.
Ensuite, permettez-moi de rassurer M. Balanant et de souligner que les juges des affaires familiales savent parfaitement travailler dans l'urgence.
Cela fait des années qu'ils le font, et ils travaillent bien. Toutefois, de nombreux tribunaux judiciaires manquent de magistrats, ne vous en déplaise, monsieur le garde des sceaux. Le groupe Rassemblement national a voté la loi d'orientation et de programmation.
Toutefois, il manque encore des magistrats et ce n'est pas une injure que de le souligner. C'est un simple constat. Même si les nouveaux magistrats prendront certainement leurs fonctions, force est de constater qu'ils ne sont pas encore arrivés. Or, si nous voulons que le texte que nous nous apprêtons à adopter ce soir soit efficient, il faut qu'ils arrivent enfin dans les juridictions.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Loin de moi l'idée, madame Bordes, que les juges aux affaires familiales ne savent pas travailler dans l'urgence. Je n'ai pas dit cela ! Simplement, je pense que pour agir le plus vite possible tout en respectant les droits qui nous importent et la protection de la victime, l'inversion du dispositif serait plus efficace. Mon amendement laisse au juge des affaires familiales le délai de six jours pour se prononcer.
Ensuite, pour répondre à l'argument – qui pourrait être très juste – de la rapporteure, selon lequel il serait compliqué de confier au procureur la délivrance de l'ordonnance provisoire de protection immédiate pour protéger la potentielle victime en cas de séparation, je rappelle qu'on a toujours l'ordonnance de protection telle qu'elle existe actuellement, qui peut régler ces cas. Je souhaite que l'ordonnance de protection immédiate soit la plus efficace et la plus rapide possible. Votre dispositif et celui que je propose s'inspirent, selon moi, des mêmes fondamentaux : rapidité et respect du droit pour les présumés auteurs.
Enfin, s'agissant de l'argument selon lequel mon amendement ferait peser une menace constitutionnelle, j'ai envie de répondre que ce ne serait pas la première fois que nous prendrions notre risque de parlementaires. Parfois ça passe, parfois ça ne passe pas !
Toute référence à l'actualité récente est fortuite. Il me semble que le dispositif que je propose est le bon. Il est similaire au vôtre, si ce n'est qu'il inverse la démarche : le procureur, dans la rapidité, prend la décision ; le juge aux affaires familiales statue sur le fond, dans un deuxième temps, sous six jours.
Je ne pense pas avoir pris une seule fois un risque avec la Constitution, monsieur Balanant. C'est quand même ma boussole de garde des sceaux.
Aucun risque ! D'un côté, autorité de poursuite, de l'autre, autorité de jugement, avec de vraies difficultés à venir. Or votre argument ne ferait pas courir ce risque qu'à moitié, mais bien à 100 % !
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 111
Nombre de suffrages exprimés 105
Majorité absolue 53
Pour l'adoption 32
Contre 73
L'amendement n° 22 n'est pas adopté.
Je suis saisi de deux amendements identiques, n° 18 et 19 rectifié .
La parole est à Mme Sandra Regol, pour soutenir l'amendement n° 18 .
Dans la rédaction actuelle, seul le procureur peut demander une ordonnance provisoire de protection. Le présent amendement s'inspire d'une proposition de la Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FN-CIDFF), qui juge pertinent d'ouvrir cette possibilité directement aux personnes se trouvant en danger. L'ordonnance provisoire ne préjugeant pas de la décision finale du juge sur l'ordonnance elle-même, il n'y aurait pas de conflit.
L'amendement n° 19 rectifié de Mme Caroline Yadan est défendu.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements identiques ?
Si je comprends votre volonté de donner à la personne victime de violences la possibilité de demander l'ordonnance provisoire de protection, le monopole de saisine laissé au procureur de la République garantit l'absence d'instrumentalisation de ce nouvel outil, dont l'action ne sera déclenchée qu'avec l'accord de la personne en danger. Je rappelle que l'ordonnance provisoire ne peut être demandée par le procureur que si une demande d'ordonnance de protection a été formulée : la victime a donc déjà manifesté son besoin de protection et il revient au procureur de déterminer quel est le meilleur outil pour répondre à ce besoin. Avis défavorable.
Les amendements identiques n° 18 et 19 rectifié , repoussés par le Gouvernement, ne sont pas adoptés.
La parole est à Mme Alexandra Martin (Alpes-Maritimes), pour soutenir l'amendement n° 5 .
Mon amendement rejoint celui de mon collègue Balanant. Présidente du groupe d'études sur les violences intrafamiliales, j'ai constaté, au fil de mes nombreuses auditions, que l'efficacité de la mise à l'abri de la victime repose souvent sur des garanties pragmatiques et sur une grande réactivité.
Le nouveau dispositif d'ordonnance provisoire de protection immédiate va dans le bon sens. Néanmoins, des difficultés apparaissent concernant, notamment, le délai de vingt-quatre heures pour rendre la décision à compter de la saisine. Il compliquera l'organisation des juridictions, en particulier le week-end : en effet, les textes ne prévoient actuellement pas de permanence des JAF ni du greffe des JAF et les juridictions ne sont pas prêtes à absorber, à moyens constants, cette nouvelle charge, alors même qu'aucune indemnisation ne sera possible en l'absence de texte, contrairement à ce qui existe pour les services d'urgence – juges des libertés et de la détention et parquet notamment.
Une solution alternative, qui serait plus efficace, consisterait à prévoir, à l'instar de ce qui est pratiqué pour les mineurs en danger, que le parquet prenne l'ordonnance de protection provisoire le temps que les JAF – avec lesquels j'ai élaboré cet amendement – organisent l'audience contradictoire et prennent le relais avec l'ordonnance de protection.
Le présent amendement vise donc à permettre au ministère public de délivrer en urgence une ordonnance provisoire de protection immédiate.
Je salue votre engagement contre les violences intrafamiliales. Néanmoins, le dispositif que nous proposons a été élaboré avec des procureurs et des juges aux affaires familiales et je ne partage pas votre position. C'est pourquoi j'émets un avis défavorable.
J'entends votre préoccupation en ce qui concerne le week-end, notamment. Permettez-moi de rappeler que les pôles spécialisés dans la lutte contre les violences intrafamiliales regroupent une formation de tous les magistrats. Il est donc possible de substituer un juge à un autre, qui a compétence, même le week-end, pour prendre une ordonnance telle que celle que vous vous apprêtez à voter ce soir. Avis défavorable.
L'amendement n° 5 n'est pas adopté.
Je suis saisi de l'amendement n° 6 de Mme Alexandra Martin (Alpes-Maritimes).
L'amendement n° 6 est retiré.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir les amendements n° 26 et 27 rectifié , qui peuvent faire l'objet d'une présentation groupée.
Nous avions déjà déposé ces amendements en commission des lois, dans l'idée que nous ne pouvons pas demander au juge d'apprécier le danger vraisemblable dans le cadre d'une ordonnance de protection. C'est un sujet fondamental, auquel a réfléchi très sérieusement le Comité national de l'ordonnance de protection – notamment Ernestine Ronai, dont j'ai déjà parlé dans la discussion générale. Le Cnop estime difficile pour un juge de justifier, au vu de violences vraisemblables, que celles-ci constituent un danger. C'est une mission impossible. Il ne s'agit pas de prévenir un risque – comme en matière environnementale, où l'on sait que si telle chose se produit, une pollution peut survenir – mais de l'apprécier. Cette difficulté est majeure. Ce n'est pas mon idée, je le répète, mais celle du Cnop. Il serait tout à fait moderne et exigeant d'entendre la femme qui s'exprime devant le juge et fait valoir des violences pour considérer que cela suffit pour prendre une ordonnance de protection.
C'est essentiel, j'y insiste. Le blocage en matière d'ordonnance de protection découle du fait que le juge ne sait pas dire que le danger est vraisemblable au vu des violences, qu'il se refuse d'ailleurs à hiérarchiser. Comment peut-il estimer que si la violence commence par une claque, il n'y a pas de danger, et que si elle commence par des coups plus puissants, il existe un danger ? C'est très compliqué. C'est pourquoi les associations, les personnes qui travaillent sur ces questions – et qui sont bien plus compétentes que nous tous ici –, ou encore les magistrats…
Non, non !
…nous demandent de revenir sur ce dispositif, comme nous l'avions déjà voté, à l'unanimité, dans le cadre d'une proposition du Gouvernement.
On ne va pas se mentir, il y a beaucoup de choses à dire sur la notion de danger. Nous avons déjà longuement échangé en commission des lois sur ce sujet, qui reviendra dans plusieurs amendements.
Cette proposition de loi modifie l'un des paramètres de l'ordonnance de protection et crée une ordonnance provisoire de protection immédiate. L'amendement n° 26 supprime la notion de danger dans l'ordonnance provisoire de protection immédiate. Pour cette dernière, il me semble impératif – mes arguments ne seront pas les mêmes tout à l'heure – de conserver la notion de danger grave et immédiat, qui justifie la décision en vingt-quatre heures et l'absence de contradictoire. C'est pourquoi je suis contre sa suppression dans le cadre de l'OPPI. Même la notion de danger potentiel, que l'amendement n° 27 rectifié substitue à celle de danger, me paraît trop peu précise pour garantir la constitutionnalité du dispositif en ce qui concerne l'ordonnance de protection provisoire immédiate. C'est la raison pour laquelle je donnerai un avis défavorable sur ces deux amendements.
Pardonnez-moi, je ne suis pas du tout d'accord avec vous, madame la députée, sur la notion de danger potentiel.
Non, je ne l'ai pas été. Vous m'attribuez des propos qui ne sont pas ceux que j'ai tenus, nous reverrons cela tout à l'heure. Ma parole m'engage, mais vous devez vous référer aux propos que j'ai effectivement tenus. Je ne sais pas ce qu'est un danger potentiel, mais je sais ce qu'est un danger vraisemblable. Quant aux magistrats, contrairement à ce que vous avez affirmé, ils manient parfaitement la notion de danger vraisemblable – ceux qui composent le comité national de l'ordonnance de protection sont d'ailleurs opposés à votre amendement.
Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Mme Ernestine Ronai.
Nous avons manifestement un problème au sujet des propos qui ont été tenus – par moi et par Mme Ronai. Les magistrats disent très clairement que la notion de « danger vraisemblable » est limpide pour eux et que celle de danger potentiel est compliquée.
Non, ce n'est pas moi qui le dis : je vous relirai tout à l'heure les propos exacts que j'ai tenus le 9 février 2023 et vous verrez que, contrairement à ce que vous avancez, je n'étais déjà pas d'accord avec vous.
Par ailleurs, il existe à l'évidence un risque d'inconstitutionnalité, c'est pourquoi je suis totalement défavorable à ces deux amendements.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Nous parlons de l'ordonnance provisoire de protection immédiate – mais ce débat reviendra, vous avez raison. Comme je le disais dans mon intervention lors de la discussion générale, pour l'ordonnance de protection, au-delà des délais, le véritable enjeu est de faire en sorte que les victimes y aient davantage recours, dans l'objectif que le nombre de procédures à fin d'ordonnance de protection – et, au bout du compte, le nombre d'ordonnances de protection délivrées – augmentent. En effet, le nombre d'ordonnances de protection n'est pas du tout en rapport avec le nombre de victimes.
Nous passons à côté de cette procédure et ce n'est pas parce que les associations et les victimes n'en ont pas connaissance – la procédure est connue –, mais parce que ses conditions de délivrance sont restrictives, notamment sur la notion de danger. Il faut que le danger soit présent, ce que le juge doit apprécier. Dès lors que la victime s'est mise à l'abri et qu'elle a osé quitter le domicile conjugal et les violences, le juge considère qu'il n'y a plus de danger et il ne délivre plus l'ordonnance de protection. On dit aux victimes qui ont le courage de partir qu'elles n'obtiendront pas d'ordonnance de protection et devront attendre le jugement pénal.
Pour avoir la certitude que le juge prenne une ordonnance de protection, on conseille aux victimes de rester auprès de leur conjoint violent, de sorte que la condition de danger puisse être remplie. La notion de danger soulève un problème d'ordre philosophique : le danger n'est-il pas consubstantiel à une situation de violences conjugales ? Est-il nécessaire d'aller chercher la démonstration d'un danger supplémentaire ? Nous devons discuter de cette question qui dépasse le débat juridique. Nous ne désespérons pas de vous convaincre, chers collègues : faciliter l'ordonnance de protection suppose de revoir cette notion de danger.
Madame Untermaier, vous savez à quel point nos positions respectives sont alignées la plupart du temps. Ce n'est pas le cas en l'occurrence et je vais m'efforcer de vous expliquer pourquoi, avec pédagogie et conformément à ma conviction en tant qu'avocate, qui est également celle des avocats et des magistrats avec lesquels j'ai échangé. L'enjeu est d'abord celui de la sécurité juridique : un texte doit pouvoir être appliqué par les magistrats. Lorsque la loi comporte à la fois les notions de violences et de danger, le juge se prononce en fonction de deux critères de droit prévus par les textes.
Retirer la notion de danger pour ne conserver que celle de violences risque de susciter des réserves très sévères chez les magistrats – l'enfer est pavé de bonnes intentions. En effet, s'ils statuent uniquement en fonction des violences, ils se diront que celles-ci n'existent peut-être plus et qu'en tout état de cause, ils doivent être moins sévères puisque la notion de danger a disparu du texte. Dans la mesure où il s'agit de mesures restrictives de liberté, les magistrats auront une réserve qui n'existe pas avec ce texte. Lorsqu'ils prononcent une ordonnance de protection, ils n'attendent pas qu'un jugement pénal ait été prononcé : les ordonnances de protection ne dépendent pas du jugement pénal, mais uniquement des preuves apportées dans le dossier et du contexte. C'est la raison pour laquelle je reste défavorable à vos amendements, et j'espère vous avoir convaincue du bien-fondé de mes arguments
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à vingt-trois heures vingt, est reprise à vingt-trois heures trente.
La séance est reprise.
Nous passons aux votes sur les amendements n° 26 et 27 rectifié .
Les amendements n° 26 et 27 rectifié sont retirés.
Compte tenu de la discussion que nous venons d'avoir, je retire en effet mes amendements, qui concernent le nouveau dispositif d'ordonnance de protection provisoire en vingt-quatre heures. Je ne veux pas l'affaiblir et préfère le laisser tel qu'il a été conçu par notre rapporteure.
« Retiré ! » sur les bancs du groupe RE.
Mme Élodie Jacquier-Laforge applaudit.
Quand c'est M. Balanant qui se contente de dire « défendu », forcément, ça nous perturbe.
Murmures et sourires sur divers bancs.
Cette mesure de dissimulation de l'adresse sur demande de la victime a du sens dans le cadre de l'ordonnance de protection, car il ne faut pas que le conjoint violent puisse voir la nouvelle adresse sur les documents échangés pendant la phase judiciaire. Cependant, dans une situation de danger grave et immédiat, ce sont des mesures telles que l'interdiction de contact et l'interdiction de paraître qui sont essentielles. Avis défavorable.
L'amendement n° 25 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'amendement n° 20 , ayant reçu un avis défavorable de la commission et du Gouvernement, est retiré.
Je suis saisi de l'amendement n° 9 de Mme Alexandra Martin (Alpes-Maritimes).
L'amendement n° 9 est retiré.
Sur l'article 1er , je suis saisi par le groupe Rassemblement national d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Erwan Balanant, pour soutenir l'amendement n° 24 .
« Retiré ! » sur divers bancs.
Je vais le défendre très rapidement, mais j'avoue être troublé par les paroles de la rapporteure
Exclamations et sourires sur divers bancs
et je ne sais pas comment interpréter ces « perturbations » que je créerais dans notre hémicycle, ayant toujours eu l'impression d'être un garçon très consensuel.
Mêmes mouvements.
L'ordonnance provisoire de protection immédiate introduite par la proposition de loi répond évidemment à un impératif fondamental ; cependant, il nous faut pouvoir assurer son effectivité, afin de remplir notre objectif de toujours mieux protéger les victimes. Or plusieurs écueils semblent émerger quant à la mise en œuvre du dispositif. Eu égard aux critères retenus par le procureur de la République en matière de transmission des éléments joints à la requête, se pose la question du filtre qu'il appliquera au moment de transmettre les pièces au juge aux affaires familiales. Je ne détaillerai pas davantage, mais je pense que nous gagnerions à compléter l'article par ce nouvel alinéa.
Je comprends votre objectif, monsieur Balanant, mais étant donné que les conditions d'application de l'article seront précisées dans le code de procédure civile, il n'est pas nécessaire de prévoir un renvoi spécifique à un décret. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
L'amendement n° 24 , ayant reçu un avis défavorable du Gouvernement, est retiré.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 103
Nombre de suffrages exprimés 103
Majorité absolue 52
Pour l'adoption 103
Contre 0
L'article 1er est adopté.
Je suis saisi de trois amendements portant article additionnel après l'article 1er , n° 13 rectifié, 21 et 11, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Pascale Martin, pour soutenir l'amendement n° 13 rectifié .
« Tout danger est écarté car madame est relogée et monsieur a quitté le domicile conjugal » : voilà un exemple de motif justifiant le refus d'une ordonnance de protection. Or, en réalité, on sait bien que dans ce type de situation, le danger n'est pas écarté. Nous proposons donc de supprimer le terme de « danger » dans l'article 515-11 du code civil, parce qu'il pose des problèmes d'interprétation en matière de délivrance des ordonnances de protection.
Dans son rapport d'activité de 2021, le Cnop – Mme Ernestine Ronai, qui siège en son sein, a été citée à plusieurs reprises tout à l'heure – explique que l'écriture actuelle de la loi contraint le juge à apprécier séparément et cumulativement le critère de la « [vraisemblance] […] des faits de violence allégués » et celui du « danger » encouru par la victime. Cette interprétation de la loi produit un effet pervers qui limite la délivrance des ordonnances de protection – dont le nombre n'est pas suffisant, comme on l'a déjà dit. Or le propre de l'ordonnance est de protéger les victimes de potentielles violences.
De plus, le rapport « Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales », rédigé par Mme Émilie Chandler et la sénatrice Dominique Vérien, proposait de revenir sur la notion de danger ; je ne fais donc que suivre leur recommandation.
La parole est à Mme Isabelle Santiago, pour soutenir l'amendement n° 21 .
Il a trait à l'ordonnance de protection, à propos de laquelle nous avons désormais suffisamment de recul. Depuis 2017, des études ont été publiées, par exemple par notre chère Ernestine Ronai, mais aussi par une magistrate ; elles montrent que la notion de « danger » doit être totalement supprimée pour faciliter le travail des juges lorsqu'ils ont à prononcer une ordonnance de protection, afin qu'ils ne se retrouvent pas dans la difficulté que ma collègue Cécile Untermaier exposait tout à l'heure à propos de l'ordonnance provisoire. C'est le même problème : les juges doivent apprécier le danger.
S'agissant de la délivrance d'une ordonnance de protection, qui doit avoir lieu dans un délai maximal de six jours, il est donc essentiel – de nombreux spécialistes le demandent – de retirer le critère de « danger ».
Il concerne l'ordonnance de protection que nous connaissons depuis 2010 et qui, depuis 2017, doit être délivrée dans un délai de six jours. Son application est désormais documentée grâce aux jugements qui ont été rendus, et une enquête a été menée à ce sujet. Il me paraît tout à fait indispensable d'écouter les sachants, associations et magistrats, qui me disent – je pourrais vous donner des noms, monsieur le ministre –…
Moi aussi !
…qu'ils éprouvent de grandes difficultés à caractériser le « danger », notion qui les met mal à l'aise vis-à-vis des femmes concernées. Comme je le disais tout à l'heure lors de la discussion générale, écoutons Aurore Bergé qui dit qu'en cas de violences, il faut écouter la femme et la croire. C'est ce que nous demandons : nous voulons que le magistrat croie la femme qui vient vers lui pour obtenir une protection parce qu'elle a subi des violences, au lieu de devoir mesurer et apprécier le « danger », en l'imaginant en fonction de la violence subie. Il faut se garder d'établir une hiérarchie entre les violences !
Cela me paraît tout à fait essentiel. Cependant, le présent amendement est un amendement de repli qui ne supprime pas le mot « danger », parce que nous acceptons les observations que vous nous faites, monsieur le ministre, notamment en ce qui concerne le caractère inconstitutionnel de ce que nous proposons ; nous conservons cette notion, donc, mais nous substituons au danger « vraisemblable » un danger « potentiel ». Une telle modification devrait être un soulagement pour les magistrats chargés de prononcer ces jugements difficiles.
Deux d'entre eux proposent de retirer l'un des critères de délivrance de l'ordonnance de protection, à savoir la notion de danger. Nous en avons parlé tout à l'heure à propos de l'ordonnance provisoire de protection immédiate, et il en est question ici s'agissant de l'ordonnance de protection. Mme Untermaier présente également un amendement de repli, par lequel elle souhaite substituer à la notion de danger celle de danger « potentiel ».
Je suis opposée à la suppression pure et simple de la notion de danger proposée par Mme Martin et, en première intention, par Mme Untermaier – son premier amendement ayant été défendu par Mme Santiago ; en effet, c'est justement le danger qui justifie que le juge aux affaires familiales prenne des mesures attentatoires à la liberté de la partie défenderesse dans ce délai de six jours. Le refus de délivrer une ordonnance de protection ne revient d'ailleurs pas à nier les violences ou à préjuger de l'issue d'une procédure pénale.
S'agissant ensuite de la notion de « danger potentiel », vous avez rappelé à juste titre, madame Untermaier, que l'Assemblée avait adopté cette nouvelle écriture en février 2023, dans des conditions dont on se souvient. Néanmoins, du temps a passé depuis et le Sénat ne s'est pas encore emparé du sujet. De vraies interrogations subsistent donc autour de cette notion.
En l'état actuel du droit, l'ordonnance de protection est délivrée quand deux critères sont constatés par le juge : les violences vraisemblables et le danger vraisemblable. Votre rédaction conduirait à lier la décision du juge à la constatation d'un seul de ces deux critères, celui des violences vraisemblables – qui exposent la victime à un danger potentiel. J'ai déjà eu l'occasion de le dire en commission : à titre personnel, je considère qu'un tel assouplissement va trop loin, s'agissant d'un mécanisme de droit civil qui peut aboutir à des mesures restrictives de liberté,…
Eh oui ! Tout est dit !
…dans la mesure où le juge pénal peut aussi être saisi en urgence.
J'ajoute qu'aujourd'hui, 66 % des demandes d'ordonnance de protection sont accordées ; c'est la preuve que le critère du danger n'est pas un obstacle à la délivrance de ces ordonnances.
Pour ces raisons et parce que je sais que nous avons voté le texte de 2023 dans des conditions qui n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui, – en effet,…
Ça, c'est sûr !
…je n'avais pas encore auditionné toutes ces victimes, tous ces magistrats, ces associations et ces grandes institutions dans le cadre du plan Rouge vif que j'ai moi-même rédigé –, mon analyse a changé. Un vote a eu lieu en 2023, mais nous sommes en 2024 ! Je vous ai livré mes arguments personnels et donne un avis défavorable à l'amendement n° 13 rectifié de Mme Pascale Martin, ainsi qu'à l'amendement n° 21 ; en revanche, je donne un avis de sagesse à l'amendement de repli n° 11 de Mme Untermaier.
Depuis 2023, un rapport a été publié dont tout le monde dit qu'il est excellent. Beaucoup de gens ont été entendus, en France mais aussi à l'étranger, et le nombre des ordonnances de protection délivrées a été multiplié par deux et demi depuis 2017. Près de 70 % des demandes sont accordées, comme vient de le dire Mme la rapporteure. Cela démontre, si vous me permettez ce raccourci, que le terme « vraisemblable » est tout à fait suffisant.
Par ailleurs, sensibles aux arguments de Mme Untermaier, nous avons réfléchi à une autre rédaction, sans parvenir à en définir une qui soit satisfaisante. Le risque est là, précisément : la procédure est civile et restrictive de liberté. Le risque d'une censure par le Conseil constitutionnel est évident.
Je suis donc défavorable à l'ensemble des amendements. D'ailleurs, madame Untermaier, ma réaction n'est pas nouvelle : j'étais déjà réservé en février 2023 lorsque je louais votre intention tout en vous appelant à la prudence eu égard aux risques majeurs d'inconstitutionnalité. Mon opinion n'a pas changé. Je reste convaincu que les risques sont réels et qu'il est inutile de les prendre.
Mais au fait, il n'y aurait pas une instance chargée de vérifier la constitutionnalité des lois et qui s'appellerait le Conseil constitutionnel ?
Je vais vous donner l'exemple d'un dossier dans lequel la notion de danger n'a pas permis de protéger efficacement la victime. Une femme, victime de viols conjugaux, c'est-à-dire de faits extrêmement graves, de nature criminelle, saisit le juge aux affaires familiales pour qu'il délivre une ordonnance de protection. Or le juge rejette la demande en considérant que si les faits, pénalement répréhensibles, ont pu se produire – la vraisemblance des faits n'est donc pas contestée –, il n'est pas démontré que la victime court un danger grave et actuel, car elle a déménagé et n'habite plus avec son violeur, lequel n'a jamais proféré de menaces et n'a pas non plus cherché à la rencontrer de force depuis la séparation.
Que faut-il, finalement, pour que ce danger actuel soit constitué ? Soit des menaces de mort – à condition cependant qu'elles soient caractérisées –, soit des violences réitérées – un fait de violence, même grave, ne suffit pas –, soit des preuves que le conjoint violent poursuit de ses assauts sa victime. Lorsque la victime ne dispose d'aucun de ces éléments, le fait de s'être mise à l'abri suffit pour qu'il soit considéré que le danger n'est pas établi et dispenser le juge de délivrer une ordonnance de protection. C'est pour mettre fin à ce type de situation que nous souhaitons modifier la loi.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Ce sera également la seule manière de prendre en compte les violences potentielles, d'autant plus qu'il est difficile de démontrer l'existence d'un danger potentiel, tout comme celle de violences vraisemblables. Il ne s'agit pas de gommer toutes les conditions nécessaires à la délivrance d'une ordonnance de protection, mais de permettre aux victimes de violences conjugales, femmes ou hommes, d'obtenir plus facilement une protection.
M. Sébastien Delogu applaudit.
Notre objectif est le même : protéger les victimes de violences, qu'il s'agisse de femmes ou d'hommes. Or nous ne pourrons pas leur assurer cette protection si nous ne sécurisons pas les textes juridiques. Je ne voudrais pas que, tout en étant animés des meilleures intentions, nous rédigions un texte qui pourrait disparaître, censuré par le Conseil constitutionnel. En intégrant dans le texte la notion de danger potentiel, vous créez de l'incertitude. Si, demain, une question prioritaire de constitutionnalité est posée et que le Conseil constitutionnel considère que la mesure n'est pas constitutionnelle, vous aurez fait tomber l'intégralité du dispositif de l'ordonnance de protection : la victime n'aura plus aucune possibilité d'être protégée dans l'avenir.
Votre proposition est séduisante, je vous l'accorde, mais nous devons, en tant que législateurs, avoir le souci de sécuriser les textes juridiques pour qu'ils ne subissent pas la censure du Conseil constitutionnel. Je reste donc très réservée.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Je ne connais pas la décision à laquelle vous vous référez, madame K/Bidi – et, du reste, le garde des sceaux ne peut pas commenter les décisions individuelles. Cela étant, pensez-vous franchement que les mots « danger potentiel » auraient changé quelque chose à la décision ? Je n'en suis pas convaincu. En l'espèce, le magistrat n'a pas souhaité faire bénéficier cette femme de l'ordonnance dont vous dites qu'il aurait été légitime de lui accorder. Je ne peux pas faire de commentaire, mais quand on vous dit que le nombre d'ordonnances de protection a été multiplié par deux et demi, c'est le signe que le dispositif fonctionne bien et qu'il est inutile de le modifier.
J'ai bien compris que le législateur pouvait prendre des risques, mais si demain, à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité, le dispositif est anéanti, nous aurons tous échoué à mieux protéger les victimes.
Enfin, madame K/Bidi, je vous le dis amicalement au passage, le tribunal de grande instance de Saint-Pierre, à La Réunion, disposera de quatre magistrats, trois greffiers et quatre attachés de justice supplémentaires d'ici 2027, grâce à la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, que vous n'avez pas votée.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 113
Nombre de suffrages exprimés 110
Majorité absolue 56
Pour l'adoption 44
Contre 66
L'amendement n° 11 n'est pas adopté.
Chers collègues, je vous informe que je lèverai la séance à minuit pile. Tirez-en les conclusions que vous souhaitez.
La parole est à Mme Pascale Bordes, pour soutenir l'amendement n° 1 .
L'ordonnance de protection est un outil efficace, mais qui pourrait être amélioré. Ainsi, s'il peut être proposé au conjoint violent une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique, son consentement est requis. Or il est rare que le conjoint en question admette son comportement violent, aussi aura-t-il tendance à refuser cette prise en charge. Si l'on veut que la mesure soit efficace, il faut se passer de l'accord du conjoint violent.
L'amendement n° 1 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Le sous-amendement n° 30 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'amendement n° 23 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Je suis saisi de l'amendement n° 10 de Mme Alexandra Martin (Alpes-Maritimes).
L'amendement n° 10 est retiré.
L'article 2 est adopté.
L'article 3 est adopté.
Sur l'ensemble de la proposition de loi, je suis saisi par le groupe Renaissance d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Andy Kerbrat, pour soutenir l'amendement n° 17 de Mme Pascale Martin et son propre amendement n° 16 , portant tous deux article additionnel après l'article 3 et pouvant faire l'objet d'une présentation groupée.
J'ai peu d'espoir de voir adopter ces amendements qui tendent à demander un rapport, mais je tente tout de même ma chance ! Ce sont en effet des rapports sur des sujets importants et ils pourraient enrichir nos travaux.
L'amendement n° 14 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 113
Nombre de suffrages exprimés 113
Majorité absolue 57
Pour l'adoption 113
Contre 0
La proposition de loi est adoptée.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Prochaine séance, demain, à quatorze heures :
Questions au Gouvernement ;
Discussion de la proposition de loi visant à renforcer la réponse pénale contre les infractions à caractère raciste ou antisémite.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra