Cette proposition de loi, qui entend reconnaître la répression dont ont été victimes les personnes homosexuelles mais aussi, dans sa version initiale, à réparer, est importante pour nous.
Elle l'est évidemment d'un point de vue symbolique, car elle peut servir à lutter encore et toujours contre l'homophobie qui existe dans notre société.
Elle l'est ensuite parce qu'elle vise à réparer, même si c'est plus compliqué que d'adopter un simple article de loi – ce qui a tout de même une valeur politique.
Malheureusement, le texte initial a été en partie vidé de son contenu puisque, lors des débats au Sénat, on a tenté d'absoudre l'État de ses responsabilités dans la législation à l'origine de ces discriminations abjectes et de ces persécutions qui sont pourtant très largement documentées. Selon certains sénateurs, les souffrances vécues par les homosexuels sont le fait d'éléments extérieurs, ou d'individus, non de la loi elle-même. Or, jusqu'en 1982, la loi pénalisait l'homosexualité, ce qui nous permet de parler d'homophobie d'État.
Les sénateurs ont souhaité que la période où la responsabilité est reconnue n'englobe pas le régime de Vichy, au motif que ce dernier n'était pas la République. Or c'est ce régime qui réinstaure la pénalisation de l'homosexualité, pourtant abolie en 1791. C'est sous Vichy que la France instaure une majorité sexuelle de 21 ans pour les personnes homosexuelles, alors qu'elle est fixée à 13 ans pour les personnes hétérosexuelles. Cette discrimination a légitimé la persécution et l'arrestation de dizaines de milliers d'hommes dans notre pays. Quelques centaines d'entre eux furent déportés depuis la France vers les camps de concentration. Il est donc impossible à nos yeux, dans le cadre d'une volonté de reconnaissance et de réparation, de mettre à part cette période de notre histoire.
Et surtout, cette loi n'a pas été abrogée à la Libération. Pire encore, elle a été complétée par le sous-amendement du gaulliste Mirguet, qui autorisait le gouvernement à prendre toute mesure propre à lutter contre l'homosexualité, classée parmi les fléaux sociaux. Il existe donc une continuité juridique entre le régime de Vichy et les lois en vigueur sous la IVe République. Il faudra attendre la loi Forni de 1982 pour mettre un terme à la répression pénale de l'homosexualité en France – seulement pénale. C'est cette même année que le ministre communiste de la santé Jack Ralite retirera l'homosexualité de la liste des maladies mentales.
L'exigence de réparation a également disparu dans le texte adopté par le Sénat, au motif qu'il serait difficile de calculer le nombre de personnes concernées et de prouver que les persécutions ou déportations ont été motivées par leur homosexualité. Franchement, c'est un scandale. Un tel travail d'enquête est possible. Nous le savons car d'autres pays ont su reconnaître les persécutions et les indemniser avec efficacité, que ce soit l'Espagne, le Canada ou l'Allemagne.
Reconnaître sans réparer, ce n'est pas reconnaître pleinement. Cette réparation demeure symbolique, mais elle est éminemment importante compte tenu de l'objectif visé. C'est ce qui lui confère sa portée politique. Que la République reconnaisse sans ambages sa responsabilité pour avoir maintenu en vigueur entre 1945 et 1982 des infractions à caractère discriminatoire spécifiques à l'homosexualité.
Je crois, en entendant mes collègues, que cette réunion de commission nous permettra d'avancer vers la vraie réparation et la vraie reconnaissance.