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Intervention de Éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du mardi 5 mars 2024 à 21h30
Allongement de l'ordonnance de protection et création de l'ordonnance provisoire de protection immédiate — Présentation

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Effectivement, l'ambiance est festive : nous ne nous sommes pas encore remis du vote qui a eu lieu hier. Permettez-moi, alors que la soirée commence, de m'adresser à vous avec quelque familiarité : quelle semaine pour le droit des femmes ! Elle se prolonge avec cette proposition de loi qui vise à mieux lutter contre les violences faites aux femmes. Après le vote du Congrès hier et avant la cérémonie de scellement vendredi place Vendôme, nous sommes réunis ce soir pour débattre d'une nouvelle avancée majeure et novatrice : l'ordonnance de protection immédiate pour les femmes victimes de violences.

C'est déjà le second texte soumis à l'Assemblée sur la question des violences faites aux femmes depuis le début de l'année, après le vote à l'unanimité de la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille déposée par Hubert Ott pour mettre un terme à ce qui était une sorte de prime au crime conjugal. Toutefois, vous l'aurez compris, en la matière, l'urgence ne faiblit jamais.

C'est pourquoi, je le dis sans ambages, je soutiens pleinement la proposition de loi que nous examinons, défendue avec force, conviction et détermination par Émilie Chandler. Ce texte vise à renforcer encore la lutte contre les violences conjugales en allongeant la durée de l'ordonnance de protection et surtout en créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate. Issu des travaux que vous avez menés avec la sénatrice Dominique Vérien dans le cadre du rapport intitulé « Plan rouge VIF » – qui, à n'en pas douter, fera date en matière de lutte contre les violences faites aux femmes –, il constitue une nouvelle étape dans le renforcement des outils de protection à la disposition du juge civil, en amont de toute déclaration de culpabilité.

Après l'impulsion du Parlement et du Gouvernement, les juridictions se sont adaptées pour délivrer les ordonnances de protection en six jours seulement, contre quarante-deux jours en moyenne en 2017. Le taux d'acceptation dépasse désormais 70 %. En 2022, 3 586 ordonnances de protection ont été délivrées, contre 1 392 en 2017, soit une multiplication par deux.

Toutefois, la lutte contre les violences intrafamiliales ne doit pas connaître de répit ; c'est pourquoi il nous faut encore faire évoluer le dispositif, afin de permettre une intervention judiciaire immédiate dans les situations d'urgence. Le texte s'inscrit dans la droite ligne de l'action conduite par le Gouvernement et par mon ministère depuis plusieurs années en matière de lutte contre les violences intrafamiliales, notamment depuis le Grenelle des violences conjugales de l'automne 2019. L'année qui vient de s'écouler a été riche en réformes. Je pense, par exemple, au décret du 23 novembre 2023 instituant des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au sein de chaque tribunal judiciaire et cour d'appel, entré en vigueur le 1er janvier 2024. Ces pôles VIF reposent sur une équipe dédiée, constituée de magistrats référents et d'attachés de justice spécialement habilités.

Ces pôles – qui étaient aussi l'une de vos recommandations, madame la rapporteure – marquent une étape décisive dans l'adaptation de la justice à la lutte contre le fléau des violences intrafamiliales. Animés par un magistrat du siège et un magistrat du parquet, ils visent à faciliter la circulation de l'information entre les différents acteurs de la chaîne judiciaire concernés par les violences intrafamiliales, afin de leur permettre de prendre la décision la plus éclairée et la plus adaptée possible.

Mettre durablement un terme à la situation endémique des violences conjugales impose d'inscrire notre action dans le temps long. C'est le sens du nouveau plan interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027, qui a pour ambition d'amplifier l'action conduite les années précédentes et de poursuivre le déploiement des dispositifs de protection, comme les bracelets antirapprochement et les téléphones grave danger, qui ont récemment démontré, si besoin était, leur efficacité. Le plan a aussi fixé un objectif : améliorer tous les dispositifs qui existent déjà. C'est précisément ce que nous allons faire aujourd'hui.

D'abord, l'article 1er de la proposition de loi prévoit d'allonger la durée initiale des mesures qui peuvent être prises au titre de l'ordonnance de protection. En l'état du droit positif, ces mesures s'appliquent pendant au maximum six mois à compter de la notification de l'ordonnance. Leurs effets sont toutefois prolongés automatiquement en cas de demande en divorce ou de demande relative à l'exercice de l'autorité parentale. Dans ce cas, les effets de l'ordonnance de protection sont maintenus jusqu'à la décision rendue au fond.

L'article 1er vise à fixer à douze mois la durée initiale des effets des mesures prévues de protection, conformément à la proposition de loi visant à renforcer l'ordonnance de protection déposée par Cécile Untermaier – que je tiens à saluer chaleureusement – et adoptée l'année dernière en première lecture. Avant cela, sous une autre majorité, la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes avait porté à six mois la durée de l'ordonnance de protection, initialement fixée à quatre mois par la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

L'allongement de la durée des effets de l'ordonnance de protection peut s'avérer opportun dans des situations très conflictuelles, susceptibles de ne pas être résolues dans le délai de six mois, ou encore lorsque la personne en danger ne peut pas bénéficier de protection parce qu'elle n'est pas mariée ou n'a pas d'enfant en commun avec l'auteur présumé des violences. Dans la recherche de l'équilibre entre la protection des femmes et l'atteinte aux libertés du conjoint potentiellement violent, il me semble proportionné de faire passer la durée de l'ordonnance de protection de six à douze mois. Je rappelle qu'il s'agit là d'un dispositif d'urgence, qui permet à un juge civil d'ordonner des mesures de nature quasi pénale et limitant les libertés du défendeur. Il est donc nécessaire de préserver le caractère provisoire de ces mesures pour assurer la constitutionnalité du dispositif.

Ensuite, la proposition de loi prévoit un dispositif totalement novateur : l'ordonnance provisoire de protection immédiate, qui permettra au juge aux affaires familiales, saisi par le procureur de la République avec l'accord de la personne en danger, de prononcer, sans contradictoire et dans un délai de vingt-quatre heures, des mesures de protection urgentes et provisoires. L'objectif est simple : protéger la personne en danger, dans l'attente de l'audience au fond sur l'ordonnance de protection qui devra avoir lieu dans un délai de six jours. Bien sûr, ce dispositif inédit est entouré de plusieurs garanties nécessaires pour assurer sa constitutionnalité. Elles ont été examinées et préservées par la commission des lois.

Première garantie : le ministère public est le seul à pouvoir solliciter la délivrance d'une ordonnance provisoire de protection immédiate. Il saisit le juge aux affaires familiales, avec l'accord de la personne en danger, qui demande l'ordonnance de protection. Il est indispensable de réserver au seul procureur de la République la possibilité de solliciter la délivrance de l'ordonnance provisoire de protection immédiate afin de limiter les risques d'instrumentalisation de la procédure, que le juge aux affaires familiales pourra difficilement identifier, puisqu'il rendra sa décision en urgence et sans aucun débat contradictoire.

Deuxième garantie : en l'absence de tout contradictoire et sans voie de recours possible, cette ordonnance provisoire, qui limite les libertés individuelles, doit obéir à des critères plus restrictifs que ceux prévus pour l'ordonnance de protection. Le danger auquel est exposée la personne doit ainsi être un danger grave et immédiat, et non plus simplement un danger actuel.

Troisième garantie : la liste des mesures que le juge aux affaires familiales pourra prononcer au titre de l'ordonnance provisoire est plus réduite que celle de l'ordonnance de protection. Ainsi ne pourra-t-il pas prononcer de mesures relatives à l'exercice de l'autorité parentale. Cette restriction se justifie par le fait que l'ordonnance provisoire est rendue dans une situation d'extrême urgence, dans l'attente de l'audience relative à l'ordonnance de protection.

Enfin, dernière garantie : l'ordonnance provisoire de protection immédiate est un dispositif accessoire à l'ordonnance de protection. La délivrance de la première ne peut être sollicitée indépendamment de la délivrance de la seconde, et ses effets prennent automatiquement fin une fois l'ordonnance de protection prononcée. Ce caractère accessoire permet d'assurer que les effets de l'ordonnance provisoire de protection immédiate seront limités dans le temps en l'absence de débat contradictoire ; le cas échéant, ils pourront se prolonger une fois le caractère contradictoire de la procédure rétabli.

Vous l'aurez compris, les équilibres qui vous sont soumis sont particulièrement fragiles, notamment en matière constitutionnelle. Il est de notre devoir de les préserver, afin de ne pas mettre en péril le dispositif lui-même. La notion de danger doit rester au cœur de l'office du juge ; nous devons lui faire confiance pour apprécier les violences vraisemblables, le danger vraisemblable et, désormais, le danger grave et immédiat.

Par cohérence, le dernier article de la proposition de loi vise à réprimer les manquements aux interdictions ou aux obligations imposées par l'ordonnance provisoire de protection immédiate.

Mesdames et messieurs les députés, mon engagement dans la lutte contre les violences intrafamiliales n'a jamais faibli et ne faiblira pas. Avec cette proposition de loi, nous avons l'occasion d'aller encore plus loin et de faire mieux, dans le respect des normes constitutionnelles qui protègent nos droits et libertés, au sein de notre État de droit. Faire mieux chaque jour, chaque semaine, à chaque instant, contre toutes les violences déjà subies, mais surtout contre toutes celles que l'on peut – que l'on doit – éviter ; faire toujours mieux, avec humilité mais avec une détermination implacable : telle est ma feuille de route en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.

Madame la rapporteure, grâce à votre proposition, nous avons ce soir l'occasion de faire mieux.

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