Intervention de Émilie Chandler

Séance en hémicycle du mardi 5 mars 2024 à 21h30
Allongement de l'ordonnance de protection et création de l'ordonnance provisoire de protection immédiate — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉmilie Chandler, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Je présente devant vous la proposition de loi visant à créer le dispositif de protection des personnes victimes de violences conjugales, accessoire à l'ordonnance de protection. Hier, nous avons su dépasser les clivages partisans pour inscrire dans la Constitution le droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Nous avons gravé dans le marbre de la loi et dans l'histoire de la France la reconnaissance d'un droit auquel une femme peut recourir même si elle est, pour une raison ou pour une autre, en situation de vulnérabilité. Nous l'avons fait ensemble parce que le rôle du Parlement est aussi celui-là : rappeler que l'État doit d'abord et avant tout protéger les plus vulnérables et que le droit s'applique à tous. L'État protecteur est celui qui accompagne le départ, qui préserve les enfants, qui offre la possibilité à une personne de quitter son domicile sans risquer les coups de son conjoint, ces coups qui seraient les coups de trop.

Puisque la France est le premier pays à aller aussi loin dans la protection du droit des femmes, montrons encore une fois notre capacité à œuvrer ensemble pour une cause commune : la lutte contre les violences intrafamiliales. Demain, en nous réveillant, nous pourrons ainsi nous dire que c'est ensemble que nous avançons, dans l'intérêt des Françaises et des Français, partout sur le territoire, partout où l'État doit protéger, même dans le délicat cercle familial.

Je sais que M. le garde des sceaux y œuvre depuis son entrée en fonction. Je salue le travail d'Erwan Balanant, particulièrement investi dans la lutte contre les violences intrafamiliales, et de Cécile Untermaier, à l'origine d'une proposition de loi visant à renforcer l'ordonnance de protection, adoptée en première lecture à l'Assemblée en février 2023. Je tiens également à rendre hommage à toutes ces femmes et ces hommes qui œuvrent discrètement mais sûrement, comme Sarah Barukh, Ernestine Ronai, Ghada Hatem, Isabelle Rome, Marlène Schiappa et bien d'autres, hier, aujourd'hui et demain.

L'ordonnance de protection a été créée en France en 2010. Il s'agit d'une disposition de droit civil par laquelle le juge aux affaires familiales (JAF) peut prendre des mesures destinées à protéger une personne victime de violences commises par son conjoint ou ex-conjoint, notamment des interdictions de contact ou de paraître, mais aussi l'interdiction de détenir une arme. Depuis la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, le juge doit se prononcer en six jours à compter de la fixation de la date de l'audience, contre quarante jours auparavant. L'ordonnance de protection peut – c'est un point important – être prise même si aucune procédure pénale n'a été préalablement engagée.

Deux éléments doivent être réunis pour qu'elle soit délivrée : des violences vraisemblables commises sur la partie demanderesse et un danger vraisemblable auquel cette personne ou ses enfants seraient exposés.

Cette ordonnance est la première étape de la protection de la victime de violences conjugales. Comportant des mesures prises pour une durée maximale de six mois, elle protège la victime et lui donne l'espace et la sécurité nécessaire pour stabiliser sa situation juridique, financière et personnelle. Nous devons aller plus loin et nous le pouvons, en comblant ce vide de six jours entre le moment de la saisine du JAF et le prononcé de la décision – ces six jours durant lesquels l'auteur a connaissance de la date de l'audience et durant lesquels, si on ne protège pas la victime, il peut se présenter au domicile et donner des coups qui peuvent conduire à la mort. Les dossiers nous le montrent : de telles situations existent.

La lutte contre les violences entre partenaires, considérées il y a encore quelques années comme relevant du ressort de l'intime et du foyer conjugal, est devenue un véritable enjeu de politique publique, comme en témoigne la création du téléphone grave danger (TGD), du bracelet antirapprochement (BAR), de l'ordonnance de protection et du pack nouveau départ. Le Grenelle des violences conjugales organisé dès 2019, a favorisé la prise de conscience collective et s'est traduit par des avancées concrètes. Continuons ensemble.

Les violences au sein du foyer restent néanmoins prégnantes : en 2022, 244 000 victimes de violences commises par leur conjoint ou ex-conjoint ont été enregistrées par les services de sécurité. C'est un véritable fléau auquel nous ne devons jamais nous résigner.

La Première ministre Élisabeth Borne, consciente du chemin restant à parcourir, avait, en septembre 2022, chargé la sénatrice Dominique Vérien et moi-même de faire des propositions pour améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales. Plusieurs centaines d'auditions ont abouti à cinquante-neuf recommandations, qui forment le Plan rouge VIF – rouge pour le sang, VIF pour « violences intrafamiliales ». La présente proposition de loi vise à réaliser une de ces recommandations, à savoir la création d'une ordonnance de protection immédiate, outil mis à la disposition du juge pour lui permettre de mieux protéger les victimes.

L'article 1er tend ainsi à créer un nouveau dispositif, l'ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI), qui complète l'ordonnance de protection. L'objectif est de permettre au juge aux affaires familiales de prononcer des mesures de protection en urgence, dans les vingt-quatre heures après sa saisine. Le JAF se prononcera seulement sur les éléments présentés dans la requête : aucun élément avancé par la partie défenderesse ne sera examiné – il n'y a pas lieu à ce stade de parler d'« auteur » car il s'agit d'une procédure civile.

L'absence de contradictoire et le délai extrêmement court dans lequel le juge aux affaires familiales peut prononcer des mesures restrictives de liberté exigent un encadrement très strict du dispositif pour garantir l'équilibre entre la protection de la partie demanderesse et les atteintes aux libertés de la partie défenderesse. Ainsi, seul le procureur de la République sera en mesure de saisir le juge aux affaires familiales pour demander cette ordonnance provisoire. Il pourra le faire uniquement si une demande d'ordonnance de protection a été formulée – demande sur laquelle le juge doit se prononcer dans les six jours, comme je l'ai rappelé. L'ordonnance provisoire de protection immédiate n'est pas un dispositif autonome, mais une étape préalable à l'ordonnance de protection. Le monopole du procureur de la République, ainsi que l'obligation de déposer une ordonnance de protection pour obtenir une ordonnance provisoire, limitent les risques d'instrumentalisation de l'ordonnance provisoire de protection immédiate.

Autre garantie : les mesures prises dans le cadre de l'ordonnance provisoire seront limitées dans le temps. L'article 1er prévoyait, dans sa rédaction initiale, une borne maximale de six jours, que la commission des lois a supprimée. Il n'est pas question de revenir sur le délai de six jours dans lequel le juge aux affaires familiales doit se prononcer, mais de garantir la bonne articulation entre les deux dispositifs.

Les mesures susceptibles d'être ordonnées par le juge aux affaires familiales seront aussi limitées en nombre. Enfin, la délivrance d'une ordonnance provisoire de protection immédiate sera soumise à des exigences plus fortes que pour l'ordonnance de protection : en plus des violences vraisemblables, le juge devra estimer qu'il existe un danger grave et immédiat pour la victime.

L'article 2 prévoit une sanction en cas de violation des mesures prononcées. Enfin, l'article 3 permet l'application de ces dispositions en outre-mer.

La réussite de ce nouveau dispositif repose sur une coopération forte entre le parquet et le juge aux affaires familiales, qui devrait être facilitée par la création des pôles spécialisés au sein de chaque tribunal judiciaire et de chaque cour d'appel, disposition qui figure dans le rapport annexé à la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice du 20 novembre 2023 et qui est effective depuis le 1er janvier 2024. L'objectif est de protéger la personne en danger, en attendant que le juge aux affaires familiales puisse analyser la situation et prononcer des mesures de plus long terme dans le cadre de l'ordonnance de protection, et indépendamment de toute procédure judiciaire ou dépôt de plainte.

En plus de créer ce nouveau dispositif, l'article 1er modifie l'ordonnance de protection en portant à douze mois la durée des mesures susceptibles d'être prises par le juge aux affaires familiales, afin d'aligner la protection des personnes vivant en couple non marié et sans enfant sur celle des personnes mariées avec ou sans enfant.

J'ai pu constater, lors des auditions, la forte mobilisation du monde judiciaire sur ce sujet. Je salue l'investissement sans faille des magistrats, des avocats, mais aussi des associations et du garde des sceaux pour protéger les victimes de violences intrafamiliales, qu'elles soient majeures ou mineures, sans jamais avoir peur. Car la politique, c'est ça : ne jamais trembler, afin de progresser. Ensemble, donnons-nous les moyens de nos ambitions et construisons l'avenir de nos enfants sans violence à la maison. Personnellement, je crois en nous.

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