« C'était une homophobie d'État, avec des provocations policières. Il y avait des complicités dans le monde de la nuit, c'est toujours plus ou moins glauque. Mais les gens condamnés avaient honte. Ils n'en parlaient pas et je n'en connaissais pas. » C'est ce que Michel, qui a 75 ans et qui a été condamné pour homosexualité en 1977, raconte au journal Le Parisien.
Avec ce texte, nous entamons une discussion importante, un travail de mémoire sur l'homophobie d'État – c'est-à-dire la négation des droits humains et des libertés fondamentales d'un groupe donné –, un travail sur les souffrances que cela a engendré et sur la société actuelle, qui a été forgée par ces violences et par celles et ceux qui les ont combattues avec courage et succès. Cette proposition de loi est politiquement et symboliquement majeure. Il est fondamental que la France reconnaisse officiellement la répression politique, policière et judiciaire dont ont été victimes les hommes homosexuels, comme d'autres pays l'ont déjà fait. Nous soutenons cette avancée vers une société qui se souvient de ses égarements pour aller fièrement vers une nouvelle architecture, loin des LGBTphobies et du patriarcat.
Malheureusement, nous avons devant nous un texte à trous mémoriels. Il oublie les lesbiennes victimes d'internement, les transexuels victimes de la psychiatrisation et de la stérilisation forcée, et les intersexes qui ont subi des mutilations génitales, désormais interdites. Il élude volontairement la période de Vichy – oubliant les propos du président Chirac en 1995 sur la responsabilité de l'État français dans les crimes de Vichy – alors même que les victimes du fameux article 331 ont été cinq fois plus nombreuses entre 1942 et 1945 qu'entre 1945 et 1982. Le texte oublie cyniquement de donner une réparation aux survivants et des lieux de mémoire pour les disparus.
Parmi les responsables de ces absences figurent les sénateurs de la droite, qui ont jugé opportun de transformer notre mémoire en gruyère plutôt que de regarder l'histoire en face avec dignité. La proposition comprenait à l'origine plusieurs articles. Il ne reste plus qu'un après l'examen au Sénat.
Nos charmants collègues de l'autre chambre ont accepté de maintenir la reconnaissance de la responsabilité de la France tout en supprimant la référence à la période de Vichy – grossière manœuvre pour éviter le plus possible de parler de la collaboration et pour saucissonner l'histoire.
Les articles 3 et 4 prévoyaient une réparation financière pour les personnes condamnées et la constitution d'une commission indépendante visant à évaluer les demandes de réparation. Leur suppression est une pinaillerie déplacée, voire franchement honteuse. D'autre pays ont procédé à de telles indemnisations, que nous avons nous-mêmes su mettre en place par exemple pour réparer les souffrances causées aux harkis. En Allemagne, seulement 146 personnes ont obtenu une indemnisation sur cette base.
Refuser la réparation pour la centaine de survivants revient à cautionner la répression passée. Dois-je vous rappeler le nouveau slogan du chef du Gouvernement : « Tu casses, tu répares » ? L'État a cassé des vies ; qu'il répare celles qui restent, pas seulement en reconnaissant, mais aussi en indemnisant les victimes qui furent qualifiées de coupables.
Même renflouée, cette loi mémorielle restera insuffisante. Rappelons qu'elle définit de manière trop étroite la répression de l'homosexualité, en faisant référence seulement aux articles 330 et 331 du code pénal de l'époque, ce qui exclut de ce fait la répression policière et judiciaire qui a pu avoir lieu avant et après 1942 en s'appuyant sur d'autres dispositions du code pénal.
La mémoire collective d'une société est quelque chose de présent, qui irrigue directement notre perception du monde, de ce qui est naturel, acquis, juste ou injuste. Comprendre ce que fut la répression des LGBT est indispensable pour comprendre les LGBTphobies actuelles et la violence à laquelle s'expose chacun d'entre nous lorsqu'il découvre puis affiche son identité et son désir. Car nous faisons désordre, et l'autorité, l'ordre et le travail cherchent inlassablement à uniformiser les corps et les vies, à cacher ou à détruire celles et ceux qui ne rentrent pas dans le rang, qui ne participent pas à la guerre démographique et qui préfèrent leur étendard à celui de la Nation. Nous devons avoir des lieux de mémoire et de recueillement, des sanctuaires faisant vivre au présent les souffrances du passé pour que les fantômes ne deviennent pas des ombres oubliées.
Que ce texte soit une pensée en actes, un « Ne m'oublie pas » permettant d'irriguer le présent de nos luttes et la fierté de nos identités.