La séance est ouverte à 9 heures 05.
Présidence de M. Sacha Houlié, président.
La Commission examine la proposition de loi visant à renforcer la réponse pénale contre les infractions à caractère raciste ou antisémite (n° 1727) (M. Mathieu Lefèvre, rapporteur).
Lien vidéo : https://assnat.fr/vf9nYO
Cette proposition de loi a été inscrite à l'ordre du jour dans le cadre de la semaine de l'Assemblée nationale, à la demande du groupe Renaissance. Elle a été déposée le 12 octobre 2023 par Mathieu Lefèvre, Caroline Yadan et les membres du groupe Renaissance.
C'est l'un de vos illustres prédécesseurs à la tête de cette commission, monsieur le président, qui a écrit : « Quand la France devient raciste, elle cesse d'être la France. […] Le racisme, voilà l'ennemi de la France. C'est en se délivrant moralement et politiquement du racisme que notre patrie retrouvera le secret de sa grandeur et de son rayonnement dans le monde ». Ces mots du gaulliste de gauche qu'était René Capitant ont été repris dans le journal antiraciste Droit et Liberté, il y a près de soixante-dix ans. Le centriste René Pleven s'était quant à lui adressé à l'Assemblée nationale, le 7 juin 1972, pour présenter la loi qui gravera son nom dans la postérité. Et le communiste Jean-Claude Gayssot était monté à la tribune le 2 mai 1990 pour proposer à la représentation nationale d'interdire la contestation de la Shoah.
Ces illustres personnalités avaient-elles alors conscience que la lutte contre le racisme et l'antisémitisme demeurerait longtemps encore un combat à mener ? Entre 2016 et 2023, les atteintes à caractère raciste, xénophobe ou antireligieux ont augmenté de plus de 56 %. L'année 2023 a d'ailleurs marqué un tournant : ces mêmes atteintes constituant des crimes et délits ont progressé de plus de 30 % ; le nombre d'actes antisémites, qui était de 436 en 2022, est passé à 1 676, dont près des deux tiers portant directement atteinte aux personnes.
Cette explosion des actes antisémites sur notre sol, constatée au lendemain des attentats terroristes du Hamas visant Israël le 7 octobre 2023, est l'un des symptômes les plus nauséabonds des heures graves que traverse la France. Il est plus qu'intolérable de constater que les actes à caractère discriminatoire augmentent dans notre pays. Face à leurs auteurs, la société tout entière doit être mobilisée – le législateur également. Je tiens à rendre hommage à nos forces de l'ordre et à nos magistrats, qui font un travail remarquable. Tous les magistrats du parquet que nous avons auditionnés nous ont dit à quel point la répression de ces actes était une priorité pour eux. Je ne voudrais pas laisser croire que cette proposition de loi viendrait pallier une déficience de leur volonté car ils sont pleinement impliqués dans cette lutte.
En 2023, le Gouvernement a présenté un nouveau plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine pour la période 2023-2026. Plusieurs réunions interministérielles ont déjà eu lieu pour le mettre en œuvre. C'est désormais au législateur de prendre sa part de cet effort. D'où cette proposition de loi qui fait droit à l'axe 4 du plan de lutte, concernant la sanction des auteurs.
Cette proposition de loi, écrite avec ma collègue Caroline Yadan, que je remercie pour son implication, est née d'une approche concrète et pragmatique. Il s'agit de pallier ce que l'on peut considérer comme étant des lacunes ou des insuffisances de notre droit. Ainsi, des prédicateurs de haine multirécidivistes échappent à la justice, qui les a pourtant condamnés, car aucun mandat d'arrêt ne peut être délivré s'il s'agit de délit de presse. En 2019, le parquet avait dû interjeter appel du jugement de la treizième chambre du tribunal correctionnel de Paris qui avait condamné Alain Soral à un an d'emprisonnement, assorti d'un mandat d'arrêt : ce dernier était dépourvu de fondement juridique.
L'article 1er de la proposition de loi veut mettre fin à ce dévoiement des principes de la liberté d'expression. Il permet au tribunal correctionnel de délivrer un mandat d'arrêt ou de dépôt contre un prévenu condamné à une peine d'emprisonnement pour apologie ou contestation de crime contre l'humanité. Cela ne remet absolument pas en cause les grands équilibres de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, à laquelle je suis, comme vous tous, très attaché. Il aurait pu être envisagé de sortir ces infractions du périmètre de la loi de 1881 et d'en faire des délits de droit commun, comme cela a été le cas concernant l'apologie du terrorisme en 2014. Ce n'est pas le choix que nous avons fait.
L'article 2 tend à répondre à une désinhibition croissante des auteurs de provocations à la haine, de diffamations ou d'injures non publiques, la jurisprudence ayant par ailleurs une vision restreinte des propos ou écrits qu'elle considère comme publics. Si les propos ou écrits publics constituant des délits semblent suffisamment réprimés, la sanction actuellement prévue pour leurs pendants non publics paraît sous-dimensionnée compte tenu de leur très forte augmentation. L'article 2 vise donc à transformer les provocations, diffamations et injures non publiques à caractère raciste ou discriminatoire en délits. Par souci d'exemplarité, une circonstance aggravante est prévue si l'une de ces infractions est commise par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, comme c'est déjà le cas pour les mêmes infractions commises en public.
Ce cheminement se fait sans remise en cause des grands équilibres du droit de la presse. Il s'agit d'adaptations nécessaires et proportionnées pour répondre à cette menace de plus en plus insidieuse et prégnante. Certes, la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et toutes les formes de discrimination est aussi une affaire d'éducation, mais la réponse pénale affirme les valeurs républicaines que le législateur entend protéger.
Selon la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), 1,2 million de personnes en France subissent au moins une atteinte à caractère raciste, antisémite ou xénophobe chaque année. Pour 2023, le constat est beaucoup plus alarmant du fait de l'explosion qui dépasse les 1 000 % des actes et des propos antisémites, en lien avec l'attaque terroriste du Hamas du 7 octobre 2023 en Israël. La haine de l'autre s'exprime sur les murs de nos rues, dans nos universités, sur les réseaux sociaux, mais aussi dans la sphère privée, au travail ou à l'école. Pourtant, la réponse pénale n'est pas toujours adaptée.
Le 15 avril 2019, la treizième chambre du tribunal correctionnel de Paris condamnait l'essayiste d'extrême droite Alain Soral à une peine d'un an de détention, assortie d'un mandat d'arrêt, pour contestation de crime contre l'humanité. Cette décision aurait dû mettre un terme à l'impunité de ce triste personnage, sanctionné à de multiples reprises pour des faits similaires. Il n'en a rien été. Le parquet a interjeté appel du mandat d'arrêt, estimant qu'il était dépourvu de fondement juridique. En effet, l'article 465 du code de procédure pénale ne prévoit la possibilité de décerner un mandat d'arrêt que s'il s'agit d'un délit de droit commun ou d'un délit d'ordre militaire et si la peine prononcée est au moins d'une année d'emprisonnement. En l'espèce, le prévenu avait été condamné pour une infraction non de droit commun, mais prévue et réprimée par l'article 24 bis de la loi de du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ce qui rendait l'exécution de ce mandat d'arrêt contraire à la loi. Ce vide juridique profite à de nombreux auteurs d'infractions graves à caractère raciste ou antisémite.
Pour mieux lutter contre ces faits, pour préserver notre pacte républicain et protéger nos concitoyens, la sanction pénale doit être plus efficace. Concrètement, l'enjeu de cette proposition de loi est de pouvoir sanctionner les idéologues qui sévissent notamment sur les réseaux sociaux sur internet – ces multirécidivistes qui sont rarement présents à leurs audiences et vivent à l'étranger pour échapper à leur condamnation, comme les sieurs Ryssen, Reynouard, Le Lay ou encore M'bala M'bala, pour ne citer que les plus sinistres d'entre eux. L'article 1er du texte de loi vise donc à permettre l'exécution immédiate de la peine d'emprisonnement par l'émission d'un mandat d'arrêt ou de dépôt, en cas d'infraction grave à caractère raciste ou antisémite.
En l'état actuel du droit, l'injure, la diffamation et la provocation à la haine à caractère raciste, antisémite, sexiste ou homophobe, lorsqu'elles sont non publiques, constituent une contravention de cinquième classe, qui expose son auteur à une peine maximale de 1 500 euros d'amende. Quand elles sont publiques, ces mêmes infractions à caractère discriminatoire sont punies d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Dans la pratique, la différence entre le caractère public ou non public est très ténue. Des propos répréhensibles sur un groupe WhatsApp peuvent, selon les cas, être considérés comme publics ou non publics. L'impact sur la victime, lui, est toujours violent. Dans l'article 2, nous proposons donc de transformer les provocations, injures et diffamations non publiques en délit, et de prévoir une circonstance aggravante lorsque ces infractions sont commises par des personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public.
Le groupe Renaissance proposera plusieurs amendements. Le premier vise à élargir le champ d'application de la loi. Le deuxième prévoit la possibilité pour certaines associations d'ester en justice pour les infractions prévues par l'article 2 de la proposition de loi. Le troisième et dernier propose de transformer la contestation et l'apologie non publiques de crime contre l'humanité en délits.
Notre groupe votera naturellement en faveur de cette proposition de loi, inspirée du dernier plan de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Je tiens à saluer le travail de grande qualité effectué par Mathieu Lefèvre sur ce texte que j'ai l'honneur de défendre à ses côtés.
Plus que jamais, la France doit faire face au racisme et, disons-le, à une recrudescence de l'antisémitisme d'un niveau inégalé. La haine et les agressions à l'égard des personnes de confession juive connaissent une ampleur particulièrement préoccupante. L'année 2023 en a été le triste théâtre. L'idéologie du Hamas est sur notre sol, ses manifestations violentes et ignobles en sont une preuve glaçante. Plus de 1 500 actes antisémites ont été commis en France au cours de la seule la période allant du 7 octobre au 15 novembre 2023, au point que nous avons dû descendre dans la rue pour dire non à cet antisémitisme. Certains ici n'étaient d'ailleurs pas présents à cette manifestation, sans doute par calcul politicien ou communautarisme – vous pouvez avoir honte. Pourtant, selon un sondage publié par l'Ifop le 28 septembre dernier, neuf étudiants de confession juive sur dix déclaraient avoir été victimes d'au moins un acte antisémite. Ces derniers mois et ces derniers jours encore, des manifestations dites pro-palestiniennes, appelant à la haine d'Israël et de l'Occident, ont eu lieu sur notre sol, le sol de la République française. C'est une véritable honte, et certains ici ont même de la sympathie pour cela.
Et vous, dans la majorité présidentielle, que faites-vous ? Absolument rien. Vous n'êtes que dans le paraître, comme les Français le savent bien. En laissant se propager cette haine, vous la laissez se multiplier, vous ne défendez pas la sécurité des victimes de ce racisme et les mettez en danger.
Sur le sol de la République, il est également courant d'entendre désormais s'exprimer un racisme anti-français quotidien banalisé. L'expression de cette haine de la France et de son histoire n'étant pas combattue par le Gouvernement, on peut cracher sur la France et les Français en toute impunité. Sur ce racisme-là, les associations sont aux abonnés absents. Pourtant, même votre ancien ministre de l'intérieur, feu Gérard Collomb, déclarait : « Aujourd'hui, on vit côte à côte, je crains que demain on vive face à face. » Oui, le racisme sous toutes ses formes et l'antisémitisme se retrouvent partout sur notre sol au quotidien. Alors que certains ici ferment les yeux par communautarisme, peur, lâcheté ou calcul politique, au Rassemblement national, nous pensons qu'il faut lutter avec acharnement contre tous ces fléaux. C'est une question de principe.
Il faut aussi avoir le courage de dire qu'à force de faire entrer sur notre sol une immigration massive non maîtrisée et d'abandonner toute idée de politique d'assimilation, vous fabriquez le terreau du communautarisme et de ce face-à-face annoncé par Gérard Collomb, qui ajoutait d'ailleurs que des quartiers entiers sont aux mains des islamistes radicaux. Il faut donc de toutes nos forces, sans avoir la main qui tremble, sanctionner les auteurs. Il est inacceptable que nos compatriotes ne puissent plus circuler dans certains quartiers sans avoir peur. Ces actes constituent une première étape de la rupture de notre pacte républicain.
Or nous ne pouvons que constater, une nouvelle fois, l'incapacité criante du Gouvernement à assumer pleinement ses responsabilités et à tenir ses engagements. Le pouvoir est aveugle et sourd ; il ne traite pas les problèmes qui affectent gravement le quotidien de nos compatriotes. Le Gouvernement ne sait pas où il va ni où il emmène les Français. En 2017, Emmanuel Macron prétendait servir les Français avec amour. Sept ans plus tard, nos compatriotes sont privés de leur sécurité, de leur liberté d'aller et venir, de la sérénité qui leur est essentielle. Ils restreignent d'eux-mêmes leur liberté par peur de ce qui pourrait leur arriver. La France est montrée du doigt dans le monde pour son laxisme. Ce texte médiocre n'y changera rien. Face à cette situation catastrophique, la Macronie est une fois de plus dans l'affichage.
« La race n'existe pas, mais elle tue. » « La race n'existe pas, pourtant elle est partout. » Ces mots sont ceux de la sociologue française Colette Guillaumin dans L'Idéologie raciste, ouvrage publié en 1972. Quarante ans plus tard, la Défenseure des droits s'alarme car la discrimination raciste ne fait l'objet d'aucune politique publique d'ampleur.
Pourtant, le venin du racisme et de l'antisémitisme est partout. Des millions de citoyens sont exclus de la société et mis en danger dans leur intégrité physique et même morale. Les personnes d'origine étrangère ou perçues comme telles, les personnes assignées à une prétendue appartenance raciale sont davantage exposées au chômage ou à la précarité sociale et sanitaire. Année après année, le nombre d'actes et propos racistes et antisémites explose : le service statistique du ministère de l'intérieur et des outre-mer rapporte en 2023 une hausse de 13 % par rapport à 2019, alors même que de nombreux cas sont tus.
Malheureusement ce texte prend le problème à l'envers : à quoi bon mettre l'accent sur le renforcement de la réponse pénale quand les victimes ne peuvent même pas porter plainte et ne trouvent ni écoute, ni débouché judiciaire ? Encore et toujours, vous pensez inflation pénale, vous abordez la fin du processus quand il n'est même pas encore enclenché.
Je pense aux propos et actes non déclarés, le fameux « chiffre noir » : les victimes estiment que justice ne sera pas rendue, que les procédures seront trop lourdes ; elles savent que les faits sont trop souvent minimisés, que leur caractère raciste ou antisémite est maintes fois contesté lors des dépôts de plainte. Pire, la transformation des contraventions en délits va emboliser les tribunaux et rallonger les procédures dans un système judiciaire aux moyens insuffisants. Lors des auditions, nous avons d'ailleurs pu constater que les professionnels de la justice étaient majoritairement sceptiques.
Le plan national de lutte de 2023 est déjà un catalogue de mesurettes sans ambition, alors que le phénomène est systémique. La Défenseure des droits, que vous n'avez pas auditionnée, ne dit pas autre chose. De fait, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Face au racisme structurel, il faut installer un antiracisme structurant, qui passe par la fin du déni sur les causes historiques et structurelles du racisme et de l'antisémitisme. Je pense à cette tendance réactionnaire, répandue de l'extrême droite à la minorité présidentielle, qui caricature les antiracistes en wokistes, voire en racistes ou en racialistes, leur tort étant d'oser aborder frontalement les impasses d'un universalisme théorique et exclusif qui ne résiste pas à la réalité.
Oui, dans notre République, certaines politiques publiques ont entretenu et entretiennent encore des traitements différenciés. L'adoption de votre loi sur l'immigration, avec ses logiques nauséabondes de préférence nationale, est, selon une députée Renaissance, une victoire idéologique offerte « sur un plateau » au RN. Vous tentez désormais de vous racheter une conscience. À La France insoumise, nous appelons à la réalisation de notre idéal républicain, réellement universaliste et donc réellement antiraciste. Nous voulons un commissariat à l'égalité et un code de la discrimination, des moyens pour la Défenseure des droits, un accompagnement sérieux des victimes, un plan ambitieux au sein des institutions et des services de l'État, dans l'éducation, dans les médias, la culture et la recherche, afin d'éradiquer le racisme et l'antisémitisme. Il y a 1,2 million de personnes de plus de 14 ans qui déclarent avoir été victimes d'au moins une atteinte à caractère raciste. Êtes-vous prêts à agir réellement pour elles ?
Avec 1 673 faits recensés en 2023, le nombre d'actes antisémites commis en France a été multiplié par quatre au cours de l'année écoulée. Pire : ils ont augmenté de 1 000 % depuis les attaques du 7 octobre dernier en Israël. Cette tendance est encore plus terrifiante quand on sait que 60 % de ces actes antisémites concernent des atteintes aux personnes, d'après un récent rapport du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). De même, le nombre d'actes racistes enregistrés par la police et la gendarmerie continue d'augmenter en France. Selon le ministère de l'intérieur et des outre-mer, les plus graves d'entre eux, à savoir les crimes et délits racistes, ont même connu une hausse de 29 % entre 2017 et 2022. Il est de plus à craindre que la prolifération des discours racistes, antisémites ou xénophobes sur les réseaux sociaux puisse banaliser et donc légitimer le passage à l'acte raciste. Si cette tendance se poursuivait, il s'agirait d'un profond recul pour la société française.
Le dernier bilan du ministère de la justice sur le traitement des infractions à caractère raciste démontre une volonté d'y répondre fermement. Toutefois et malheureusement, leur multiplication interroge aussi sur l'évidente nécessité de renforcer notre droit pénal pour lutter plus efficacement contre les fléaux qui gangrènent notre pays. C'est l'objet de cette proposition de loi qui veut améliorer l'efficacité des sanctions envers les auteurs de ces actes inadmissibles dont le nombre ne cesse de s'accroître, notamment pour ceux qui sont commis sur les réseaux sociaux et internet. Elle cible plus particulièrement certains idéologues multirécidivistes, rarement présents à leur audience ou vivant à l'étranger pour échapper à leur condamnation.
L'article 1er donne la possibilité au tribunal d'émettre un mandat de dépôt ou un mandat d'arrêt en cas de condamnation pour contestation de crime contre humanité ou apologie de crime contre humanité ou de crimes de guerre. L'article 2 transforme en délits les contraventions existantes en matière de provocation non publique à la discrimination et d'injure et de diffamation non publique à caractère raciste et antisémite. Il prévoit une circonstance aggravante lorsque l'infraction est commise par une personne dépositaire de l'autorité publique.
Au cours de nos travaux, nous aurons à étudier plusieurs amendements déposés par le groupe Les Républicains, inspirés directement du droit allemand. Ils visent notamment à interdire l'accès à la nationalité française à toute personne condamnée pour actes antisémites, racistes ou xénophobes, ou à limiter la délivrance de titres de séjour aux étrangers condamnés pour ces mêmes faits.
Cette volonté de renforcer les sanctions s'inscrit dans la continuité de notre droit qui évolue depuis cinquante ans pour s'adapter aux actes à caractère raciste et antisémite et à leur mutation. De la création des délits spécifiques sur la violence raciale, votée sous le président Pompidou, à la loi Gayssot du 13 juillet 1990 réprimant le racisme, l'antisémitisme ou la xénophobie, nous avons toujours su nous adapter à l'évolution de ces faits pour garantir une réponse pénale systématique.
Dans le contexte actuel de flambée des actes et des propos antisémites, le renforcement des peines est bienvenu pour assurer l'efficacité de la justice dans la répression des discours haineux et des comportements discriminatoires. En conséquence, le groupe Les Républicains soutiendra cette proposition de loi.
Merci de m'accueillir au sein de cette prestigieuse commission des Lois : je suis particulièrement honoré d'y siéger durant quelques heures pour examiner deux textes importants, qui ne sont pas simplement déclaratoires ou symboliques. L'un participe à la lutte contre toute forme de discrimination liée à l'orientation sexuelle, l'autre au dévoiement de la liberté d'expression lorsque celle-ci concourt à la provocation à la haine, à la diffamation ou à l'injure discriminatoire ou antisémite.
Notre démocratie ne peut et ne doit pas trembler face à toutes les formes d'insulte ou de dérision concernant la mémoire des morts de la Shoah, qui sont des crimes majeurs contre l'humanité. La lutte contre toute forme de racisme doit être un combat prioritaire, mené sans relâche partout et par tous. C'est pourquoi nous devons nous féliciter de l'adoption en janvier 2023 du plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine 2023-2026, qui s'inscrit dans la continuité de celui de mars 2018. La présente proposition de loi traduit une partie des quatre-vingts actions qu'il définit.
Chaque année, 1,2 million de personnes subissent une discrimination ou une atteinte à caractère raciste ou antisémite, chiffre qui justifie à lui seul la nécessité de mener des politiques publiques ambitieuses et volontaristes en la matière. À l'heure où les réseaux sociaux peuvent être des catalyseurs de haine ou de discours nauséabonds, nous devons avoir à l'esprit que ces propos peuvent engendrer des raids numériques, des agressions physiques ou verbales et des actes de vandalisme – bref, ils sont une rupture dans notre pacte social.
De tels propos ne peuvent avoir droit de cité, à plus forte raison lorsqu'ils sont tenus par des personnes dépositaires de l'autorité publique. Affirmons-le sans difficulté, sans nous en excuser. Affirmons qu'aucune banalisation en la matière n'est tolérable. Affirmons qu'aucune mise à mal de nos valeurs humanistes de tolérance et de respect pour toute femme et tout homme n'est acceptable. Affirmons que nous, législateurs, devons être les gardiens, les vigies en alerte face à toute tentative d'atteinte à cette promesse républicaine. Affirmons que la présente proposition de loi peut être un énième pas dans la lutte sans faille qu'il nous appartient de mener face au racisme et à l'antisémitisme.
L'article 1er permettra au tribunal correctionnel de délivrer un mandat d'arrêt ou de dépôt contre un prévenu condamné à une peine d'emprisonnement pour contestation de crime contre l'humanité ou apologie de crime contre l'humanité ou de crime de guerre. Il s'agit de remédier au vide juridique qui permet à des auteurs de telles infractions de ne pas être inquiétés par la justice. Il est en effet intolérable que des criminels racistes soient protégés par une loi qui protège la liberté de la presse.
L'article 2 vise à transformer en délits les contraventions actuellement prévues en matière de provocation à la discrimination, d'injure et de diffamation à caractère raciste et antisémite lorsqu'elles sont non publiques. Cette disposition permettra de sanctionner plus sévèrement des propos provoquant à la haine, distillés dans le cadre d'une communauté d'intérêts. Il prévoit une circonstance aggravante lorsque l'infraction est commise par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, manière de rappeler l'exemplarité sans faille attendue dans ce cas.
S'il est heureux de se doter d'un cadre normatif solide, il ne faut pas croire que la seule augmentation du quantum des peines permettra de venir à bout du phénomène. Ne négligeons pas les autres axes du plan gouvernemental : l'éducation et la prévention. À cet égard, nous pouvons saluer tous les acteurs institutionnels ou associatifs qui agissent en ce sens. Si la justice incarcère, elle doit aussi réparer et contribuer à renouer le dialogue. Il y va de la concorde nationale.
Je ne peux commencer cette intervention sans remercier Mathieu Lefèvre et Caroline Yadan pour leur travail et sans citer Robert Badinter, qui a mené une vie de lutte contre le racisme, parmi tant d'autres combats que nous lui devons. « Pour notre part, citoyens juifs de France, attachés indéfectiblement aux valeurs de la République, au nom de tous nos martyrs, nous lutterons sans trêve et par tous les moyens que la loi nous donne contre le racisme et l'antisémitisme, cette lèpre de l'humanité, qui demeure toujours et partout, l'expression de la barbarie », écrivait-il dans une tribune publiée dans Le Monde, le 12 février 2015. Il n'est pas besoin d'être juif ou d'appartenir à une communauté pour en défendre les droits : le principe humaniste et universaliste prévaut.
Nous regrettons ce constat inquiétant de la hausse des actes antisémites et racistes. Sans reprendre tous les chiffres, je rappelle que 281 affaires d'antisémitisme ont été signalées à la cour d'appel de Paris depuis le 7 octobre dernier, et que l'éducation nationale enregistre une explosion de ces faits dans les collèges et les lycées – d'où la nécessité d'agir aussi dans ce domaine.
Si le texte proposé ne pose pas de difficulté particulière, nous pouvons cependant nous interroger sur son efficacité. L'article 1er, qui donne la possibilité de décerner un mandat d'arrêt ou de dépôt contre un prévenu condamné à une peine d'emprisonnement pour contestation ou apologie de crime contre l'humanité, risque d'avoir une application limitée. C'est ce qui ressort des auditions. Est-ce une raison pour ne pas chercher à combler ce vide juridique ? Je ne le pense pas et je comprends l'intention des auteurs de la proposition de loi.
L'article 2 transforme les contraventions d'injure raciste ou discriminatoire non publique en délits. Par son caractère dissuasif important, la contravention a son utilité. Quand on transforme une contravention en délit, je redoute toujours que cela conduise à une forme d'impunité, le délit n'étant pas prononcé. Nous devons prendre la mesure de ce changement. C'est vrai, les injures non publiques proférées dans le cadre d'une communauté d'intérêts augmentent de façon préoccupante et il ne doit pas y avoir d'impunité, mais je ne suis pas sûre que la meilleure façon de lutter contre ce phénomène soit d'en faire un délit. On peut admettre cependant que l'exigence de lutter contre ce fléau justifie ce caractère délictuel.
Nous avons déposé des amendements sur ce point, car si l'on veut passer au délit, il nous semble indispensable d'instaurer aussi des dispositifs de justice restaurative. Dans ces affaires de racisme et d'antisémitisme, il faut mettre les auteurs et les victimes les uns en face des autres : la discrimination tombe alors d'elle-même, faute d'arguments rationnels. Il serait donc très utile de compléter cet article 2 par une obligation de justice restaurative, à condition bien sûr que la victime le souhaite. Enfin, je pense qu'il faut responsabiliser davantage les hébergeurs de sites et les réseaux sociaux.
À mon tour, je veux saluer la qualité du travail que vous avez effectué, monsieur le rapporteur, avec Caroline Yadan.
« On a pensé que la bête était gavée de sang, avec les six millions de juifs morts en Europe. Pas du tout : elle renaît », disait Robert Badinter, qui a dédié une partie de sa vie au combat contre le racisme et l'antisémitisme. Nombreuses sont les personnalités qui ont porté avant nous, dans notre assemblée, la lutte contre l'antisémitisme et le racisme. Vous avez cité les plus éminentes, monsieur le rapporteur. Et pourtant, le combat contre l'antisémitisme et le racisme reste plus que jamais d'actualité et appelle une réponse pénale plus forte, plus ferme.
Les chiffres, rappelés par mes collègues, sont connus. Mais ne nous leurrons pas : ces discours de haine, qu'ils soient tenus en public ou en privé, constituent en réalité une première étape dans la brutalisation de la vie publique. Ils tendent à banaliser une violence qui pourra ensuite être exprimée par un passage à l'acte, pour des délits plus graves ou pour des crimes. Ils sont devenus désormais tellement répandus que l'on ne peut plus attendre que se produisent des atteintes graves à la personne pour prendre de véritables sanctions.
Les faits d'apologie du terrorisme sont en hausse depuis plusieurs années. Ils ont connu une nouvelle progression à la suite des attaques barbares perpétrées par les terroristes du Hamas contre le peuple israélien, d'une part, et du meurtre de Dominique Bernard, d'autre part. Comme le souligne M. le rapporteur, l'année 2023 a été d'une exceptionnelle violence. Depuis le 7 octobre 2023, la haine et les agressions antisémites connaissent une recrudescence particulièrement préoccupante : plus de 1 500 actes antisémites ont été commis en France entre le 7 octobre et le 15 novembre 2023, contre 436 actes de ce type recensés pour l'ensemble de l'année 2022.
Cette double augmentation des attaques antisémites et des infractions qui relèvent de l'apologie du terrorisme s'inscrit dans un contexte de banalisation des discours de haine, tendance inquiétante tant pour la sécurité de nos concitoyens que pour la cohésion de la société, qui nécessite un durcissement et un élargissement de l'arsenal juridique.
Notre droit n'est plus adapté pour faire face à ces formes de violence verbale ou écrite de plus en plus prégnantes dans la société, qui mettent à mal le pacte républicain. Un sentiment d'impunité s'est propagé, notamment du fait de la faiblesse des peines encourues en cas d'injure ou de diffamation non publique, en particulier lorsque ces dernières présentent un caractère discriminatoire. Comment accepter qu'une personne qui en insulte une autre, par courrier, en raison de sa religion ou de son orientation sexuelle, ne puisse faire l'objet que d'une amende de 38 euros ? Les peines doivent être dissuasives, sauf à n'avoir qu'une efficacité très limitée. Certaines personnes, qui sont parfaitement conscientes de ne s'exposer qu'à une contravention, ne mesurent pas les conséquences que peuvent avoir une lettre ou un message privé contenant des injures à caractère raciste, antisémite ou homophobe.
Notre droit doit assumer une fermeté sans faille en la matière. Même dans un cadre non public, de tels propos sont inacceptables. Nous ne pouvons admettre cette violence et en tolérer la banalisation. Le Gouvernement a pris pleinement la mesure de l'urgence à lutter contre les discours de haine, comme l'atteste le plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine, lancé le 30 janvier 2023 par la Première ministre Élisabeth Borne.
Convaincu de la nécessité de mieux réprimer les discours de haine, le groupe Horizons a déposé le mois dernier une proposition de loi reprenant l'article visant à délictualiser la provocation à la discrimination, l'injure et la diffamation non publiques, ainsi qu'à créer une circonstance aggravante sur le modèle de la proposition de loi que nous examinons ce matin. La fermeté envers les prédicateurs de haine suppose aussi qu'ils ne puissent échapper au droit commun en matière de recherche, d'interpellation et de mise en détention. Il est intolérable qu'Alain Soral, qui a été condamné à un an de prison au nom du peuple français, ne puisse faire l'objet d'un mandat d'arrêt. Face à l'antisémitisme et au racisme qui empoisonnent notre société, bafouent nos valeurs et abîment notre démocratie, nous devons être intraitables et renforcer notre arsenal législatif.
Pour l'ensemble de ces raisons, les députés du groupe Horizons soutiendront avec conviction la proposition de loi.
Monsieur le rapporteur, dans l'exposé des motifs de la proposition de loi et dans vos propos, vous avez ciblé nommément un certain nombre de personnes, ce qui met en lumière, me semble-t-il, les limites de votre texte. Le combat que nous avons à mener ne concerne pas seulement quelques individus, qui constituent la face immergée de l'iceberg, mais une culture dans son ensemble. Nous avons le devoir de changer la société, de mettre fin à la culture de la tolérance, à cette fenêtre d'Overton que l'on trouve aussi bien dans les grands médias, télévisuels et écrits, que sur les réseaux sociaux et aussi dans notre hémicycle. Il faut combattre la tolérance aux propos racistes et antisémites et à la haine de l'autre sous toutes ses formes, que cette altérité soit imaginée ou réelle.
Vous avez choisi d'appréhender l'altérité dans sa diversité. Vous vous êtes essayés à une définition du champ de l'intolérance, qui ne peut jamais être exhaustive, surtout pas dans la loi. Nous vous rejoignons sur le fait qu'aucune démocratie mature ne saurait accepter l'intolérance. Mais se battre contre cette peste qui s'est décomplexée et gangrène notre société exige de comprendre que la haine de l'altérité vient toujours des mêmes personnes. La haine du juif et la haine du musulman, depuis le Moyen-Âge, sont agitées par les mêmes personnes. Ce sont les mêmes individus qui organisent le rejet des droits des personnes LGBT ou des femmes. Il s'agit, à proprement parler, d'un projet politique.
C'est pour cela que la société doit être dotée d'outils de compréhension. Ce que les auteurs de ces propos prétendent, en enrobant la chose dans un beau discours, c'est qu'utiliser certains mots, condamner certaines populations, stigmatiser des personnes en se targuant d'avoir oublié sa propre histoire, ce n'est pas s'extraire de la légalité, cela ne remet pas en question nos fondamentaux démocratiques, ce n'est pas un danger pour notre République. Cette normalisation est l'ennemie de notre démocratie et est en train de la faire imploser.
Si la sanction est un outil parmi beaucoup d'autres, elle n'est pas synonyme de transformation. Voilà l'autre angle mort de votre texte. Il faut faire prendre conscience aux auteurs des faits que leur position les rend eux-mêmes victimes, car on se situe tous dans une relation d'altérité. Je rejoins là Cécile Untermaier sur la nécessité d'une justice restaurative, et j'espère que son amendement sera pris en compte.
Il faut donner des outils à chacun et à chacune d'entre nous. Nous sommes nombreux à recevoir en permanence des messages de haine, à voir circuler sur les réseaux privés de messagerie des appels à la haine et à la mort fondés sur une couleur de peau ou une religion, réelle ou imaginée – car il semblerait que, pour certains, être juif ou musulman ne résulte pas d'un choix ou d'une croyance, mais soit inscrit dans le sang. Peut-être pourrons-nous doter les associations et les réseaux, par voie d'amendement, d'instruments leur permettant d'y faire face.
Les écologistes ont une certaine envie de vous suivre, monsieur le rapporteur, et attendent de connaître le sort réservé à leurs amendements pour décider de leur vote.
Il est difficile de s'opposer à une proposition de loi qui vise à combattre toute forme de discrimination. Toutefois, c'est compréhensible avec un texte qui, comme le vôtre, se limite à des mesures répressives et revient à cracher en l'air et à s'autoproclamer vigie morale.
Le renforcement du dispositif de lutte contre la provocation, la diffamation et l'injure non publiques s'inscrit dans une histoire déjà longue : loi Pleven de 1972, loi Gayssot de 1990, création de la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité) en 2004, loi de 2017 sur la liberté et la citoyenneté… Les mesures visant à renforcer l'arsenal juridique ne manquent pas.
Chaque année, plus de 1 million de personnes subissent une discrimination ou une atteinte à caractère raciste ou antisémite. Pourtant, selon la dernière enquête « Trajectoires et origines », 55 % des personnes ayant déclaré avoir été victimes d'une discrimination fondée sur l'origine, la nationalité ou la couleur de peau n'ont pas effectué de démarches, pensant que ce serait inutile ; seulement 2 % d'entre elles ont porté plainte.
Le risque serait qu'au nom d'intentions prétendument humanistes et universalistes, l'État se contente de baffer là où il serait plus utile d'accompagner les personnes. Cet accompagnement devrait se faire par des peines qui ont du sens, des mesures alternatives tels que les stages de sensibilisation à la citoyenneté, à l'image du dispositif institué en 2004 par la loi Perben 2.
Le risque serait de prendre le problème à l'envers en votant des mesures relevant plus de l'affichage que de la recherche de l'effectivité. En effet, le droit pénal sanctionne déjà la provocation, la diffamation et l'injure non publiques à caractère raciste et antisémite. Si l'efficacité des peines contraventionnelles actuelles est limitée, ce n'est pas dû à la légèreté des sanctions mais au fait qu'elles sont insuffisamment appliquées. La priorité n'est donc pas de durcir les peines mais d'identifier les raisons du développement, au sein de la société, de formes inédites de racisme, du recours à des stéréotypes, de la suspicion, de la méfiance et du mépris. Le véritable courage serait de s'attaquer à certains de ces ressorts déjà connus.
La proposition de loi fait écho à un débat ancien, qui tient à la conciliation de certaines dispositions législatives avec la liberté d'expression et les droits de l'homme. Dans un contexte marqué par le fort ancrage de l'extrême droite dans la société française, il est nécessaire de renforcer la répression des discours racistes. Il y a, d'un côté, la stratégie visant à taper dans le porte-monnaie pour restreindre une liberté que tous appelaient à sacraliser en 2015 et, de l'autre, la nécessaire condamnation des conduites racistes et antisémites.
Ce texte d'affichage, qui aura très peu d'effets concrets, est toutefois porteur d'un enjeu symbolique. C'est pourquoi, à ce stade des débats, nous comptons nous abstenir.
On assiste à l'heure actuelle à un certain nombre de controverses. L'amalgame entre antisionisme et antisémitisme est de plus en plus assumé et revendiqué. Un nombre croissant de personnes cherchent à cliver le débat sur les problématiques raciales, pour mieux fracturer la société. Rappelons que la liberté d'expression, entendue au sens large, est la liberté de s'exprimer, de penser, de croire ou de ne pas croire.
Nous nous accordons tous sur le fait que les actes et paroles racistes ne doivent avoir aucune place dans notre société. En dépit d'une répression déjà forte, les actes racistes et antisémites progressent : quelque 6 500 crimes et délits à caractère discriminatoire ont été enregistrés en 2022 par les policiers et les gendarmes, soit une hausse de 5 % en un an. Si la guerre israélo-palestinienne ne contribue pas à apaiser les choses, on doit souligner aussi que certains États essaient de déstabiliser notre pays : ainsi les services russes ont-ils récemment fait apposer des étoiles de David sur les murs de plusieurs villes françaises. Ces États s'efforcent d'attaquer nos valeurs par des actes racistes, il faut en être conscients.
Alors qu'il est devenu courant de mettre en cause les juges, je tiens à souligner qu'en cette matière, la main de la justice n'a pas tremblé : chaque année, près de 3 700 affaires relatives à des discriminations et à des injures racistes sont traitées par les parquets et 90 % des personnes poursuivies sont condamnées, ce qui est un taux particulièrement élevé. Cependant, une sanction n'a d'intérêt que si elle est exécutée, ce qui n'est pas toujours le cas : certains individus condamnés pour des délits graves s'enfuient à l'étranger pour ne pas payer leur dette. L'un de ceux qui a été cités tout à l'heure, qui est breton, s'est par exemple exilé au Japon.
Notre groupe est favorable à l'extension de la possibilité de délivrer un mandat d'arrêt ou de dépôt aux délits d'apologie ou de contestation de crime contre l'humanité. C'est une des mesures du volet pénal du plan national contre le racisme. Cette avancée mettra fin au sentiment d'impunité.
J'en viens au cœur du texte, à savoir l'aggravation des peines pour injures et appels à la haine racistes non publics. Comme c'est trop souvent le cas en matière pénale, face à une répression qui ne produit pas tous les effets escomptés, on augmente le quantum des peines. C'est une solution de facilité qui répond souvent à une volonté d'affichage, mais dont les effets ne sont pas démontrés. Il est vrai qu'à l'heure du numérique, la frontière entre les sphères publique et privée devient plus perméable. Nous avons tous à l'esprit des affaires de policiers qui s'échangent des contenus racistes sur des groupes WhatsApp ou Telegram, ou des cas de harcèlement sur ces boucles.
Le renforcement des peines qui est prévu n'aura peut-être pas d'effet dissuasif, mais il est à tout le moins inspiré par un objectif louable. Notre groupe est favorable à la création d'une circonstance aggravante lorsqu'une injure ou un appel à la haine raciste est le fait d'une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public. L'État ne peut pas être seulement un donneur de leçons : il doit être exemplaire.
Notre groupe soutiendra donc cette proposition de loi qui, bien que modeste, va dans le bon sens.
Merci à tous les orateurs. Ce texte est dépourvu de caractère partisan et n'a pas vocation à cliver.
La lutte contre les discriminations, au sens large, appelle naturellement, en priorité, une action pédagogique et éducative. Le texte ne nie en rien cette nécessité. Mais nous considérons que la réponse pénale est complémentaire et dissuasive, et qu'elle doit être extrêmement forte compte tenu de l'explosion de ce type d'actes.
Plusieurs d'entre vous, à commencer par l'orateur du Rassemblement national, ont affirmé que le Gouvernement restait les bras ballants face à ce phénomène. Le déploiement des forces de l'ordre, depuis le 7 octobre, pour protéger nos concitoyens de confession juive a été particulièrement important, à l'instar de la réponse pénale. Par ailleurs, je n'aurai pas l'indélicatesse de rappeler au Rassemblement national comment, pendant des années, il a contesté les lois Gayssot et Pleven, les qualifiant de « liberticides » – Marine Le Pen l'affirmait encore dans les années 2000.
La correctionnalisation des provocations, diffamations et injures non publiques à caractère raciste ou discriminatoire permettra d'introduire la circonstance aggravante que l'ensemble des associations antiracistes appellent de leurs vœux et qui me paraît indispensable eu égard au devoir d'exemplarité des personnes dépositaires de l'autorité publique.
Je suis d'accord sur le fait que de nombreuses personnes victimes de discriminations, au sens large, s'autocensurent, par peur de représailles ou parce qu'elles pensent que leur plainte ne donnera pas lieu à des poursuites. Ce n'est toutefois pas une raison pour ne pas renforcer notre arsenal répressif.
Il est certain qu'il sera difficile de faire exécuter le mandat d'arrêt ou le mandat de dépôt lorsque l'auteur d'une des infractions visées par le texte se sera rendu à l'étranger. N'y aurait-il qu'un seul cas, toutefois, que le législateur aurait fait œuvre utile. En revanche, la correctionnalisation des infractions à caractère non public concernera des milliers de personnes chaque année. En effet, les prédicateurs de haine utilisent des moyens détournés pour faire passer leurs messages et faire prospérer leur business, par exemple une chaîne YouTube privée ou un groupe WhatsApp fermé.
Enfin, madame Regol, nous ne changeons rien à la caractérisation ni au champ des infractions correctionnalisées.
Article 1er (art. 465 du code de procédure pénale) : Élargissement à l'apologie de crimes et à la contestation de crimes contre l'humanité des délits pouvant faire l'objet d'un mandat de dépôt ou d'arrêt délivré par le tribunal correctionnel
La commission adopte l'amendement rédactionnel CL51 de M. Mathieu Lefèvre, rapporteur.
Amendements identiques CL42 de Mme Caroline Yadan et CL46 de M. Jérémie Patrier-Leitus, sous-amendement CL55 de M. Raphaël Gérard, amendement CL17 de M. Raphaël Gérard (discussion commune)
À la suite des auditions que nous avons menées, nous avons souhaité étendre la possibilité de décerner un mandat de dépôt ou d'arrêt, si la peine est supérieure à un an d'emprisonnement, à l'ensemble des délits mentionnés aux articles 24, 24 bis, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881, qui comprennent notamment la provocation à la haine, la contestation d'autres crimes contre l'humanité que ceux mentionnés à l'article 1er, la diffamation publique à caractère discriminatoire et l'injure à caractère discriminatoire.
J'entendais, par mon sous-amendement, restreindre le champ de l'amendement à l'injure et à la diffamation publiques qui ont un caractère discriminatoire. Toutefois, compte tenu de vos précisions, madame Yadan, je le retire.
Il est souhaitable d'élargir le champ des délits pouvant faire l'objet d'un mandat d'arrêt ou d'un mandat de dépôt.
Je suis favorable à cet élargissement. Les auditions que nous avons menées nous ont confortés dans l'idée qu'il faut éviter d'établir une hiérarchie dans la haine.
Le sous-amendement est retiré.
La commission adopte les amendements identiques.
En conséquence, l'amendement CL17 tombe.
La commission adopte l'article 1er modifié.
Article 2 (art. 225-16-4, 225-16-5, 225-16-6 [nouveau] du code pénal) : Renforcement de la répression des provocations, diffamations et injures non publiques présentant un caractère raciste ou discriminatoire
Amendement CL4 de M. Raphaël Gérard
L'amendement a pour objet d'introduire les mots « vraie ou supposée », pour reprendre une formule d'usage dans le droit français de la lutte contre les discriminations. Cette rédaction offre davantage de garanties aux victimes en permettant d'appréhender l'orientation sexuelle ou l'identité de genre à laquelle s'identifie la victime mais aussi celle qui peut être perçue par autrui. En effet, on peut être victime d'insultes ou d'actes antisémites sur la base de préjugés sans lien avec la réalité. À la suite des attentats du 7 octobre, nombre de nos concitoyens ont été inquiétés, molestés, insultés pour la seule raison qu'ils portaient un nom à consonance germanique qui pouvait laisser penser qu'ils étaient juifs alors que la plupart du temps, ils ne l'étaient pas.
Je salue l'engagement constant sur ces questions de M. Gérard, qui a contribué à l'adoption de la loi du 31 janvier 2022 interdisant les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne. La modification qu'il propose est bienvenue, par cohérence avec l'évolution de notre droit, concernant notamment l'ethnie, la nation ou la race prétendue. De surcroît, nous avons intégré ces termes dans la caractérisation du délit que nous avons créé pour lutter contre les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle. Avis favorable.
La commission adopte l'amendement.
Amendements CL33 et CL34 de M. Éric Pauget
Ces amendements visent à faire évoluer le code pénal et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) en interdisant la délivrance et le renouvellement d'un titre de séjour à une personne de nationalité étrangère qui a été définitivement condamnée pour avoir commis un acte antisémite ou raciste.
Votre volonté est satisfaite par la loi « immigration », qui a modifié l'article L. 412-8 du Ceseda, aux termes duquel « Aucun document de séjour ne peut être délivré à un étranger qui refuse de souscrire le contrat d'engagement au respect des principes de la République ou dont le comportement manifeste qu'il n'en respecte pas les obligations. »
De manière plus générale, par vos différents amendements, vous proposez d'introduire dans le code pénal des peines que l'on pourrait qualifier de complémentaires, infraction par infraction, ce qui risque de fragiliser la disposition balai. Celle-ci pourrait par exemple s'appliquer à l'injure non publique, mais pas à l'injure publique. Vos amendements, bien qu'ils visent un objectif louable, pourraient ainsi empêcher un refus de naturalisation pour des infractions plus graves en précisant explicitement qu'il s'applique pour les infractions dont nous parlons ici.
J'entends votre objection. C'est pourquoi j'ai décliné ces amendements et ceux qui suivront de deux manières, en prévoyant l'insertion de certaines dispositions dans d'autres codes que le code pénal. Les amendements CL33 et CL34 ont trait à la délivrance de titres de séjour, tandis que les autres s'inspirent du droit allemand et concernent l'octroi de la nationalité.
Comme l'a indiqué le rapporteur, les dispositions de la loi « immigration » « permettent de refuser la délivrance ab initio d'un titre ou d'en prononcer le retrait en cas d'infraction commise par un étranger, y compris en situation régulière.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements CL8 et CL10 de M. Éric Pauget
Les actes antisémites ou racistes sont incompatibles avec les valeurs de la République. Ces amendements audacieux, qui s'inspirent du droit allemand, visent à empêcher la délivrance de la nationalité française à une personne définitivement condamnée pour de tels actes. L'amendement CL10 concerne les délivrances par décision de l'autorité publique.
Les actes que vous citez sont évidemment incompatibles avec les valeurs de la République. Toutefois, je crains qu'en mentionnant ces peines infraction par infraction, vous ne compromettiez leur application pour des infractions beaucoup plus graves. En vertu d'un principe général énoncé dans le code civil, on ne peut être naturalisé si on a commis certaines infractions ou si on a été condamné à une peine au moins égale à six mois d'emprisonnement. Si l'on commence à le préciser avec vos amendements, la précision ne figurera pas pour les injures publiques et il sera peut-être beaucoup plus difficile de refuser une naturalisation pour des faits pourtant plus graves.
Il faut aussi veiller à la proportionnalité des peines. Les infractions rendant impossible la naturalisation sont, outre celles qui donnent lieu à une condamnation à au moins six mois d'emprisonnement, les crimes ou délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation et les actes de terrorisme.
En outre, l'autorité publique pourra toujours refuser d'accorder la nationalité en cas d'actes incompatibles avec les valeurs de la République. La naturalisation n'est en aucun cas un droit absolu.
Beaucoup d'actes racistes et antisémites sont commis par des citoyens français, ce qui ne leur vaut pas, pour autant, une déchéance de nationalité. C'est la personne qui est en cause, non sa nationalité. Je m'opposerai à ces amendements.
Il existe un principe selon lequel une condamnation, une fois effectuée, vaut rédemption. Les dispositions que vous proposez me paraissent donc inconstitutionnelles, et j'aurais aimé avoir le point de vue du rapporteur sur ce point. Nous sommes soucieux d'éviter l'adoption d'amendements qui pourraient être contraires à la Constitution. On nous oppose fréquemment l'irrecevabilité du fait des articles 40 et 45 de notre loi fondamentale, y compris pour des amendements intéressants, mais on laisse passer des dispositions de ce type sans que le rapporteur puisse se prononcer.
Et si l'on recherche l'exemplarité, pourquoi n'applique-t-on pas ce dispositif aux élus ? La représentation nationale peut-elle accueillir en son sein des personnalités condamnées pour de tels faits ? On ne peut pas appliquer une règle aux uns et en dispenser les autres.
Pour ces raisons, nous voterons contre les amendements, tout en en comprenant l'esprit.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements CL9 et CL11 de M. Éric Pauget
Ces amendements de repli visent à introduire les dispositions précédemment exposées dans le seul code pénal.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.
Amendements CL18 et CL19 de M. Éric Pauget
Nous vous proposons de conférer au juge la possibilité de prononcer, à titre de peine complémentaire, l'interdiction de l'acquisition de la nationalité française en cas de condamnation définitive pour des actes antisémites ou racistes.
Si vous voulez créer cette peine complémentaire, il faudrait en faire un principe général et ne pas l'appliquer seulement à ces cas d'espèce. Défavorable.
Nous nous opposerons évidemment à ces amendements comme aux précédents, car nous ne saurions admettre la double peine. Je ne voudrais pas que l'examen de cette série d'amendements de M. Pauget conduise à renverser la perspective : les personnes dont on parle, qui ont fui leur pays et aspirent à acquérir la nationalité française, sont les premières victimes du racisme et de l'antisémitisme.
J'entends vos objections formelles, monsieur le rapporteur, et peut-être devrons-nous retravailler la disposition sur ce point. Mais sur le fond, nous estimons – rejoignant ainsi la philosophie de la proposition de loi – que, si l'on veut adhérer aux valeurs de la République française, on ne peut pas être antisémite ou raciste. Nous parlons ici des personnes qui ont été définitivement condamnées par la justice. Nos propositions n'ont rien d'extraordinaire : les Allemands appliquent ces mesures de longue date.
La disposition que vous proposez, monsieur Pauget, existe déjà puisque la loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité prévoit que les postulants à la naturalisation doivent non seulement avoir une connaissance suffisante de l'histoire et de la culture française mais aussi « adhérer aux principes et valeurs essentiels de la République ». La naturalisation ne pourra donc pas être prononcée en cas de condamnation pour des infractions à caractère raciste.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements CL12 et CL13 de M. Éric Pauget
Ces amendements visent à permettre la déchéance de la nationalité française d'une personne binationale définitivement condamnée pour des actes antisémites ou racistes.
Je n'oppose pas seulement des arguments de forme à vos amendements, monsieur Pauget, mais aussi des objections de fond, parmi lesquelles la nécessité de respecter la proportionnalité. La déchéance de nationalité est possible dans des cas très précis, pour des actes sans commune mesure avec ceux dont nous parlons, tout insupportables qu'ils soient. Ainsi, lors des débats relatifs à la loi « immigration », votre groupe avait proposé de l'étendre aux auteurs de crimes contre des personnes dépositaires de l'autorité publique. Avec vos amendements, une personne ayant proféré une injure non publique à caractère discriminatoire pourrait être déchue de la nationalité française, mais pas une personne condamnée pour crime.
Monsieur Pauget, nous sommes d'accord avec vous : il faut respecter les valeurs de la République pour faire France. Toutefois, quand on voit le Rassemblement national remettre en cause le droit du sol dans son programme politique, ou quand on voit un sacré paquet de députés voter pour des mesures remettant en cause l'automaticité du droit du sol lors des débats sur la loi « immigration », on peut se demander qui ne respecte pas ces valeurs. Dès sa fondation, en 1793, notre république a fait du droit du sol un de ses principes – les étrangers pouvaient acquérir la nationalité française au bout d'un délai d'un an, à l'époque ! En droit français, l'égalité se définit par rapport à la loi : tous les Français, Bernard Arnault, Vincent Bolloré comme n'importe quel autre, peuvent faire la loi par le vote et tous sont égaux dans le devoir de la respecter.
L'exemple du droit allemand n'est pas un bon exemple : jusqu'en 2000, seul le droit du sang prévalait, ce qui ne correspond pas à nos valeurs. Si vous voulez respecter les valeurs de la République française, cessez de reprendre le programme de Mme Le Pen, qui en est la négation. Je rappelle que le Rassemblement national est le descendant politique du régime de Vichy, qui a été le seul dans notre histoire à remettre en cause le droit du sol.
La commission rejette successivement les amendements.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements CL20, CL21 et CL22 de M. Fabien Di Filippo.
Amendement CL35 de Mme Cécile Untermaier
Cet amendement vise à renforcer l'efficacité du dispositif : si la qualification délictuelle de l'infraction est retenue – et nous pensons qu'elle doit l'être –, la peine ne peut avoir le caractère automatique d'une contravention. Nous proposons donc de l'accompagner avec un processus de justice restaurative, si le juge et la victime en sont d'accord. L'instauration d'un dialogue est en effet une nécessité pour ce type d'infraction qui trouve son terreau dans le refus de la discussion et de la compréhension. Notre proposition aurait également l'avantage de donner de l'élan à la justice restaurative, qui en est au niveau zéro aujourd'hui en France, malgré les dires du garde des sceaux, alors qu'elle fonctionne bien au Canada et dans d'autres pays.
Je suis sensible à vos arguments : le dialogue entre une personne reconnue coupable et une victime met rapidement au jour la bêtise absolue du racisme. Il existe toutefois une disposition générale dans le code de procédure pénale autorisant le juge à prononcer des mesures de justice restaurative. Faut-il le prévoir expressément pour certaines infractions ? Je laisse cette question à la sagesse des membres de cette commission, et je pense qu'il serait utile d'avoir ce débat en séance publique avec le garde des sceaux.
Il faut impérativement développer la justice restaurative, dans notre droit et dans la pratique judiciaire. Ce n'est pas une simple médiation : en mettant en relation un auteur de faits délictueux avec une victime, soit dans la même affaire, soit dans des affaires différentes, elle permet à l'auteur de prendre conscience de la gravité des faits et à la victime d'entamer un processus de réparation. On constate qu'elle contribue à la diminution de la récidive.
Notre code de procédure pénale prévoit certes, en son article 10-1, des mesures de justice restaurative, mais comme une simple possibilité. Je pense comme Mme Untermaier qu'il faut que les victimes de certaines infractions – commençons par les infractions à caractère raciste – soient impérativement informées de cette possibilité. Notre groupe soutiendra donc cet amendement.
La justice restaurative, en mettant en relation l'auteur d'une infraction avec sa victime, a un effet pédagogique. Elle est particulièrement indiquée pour les infractions à caractère raciste et antisémite, comme pour les violences sexistes et sexuelles. Nous sommes donc favorables à ce que ce dispositif devienne obligatoire.
Il y a de la place dans notre société pour la justice restaurative. Notre groupe y est très attaché. Elle ne fonctionne pas dans tous les domaines, mais elle se prête particulièrement à des infractions intellectuelles comme celles qui présentent un caractère raciste et antisémite, en permettant d'en responsabiliser l'auteur. Il peut exister des difficultés juridiques – nous pourrons en discuter avec le garde des sceaux en séance publique – mais il faut absolument saisir cette occasion d'avancer. Nous y avions travaillé dans un précédent texte avec ma collègue Caroline Yadan. Nous sommes très favorables à cet amendement.
La commission adopte l'amendement.
Amendements CL50 et CL48 de M. Jérémie Patrier-Leitus
Ces amendements visent à compléter l'éventail des peines pouvant être prononcées dans le cadre d'une condamnation pour provocation à la haine, injure ou diffamation non publiques, en fixant une liste de peines complémentaires.
Je suis favorable à l'amendement CL48 et demande le retrait de l'amendement CL50 car il ajoute deux peines complémentaires – interdiction des droits civiques et interdiction d'exercer une fonction publique – qui sont prévues pour des infractions d'atteinte à la personne plus graves.
L'amendement CL50 est retiré.
La commission adopte l'amendement CL48.
Amendements CL6 de M. Raphaël Gérard et CL44 de Mme Caroline Yadan (discussion commune)
Mon amendement a pour objet de permettre aux associations de lutte contre les discriminations d'exercer les droits reconnus à la partie civile pour les faits d'injure, de diffamation et de provocation à la haine non publiques visés par l'article 2. Cette mesure s'inspire de la loi Pleven du 2 juillet 1972, qui ouvre aux associations de lutte contre le racisme et l'antisémitisme la possibilité d'ester en justice pour des délits de cette nature.
Il existe aujourd'hui un continuum entre les injures publiques et les injures non publiques à caractère discriminatoire. Or la différence peut être très ténue. Certains groupes de discussion WhatsApp ou Telegram pouvant avoir une audience bien supérieure à des sites internet, des journaux ou des réseaux sociaux publics, une différence de régime procédural ne semble pas justifiée.
La mesure proposée faciliterait l'accès des victimes à la justice grâce au soutien et à l'accompagnement que leur apportent les associations, en particulier dans les situations de grande vulnérabilité. Je pense notamment au cas récent d'une femme juive orthodoxe victime de comportements antisémites au commissariat de Créteil lors de sa garde à vue.
Le risque d'engorgement des procédures judiciaires que certains nous opposent n'est pas un argument sérieux. Malgré le déferlement de propos haineux sur les réseaux sociaux depuis le 7 octobre, les associations n'ont pas engagé des milliers de procédures, alors qu'elles en ont la possibilité. Le Crif et la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) agissent en responsabilité et se consacrent aux situations à fort enjeu pour la société.
Je voudrais citer quelques exemples dont nous avons eu connaissance grâce aux auditions : un salarié retrouvant un tract mentionnant Hitler dans son casier ; un supérieur hiérarchique se livrant à un salut suprémaciste ; un habitant retrouvant un tract homophobe dans sa boîte aux lettres ; des étudiants juifs ajoutés à un groupe WhatsApp dans le seul but d'y être injuriés. Mais très peu de plaintes sont déposées car les victimes se sentent seules et ont l'impression que leur démarche n'aura pas de suite. Elles ont besoin d'être accompagnées par les associations, dont c'est le rôle et qui font un travail formidable.
Je suis réservé sur ces amendements. Le risque d'embolie judiciaire n'est pas négligeable. Par ailleurs, la capacité pour les associations d'ester en justice est déjà prévue, pour des infractions plus graves – discriminations ayant entraîné un refus d'emploi, un refus de bénéfice de la loi, une entrave à une activité économique ou une atteinte à l'intégrité de la personne. Il nous faut avoir cette discussion avec le garde des sceaux en séance publique.
La logique de ces amendements est juste, mais je suis réservée sur leur périmètre. Lors des débats sur le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, nous avions présenté un amendement permettant aux associations de lutte contre le racisme et les discriminations d'exercer les droits reconnus à la partie civile pour agir devant les juridictions pénales en défense des personnes physiques et morales dans des domaines bien plus larges que ce qui est proposé aujourd'hui. C'était un moyen de faciliter l'accès des victimes à la justice – angle mort de ce texte et de la justice en général. La discussion doit être élargie au-delà des infractions prévues par ce texte.
Ces amendements sont vraiment importants. Des associations comme SOS Racisme ou Les maisons des potes, qui font un travail formidable, sont parfois bloquées par le système judiciaire. C'est grâce à elles que les évolutions de notre droit qui permettent de lutter contre les prêcheurs de haine ou contre les propos discriminatoires, dans les médias ou ailleurs, ont été obtenues. La nouvelle évolution proposée aujourd'hui s'impose. Les associations apportent un soutien exceptionnel aux victimes. Un avocat seul ne peut apporter un accompagnement aussi structuré. Elles possèdent aussi des dossiers complets sur certaines personnes, sur plusieurs années, qui permettront au juge de fonder ses décisions sur une accumulation de faits plutôt que sur un seul. Je sais que cette question soulève des discussions très complexes au sein du ministère de la justice, mais à titre personnel, je pense que nous devons trouver une solution pour faire adopter ces amendements.
Je retire l'amendement CL44 pour continuer à y travailler, en espérant que nous trouverons une bonne rédaction à adopter en séance publique.
Les amendements sont retirés.
Amendement CL32 de M. Raphaël Gérard
Cet amendement a pour objet de préciser que les circonstances aggravantes générales prévues par les articles 132-76 et 132-77 du code pénal ne seront pas applicables aux délits de provocation à la haine, diffamation et injures non publiques présentant un caractère raciste ou discriminatoire dont la création est proposée par l'article 2 de la présente proposition de loi. Le caractère discriminatoire est en effet un élément constitutif de ces infractions et ne peut donc être en plus retenu pour caractériser une circonstance aggravante.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte l'amendement.
Amendement CL52 de M. Mathieu Lefèvre
Il s'agit d'un amendement de coordination visant à garantir un délai de prescription d'un an pour les infractions transformées en délit par l'article 2 afin de les aligner sur les mêmes délits commis en public.
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte l'article 2 modifié.
Après l'article 2
Amendements CL43 de Mme Caroline Yadan et CL49 de M. Jérémie Patrier-Leitus (discussion commune)
Mon amendement complète logiquement l'article 2 : il propose de transformer la contestation et l'apologie non publiques de crime contre l'humanité en délit, avec une circonstance aggravante lorsque l'infraction est commise par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public dans l'exercice de ses fonctions.
Il n'est aujourd'hui pas possible de retenir la contestation de crime contre l'humanité, faute de publicité, lorsqu'elle se manifeste par exemple sous la forme de lettres adressées à des professeurs, à des préfets, à des élus de la nation ou à des citoyens. Le présent amendement vise à sanctionner plus justement ce type de comportements qui entretiennent un climat délétère et qui peuvent contribuer, entre autres, à diffuser les opinions négationnistes et à renforcer les différentes formes de discrimination, aggravant ainsi les fractures divisant déjà la société française.
Il existe en effet un vide juridique empêchant la condamnation des auteurs d'apologie et de contestation de crime contre l'humanité non publiques. Je suis donc favorable à l'amendement CL43. En revanche, l'amendement CL49 ne vise que la Shoah et ne distingue pas entre l'apologie et la contestation.
L'amendement CL49 est retiré.
La commission adopte l'amendement CL43.
Amendements CL7 et CL5 de M. Raphaël Gérard
L'amendement CL7 a pour objet de remplacer les mots « une race » par « une prétendue race » dans la loi du 29 juillet 1881. Le législateur s'évertue à le faire de manière systématique dans l'ensemble des codes pour signifier son refus de cautionner l'existence de races au sein du genre humain.
Il s'agit d'abord d'une mesure de cohérence, pour aligner la rédaction du délit d'injure, de diffamation, de provocation à la haine publique à caractère raciste et antisémite sur celle des délits prévus par l'article 2.
Il s'agit surtout d'une mesure de grande portée symbolique. Je sais combien notre assemblée a la main qui tremble quand il s'agit de toucher à la loi de 1881, qui a un caractère totémique, mais ces modifications sont reprises de la loi Pleven de 1972, qui est l'une des lois fondatrices en matière de lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Cet amendement permet ainsi d'inscrire le présent texte dans sa filiation.
Il permet enfin de tenir l'engagement pris en 2019 par le Gouvernement de nettoyer son droit domestique de ce type de référence à la race, dans le cadre du rapport périodique du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale des Nations unies.
J'ai déposé plusieurs amendements du même type. Le CL5, ainsi, introduit les mots « vraie ou supposée ».
Au-delà de la dimension symbolique, il est nécessaire d'affirmer ces valeurs et de maintenir une cohérence juridique entre la loi de 1881 et la présente proposition de loi. Avis favorable aux deux amendements.
La commission adopte successivement les amendements.
Amendements identiques CL2 de M. Raphaël Gérard et CL47 de M. Jérémie Patrier-Leitus
À la suite de plusieurs affaires qui ont indigné nos concitoyens, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a créé une circonstance aggravante pour les injures ou provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence à caractère discriminatoire commises par des personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public.
De la même façon, cet amendement a pour objet de créer une circonstance aggravante lorsque les faits de diffamation publique à caractère discriminatoire sont commis par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public dans l'exercice de ses fonctions.
Les personnes investies d'une mission de service public ont un devoir d'exemplarité. Elles doivent donc être condamnées plus lourdement, comme c'est déjà le cas pour l'injure publique.
Cette coordination est bienvenue : le texte crée une circonstance aggravante pour la diffamation non publique, elle doit a fortiori être étendue à la diffamation publique. Avis favorable.
Les amendements sont adoptés.
Amendement CL41 de M. Raphaël Gérard
Je souhaite tirer la sonnette d'alarme quant au sentiment d'impunité qui grandit sur les plateformes comme Telegram. Comme le rappellent Laetitia Avia et Rachel-Flore Pardo dans Le Monde, cette application de messagerie privée, qui permet de transmettre massivement des informations grâce à des chaînes accueillant des centaines de milliers de personnes, est devenue un véritable incubateur de contenus. Ce constat est partagé par le Crif, qui a alerté sur le fait que des mouvements d'extrême droite utilisent ce moyen de communication pour diffuser des propos négationnistes et antisémites. Or, jusqu'à présent, Telegram se montre très peu coopératif en matière de modération des contenus haineux, même après notification d'une association de lutte contre l'antisémitisme reconnue comme signaleur de confiance.
Les pouvoirs publics doivent être vigilants quant à la prolifération de propos haineux via Telegram. Nous devons identifier des moyens de pression pour que les entrepreneurs de haine professionnels ne rouvent pas refuge sur ce type d'application, dans un contexte où le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique propose de renforcer les obligations des plateformes en la matière.
L'obligation pour les plateformes de concourir à la lutte contre la haine existe déjà et cet amendement ne changerait donc pas grand-chose. Si l'Assemblée en est d'accord, je souhaite que la proposition de loi se concentre sur les auteurs des infractions plutôt que sur les médias ou les tiers, qui doivent faire l'objet d'un traitement séparé.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL23 de M. Antoine Léaument
Cet amendement propose que le dépôt de plainte pour infraction à caractère raciste ou discriminatoire soit systématiquement accompagné d'une mention spécifique. Votre proposition de loi prend les choses par le mauvais bout en se concentrant sur les condamnations : le vrai problème, c'est que 1,2 million de personnes sont victimes chaque année d'actes racistes ou antisémites, mais que seules 12 000 plaintes sont déposées pour ces motifs. Il faut donc que les victimes se sentent en confiance pour le faire.
Mais organiser le dépôt de plainte manifeste un autre problème, celui du caractère systémique du racisme dans la société. La parole raciste et antisémite se libère, sur certaines chaînes de télévision par exemple. Il faut que les personnes qui ont des comportements racistes sans s'en rendre compte, tout comme les hommes machistes qui se disent féministes, en prennent conscience.
Je partage votre avis sur le phénomène de sous-déclaration et d'autocensure, mais votre amendement se situe au stade de la plainte : c'est un moment où les barrières ont été levées. Je me demande également pourquoi réserver cette caractérisation à ces seules infractions : elle n'existe pour aucune autre plainte. Surtout, je trouve cet amendement infantilisant pour les personnes qui reçoivent les plaintes. Il est de nature à jeter un doute assez malsain. Enfin, je remarque, mais c'est sans doute une erreur rédactionnelle, que votre amendement ne mentionne pas l'antisémitisme.
Je ne jette pas de doute, je constate simplement qu'il y a un problème dans le dépôt de plainte. Il s'explique par le manque de formation dans la police, dont le racisme a d'ailleurs été dénoncé par l'ONU. Les républicains que nous sommes doivent agir pour que les dépositaires de l'autorité publique que sont les gendarmes et les policiers reçoivent une formation très poussée.
Le dispositif que nous vous proposons est pour l'instant expérimental. L'essentiel est d'inciter les gens à aller porter plainte lorsqu'ils sont victimes de propos à caractère raciste ou discriminatoires, ou antisémites d'ailleurs, nous pouvons le préciser.
À entendre M. Léaument et ses camarades, la France pratiquerait un racisme systémique. Ce n'est pas possible puisque notre droit protège, au contraire, de l'ensemble des infractions à caractère raciste. J'espère d'ailleurs moi aussi que l'absence de l'antisémitisme dans cet amendement relève d'un oubli.
Je rappelle que, pour toute plainte, la nature de l'infraction – injure, discrimination, provocation à la haine en raison de l'origine par exemple – apparaît dans le côté gauche du document. Votre amendement est donc inutile et pourrait entraîner des dérives.
La commission rejette l'amendement.
Amendements identiques CL3 de M. Raphaël Gérard et CL31 M. Philippe Dunoyer
Il s'agit d'étendre les dispositions de la proposition de loi aux territoires ultramarins.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte les amendements.
Amendement CL24 de M. Antoine Léaument
Les fonctionnaires de police et de gendarmerie reçoivent une formation aux violences sexistes et sexuelles leur permettant d'accueillir les victimes avec empathie et de mieux juger de la recevabilité de leur plainte. Une telle formation est souhaitable pour les infractions à caractère raciste ou antisémite. Je rappelle toute l'importance du fameux chiffre noir : seules 2 % des victimes vont déposer plainte, les autres anticipant que leur démarche sera jugée irrecevable ou orientée vers une main courante, ce qui n'est pas forcément souhaitable.
Aujourd'hui, le motif du dépôt de plainte ne caractérise pas les actes racistes, qui peuvent être antisémites, antitziganes ou négrophobes par exemple. Une telle caractérisation permettrait pourtant d'évaluer avec plus de précision la nature des actes racistes. Cet amendement propose que l'Inspection générale de l'administration établisse, en collaboration avec les associations de lutte contre les actes de xénophobie, de racisme et d'antisémitisme, un rapport sur les raisons des refus de dépôt de plainte, bien trop nombreux dans ce domaine.
De telles évaluations relèvent aussi de notre rôle de parlementaires. Il est par ailleurs un peu surprenant de demander au Gouvernement lui-même une évaluation menée par l'Inspection générale de l'administration.
Sur le fond, je ne souscris pas aux termes de « racisme systémique ». Votre amendement établit un lien assez fallacieux entre la qualité supposée de l'accueil et le refus de plainte – comme si c'était à cause de nos policiers et de nos gendarmes que les gens refusent d'aller déposer plainte. En réalité, il y a bien d'autres raisons, comme la peur de représailles, l'autocensure ou la méconnaissance de la loi.
Pour ces raisons de forme et de fond, je suis défavorable à cet amendement. Ce n'est pas un énième rapport qui nous permettra de lutter contre l'autocensure.
Je rappelle que nous auditionnons désormais chaque année l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) et l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). L'IGPN dispose d'un service dédié au contrôle de l'accueil dans les commissariats, déployé complètement pour l'accueil des victimes de violences sexuelles et des personnes faisant l'objet d'injures racistes. Ce contrôle est retracé dans le rapport annuel de l'IGPN, que notre commission des lois examine. Vous pouvez aussi, au titre du contrôle sur place, aller voir ce qu'il en est à l'IGPN, comme nous l'avons fait voilà huit mois avec Thomas Rudigoz.
Au cours des dernières années, l'ensemble de la société, y compris les responsables politiques et les parlementaires, a pris conscience des discriminations sexistes et des violences sexuelles et a compris qu'un travail était nécessaire, de la part des individus comme de celle des institutions, pour reconnaître les formes de discrimination et de violences sexistes et sexuelles. La police n'est pas la seule institution concernée : on pourrait également citer la justice ou l'école. Nous avons tous connaissance d'incidents qui ne sont pas seulement anecdotiques, mais qui révèlent les difficultés que rencontrent les personnes victimes de ce type de violences pour déposer plainte et le manque de formation des agents qui recueillent ces plaintes.
Il en va de même pour le racisme et la discrimination. Il ne s'agit pas, en demandant davantage de formation, de mettre en cause les individus, mais de savoir quels moyens donner aux agents, dans l'exercice de leurs fonctions, pour accueillir la parole et accompagner les victimes.
Par ailleurs, nous ne sommes pas seuls à évoquer la dimension systémique de ces comportements : le Défenseur des droits parle de discrimination systémique et explique que le racisme condamne à une plus forte exposition au chômage, à la précarité sociale, à de mauvaises conditions de logement et à un moins bon état de santé.
Je regrette que notre collègue de La France insoumise n'ait pas vu les évolutions intervenues ces dernières années. Depuis le 9 décembre 2020, une plateforme, créée par le Gouvernement sur proposition du président Macron, est spécifiquement consacrée à la lutte contre les discriminations, autour des associations et de la Défenseure des droits. Ce dispositif fonctionne très bien. La plateforme permet de vérifier, en amont, si on est ou non victime de discrimination, d'être accompagné par des agents spécialement formés en la matière et, si besoin, de bénéficier d'un accompagnement juridique. En complément, il existe dans chaque poste de police ou de gendarmerie un référent discrimination, ainsi que dans chaque cour d'appel.
Des évolutions sont certes nécessaires, mais elles ne passent pas par un rapport. Il existe un dispositif, qui se met progressivement en place depuis trois ans. Cela ne se fait pas du jour au lendemain, car nous revenons de très loin. Mais vous ne regardez pas ce qui va bien. Plusieurs rapports, dont l'un, élaboré pour le ministre de l'intérieur, était consacré aux discriminations religieuses, rappellent ce dont je parle et montrent que la justice, la police et la gendarmerie ont pris cette question à bras-le-corps. Il n'y a pas de refus de prendre les plaintes mais, parfois, un problème pour caractériser la discrimination.
Nous devons assurer cet accompagnement et les amendements proposés par Caroline Yadan et Raphaël Gérard sur l'accompagnement des associations seront d'une importance primordiale pour l'examen du texte en séance publique.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL26 de Mme Danièle Obono
Puisque c'est le seul moyen dont nous disposons pour poser certaines questions et obtenir des réponses plus précises, cet amendement vise lui aussi à demander un rapport, portant sur la situation des formations au recueil des plaintes pour les infractions « à caractère raciste » au sein de la police nationale et de la gendarmerie. Je rappelle que le code pénal utilise cette dénomination faute de distinguer les termes de racisme, d'antisémitisme, d'islamophobie et de négrophobie. Peut-être voudriez-vous changer le code pénal, mais nous nous en tenons, pour notre part, aux formes actuelles du débat.
Selon l'enquête Cadre de vie et sécurité, entre 2013 et 2018, 25 % des victimes de menaces ou de violences physiques racistes et 5 % des victimes d'injures racistes, en moyenne, se sont rendues au commissariat de police ou à la brigade de gendarmerie, les chiffres étant de 14 % et 2 % pour ceux qui ont déclaré avoir formellement déposé plainte. Lorsque les victimes se déplacent, elles sont en effet parfois orientées vers un dépôt de main courante, pratique que la CNCDH critique depuis des années, et certaines abandonnent leur démarche.
Des progrès ont certes été réalisés, mais je rappelle qu'en 2021, la Dilcrah avait formulé douze recommandations dans une note sur le thème « police et racisme » qui visaient notamment à accroître le temps de formation initiale des gardiens de la paix, à intégrer les sessions de lutte contre le racisme dans la formation et à conditionner l'avancement de carrière au suivi des modules de formation.
Il faut suivre cette question avec plus d'attention et nous assurer que les avancées demandées depuis de nombreuses années par de nombreuses institutions soient réalisées.
Mêmes arguments : les questions abordées par ce rapport pourraient faire l'objet d'une mission d'information. Surtout, il est assez infantilisant de considérer que les forces de l'ordre ont besoin d'une formation spécifique pour pouvoir recueillir des plaintes de cette nature. Cela jette sur elles un soupçon dangereux et élude les autres causes qui pourraient conduire au non-dépôt de plainte. Je pense comme vous que certaines personnes se censurent, mais je ne crois pas pour autant que ce soit en jetant le soupçon sur les forces de l'ordre et en liant l'accueil dans les brigades de gendarmerie et les commissariats de police au dépôt de plainte que l'on obtiendra de meilleurs résultats.
Par ailleurs, et sauf erreur, vous n'avez déposé aucun amendement permettant, par exemple, de renforcer la connaissance de la loi à l'école ou de mieux comprendre pourquoi certaines personnes sous-déclarent ces infractions.
Ces amendements soupçonneux me semblent devoir recueillir un avis défavorable.
Le fonctionnement de la gendarmerie – les processus sont un peu différents dans la police – repose sur des retours d'expérience et des formations fondées sur ces retours d'expérience. Il y a une étude perpétuelle de ce qui fonctionne bien pour que cela fonctionne mieux et de ce qui ne fonctionne pas pour que cela fonctionne enfin. Il n'y a rien d'infantilisant à adopter les techniques des forces de l'ordre pour continuer à avancer – peut-être même le feront-elles d'elles-mêmes.
Le problème, c'est votre réponse, qui présente ce fonctionnement normal comme une pratique infantilisante dès lors que l'idée vient de l'opposition. C'est aussi que vous considériez que le terme de racisme systémique signifierait que tout le monde est raciste ou que tout le monde tolère le racisme. S'il n'y avait pas de racisme systémique, vous ne seriez pas en train de défendre cette proposition de loi, nous n'aurions pas besoin d'outils supplémentaires et vous n'auriez pas à définir le champ global du refus de l'altérité, comme vous venez de le faire avec ce texte !
Le travail que vous avez fait consiste précisément à lutter contre l'aspect systémique de ces oppressions. Si, sur des sujets aussi importants qui touchent au soin de la cité et mériteraient un débat de politique avec un grand P, chaque mot doit donner lieu à un débat de politique politicienne, nous n'avancerons pas.
Ces amendements, qui sont nécessaires pour que nos institutions puissent avancer, ne coûtent pas grand-chose à la nation. On ne peut pas tout rejeter d'un revers de main en niant les problèmes. Alors qu'après 1945, on pensait pouvoir dire « Plus jamais ça ! », nous en sommes réduits aujourd'hui à renforcer l'arsenal des peines pour lutter contre l'antisémitisme. C'est bien que, oui, le racisme est systémique, endémique, et que nous devons lutter.
Il ne s'agit pas de politique politicienne, mais les mots ont un sens. Vous parlez de chiffres noirs et d'enquêtes, mais on ne peut pas laisser suggérer ici que les forces de police ou de gendarmerie accueilleraient mal les plaintes concernant de tels délits.
Je vous rappelle, chers collègues de la NUPES, que, depuis le plan antisémitisme proposé par le Premier ministre Édouard Philippe, une journée nationale est consacrée à la formation des policiers, des gendarmes et des magistrats, et que la Licra et la Dilcrah vont dans les écoles de gendarmerie et de police nationale. Une mission d'information pourrait fournir plus de statistiques et de chiffres, mais c'est une honte que de jeter le discrédit avec cet amendement « soupçonneux », pour reprendre le terme du rapporteur.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL29 de Mme Nadège Abomangoli
Il porte sur la formation des magistrats au sein des pôles anti-discrimination. Nous reconnaissons que ces pôles ont permis une meilleure prise en compte du caractère raciste des infractions et le développement du réseau de sensibilisation et de prévention, mais nous regrettons qu'à ce jour, leurs magistrats n'aient reçu que peu de formation, voire aucune, au contentieux des infractions discriminatoires. Il y a une forme de déni à répondre que demander une meilleure prise en compte des phénomènes de racisme et d'antisémitisme dans notre société serait infantilisant.
La CNCDH regrette qu'aucune formation obligatoire n'ait été prévue jusqu'à présent pour les magistrats spécialisés de ces pôles – nous ne sommes donc pas les seuls à en parler. Cette situation entrave l'efficacité des pôles, qui pourraient être de véritables moteurs de la lutte contre les discriminations.
Par ailleurs, selon une étude récente du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, les policiers reconnaissent eux-mêmes qu'ils manquent de formation, évoquant aussi le peu d'efficacité des contrôles d'identité. Lorsqu'on interroge les personnes concernées, elles peuvent se révéler très lucides – apparemment plus que nous ici.
Dans un souci de formation, le groupe Socialistes et apparentés avait déposé un amendement tendant à créer une nouvelle peine complémentaire dans le code pénal, en ajoutant un stage de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations à la liste de ceux que la juridiction peut imposer pour les délits punis d'une peine d'emprisonnement. Ce stage, évidemment à la charge de l'auteur des faits, doit encore être mis en place, mais il répond aussi à une demande des magistrats, soucieux de l'efficacité de la peine qu'ils prononcent.
Je regrette vraiment que l'article 45 de la Constitution ait empêché cet amendement de venir jusqu'à la commission des Lois – peut-être M. le rapporteur pourra-t-il faire quelque chose...
Non seulement nous ne faisons pas preuve de déni, mais nos collègues de la NUPES, qui souhaitent obtenir une évaluation qualitative et quantitative de la création des pôles anti-discrimination, vont devoir s'interroger sur leur ignorance des dispositions existantes. Je rappelle en effet que cette proposition de loi se fonde sur un rapport de la Dilcrah, qui a pour objectif d'identifier les normes et les pratiques, ainsi que la législation et les politiques publiques mises en œuvre au niveau national. L'évaluation demandée a donc déjà lieu dans le cadre juridique et administratif en vigueur.
Si nos collègues sont si attachés aux formations, je leur suggère, par exemple, d'en organiser sur l'antisémitisme dans leur propre parti politique. Cela ne leur ferait pas de mal.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL25 de Mme Nadège Abomangoli
Il tend à engager une réflexion sur l'ouverture des actions de groupe aux infractions à caractère raciste et discriminatoire. La CNCDH estime à 1,2 million le nombre d'actes à caractère raciste, alors que le ministère de l'intérieur ne relève que 13 000 infractions : l'écart est considérable. La Défenseure des droits, quant à elle, indiquait l'année dernière que le levier du signalement et du recours individuel a de fortes limites et fait peser sur la victime un risque de représailles et de difficulté à faire la preuve de la discrimination.
La question est cruciale, car il ne faut pas voir le racisme et l'antisémitisme comme une somme de propos et d'actes individuels : ces discriminations imprègnent notre société et, à ce titre, sont systémiques. L'action de groupe permet d'agir collectivement contre un ensemble de pratiques discriminatoires et donne de la force aux victimes. C'est pour nous une manière de donner de la force à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Or la Défenseure des droits n'a eu connaissance que d'un nombre très limité d'actions de groupe. L'amendement vise donc à y remédier.
Avis défavorable, pour les raisons de forme déjà évoquées. Sur le fond, nous débattrons avec le garde des sceaux de la capacité des associations à ester en justice face à ce type d'infractions.
« Vous m'avez demandé plus de précisions sur nos moyens. Pour 2023, nous avions demandé cinq ETP supplémentaires, deux au titre des lanceurs d'alerte et trois au titre de la densification du réseau, mais seuls deux emplois ont été retenus, ce qui n'est pas raisonnable par rapport à l'augmentation de notre activité. Nous avons réalisé une comparaison avec les Ombudsmans et nous sommes excessivement inquiets. Ainsi, nous avons formulé de nouvelles demandes et j'espère que vous les verrez arriver au Parlement. Nous espérons une augmentation massive de nos moyens, en matière d'emplois, d'agents et de moyens de communication. Nous avions également demandé une augmentation du nombre de nos délégués, d'autant plus que les coûts des déplacements sont en hausse. En revanche, nous n'avons pas obtenu la somme demandée pour une campagne de communication pour le référencement de la plateforme Anti-discriminations.fr. Ce budget est indispensable, car sans financement du référencement de la plateforme, elle n'apparaît pas dans les moteurs de recherche. Je répète que l'institution n'a pas récupéré le budget communication qu'avait la Halde à l'époque. » Ces propos sont ceux qu'a tenus Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, le 17 mai 2023.
Vous vous glorifiez de ce que le Président de la République ait lancé une plateforme confiée à la Défenseure des droits, mais il ne lui donne pas les moyens nécessaires ! Et à la fin, pour faire croire que les choses avancent, vous vous contentez de changer l'échelle de peines, sans traiter les causes. C'est se moquer du monde. Sans compter que retirer, comme vous venez de l'annoncer, 10 milliards d'euros au budget de l'État ne risque pas d'aider la Défenseure des droits !
Je regrette le caractère idéologique de cet amendement, qui réitère l'affirmation que la France serait un pays raciste – un racisme systémique, endémique, pas constitué de faits individuels isolés. En fonction des territoires où l'on vit, on peut constater des formes de racisme très différentes et, si elles sont systémiques, elles ne s'exercent pas toujours à l'encontre des personnes que vous prétendez défendre.
Quant aux actions de groupe, elles sont déjà possibles. Voilà quelques années, plusieurs associations et ONG en ont engagé une à propos des contrôles au faciès et un avis a été rendu par le Conseil d'État. Cet amendement n'est donc qu'un prétexte pour pousser encore vos arguments idéologiques invoquant un racisme systémique et pour diviser le pays.
La commission rejette l'amendement.
Titre
Amendement CL16 de M. Raphaël Gérard
Il tend à compléter le titre. Compte tenu des événements récents et de l'explosion de l'antisémitisme dans notre pays depuis les attentats du 7 octobre, il est important d'insister sur le racisme et l'antisémitisme, comme le fait le texte. Je propose toutefois d'ajouter au titre les mots « ou discriminatoire », ce qui permet de couvrir en plus l'ensemble des types de discriminations, publiques ou non publiques, que nous avons évoquées ce matin sans rien retirer à l'importance de ces deux principaux fléaux.
De même que notre société a pris davantage conscience du caractère systémique des discriminations liées au système de domination patriarcale, il est temps qu'elle prenne conscience du caractère systémique du racisme, c'est-à-dire du fait que, lorsqu'on est jugé selon sa couleur de peau ou sa religion, on a moins accès à un logement ou à un emploi, on subit des discriminations. L'État aussi a sa part de responsabilité en la matière. Quand des jeunes de ma circonscription me rapportent qu'à 12 ans, il se sont déjà fait traiter de « kebab » par un policier, je mets en cause non seulement ce policier qui tient des propos racistes, mais aussi le système de domination global qui amène ce policier à penser que la couleur de peau, l'origine ou la religion peuvent faire des différences entre les êtres humains.
Être républicain, c'est prendre conscience de ce problème majeur : notre société fait une différence entre les êtres humains et certains finissent par intégrer l'idée qu'ils sont différents des autres. De nombreux jeunes de notre pays, notamment dans les quartiers populaires, où certaines enquêtes statistiques montrent qu'ils sont plus souvent que les autres victimes de discriminations, ne se sentent pas faire pleinement partie de la nation, parce que certaines personnes leur renvoient cette image. C'est contre cela qu'il faut lutter.
Vous nous reprochez de jeter le discrédit en proposant des formations pour les policiers mais en réalité, tout le monde, dans notre société, a besoin de ces formations. Sans doute bon nombre d'entre nous ont-ils déjà tenu des propos racistes sans même s'en rendre compte, précisément parce que cela relève d'un caractère systémique, de même que les hommes ont souvent eu des comportements machistes sans même s'en rendre compte.
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte l'ensemble de la proposition de loi modifiée.
Puis, la Commission examine la proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982 (n° 1915) (M. Hervé Saulignac, rapporteur).
Lien vidéo : https://assnat.fr/vf9nYO
Cette proposition de loi a été déposée le 6 août 2022 par le sénateur Hussein Bourgi et examinée par le Sénat, à la demande du groupe socialiste, le 22 novembre 2023. Elle est inscrite mercredi prochain en séance sur un ordre du jour transpartisan.
Cette proposition de loi n'est pas seulement un acte de justice ou une mesure symbolique qui se justifierait par elle-même : elle s'inscrit dans un contexte de recrudescence alarmante de la violence et de la discrimination à l'encontre des personnes LGBT. À cet égard, elle est un acte politique. Elle envoie en effet un signal fort à la société qui, malgré des avancées significatives en matière de droits et de reconnaissance, ne parvient pas à endiguer la progression de l'homophobie, de la transphobie ou d'autres discriminations fondées sur le genre ou l'orientation sexuelle.
En 2022, les services de police et de gendarmeries ont enregistré 2 417 crimes et délits anti-LGBT, chiffre qui a plus que doublé depuis 2016. Selon plusieurs enquêtes, 20 % seulement des victimes de menaces ou de violences anti-LGBT portent plainte, chiffre qui chute dramatiquement à 5 % en cas d'injure. Ces statistiques ne sont pas seulement des chiffres, mais aussi le reflet des souffrances endurées, souvent rendues invisibles et parfois vécues dans un silence coupable.
Ce contexte nous oblige à avoir des actes forts et une parole claire. Cette proposition de loi en est l'occasion.
La France affiche une histoire assez singulière en matière de pénalisation de l'homosexualité. Alors que, sous l'Ancien Régime, celle-ci était un crime passible de la peine du feu, le code pénal issu des lois de 1791 a fait disparaître de notre droit national ce que l'on appelait le crime de sodomie, c'est-à-dire l'ensemble des actes sexuels sans visée procréative. C'est ainsi qu'ont été dépénalisées les relations entre personnes de même sexe.
Pendant plus d'un siècle et demi, la législation pénale française a donc fait abstraction de l'homosexualité, alors que nombre de nos voisins européens appliquaient des dispositions répressives et souvent cruelles. La situation française, inédite sur un plan pénal au XVIIIe siècle, n'a pas pour autant sonné la fin des discriminations à l'endroit des personnes homosexuelles, loin de là, et les historiens ont clairement mis en évidence les mesures de surveillance policière, les brimades et la traque dont elles pouvaient faire l'objet. Il n'en demeure pas moins que, du fait de ce libéralisme juridique, notre pays avait acquis une réputation de tolérance en termes de droits des personnes homosexuelles.
La pénalisation de certaines relations entre personnes de même sexe a été réintroduite dans le droit pénal français par la loi du 6 août 1942, qui a aligné l'âge de la majorité sexuelle sur celui de la majorité civile pour les seules relations homosexuelles, créant ainsi une discrimination incontestable. Contre toute attente, ces dispositions ont été maintenues à la Libération, sous prétexte de protection de l'enfance et de la famille. Ainsi, d'un point de vue strictement historique, le « point zéro » de la répression pénale réside bien dans la loi du 6 août 1942, et nulle part ailleurs.
Deux décennies plus tard, l'arsenal répressif a même été complété par l'ordonnance du 25 novembre 1960, qui a créé une circonstance aggravante en cas d'outrage public à la pudeur lorsque celui-ci était commis avec une personne du même sexe. Cette disposition, que l'on connaît sous le nom d' « amendement Mirguet », a en quelque sorte confirmé dans notre droit pénal le traitement discriminatoire visant les personnes homosexuelles.
Ainsi, pour être très précis, ce n'est donc pas l'homosexualité en tant que telle qui est pénalisée à partir de 1942, puisque les relations sexuelles entre personnes majeures de même sexe dans le cadre privé restaient autorisées ; les mesures pénales visant les homosexuels n'en étaient pas moins profondément discriminatoires, attentatoires au droit au respect de la vie privée et moralement injustifiables.
Le sursaut est intervenu au tournant des années 1980 avec trois textes successifs adoptés entre 1980 et 1982, par lesquels le législateur a abrogé ces dispositions iniques et voté l'amnistie des personnes condamnées.
Il n'en demeure pas moins que, dans notre histoire récente, la France a pénalement discriminé sa population selon ses orientations sexuelles. Entre 1945 et 1982, notre code pénal a permis de condamner au moins 10 000 personnes, dont 93 % à des peines de prison. Au-delà de ces statistiques, ce sont des vies humaines qui ont parfois été brisées, souvent bouleversées et toujours marquées par des condamnations qui exposent au jugement, à l'opprobre, à la stigmatisation et à la mise à l'écart.
Le texte que nous nous apprêtons à examiner propose de reconnaître et de réparer les préjudices subis par les personnes homosexuelles au cours des quatre décennies concernées. La proposition initiale déposée au Sénat par M. Hussein Bourgi à l'occasion du quarantième anniversaire de l'abrogation de la loi de 1942 était construite autour de trois axes forts : premièrement, la reconnaissance par la République de ces faits et de leur caractère discriminatoire ; deuxièmement, la mise en œuvre d'un mécanisme de réparation financière pour les personnes condamnées, qui repose sur une commission indépendante ; troisièmement, la création d'un nouveau délit réprimant la contestation de la déportation de personnes homosexuelles en France durant la Seconde guerre mondiale.
En séance publique, le Sénat a apporté d'importantes modifications au texte initial. Pour être plus exact, il l'a presque totalement vidé de sa substance, ne conservant que l'article 1er réécrit. L'occasion nous est donc donnée de revenir largement vers le texte initial et de l'améliorer, au lieu de nous contenter de la reconnaissance d'un préjudice, qui n'est pas une fin en soi.
Le Sénat a d'abord modifié la période concernée par les mesures de reconnaissance : considérant que la République française ne pouvait être rendue responsable de la politique menée par le régime de Vichy, il a exclu du champ du texte les années 1942 à 1945. Je comprends, bien sûr, l'intention du rapporteur, mais nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette restriction car, à la Libération, les mesures pénales de 1942 sont restées en vigueur dans une continuité parfaite, sans aucune rupture. La disposition a été pérennisée par voie d'ordonnance et s'est appliquée jusqu'en 1982, l'exposé des motifs de l'ordonnance de février 1945 soulignant sans détour que la réforme « ne saurait, en son principe appeler aucune critique ».
Le Sénat a ensuite supprimé l'infraction de contestation de la déportation de personnes homosexuelles depuis la France, au motif que ce délit était déjà réprimé par la loi Gayssot de 1990 et que, sur un plan plus technique, la formulation de l'article 2 comportait un risque constitutionnel. Je souscris à cette analyse et j'y reviendrai lorsque nous aborderons cet article.
Le Sénat a supprimé le mécanisme de réparation financière et la commission indépendante créée par les articles 3 et 4, arguant de difficultés d'articulation de ces mesures avec l'amnistie prononcée en 1981. Il a également évoqué les exemples étrangers de réparations financières, notamment de l'Allemagne et de l'Espagne, considérant qu'ils étaient difficilement transposables à la situation française.
Je ne suis pas convaincu par ses arguments. Il me semble au contraire que si nous n'adoptons pas de mécanisme de réparation financière, nous aurons certes consacré dans la loi le principe de la reconnaissance, mais en restant en quelque sorte au milieu du gué. À quoi servirait une loi de réparation sans réparation ? Reconnaître un préjudice sans le réparer n'a aucun sens. Je vous proposerai donc sur ce point de rétablir la volonté initiale de l'auteur du texte.
Pour finir, je souhaite rendre un dernier hommage à Robert Badinter, disparu il y a peu. Il avait soutenu la proposition de loi qui a fait définitivement disparaître le délit d'homosexualité de notre code pénal. En décembre 1981, il relevait à la tribune de l'Assemblée nationale que « la discrimination, la flétrissure qu'implique […] l'existence d'une infraction particulière d'homosexualité […] nous atteint tous […] à travers une loi qui exprime l'idéologie, la pesanteur d'une époque odieuse de notre histoire. »
Il a fallu quarante années pour que l'homosexualité soit dépénalisée, grâce notamment à Robert Badinter, à Raymond Forni et à Gisèle Halimi. Quarante autres années ont passé depuis lors. Nous n'avons que trop attendu. Le temps est venu de reconnaître et de réparer. C'est ce que je vous invite à faire en adoptant cette proposition de loi.
Disons-le d'emblée, le groupe Renaissance se félicite de l'examen de cette proposition de loi, qui résulte d'une initiative du sénateur socialiste Hussein Bourgi. Pourtant, ce texte n'a recueilli l'assentiment de la chambre haute qu'au prix d'une sévère amputation. Notre groupe souhaite revenir à une version plus ambitieuse, et donc plus proche du texte initial.
De quoi s'agit-il ? De reconnaître le préjudice subi par les personnes homosexuelles en France jusqu'en 1982. Ce préjudice résultait d'une définition différenciée de la majorité sexuelle pour les homosexuels – et donc discriminatoire – ainsi que du fait que l'outrage public à la pudeur était assorti d'une circonstance aggravante quand il s'agissait de relations homosexuelles. En vertu de ces deux dispositions discriminatoires, des milliers d'homosexuels ont été humiliés, arrêtés, condamnés et emprisonnés en France jusqu'en 1982. Qu'il me soit permis de rendre hommage au sénateur radical Henri Caillavet, qui, en 1972, fut le premier à déposer une proposition de loi pour abroger ces circonstances discriminatoires, ainsi que, bien entendu, au garde des sceaux Robert Badinter, qui lutta contre cette législation, issue à la fois du régime de Vichy et du sous-amendement Mirguet de juillet 1960, et en obtint l'abrogation.
Nos débats porteront ce matin sur les trois points principaux sur lesquels le texte déposé par Hussein Bourgi et la version issue des débats du Sénat diffèrent.
En ce qui concerne la création d'un délit spécifique de négation ou de minoration outrancière du phénomène de déportation des homosexuels pendant la Seconde guerre mondiale, le groupe Renaissance partage l'analyse du rapporteur du Sénat. Ce délit spécifique nous semble déjà couvert par l'article 24 bis de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. On ne peut pas mettre sur le même plan des crimes contre l'humanité, par définition imprescriptibles, et la délictualisation de l'homosexualité de 1945 à 1982.
En revanche, la définition discriminatoire de la majorité sexuelle a bien été introduite par le régime de Vichy dans la loi du 6 août 1942. Cette législation a été confirmée à la Libération par l'ordonnance du 8 février 1945 et elle est restée en vigueur jusqu'à l'amnistie du 4 août 1981. Il n'y a donc aucune raison d'exclure du champ de la loi les amendes et les peines d'emprisonnement prononcées sous Vichy.
Quant à savoir si la République doit ou non endosser la responsabilité des décisions ou de la réglementation du régime de Vichy, je préfère ne pas rouvrir le débat. Je propose un amendement de réécriture de l'article 1er qui prévoit que la Nation reconnaît sa responsabilité de manière rétroactive – Nation dont l'essence est, pour paraphraser Ernest Renan, que tous ses membres aient oublié bien des choses mais qu'ils puissent cultiver ce qu'ils ont en commun, et notamment le principe cardinal d'égalité des droits, sans distinction fondée sur le sexe ou sur l'orientation sexuelle.
Enfin, l'argumentation développée au Sénat pour s'opposer au principe de réparation financière, auquel le groupe Renaissance est attaché, est discutable. L'une des conditions de l'indemnisation des dommages causés par une loi suppose précisément que le législateur n'ait pas entendu exclure toute indemnisation. Il faut donc prévoir explicitement cette dernière dans la loi. La reconnaissance symbolique est importante, mais ne suffit pas. C'est d'ailleurs la position qu'avait adoptée en août 2022 la Première ministre Élisabeth Borne dans une interview donnée au magazine Têtu. Un régime de réparation pécuniaire suppose de créer un régime de responsabilité de l'État, du fait des lois dérogatoires à la jurisprudence du Conseil d'État – en particulier s'agissant de la prescription quadriennale. Par cohérence, le groupe Renaissance soutiendra également le rétablissement de la commission chargée de statuer sur les demandes de réparations financières.
Nous souhaitons donc rétablir un texte d'une plus grande ambition, correspondant à celle du sénateur Hussein Bourgi, et qui soit susceptible de recueillir par la suite l'assentiment du Sénat.
« C'était une homophobie d'État, avec des provocations policières. Il y avait des complicités dans le monde de la nuit, c'est toujours plus ou moins glauque. Mais les gens condamnés avaient honte. Ils n'en parlaient pas et je n'en connaissais pas. » C'est ce que Michel, qui a 75 ans et qui a été condamné pour homosexualité en 1977, raconte au journal Le Parisien.
Avec ce texte, nous entamons une discussion importante, un travail de mémoire sur l'homophobie d'État – c'est-à-dire la négation des droits humains et des libertés fondamentales d'un groupe donné –, un travail sur les souffrances que cela a engendré et sur la société actuelle, qui a été forgée par ces violences et par celles et ceux qui les ont combattues avec courage et succès. Cette proposition de loi est politiquement et symboliquement majeure. Il est fondamental que la France reconnaisse officiellement la répression politique, policière et judiciaire dont ont été victimes les hommes homosexuels, comme d'autres pays l'ont déjà fait. Nous soutenons cette avancée vers une société qui se souvient de ses égarements pour aller fièrement vers une nouvelle architecture, loin des LGBTphobies et du patriarcat.
Malheureusement, nous avons devant nous un texte à trous mémoriels. Il oublie les lesbiennes victimes d'internement, les transexuels victimes de la psychiatrisation et de la stérilisation forcée, et les intersexes qui ont subi des mutilations génitales, désormais interdites. Il élude volontairement la période de Vichy – oubliant les propos du président Chirac en 1995 sur la responsabilité de l'État français dans les crimes de Vichy – alors même que les victimes du fameux article 331 ont été cinq fois plus nombreuses entre 1942 et 1945 qu'entre 1945 et 1982. Le texte oublie cyniquement de donner une réparation aux survivants et des lieux de mémoire pour les disparus.
Parmi les responsables de ces absences figurent les sénateurs de la droite, qui ont jugé opportun de transformer notre mémoire en gruyère plutôt que de regarder l'histoire en face avec dignité. La proposition comprenait à l'origine plusieurs articles. Il ne reste plus qu'un après l'examen au Sénat.
Nos charmants collègues de l'autre chambre ont accepté de maintenir la reconnaissance de la responsabilité de la France tout en supprimant la référence à la période de Vichy – grossière manœuvre pour éviter le plus possible de parler de la collaboration et pour saucissonner l'histoire.
Les articles 3 et 4 prévoyaient une réparation financière pour les personnes condamnées et la constitution d'une commission indépendante visant à évaluer les demandes de réparation. Leur suppression est une pinaillerie déplacée, voire franchement honteuse. D'autre pays ont procédé à de telles indemnisations, que nous avons nous-mêmes su mettre en place par exemple pour réparer les souffrances causées aux harkis. En Allemagne, seulement 146 personnes ont obtenu une indemnisation sur cette base.
Refuser la réparation pour la centaine de survivants revient à cautionner la répression passée. Dois-je vous rappeler le nouveau slogan du chef du Gouvernement : « Tu casses, tu répares » ? L'État a cassé des vies ; qu'il répare celles qui restent, pas seulement en reconnaissant, mais aussi en indemnisant les victimes qui furent qualifiées de coupables.
Même renflouée, cette loi mémorielle restera insuffisante. Rappelons qu'elle définit de manière trop étroite la répression de l'homosexualité, en faisant référence seulement aux articles 330 et 331 du code pénal de l'époque, ce qui exclut de ce fait la répression policière et judiciaire qui a pu avoir lieu avant et après 1942 en s'appuyant sur d'autres dispositions du code pénal.
La mémoire collective d'une société est quelque chose de présent, qui irrigue directement notre perception du monde, de ce qui est naturel, acquis, juste ou injuste. Comprendre ce que fut la répression des LGBT est indispensable pour comprendre les LGBTphobies actuelles et la violence à laquelle s'expose chacun d'entre nous lorsqu'il découvre puis affiche son identité et son désir. Car nous faisons désordre, et l'autorité, l'ordre et le travail cherchent inlassablement à uniformiser les corps et les vies, à cacher ou à détruire celles et ceux qui ne rentrent pas dans le rang, qui ne participent pas à la guerre démographique et qui préfèrent leur étendard à celui de la Nation. Nous devons avoir des lieux de mémoire et de recueillement, des sanctuaires faisant vivre au présent les souffrances du passé pour que les fantômes ne deviennent pas des ombres oubliées.
Que ce texte soit une pensée en actes, un « Ne m'oublie pas » permettant d'irriguer le présent de nos luttes et la fierté de nos identités.
Ce texte a été examiné au Sénat et profondément modifié, mais il conserve ses éléments essentiels. Le premier consiste à reconnaître la responsabilité de la République française à compter du 8 février 1945 du fait de l'application de dispositions pénales qui ont constitué une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle des personnes. Le texte reconnaît que ces dispositions ont été source de souffrances et de traumatismes pour les personnes condamnées, qui devaient se cacher pour mener leur vie privée et ont parfois eu affronter les conséquences familiales et professionnelles de ces arrestations et condamnations.
Deux points me paraissent importants.
Il convient tout d'abord d'exclure du champ de la loi les décisions et les actes du régime de Vichy, pour les distinguer clairement de ce qu'est la République française – telle est notre conception des choses : le régime de Vichy, ce n'était pas la République française.
Ensuite, le Sénat a soulevé deux difficultés importantes en ce qui concerne les réparations financières. Nous sommes plusieurs dizaines d'années après les faits et une loi d'amnistie est intervenue dans les années 1980. Il est difficile de retrouver les personnes et de rassembler les preuves nécessaires. Je constate que des opinions très différentes sur ce que doit être la réparation ont été exprimées par M. Valence et par l'orateur de La France insoumise : cela m'amène à penser que le sujet est extrêmement délicat et que la question est loin d'être tranchée, y compris par les articles que certains souhaitent rétablir.
Le Sénat a fait preuve de sagesse en reconnaissant pleinement les discriminations subies par les homosexuels et en étant beaucoup plus prudent sur la question des réparations.
Après les commémorations, en 2022, des quarante ans de la dépénalisation de l'homosexualité et dans la lignée de lois mémorielles, nous devons reconnaître la responsabilité de la République française dans la politique de criminalisation et de discrimination envers les personnes homosexuelles entre 1942 et 1982, et nous interroger sur un droit à réparation financière pour les victimes.
Si les relations entre personnes de même sexe ont été décriminalisées lors la Révolution française en 1791, les personnes homosexuelles ont continué d'être surveillées et réprimées tout au long des XIXe et XXe siècles. Mais la loi du 6 août 1942 adoptée sous le régime de Vichy a modifié l'article 334 du code pénal pour introduire une distinction discriminatoire s'agissant de l'âge de consentement. Cette modification législative a alors servi de base juridique pour la répression policière et judiciaire dont les personnes homosexuelles ont été victimes – constitution de fichiers de police, condamnations judiciaires, dénonciations aux forces d'occupation ennemies et opprobre social. Publiées dans les journaux, ces condamnations avaient également des répercussions sur la vie professionnelle et personnelle, avec des licenciements abusifs, une vie sociale ruinée et le déshonneur pour les familles.
Alors que la plupart des lois du régime de Pétain ont été abrogées à la Libération, celle du 6 août 1942 a été maintenue par l'ordonnance du 8 février 1945. La pénalisation de l'homosexualité a perduré avec une circonstance aggravante à l'outrage public à la pudeur, la pénalisation de quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature, et des peines encourues allant de six mois à trois ans d'emprisonnement et de 60 à 15 000 francs d'amende. Nous estimons que près de 10 000 personnes ont été condamnées du fait de leur homosexualité entre 1945 et 1982. Au cours de cette même période, 50 000 personnes auraient été également condamnées pour outrage public à la pudeur homosexuel. N'oublions pas que, jusqu'en 1978, 80 % des procès ont abouti à des condamnations à des peines de prison.
La législation évoluera grâce à la mobilisation d'intellectuels comme Michel Foucault, Gilles Deleuze ou Marguerite Duras, que nous devons saluer, ainsi qu'à l'engagement d'hommes politiques, dont Robert Badinter. La disposition relative à l'outrage public à la pudeur homosexuel est abrogée en 1980 et, en 1981, toutes les personnes condamnées pour homosexualité sur la base des articles 330 et 331 du code pénal sont amnistiées grâce à François Mitterrand.
Quarante ans après l'abrogation des lois discriminant les personnes LGBT, la France n'a pas encore admis sa responsabilité dans les discriminations et les condamnations subies par les personnes homosexuelles en raison de leur orientation sexuelle, réelle ou supposée, ou de leur identité de genre. C'est pourquoi je suis honoré d'être le porte-parole du groupe Démocrate, humaniste et libre.
Nous acceptons de revenir à une rédaction qui englobe la période allant de 1942 à 1982, mais il est très important de bien faire la distinction entre le régime de Vichy, de 1942 à 1945, et la République française. Nous reconnaissons les persécutions qui ont été commises contre les personnes homosexuelles par le régime de Vichy, mais il ne faut pas pour autant confondre ce dernier avec notre République.
Les réparations ne sont pas une question budgétaire – elles ne coûteraient pas énormément d'argent. Mais l'objet de cette proposition est de reconnaître la responsabilité de l'État et de réparer le préjudice : c'est donc une question morale et non pas financière. De plus, accorder une indemnisation à des personnes qui ont été amnistiées et qui ne sont donc plus condamnées aux yeux de la justice – même si elles ont purgé leur peine – est inconstitutionnel. Voilà pourquoi nous nous abstiendrons sur la réparation financière. Mais notre groupe sera favorable à cette proposition de loi pour reconnaître la responsabilité de la République.
Cette proposition de loi déposée au Sénat par notre collègue socialiste M. Bourgi est importante. Même amputée par plusieurs amendements, elle s'inscrit dans un large mouvement international de défense des droits de l'homme, considéré comme l'un des plus dynamiques actuellement : celui des réparations en faveur les homosexuels. Il s'agit de promouvoir les politiques destinées à réparer les conséquences de la discrimination systémique fondée sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre.
En 2021, le Canada, l'Allemagne, l'Irlande, la Nouvelle-Zélande, l'Espagne et le Royaume-Uni avaient adopté des mesures de réparation en faveur des homosexuels. Elles peuvent être de différente nature : excuses de l'État à la communauté LGBTQ pour les fautes commises dans le passé et promesse de faire mieux à l'avenir ; instauration d'une commémoration en faveur des victimes de la répression étatique des citoyens homosexuels ; grâce accordée à toute personne condamnée en vertu des lois criminalisant l'orientation de sexe ou de genre ; et bien entendu compensation financière pour les pertes occasionnées en raison d'un séjour en prison ou dans un établissement psychiatrique – comme cela se fait par exemple en Espagne depuis 2009 et en Allemagne depuis 2016.
La présente proposition de loi est donc très inférieure à ce qui a été fait dans plusieurs États.
Largement amputé lors de sa discussion au Sénat, le texte ne comporte plus qu'un seul article, qui pose le principe d'une reconnaissance de la responsabilité de la République française à compter du 8 février 1945. Ont été supprimées les dispositions créant un délit de négation de la déportation subie par les personnes LGBT au cours de la Seconde guerre mondiale, et, en invoquant l'article 40 de la Constitution, les articles qui prévoient l'indemnisation des personnes victimes de la législation discriminatoire et la création d'une commission indépendante visant à évaluer les demandes de réparation.
Nous soutenons cette proposition, tout en affirmant que l'État pourrait mieux faire. Il faut rappeler combien il est difficile de faire émerger une mémoire qui repose non pas sur la compassion mais sur la reconnaissance de la discrimination et de l'oppression subies. Il faut aussi aller plus loin en mettant en place une légitime compensation. Plusieurs États, y compris européens, ont fait mieux, voire beaucoup mieux que nous.
Tel est le sens de notre soutien à ce texte, en espérant de pouvoir avancer sur ce dossier avec tous les groupes, car c'est un symbole aussi important que d'autres qui ont une portée historique.
Un peu plus de quarante ans après la loi du 4 août 1982 dépénalisant définitivement l'homosexualité, le groupe Horizons et apparentés salue l'initiative du groupe Socialiste, écologiste et républicain d'avoir fait inscrire à l'ordre du jour du Sénat l'examen de cette proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982.
Cette proposition présente l'intérêt symbolique majeur de reconnaître officiellement la répression judiciaire dont ont été victimes les personnes homosexuelles.
Rappelons que la France a été pionnière en dépénalisant l'homosexualité en 1791, au lendemain de la Révolution française, devenant ainsi l'un des pays les plus progressistes sur ce sujet. En août 1942, le régime de Vichy a rétabli une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et est revenu en arrière en instaurant une majorité sexuelle à 21 ans pour les homosexuels, contre 13 ans pour les hétérosexuels. Cette discrimination légitima jusqu'à la fin de la guerre la persécution, l'arrestation et la condamnation de dizaines de milliers d'hommes de notre pays. Quelques centaines d'entre eux furent déportés vers les camps de concentration et d'extermination. Ce n'est que quarante ans après, à l'initiative du garde des sceaux Robert Badinter, du député Raymond Forni et de la rapporteure Gisèle Halimi, que la majorité sexuelle discriminante héritée de Vichy fut abrogée.
Le temps est venu de reconnaître la responsabilité de la République dans cette discrimination insupportable, mais elle ne doit par définition l'endosser qu'à compter de 1945. La République française ne peut être tenue comptable des agissements du régime de Vichy. Comme le rappelait le général de Gaulle, « Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu. »
Toutefois, il ne s'agit pas d'oublier ces heures qui ont souillé notre histoire et il nous appartient de trouver le chemin qui permette de rappeler le devoir à l'égard de ceux qui ont été persécutés par l'État français, tout en reconnaissant la rupture que le régime de Vichy incarne.
Par ailleurs et dans le même esprit, notre groupe estime que c'est à raison que le Sénat n'a pas adopté l'article 2 créant un délit de contestation ou de minoration outrancière de la déportation des personnes homosexuelles depuis la France pendant la Seconde guerre mondiale. Instaurer ce délit reviendrait à considérer que ces faits ne sont pas déjà couverts par celui de négationnisme. Or, le statut du Tribunal militaire international de Nuremberg cite expressément la déportation dans son ensemble comme constitutive d'un crime contre l'humanité, qu'elle ait concerné les juifs, les communistes, les résistants, les tziganes ou les homosexuels. La négation de la déportation entre, de ce fait, dans le cadre de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Enfin, la réparation financière nous semble complexe à mettre en œuvre, pour les raisons qui ont été exposées par d'autres orateurs. Nous nous abstiendrons sur ce point.
Le groupe Horizons et apparentés votera donc en faveur de ce texte dans la version transmise par le Sénat.
Il est des moments où le Parlement s'honore en regardant notre histoire avec lucidité, et je remercie pour cela le groupe Socialiste, écologiste et républicain du Sénat, le sénateur Hussein Bourgi, notre rapporteur et les collègues ici présents.
Il aura fallu attendre l'alternance de 1981 et la loi soutenue par Robert Badinter en 1982 pour que la France dépénalise l'homosexualité, mettant fin à un héritage vichyste perpétué des décennies durant par la République et par ses lois – cela étant dit pour répondre à certains débats théoriques sur les bornes historiques.
Notre responsabilité est désormais de réparer, même si aucun texte ou aucun débat parlementaire ne pourra jamais réparer complètement les souffrances causées par la répression dirigée contre les personnes homosexuelles pendant tant d'années et avec une telle violence. Mais nous pouvons faire notre part dans ce travail, pas simplement avec un mea culpa exprimé par la représentation nationale, mais avec une véritable indemnisation. Cela sera aussi l'objet de nos discussions, parce qu'il n'est pas ici seulement affaire de symboles, mais de vies humaines.
Avec d'autres collègues, le groupe Écologiste proposera de rétablir l'ambition initiale de ce texte, qui a été vidé d'une grande partie de sa substance par les droites coalisées – nous en avons l'habitude.
J'ai entendu un collègue du groupe LR dire que le sujet était délicat. Pour notre part, nous affirmons sans aucune ambiguïté que la République doit réparer, indemniser et prendre ses responsabilités, et cela à partir du moment où ont commencé ces répressions et ces violences, et non pas en fonction de considérations qui relèvent d'une dissertation historique. Nous serons là encore extrêmement ambitieux lors de la discussion, en commission puis en séance, afin d'aboutir à dire clairement que nous avons reconnu la responsabilité de la France au cours de son histoire et que nous nous sommes donné les moyens de la réparer.
Cette proposition de loi, qui entend reconnaître la répression dont ont été victimes les personnes homosexuelles mais aussi, dans sa version initiale, à réparer, est importante pour nous.
Elle l'est évidemment d'un point de vue symbolique, car elle peut servir à lutter encore et toujours contre l'homophobie qui existe dans notre société.
Elle l'est ensuite parce qu'elle vise à réparer, même si c'est plus compliqué que d'adopter un simple article de loi – ce qui a tout de même une valeur politique.
Malheureusement, le texte initial a été en partie vidé de son contenu puisque, lors des débats au Sénat, on a tenté d'absoudre l'État de ses responsabilités dans la législation à l'origine de ces discriminations abjectes et de ces persécutions qui sont pourtant très largement documentées. Selon certains sénateurs, les souffrances vécues par les homosexuels sont le fait d'éléments extérieurs, ou d'individus, non de la loi elle-même. Or, jusqu'en 1982, la loi pénalisait l'homosexualité, ce qui nous permet de parler d'homophobie d'État.
Les sénateurs ont souhaité que la période où la responsabilité est reconnue n'englobe pas le régime de Vichy, au motif que ce dernier n'était pas la République. Or c'est ce régime qui réinstaure la pénalisation de l'homosexualité, pourtant abolie en 1791. C'est sous Vichy que la France instaure une majorité sexuelle de 21 ans pour les personnes homosexuelles, alors qu'elle est fixée à 13 ans pour les personnes hétérosexuelles. Cette discrimination a légitimé la persécution et l'arrestation de dizaines de milliers d'hommes dans notre pays. Quelques centaines d'entre eux furent déportés depuis la France vers les camps de concentration. Il est donc impossible à nos yeux, dans le cadre d'une volonté de reconnaissance et de réparation, de mettre à part cette période de notre histoire.
Et surtout, cette loi n'a pas été abrogée à la Libération. Pire encore, elle a été complétée par le sous-amendement du gaulliste Mirguet, qui autorisait le gouvernement à prendre toute mesure propre à lutter contre l'homosexualité, classée parmi les fléaux sociaux. Il existe donc une continuité juridique entre le régime de Vichy et les lois en vigueur sous la IVe République. Il faudra attendre la loi Forni de 1982 pour mettre un terme à la répression pénale de l'homosexualité en France – seulement pénale. C'est cette même année que le ministre communiste de la santé Jack Ralite retirera l'homosexualité de la liste des maladies mentales.
L'exigence de réparation a également disparu dans le texte adopté par le Sénat, au motif qu'il serait difficile de calculer le nombre de personnes concernées et de prouver que les persécutions ou déportations ont été motivées par leur homosexualité. Franchement, c'est un scandale. Un tel travail d'enquête est possible. Nous le savons car d'autres pays ont su reconnaître les persécutions et les indemniser avec efficacité, que ce soit l'Espagne, le Canada ou l'Allemagne.
Reconnaître sans réparer, ce n'est pas reconnaître pleinement. Cette réparation demeure symbolique, mais elle est éminemment importante compte tenu de l'objectif visé. C'est ce qui lui confère sa portée politique. Que la République reconnaisse sans ambages sa responsabilité pour avoir maintenu en vigueur entre 1945 et 1982 des infractions à caractère discriminatoire spécifiques à l'homosexualité.
Je crois, en entendant mes collègues, que cette réunion de commission nous permettra d'avancer vers la vraie réparation et la vraie reconnaissance.
La répression de l'homosexualité fait partie des heures sombres de l'histoire de notre pays. Les sanctions pénales ciblées, l'inscription de l'homosexualité comme fléau social et les années de discriminations sont autant de fautes dont l'État et la République sont responsables.
Ce texte va indéniablement dans le bon sens. Après l'amnistie en 1981, puis la dépénalisation de l'homosexualité en 1982, grâce au combat de deux humanistes, Robert Badinter et Gisèle Halimi, il reconnaît la responsabilité de notre pays dans cette répression pénale.
Pourquoi diable le Sénat veut-il exclure la période allant de 1942, année de l'adoption de la loi scélérate, à 1945 ? J'entends bien ceux qui disent que le régime de Vichy ce n'est pas la France, ni la République, mais je suis désolé : le régime Vichy était totalement légal. Ce sont d'ailleurs les députés qui ont donné les pleins pouvoirs au maréchal Pétain – et seulement quatre-vingt d'entre eux s'y sont opposés.
Je suis donc un peu surpris. Dans notre pays, on a quelquefois tendance à mettre la poussière sous le tapis quand des choses ne vont pas dans le bon sens. Les Américains font des films quand ils ont des problèmes à régler avec leur histoire ; nous, nous essayons de ne pas en parler. Reste que Vichy c'était légal ; c'était la République et c'était la collaboration d'État – qui a amené les fonctionnaires français à aller chercher les juifs pour les livrer aux Allemands et qui a mis toute la machine industrielle française au service de l'Allemagne pour fabriquer des armes.
Il faudrait faire ce procès-là. Vichy, c'est le côté obscur de la République, le côté de droite et d'extrême droite, qui existe aussi. Nous avons tout intérêt à le dire clairement et à le dénoncer.
Je suis donc évidemment favorable à ce que l'on fasse commencer la période de reconnaissance à la loi de 1942.
Quant au droit à réparation, je considère que si l'on condamne, il faut au moins une réparation symbolique. Il est certain que c'est compliqué en pratique, mais on ne peut pas s'en passer. Il faut aller jusque-là, il faut indemniser des personnes qui ont été très injustement traitées, discriminées, et qui ont même fini dans des camps pendant la guerre.
Ma réponse sera d'autant plus brève que l'ensemble des propos exprimés à l'instant convergent vers un objectif commun de reconnaissance et de réparation. Je remercie les orateurs, ainsi que les collègues qui se sont impliqués dans le travail sur ce texte.
Bien sûr, comme au Sénat, nous avons un débat sur la reconnaissance de la responsabilité de la République, notamment s'agissant de la période qui va de 1942 à 1945. Le régime de Vichy doit naturellement être distingué de la République. C'est la raison pour laquelle David Valence proposera une formulation qui opère ce distinguo. Il ne s'agit pas d'endosser la responsabilité de ce que le régime de Vichy a pu commettre, mais de reconnaître. Et si nous avons une responsabilité, c'est précisément l'obligation morale de reconnaître. Ce sera tout l'objet de cet amendement qui réécrit l'article 1er.
M. Di Filippo a estimé que le texte adopté par le Sénat gardait les aspects essentiels du texte initial. L'honnêteté me commande de dire que ce n'est pas du tout le cas.
Tout d'abord, le texte voté par le Sénat modifie la période de reconnaissance de responsabilité, ce qui est évidemment dommageable.
Ensuite, ce texte supprime la réparation. Mais si je reconnaissais avoir dégradé la voiture de monsieur Di Filippo, je pense qu'il me demanderait de la réparer – pardon pour cette comparaison évidemment contestable. Je considère, et je ne suis pas le seul, que la reconnaissance est indissociable de la réparation et je regrette que le Sénat l'ait supprimée.
Enfin, le Sénat a réduit les conséquences de la discrimination pénale à des souffrances et à des traumatismes. Cette réécriture n'est pas conforme à la réalité des préjudices, qui vont bien au-delà – notamment du fait des atteintes portées à la dignité.
Le Sénat n'a pas fait preuve de sagesse, mais plutôt de frilosité. Le rôle de l'Assemblée est de revenir à un texte plus ambitieux et surtout plus cohérent, intégrant la reconnaissance et la réparation. La majorité sénatoriale a semble-t-il considéré que la France ne pouvait pas faire ce que l'Allemagne, l'Irlande, le Royaume-Uni, l'Autriche, l'Espagne et le Canada ont fait. Permettez-moi d'en douter. Je vous invite à faire la démonstration inverse dans les minutes qui viennent.
Article 1er : Reconnaissance de la responsabilité de la République française du fait de l'application de dispositions légales pénalisant l'homosexualité
Amendement CL30 de M. David Valence ; sous-amendements CL34 de M. Hervé Saulignac, CL39 de M. Sacha Houlié, CL35 de M. Hervé Saulignac et CL40 de M. Sacha Houlié
Cet amendement de réécriture de l'article 1er vise à rétablir l'année 1942, celle de l'acte législatif sur l'âge de la majorité sexuelle qui a fondé la discrimination à l'encontre des personnes homosexuelles, comme début de la période de reconnaissance. Il me paraît en effet excessif de rejeter toute responsabilité au motif que les peines de déportation relèvent du crime contre l'humanité : c'est faire une confusion entre ces peines de déportation et les peines d'emprisonnement également prononcées par le régime de Vichy.
La rédaction que je propose reconnaît la responsabilité de la « Nation », ce qui évite au législateur de considérer que la République est responsable des actes du régime de Vichy. Il n'empêche que la législation appliquée entre 1945 et 1981 correspondait en tout point à celle adoptée par Vichy : il est donc délicat de rejeter cette responsabilité, d'autant que, sur d'autres sujets, le président Chirac a reconnu en 1995 la responsabilité de la France quant à des actes législatifs pourtant abrogés lors du rétablissement des institutions républicaines.
En somme, je propose une rédaction de l'article 1er plus ambitieuse et plus conforme à l'esprit du texte initial.
Puisque M. Raphaël Gérard a dû s'absenter pour des raisons médicales, j'ai déposé deux sous-amendements, CL39 et CL40, identiques à ses sous-amendements CL33 et CL38 qui ne seront pas défendus. Le premier vise à corriger une erreur matérielle, tandis que le second pose le principe d'une réparation en cas de reconnaissance du préjudice subi par les personnes condamnées.
La rédaction proposée par M. Valence est évidemment meilleure que celle issue du Sénat. Je le répète, je suis favorable à ce que la loi reconnaisse et répare les préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité. Les uns et les autres ont fait référence au discours prononcé par Jacques Chirac en 1995 sur les fautes commises par l'État français. Mme Faucillon a rappelé à juste titre qu'il n'y avait pas eu de rupture à la Libération sur ce point et que la loi de 1942 avait été pérennisée par voie d'ordonnance. Cette date correspond donc à une réalité historique incontestable.
L'amendement réintègre donc une référence nécessaire aux condamnations prononcées entre 1942 et 1945. L'argument selon lequel la République n'a pas à reconnaître une quelconque responsabilité se défend ; aussi la référence à la responsabilité de la Nation, s'agissant des agissements du régime de Vichy, me paraît-elle plus appropriée. Je ne doute pas que cette modification recevra l'assentiment de M. Di Filippo et même des députés du groupe Rassemblement national, qui y consentent par leur absence.
Je donne donc un avis favorable à cet amendement, que je vous invite à modifier en adoptant trois sous-amendements.
Les associations que nous avons auditionnées sont réticentes à ce que les termes de « souffrances » et de « traumatismes » soient inscrits dans la loi. Sur ce point, il me paraît préférable de revenir à la rédaction initiale de l'article 1er et d'ouvrir aux personnes condamnées « le bénéfice d'une réparation dans les conditions prévues à l'article 3 », comme le prévoit mon sous-amendement CL35. Cet amendement reprend le dispositif proposé à l'article par l'amendement CL26 de M. Gérard, qui devrait tomber si nous adoptions ces amendements.
Je présente aussi un sous-amendement de précision CL34.
Je donne un avis favorable au sous-amendement CL39, qui vise à corriger une erreur matérielle, mais un avis défavorable au sous-amendement CL40, car la rédaction du sous-amendement CL35 me semble préférable.
Le sous-amendement CL40 est retiré.
La commission adopte successivement les sous-amendements CL34, CL39 et CL35, puis l'amendement CL30 sous-amendé.
En conséquence, l'article 1er est ainsi rédigé et les autres amendements à cet article tombent.
Article 2 ( supprimé ) (art. 24 ter [nouveau] de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) : Création d'un délit réprimant la contestation ou la minoration outrancière de la déportation des personnes homosexuelles depuis la France pendant la Seconde guerre mondiale
La commission maintient la suppression de l'article 2.
Article 3 (supprimé) : Réparation financière des personnes condamnées pour homosexualité
Amendements identiques CL4 de M. Andy Kerbrat, CL15 de M. Benjamin Lucas et CL31 de M. David Valence
Il est très étonnant que la commission des lois soit amenée à discuter de la réintroduction d'une mesure supprimée par le Sénat, plus précisément par les sénateurs de droite et d'extrême droite, alors que les députés de ces tendances politiques ont décidé de boycotter notre réunion – comme souvent, semble-t-il, lorsqu'il est question des droits des personnes homosexuelles, dont ils n'ont strictement rien à faire.
Dès lors que l'on reconnaît sa responsabilité dans un préjudice, on répare. Nous savons le faire : j'ai entendu les doutes constitutionnels exprimés par M. Di Filippo, mais le Parlement a déjà adopté une disposition similaire concernant les harkis par exemple. Il est essentiel d'engager cette démarche de réparation concrète.
Entre 1942 et 1945, 50 000 personnes ont été condamnées au titre de l'article 331-1 du code pénal instauré par le régime de Vichy. Entre 1945 et 1982, au moins 10 000 individus – sans doute plus, selon les historiens, au vu des zones d'ombre qui entourent ce sujet – ont été condamnés pour le même motif, auxquels s'ajoutent 50 000 personnes condamnées pour outrage aux bonnes mœurs et exhibition, des incriminations utilisées même dans les lieux privés, où les policiers se rendaient pour faire « la chasse aux pédés ». On recense donc, au total, au moins 110 000 victimes de la répression homophobe entre 1942 et 1982.
Si notre amendement vise à rétablir l'indemnisation individuelle, notre groupe souhaite donc également une réparation collective. Je salue le travail extraordinaire du collectif Archives LGBTQI+ et je remercie le ministère de la culture d'y collaborer ; j'espère que la mairie de Paris suivra ce travail et acceptera de le financer. Il est important de favoriser cette culture et cette mémoire collectives, car ce n'est que de cette manière que la société pourra se réparer.
En supprimant la notion de réparation du préjudice, le Sénat a enlevé tout son sens à la proposition de loi. Il est essentiel d'indemniser les victimes : il s'agit là d'une question de dignité pour les personnes concernées.
Nos collègues d'extrême droite et de la droite radicalisée votent avec les pieds en décidant de ne pas participer à cette discussion sur la réparation du préjudice que l'État français a fait subir aux personnes homosexuelles. Cela éclaire bien des discours et bien des ambiguïtés.
J'aimerais insister sur l'aspect juridique de ces amendements. On pourrait considérer que la reconnaissance de la responsabilité suffit pour permettre aux personnes concernées d'ester en justice ; or, la mention explicite de la nature financière de la réparation est la seule qui permette une indemnisation des dommages dans le cadre du régime de responsabilité de l'État du fait des lois. C'est aussi la seule solution pour contourner la règle de la prescription quadriennale. Si l'on veut que réparation il y ait, il est donc impératif d'apporter cette précision.
Sans surprise, je donne un avis favorable à ces amendements identiques. Si nous voulons que cette proposition de loi ait une portée, nous devons y inclure des dispositions relatives à la réparation. Les sénateurs qui s'y sont opposés ont argué de la complexité et de la lourdeur de la chose. Le dispositif de la proposition de loi initiale était pourtant simple et efficace, avec une commission indépendante créée par l'article 4 et chargée d'apprécier la recevabilité des demandes.
Il ne s'agit pas d'une question budgétaire, mais d'une question de principe. La grande majorité des personnes condamnées sur ces bases discriminatoires ne sont malheureusement plus en vie. Du reste, la demande de réparation sera une démarche volontaire. À titre d'exemple, un peu plus de 300 dossiers ont été déposés en Allemagne et 249 ont été clôturés. De même, 116 victimes ont été reconnues en Espagne alors que le nombre de personnes éligibles est estimé à 5 000.
La commission adopte les amendements et l'article 3 est ainsi rétabli.
Article 4 (supprimé) : Création d'une commission chargée de statuer sur les demandes de réparation financière
Amendement CL16 de M. Benjamin Lucas
Il s'agit de rétablir l'article 4, supprimé par le Sénat, dans sa rédaction initiale. Le texte qui nous est soumis aujourd'hui a été amputé de ce qui en faisait tout le sens ; nous voulons donc revenir à la version qui existait avant qu'il soit charcuté par la droite sénatoriale.
Je suis évidemment favorable à cet amendement, que d'autres auraient pu déposer également. En cohérence avec la position que j'ai exprimée sur l'article 3, je considère qu'il est nécessaire de créer cette commission.
Il s'agit en effet d'un élément essentiel, qui permettra de rendre la réparation juridiquement fonctionnelle.
Il faudra réfléchir à la place que l'on donnera au monde associatif, à la communauté LGBT, dans cette commission. Si le combat de la dépénalisation a été mené par de grandes figures politiques telles que Raymond Forni, ancien président de notre commission des lois, Gisèle Halimi ou encore Robert Badinter, cette revendication provient en réalité des personnes homosexuelles. De même, le mariage pour tous n'est pas une simple bonne idée politique, mais résulte d'un long combat des homosexuels, conduit notamment par le Front homosexuel d'action révolutionnaire (Fhar), le Comité d'urgence anti-répression homosexuelle, l'association Choisir et les groupes de libération homosexuelle, qui se sont battus, à l'époque, contre des groupes fascistes – jusqu'à déplorer des morts dans leurs rangs – pour obtenir la dépénalisation et la fin de la répression. Il faut leur rendre hommage et donner au monde associatif et culturel LGBTQI toute sa place dans la construction de la réparation.
La commission adopte l'amendement et l'article 4 est ainsi rétabli.
Article 5 (supprimé) : Compensation financière (gage)
Amendement CL17 de M. Benjamin Lucas
Nous proposons de réintroduire le gage, bien que le coût de cette proposition de loi soit tout à fait négligeable compte tenu du faible nombre de personnes concernées toujours en vie.
Le gage n'est plus nécessaire, car il ne sert qu'à permettre le dépôt de la proposition de loi. Votre amendement n'ayant pas de portée, je vous demande de le retirer.
L'amendement est retiré.
La commission maintient la suppression de l'article 5.
Présidence de Mme Caroline Abadie, vice-présidente.
Après l'article 5
Amendement CL12 de M. Benjamin Lucas
Nous proposons la création d'une « journée nationale de mémoire des victimes de condamnation pour homosexualité par l'État », qui permettra de souligner la responsabilité de ce dernier et de contribuer à l'indispensable travail collectif de mémoire.
Tout ce qui fait œuvre de mémoire est utile. Néanmoins, il existe déjà onze journées nationales commémoratives. Par ailleurs, depuis 2005, le 17 mai est la journée mondiale de sensibilisation et de prévention contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie : s'il ne porte pas tout à fait sur le même sujet, cet événement donne évidemment l'occasion de rappeler la responsabilité de la France dans la pénalisation de l'homosexualité. Bien que je comprenne votre envie de créer une nouvelle journée de mémoire, je vous invite à retirer votre amendement.
Dans un esprit constructif à l'égard du rapporteur, que je salue une nouvelle fois, et parce que ce sujet peut aussi faire l'objet de travaux dans d'autres cadres et à d'autres moments – une possibilité que nous avons déjà évoquée avec plusieurs collègues –, je retire mon amendement, tout en nous invitant à réfléchir collectivement à cette question et à formuler des propositions bénéficiant du soutien le plus large possible.
L'amendement est retiré.
Amendement CL14 de M. Benjamin Lucas
Je demande le retrait de cet amendement, essentiellement parce que la définition des programmes scolaires ne relève pas de la loi. Du reste, la lutte contre l'homophobie et la transphobie y est inscrite, dans le cadre de l'enseignement moral et civique – même si elle n'y est peut-être pas abordée autant qu'on pourrait le souhaiter –, de l'éducation à la sexualité, ou encore de l'éducation aux médias et à l'information. J'ajoute que des concours scolaires permettent aux élèves de travailler sur ce thème.
Vous avez compris qu'il s'agissait d'un amendement d'appel, que nous avons voulu déposer à un moment où l'école républicaine subit une offensive dont nous avons d'ailleurs récemment parlé, lors d'une semaine de contrôle, à l'initiative du groupe Socialistes et apparentés. Je pense notamment au groupuscule zemmouriste « Parents vigilants », qui veut imposer sa vision obscurantiste, raciste et réactionnaire à l'école républicaine. Dans cette assemblée, nous nous sommes interrogés, pour le dire poliment, quant à la nomination comme ministre de l'éducation nationale de Mme Oudéa-Castéra, qui a fait l'apologie, par ses choix personnels et dans ses revendications politiques, de l'enseignement pour le moins obscurantiste dispensé dans certains établissements privés confessionnels. Je réponds donc à l'invitation du rapporteur en retirant mon amendement, mais il me semble important que nous continuions à réfléchir à ce sujet pour protéger l'école de la tentation obscurantiste et réactionnaire qui se diffuse sans même montrer son visage.
L'amendement est retiré.
L'amendement CL9 de M. Benjamin Lucas est retiré.
Amendement CL5 de M. Andy Kerbrat
Nous demandons un rapport contenant des informations plus précises sur le nombre de personnes condamnées, à compter du 6 août 1942, sur le fondement des dispositions pénales mentionnées à l'article 1er. Nous n'avons toujours pas de chiffre exact, alors qu'il est question de réparation individuelle et collective. Il existe pourtant des moyens d'obtenir des données précises.
Certaines personnes condamnées ont été marquées à vie. Bernard Bousset, âgé de 82 ans, en témoigne ainsi : « En plus de l'amende et de la publication dans les journaux, c'était surtout la honte d'être jugé dans un tribunal plein, en province. On ne s'en remet jamais. On vit dans la honte permanente jusqu'à la condamnation. Une condamnation, c'est marqué au fer rouge. Moi, toute ma vie j'ai eu honte d'être homosexuel, même encore aujourd'hui. »
L'homophobie continue de se propager. Ainsi, les agressions physiques contre les personnes LGBT+ ont augmenté de 28 % entre 2021 et 2022. Il est nécessaire de prendre des mesures importantes et d'intégrer le sujet de la lutte contre les discriminations dans la formation des jeunes, des enseignants et des agents de la fonction publique. En disposant d'éléments complets et précis sur les répercussions de cette législation homophobe, nous pourrons mettre en place une véritable formation et encourager chacun à refuser, dénoncer et combattre la LGBTphobie.
Comme le veut l'usage dans notre commission s'agissant des demandes de rapport, je vous invite à retirer votre amendement afin de renvoyer le débat à la séance publique, où le ministre pourra répondre à votre question. Vous évoquez cependant un vrai sujet : l'ensemble des historiens et des chercheurs que nous avons rencontrés nous ont dit à quel point cette période restait marquée du sceau de l'inconnu. Ils ont aussi indiqué qu'il faudrait éplucher des dizaines de milliers de procès-verbaux de police et de dossiers judiciaires : il s'agirait d'un travail immense, qui prendrait plusieurs années. Il est ainsi tout à fait illusoire de penser que le Gouvernement pourrait le faire dans un délai de six mois. Espérons que nous obtiendrons les résultats escomptés dans le cadre des travaux menés par ailleurs – c'est aussi le rôle du Gouvernement que d'inciter les chercheurs à s'engager dans cette voie.
Nous maintenons cet amendement d'appel. Vos propos, monsieur le rapporteur, montrent tout l'intérêt de se pencher sur cette question : de tels travaux nous donneraient à voir et à comprendre les situations particulières des personnes concernées dans l'environnement social et juridique de l'époque – autant de ressources extrêmement précieuses pour la recherche et la formation. En ouvrant ce débat, nous souhaitons inciter le Gouvernement à donner à la recherche universitaire les moyens d'entamer ce travail.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL8 de M. Andy Kerbrat
Nous demandons un rapport sur l'opportunité de créer un fonds de recherche sur l'histoire et les droits des personnes LGBTQI+ et pour la création de lieux de mémoire en leur faveur.
Le seul lieu ayant organisé une exposition racontant l'histoire des déportés homosexuels et des victimes de la répression contre les personnes homosexuelles est le mémorial de la Shoah, à Paris, qui a réalisé à cette occasion un travail extraordinaire. Nous, membres de la communauté LGBT, ne disposons que de nos propres ressources et de nos propres centres d'archives, qui sont des archives privées. Que recevons-nous de l'État ? Qu'est-ce que l'État reconnaît de cette mémoire collective ? Il faudrait par exemple permettre à tout un chacun de savoir que le grand Saint-Just, que Jean Moulin étaient probablement bisexuels, que la grande histoire de la France s'est faite avec des personnes homosexuelles. Il est essentiel de réparer ce rapport social à l'homosexualité, d'éviter que des enfants se sentent mal dans leur identité et de leur donner la possibilité de se projeter. Il est important de connaître son passé : oui, l'État était homophobe, mais il y a eu des homosexuels extraordinaires qui ont combattu l'homophobie d'État. Il convient de donner à la recherche les moyens nécessaires et sans doute de créer, dans une de nos villes, une fondation, un lieu de mémoire ou un musée qui permette une reconnaissance collective comme il y en a eu sur d'autres sujets.
S'agissant d'une demande de rapport, je ferai la même réponse que précédemment. Il sera intéressant d'avoir ce débat en séance publique et d'entendre l'avis du ministre sur ce sujet très important. Je partage aussi votre point de vue sur l'intérêt de créer un fonds de recherche sur cet aspect de l'histoire, mais c'est encore une fois en séance qu'il faudra trancher la question. Demande de retrait.
Je connais l'habitude de la commission des lois de repousser les demandes de rapports, mais vous apprendrez pour votre part que les membres du groupe LFI-NUPES ont l'habitude de maintenir, quoi qu'il arrive, ces amendements d'appel.
La commission rejette l'amendement.
Titre
Amendement CL11 de M. Benjamin Lucas et sous-amendement CL36 de M. Hervé Saulignac
Nous proposons de clarifier le titre de la proposition de loi, en indiquant que la réparation porte sur les préjudices subis et non sur les personnes condamnées. En outre, dans la droite ligne du débat que nous avons eu tout à l'heure, il convient d'inclure dans la période mentionnée le régime de Vichy, conformément à l'esprit de la proposition de loi initiale déposée au Sénat par Hussein Bourgi.
Je suis naturellement favorable à cet amendement qui apporte une précision bienvenue – il faut viser les préjudices, car les personnes elles-mêmes sont difficilement réparables – sous réserve de l'adoption de mon sous-amendement visant à faire démarrer la période concernée en 1942 et non en 1940, en cohérence avec les dispositions adoptées précédemment.
La commission adopte successivement le sous-amendement et l'amendement sous-amendé.
Puis, elle adopte l'ensemble de la proposition de loi modifiée.
La séance est levée à 12 heures 30.
Informations relatives à la Commission
La Commission a désigné :
– M. Philippe Dunoyer, rapporteur sur le projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (n° 2242) ;
– M. Sacha Houlié, rapporteur sur le projet de loi organique, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution (n° 2198);
– M. Sacha Houlié, rapporteur sur la proposition de loi de M. Sacha Houlié et plusieurs de ses collègues visant à prévenir les ingérences étrangères en France (n° 2150) ;
– M. Éric Poulliat, co-rapporteur de la mission d'information visant à évaluer l'efficacité de la politique de lutte contre les stupéfiants, en remplacement de Mme Clara Chassaniol.
La Commission a créé une mission d'information sur la situation du département de Mayotte et a désigné MM. Mansour Kamardine et Guillaume Vuilletet, rapporteurs.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Clément Beaune, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Émilie Chandler, M. Éric Ciotti, M. Jean-François Coulomme, Mme Edwige Diaz, Mme Elsa Faucillon, Mme Raquel Garrido, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Jordan Guitton, M. Sacha Houlié, M. Timothée Houssin, M. Jérémie Iordanoff, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, M. Andy Kerbrat, M. Philippe Latombe, M. Gilles Le Gendre, M. Antoine Léaument, M. Mathieu Lefèvre, Mme Brigitte Liso, Mme Marie-France Lorho, M. Benjamin Lucas, Mme Élisa Martin, M. Éric Martineau, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, M. Paul Molac, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, M. Didier Paris, M. Jérémie Patrier-Leitus, M. Éric Pauget, M. Jean-Pierre Pont, M. Thomas Portes, M. Philippe Pradal, M. Aurélien Pradié, M. Stéphane Rambaud, Mme Sandra Regol, M. Davy Rimane, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, Mme Sarah Tanzilli, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. David Valence, M. Roger Vicot, M. Guillaume Vuilletet, Mme Caroline Yadan
Excusés. - M. Florent Boudié, M. Philippe Dunoyer, Mme Emeline K/Bidi, M. Thomas Ménagé, M. Raphaël Schellenberger, M. Philippe Schreck
Assistaient également à la réunion. - Mme Nadège Abomangoli, M. Fabien Di Filippo, M. Raphaël Gérard, M. Philippe Sorez