Intervention de Mathieu Lefèvre

Réunion du mercredi 28 février 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathieu Lefèvre, rapporteur :

C'est l'un de vos illustres prédécesseurs à la tête de cette commission, monsieur le président, qui a écrit : « Quand la France devient raciste, elle cesse d'être la France. […] Le racisme, voilà l'ennemi de la France. C'est en se délivrant moralement et politiquement du racisme que notre patrie retrouvera le secret de sa grandeur et de son rayonnement dans le monde ». Ces mots du gaulliste de gauche qu'était René Capitant ont été repris dans le journal antiraciste Droit et Liberté, il y a près de soixante-dix ans. Le centriste René Pleven s'était quant à lui adressé à l'Assemblée nationale, le 7 juin 1972, pour présenter la loi qui gravera son nom dans la postérité. Et le communiste Jean-Claude Gayssot était monté à la tribune le 2 mai 1990 pour proposer à la représentation nationale d'interdire la contestation de la Shoah.

Ces illustres personnalités avaient-elles alors conscience que la lutte contre le racisme et l'antisémitisme demeurerait longtemps encore un combat à mener ? Entre 2016 et 2023, les atteintes à caractère raciste, xénophobe ou antireligieux ont augmenté de plus de 56 %. L'année 2023 a d'ailleurs marqué un tournant : ces mêmes atteintes constituant des crimes et délits ont progressé de plus de 30 % ; le nombre d'actes antisémites, qui était de 436 en 2022, est passé à 1 676, dont près des deux tiers portant directement atteinte aux personnes.

Cette explosion des actes antisémites sur notre sol, constatée au lendemain des attentats terroristes du Hamas visant Israël le 7 octobre 2023, est l'un des symptômes les plus nauséabonds des heures graves que traverse la France. Il est plus qu'intolérable de constater que les actes à caractère discriminatoire augmentent dans notre pays. Face à leurs auteurs, la société tout entière doit être mobilisée – le législateur également. Je tiens à rendre hommage à nos forces de l'ordre et à nos magistrats, qui font un travail remarquable. Tous les magistrats du parquet que nous avons auditionnés nous ont dit à quel point la répression de ces actes était une priorité pour eux. Je ne voudrais pas laisser croire que cette proposition de loi viendrait pallier une déficience de leur volonté car ils sont pleinement impliqués dans cette lutte.

En 2023, le Gouvernement a présenté un nouveau plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine pour la période 2023-2026. Plusieurs réunions interministérielles ont déjà eu lieu pour le mettre en œuvre. C'est désormais au législateur de prendre sa part de cet effort. D'où cette proposition de loi qui fait droit à l'axe 4 du plan de lutte, concernant la sanction des auteurs.

Cette proposition de loi, écrite avec ma collègue Caroline Yadan, que je remercie pour son implication, est née d'une approche concrète et pragmatique. Il s'agit de pallier ce que l'on peut considérer comme étant des lacunes ou des insuffisances de notre droit. Ainsi, des prédicateurs de haine multirécidivistes échappent à la justice, qui les a pourtant condamnés, car aucun mandat d'arrêt ne peut être délivré s'il s'agit de délit de presse. En 2019, le parquet avait dû interjeter appel du jugement de la treizième chambre du tribunal correctionnel de Paris qui avait condamné Alain Soral à un an d'emprisonnement, assorti d'un mandat d'arrêt : ce dernier était dépourvu de fondement juridique.

L'article 1er de la proposition de loi veut mettre fin à ce dévoiement des principes de la liberté d'expression. Il permet au tribunal correctionnel de délivrer un mandat d'arrêt ou de dépôt contre un prévenu condamné à une peine d'emprisonnement pour apologie ou contestation de crime contre l'humanité. Cela ne remet absolument pas en cause les grands équilibres de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, à laquelle je suis, comme vous tous, très attaché. Il aurait pu être envisagé de sortir ces infractions du périmètre de la loi de 1881 et d'en faire des délits de droit commun, comme cela a été le cas concernant l'apologie du terrorisme en 2014. Ce n'est pas le choix que nous avons fait.

L'article 2 tend à répondre à une désinhibition croissante des auteurs de provocations à la haine, de diffamations ou d'injures non publiques, la jurisprudence ayant par ailleurs une vision restreinte des propos ou écrits qu'elle considère comme publics. Si les propos ou écrits publics constituant des délits semblent suffisamment réprimés, la sanction actuellement prévue pour leurs pendants non publics paraît sous-dimensionnée compte tenu de leur très forte augmentation. L'article 2 vise donc à transformer les provocations, diffamations et injures non publiques à caractère raciste ou discriminatoire en délits. Par souci d'exemplarité, une circonstance aggravante est prévue si l'une de ces infractions est commise par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, comme c'est déjà le cas pour les mêmes infractions commises en public.

Ce cheminement se fait sans remise en cause des grands équilibres du droit de la presse. Il s'agit d'adaptations nécessaires et proportionnées pour répondre à cette menace de plus en plus insidieuse et prégnante. Certes, la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et toutes les formes de discrimination est aussi une affaire d'éducation, mais la réponse pénale affirme les valeurs républicaines que le législateur entend protéger.

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