La séance est ouverte.
La séance est ouverte à seize heures.
L'ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, de la proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels (n° 2536).
La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission mixte paritaire.
Je suis très heureux de m'exprimer aujourd'hui devant vous pour conclure le travail commencé le 25 avril 2023, lorsque j'ai déposé la proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels à la présidence de l'Assemblée nationale. Ce texte est issu d'un travail collectif et transpartisan. Je remercie tous les députés qui ont présenté des amendements – nous en avons retenu un certain nombre, qui ont permis d'améliorer la proposition de loi. Je remercie également chaleureusement M. le garde des sceaux et ses collaborateurs, avec lesquels nous avons travaillé dans le sens de l'intérêt général, ainsi que Muriel Jourda, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale du Sénat : notre dialogue constructif, au sein de la commission mixte paritaire (CMP), a permis d'aboutir au texte qui vous est soumis aujourd'hui. Plutôt que d'en énumérer les articles, je vous présenterai les avancées qu'il permet à chaque étape de la procédure pénale.
Désormais, lorsque les enquêteurs et les officiers de police judiciaire (OPJ) décideront de s'attaquer à un réseau de délinquants, l'enquête patrimoniale fera partie intégrante de leurs missions. Avant d'arrêter les membres du réseau à l'aube, ils devront avoir identifié leur patrimoine, qu'il s'agisse de comptes bancaires ou de biens – des voitures, par exemple –, et déclenché la procédure de saisie. Voilà concrètement quelle sera la première étape.
Ensuite, la proposition de loi entérine le principe de la formation des magistrats. Aujourd'hui encore, nous constatons une appréhension, dans certains tribunaux, à utiliser la procédure de saisie et de confiscation des avoirs criminels, faute de formation. La création des antennes régionales de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) a marqué un grand progrès, monsieur le garde des sceaux, mais nous voulons aller plus loin en inscrivant dans la loi la mission de formation qui leur est confiée.
Troisième avancée de la proposition de loi, nous voulons faciliter la saisie de certains biens, tels que les comptes de dépôt et les actifs numériques.
Quatrième avancée, l'Agrasc sera désormais la tour de contrôle et de pilotage de toutes les saisies et confiscations réalisées en France. Les juridictions auront l'obligation de lui transmettre leurs décisions en la matière, dans un souci de cohérence.
Preuve que nous tapons juste en améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation, les procédures contentieuses sont de plus en plus nombreuses – certains voyous présumés contestent davantage la peine de saisie et de confiscation de leurs avoirs que la peine d'emprisonnement qu'ils encourent. Or l'augmentation des contentieux aggrave la surcharge d'activité des chambres de l'instruction. La proposition de loi simplifie et sécurise les procédures d'appel en désignant un juge unique seul compétent en matière de saisie et de confiscation.
S'agissant, enfin, de la dernière étape de la procédure pénale, c'est-à-dire le jugement définitif par lequel les accusés sont ou bien relaxés, ou bien reconnus coupables, la proposition de loi permet de réduire la différence entre les biens saisis et les biens confisqués. Grâce à un amendement adopté par l'Assemblée, le texte opère une véritable révolution : pour la première fois, la loi entérine le principe de la confiscation obligatoire d'un bien dès lors qu'il est l'instrument, l'objet ou le produit d'une infraction. Avec cette mesure, le message envoyé aux magistrats est clair. Leur travail est par ailleurs simplifié puisque l'obligation de motivation de la décision est ainsi supprimée. Le législateur exprime sa volonté claire que les saisies donnent désormais lieu massivement à des confiscations. Nous levons du même coup un autre obstacle : dorénavant, lorsqu'un tribunal confisquera un bien immobilier, la décision de confiscation vaudra expulsion des occupants, sauf s'ils sont de bonne foi.
Je terminerai en rappelant le rôle des confiscations. En toute logique, lorsque l'on confisque un bien à un délinquant, on cherche avant tout à indemniser la victime. Telle est la volonté du législateur, qui souhaite aussi, et c'est nouveau, donner une affectation sociale aux biens confisqués. Je pense évidemment aux ministères régaliens, le vôtre, monsieur le ministre, mais aussi le ministère de l'intérieur et des outre-mer. Une voiture qui roule vite peut être utile aux services de police et de gendarmerie. L'administration pénitentiaire devra également être autorisée à mobiliser des biens confisqués. La loi du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement nous a permis de poser le principe de la mise à disposition des collectivités territoriales de biens immobiliers confisqués. Le présent texte va plus loin en ouvrant la possibilité d'affecter certains biens confisqués aux fédérations sportives – cette destination a été proposée par le président de la commission des lois de l'Assemblée –, mais aussi aux fondations, aux associations reconnues d'utilité publique et aux parcs naturels régionaux.
Je crois plus que jamais que la peine de confiscation des avoirs criminels est l'une des plus efficaces pour réprimer la délinquance. J'en étais déjà convaincu lorsque j'ai défendu, en 2008, la proposition de loi devenue la loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, premier texte sur le sujet, auquel nous devons la création de l'Agrasc. Au nom de tous les parlementaires, je veux dire à la directrice, aux membres du conseil d'administration et aux agents de l'Agrasc combien nous sommes fiers du travail qu'ils ont déjà accompli et que nous leur renouvelons toute notre confiance.
Le développement des réseaux criminels étrangers dans certaines zones du territoire confirme la nécessité de renforcer, aujourd'hui et plus encore demain, le recours aux outils conçus par le législateur. Le message à nos forces de police et de gendarmerie et à nos magistrats est clair : utilisez-les dans l'intérêt général, pour le bien de la France et des Français, afin de restaurer la tranquillité publique.
Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT. – M. Sacha Houlié, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, ainsi que Mme Laurence Vichnievsky et M. Roger Chudeau applaudissent également.
Il est difficile d'être plus synthétique et plus clair que M. le rapporteur de la commission mixte paritaire. Je serai donc bref : vous avez tout dit, monsieur le rapporteur, et vous avez rappelé en quoi ce texte est un véritable progrès.
Mesdames et messieurs les députés, je suis heureux de vous retrouver cet après-midi pour, je l'espère, l'adoption définitive de la proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels. La commission mixte paritaire a été conclusive, ce qui démontre à quel point ce sujet majeur fait consensus à l'heure où j'ai annoncé des mesures radicales pour lutter contre la criminalité organisée. Je fais référence, bien évidemment, à la création d'un parquet national anticriminalité organisée, le Pnaco – le ministère de la justice aime les acronymes ! –, à la création d'un véritable statut du repenti inspiré de la législation italienne, aux cours d'assises spécialement composées pour les règlements de comptes et à la création d'un nouveau crime d'association de malfaiteurs, puni de vingt ans de réclusion – nous travaillons activement sur ces questions avec le président du groupe Horizons et apparentés, Laurent Marcangeli, et avec le président de la commission des lois, Sacha Houlié. J'aurai, bien sûr, l'occasion de vous soumettre ces mesures à l'automne dans le cadre d'un projet de loi dédié, mais notre plan d'action est global et la proposition de loi que vous êtes sur le point d'adopter viendra renforcer significativement un des volets de l'action de mon ministère dans la lutte contre la criminalité organisée : la saisie et la confiscation des avoirs criminels.
Frapper les délinquants au portefeuille est un axe majeur de la politique pénale que je conduis. Depuis mon arrivée à la Chancellerie, mes instructions ont toujours été claires : les enquêtes doivent systématiquement porter sur le patrimoine des délinquants afin de pouvoir augmenter les saisies des biens, des fonds et des valeurs. Les juridictions doivent être mobilisées pour confisquer encore mieux les avoirs des délinquants. Notre arsenal législatif a évolué et a incontestablement favorisé l'engagement des enquêteurs et des magistrats, lesquels saisissent et confisquent toujours plus. Permettez-moi de saluer leur action et de rappeler les chiffres records d'une politique pénale parfaitement intégrée.
Les saisies s'élèvent à 1,44 milliard d'euros : elles ont été multipliées par dix depuis 2011. Le montant des confiscations prononcées par les juridictions a atteint le chiffre inégalé de 175,5 millions, ce qui représente une augmentation de 105 % en l'espace de seulement trois ans. Le crime ne doit pas, ne doit jamais, profiter ! C'est pourquoi, dès 2020, j'ai renforcé les moyens de l'Agrasc. Désormais, l'agence rayonne sur l'ensemble du territoire national, au plus proche des juridictions, pour conseiller les enquêteurs et orienter les magistrats. Huit antennes régionales ont été créées, à Marseille, à Lyon, à Lille, à Rennes, à Bordeaux, à Nancy, à Fort-de-France et à Paris. Surtout, les effectifs de l'Agrasc ont doublé : ils sont passés de 45 agents en 2020 à plus de 85 en 2023.
La confiscation du patrimoine des criminels est l'une des armes les plus puissantes de la répression. Saisir les fonds, les comptes bancaires, les meubles et les immeubles des auteurs d'infractions, c'est porter un message fort, particulièrement dissuasif. Cela permet aussi de renforcer le mécanisme de réparation et d'indemnisation des victimes. Taper les criminels au portefeuille, c'est consacrer un cercle vertueux, au service de la justice, en faveur des victimes.
C'est pourquoi les saisies doivent être facilitées et les confiscations prononcées encore plus largement. Il se trouve que la proposition de loi nous donne les moyens de nos ambitions.
Les discussions en CMP ont permis d'enrichir le texte en tenant compte des exigences constitutionnelles et des difficultés pratiques auxquelles sont confrontés les magistrats. Vous l'avez rappelé, la procédure de recours contre les saisies est simplifiée. Elle a ainsi incontestablement gagné en lisibilité et en efficacité. En outre, elle est étendue à l'ensemble des saisies ainsi qu'aux décisions de non-restitution des biens. Au demeurant, elle respecte les normes constitutionnelles.
Une autre avancée mérite d'être soulignée : la proposition de loi a élargi l'affectation avant jugement des biens saisis au profit des services judiciaires, de l'administration pénitentiaire, des établissements publics sous tutelle du ministère de la justice, parmi lesquels figure l'Agrasc.
Je sais que des débats ont porté sur l'attribution avant jugement des biens saisis au bénéfice d'organismes non étatiques. Le dispositif n'a pas pu être pleinement transposé en leur faveur. Je salue la CMP, qui a tenu compte des observations du Gouvernement sur ce point. Il importait de sécuriser les fédérations sportives, les fondations et les associations d'utilité publique et qu'elles ne se trouvent pas confrontées à des difficultés de restitution ou d'indemnisation dans le cas où la juridiction de jugement ne confisquerait pas le bien qui leur avait été affecté. C'est chose faite puisqu'elles se verront attribuer les biens saisis dans le cadre d'une procédure judiciaire une fois que leur confiscation aura été prononcée par la juridiction.
Enfin, les travaux de la CMP ont permis de consacrer une demande du Gouvernement, qui voulait que l'Agrasc soit informée de toutes les décisions de saisie et de confiscation. L'Agence aura ainsi une vision panoramique de l'activité des juridictions.
De plus, les parties civiles pourront obtenir le paiement de dommages et intérêts non seulement sur les biens confisqués mais également sur les biens dévolus à l'État et ceux ayant fait l'objet d'une décision de non-restitution. Le régime prévu est d'ailleurs adapté aux évolutions économiques puisqu'il concernera également les sommes versées sur les comptes de paiement des néobanques.
Enfin, vous l'avez rappelé, la confiscation d'un immeuble constituera désormais un titre d'expulsion à l'encontre du propriétaire condamné et de sa famille. Seul le locataire de bonne foi sera protégé ; les proches du délinquant ou du criminel ne pourront plus profiter de l'immeuble saisi.
Une autre disposition mérite d'être saluée : les biens qui sont l'instrument, l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction seront obligatoirement saisis. Ce principe de confiscation obligatoire marque un tournant important dans la pratique judiciaire : sauf décision motivée, la juridiction devra confisquer afin que le crime ne paie plus.
La présente proposition de loi répond à des besoins pratiques exprimés par les enquêteurs et les magistrats, au plus proche du terrain. Elle facilite le recours aux saisies et allège les procédures de confiscation.
Monsieur le rapporteur, je veux ici vous remercier et me féliciter de notre excellente collaboration. Je suis persuadé que cette proposition de loi permettra de frapper encore plus fort, encore plus vite, encore plus efficacement les délinquants au portefeuille. Au-delà de son pragmatisme, elle incarne la justice vertueuse qui nous rassemble et nous oblige. L'engagement du Gouvernement et du ministère de la justice pour lutter contre la délinquance et la criminalité est total.
La proposition de loi permettra d'amplifier notre stratégie afin que la saisie et la confiscation des avoirs criminels deviennent, dans le quotidien des enquêteurs et des magistrats, des actes simples. C'est pourquoi je vous demande de l'adopter le plus largement et le plus rapidement possible.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem, HOR et LIOT.
La proposition de loi déposée par Jean-Luc Warsmann en avril 2023 a pour objectif d'améliorer l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels. Le titre choisi fait ressortir qu'il s'agit d'une proposition de loi qu'on pourrait dire technique, car elle comporte essentiellement des dispositions de procédure et n'est pas destinée à créer de nouvelles incriminations ou sanctions, mais à améliorer les dispositifs existants, au plus près de la réalité du terrain, qui est celui de la lutte quotidienne de la police et de la justice contre la criminalité, en particulier contre la criminalité organisée.
J'emprunterai à l'exposé des motifs initial, si l'auteur me le permet, la phrase qui exprime le mieux l'esprit de cette proposition de loi : « La saisie et la confiscation du produit des infractions figurent parmi les moyens les plus efficaces pour lutter contre la délinquance. » Je partage pleinement cette approche.
En une année de cheminement parlementaire entre les deux assemblées, qui s'est achevée par la tenue d'une commission mixte paritaire le 30 avril, le texte a été enrichi et affiné. Il a de surcroît bénéficié du soutien et de l'expertise que lui ont apportés les services du ministère de l'intérieur et surtout du ministère de la justice.
Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour l'exposé très pédagogique que vous nous avez présenté, qui retraçait la procédure de l'enquête jusqu'au jugement et même au-delà, s'agissant des biens qui ont été confisqués. Une telle exposition chronologique permet de comprendre aisément l'intérêt de cette proposition de loi que nous nous apprêtons, je l'espère, à voter de façon unanime.
Les mesures proposées sont variées. Elles portent principalement sur la procédure, mais aussi sur le fond du droit pénal. Dès lors que vous avez évoqué plusieurs d'entre elles, j'en retiendrai seulement quelques-unes : la détermination des autorités judiciaires compétentes pour procéder aux saisies des biens litigieux et pour statuer sur leur destination, après que ceux-ci ont été placés sous main de justice ; la détermination des autorités judiciaires compétentes pour connaître des contestations, qu'elles émanent des auteurs d'infractions ou de tiers, relatives aux décisions précédentes. Nous l'avons dit : les dispositions existantes ont été allégées et simplifiées, sans pour autant porter atteinte aux garanties que nous devons aux différents acteurs du procès.
En outre, l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués sera désormais associée de manière beaucoup plus étroite aux procédures judiciaires comportant saisies ou confiscations. De plus, la peine complémentaire de confiscation prévue pour certaines infractions est étendue aux délits de corruption active et passive. En outre, lorsque la confiscation porte sur un bien immobilier appartenant au condamné, les occupants de bonne foi sont protégés.
Revenons enfin au principe même du texte : une de ses dispositions majeures est l'obligation faite aux services de police de procéder à une enquête patrimoniale – c'est bien là le point de départ de tout ce dispositif. Je l'ai dit, cette liste n'est pas exhaustive.
À l'heure où la criminalité organisée, notamment en matière de stupéfiants, prend une ampleur inquiétante dans notre pays, je suis convaincue qu'une politique performante dans le traitement des avoirs criminels est un élément stratégique dans la réponse de l'État à cette menace majeure.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, RE et HOR .– M. le rapporteur applaudit également.
À peu près 200 000 personnes en activité, un chiffre d'affaires de 3,5 milliards d'euros, 92 tonnes de marchandises saisies en 2023. Nous ne parlons pas d'une entreprise comme une autre, mais de celle, funeste, du narcotrafic. Les chiffres communiqués par le ministère de l'économie en mars dernier montrent l'ampleur du problème. Le narcotrafic est un drame dont on ne compte plus les victimes, qui, chaque jour, sont évoquées dans les actualités et glacent le sang de nos honnêtes compatriotes. Sans prendre la posture d'un simple commentateur, ce qui serait inutile, je tiens à rappeler l'urgence d'agir face au narcotrafic et, plus largement, à la criminalité organisée, qui menace gravement la sécurité nationale et l'avenir de nos enfants. Monsieur le garde des sceaux, je vous sais pleinement engagé dans cette lutte, comme en témoignent jour après jour vos déplacements et vos prises de position, de concert avec le ministre de l'intérieur et l'ensemble du Gouvernement. Je tiens à saluer une nouvelle fois ici votre volontarisme.
La proposition de loi qui nous réunit constitue un levier incontestable de l'arsenal de répression. Monsieur le rapporteur, en consacrant la politique conduite depuis une dizaine d'années et en y apportant des améliorations indispensables, votre proposition de loi améliorera considérablement la politique de saisie et de confiscation des avoirs criminels. Elle améliorera la fluidité de la chaîne qui va de la saisie à la confiscation et, surtout, elle renverse le droit : désormais, le principe consiste à confisquer le moyen et le produit de l'infraction ; cela constitue une réelle avancée.
La proposition de loi démontre l'efficacité de notre processus législatif – dont certains aiment à douter : un rapport conduit brillamment par Jean-Luc Warsmann avec l'ancien député Laurent Saint-Martin, suite à une impulsion du Premier ministre Édouard Philippe, une consultation des acteurs concernés, le temps de réflexion nécessaire à la préparation d'un nouveau texte, en concertation avec l'ensemble des formations politiques qui composent notre assemblée. Qu'on vienne nous dire que nous n'arrivons pas à travailler !
Les orateurs qui m'ont précédé l'ont relevé : l'adoption de ce texte permettra de franchir un nouveau palier dans la lutte contre la criminalité organisée. Grâce à des adaptations techniques et d'apparence très procédurale, la culture de la confiscation, si répandue chez nos voisins italiens, infuse progressivement dans notre pays.
Je formule donc le vœu que cette proposition de loi incite tous les acteurs de la justice à intégrer la peine de confiscation comme un instrument de la réponse pénale. Cet outil ne doit plus être vu comme chronophage et coûteux, mais bien comme un moyen redoutable et redouté de la politique pénale.
Nous devons garantir l'absence, dans notre pays, d'infractions lucratives. Force est de constater qu'en 2024, la seule perspective du risque d'emprisonnement ne dissuade pas suffisamment les délinquants. Malheureusement, certaines personnes érigent même en modèle la délinquance et l'enrichissement illicite. C'est à nous, par le biais de cette proposition de loi et en poursuivant nos efforts, de remettre en cause plus frontalement cet enrichissement.
Je voudrais insister sur un point particulièrement cher au groupe que je préside : grâce à un amendement défendu par Naïma Moutchou, ces saisies et confiscations auront une vocation sociale. Depuis novembre 2021, l'Agrasc a la possibilité de mettre les biens immobiliers saisis à disposition d'associations ou de fondations reconnues d'utilité publique. Grâce à notre contribution, il sera désormais possible d'attribuer à ces associations et fondations des biens meubles d'origine criminelle et de les mettre ainsi au service de l'intérêt général. Il faut le faire entendre partout : le bien commun prendra toujours le pas sur les systèmes mafieux et leurs tentatives de déstabilisation de l'ordre social.
Je conclurai en faisant écho à la volonté gouvernementale que vous avez exprimée, monsieur le garde des sceaux, de lier la confiscation des avoirs criminels à des dispositions prévues dans des textes à venir. Je ne parlerai que de celui qui m'a le plus intéressé, qui prévoit un statut pour les repentis, à savoir les personnes impliquées dans des délits et crimes dont la collaboration avec la justice a été déterminante pour démanteler les réseaux criminels. Je serai à vos côtés pour affronter le débat sur les collaborateurs de justice, débat dont l'importance est nationale. Vous connaissez notre détermination sans faille pour que ce dispositif soit enfin reconnu à sa juste valeur. Nous réussirons.
Vous l'aurez compris, nous voterons bien évidemment cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs des groupes HOR, RE et Dem.
Je vous prie de bien vouloir excuser ma collègue Cécile Untermaier, qui a participé aux travaux en amont, mais ne peut être présente aujourd'hui. De mon côté, je connais bien le sujet, ayant pris part aux premiers débats.
En 2023, dans le cadre d'enquêtes pénales, la justice française a saisi 1,45 milliard d'euros à des criminels et à des délinquants. L'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, créée en 2011, a joué un rôle central dans la gestion de cette réponse pénale. Selon les données d'Europol, les recettes accumulées par les organisations criminelles sont estimées, au niveau de l'Union européenne, à 140 milliards d'euros par an. D'après nos informations, il s'agit d'une estimation basse. Dans ces conditions, il est essentiel de priver les criminels et leurs réseaux de profits illicites, afin de désorganiser leurs activités et, ainsi, de prévenir leur infiltration dans l'économie légale.
Avec deux collègues de l'Assemblée et du Sénat, j'ai eu l'honneur de participer, en janvier dernier, à la réunion de contrôle parlementaire d'Europol, à Gand. Il ressort des échanges avec les parlementaires nationaux que le dépistage et la confiscation d'avoirs illicites doivent devenir une priorité.
En 2020, le Conseil européen a invité la Commission européenne à renforcer le cadre juridique. Le Parlement européen, de son côté, a appelé de ses vœux des règles plus strictes en matière de recouvrement des avoirs. Un projet de législation a été proposé en mai 2022.
La proposition de loi dont nous discutons est un texte a priori technique, voire ardu, si l'on s'en tient à la seule rédaction des dispositions adoptées. Elle fait suite au rapport que Jean-Luc Warsmann et Laurent Saint-Martin ont remis en 2019 aux ministres de la justice et de l'intérieur.
Les dix-huit dispositions en discussion ont fait l'objet d'un accord en commission mixte paritaire. Le texte complète le dispositif de saisie des avoirs et des biens issus d'activités criminelles et facilite la confiscation de ceux-ci.
Son premier apport est de faire de la saisie des biens une peine complémentaire obligatoire, lorsque ceux-ci ont servi à commettre l'infraction, lorsqu'ils étaient destinés à la commettre ou lorsqu'ils sont l'objet, ou le produit direct ou indirect, de l'infraction. La confiscation obligatoire des avoirs criminels en cas de condamnation pénale est une sanction facile à comprendre ; elle est aussi efficace car elle prive les auteurs d'infraction des moyens de poursuivre leurs activités et d'acquérir une façade légale. Dans un grand nombre de cas, elle résout aussi le problème de la conversion des saisies en confiscations.
Son second apport est d'instituer une procédure qui permettra de mieux identifier les magistrats chargés d'exercer la gestion des biens saisis, entre la clôture de l'enquête ou de l'instruction et la tenue de l'audience de jugement. Cette évolution prend également en compte les actions de formation prévues à l'article 1er bis – nous y sommes attachés.
En parallèle, des dispositions plus techniques, mais qui rendent le dispositif plus efficace, ont pour objet de mieux cerner les biens concernés, de supprimer l'obligation de motivation dans le cadre de la nouvelle infraction, et, dans certaines situations, de donner plus de pouvoirs à l'Agrasc.
Nous avions demandé qu'il soit tenu compte de la situation des locataires de bonne foi des biens immobiliers confisqués ; nous avons été entendus. Les travaux en CMP ont permis de préciser cette notion et de garantir la protection de leurs droits, sans affecter de manière excessive l'efficacité du dispositif pour ces biens.
L'objectif était de rendre plus efficace le régime de confiscation, de mieux cerner les responsabilités et de limiter certains écueils de la gestion des avoirs saisis. Le texte a été enrichi dans un esprit de consensus et de recherche de l'efficacité – nous nous en félicitons.
Le groupe Socialistes et apparentés soutient ce texte de lutte contre la criminalité organisée. Il note plusieurs enjeux : la visibilité de la lutte contre le crime, l'amélioration de la police judiciaire et l'importance donnée aussi bien aux missions d'investigation longues qu'aux interventions de la police du quotidien. En parallèle, la police doit disposer d'effectifs suffisants, de temps et de moyens techniques et technologiques adaptés à ses missions. Lors du prochain projet de loi de finances (PLF), l'examen des moyens dédiés à cette priorité devra faire l'objet d'un dialogue entre l'exécutif et l'Assemblée nationale, afin de corréler au mieux les moyens humains et techniques et les outils juridiques.
Nous voterons ce texte et souhaitons le voir appliqué dans le cadre d'une politique publique d'ampleur.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Nous partageons tous ce constat : la saisie et la confiscation du produit des infractions figurent parmi les moyens les plus efficaces pour lutter contre la délinquance. Il convient donc d'enrichir ces dispositions et de les faire fructifier. Nous saluons ce travail mené de longue date, et de manière transpartisane, ainsi que l'écoute mutuelle qui a marqué la CMP.
Ce texte est l'aboutissement d'un processus d'évolution du droit puisque, depuis une dizaine d'années, les pouvoirs publics améliorent les moyens qui permettent d'identifier et d'appréhender les profits générés par la délinquance et le crime organisé. Ainsi la loi du 9 juillet 2010, dite loi Warsmann, vise à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale. Mettant en exergue la volonté des pouvoirs publics de simplifier et de rendre plus efficaces les saisies pénales, afin de garantir que « le crime ne paie pas », elle a prévu la création de l'Agrasc.
L'Agence, reconnue désormais comme centrale, voit ses prérogatives renforcées par la présente proposition de loi. Son bilan est très positif : en 2022, les sommes encaissées par l'Agrasc s'élevaient à 487 millions d'euros hors saisies immobilières, tandis que les saisies confirmées par un jugement représentaient 171 millions d'euros, soit une hausse de 6,3 % par rapport à l'année précédente.
L'amélioration de l'indemnisation des victimes est un point essentiel de ce texte, car il permet d'inclure un volet social dans ce qui serait autrement un dispositif uniquement répressif. Quand on confisque, on retire, on punit ; c'est bien. Toutefois, il est essentiel de ne pas laisser de côté les personnes lésées, directement ou indirectement – je pense notamment à la disposition qui prévoit que la confiscation d'un bien immobilier vaut expulsion de la personne condamnée. L'angle mort aurait été de négliger la possibilité qu'un locataire de bonne foi puisse occuper ce logement, au risque de le placer dans une situation de précarité extrême.
Ce texte nous paraît équilibré : répressif, à juste titre, vis-à-vis des coupables ; dissuasif à l'égard de délinquants potentiels ; protecteur envers les victimes collatérales. Notre groupe pose un regard bienveillant – et il continuera de le faire – sur ses dispositions.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR – NUPES.
Au nom de mon groupe et à titre personnel, permettez-moi de féliciter Jean-Luc Warsmann qui, une fois de plus, se distingue par sa remarquable détermination à faire évoluer le droit en faveur de plus de justice et de probité. Faire en sorte que le crime ne paie plus, entrer dans une logique vertueuse qui prive le criminel de tout profit et indemnise les victimes : tel est l'objectif que le rapporteur s'est fixé et vers lequel nous tendons.
Plus d'une décennie après la loi Warsmann de 2010, nous nous apprêtons de nouveau à faire un grand pas dans la lutte contre la délinquance et le crime organisé. Reconnaissons que la qualité du travail mené en commission des lois, dans l'hémicycle puis en CMP a donné à ce texte, déjà ambitieux dans sa rédaction initiale, une envergure considérable. Cette proposition de loi transpartisane a été enrichie par le travail parlementaire, mais elle a aussi été soutenue par le garde des sceaux, dont il convient de saluer l'engagement tout au long de cette construction.
Le texte opère un véritable changement de paradigme en rendant obligatoire la confiscation des avoirs criminels, lorsqu'ils sont le produit d'une infraction ou qu'ils ont servi à la commettre. Cette obligation s'accompagne d'une marge de manœuvre accrue dans la gestion des biens confisqués et d'une simplification des procédures, jusque-là trop longues et fastidieuses.
Mieux encore, nous avons obtenu que les biens saisis pourront être mis à la disposition des collectivités territoriales et recevoir ainsi une affectation sociale. À travers cette avancée, nous pourrons démontrer aux citoyens que le fruit du crime organisé leur sera rendu : cet argent sera désormais employé à financer des projets au service du bien commun. Transformer un bien criminel en une crèche ou un hôpital, quel symbole !
Pour autant, je ne voudrais pas sombrer dans l'autocongratulation et laisser penser que ce texte pourra, à lui seul, résoudre le problème de l'essor du crime organisé. Au contraire, il est plus que jamais crucial que notre assemblée prenne la mesure de l'ampleur de la tâche et de la gravité de la situation : partout en Europe, les mafias gagnent du terrain. Tous les acteurs et les observateurs du renseignement criminel s'accordent à dire que les groupes mafieux représentent désormais une menace majeure pour la sécurité de l'Union européenne. Pour la procureure de Paris, Laure Beccuau, le niveau de menace est tel que l'on détecte des risques de déstabilisation des États de droit.
Si la France n'est pas encore – contrairement à l'Italie et aux Pays-Bas –, la base arrière d'organisations tentaculaires, elle n'est pas épargnée par les phénomènes mafieux et la montée en puissance de réseaux criminels sur son territoire. Face à un tel péril, il est important que la France, et plus largement l'Europe, définissent une véritable stratégie de lutte contre la mafia.
À ce titre, nous avons la chance que des collectifs citoyens antimafia, particulièrement actifs et investis sur cette question, militent pour que la France se dote des outils juridiques ayant déjà fait leurs preuves en Italie. Ces collectifs, que je salue de nouveau pour la qualité de leur travail, réclamaient une amélioration des dispositifs de saisie des avoirs criminels. C'est chose faite. Ils réclament également, depuis longtemps, une amélioration du statut de repenti. Le garde des sceaux a annoncé le dépôt imminent d'un projet de loi sur ce sujet ; nous nous en félicitons et nous le soutiendrons.
Avec le vote de cette proposition de loi, nous faisons plus que franchir une étape importante dans le long combat contre le crime organisé. Nous nous félicitons du caractère transpartisan de la démarche : cette prise de conscience collective est salutaire. L'union sacrée doit être la règle dans ce débat ; envoyons un signal fort et adoptons la proposition de loi à l'unanimité !
Applaudissements sur les bancs des commissions.
En matière d'activités criminelles, la peine de prison ne constitue pas le seul outil à disposition du juge : la saisie et la confiscation des biens criminels sont des outils fondamentaux, qui permettent non seulement de sanctionner et de réparer, mais aussi de priver la criminalité organisée des ressources qui lui permettent de prospérer.
La législation sur la saisie et la confiscation des avoirs criminels est longtemps restée lacunaire dans notre pays. Initialement, la saisie en cours d'enquête ne visait qu'à assurer la conservation des preuves ou à retirer des mains des suspects des objets considérés comme dangereux. La confiscation n'était alors vue que comme un accessoire de la sanction, une manière de frapper plus durement les acteurs de la criminalité organisée. Ce n'est que progressivement qu'elle est devenue un objet en tant que tel des politiques publiques.
Les réformes les plus importantes, comme le gel des avoirs terroristes, ont été réalisées sous l'impulsion du Groupe d'action financière (Gafi) et de l'Union européenne. La loi du 9 juillet 2010, dont vous êtes l'un des auteurs, monsieur le rapporteur, a, elle, rendu la saisie possible dès le stade de l'enquête afin de garantir l'effectivité des peines de confiscation ordonnées lors du jugement. Cette loi a également donné naissance à l'Agrasc, dont il convient de reconnaître l'efficacité. Il faut s'en féliciter et remercier l'ensemble de ses agents pour leur travail, qui, aux yeux des victimes, redonne du sens à la sanction. Mais il existe une réelle marge de progression. Nous appelons à poursuivre l'augmentation des moyens dédiés à l'identification et à l'appréhension des profits générés par le crime organisé, et à renforcer les effectifs consacrés à la lutte contre la délinquance économique et financière.
Le texte soumis au vote propose de nombreuses pistes d'amélioration du dispositif actuel. Saluons l'extension de deux à six mois du délai dans lequel les parties civiles peuvent demander la réparation de leurs préjudices auprès de l'Agrasc – c'est une bonne nouvelle –, et l'élargissement de l'assiette des biens ouvrant droit à l'indemnisation pour les victimes. La proposition de loi rendra également possible l'expulsion de la personne condamnée du bien confisqué, sur décision du juge du siège. Cependant, nous avons été attentifs à la rédaction de l'article 3, afin que le locataire de bonne foi soit protégé.
Je me réjouis que le Sénat ait maintenu certaines des améliorations proposées par mon collègue Jérémie Iordanoff, comme l'extension aux parcs naturels nationaux et régionaux de la possibilité de se voir affecter gratuitement les biens saisis. Il était également nécessaire d'ajuster le mécanisme de la convention judiciaire d'intérêt public : avec l'accord du Sénat, c'est désormais chose faite. Tout cela va dans le bon sens, et les députés et sénateurs écologistes ont pris toute leur part dans ce travail transpartisan, notamment sur l'article 4, qui porte sur les biens mal acquis, ou encore sur les affectataires des biens saisis. Monsieur le garde des sceaux, vous pouvez compter sur les écologistes pour suivre de près l'application de ce texte, et la mobilisation des moyens humains et matériels nécessaires – d'après la Cour des comptes, il y avait, en 2023, une sous-exécution de plus de 1 500 emplois équivalents temps plein (ETP) dans votre ministère.
Dans la poursuite du travail, vous pourrez également compter sur l'engagement des écologistes en faveur de la transposition de la directive européenne relative au recouvrement et à la confiscation d'avoirs, publiée fin avril. Rappelons qu'un seul groupe a voté contre : celui de Mme Le Pen, le RN !
Les députés du groupe Écologiste – NUPES voteront en faveur de cette proposition de loi.
C'eût été bien de voter le budget !
Dans la continuité de la création de l'Agrasc, dont nous vous devons l'initiative, monsieur le rapporteur, ce texte, soutenu dès le début par le groupe Renaissance et la commission des lois, vise à donner de nouvelles compétences à cette institution. Et parce que la prison n'est pas le seul outil à la disposition du juge, il tend également, comme les orateurs précédents l'ont rappelé, à conférer une nouvelle dimension à la peine de confiscation. Vous l'avez dit tout à l'heure à la tribune, monsieur le garde des sceaux – et vous l'aviez dit mieux encore en commission : voir un coupable repartir à pied parce que son véhicule a été saisi est aussi réparateur pour les victimes que pédagogique pour les coupables.
Le texte initial prévoyait donc des ajustements en matière de saisies et confiscations. Puisqu'il est légitime que les biens saisis ou confisqués dans l'intérêt général y soient réaffectés, nous avons tous proposé de nouveaux attributaires : les fédérations sportives – j'y ai beaucoup insisté –, les parcs naturels, les établissements publics et les collectivités territoriales, tous ceux qui œuvrent au bien public.
Examinée en seulement trois mois grâce à l'accord trouvé facilement avec le Sénat, votre proposition de loi permettra à l'Agrasc de prendre toute sa place dans la lutte contre la criminalité. Cette institution, qui fête ses dix ans, reste encore trop méconnue des magistrats, qui peinent à l'utiliser. Ce texte, c'est aussi un premier pas du Parlement cette année en matière de lutte contre la criminalité organisée, et j'espère que ce ne sera pas le dernier. Avec la création du Pnaco, la mise en place des juridictions spécialisées et l'affectation des biens saisis, nous pourrons porter un coup à toutes les organisations mafieuses. Je vous invite donc toutes et tous à voter en faveur de ce texte, et j'espère qu'il sera adopté à une large majorité – ce devrait être une sinécure –, si ce n'est à l'unanimité.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et LIOT.
Sur le texte de la CMP, je suis saisie par les groupes Renaissance et Libertés, indépendants, outre-mer et territoires de demandes de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Jordan Guitton.
Cette proposition de loi est le fruit d'un long travail, en particulier de mon confrère de Champagne-Ardenne, Jean-Luc Warsmann.
Alors que selon une étude de l'Insee, la criminalité générerait jusqu'à 2,7 milliards d'euros de revenus illicites par an en France, l'existence de dispositifs de saisie et de confiscation efficaces, qui privent les criminels de leurs gains illégaux, leur envoient un message de fermeté. En participant au démantèlement des réseaux criminels, une politique rigoureuse de saisie et de confiscation contribue aussi à dissuader les criminels en fragilisant leur organisation. En outre, priver les criminels de leurs biens et profits, c'est garantir aux victimes que justice est rendue, et donc réparer les torts qui leur ont été infligés.
Comme le souligne le rapport, le montant des saisies et confiscations – hors saisies immobilières – est passé de 109 millions d'euros en 2011 à 484 millions en 2021. Nous tenons à saluer les agents de l'Agrasc. Disposer de ressources supplémentaires leur permettrait de réaliser davantage de saisies et confiscations, qui généreraient à leur tour davantage de fonds pour l'État pour mieux indemniser les victimes et renforcer la lutte contre le crime.
À cet égard, je souhaite appeler votre attention sur la question de l'organisation : améliorer le processus de collecte des statistiques est crucial, car malgré une augmentation constante des saisies, le manque de centralisation des données nuit à notre information. En outre, il est nécessaire d'envisager la création de nouvelles antennes régionales de l'Agrasc, car elles favorisent une politique répressive forte et efficace, bénéfique pour les territoires. La dissuasion et la répression demeurent les meilleures armes des législateurs que nous sommes. Nous saluons donc cette avancée et voterons en faveur de ce texte, comme en faveur de tout ce qui va dans l'intérêt des Français.
Mais – car il y a un « mais » – ne nous méprenons pas : ce texte ne résoudra en rien les causes profondes de la criminalité dans notre pays. Cent-vingt agressions au couteau chaque jour, 25 % d'étrangers dans nos prisons, surpopulation carcérale, 500 000 immigrés supplémentaires par an, c'est bien votre bilan à vous, les macronistes ! La volonté politique du Gouvernement actuel se résume à communiquer, et à essayer d'éviter le naufrage électoral, si prévisible. Les gouvernements qui se succèdent depuis des décennies n'ont jamais eu ni la volonté, ni le courage, de lutter véritablement contre la délinquance ou le trafic de drogue, préférant bien souvent se coucher devant. En sept ans, vous, macronistes, n'avez rien fait non plus : les opérations Place nette, qui ne font que déplacer les points de deal, ne ressemblent qu'à un énième coup de com'.
C'est faux ! La délinquance est en baisse ! Les chiffres sont têtus, monsieur !
En septembre 2021, le Gouvernement annonçait déjà des opérations antidrogue et de lutte contre les zones de non-droit à Marseille ; aujourd'hui, il reste toujours 3 000 points de deal à démanteler. Finalement, de Darmanin à Attal, rien ne change !
En matière pénale, Jordan Bardella appelle à rompre avec le « dupond-morettisme » – c'est effectivement ce qui serait le mieux pour notre pays et nos compatriotes !
Le nouveau jeu du RN, c'est de citer Jordan Bardella ! Avant, ils avaient des gommettes quand ils citaient Marine Le Pen !
…le RN propose de garantir l'emprisonnement des coupables de crimes et délits envers des personnes – a fortiori lorsqu'il s'agit de forces de l'ordre –, d'abaisser la majorité pénale à 16 ans et de supprimer l'excuse de minorité, qui permet à de trop nombreux mineurs délinquants d'être jugés avec laxisme,…
…d'instaurer une présomption de légitime défense pour nos forces de l'ordre, et d'établir une double frontière Française et européenne, pour arrêter, notamment, l'importation de stupéfiants. Depuis plus de quatre ans, les conditions de travail des agents de l'Office français antistupéfiants (Ofast) – dont j'ai visité les locaux, à Orly, en présence d'autres parlementaires – sont indignes. C'est votre échec, monsieur le ministre !
Nous proposons également de maîtriser notre politique migratoire, car la politique actuelle alimente l'insécurité et fournit des moyens humains aux trafiquants, mais aussi d'expulser systématiquement tout étranger en situation irrégulière et tout étranger ayant commis un crime ou un délit dans le territoire,…
…ou encore d'élaborer une politique carcérale qui isole les trafiquants de drogue dans des quartiers sécurisés pour les empêcher de continuer à opérer depuis leur prison, comme cela se fait déjà dans d'autres pays.
Ça ressemble aux propositions d'Attal ! Il y a comme une impression de déjà-entendu…
Les 20 000 communes qui ont placé Marine Le Pen en tête lors de l'élection présidentielle de 2022 l'ont compris et ont envoyé un message électoral d'espoir : désormais, une seule personne peut garantir la tranquillité publique partout – Marine Le Pen !
« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Et si les Français nous font confiance, le ministre de la justice de Marine Le Pen ne se fera pas applaudir par des prisonniers, mais par les Français !
Mêmes mouvements.
Quatre ans que vous racontez les mêmes salades ! Quelle honte !
Sourires.
Depuis sa création, l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués fait un bon travail. Ses résultats sont en augmentation chaque année, ce dont on ne peut que se féliciter, comme on le fait chaque année depuis cette tribune. Jamais autant de biens n'ont été saisis et confisqués !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Ce texte vient aider les agents de l'Agrasc dans leur travail en facilitant les procédures. Même s'il reste des progrès à accomplir en matière de moyens – les antennes régionales de l'Agrasc fonctionnent bien, mais des effectifs supplémentaires sont désormais nécessaires pour les multiplier –, ces avancées nous ont incités à voter en faveur du texte en première lecture.
Tout cela va dans la bonne direction, mais – car il fallait bien un « mais » ! – nous avons émis les plus grandes réserves au sujet de l'alinéa 8 de l'article 3, qui porte sur l'expulsion des occupants d'un bien saisi. Si tout le monde était d'accord pour que la condamnation d'un criminel vaille titre d'expulsion, le cas des autres occupants – le conjoint, par exemple, mais il existe plein de cas de figure – pose question : à partir du moment où ils n'ont pas été jugés complices du criminel et condamnés dans la procédure judiciaire, pourquoi leurs seuls liens avec l'auteur des infractions justifieraient-ils leur expulsion ?
M. Philippe Ballard s'exclame.
C'est une question de principe, et les principes, ça ne se discute pas, surtout lorsqu'il s'agit d'avoir un toit au-dessus de la tête : d'un point de vue démocratique, sanctionner une personne qui n'a commis aucune infraction pose problème. Nous voterons donc le texte, mais nous saisirons probablement le Conseil constitutionnel sur cet alinéa.
Reste que l'Agrasc joue un rôle indéniable dans la lutte contre la criminalité, en particulier contre la criminalité organisée, dont émanent la majorité des biens saisis dont la valeur est importante. Le garde des sceaux l'a d'ailleurs lui-même souligné à cette tribune, en vantant son futur parquet national anticriminalité organisée, dont on se demande bien pourquoi il est créé, puisqu'une juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée a déjà été créée en grande pompe en 2019. Preuve que ça ne fonctionne pas, Christophe Perruaux, nommé à la tête de la Junalco, est depuis parti à Bercy !
Vous allez de coup de communication en coup de communication. Un homme a d'ailleurs fait parler de lui dernièrement : Nicolas Bessone, l'actuel procureur de Marseille, qui a dirigé l'Agrasc. Votre venue dans le cadre de l'opération Place nette XXL à Marseille n'avait d'ailleurs pour seul objectif, monsieur le garde des sceaux, que de les sermonner, lui, ses équipes et les autres magistrats.
Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) s'en est d'ailleurs ému dans un communiqué de presse, publié le 10 avril, qui apporte son soutien aux magistrats. Alors quoi ? Ferait-il trop bien son travail, ou respecterait-il trop la séparation des pouvoirs et les prérogatives qui sont les siennes…
…celui qui ne voudrait pas que M. Darmanin vienne, en grande pompe, conduire la politique pénale à sa place, et surtout à la vôtre ?
À votre place, je ne ricanerais pas, j'aurais honte de me dire que je me suis fait voler la vedette par mon collègue de l'intérieur.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Il y a une crise de l'investigation, comme l'ont souligné Nicolas Bessone et les autres magistrats du tribunal judiciaire de Marseille devant la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic.
N'importe quoi, comme d'habitude.
C'est ce qu'ils sont venus dire : ils manquent de moyens, à toutes les étapes, y compris lors de la saisie et de la confiscation. Quand Gérald Darmanin dit qu'il ne faut pas attendre que les enquêtes judiciaires soient parfaites pour intervenir, sous peine d'inefficacité publique en matière de lutte contre la criminalité organisée, on se pince !
Vous parlez du ministre de l'intérieur, le voilà !
Compte tenu du manque d'enquêteurs, il faudrait plutôt renforcer les moyens de la police judiciaire – tiens, voilà l'impétrant. Il est heureux que le présent texte de loi étende les prérogatives de l'Agrasc, car ce n'est pas la politique menée par ce gouvernement qui réglera le problème de la criminalité organisée. Vous allez même l'aggraver : c'est une certitude !
Je ne sais pas de quoi il parle.
Il n'a pas changé !
Non, je n'ai pas changé, monsieur le ministre – bienvenue à vous. La crise de l'investigation risque de conduire à ce que le narcotrafic et la criminalité organisée aient encore davantage pignon sur rue, et à ce que la corruption, y compris dans les plus hautes sphères politiques, soit de plus en plus facilitée.
Il faudra se battre contre tout cela, nous serons au rendez-vous ; mais la politique qui est la vôtre est un fiasco.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
J'appelle maintenant le texte de la commission mixte paritaire.
Conformément à l'article 113, alinéa 3, du règlement, j'appelle d'abord l'Assemblée à statuer sur les amendements dont je suis saisie.
La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir les amendements n° 1 , 2 et 3 , qui peuvent faire l'objet d'une présentation groupée.
Cela va être très rapide : ce sont trois amendements rédactionnels.
Je tiens à remercier les différents orateurs. Comme l'a très bien dit monsieur le ministre, les amendements n° 1 et 2 tirent les conséquences des modifications opérées par le texte lui-même. Par exemple, après l'ajout d'un alinéa à article 41-5 du code de procédure pénale, l'avant-dernier alinéa de cet article devient son cinquième alinéa. C'est très important pour la cohérence de notre droit. Le dernier amendement, comme l'a dit monsieur le ministre, vise à assurer la bonne application de ce texte en outre-mer.
Avis favorable sur ces trois amendements.
Je mets maintenant aux voix l'ensemble de la proposition de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, modifié par les amendements adoptés par l'Assemblée.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 150
Nombre de suffrages exprimés 150
Majorité absolue 76
Pour l'adoption 150
Contre 0
La proposition de loi est adoptée.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures quinze, sous la présidence de Mme Yaël Braun-Pivet.
Cela fait désormais cent soixante et onze ans que la France et l'archipel de la Nouvelle-Calédonie partagent un destin commun et une histoire institutionnelle, à l'image de la population de ce dernier, riche et complexe.
Le texte constitutionnel dont nous allons débattre revêt une importance particulière. Je me suis d'ailleurs rendu en Nouvelle-Calédonie il y a quelques semaines avec mon collègue Gérald Darmanin, en amont de nos débats, afin de dire sur place l'engagement total de l'État et du ministère de la justice en particulier. J'ai pu inaugurer le centre de détention de Koné et entériner la construction tant attendue de la nouvelle prison de Nouméa, dont le coût atteindra un montant record de près d'un demi-milliard d'euros.
Revenons-en toutefois au cœur de nos débats. La démocratie calédonienne est un acquis récent, puisqu'il a fallu attendre un décret de 1957 pour que le suffrage universel soit institué sur l'archipel. Jusqu'aux années 1980, la démocratie locale a joué un rôle important pour canaliser les pulsions les plus violentes.
À la suite des événements survenus en 1984, qui ont brisé la paix, les accords de Matignon signés en 1988, puis ceux de Nouméa conclus en 1998, ont marqué un tournant majeur dans l'histoire démocratique de l'archipel. Ils ont, en effet, fixé un cap, celui la préparation de l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, si tel était le souhait de ses habitants. En 1998, le titre XIII de la Constitution a d'ailleurs été renommé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ».
Depuis, par trois fois, les Calédoniens ont choisi de rester dans la République.
S'il n'est pas question que l'État décide seul de l'évolution institutionnelle de l'archipel, l'un des éléments de l'organisation politique doit toutefois être impérativement réformé : la composition du corps électoral aux élections du Congrès et des assemblées de province. Gelée depuis la révision constitutionnelle de 2007, elle n'est désormais plus conforme aux exigences constitutionnelles et conventionnelles de la France – le caractère transitoire que j'ai évoqué ne peut perdurer.
Consulté sur le sujet, le Conseil d'État a indiqué, sans aucune ambiguïté, que seul le pouvoir constituant pouvait modifier les règles relatives au corps électoral calédonien.
Par conséquent, le Gouvernement a pris ses responsabilités et a déposé devant le Sénat un projet de loi constitutionnelle, qui entendait répondre aux trois impératifs suivants : dégeler, en partie, ce corps électoral restreint, propre aux élections au Congrès et aux assemblées de province ; permettre la tenue de ces élections avant la fin de l'année 2024 ; et laisser aux partenaires politiques calédoniens la possibilité de conclure un accord portant sur l'organisation politique.
Le projet de loi constitutionnelle, dans sa version adoptée par le Sénat, garantit que les prochaines élections au Congrès et aux assemblées de province se tiendront avec un corps électoral conforme aux exigences juridiques et démocratiques de notre pays.
Initialement, l'accord de Nouméa devait s'appliquer durant une période de vingt ans. Or il a été conclu il y a vingt-six ans et le cycle de consultations relatives à l'accession à la pleine souveraineté a pris fin il y a bientôt trois ans. À défaut d'un nouvel accord entre les partenaires politiques, le régime dérogatoire au droit électoral commun doit être repensé. Il y va de sa conformité avec les grands principes constitutionnels : l'égalité devant la loi, le caractère universel du suffrage et le droit de tous les citoyens à concourir personnellement, ou par l'intermédiaire de leurs représentants, à la formation de la loi.
Il n'est pas du tout certain que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) juge, en 2024, que le gel du corps électoral restreint est conforme aux engagements conventionnels de notre pays.
Le Sénat a adopté le projet de loi constitutionnelle, sans remettre en question le dégel du corps électoral proposé par le Gouvernement. Je ne peux que m'en féliciter et je tiens à saluer l'œuvre du rapporteur Nicolas Metzdorf. De même si la Chambre haute a substantiellement modifié le dispositif initialement proposé, le texte adopté devrait néanmoins permettre de respecter l'impératif calendaire.
La substitution du législateur organique au pouvoir réglementaire est conforme à l'esprit de la Constitution et à la démocratie. Elle conforte ainsi le rôle du Parlement dans nos institutions. De même, confier le constat de l'existence d'un accord politique et institutionnel aux présidents des assemblées parlementaires me semble, à la réflexion, tout à fait pertinent. L'avenir de la Nouvelle-Calédonie dépendra ainsi, en grande partie, de la capacité du Gouvernement et du Parlement à trouver, dans les plus brefs délais, le meilleur des compromis. En l'état, le texte adopté par le Sénat me semble finalement constituer un point d'équilibre acceptable.
Au nom du Gouvernement, j'ai l'honneur de défendre devant vous, avec le ministre de l'intérieur et des outre-mer, ce projet de loi constitutionnelle. J'ai conscience que la réforme du corps électoral restreint aux élections au Congrès et aux assemblées de province relève avant tout des négociations entre les partenaires politiques calédoniens. C'est tout le sens de ce qu'a proposé mon collègue Gérald Darmanin concernant les discussions qui pourront se poursuivre dès le vote de ce texte. Toutefois, l'urgence commande au Gouvernement et au Parlement d'intervenir. Il y va de la démocratie calédonienne et, au-delà, de la démocratie sur l'ensemble du territoire national.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Comme l'a souligné M. le garde des sceaux, nous examinons un projet de loi constitutionnelle important, tant la Nouvelle-Calédonie occupe une place institutionnelle et politique notable, depuis des dizaines d'années, dans le fonctionnement et la discussion des chambres parlementaires de la V
À la demande du Président de la République, le Gouvernement a souhaité vous soumettre ce projet de loi constitutionnelle relatif aux élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, quelques semaines après l'adoption dans ce même hémicycle du projet de loi organique portant report du scrutin, avec le soutien du Congrès de Nouvelle-Calédonie.
Le présent texte, dans sa version issue des travaux du Sénat adoptée le mois dernier, est conforme à l'esprit du texte initial et son adoption rapide nous laissera le temps nécessaire pour discuter avec toutes les parties prenantes – indépendantistes et non-indépendantistes –, je l'espère, durant le mois de juin, tout en respectant l'engagement d'organiser les élections avant le 15 décembre 2024.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, je ne peux que déplorer l'attitude irresponsable de certains groupes parlementaires qui ont décidé de jouer l'obstruction sur un sujet aussi important et sérieux que celui du droit de vote, expression classique de la démocratie et du suffrage. Vous ne m'en voudrez pas de souligner que, pour un groupe politique qui défend le droit de vote des étrangers sur le sol national, déclarer qu'être né sur un territoire et y vivre depuis vingt ou vingt-cinq ans, en avoir la nationalité, ne confère pas forcément le droit de participer à la vie politique de celui-ci, n'est pas sans contradiction avec notre débat national !
Malheureusement, nous serons amenés à examiner des amendements dont plus de la moitié n'ont aucun rapport avec le territoire calédonien, ce qui prouve le peu d'amour que certains portent aux citoyens de la Nouvelle-Calédonie, qu'ils soient indépendantistes ou non indépendantistes. Vous ne les prenez pas vraiment au sérieux.
Aujourd'hui, près de 10 % du corps électoral calédonien était dans la rue, soit pour soutenir les thèses indépendantistes, soit pour soutenir celles qu'on appelle loyalistes – c'est-à-dire non indépendantistes. Cette impressionnante marée humaine de dizaines de milliers de personnes, représentant chacune des parties, doit être considérée et respectée. Les manifestants sont déterminés, mus par le souci de voir les problèmes politiques se régler démocratiquement, et nous n'avons pas eu à connaître de débordement jusqu'à présent. J'en remercie non seulement les manifestants, mais aussi le haut-commissaire de la République ainsi que l'ensemble des policiers et des gendarmes, qui ont concouru à l'organisation de ces manifestations.
Au moment où nous discutons – je le précise devant les députés de Nouvelle-Calédonie ici présents M. Philippe Dunoyer et M. le rapporteur Nicolas Metzdorf –, j'ai une pensée pour les policiers et les gendarmes, singulièrement pour les gendarmes, dont les familles sont en ce moment même évacuées parce qu'elles sont menacées de mort par des manifestants qui n'usent pas de la démocratie mais de la violence, du tir à balles réelles et de l'intimidation. J'espère que chacun sur ces bancs, quelles que soient ses opinions politiques, condamnera de tels actes et protégera nos gendarmes, qui servent la République, et leurs familles.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem, HOR et SOC ainsi que sur quelques bancs des groupes RN et LR.
Je regrette que La France insoumise ne les soutienne pas et ne décide pas de le faire alors qu'ils sont menacés par la violence.
Arrêtez de raconter n'importe quoi ! Vous êtes en train de mettre le feu là-bas !
Malheureusement, comme nous l'avons constaté depuis le début du quinquennat, vous ne respectez pas les forces de l'ordre, qui agissent au nom du Gouvernement et de la République.
Protestations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Rien ne prédispose pourtant La France insoumise à menacer des familles et des enfants, partout dans le territoire national, y compris en Nouvelle-Calédonie !
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Ce n'est pas possible !
Je regrette que vous n'ayez pas ce bon sens démocratique qui vous inciterait à soutenir nos forces de l'ordre.
Mme Sophia Chikirou, M. Paul Vannier et M. Arthur Delaporte s'exclament.
S'il vous plaît, un peu de silence ! Vous aurez la parole lors de la discussion générale et pourrez exprimer vos opinions. Chacun son tour ! Écoutez l'orateur respectueusement, c'est la moindre des choses.
Les exclamations se poursuivent sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Avant de présenter plus en détail le texte que le Gouvernement a souhaité vous soumettre, je rappellerai rapidement l'historique de la réforme. Les accords de Matignon, de 1988, et de Nouméa, de 1998, régissent depuis plus de trente ans l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie. Ils prévoyaient l'organisation de trois référendums d'autodétermination, afin que les Calédoniens choisissent s'ils souhaitaient, ou non, le maintien du territoire au sein de la République. Les trois référendums se sont déroulés sous le premier mandat du Président de la République, dans des conditions de parfaite régularité,…
…sous le contrôle d'experts des Nations unies et de nos plus hautes juridictions. Par trois fois, les Calédoniens ont dit « non » à l'indépendance.
Les accords prévoyaient que les différentes parties se réunissent à l'issue de ces trois consultations. La Première ministre, Élisabeth Borne, a donc invité l'ensemble des parties prenantes à Matignon, en octobre 2022, réunion à laquelle les représentants indépendantistes du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) n'ont pas voulu participer.
Le Président de la République et la Première ministre m'ont alors confié la mission de renouer les fils du dialogue entre les deux parties, afin de créer les conditions permettant de bâtir un nouveau statut pour le territoire. Sous l'autorité du Président de la République et des Premiers ministres successifs, je m'y suis pleinement consacré. Avec sept déplacements effectués dans l'archipel dans cette période, je ne crois pas qu'on puisse me faire grief d'une forme de désintérêt.
Nous sommes dans un processus de fabrication d'un statut. Nous nous inscrivons aussi dans un débat public et politique. De ce fait, il y aura toujours quelqu'un pour affirmer que tel ou tel gouvernement a mal fait les choses – tout est bien sûr perfectible. Toutefois, cela n'empêche pas de dialoguer et de faire en sorte que tout le monde continue de se parler, dans le respect des personnes. Je regrette solennellement, mesdames et messieurs les parlementaires, les menaces physiques et les menaces de mort proférées à l'encontre du député Metzdorf, au moment même où des communiqués de presse prévoyaient qu'il ne puisse pas rentrer sur le territoire qui l'a vu naître.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR ainsi que sur quelques bancs du groupe LR.
J'eusse aimé, monsieur le député, que l'ensemble des forces politiques vous soutienne face à une telle menace physique, inacceptable dans une démocratie.
Nous devons comprendre de quelle situation politique nous partons : au-delà du débat et, parfois, des controverses, entre ceux qui veulent le maintien du territoire au sein de la République et ceux qui veulent l'indépendance, les controverses au sein de chaque camp, qui sont parfois générationnelles, font que la parole peut varier. Il faut voir la Nouvelle-Calédonie de Paris pour ne pas le constater. Il en est ainsi, et nous faisons évidemment avec.
Nous défendons et la volonté exprimée par les Calédoniens, et l'intention politique des signataires des accords de Matignon et de Nouméa, dont le Président de la République porte aujourd'hui le message.
Je veux dire à ceux qui contestent la façon dont nous procédons que s'ils pensent que la bonne méthode est d'avoir des discussions dont l'issue est déjà connue, nous ne serons pas d'accord. La trajectoire du quarante et unième congrès du FLNKS, confirmée lors du quarante-deuxième congrès, le mois dernier, consiste à dire qu'il faudrait « un ultime processus qui met[te] en œuvre une programmation d'accession à l'indépendance ». Ni le Gouvernement, ni le Président de la République, ni même le Parlement, ne peuvent, pour donner raison au FNLKS, s'abstenir de consulter les Calédoniens, qui, par trois fois, n'ont pas choisi la voie qu'il propose.
Sa position appelle de notre part deux commentaires. D'une part, la Nouvelle-Calédonie doit tourner la page et se projeter vers l'avenir – c'est ce que demandent les Calédoniens, les jeunes en particulier. Or, j'ai le sentiment qu'à cet « ultime processus », succédera un autre, tout aussi ultime, et que l'avenir de la Nouvelle-Calédonie – celui du nickel, de l'économie, et du social – sera encore retardé : cet avenir attend toujours les décisions politiques. Pour le FLNKS, dont nous respectons profondément les convictions, l'ultime étape sera toujours le chemin qui mène à l'indépendance.
Cela mène à mon second commentaire : il ne peut pas y avoir de débat démocratique dont l'issue est déjà déterminée. Selon le texte adopté par le FLNKS, que j'ai cité, la réponse est déjà donnée, l'issue est fixée et les Calédoniens n'ont pas besoin de se rendre aux urnes : c'est déjà l'indépendance. Évidemment, le Gouvernement ne peut y être favorable : tout républicain, tout démocrate, ne peut être favorable à un processus dont l'issue est certaine et, de plus, contraire à l'avis que la majorité de sa population a exprimé par trois fois.
Nous comprenons bien les postures nationales et parisiennes, mais nous devons avant tout saisir, en Nouvelle-Calédonie, le sentiment de chacun.
Trois ans après la dernière consultation, dans la perspective des élections provinciales qui devaient se tenir en mai de cette année, le Gouvernement avait appelé à un accord global sur l'avenir du territoire d'ici à la fin de l'année 2023. Il n'y a pas eu d'accord, ce que nous regrettons. Nous avons donc reporté les élections de mai : vous avez voté en faveur de ce report, le mois dernier, afin d'essayer encore d'aboutir à un accord, en lien d'ailleurs avec le Congrès de Nouvelle-Calédonie. Cela ne vous aura pas échappé : pour l'instant, il n'y a toujours pas d'accord.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire aux membres du groupe de contact réuni par Mme la présidente de l'Assemblée nationale, nous avons à nouveau tendu la main aux indépendantistes et aux non-indépendantistes – et nous devons continuer –, afin que les discussions aboutissent avant l'adoption, je l'espère, de ce texte constitutionnel par le Congrès à Versailles. Pour l'instant, cette main tendue a été refusée. Je la tends à nouveau, à cette tribune, à la suite des propos tenus ce week-end par le Président de la République.
Le Gouvernement s'est donc engagé à corriger un point précis, sur lequel le Conseil d'État avait appelé son attention. Il ne peut convoquer les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie avec l'ancien corps électoral, qui est transitoire et désormais dépassé : en effet, une grande partie des électeurs calédoniens, nés en Nouvelle-Calédonie, de parents calédoniens, citoyens français calédoniens, ne peuvent pas voter pour choisir leurs élus locaux. Nous devons donc prendre nos responsabilités et modifier le corps électoral – sans bien sûr remettre en cause le droit à l'autodétermination, qui est inscrit dans la Constitution, ni les équilibres des accords de Nouméa et de Matignon.
Si de nombreuses personnes parlent de la Nouvelle-Calédonie, peu savent que trois listes électorales coexistent sur ce territoire peuplé de 200 000 habitants environ. La première, la liste électorale générale, applicable sur l'ensemble du territoire de la République, est utilisée pour les élections nationales, dont les élections présidentielles, et pour les élections municipales. Il ne s'agit pas de la modifier.
La deuxième, la liste référendaire, permet l'autodétermination – donc peut-être, un jour, l'indépendance. Il ne s'agit pas de la modifier.
La troisième, la liste provinciale, qui sert à élire les représentants locaux aux assemblées des trois provinces de la Nouvelle-Calédonie, est ancienne, dépassée et caduque, d'après le Conseil d'État. Si nous ne prenons pas nos responsabilités, la tenue de ces élections à corps électoral constant conduirait directement à leur annulation.
Mesdames et messieurs les députés, vous qui êtes des représentants élus au suffrage universel direct et qui participez à l'exercice de la souveraineté de la nation, savez-vous que seules les personnes inscrites sur les listes électorales au moment de l'accord de Nouméa – depuis 1998 – ont le droit de voter aux élections locales en Nouvelle-Calédonie ? Autrement dit, certains Calédoniens nés Calédoniens, de parents calédoniens, ne peuvent pas voter pour choisir celui qui gérera le code de l'environnement ou la vie économique et sanitaire de leur propre territoire.
Qui peut accepter une telle situation plus longtemps ?
Imaginons que vous viviez, travailliez, payiez des impôts dans un territoire depuis vingt-cinq ans – que vous ayez hérité la nationalité de vos parents, ou que vous soyez né sur ce sol –, et que vous ne puissiez toujours pas élire votre représentant régional, dans une région du territoire hexagonal ou ultramarin – alors que ses assemblées adoptent les lois qui régissent votre quotidien, recouvrent vos impôts et déterminent les choix de votre territoire.
De ce point de vue, l'élargissement du corps électoral n'est pas qu'une volonté politique : c'est une obligation morale pour ceux qui croient en la démocratie. Si les conséquences du gel du corps électoral ne concernaient à l'origine que 8 338 électeurs, soit 7,5 % de l'électorat, ce chiffre est passé à 42 596 en 2023 – ce qui signifie qu'un électeur sur cinq ne peut pas voter. La démocratie, c'est le vote. Le vote, c'est la possibilité pour chaque citoyen de choisir ses représentants. Prendre des décisions à la majorité ne consiste pas à classer les personnes par couleur de peau ou par origine, mais à faire en sorte que tous les citoyens puissent choisir leur avenir commun.
Pour être complet, je préciserai que le corps électoral prévu pour les référendums d'autodétermination est paradoxalement plus large que celui prévu pour les élections provinciales. Autrement dit, les citoyens sont plus nombreux à pouvoir voter pour choisir l'indépendance que pour élire leurs représentants locaux. Allez comprendre l'intérêt de s'opposer à la réforme !
Nous le savons tous désormais, le gel du corps électoral provincial n'avait vocation à s'appliquer que dans le cadre des accords de Matignon et de Nouméa. L'un de mes prédécesseurs, Dominique de Villepin, alors Premier ministre, l'avait d'ailleurs dit à la tribune du Congrès à Versailles expressis verbis en 2007.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Pour accepter cette dérogation au principe constitutionnel d'égalité des suffrages, le constituant s'était lui-même appuyé sur son caractère transitoire. Dominique de Villepin avait expliqué que le gel des listes provinciales n'était valable que pour les deux élections provinciales qui suivraient ; nous en sommes à la troisième, nous devons respecter la volonté du constituant. De quel droit continuerions-nous donc aujourd'hui, alors même que le processus des accords est clos, à exclure une partie très importante de la communauté calédonienne, qu'elle soit kanak ou non kanak, de ses droits ? Le gel du corps électoral, dans les proportions actuelles, n'est conforme ni aux principes essentiels de la démocratie, ni aux valeurs de la République.
Il est primordial que la majorité des Calédoniens puissent choisir leurs responsables locaux, alors même que le territoire connaît des difficultés économiques très fortes. Nous pensons tous évidemment au nickel. Les réserves de ce minerai, principale richesse de ce magnifique territoire, sont certes très importantes, mais ce secteur industriel est en grande difficulté. Les trois usines fonctionnent difficilement, voire plus du tout. Or le modèle économique et social du gouvernement autonome de l'archipel est fondé sur le nickel : plus de la moitié des emplois, directs et indirects, en dépendent. Et comme le gouvernement calédonien, est, je le répète, autonome, les systèmes sociaux, sanitaires et économiques en dépendent également.
Des décisions difficiles devront être prises, en lien avec l'État, qui a toujours aidé la Nouvelle-Calédonie : pour cela, le Congrès de Nouvelle-Calédonie, comme les provinces, doivent trouver une nouvelle légitimité forte grâce à un renouvellement démocratique, donc à de nouvelles élections – je le dis à des élus.
Il me semble avoir lu plusieurs fois dans les gazettes les termes « accélération » et « marche forcée ». Si nous avions voulu accélérer en nous appuyant seulement sur le résultat des trois référendums – sur le fait que la Nouvelle-Calédonie est la France et que les discussions s'arrêtent là –, nous aurions dégelé le corps électoral dès le lendemain du troisième référendum de 2021, organisé avant les élections présidentielles. Ce n'est pas ce que nous avons fait.
Je souligne par ailleurs que le Conseil d'État – qui est souvent cité à hue et à dia par l'opposition – nous a fortement suggéré qu'un décret de convocation d'un corps électoral non modifié serait attaqué, et que les élections seront annulées.
Nous devons donc corriger cette distorsion de la manière la plus consensuelle possible. Les non-indépendantistes proposaient de retenir des durées de domiciliation comprises entre trois et cinq ans : je l'ai refusé. À la demande du Président de la République, j'ai suggéré de retenir une période de dix ans. Il s'agissait de la première interprétation par le Conseil constitutionnel de la lettre de l'accord de Nouméa – proposition formulée par Lionel Jospin lui-même. Même si cela est tu, la solution de dix ans est plus proche de ce que proposaient les indépendantistes que de ce que proposaient les non-indépendantistes – chacun peut en témoigner. Alors que l'État proposait sept ans, les loyalistes trois ans, les indépendantistes pas moins de dix ans, la durée retenue, dix ans, traduit un compromis autour des propositions indépendantistes.
Je ne connais pas d'autres exemples dans le monde de pays démocratiques qui interdisent à leurs citoyens, dont la nationalité n'est pas contestée, de voter à des élections locales avant dix ans. Si vous adoptez le projet de loi constitutionnelle, aucun pays au monde ne restreindra autant le suffrage. La situation actuelle mène à l'absurde et à la voie antidémocratique : si vous n'adoptiez pas ce texte et si l'on devait continuer à appliquer le gel, nous finirions par tenir des élections sans électeur – il faudra, pour pouvoir voter, être citoyen calédonien né avant 1998. Une élection sans électeur : peut-être est-ce ce que souhaite La France insoumise ?
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
C'est donc la première fois dans l'histoire qu'un territoire qui gagne en population perd en électeurs.
Nous avons toujours affirmé notre intention d'élargir le corps électoral par une initiative unilatérale si aucun accord politique global sur un nouveau statut n'était atteint d'ici aux prochaines élections territoriales. Il s'agit désormais de décorréler le dégel, qui est une nécessité démocratique impérieuse, de l'enjeu électoral, afin que l'on puisse négocier dans la sérénité cet accord attendu par tous.
Pour conclure, j'insisterai sur le fait que ce projet de loi constitutionnelle n'hypothèque en rien la signature de l'accord global que le Gouvernement appelle de ses vœux. Le Gouvernement ne souhaite pas décaler de nouveau ces élections, mais, en cas d'accord sérieux…
…nous avons la possibilité de le faire jusqu'en novembre 2025 – le Sénat et votre assemblée conservent cette possibilité, monsieur le rapporteur – le temps que nous soumettions au Parlement un autre projet de loi constitutionnelle et un projet de statut organique et que les indépendantistes et les non-indépendantistes travaillent ensemble comme ils l'ont fait dans le passé – malgré les vicissitudes de l'histoire et le temps que parfois nous prenons.
Pour cela, il faut condamner la violence ;…
…pour cela, il faut accepter l'idée que chaque citoyen est égal devant la loi ; pour cela, il faut accepter que la démocratie s'exprime – et non les coups de hache ou les tirs à balles réelles.
Sachant que ni le Conseil constitutionnel ni le Conseil d'État n'accepteront, ils l'ont dit, un nouveau report au-delà de la date butoir de novembre 2025, comment ferions-nous pour organiser les élections si la négociation locale dure et n'est pas achevée en octobre 2025 ? Notre mécanisme doit être vu comme un filet de sécurité afin que les élections puissent se tenir et que les Calédoniens puissent voter, sans remettre en cause le droit à l'autodétermination ni un nouvel accord.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Au nom du Gouvernement, j'appelle cet accord de mes vœux : après l'adoption, je l'espère, ce soir, de ce texte, le Gouvernement invitera les parties calédoniennes à Paris pour discuter avec le Premier ministre et les membres du Gouvernement des moyens de parvenir à un accord global, qui se dessine depuis de longs mois sans jamais être conclu. Notre main est donc toujours tendue pour une discussion trilatérale : tel est le message que le Président de la République a envoyé hier à l'ensemble des partenaires en annonçant que la convocation du Congrès à Versailles devrait attendre le temps de réamorcer un cycle de discussions à Paris. Nous formons le vœu que celui-ci puisse s'organiser rapidement et que tous acceptent d'y participer.
En Nouvelle-Calédonie, près de trois années se sont écoulées depuis le dernier référendum. Le dossier peut paraître bien épineux depuis l'Hexagone, et parfois politisé depuis Paris, mais quiconque se rend sur place constate que les Calédoniens, quelles que soient leurs opinions politiques, souhaitent vivre en paix, pour leur jeunesse en particulier, après tant de sang versé. Plus qu'utile, la réforme sans doute exigeante que nous proposons, en prévoyant le dégel du corps électoral, empêchera que les élections soient annulées indéfiniment, permettra que les institutions œuvrant à la lutte contre le réchauffement climatique de l'archipel fonctionnent, pour assurer un avenir à la jeunesse et rétablir la bonne marche de l'économie au moment où de grandes puissances mondiales jettent sur cette magnifique terre un regard prédateur.
Les Calédoniens attendent des solutions. Les acteurs économiques en ont besoin, les acteurs institutionnels les appellent de leurs vœux, les citoyens en ont envie, les partenaires de la zone indo-pacifique nous regardent avec intérêt.
Il est de la pleine responsabilité de l'État de garantir l'expression du droit de suffrage dans l'ensemble des territoires de la République. En votant ce projet de loi constitutionnelle, mesdames et messieurs les députés, vous ne ferez qu'une chose : rétablir la démocratie.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR. – M. Philippe Gosselin applaudit également.
La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Mes chers collaborateurs avaient brillamment rédigé un discours, de facture classique, mais compte tenu de ce qui s'est passé cette nuit à Nouméa, il aurait été de ma part déplacé de me contenter de lire un papier.
Ce projet de loi constitutionnelle dépasse le simple contenu des articles qui le composent : c'est un projet de société qui est en débat en ce moment en Nouvelle-Calédonie. Son enjeu est démocratique : il s'agit de faire en sorte que chaque Calédonien, qu'il soit en Nouvelle-Calédonie parce qu'il y est né ou parce que les aléas de la vie l'y ont mené, puisse voter pour choisir ses représentants et ses politiques publiques.
Aujourd'hui, ce droit est remis en cause par la violence : trente-cinq gendarmes ont été blessés cette nuit à Nouméa lors d'affrontements qui se prolongent aujourd'hui. Je voudrais apporter mon soutien aux gendarmes et aux policiers.
Les députés des groupes RE, RN, LR, Dem, HOR et LIOT se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – MM. Manuel Bompard, Arnaud Le Gall et Stéphane Peu applaudissent également. – M. le garde des sceaux, se tournant vers les bancs du groupe LFI – NUPES, s'exclame : « Quelle honte ! »
Je voudrais aussi apporter mon soutien à ceux qui résistent, à ceux qui ont passé la nuit chez eux, par peur, à ceux à qui on a demandé de ne pas réagir. J'adresse une pensée aux chefs d'entreprise qui ont tout perdu après l'incendie de leur usine ou de leur dock. Je remercie ceux qui vivent dans les quartiers défavorisés, où se déroulent les manifestations les plus importantes. Je remercie aussi la population kanak indépendantiste qui, malgré son opposition à ce texte, n'a pas souhaité la violence et je condamne bien évidemment ceux qui l'ont appelée de leurs vœux, ce dont ils devront répondre.
Ce débat de société est fondamental pour la Nouvelle-Calédonie dans la mesure où il soulève la question de l'universalisme. Y aurait-il des Calédoniens plus importants que les autres ? Les descendants d'un peuple qu'on qualifie de premier – est-ce à dire qu'il y a des peuples seconds – seraient-ils plus légitimes que ceux qui sont arrivés après ?
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
L'universalisme veut que tous les citoyens naissent libres et égaux en droit, or, en Nouvelle-Calédonie, il existe actuellement une volonté de hiérarchiser les gens en fonction de leur couleur de peau, de leur lieu de naissance, de leurs ancêtres.
Pendant les événements couvrant la période de 1984 à 1988, circulait une phrase dans les mouvements indépendantistes que nous reprenons à notre compte aujourd'hui : le plus dur n'est pas de mourir mais de se sentir étranger dans son propre pays. Bien évidemment, personne n'a envie de mourir, moi le premier, mais ce que nous ne voulons pas, c'est nous sentir étrangers dans notre propre pays. Que tous ceux qui prendront la parole lors de ce débat, quel que soit leur avis sur ce texte, mesurent bien ce qu'ils vont dire.
Je n'ai jamais voulu être député. Ce n'était pas ma vocation et ce sont les aléas de l'histoire qui font que je me trouve devant vous, chers collègues. Je tiens à vous dire combien vous avez de la chance de vivre dans la plus belle des démocraties. Je voudrais la même chose pour mon île. Sachez une chose : ceux que je représente sont déterminés à faire de la Nouvelle-Calédonie un territoire démocratique, fondé sur des valeurs universelles, celles de notre République mais aussi de toutes les républiques du monde. Je salue leur détermination et les remercie de leur soutien.
On oppose à la démocratie le concept de décolonisation. Je le répète : y a-t-il un territoire plus décolonisé que la Nouvelle-Calédonie, sachant que la décolonisation n'est pas l'indépendance, selon l'ONU elle-même ?
Nous avons signé des accords, transféré des compétences, créé le dispositif de l'emploi local, par lequel priorité est donnée aux citoyens calédoniens, gelé le corps électoral et organisé, sur cette base, trois référendums pour choisir notre avenir. En disant trois fois « non », nous avons par trois fois dit « oui » à la France. Si nous ne sommes pas un territoire décolonisé, alors qu'est-ce qu'un territoire décolonisé ?
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, RN, LR, Dem et HOR.
Ce projet de loi constitutionnelle ayant pris l'ampleur d'un débat de société, je me retrouve à le défendre alors que j'y étais opposé, monsieur le ministre, cher Gérald, totalement opposé.
Sourires sur les bancs du Gouvernement.
Vous avez donné raison aux indépendantistes dans les deux articles du texte, et je ne plaisante pas.
Nous, non-indépendantistes, avons réclamé le suffrage universel puisque nous avons choisi la France. Pour le temps de présence nécessaire, nous avions proposé une période de trois ans. Voyant que vous étiez encore méchants, nous avons avancé cinq ans mais, vous nous avez mis un coup sur la tête, avec votre solution de sept ans. Puis, quand les indépendantistes ont déclaré qu'ils n'accepteraient pas moins de dix ans, vous vous êtes ralliés à eux.
Vous avez aussi prévu à l'article 2 que le texte
Monsieur le ministre, la politique étant ce qu'elle est, les loyalistes font encore une fois preuve de bon sens : ils défendent un texte auquel ils sont quelque peu opposés. Comme le débat porte désormais sur les valeurs, les valeurs profondes que nous tous défendons ici, je vous appelle solennellement, chers collègues, à voter ce projet de loi constitutionnelle. Votez-le pour ceux qui, de bonne foi, se sont mobilisés par trois fois pour dire « oui » à la France alors qu'une fois suffisait ; votez-le pour ceux qui, toute la nuit, ont subi la violence et les exactions d'une jeunesse perdue
M. Antoine Léaument s'exclame
à qui on a menti pendant près de trente ans ; votez-le pour qu'à l'autre bout du monde, les valeurs de la République française demeurent éternelles.
Les députés des groupes RE, Dem et HOR se lèvent et applaudissent – M. Roger Chudeau se lève et applaudit également. – Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs du groupe RN.
La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Merci, monsieur le rapporteur, pour votre poignant témoignage. Depuis trente-cinq ans, la Nouvelle-Calédonie, par sa situation exceptionnelle en tout point, fait l'objet d'un traitement politique, économique et juridique tout particulier. Sans qu'il soit besoin de refaire l'histoire que chacun a ici en tête, je veux rappeler, face aux antagonismes politiques suscités par ce projet de loi constitutionnelle, quelques évidences juridiques.
L'accord de Nouméa prévoyait la tenue d'un à trois scrutins locaux sur l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie à partir de 2014. Le premier scrutin a eu lieu en 2018. Deux consultations supplémentaires ont été organisées à la demande d'une partie des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie, comme le permettait l'accord : la deuxième en 2020, la troisième en 2021. Par trois fois, le non à l'accès à la pleine souveraineté, autrement dit le non à l'indépendance, l'a emporté.
La troisième consultation a fait l'objet d'un appel au boycott de la part de certaines des parties qui s'appuient sur ce fait pour en contester la légitimité.
Vous n'avez pas voulu les écouter. Leurs arguments étaient pourtant justes !
Toutefois, en démocratie, le résultat d'un scrutin s'impose à tous, votants comme non votants. La validité juridique de cette consultation et de son résultat a d'ailleurs été rappelée par deux fois par le Conseil d'État, par le rejet d'un recours contre le décret de convocation et d'un autre contre le résultat.
Les trois scrutins de l'accord Nouméa ont donc eu lieu régulièrement : la période prévue par cet accord est désormais révolue. Nous sommes d'ores et déjà dans l'après-Nouméa : conformément à l'accord lui-même, le moment est donc venu pour les parties de se réunir « pour examiner la situation ainsi créée ».
C'est à la lumière de ces circonstances que doit être examinée la question de la réforme du corps électoral spécial provincial. Celui-ci déroge aux principes d'égalité et d'universalité du suffrage, consacrés par la Constitution mais aussi par le droit international et européen. Saisi de la question, le Conseil d'État a confirmé, le 7 décembre 2023, l'incompatibilité des règles en vigueur avec les engagements internationaux de la France. En clair, toute élection qui se tiendrait en 2024 ou après, en application du cadre de l'accord de Nouméa, encourrait une annulation certaine. J'invite chacun à considérer le fait que l'État de droit en France n'est pas à la carte. Parmi les engagements internationaux de notre pays, il n'y a pas les bons et les mauvais : tous s'appliquent à la lumière de l'article 55 de la Constitution et de son interprétation par le juge constitutionnel.
En droit comme en fait, il n'est plus acceptable qu'un nombre croissant d'électeurs soient exclus du suffrage. Et si ces dérogations avaient été validées par le juge européen en 2005, c'était uniquement sur la base d'un corps électoral glissant et non gelé, et dans le contexte transitoire, je dis bien transitoire, de l'accord de Nouméa. C'est pourquoi il importe, c'est même un devoir, que les règles soient modifiées dans l'accord global que les parties locales cherchent à construire, avec le soutien de l'État, depuis le troisième référendum. Le consensus entre acteurs locaux n'a pas encore été atteint mais, en attendant, les élections provinciales doivent avoir lieu. Dans quel type de pays refuse-t-on ou reporte-t-on indéfiniment l'organisation d'élections ?
Dans ces circonstances, le projet de loi constitutionnelle permet de régler la question du corps électoral. La démarche n'est en rien exclusive d'un accord local, contrairement à ce que certains feignent de croire ici. Le texte initial y veillait déjà, en prévoyant qu'en cas d'accord entre les acteurs locaux, l'article 1
En 1988 pour l'accord de Matignon, puis en 1998 pour l'accord de Nouméa, tous les acteurs impliqués ont su faire preuve de responsabilité face aux défis qui étaient les leurs : restaurer ou préserver la paix civile et fixer les conditions du développement économique et institutionnel de la Nouvelle-Calédonie pour les années à venir. En l'absence d'accord à cette date, cette responsabilité nous incombe aujourd'hui.
Si nous – l'État – ne nous montrons pas capables d'accompagner les Calédoniens dans la définition et la transcription juridique d'une solution juste et conforme aux valeurs de la République, nous laissons la place à des puissances étrangères qui ne cherchent qu'à tirer un profit politique ou économique de la situation en Nouvelle-Calédonie. Je pense à la Chine mais aussi à l'Azerbaïdjan, où une délégation indépendantiste du Congrès a effectué un déplacement récent. Ces risques d'ingérence appellent une réponse musclée de notre part – tel est l'objet de ma proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale et discutée au Sénat.
En attendant que les discussions locales portent leurs fruits et débouchent sur un accord, j'invite chacun à prendre ses responsabilités en adoptant ce texte qui garantit le fonctionnement démocratique normal de la Nouvelle-Calédonie. J'appelle enfin les groupes parlementaires à respecter le débat et les interlocuteurs, qu'ils soient indépendantistes ou loyalistes. Je le dis au groupe La France insoumise : parasiter le débat calédonien avec vos lubies constitutionnelles sans rapport avec le sujet, c'est irrespectueux.
Vous avez le choix de persister dans cette voie ou de retirer les amendements dont vous savez pertinemment qu'ils n'ont aucun lien avec le présent débat.
Le cas échéant, j'informe l'Assemblée que j'ai demandé l'examen prioritaire des articles 1er et 2, pour qu'elle soit réellement saisie de la question calédonienne.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – Mme Sophia Chikirou s'exclame.
J'ai reçu de M. Boris Vallaud et des membres du groupe Socialistes et apparentés une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5 du règlement.
La parole est à M. Arthur Delaporte.
À quelques mètres de cet hémicycle, dans la perspective de la salle des quatre colonnes, avant l'ascenseur dit des ministres, se trouve un écriteau doré : « salle Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou ». Nous passons devant chaque jour, sans toujours nous rappeler qu'au cœur même de notre assemblée, nous avons choisi de célébrer ces responsables politiques pacifiques et audacieux qui ont su, au-delà du spectre d'un conflit civil et du fossé tracé par la colonisation, dépasser leurs différences, les inimitiés et les haines. Ils ont pris ensemble le risque des accords de Matignon-Oudinot et ont fondé en 1988 l'édifice sur lequel repose, aujourd'hui encore, le statut de la Nouvelle-Calédonie. Ce risque, Jean-Marie Tjibaou l'a payé de sa vie : il est mort assassiné, avec Yeiwéné Yeiwéné, il y a trente-cinq ans et neuf jours, le 4 mai 1989.
Si notre assemblée rend honneur à ces hommes de paix, c'est qu'elle célèbre à travers eux une méthode, celle du dialogue et du consensus, mais aussi une forme d'humilité et de refus des certitudes établies. L'histoire de la Nouvelle-Calédonie – ses soubresauts comme ses avancées soudainement spectaculaires – nous rappelle aussi la nécessité permanente d'aborder ce sujet avec la même humilité à l'égard de ce territoire si riche et qui, éloigné géographiquement de l'Hexagone, reste trop méconnu.
Pourtant, l'histoire du Caillou est en partie la nôtre : le meilleur de la République qui a su y inventer un processus de décolonisation inédit ; le pire, aussi, des conséquences de la colonisation ; les ombres et les lumières. Cette île fut avec l'Algérie l'une des deux colonies de peuplement françaises – une colonie pénitentiaire pour les communards ou les rebelles algériens, où furent envoyés forçats et déportés ainsi que les orphelines, pour renforcer la présence féminine. Des violences y furent commises contre les peuples premiers, décimés notamment par les épidémies ou la violence des colons, dépossédés de leurs terres.
L'histoire est ainsi faite de soubresauts, de progrès puis, parfois, de reculs. La loi du 23 juin 1956, relative aux mesures propres à assurer l'évolution des territoires relevant du ministère de la France d'outre-mer – dite loi-cadre Defferre –, a octroyé le droit de vote à ceux qui, jusqu'en 1946, n'étaient même pas des citoyens mais des sujets.
Dans les années 1970, les équilibres démographiques ont été bouleversés par une immigration nouvelle liée au boom du nickel, mais aussi à la volonté de limiter les revendications indépendantistes. Le Premier ministre d'alors, Pierre Messmer, souhaitait poursuivre le peuplement pour que « les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire ».
C'est avec l'accord de Matignon en 1988, après les événements tragiques d'Ouvéa qui se sont soldés par la mort de dix-neuf Kanaks et de deux militaires, que la République a changé profondément de rôle et s'est engagée, de façon durable et – disait-on alors – irréversible, dans un processus de décolonisation. Notre parlement y a bien entendu joué un rôle majeur, mais humble. Depuis trente-cinq ans, le législateur est le greffier discipliné de consensus et de compromis politiques et juridiques élaborés à 17 000 kilomètres de l'hémicycle.
Cet équilibre, précieux et patiemment élaboré, reste précaire. C'est donc aujourd'hui, en toute humilité mais avec une inquiétude certaine, que le groupe Socialistes a déposé une motion de rejet préalable.
Ce projet de loi constitue en effet une profonde rupture dans le principe du consensus qui a, de façon continue, prévalu depuis l'accord de Matignon. La méthode visant l'apaisement, conduite par Michel Rocard puis Lionel Jospin avec l'accord de Nouméa en 1998, et appliquée par leurs successeurs à Matignon, est aujourd'hui remise en cause. Ce projet provoque de vives tensions qui augmentent d'heure en heure. Permettez-moi de saluer les forces de l'ordre blessées hier dans l'exercice de leurs missions ,
M. Gérald Darmanin acquiesce
Ces tensions nous inquiètent profondément, comme elles inquiètent tous les observateurs avertis et au premier chef, tous les citoyens et habitants de Nouvelle-Calédonie, quel que soit leur positionnement politique. Il y a un mois jour pour jour, indépendantistes et loyalistes ont manifesté massivement dans les rues de Nouméa : deux cortèges, l'un en soutien à cette réforme constitutionnelle, l'autre hostile. Comment en sommes-nous arrivés à des manifestations si massives ? Pourquoi, pour la première fois depuis trente-cinq ans, rencontre-t-on autant de colère ?
Tout d'abord, le calendrier de cette réforme est à contretemps. Elle intervient alors que la situation économique et sociale est sous tension, à cause de la crise de la filière nickel. Si ce projet est adopté, le risque existe que les élections provinciales prochaines soient contestées et que le pouvoir local soit affaibli. Des similitudes avec la situation antérieure à 1988 – toutes choses égales par ailleurs – sont frappantes. Ce projet de loi, qui divise plus qu'il ne rassemble, offre aussi un terrain de jeu aux ingérences étrangères, chinoises ou russes, ou à celles de leurs vassaux.
Ce texte, rejeté par le Congrès de Nouvelle-Calédonie qui nous invite à ne pas le voter, divise donc. Pourtant, comme le rappelle l'ancien garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas, le dossier calédonien est marqué par une constante : « c'est le consensus politique local, et non la loi du plus fort, qui produit du droit. » La méfiance s'installe, le soupçon de la partialité de l'État également. Que dire, monsieur le ministre, quand vous brandissez un document au Sénat pour livrer la position de l'une des parties et affirmer – vous l'avez d'ailleurs répété à l'Assemblée – qu'il existerait un accord des indépendantistes à la réforme du corps électoral des élections provinciales ? Le document indique qu'il n'y a certes pas d'opposition sur le principe à une révision des règles d'inscription, mais dans le cadre d'une discussion d'ensemble et après avoir déterminé l'impact précis de la réforme. Nous sommes bien loin de ce qu'on appelle un accord.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Rappelons qu'en raison du contexte général de mal-inscription électorale, comme le rapporte le chercheur Sylvain Brouard, nous manquons de données et de projections fiables. La non-intégration de la Nouvelle-Calédonie dans le répertoire électoral unique en rend le recueil difficile.
Le capital de confiance de votre gouvernement est donc érodé et il faut le rétablir. Pourtant, « La condition d'une paix durable : l'État impartial et au service de tous » était le titre du premier texte de l'accord de Matignon. « Pour remplir son rôle, l'État doit rester neutre et à égale distance », nous disait d'ailleurs en audition Jean-Marc Ayrault, selon lequel la nomination au Gouvernement de la présidente de la province Sud en 2022 était chargée d'une symbolique négative : nommer une secrétaire d'État issue du milieu loyaliste auprès du ministre chargé du dossier calédonien a contribué à renforcer l'apparence d'un traitement déséquilibré.
Cette même ancienne secrétaire d'État à la citoyenneté se fait désormais menaçante envers la représentation nationale, en affirmant : « Je le dis à tous les parlementaires qui tremblent, qui ont peur que ce soit le bordel en Nouvelle-Calédonie… Le bordel, c'est nous qui le mettrons si vous ne votez pas ce texte ! »
Des indépendantistes se livrent également à des propos menaçants. Depuis dix jours – nous l'avons évoqué –, la tension est encore plus vive : manifestations devant les gendarmeries, pillages, feux, agressions armées des forces de l'ordre... Tout cela devrait nous inciter à la plus grande tempérance parce qu'il y va de la paix civile.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et LFI – NUPES. – M. Paul Molac applaudit également.
Or, outre l'absence de neutralité de l'État – il faut le reconnaître –, notre assemblée n'a pas été exemplaire en choisissant de nommer comme rapporteur un défenseur revendiqué du dégel immédiat du corps électoral et de la reprise en main du nickel par l'État.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et LFI – NUPES.
René Dosière, ancien rapporteur du statut de la Nouvelle-Calédonie qualifie le rapport sur ce projet de loi constitutionnelle de « brûlot anti-indépendantiste qui réécrit à sa manière l'histoire politique récente ». Dans un contexte politique aussi critique, la posture de notre assemblée doit être la recherche d'un chemin d'équilibre et le refus de la polarisation.
Mêmes mouvements.
Il n'est pas trop tard pour cela. Pourquoi, alors, faudrait-il à tout prix et en toute urgence voter une réforme visant à transformer la composition du corps électoral des élections provinciales ? II n'y a pourtant pas d'obstacle juridique à donner du temps au temps.
Rappelons en préalable que trois corps électoraux existent en Nouvelle-Calédonie : le premier, pour les élections municipales, législatives, présidentielles, référendaires ou européennes de juin prochain, est le même que celui qui prévaut dans l'Hexagone ; le second corps électoral était en vigueur pour les trois référendums d'autodétermination et comportait des restrictions ; le troisième, celui dont nous sommes saisis aujourd'hui, est la liste électorale spéciale pour les élections provinciales, qui comporte également des restrictions, notamment le gel de l'antériorité de la présence sur le territoire, inscrit dans notre Constitution en 2007 bien qu'il soit le fruit d'un consensus antérieur.
Pourquoi a-t-il fallu attendre 2007 ? Parce que le Conseil constitutionnel, en 1999, a émis une réserve d'interprétation sur le corps électoral des élections provinciales après l'accord de Nouméa. Pour rétablir l'esprit de Nouméa et donc le gel, l'Assemblée nationale et le Sénat ont voté dès 2000 une réforme constitutionnelle mais, le Congrès n'ayant pas été convoqué pour des raisons extérieures au sujet, il a fallu attendre 2007 pour que ce gel soit effectivement inscrit dans notre Constitution. On se garde bien trop souvent de rappeler cet épisode de 1999 et 2000, alors qu'il s'agissait de transcrire dans le droit le fruit d'un consensus général, local et national entre la gauche et la droite, entre les indépendantistes et les loyalistes, afin de respecter – comme le disait alors solennellement Dominique de Villepin – un accord entre des partenaires mais aussi une parole donnée par l'État en 1988 puis un engagement du Premier ministre Jospin et du Président Chirac.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Disons-le une bonne fois pour toutes : personne ne conteste que les règles actuelles doivent être révisées car elles comportent leur lot d'injustices. Mais le Conseil d'État a rappelé que le cadre juridique pouvait s'appliquer jusqu'à ce que soit élaboré le prochain statut et qu'un délai de dix-huit mois de report des élections provinciales, c'est-à-dire jusqu'en novembre 2025, n'était pas contraire à l'objectif de réforme institutionnelle globale. Pourquoi, alors, un tel empressement et vouloir changer la Constitution avant le 1er
Si l'on doit effectivement réfléchir, au nom du principe d'égalité auquel nul ne s'oppose, au dégel du corps électoral, la restriction a de fait, elle aussi, une nature constitutionnelle. Nous devons donc ici concilier plusieurs principes à valeur constitutionnelle. La restriction du corps électoral, temporaire et parce qu'elle s'inscrit dans un processus de décolonisation, autorise une dérogation aux principes d'égalité devant le suffrage. Elle a d'ailleurs été validée par la Cour européenne des droits de l'homme et, plus récemment, par la Cour de cassation dans un arrêt de juin 2023 : c'est la nécessaire prise en compte des spécificités locales.
Permettez-moi également de rappeler ici le point 5 de l'accord de Nouméa, intitulé « L'évolution de l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie » : « Tant que les consultations n'auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l'organisation politique mise en place par l'accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d'évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette ''irréversibilité'' étant constitutionnellement garantie. » Force est de constater que les consultations n'ont pas encore abouti à une nouvelle organisation politique. Il convient donc, dans l'attente et dans l'esprit de l'accord de Nouméa, de maintenir la forme actuelle, notamment les conditions d'accès à la citoyenneté calédonienne.
Or l'accès à cette citoyenneté, reconnue par la Constitution, est la conséquence de l'inscription sur les listes électorales provinciales. Si on touche au corps électoral et provincial, on touche à la citoyenneté. La réforme dont nous sommes aujourd'hui saisis n'est donc pas une simple réforme technique, puisqu'elle aura une influence sur l'identité commune. Eu égard à cette dimension, le dégel du corps électoral des élections provinciales ne peut donc être engagé indépendamment d'une réflexion d'ensemble, et donc d'un accord global. Nous ne pouvons pas retirer ainsi de la discussion et des négociations que nous appelons de nos vœux, l'un des piliers et des éléments déterminants de cette même discussion. L'ensemble des justifications du Gouvernement ne parvient donc ni à convaincre ni à justifier le caractère urgent de la réforme : rien n'empêche de maintenir le cadre électoral actuel.
Il n'est pas trop tard pour reprendre le chemin des discussions et écrire ensemble un destin commun, mais il faut agir vite. Deux conditions nous semblent essentielles. La première, c'est de suspendre le cheminement de cette réforme, ce que peut décider à tout moment le Gouvernement et ce qu'a pu laisser entendre hier le Président de la République – espérons que cette annonce sera suivie d'effet. Le législateur peut d'ores et déjà acter cette suspension en adoptant cette motion de rejet, qui n'empêchera pas l'examen ultérieur d'une réforme constitutionnelle enrichie et consensuelle. Seconde condition : l'État doit au plus vite retrouver son rôle d'intermédiaire impartial. C'est possible en lançant, sous la responsabilité du Premier ministre, une nouvelle mission du dialogue.
« Jamais personne, nous dit Édouard Philippe, ne s'est posé la question du domaine réservé du Premier ministre. Pourtant, depuis Rocard, une forme d'usage s'était installée et voulait que les Premiers ministres s'occupent du dossier de la Nouvelle-Calédonie. » Ces mots d'un ancien Premier ministre, le dernier à s'être véritablement saisi du dossier, ne sont pas sans importance pour comprendre la présente situation de blocage. La dimension interministérielle, l'invention d'un statut territorial sui generis, les enjeux culturels, sociaux et économiques entremêlés, la nécessité de rendre des arbitrages cruciaux et d'engager par sa parole l'ensemble du gouvernement : voilà autant d'ingrédients qui ont permis aux Premiers ministres successifs, lorsque ce dossier a été porté par Matignon, de développer une culture menant à la construction du consensus.
Il est donc urgent que le Premier ministre se saisisse du dossier. C'est d'ailleurs ce à quoi ont appelé les trois anciens Premiers ministres auditionnés ainsi que les présidents des groupes socialistes à l'Assemblée nationale et au Sénat. Ce faisant, ils ont rappelé la nécessité de mettre en place une mission du dialogue. De leur côté, les rapporteurs de la délégation aux outre-mer, dans le rapport d'étape sur la situation en Nouvelle-Calédonie, ont demandé que l'État mette en place une mission impartiale.
Pour que la méthode patiemment construite du consensus et du dialogue ne soit pas altérée par le vote d'une réforme constitutionnelle contre l'avis d'une partie des Calédoniens, nous avons demandé à plusieurs reprises au Gouvernement et la semaine dernière au Président de la République de suspendre l'examen du texte. Force est de constater que nous sommes aujourd'hui réunis pour en débattre et que nos interpellations n'ont pas eu le succès espéré. Il n'est pas trop tard pour que notre assemblée retrouve son esprit de responsabilité, surtout compte tenu de la situation en Nouvelle-Calédonie en ce moment même. À défaut de suspension de l'examen du texte, nous sommes contraints de vous appeler à la responsabilité en vous demandant d'adopter cette motion de rejet.
Permettez-moi de conclure en vous faisant part de l'inquiétude que suscitent en moi, au groupe Socialistes et apparentés – et, je pense, chez l'ensemble des parlementaires et des citoyens français – les faits qui se déroulent actuellement à Nouméa. Cette situation n'est pas inextricable : il est de notre responsabilité collective d'y mettre fin. Si vous n'adoptez pas la motion de rejet, j'espère à tout le moins que nos débats n'empêcheront pas un retour au calme et un accord, que nous souhaitons ardemment.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Sabrina Sebaihi et M. Stéphane Peu applaudissent également.
J'interviens brièvement – car M. le garde des sceaux et moi-même nous sommes déjà longuement exprimés – pour dire à M. Delaporte que je trouve ses arguments quelque peu spécieux, notamment en ce qui concerne les personnes.
Vous reprochez à Mme Backès d'être devenue ministre du gouvernement de la République
« Non ! » sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES et SOC.
Les citoyens calédoniens seraient-ils donc les seuls citoyens à ne pas pouvoir être ministres dans leur pays ?
Je rappelle que Mme Backès n'était chargée ni du dossier calédonien ni de l'outre-mer.
En outre, vous regrettez que votre assemblée ait choisi de désigner comme rapporteur un député élu en Nouvelle-Calédonie. Effectivement, il est très bizarre qu'un parlementaire élu dans un territoire soit rapporteur d'un texte qui concerne ce territoire !
En l'occurrence, cela ne participe pas à l'apaisement, il faut le reconnaître !
Il est vrai qu'habituellement, aucun député ultramarin n'est rapporteur d'un texte portant sur l'outre-mer, aucun député du monde rural n'est rapporteur d'un texte portant sur la ruralité et aucun député dont la circonscription comprend des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) n'est rapporteur d'un texte à leur sujet !
D'après le groupe Socialistes et apparentés, il faudrait donc que les citoyens calédoniens ne soient pas ministres, ne soient pas rapporteurs et ne votent pas aux élections provinciales !
Exclamations sur quelques bancs du groupe SOC.
Ce serait tellement facile si les Calédoniens voulant rester Français ne pouvaient pas s'exprimer au sujet du territoire qui leur est cher ! On le voit bien, vos arguments sont spécieux.
Il a parlé quinze minutes ! Quinze minutes, et vous ne répondez qu'à cela ?
M. Metzdorf, par sa tempérance et, oui, parce qu'il est Calédonien, pouvait mieux que personne ici s'exprimer au sujet de la Nouvelle-Calédonie, ce qui n'empêche d'ailleurs personne d'avoir des opinions différentes. Or je crains, monsieur Delaporte, que nous parlions ce soir de la Nouvelle-Calédonie et non de la Normandie.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem. – Exclamations sur les bancs des groupes LFI – NUPES et SOC.
C'est très méprisant pour la représentation nationale. Me répondrez-vous sur le fond ?
Le groupe Horizons et apparentés votera contre cette motion de rejet préalable. Nous estimons, comme toujours face à ces incessantes motions de rejet préalable ,…
« Ah ! » sur les bancs du groupe LFI – NUPES
…que nous devons débattre, dialoguer, confronter nos points de vue pour tenter d'atteindre un consensus, une majorité.
Mme Danièle Obono s'exclame.
C'est, au fond, ce que tout le monde appelle de ses vœux sur la question calédonienne. Visiblement, vous pensez que c'est valable pour les autres, mais jamais pour vous.
La question du dégel du corps électoral est essentielle et structurante pour la Nouvelle-Calédonie. Elle suscite des inquiétudes légitimes au sein de tous les bords politiques, des indépendantistes aux loyalistes. La durée de dix ans de résidence exigée est-elle trop courte ou trop longue ? Je crois qu'elle constitue un point d'équilibre.
Ce projet de loi constitutionnelle empêche-t-il la poursuite des négociations ? Non, au contraire. Il est important de rappeler le caractère novateur du texte : il n'entrera en vigueur qu'en l'absence d'un accord pouvant être conclu jusqu'à dix jours avant la tenue des élections. Il offre donc aux parties prenantes un nouveau délai indispensable à la recherche du consensus. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous soutenons ce texte.
Enfin, l'éventuelle adoption du projet de loi constitutionnelle par notre assemblée n'emportera pas dégel immédiat du corps électoral, car le Congrès devra pour cela être convoqué. Je le répète, cette réforme ne s'appliquera qu'en l'absence d'un accord que nous appelons évidemment de nos vœux.
Le dialogue est essentiel en démocratie, en Nouvelle-Calédonie comme dans cet hémicycle. Nous voterons donc contre la motion de rejet.
Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.
Je regrette l'indigence de la réponse de M. Darmanin à une argumentation déployée, pendant quinze minutes, sans polémique, documentée et respectueuse du pluralisme des opinions.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Chacun doit mesurer ce que signifiera pour la Nouvelle-Calédonie le vote que nous nous apprêtons à tenir. Comme l'a rappelé M. Delaporte, depuis les accords de Matignon en 1988 et de Nouméa en 1998, l'État a joué un rôle précis : celui du garant d'une méthode fondée sur l'équilibre, la recherche du consensus et la paix civile. Cette méthode a continûment fait ses preuves et la population calédonienne a pu, grâce à des accords consensuels, avancer vers un statut adapté à son territoire et à son histoire.
Si toutes les parties sont d'accord pour faire évoluer le corps électoral de la Nouvelle-Calédonie, force est de constater que la proposition qui nous est soumise aujourd'hui n'est pas une proposition de consensus. Ce qui manque pour aboutir au consensus, c'est du temps. Le Président de la République lui-même, en annonçant le report de la réunion du Congrès, ne dit pas autre chose. Nous avons besoin de temps pour organiser des négociations. Oui, elles ont déjà commencé et durent depuis des années, mais tel est le prix d'une solution pacifique pour la Nouvelle-Calédonie.
Au fond, si le temps que nous vous demandons par cette motion de rejet préalable est le prix de la paix, il n'est pas cher payé : nous voyons déjà les tensions se faire jour. Nous demandons la paix civile, le respect du droit de manifestation et condamnons les excès de force à chaque fois qu'ils surviennent. Par cette motion de rejet, nous demandons non la rupture des négociations, mais leur poursuite, leur reprise par l'envoi d'une mission du dialogue. Nous demandons que le Premier ministre se ressaisisse du sujet, comme l'ont toujours fait ses prédécesseurs au cours de l'histoire.
La neutralité de l'État est la condition du consensus, de la paix civile et de l'émergence d'une solution acceptée par tous les acteurs de la démocratie néo-calédonienne. Voilà pourquoi nous appelons au vote de cette motion de rejet !
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Ia ora na, bonjour à tous. Nous, membres du groupe Gauche démocrate et républicaine, voterons la motion de rejet. Dans l'article 2 de ce projet de loi constitutionnelle est inscrite l'importance « d'assurer à tous les citoyens de Nouvelle-Calédonie un destin commun ». C'est le seul passage du texte où est mentionnée cette notion qui renvoie à la question de la décolonisation de la Nouvelle-Calédonie.
Dans l'ensemble du texte, il est question de démocratie. Je ne vous demanderai pas de renier vos valeurs, de renier la démocratie. Nous la chérissons tous, dans tous nos territoires, qu'ils soient indépendants ou sous tutelle de la République. Par contre, ce que nous condamnons et qui nous pousse à nous interroger, c'est la décision du gouvernement français de mettre en avant la question de la démocratie et le seul gel du corps électoral pour promouvoir un accord négocié avec une seule partie, au lieu de rechercher un accord global réunissant toutes les parties.
Le rapport à la naissance, à la mort, au mariage, n'est pas le même dans nos pays. J'en prends à témoin Nicolas Metzdorf, Philippe Dunoyer et tous les Océaniens présents ici. La moitié de la population de la Nouvelle-Calédonie est née pour être libre et indépendante ; qu'en fait-on ?
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR – NUPES, LFI – NUPES et sur plusieurs bancs des groupes Écolo – NUPES. – M. Inaki Echaniz applaudit également.
La moitié de la population souhaite rester française, et il faut l'y encourager, mais que faisons-nous de l'autre moitié de la population, des habitants déjà nés qui ne veulent pas de la République et de ceux, encore à naître, qui n'en voudront pas ? S'ils n'en veulent pas, ce n'est pas parce qu'ils sont opposés à la République, mais parce qu'ils sont fiers d'être Kanaks. Or le texte manque de cette substance : la fierté d'être Kanak, de mourir Kanak et d'être né sur une terre kanak. Nous voterons donc contre le projet de loi constitutionnelle.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR – NUPES et sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
En ma qualité d'élu, je suis profondément interpellé par la façon dont est piétinée toute volonté de poursuivre le dialogue et la concertation entre les différentes composantes du paysage politique néo-calédonien. Alors même que le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, par une résolution votée ce jour, demande au Gouvernement de retirer le texte, vous semblez avoir opté pour le jusqu'au-boutisme. Vous jouez avec un feu déjà bien vif. Le risque d'embrasement nous guette. Vous semblez en avoir conscience, puisque la réunion du Congrès qui devait se tenir à Versailles peu après l'issue du vote sera vraisemblablement reportée, à une date située avant le 1er juillet.
Réviser la Constitution sans accord local de toutes les parties n'est pas une méthode respectueuse ,
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Elie Califer applaudit également
a fortiori lorsqu'il s'agit de la Nouvelle-Calédonie, territoire le plus autonome de la République. En dégelant le corps électoral malgré l'absence d'accord, vous rompez de manière brutale les équilibres électoraux. Vous comptez intégrer plus de 25 900 électeurs aux listes des prochaines élections du Congrès et des assemblées de province, soit 14 % d'électeurs de plus. À l'échelle nationale, ce chiffre équivaudrait à 5 millions d'électeurs supplémentaires. Je doute fort qu'on aurait permis un déséquilibre aussi brutal s'il s'était agi d'une élection nationale ! Mais en outre-mer, cela semble faire partie du champ des possibles.
Par ailleurs, je déplore que notre pays, la France, qui fait souvent la leçon aux autres pays en la matière, transgresse ses engagements internationaux. Je rappelle que l'ONU a inscrit depuis 1986 la Nouvelle-Calédonie sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser.
Ainsi, monsieur le ministre, je vous invite à faire preuve de plus de prudence, comme vous y invitent également les trois anciens Premiers ministres auditionnés. Nous voterons donc pour la motion de rejet préalable du groupe Socialistes et apparentés.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LIOT et sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES, SOC, Écolo – NUPES et GDR – NUPES.
Le dialogue, visiblement, c'est pour tout le monde, sauf exception. C'est pour tout le monde, sauf pour le Parlement, qui est muselé à chaque fois qu'un projet de loi passe par 49.3, et pour les habitants de Nouvelle-Calédonie, à qui vous imposez une date butoir pour trouver un accord et qui manifestaient encore il y a quelques heures.
Il est temps d'écouter l'ONU, les populations kanak et les ONG qui vous alertent sur la précipitation avec laquelle vous traitez l'enjeu du dégel du corps électoral. Il est temps de freiner vos ambitions pour éviter de raviver un conflit ouvert entre loyalistes et indépendantistes. Déjà, cette nuit, la perspective du vote de ce texte a embrasé la Nouvelle-Calédonie, théâtre d'incendies et de manifestations massives. Les secteurs des transports routiers et aériens et de l'hôtellerie ont été appelés à la grève. La menace plane sur les mines et les usines métallurgiques, qui pourraient être bloquées. Il suffirait d'un incident pour embraser l'ensemble du territoire. Vendredi dernier, un véhicule de gendarmerie à Saint-Louis, puis la brigade voisine de Saint-Michel, ont été la cible de coups de feu.
Ne voyez-vous pas les signaux ? N'entendez-vous pas la colère qui gronde ? La situation inquiète et il est irresponsable de faire voter dans ce climat un projet de loi, né d'une initiative unilatérale de l'État, sur un sujet aussi crucial pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. N'êtes-vous pas favorable à l'idée que tout le monde puisse vivre en paix, là-bas comme ici ? Pourquoi se jeter tête baissée dans une réforme qui n'est pas le fruit d'un consensus ? Pourquoi choisir un calendrier qui sera celui de la frustration et du regret, alors que le consensus est la seule voie raisonnable ? Enfin, allez-vous respecter la décision du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, qui demande le retrait de ce projet de loi ? Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste votera en faveur de la motion de rejet.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES, LFI – NUPES, SOC et GDR – NUPES.
Je veux d'abord saluer la force des propos du rapporteur. Je crois que sa parole a profondément touché l'Assemblée.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – M. Philippe Gosselin applaudit également.
Plus de vingt-six ans après l'accord de Nouméa, plus de trois ans après le dernier des trois référendums par lesquels les habitants de la Nouvelle-Calédonie ont confirmé leur volonté de rester français, il est temps d'écrire un nouveau chapitre de leur avenir.
Avec cette révision de la Constitution, nous permettons à plus de 20 000 de nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie d'exercer enfin leur droit de vote. Cette avancée démocratique indéniable est nécessaire. Il faut le rappeler : ce projet de loi n'empêche aucunement la poursuite des pourparlers entre les parties prenantes à l'accord de Nouméa. Bien au contraire, il constitue un préalable pour que le dialogue puisse enfin conduire à un accord sur l'avenir institutionnel de l'île.
…pour assurer leur avenir politique et économique, mais surtout pour assurer leur avenir commun au sein de la République.
En tant que membres de la représentation nationale, nous ne pouvons les décevoir. Et nous ne tolérerons pas que ce processus démocratique soit entaché par des violences, comme celles survenues depuis ce week-end. Pour toutes ces raisons, nous voterons en faveur du projet de loi constitutionnelle et contre la motion de rejet.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
S'il le fallait, cette motion de rejet démontre l'incohérence de la NUPES. Alors qu'en métropole, à bien des égards, vous défendez l'indéfendable et prônez le droit de vote des étrangers…
…vous vous opposez aujourd'hui à un texte qui vise à donner le droit de vote à des Français dans leur propre pays.
La Nouvelle-Calédonie, bien que géographiquement éloignée de la métropole, n'en est pas moins un territoire français où, pour des raisons historiques, un nombre important de nos compatriotes, viscéralement attachés à leur territoire, à son identité et à ses particularités, n'ont pas le droit de vote à certaines élections.
Cette motion de rejet ne démontre pas seulement l'incohérence de la NUPES. Elle symbolise aussi la volonté de ses auteurs d'amplifier des tensions…
…dans un climat d'extrême violence où, au contraire, un apaisement est nécessaire. En 1958, en 1987, en 2018, en 2020 et en 2021, les Calédoniens se sont exprimés. Ils ont affirmé à cinq reprises leur volonté de rester français.
Pour autant, la France doit évidemment prendre en compte l'existence d'une forte minorité qui s'exprime en faveur de l'indépendance. Pour cela, il faut que notre République se porte garante de la préservation de l'identité de ce beau territoire océanien.
Le dégel du corps électoral est un impératif pour garantir en Nouvelle-Calédonie une démocratie authentique et représentative, ainsi que des élections justes et légitimes où chacun, dans sa diversité, se sentira investi de son destin politique. Vous l'aurez compris : le groupe Rassemblement national, qui demande que soient respectées toutes les sensibilités et qui appelle au dialogue et au calme, votera contre la motion de rejet.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Sur la motion de rejet préalable, je suis saisie par les groupes Renaissance, La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale et Socialistes et apparentés d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Mathilde Panot.
Votre projet de loi constitutionnelle est une bombe contre la paix civile en Nouvelle-Calédonie, qui perdure depuis des décennies grâce aux accords de Matignon-Oudinot puis de Nouméa. Notre responsabilité historique est de préserver cette paix précieuse et fragile.
Nous vous alertons depuis des mois sur le risque d'embrasement que vos passages en force répétés font peser sur la situation calédonienne. Nous vous avons prévenu quand, coûte que coûte, vous avez maintenu le troisième référendum en 2021 alors que l'État s'était initialement engagé à l'organiser en 2022. Résultat : les partisans de l'indépendance l'ont boycotté et ne reconnaissent pas ses résultats. Nous vous avons prévenu quand le dossier a été relégué, passant de Matignon au ministère des outre-mer puis à celui de l'intérieur. Nous vous avons prévenu quand vous avez déposé unilatéralement ce projet de loi constitutionnelle, ravivant les craintes d'un retour à la violence.
Monsieur le ministre, vous manquez au devoir d'impartialité de l'État, qui exige au minimum de ne pas prendre parti pour un camp.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur quelques bancs du groupe SOC.
Le principe d'impartialité commande à l'État de créer les conditions du dialogue et du consensus, pas de passer en force constamment.
Je vous rappelle qu'en 1988, le peuple français a entériné par son vote l'existence de deux peuples en Nouvelle-Calédonie et, donc, une situation de colonisation. Je vous rappelle que, depuis 1988, nous reconnaissons que la politique en Nouvelle-Calédonie est nécessairement régie par le dialogue, le débat et la construction de consensus.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Le processus de décolonisation et l'objectif de destin commun avancent étape par étape, des étapes réciproquement consenties.
Hier, pour inviter l'ensemble des parties à négocier, le président Macron a soudainement annoncé qu'il ne convoquerait pas immédiatement le Congrès si le texte était adopté par notre assemblée. La date du 1er juillet demeure pourtant, alors qu'on ne crée pas de consensus avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur quelques bancs du groupe GDR – NUPES.
Il faut restaurer l'esprit des accords de Nouméa. Nous le répétons : il est indispensable qu'une mission de dialogue se rende sur place. Nous devons aboutir à un accord global pour construire un destin commun aux citoyens calédoniens. Les violences qui émaillent l'archipel depuis hier prouvent que celles et ceux qui craignaient que vous n'allumiez un incendie que personne ne saura éteindre avaient raison. Collègues ! Préservez la paix civile ! Votez cette motion de rejet !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur quelques bancs des groupes SOC et GDR – NUPES.
Alors que les tensions montent en Nouvelle-Calédonie, il est bon de rappeler la singularité du processus néo-calédonien, des discussions de Nainville-les-Roches aux accords de Matignon et de Nouméa. D'en rappeler les ombres et les lumières. D'en rappeler les victimes. Il faut aussi rappeler qu'à trois reprises, par trois référendums, la Nouvelle-Calédonie s'est prononcée pour son maintien dans le cadre français.
Pour autant, l'esprit des accords doit demeurer. Il plaide pour un consensus global, aussi bien institutionnel, économique que social, alors qu'en toile de fond, les difficultés économiques, sociales et démographiques du territoire s'accumulent et croissent. Elles constituent une épée de Damoclès et favorisent les ingérences étrangères, de la Chine et de l'Azerbaïdjan notamment.
Mais aujourd'hui, de quoi parlons-nous ? Il ne s'agit pas de se prononcer sur un accord institutionnel mais de faire respecter les principes républicains d'égalité face au suffrage pour l'ensemble de nos concitoyens.
On ne peut exclure définitivement ou pendant un temps trop long un cinquième du corps électoral ! On ne peut exclure plus longtemps du vote 12 500 personnes – au moins – nées sur le territoire !
Peut-être aurait-il fallu faire autrement. Mais, aujourd'hui, on ne peut s'arrêter au milieu du gué.
Le texte du Sénat, dont nous souhaitons qu'il soit adopté ici sans modifications, permet de donner un peu de temps au temps, jusqu'à dix jours avant les élections. Dans ces conditions, il serait tout à fait inacceptable de stopper ici les débats. Le groupe Les Républicains, s'opposera donc à cette motion de rejet et votera en faveur du texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur quelques bancs du groupe RN.
En premier lieu, nous ne pouvons que condamner les violences qui ont lieu dans le Grand Nouméa, au cours desquelles plus de trente gendarmes ont été blessés par des jeunes cagoulés, violents et non maîtrisés.
Les orateurs ont rappelé la démarche démocratique à l'œuvre en Nouvelle-Calédonie depuis des dizaines d'années. Il n'y a pas de passage en force.
Rappelons que lors des trois référendums d'autodétermination, le « non » l'a emporté, qu'il existe une démarche d'écoute profonde, de consultation des Calédoniens pour connaître leurs attentes, qu'indépendantistes et non-indépendantistes travaillent ensemble depuis vingt ans pour trouver des positions communes et utiles à leur territoire.
Les Calédoniens ont besoin de confiance et de stabilité ; les élus doivent trouver de la sérénité pour poursuivre le dialogue et dégager un consensus. Celui-ci est à portée de main. Notre responsabilité est de les accompagner sur cette voie. N'ajoutons pas une crise institutionnelle à la crise économique et sociale !
Nous agissons sur une ligne de crête où notre rôle de parlementaires est de garantir l'expression démocratique la plus juste. Les auteurs de la motion de rejet demandent que le dialogue continue à être privilégié en Nouvelle-Calédonie. Qu'ils permettent qu'il ait lieu aussi dans cet hémicycle ! Nous ne voterons pas cette motion de rejet et prendrons nos responsabilités.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – M. Sylvain Maillard applaudit également.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 254
Nombre de suffrages exprimés 253
Majorité absolue 127
Pour l'adoption 79
Contre 174
La motion de rejet préalable n'est pas adoptée.
À la demande de la commission des lois, en application de l'article 95, alinéa 4, du règlement, l'Assemblée examinera par priorité les articles 1er et 2 ainsi que les amendements portant article additionnel après l'article 2.
La Nouvelle-Calédonie est un territoire unique par la richesse de son histoire et par sa place dans la République française. Les accords de Matignon-Oudinot de 1988 et l'accord de Nouméa de 1998 ont marqué la fin d'un processus négocié et constitutionnalisé de décolonisation et d'émancipation au sein de la République française.
Ils ont permis aux Calédoniens de « tourner la page de la violence et du mépris ». Ils ont également marqué le début d'un « destin commun », du partage des responsabilités institutionnelles, de la reconnaissance de l'identité kanak et de la légitimité des autres communautés. Ce cadre consensuel a permis à la vie politique calédonienne de s'exprimer et de se déployer pleinement et de manière apaisée – ce dont il faut se réjouir. Ce chemin, dessiné par les parties prenantes aux accords de Matignon et de Nouméa, intégrait comme étapes trois consultations référendaires, lors desquelles les Calédoniens ont, par trois fois, décidé de demeurer au sein de la République française.
Une nouvelle voie politique et institutionnelle doit désormais être trouvée. Le groupe Horizons et apparentés est convaincu que le droit ne doit être, en la matière, qu'un instrument dans un accord politique global – un moyen et non une fin.
Néanmoins, il nous faut tenir compte de certaines réalités juridiques qui fondent notre démocratie. De ce point de vue, le consensus trouvé lors de l'accord de Nouméa sur la question du corps électoral en Nouvelle-Calédonie est tout à fait singulier.
Il existe en effet trois listes électorales différentes : la première pour les élections présidentielle, municipales et législatives ; la seconde pour les élections provinciales ; la troisième pour les consultations relatives à l'autodétermination. Les deux derniers scrutins sont restreints aux personnes établies depuis une certaine durée sur le territoire.
S'agissant des élections provinciales, depuis la révision constitutionnelle de 2007, seules les personnes inscrites sur les listes électorales au moment de l'accord de Nouméa de 1998 ont le droit de participer au scrutin. Or les évolutions démographiques sur l'île sont telles que, si les personnes exclues représentaient environ de 7,5 % des électeurs en 1999, leur part est aujourd'hui de 19,3 %, soit presque un cinquième des électeurs.
Le Conseil d'État l'a clairement exprimé : les dispositions relatives au corps électoral spécifique des élections provinciales « dérogent aux principes constitutionnels d'universalité et d'égalité du suffrage », et il convient de les modifier « afin d'en corriger le caractère excessif résultant de l'écoulement du temps ».
Ce caractère excessif est étayé par des situations paradoxales : le corps électoral défini pour voter aux référendums d'autodétermination est ainsi plus large que celui des élections provinciales. Il apparaît surprenant que des natifs de Nouvelle-Calédonie soient admis à voter aux consultations référendaires mais exclus du corps électoral des élections provinciales. Il en va de même pour les petits-enfants de Calédoniens.
Une grande place a été faite au dialogue local sur ce sujet, mais nous constatons que les forces politiques locales ne se sont pas accordées sur les modalités du dégel. Or un scrutin selon les modalités actuelles serait inévitablement attaqué et très probablement annulé par la justice administrative. C'est donc un texte de contrainte et de nécessité que nous étudions aujourd'hui, dans l'attente de mieux, pour donner du temps à la discussion et augmenter les chances de parvenir à un accord, peut-être plus général, sur le fonctionnement de la Nouvelle-Calédonie.
Nous sommes convaincus que le dégel, tel que prévu par ce projet de loi, doit s'inscrire dans la continuité des accords de Nouméa. C'est la raison pour laquelle la période de résidence retenue, de dix ans, nous semble équilibrée. Par ailleurs, le texte, s'il est adopté, n'entrera en vigueur qu'après un vote au Congrès et ses dispositions ne seront appliquées qu'en l'absence d'un nouvel accord, jusqu'à dix jours avant la tenue du scrutin. C'est important de le rappeler : ce projet de loi ne constitue en rien un obstacle à la poursuite des discussions.
Le Groupe Horizons et apparentés votera en faveur du projet de loi ; il appelle de ses vœux la construction d'un accord respectueux de chacun, garantissant les principes de liberté, d'égalité et de fraternité.
Applaudissements sur les bancs des groupes HOR, RE et Dem.
Quand on monte à la tribune de l'Assemblée nationale pour parler de la Nouvelle-Calédonie, il faut garder à l'esprit deux exigences : celle de l'humilité – Arthur Delaporte l'a dit – et celle de la gravité.
L'humilité à ce propos, je l'ai apprise il y a trente ans, en passant quelques mois merveilleux sur le Caillou, aux côtés d'un haut-commissaire exemplaire. J'ai découvert un pays attachant et complexe ; j'y étais venu avec des certitudes et j'en suis reparti avec beaucoup d'interrogations.
L'humilité est de mise depuis 1988 : si les gouvernements, présidents de la République, Premiers ministres et parlements successifs ont travaillé d'arrache-pied sur le processus qui avait alors été enclenché, c'était en ayant comme horizon le dialogue et le consensus, instaurés en règle. Cette règle doit rester un fil à plomb permanent qui oblige chacun des acteurs à prendre position en tenant compte de l'avis de l'autre, et cet acteur éminent qu'est l'État depuis 1988, à jouer le rôle non pas d'arbitre mais de garant de cette méthode.
La deuxième exigence est celle de la gravité. La Nouvelle-Calédonie est capable de grands moments de crise – c'est là qu'a eu lieu la dernière guerre civile que notre pays ait connue, et tout ce que nous faisons depuis 1988 vise précisément à panser les plaies qu'elle avait laissées et à construire un destin commun. La gravité peut surgir à tout moment : nous en avons été témoins la nuit dernière, alors que le Congrès de Nouvelle-Calédonie s'apprêtait à voter une résolution, immédiatement contestée – tout comme la légitimité même de cette institution, créée à l'issue du processus ouvert en 1988.
D'autres crises risquent de surgir – après nos débats, ou bien si le Congrès se réunit prochainement, lors d'une prochaine visite ministérielle, à l'occasion des élections européennes ou du passage de la flamme olympique. Quand on parle de la Nouvelle-Calédonie, on doit surveiller attentivement la manière dont les acteurs locaux perçoivent notre action. En effet, de part et d'autre, il y a, chez certains, une préférence pour le chaos. Si le dialogue et la recherche du consensus ne représentent plus des chemins praticables, la fuite en avant peut apparaître comme un accélérateur de solutions radicales. Le cocktail entre crise économique et sociale et crise institutionnelle est potentiellement détonant.
L'État, monsieur le ministre, ne peut participer à ce durcissement par son calendrier et sa méthode.
M. Arthur Delaporte applaudit.
Je ne suis pas là pour distribuer les bons et les mauvais points, mais chacun doit prendre ses responsabilités en se gardant de déclarations à l'emporte-pièce. Non, contrairement à ce qui a pu être dit, la décolonisation n'est pas achevée avec les trois référendums ;
Mêmes mouvements
non, il ne faut pas renvoyer l'autodétermination aux calendes grecques, c'est-à-dire à jamais. En même temps, le basculement dans la violence doit toujours être condamné. L'État, monsieur le ministre, ne peut jouer seul sa partition.
Comment éviter la guerre civile ? On a évoqué, dans le débat, la question de l'universalisme ; je suis un universaliste républicain, mais je sais qu'en Nouvelle-Calédonie, nous avons emprunté un chemin différent en reconnaissant des communautés et un peuple kanak dès 1988, en acceptant la discrimination positive et la préférence territoriale.
Ce n'est pas de l'universalisme !
Il faut désormais donner du temps au temps. Le Président de la République l'a fait hier, et il faut s'en féliciter. Il faut une mission sinon de dialogue, au moins de contact. Il faut surtout travailler non pas à un accord sur un processus électoral, mais à un accord global.
Cet accord est à portée de main. Les négociations se sont engagées ; prenons le temps d'y travailler pour penser l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, son architecture d'ensemble. Il faut améliorer la répartition des compétences, assurer une gouvernance plus efficace tout en maintenant la collégialité et envisager les modalités de l'autodétermination – par exemple en dotant la Nouvelle-Calédonie de la compétence de la compétence.
Bref, travaillons à un accord global sans mettre le pistolet sur la tempe des négociateurs. Le rôle de l'État est d'être le garant de ce processus.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Nous sommes réunis afin de débattre du projet de loi constitutionnelle portant sur la modification du corps électoral de la Nouvelle-Calédonie. Un petit rappel historique est nécessaire pour contextualiser les enjeux du texte.
Pourquoi le Parlement français, réuni en Congrès en 2007, a-t-il inscrit le gel du corps électoral dans la Constitution française ? Tout simplement parce qu'il y a eu une guerre civile qui a coûté la vie à plusieurs dizaines de personnes. Car oui, au-delà des camps, au-delà d'une simplification excessive entre le pour et le contre, nous parlons de vies humaines perdues tragiquement. Et comment en sommes-nous arrivés à cette situation dramatique ? Par le fait colonial dans un premier temps, et par la gestion qui a suivi dans un second temps.
Les historiens ont suffisamment documenté ces événements et je n'ai pas la prétention d'enfiler aujourd'hui la veste d'un professeur d'université. Cependant avons-nous bien pris le temps de mettre de côté l'affect pour certains, les bisbilles politiciennes pour d'autres, le ressentiment et la colère parfois, afin de comprendre le processus historique qui nous a menés jusqu'à la décision à prendre aujourd'hui ? Qui parmi vous aurait accepté que des personnes venues d'un ailleurs lointain, étrangères à votre histoire, à votre langue, à vos coutumes, à votre culture, à vos traditions, à votre histoire, à votre territoire, prennent possession de tout ce qui vous définit, tout ce qui constitue votre existence, tout ce qui vous raccroche à la seule réalité que vous ayez jamais connue ? Personne dans cet hémicycle, j'en suis convaincu.
J'en veux pour preuve le 8 mai, une date particulière pour la France, jour de commémoration de la fin d'une guerre qui fut l'une des expressions les plus ignobles de la capacité d'horreur de l'être humain.
À quoi comparez-vous le 8 mai ?
Le 8 mai 1945, la fin de la guerre et la victoire de la France et de ses alliés sur l'Allemagne nazie étaient annoncées par le général de Gaulle.
Vous comparez la France aux nazis ?
Celui-là même qui a appelé à la résistance depuis l'Angleterre, d'où il a enjoint aux Françaises et aux Français de résister et de lutter contre l'envahisseur, contre l'oppresseur, de lutter jusqu'à la libération de la France. Quelle leçon d'histoire ! Sans elle, peut-être serions-nous en train de parler allemand à l'heure qu'il est.
Quelle comparaison !
Pourtant nous sommes en train d'appliquer le vieil adage : deux poids, deux mesures. Le peuple autochtone qui vivait dans le Pacifique avant l'arrivée de la France n'a pas connu cette même fin ; il a dû faire avec, en intégrant bon gré mal gré de nouveaux codes, une nouvelle éducation, de nouvelles croyances, une nouvelle culture, une nouvelle langue, une nouvelle histoire qui lui étaient étrangers et que la France lui a imposés – tout en sauvegardant, ne vous en déplaise, ce qu'il est, fondamentalement. Quelle leçon d'histoire ! Sans elle, ce peuple ne parlerait certainement pas français à l'heure qu'il est.
Deux histoires, deux fins différentes ; un acteur commun, la France. La France prend possession de la Nouvelle-Calédonie en 1853 et la France se fait envahir par l'Allemagne en 1940. Quand je vous dis cela, ce n'est pas pour réveiller de vieilles blessures, mais pour vous dire qu'il y a des faits historiques sur lesquels nous ne pouvons pas nous asseoir.
Ce peuple autochtone, devenu peuple kanak, a fait le choix de la paix avec les accords de Matignon-Oudinot, en 1988, et ceux de Nouméa, en 1998. Ces accords sont issus de longues, très longues discussions et de consensus pour garantir la paix et le vivre-ensemble avec la volonté d'un destin commun. Les drames ont marqué les esprits. Nous devrions toujours avoir ces principes fondateurs comme boussole, mais ont-ils leur place dans la méthodologie qui nous a été imposée avec ce projet de loi ? La réponse est non. Sommes-nous justes dans cet acte de dégel du corps électoral ? Bien sûr que non. N'avons-nous pas le devoir de garantir une justice équitable pour tout le monde ? La réponse est assurément oui.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, l'erreur est humaine et nous avons tous le droit de commettre des erreurs. Reconnaître son erreur, c'est faire preuve de grandeur et de sagesse. Celles-ci doivent nous conduire à faire mieux pour les générations futures, qui seront chargées de continuer à bâtir la Nouvelle-Calédonie-Kanaky.
Sans accord global, sans consensus, il ne peut y avoir de modification constitutionnelle. En l'état, les députés du groupe GDR – NUPES voteront contre ce texte. Monsieur le rapporteur, nous parlons d'un temps que nous n'avons pas vécu et que d'autres ne veulent plus revivre. Faites preuve de sagesse, faisons preuve d'intelligence, travaillons pour la paix ! La Nouvelle-Calédonie-Kanaky nous regarde, le monde nous regarde.
Un mot pour finir : qu'on le veuille ou non, les territoires d'outre-mer sont des faits coloniaux.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR – NUPES, LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
Avant de commencer, je souhaiterais avoir une pensée pour l'ensemble des personnes qui ont perdu la vie à la suite des crimes perpétrés dans le cadre de la lutte du peuple kanak pour son autodétermination.
Mme Sabrina Sebaihi et MM. Jean-Victor Castor, Marcellin Nadeau, Davy Rimane et Bastien Lachaud applaudissent.
Le combat pour la liberté ne devrait jamais se traduire par la perte de vies humaines, qu'elles soient civiles ou militaires.
Nous sommes réunis pour examiner un projet de loi qui, somme toute, pourrait être considéré comme anodin. En effet, intégrer dans le corps électoral des citoyens, résidents de l'île, qui ne disposent pas du droit de vote pour les élections provinciales, pourrait paraître totalement logique et naturel. La démocratie, l'application du principe d'égalité entre les citoyens sont des principes fondamentaux de notre socle républicain.
Oui, mais voilà, ces principes n'ont pas vocation à s'appliquer à des peuples que la France a colonisés. Il m'est dès lors difficile de comprendre comment des personnes venues de l'Hexagone pourraient décider du destin de la Nouvelle-Calédonie juste parce qu'elles changent de résidence.
Le fait colonial n'a sans doute pas totalement disparu de nos pratiques démocratiques – ce n'est pas une surprise, le droit français restant marqué par le jacobinisme…
…et le refus obstiné de reconnaître les minorités, ce qui lui est d'ailleurs régulièrement reproché par le Conseil de l'Europe ou le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU. Il a ainsi fallu attendre les accords de Nouméa pour que le peuple kanak soit reconnu. On a un peu l'impression d'un retour en arrière aujourd'hui.
Le problème tient aussi à la conception des droits de l'homme que se font les Français : il semblerait qu'on se soit arrêté en 1789. Mais la Déclaration de 1948 inclut les droits des minorités et des peuples colonisés.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et GDR – NUPES. – Mme Sabrina Sebaihi applaudit également.
Que la France fasse comme la majorité des pays de l'OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques : qu'elle confère des droits collectifs à des peuples minoritaires qui la composent.
On a parfois tendance au sein de cet hémicycle à considérer que la liste des droits de l'homme se limite à celle établie en 1789. Cette curieuse conception des droits de l'homme étonne certains pays et instances internationales ; universaliste, elle se heurte à la reconnaissance des territoires et des peuples. Telle est au fond la différence entre le droit français et le droit international.
Je suis inquiet car, sans accord des Kanaks – ce qui se profile, semble-t-il –, la France sera mise en difficulté sur le plan international. Les Russes, les Turques ou les Chinois pourront ironiser sur ces donneurs de leçons, incapables de se hisser à la hauteur de la morale qu'ils professent. La situation des minorités en France n'est en rien comparable à celle des Ouïghours, des Tchétchènes ou des Kurdes ; pour autant, faut-il tendre le bâton pour se faire battre ?
La voie choisie par le Gouvernement m'inquiète, car la communauté internationale et le peuple kanak identifieront ce texte à une remise en cause de l'accord de Nouméa. J'appelle donc l'attention sur les importants risques d'atteintes à l'ordre public qu'elle fait peser. J'avais écrit cette intervention en pensant que les désordres interviendraient dans le futur mais, visiblement, ils ont déjà commencé.
Ce texte nous ramène au non-respect des peuples premiers. Cela crée un certain contraste avec l'Australie ou la Nouvelle-Zélande, pays ayant parcouru un chemin considérable en matière de reconnaissance de leurs aborigènes.
Ils font aussi des référendums !
Dans l'intérêt des Calédoniens eux-mêmes, qu'ils viennent de l'Hexagone ou soient d'origine kanak et si nous voulons préserver la paix sociale, il ne peut y avoir d'accord partiel ou de loi qui forcerait un camp, il ne peut y avoir qu'un accord global, auquel les gens parviendront sans qu'on leur mette le couteau sous la gorge en disant : soit vous décidez, soit le Parlement français décidera.
Applaudissements sur les bancs LFI – NUPES et GDR – NUPES.
Les lendemains risquent d'être peu enchanteurs, voire très problématiques, comme cela est déjà arrivé.
J'en appelle donc à tous ceux qui veulent que nous sortions de ce mauvais pas grâce à un accord global. À ce titre, le Gouvernement a beaucoup à faire : peu évident, difficile à trouver, un tel accord est la seule solution.
Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT, LFI – NUPES, SOC et GDR – NUPES. – M. Frantz Gumbs applaudit également.
Depuis que nous étudions des textes sur la Nouvelle-Calédonie, nous défendons le temps long contre le temps imposé ainsi que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et à l'autodétermination. Je souscris aux propos de mon collègue : pas plus que les droits de l'homme, le droit des peuples à l'autodétermination n'est à géométrie variable.
M. Antoine Léaument applaudit.
Nos positions sont très claires, mais le dialogue de sourds se répète : vous reprochez à l'opposition les excès de son vocabulaire, vous l'accusez d'adopter une posture et sans doute levez-vous intérieurement les yeux au ciel chaque fois que vous nous entendez dire « marche forcée », « unilatéralement », « passage en force » ou « avec brutalité » – termes que nous continuerons de marteler dans chacun de nos discours. Nous avons des convictions, des certitudes : nous voulons trouver une solution qui permette à tous les acteurs de revenir autour de la table des négociations. Cependant je crains qu'il ne faille plus de patience que la vôtre pour y parvenir.
Vous vous efforcez de présenter votre position comme celle de la nuance, du compromis, de la recherche de solution. L'opposition, pourtant, n'est pas seulement dans son rôle quand elle s'oppose ; elle l'est lorsqu'elle vous alerte au sujet de la violence qui pourrait resurgir en Nouvelle-Calédonie et vous fait part de ses inquiétudes concernant la méthode brutale que vous employez à dessein : donner quelques mois aux acteurs pour se mettre d'accord sur un compromis, tout en les menaçant de faire voter un projet de loi constitutionnelle tel que vous l'entendez s'ils n'y parviennent pas.
Personne dans l'hémicycle n'est dupe de cette stratégie. De nombreuses voix s'élèvent pour tenter de sortir de l'impasse en proposant une solution de compromis : une mission de médiation conduite par une personnalité de haut niveau afin de favoriser la reprise des discussions et de garantir l'impartialité de l'État, compromise dès lors qu'il présente sa réforme constitutionnelle comme seul aboutissement possible. Cette mission suspendrait le processus constitutionnel jusqu'à la fin de l'année 2025, date limite prévue par le Conseil d'État pour organiser les élections provinciales de mai 2024. Cela laisserait aux parties le temps de construire une solution durable et pacifiée pour parvenir à un accord global. Cette mission semble être la seule issue possible aujourd'hui, pourquoi ne pas l'envisager ?
En 1988, alors que la Nouvelle-Calédonie traversait une période insurrectionnelle tragique, marquée par le drame d'Ouvéa, Michel Rocard avait désigné six personnalités pour renouer le dialogue. Une telle mission avait permis la signature des accords de Matignon.
Nous devons avoir pour objectif de sortir de l'impasse politique par le compromis et le dialogue, afin d'éviter que de nouveaux épisodes de violence, comme ceux dont nous venons d'être témoins, ne surgissent.
Je m'inquiète sincèrement de la brutalité de votre méthode, qui entretient l'illusion du dialogue pour, au fond, venir transposer un modèle colonial, aux antipodes de la recherche du consensus local dont nous avons tant besoin. À cet égard, je tiens à rappeler que l'ONU a classé la Nouvelle-Calédonie parmi les territoires à décoloniser et que ce projet de loi constitutionnelle touche aussi à des considérations de droit international qui appellent à la plus grande des prudences.
Notre priorité devrait être de tout faire pour éviter que ne resurgissent les épisodes tragiques déjà survenus en Nouvelle-Calédonie. Quelle sera la prochaine étape, une fois que vous aurez fait voter une réforme du corps électoral effaçant toute possibilité d'un accord tripartite ?
Les auteurs de ce projet de loi constitutionnelle n'ont rien appris, ni d'Ouvéa, ni du boycott massif des indépendantistes lors du troisième référendum. Le consensus n'est pas une des options possibles : c'est le seul chemin sur lequel le Gouvernement devrait s'engager, quand bien même il serait long et sinueux. Le consensus doit être notre boussole politique.
Monsieur le ministre, le Congrès vous demande d'abandonner ce projet de loi constitutionnelle. Écouter les premiers concernés en revenant sur ce texte serait faire preuve de responsabilité. Alors nous vous le demandons : soyez responsable et retirez ce texte.
Applaudissements sur les bancs LFI – NUPES et GDR – NUPES.
Depuis plusieurs jours, la Nouvelle-Calédonie connaît une montée progressive des tensions : Nouméa et le Grand Nouméa viennent de vivre une nuit d'émeutes, marquée par des blocages, des pillages, des incendies de commerces et d'industries, et des violences que nous n'avions plus connues depuis quarante ans. À ce stade, nous déplorons plusieurs dizaines de blessés parmi les forces de l'ordre, dont un gendarme grièvement touché. Je tiens donc à condamner avec la plus grande fermeté l'ensemble de ces exactions, à manifester mon soutien plein et entier à toutes les victimes, particuliers comme entreprises, à saluer le courage et l'engagement des forces de l'ordre, adressant mes vœux de prompt rétablissement aux gendarmes et policiers blessés.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, HOR et SOC. – M. Paul Molac applaudit également.
Le 5 mai dernier était la date anniversaire de la signature de l'accord de Nouméa, qui a prolongé et constitutionnalisé le processus de décolonisation et d'émancipation de la Nouvelle-Calédonie, au sein de la République Française, engagé par les accords de Matignon de 1988. Comme chacun le sait, l'accord est arrivé à son terme et des discussions ont été engagées l'année dernière pour continuer à construire l'avenir du pays. Ces échanges ont abouti à des projets distincts, selon des formats différents : un projet d'accord a été déposé par le Gouvernement ; des propositions de convergences pour un grand accord ont été négociées entre ma formation politique et des partis indépendantistes ; enfin, des séquences de discussions se sont tenues avec d'autres mouvements non indépendantistes. À défaut d'avoir permis l'émergence d'un consensus, ces échanges ont permis de cerner l'ensemble des sujets qui pourraient constituer le corps d'un futur accord politique global.
Toutefois, depuis plusieurs mois maintenant, plus aucun dialogue n'irrigue véritablement les relations entre les partenaires des accords. Or, laisser le dialogue en jachère, dans un pays comme le nôtre, est dangereux. Chez nous, renoncer au dialogue, c'est renoncer au consensus et à la paix. Je salue donc l'initiative prise par le Président de la République, qui a invité hier l'ensemble des formations politiques calédoniennes à une rencontre à Paris, dans les prochains jours. Une telle initiative redonne de l'espoir en relançant le dialogue sur l'avenir politique du pays.
La primauté du dialogue a en effet inspiré le travail du Gouvernement et du Parlement : elle explique que le projet de loi constitutionnelle prévoie que la constatation d'un accord empêche son entrée en vigueur, voire le rende caduc et elle a motivé l'adoption par le Sénat d'un amendement ménageant la possibilité d'un accord, qui pourrait intervenir jusqu'à dix jours avant les élections provinciales.
Pour inhabituelles qu'elles soient – le mot est faible –, ces dispositions s'inscrivent dans le cadre de la recherche à tout prix d'un consensus, caractéristique de l'histoire institutionnelle calédonienne, comme le rappelle le Conseil d'État dans son avis du 7 décembre dernier en écrivant que « la recherche du consensus […] constitue une donnée fondamentale de l'élaboration de l'organisation politique qui prendra la suite de celle issue de l'accord de Nouméa ».
L'initiative du Président de la République nous offre donc un temps supplémentaire pour qu'un nouveau consensus succède à un consensus. Je suis convaincu que la solution pour parvenir à un grand accord et construire un avenir apaisé existe. Elle s'inscrit dans un espace situé entre le résultat des trois consultations d'autodétermination, expression souveraine du peuple calédonien, qui en constitue en quelque sorte le plafond, et le prolongement tant de l'esprit que de la lettre des accords de Matignon et de Nouméa, qui en constituent pour ainsi dire le plancher.
Un seul sujet fait exception : celui du corps électoral provincial, objet du présent projet de loi constitutionnelle. La même exigence démocratique que celle qui conduit au respect des référendums doit présider à l'ouverture du corps électoral. Une telle ouverture constitue un impératif juridique rappelé par la haute juridiction administrative, puisque « du fait de l'écoulement du temps », la situation présente porte gravement atteinte « aux principes d'universalité et d'égalité devant le suffrage ». Il nous fallait donc définir de nouvelles règles.
Le sujet est sensible, puisque le droit de vote est attaché à la citoyenneté calédonienne, consacrée par l'accord de Nouméa pour permettre « au peuple d'origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun ».
Respecter l'exigence démocratique, tout en continuant à faire peuple, tel est l'enjeu de l'ouverture du corps électoral provincial, qui est abordée sous deux angles : celui de l'inscription des natifs et celui de l'inscription des personnes domiciliées depuis dix ans au moins sur le territoire. Si l'inscription des natifs fait largement consensus, celle des électeurs domiciliés depuis dix ans sur le territoire nourrit une très forte opposition des indépendantistes, tant que ce point ne fait pas partie d'un accord global.
C'est justement à un tel accord que le Président de la République invite les formations politiques calédoniennes à travailler. C'est dans cet accord que les nouvelles dispositions sur le corps électoral que nous nous apprêtons à adopter pourront s'insérer, prenant place au sein d'une nouvelle organisation politique globale, dont elles tireront leur légitimité.
Ainsi, chaque Calédonien pourra se sentir respecté dans ses convictions et nous pourrons ouvrir pacifiquement un nouveau chapitre de notre histoire institutionnelle. Le groupe Renaissance votera en faveur de ce projet de loi constitutionnelle.
Applaudissement sur les bancs du groupe RE et sur plusieurs bancs du groupe Dem.
Nous sommes réunis pour débattre d'un projet de loi constitutionnelle qui vise à donner à nos compatriotes calédoniens la possibilité de participer à la vie démocratique du territoire où ils vivent, du territoire qu'ils chérissent. La Constitution française, pilier de notre démocratie, garantit en son article 3 le caractère « universel, égal et secret » du suffrage, affirmant le droit de vote de tous les citoyens français majeurs.
Les accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa ont posé des jalons importants pour la Nouvelle-Calédonie, et il est temps aujourd'hui de reconnaître que les règles qui ont guidé ces accords nécessitent une mise à jour importante pour répondre à la réalité moderne. Ces dernières décennies, la Nouvelle-Calédonie a connu des évolutions démographiques majeures : le nombre d'électeurs inscrits sur les listes électorales générales et exclus du droit de suffrage est passé d'un peu plus de 8 000 en 1999 à plus de 42 500 en 2023. Plus de 20 % des électeurs en Nouvelle-Calédonie se trouvent ainsi exclus des élections provinciales, alors même que le Congrès et les assemblées de province adoptent les lois du territoire régissant leur vie quotidienne.
Il incombe donc à la représentation nationale de rétablir les principes fondamentaux inscrits au cœur même de notre Constitution. Il ne saurait y avoir deux catégories de Français.
Toutefois, le présent texte ne répond pas à la question plus globale du statut de la Nouvelle-Calédonie. Nous devons travailler à une révision constitutionnelle permettant d'octroyer à la Nouvelle-Calédonie un statut spécifique et incluant des dispositions institutionnelles qui accordent à toutes les communautés calédoniennes des garanties légitimes.
Il n'y aura toutefois pas de nouveau statut sans un plan de développement. Le nickel est en crise ; l'État doit accompagner le territoire dans la recherche de nouveaux débouchés et dans la diversification de son économie. Le futur statut de la Nouvelle-Calédonie devra par ailleurs prendre en compte l'identité du territoire, en respectant les identités locales et en recherchant l'apaisement. Ce statut devra conserver les acquis de l'accord de Nouméa, les larges compétences dévolues à la Nouvelle-Calédonie et à ses provinces ainsi que les mesures préférentielles, notamment en matière d'emploi.
L'identité kanak doit également être protégée, préservée, notamment par le statut civil coutumier. Le dégel du corps électoral doit évidemment être limité aux natifs du territoire et aux Français qui y résident depuis suffisamment longtemps pour manifester un attachement réel à la Nouvelle-Calédonie.
Premier groupe d'opposition, le Rassemblement national accorde la plus grande importance à un avenir propice au développement et au rayonnement de la Nouvelle-Calédonie, et donc de la France dans le Pacifique. Marine Le Pen, par son attachement profond à ce territoire, incarne la vision d'une Nouvelle-Calédonie unie, rassemblée et pacifiée au sein de la République française. C'est avec tous les Français de Nouvelle-Calédonie, de toutes origines et de toutes opinions, qu'elle entend construire un avenir stable sous les couleurs du drapeau tricolore.
Notre objectif, en redressant la France, en la rendant plus sûre, plus prospère et plus protectrice pour nos concitoyens, est évidemment que tous les Calédoniens bénéficient de ce redressement national. Ils le savent : en 2027, Marine Le Pen aura à cœur de les accompagner, de les soutenir.
Et d'ici là, que proposez-vous ? Mme Le Pen a-t-elle déposé des amendements ?
Ils pourront compter sur une femme d'État soucieuse de leur présenter des propositions consensuelles, constructives et respectueuses de la diversité du territoire. D'ici là, le calme et le dialogue doivent prendre le dessus.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
La Nouvelle-Calédonie est un territoire qui reste à décoloniser. Ce fait a été reconnu par le peuple français par référendum ,
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES
mais aussi par le droit international, puisque la Nouvelle-Calédonie a été inscrite par l'ONU sur la liste des territoires non autonomes.
En 1853, la France a décidé que ce territoire serait sien : des colons ont accaparé les terres ancestrales du peuple kanak, et une administration pénitentiaire et coloniale a organisé une colonie de peuplement.
En 1972, le Premier ministre Pierre Messmer voulait encore organiser une immigration massive afin d'empêcher toute indépendance. Aujourd'hui, l'héritage du système colonial est partout en Nouvelle-Calédonie. Plus de trente ans de politiques de rééquilibrage n'ont pas permis de faire reculer les inégalités sociales.
Les principales victimes sont les jeunes Kanaks sans qualification. Fracture sociale et fracture ethnique se recoupent : sept chômeurs sur dix sont kanaks ; 71 % des pauvres sont kanaks ; 69 % des jeunes sans emploi ni formation sont kanaks ;…
…90 % des détenus de la prison de Nouméa sont kanaks, alors que les Kanaks ne représentent qu'environ 40 % de la population calédonienne.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Le système colonial n'est pas un passé lointain et révolu : il se matérialise ici et maintenant dans des inégalités économiques, sociales et politiques qui ne doivent rien au hasard.
Les accords de Matignon-Oudinot, conclus en 1988, ont permis de retrouver la paix civile. Ils prévoient l'impartialité la plus stricte de l'État. Mais où est l'impartialité quand l'État impose la date du troisième référendum d'autodétermination qui, s'étant finalement tenu, fut marqué par une abstention record de 56 % ? Où est l'impartialité quand une loyaliste est nommée directement au gouvernement ? La vérité est que le Gouvernement prend grossièrement fait et cause pour la tendance non indépendantiste.
L'accord de Nouméa, signé en 1998, prévoit les modalités de la décolonisation, en faveur de l'émancipation de la Nouvelle-Calédonie. Le corps électoral pour les élections provinciales était défini : voteraient les personnes qui se trouvaient alors sur le territoire depuis plus de dix ans. Le corps électoral était ainsi gelé, mais il intégrerait progressivement les personnes présentes en 1998, jusqu'en 2008.
La parole de l'État a été donnée et respectée par Jacques Chirac,…
Sourires sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
…qui a constitutionnalisé le gel en 2007. Mais aujourd'hui, le Gouvernement veut unilatéralement modifier le corps électoral, en l'absence de tout accord des forces politiques calédoniennes. Ce passage en force est inacceptable et dangereux.
Si vous votez ce texte, c'est l'accord de Nouméa que vous piétinez.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
« Tant que les consultations n'auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, prévoit-il, l'organisation politique mise en place par l'accord de 1998 restera en vigueur […], sans possibilité de retour en arrière, cette irréversibilité étant constitutionnellement garantie. » À cause de vous, la parole de l'État est discréditée
Mêmes mouvements
et la garantie constitutionnelle sans valeur, puisque vous démontrez qu'il est possible de modifier la Constitution à marche forcée.
Cela dit, personne ne souhaite le gel perpétuel du corps électoral ; cela n'aurait aucun sens.
Mais le dégel fait partie d'un nécessaire accord global qui doit être trouvé par les Calédoniens eux-mêmes, dans le cadre d'une discussion qui doit leur permettre de construire leur destin commun. Les indépendantistes ont accepté – fait unique dans l'histoire de la décolonisation – que ceux qu'ils appellent les victimes de l'histoire participent avec eux à l'autodétermination pour l'émancipation.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Marcellin Nadeau applaudit également.
Alors pourquoi sommes-nous réunis cet après-midi ? Est-ce pour faire droit à un impératif démocratique, comme le prétend le rapporteur ?
Ou pour contraindre les indépendantistes à négocier en position défavorable, sous la menace de cette loi ?
On pouvait se poser la question. Mais c'était avant ! Avant qu'une fois de plus, le monarque présidentiel ne s'exprime. L'Assemblée doit voter, mais le Congrès ne sera pas convoqué, du moins pas tout de suite. Cependant, la date du 1er juillet demeure : le couperet est toujours là. C'est bien la démonstration que ce texte n'est qu'un moyen de pression et qu'il n'est pas indispensable.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur plusieurs bancs du groupe GDR – NUPES.
…êtes désavoué par cette déclaration. Nous demandons la reprise en main du dossier par le Premier ministre, au niveau auquel il aurait toujours dû être traité, et nous demandons l'envoi d'une mission de dialogue en Nouvelle-Calédonie. En effet, nous devons sortir par le haut de cette crise politique que vous avez vous-même suscitée. Retirez le texte !
Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a, dans la nuit, adopté une résolution demandant le retrait du projet de loi.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Je lance au Gouvernement un avertissement solennel : ne jouez pas avec le feu en Nouvelle-Calédonie ! La paix est fragile. Renoncez à votre projet ! Vous êtes en train de créer les conditions d'une crise politique qui pourrait avoir des conséquences incalculables, qui nous ferait revenir trente-cinq ans en arrière, qui pourrait remettre en question trente-cinq ans de paix civile. Il est de notre devoir de préserver les conditions de la paix. Renoncez !
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et GDR – NUPES.
Il y a vingt-six ans, des hommes de paix ont décidé de s'engager, ensemble, dans un processus d'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie ; ils ont accepté de poursuivre, ensemble, la construction de la Nouvelle-Calédonie, dans le cadre du processus qui s'engageait alors, en 1998. Je veux ici les saluer tous, en ayant une pensée particulière pour ceux qui ont payé de leur vie le choix d'assurer un destin commun aux Calédoniens.
Une génération après le lancement de ce long processus, encadré par les mesures transitoires du titre XIII de la Constitution, la Nouvelle-Calédonie doit désormais se tourner vers l'avenir et construire un projet qui soit approuvé de façon consensuelle par ses différentes composantes culturelles.
Il nous appartient collectivement d'accompagner ces acteurs dans la détermination du futur statut de la collectivité de Mélanésie dans la France, tout en veillant à préserver les acquis du processus qui s'achève. Il nous appartient également de garantir que le chemin de la Nouvelle-Calédonie dans le XXI
Cinq ans après le dernier renouvellement des assemblées de province, le temps est venu d'une respiration électorale démocratique, et ce d'autant plus que la situation économique nécessite de fixer des orientations à moyen terme. Cependant, les distorsions de droits civiques introduites de façon transitoire, afin de garantir à la composante première du peuple calédonien une sincérité incontestable du processus d'autodétermination, se sont amplifiées de telle façon qu'elles rendent clairement anticonstitutionnel le maintien du corps électoral gelé. Il est évidemment nécessaire de donner du temps au temps pour que les acteurs concernés élaborent un accord politique sur le statut du territoire – c'était l'objectif de l'amendement déposé au Sénat par notre collègue Philippe Bas –, mais il faut s'arrêter là et réunir le Congrès sans tergiverser.
En effet, nous sommes soumis à l'exigence de redonner une légitimité aux assemblées provinciales, à l'assemblée délibérante et au gouvernement calédonien pour qu'ils répondent aux difficultés du territoire à moyen terme.
L'absence actuelle d'accord est un échec pour le Gouvernement. L'origine de cet échec, monsieur le ministre de l'intérieur et des outre-mer, se trouve probablement dans votre propension à vous servir de la réforme incontournable du corps électoral comme levier de pression, destiné à forcer la main à la composante première du peuple calédonien. Vous auriez été mieux inspiré de ne pas courir après une victoire personnelle et de dissocier l'exigence constitutionnelle de l'accord politique entre les acteurs.
Il en est de même en ce qui concerne l'incapacité du Gouvernement à résoudre la crise de la filière nickel.
L'implication tardive et sans conviction du ministre de l'économie n'aide pas à inscrire cette filière dans le temps long. J'appelle donc le Gouvernement à se mobiliser davantage, au plus haut niveau, pour éviter une implosion économique qui aurait des conséquences terribles en matière de concorde civile.
Je renouvelle enfin notre souhait de voir les acteurs politiques nationaux ne pas transposer leurs querelles en Nouvelle-Calédonie, car l'immixtion des organisations partisanes a toujours été une cause majeure des drames calédoniens.
La faible minorité qui menace les hommes de paix et qui joue la montre en espérant le pire ne saurait trouver d'écho dans notre assemblée.
La Nouvelle-Calédonie mérite que la représentation nationale s'exprime d'une voix apaisée, celle de la fraternité et du respect des spécificités calédoniennes, mais en conformité avec l'esprit de notre Constitution. Les Républicains voteront donc pour le texte sans l'amender, afin de donner à la Nouvelle-Calédonie une chance de neutraliser tous ceux qui tentent de se frayer un chemin pour fracturer le destin commun de ses habitants.
Un corps électoral gelé, non ! Un corps électoral glissant, oui ! Des élections décalées, oui, mais dans des délais acceptables, c'est-à-dire en 2024 ! Quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, refusons le diktat des pourvoyeurs de guerre. La petite minorité menaçante, appuyée sur des réseaux d'influence étrangers, ne saurait servir de métronome au Président de la République.
« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Confiance, sérénité et stabilité : voilà ce dont ont besoin les Calédoniens. Ils ont d'abord besoin de confiance : celle-ci est indispensable entre l'État et les responsables et acteurs locaux de Nouvelle-Calédonie ; elle est même un préalable à toute négociation, à tout accord.
Oui, nous partageons une même boussole, celle qui conduit à promouvoir le dialogue, encore et toujours, et à tout faire pour réunir les conditions les plus propices à la conclusion d'un accord de fond sur les réformes institutionnelles à mener. Les combats partisans et politiciens qui concernent la métropole ne doivent pas venir polluer les enjeux fondamentaux pour la démocratie calédonienne. C'est bien aux Calédoniens, en priorité, que revient la responsabilité de parvenir à un consensus, pour tracer un chemin et un destin communs. Tel est l'enjeu de fond, si bien que tous les moyens mis à la disposition des Calédoniens pour parvenir à un tel accord doivent être examinés.
Cependant, notre rôle, en tant que parlementaires, est aussi de garantir l'expression démocratique à travers la sincérité des scrutins et l'universalité des suffrages, comme l'a souligné le Conseil d'État. C'est bien sur cette ligne de crête que nous nous trouvons aujourd'hui. Rappelons-le encore une fois : le projet de réforme constitutionnelle qui nous réunit concerne des élections provinciales où près de 14 000 natifs de Nouvelle-Calédonie ne peuvent pas voter.
C'est fou, ça !
La proportion des électeurs inscrits sur la liste électorale générale et privés du droit de vote à ces élections est passée de 7 % en 1999 à plus de 19 % en 2023 ; il y a là un véritable enjeu démocratique.
Il faut ensuite de la sérénité. Il n'est nullement nécessaire, de part et d'autre, d'attiser des tensions susceptibles de fracturer encore un peu plus une population qui n'en a pas besoin. Nous mesurons bien les lignes de fractures qui existent entre indépendantistes et non-indépendantistes ; elles sont anciennes et légitimes. Néanmoins et sans nier leur impact sur les discussions en cours, la recherche d'un consensus appelle à les surmonter, autant que faire se peut.
Que chacun prenne garde, en responsabilité, à ne pas accentuer des divisions mortifères en promouvant des positions toujours plus extrêmes vis-à-vis de « l'autre ». Oui, les Calédoniens ont plus que jamais besoin d'apaisement et de sérénité. Face à cette impérieuse nécessité, le chef de l'État a fait un pas en annonçant que le Congrès prévu pour sceller la réforme constitutionnelle qui occupe nos débats ne sera pas convoqué dans l'immédiat, comme il était initialement prévu. Mais il faut aujourd'hui des preuves tangibles que responsables et acteurs locaux de tous bords sont prêts à se mettre autour de la table pour avancer et garantir la stabilité dans l'île.
Il faut enfin de la stabilité. L'essor économique n'est jamais possible lorsque la stabilité institutionnelle et politique n'est pas garantie. La Nouvelle-Calédonie fait face à une crise économique majeure. Dans une économie déjà atone et fragilisée, la chute récente des cours mondiaux du nickel a eu de lourdes répercussions dans l'île. De nombreuses usines et entreprises sont en grande difficulté alors qu'elles sont les poumons de l'économie locale. Cette crise du nickel ne peut avoir que de profondes conséquences sociales dans un contexte politique déjà fortement tendu. Les impacts négatifs se font ressentir sur tous les secteurs d'activité de l'île, rendant ainsi la Nouvelle-Calédonie de plus en plus dépendante des subsides de l'État.
Face à ce constat, il est temps pour la Nouvelle-Calédonie d'accéder à une stabilité institutionnelle, préalable indispensable à la prospérité et à la sérénité de ses habitants. Je ne doute pas que nous partagions tous, au sein de cet hémicycle, cette même volonté. Cela nous commande de prendre, nous aussi, nos responsabilités !
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.
À trois reprises, par référendum, avec un corps électoral restreint, et alors que tout avait été fait pour les inciter à abandonner la France, nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie ont clairement dit « non » à l'indépendance. Ils ont ainsi manifesté solennellement et charnellement leur volonté de rester Français.
Si depuis l'accord de Nouméa de 1998, toutes ces années ont été utiles pour construire un chemin commun, prolonger indéfiniment l'incertitude institutionnelle ne peut à présent qu'aggraver la crise économique et provoquer l'embrasement social que ne manqueront pas d'exploiter les puissances qui veulent chasser la France de cette partie du monde.
Voilà pourquoi il est temps de donner un cadre institutionnel durable aux Calédoniens sans céder au chantage de la violence que le territoire a connu cette nuit. Malgré nos divergences politiques, je remercie M. le rapporteur pour les paroles fortes qu'il a tenues.
Il est surréaliste qu'il n'y ait pas unanimité dans cet hémicycle pour tout simplement faire respecter le caractère universel du suffrage et l'égalité des électeurs devant la loi. À force de tordre les principes républicains, et sous l'effet de la démographie, nous sommes arrivés à ce scandale démocratique, dénoncé par tous : un électeur sur cinq est privé du droit de vote aux élections provinciales – soit plus de 40 000 Calédoniens.
Le projet du Gouvernement, que je voterai, bien entendu, reste d'ailleurs trop restrictif puisqu'il impose, à l'exception des natifs, une domiciliation continue d'au moins dix ans, conformément à la demande des indépendantistes, ce qui priverait encore 20 000 Calédoniens du droit de vote.
Au XXI
Ce projet de loi constitutionnelle, s'il est indispensable, n'est cependant pas suffisant car, pour réconcilier les Calédoniens, qu'ils soient indépendantistes ou loyalistes, nous devons ensemble, de Paris à Nouméa, être capables de relever simultanément trois défis majeurs.
Le premier défi est de trancher rapidement la question du statut institutionnel pour ne pas laisser perdurer l'incertitude politique qui alimente le mirage d'une indépendance, nourrit les rancœurs et dissuade les investissements économiques. Mes chers collègues, ne nous faisons aucune illusion : des puissances étrangères soufflent sur les braises pour déstabiliser la Nouvelle-Calédonie. Nous en avons eu l'exemple cette nuit. La Chine veut étendre son influence au Pacifique Sud. Aujourd'hui de nombreux petits États, comme les Îles Salomon ou le Vanuatu, se mordent les doigts d'être tombés dans le piège de Pékin.
Il est donc urgent que les acteurs calédoniens, trop souvent dispersés – pour ne pas dire « divisés » –, se mettent d'accord sur un statut qui définisse l'autonomie dans le cadre de la souveraineté française. Et s'ils n'en sont pas capables, ce sera au Gouvernement et à la représentation nationale de le faire sans tarder et sans trembler.
La question n'est d'ailleurs pas de donner encore plus de compétences aux autorités locales, car la Nouvelle-Calédonie a plus d'autonomie vis-à-vis de la France que cette dernière vis-à-vis de l'Union européenne, mais de simplifier l'organisation entre communes, provinces et Congrès, d'une incroyable complexité, pour une population de seulement 260 000 habitants. Les Calédoniens sont de plus en plus las des jeux de pouvoir des uns et des autres. Ils aspirent tout simplement à vivre en sécurité – on a vu ce qui s'est passé cette nuit –, et à voir leurs conditions de vie ne pas se détériorer davantage.
Le deuxième défi à relever est, bien évidemment, économique. Une part importante de l'économie locale dépend du secteur du nickel, et la concurrence déloyale de la Chine et de l'Indonésie peut rayer de la carte le moteur de la prospérité calédonienne – on l'a vu avec l'usine du Nord. Là encore, ce n'est pas en se rejetant mutuellement la faute que l'on arrivera à sortir de l'impasse. Il y a urgence à défendre le nickel calédonien et à diversifier l'économie.
Mais encore faudrait-il que la France propose une ambition nationale aux Calédoniens, c'est le troisième défi. Depuis le départ de Jacques Chirac, les ultramarins, sur toutes les mers du globe, sont à tort perçus trop souvent comme une charge, et non comme un atout, par les gouvernements successifs qui ont de plus en plus rétréci leur regard à la seule Union européenne.
Il suffit de regarder une carte pour comprendre ce que pourraient représenter ces territoires du Pacifique pour notre nation si nous étions enfin capables de nous donner les moyens d'une ambition maritime mondiale.
Les Calédoniens ont fait entendre leur voix, ils ont dit oui à la France : donnons-leur les moyens de ce plébiscite de tous les jours.
Je vous présente tout d'abord mes excuses pour avoir dû m'absenter, ce qui m'a empêché d'entendre certains orateurs mais le garde des sceaux m'a rapporté les propos tenus et j'y répondrai. Je remercie ceux d'entre vous qui soutiennent le texte du Gouvernement, modifié par le Sénat, et j'essaierai de répondre aux questions de ceux qui ne l'approuvent pas.
Je commencerai pas dire aux députés du groupe Socialistes et apparentés qu'à trois reprises, les référendums prévus par l'accord de Nouméa se sont soldés par un « non ». L'accord de Nouméa, négocié à la suite des accords de Matignon, présente de nombreuses qualités, en particulier celle d'avoir restauré la paix en Nouvelle-Calédonie, d'avoir permis aux gens de renouer le dialogue, notamment sur le futur statut institutionnel de l'île. Cependant, rien n'étant parfait, ces accords n'avaient peut-être pas prévu que le peuple calédonien dirait, par trois fois, non.
Par trois fois ! Le Conseil d'État a validé le dernier référendum. Le sujet ne souffre pas la moindre contestation.
Tous les maires, y compris ceux qui étaient indépendantistes, ont organisé ce référendum. M. Paul Néaoutyine, qui préside l'assemblée de la province Nord, est indépendantiste et il a voté ! Aller chercher du côté de l'Azerbaïdjan, grande démocratie s'il en est, une preuve de la contestation internationale de ce troisième référendum, ne prouve pas indiscutablement l'adhésion aux valeurs démocratiques ou à l'universalisme qu'évoquait tout à l'heure M. Guedj.
Il demeure qu'il n'avait pas été prévu que les Calédoniens répondraient « non ».
Peut-être était-ce une grande erreur. C'est en tout cas ce que nous essayons de réparer aujourd'hui. La situation qui en a découlé est celle que nous constatons collectivement.
J'en viens aux propos des députés de La France insoumise et du groupe communiste. M. Le Gayic, élu en Polynésie, a affirmé, dans son explication de vote, que les Kanaks voulaient continuer à suivre leurs coutumes et que soit préservée la culture kanak dont ils sont fiers. Qu'il faille respecter l'histoire particulière de ce peuple, c'est incontestable. D'ailleurs, la Constitution le prévoit. Cependant, ce type de propos pourrait laisser croire à ceux qui ne connaîtraient pas le sujet autant que vous, que tous les Kanaks voteraient en faveur des indépendantistes.
Pardon, monsieur le député, mais j'ai remis, il n'y a pas si longtemps que cela, la légion d'honneur à un ancien sénateur, Gérard Poadja…
Pourquoi faites-vous de l'essentialisation ? Laissez les gens exercer librement leurs droits dans une nation démocratique. Les Kanaks votent ce qu'ils veulent, tout comme les Européens. Fort heureusement, le vote « oui » ou « non » à l'indépendance ne dépend ni de la couleur de peau, ni des origines ! C'est une essentialisation que je ne peux accepter en tant qu'universaliste, pour reprendre le mot de M. Guedj. Il ne faut pas essentialiser les populations : vous avez fait exactement ce reproche au Rassemblement national dans d'autres domaines, par exemple lors de l'examen de la loi « immigration ».
Fort heureusement, de très nombreux Kanaks sont contre l'indépendance et adhèrent à des partis non indépendantistes. Je prends l'exemple de M. Ponga qui, aujourd'hui, préside le parti des Républicains et mène l'opposition aux indépendantistes dans la province Nord, territoire indéniablement indépendantiste.
On trouve aussi des citoyens kanak dans la police, la gendarmerie. Certains, à l'heure qu'il est, sont même en train de se faire molester, sont blessés, se font tirer dessus à balles réelles. Il ne faut pas essentialiser…
Cela a déjà été dit en commission : je regrette que vous ayez cette vision essentialiste. Il y a même des Européens qui votent pour l'indépendance ! C'est leur droit le plus strict. Ne les essentialisez pas. Ne confondez pas…
M. le député vient de me dire à l'instant que 95 % des Kanaks votaient pour l'indépendance : c'est donc bien une essentialisation ethnique ! Personnellement, je ne fais pas grand cas de ce genre de pourcentage ou de statistique…
Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Il y a une spécificité de la Nouvelle-Calédonie ; c'est une exception française.
Pouvons-nous discuter sans que vous criiez ? Pensez-vous que ce soit possible dans un débat ? Pourrons-nous espérer terminer le quinquennat autrement que sous vos cris dès que l'on s'adresse à La France insoumise ?
Ce serait un défi intéressant.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Monsieur Delaporte, je compte sur vous pour rapporter ma réponse à M. Guedj. Je l'ai écouté avec attention et j'ai pour lui beaucoup de respect. Nul doute qu'il essaie avec respect et humilité, comme on dit en Nouvelle-Calédonie, d'apporter sa pierre à l'édifice, dans la tradition de votre parti politique. Il dit qu'il est « universaliste, mais », qu'en Nouvelle-Calédonie, la construction pourrait s'envisager autrement. Eh bien non, quand on est universaliste, pardon de cet impératif catégorique, on l'est pleinement, c'est-à-dire qu'on pense que tout le monde doit tendre vers certaines valeurs, d'autant plus qu'il n'est pas désagréable de s'en imprégner – ce sont des valeurs de la démocratie, et de l'égalité de suffrage. Il n'y a pas d'« universaliste mais ». Si je dis à quelqu'un que je l'aime, je ne vais pas mettre un bémol à mes sentiments en ajoutant « mais ».
On ne peut pas être « universaliste mais ». Cela n'empêche pas, comme vous l'avez fait avec raison, monsieur Le Gayic, de se demander si les valeurs occidentales ou démocratiques telles que nous les imaginons sont les bonnes valeurs pour les peuples d'Océanie, mais ce n'est pas ne pas être universaliste que de le dire, c'est prendre en considération une culture, des droits. D'ailleurs on sait tous qu'il y a un droit coutumier à respecter en Nouvelle-Calédonie, la Constitution le prévoit. Je ne comprends donc pas cette contradiction au sein du parti socialiste et singulièrement chez M. Guedj qui est « universaliste mais ». Il faudra m'expliquer dans quelle partie du monde l'universalisme s'applique et dans quelle autre partie, il ne s'applique pas.
M. Guedj, à la tribune, en était encore à vouloir décoloniser la Nouvelle-Calédonie. Cela veut donc dire qu'il admet que le gouvernement socialiste, pourtant porté de très nombreuses fois aux responsabilités, n'a pas décolonisé la Nouvelle-Calédonie. L'argument me semble donc spécieux.
Monsieur Rimane, vous comparez ce qui n'est pas comparable. La comparaison entre la situation en Nouvelle-Calédonie et le 8 Mai qui commémore la libération du joug nazi, n'est pas tenable.
Parce que les Français ne sont pas des nazis, monsieur le député de la France. Je regrette qu'en tant que député, vous ne l'ayez pas vraiment distingué.
Vous avez comparé en quelques minutes ce que nous commémorons le 8 mai…
Je parlais de la guerre et de l'occupation : de rien d'autre, et pas du nazisme !
Ce que nous commémorons le 8 mai, c'est la libération de l'Europe et de la France du joug nazi. Votre comparaison m'a choqué et m'a blessé.
Je respecte vos propos, monsieur Rimane. Nous les relirons. Je vous ai écouté avec attention.
Et ce n'est pas la peine de me menacer, ni de m'agresser ! Vous ne me faites pas peur, monsieur le député !
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Je réponds à des arguments démocratiques. Je suis moi-même petit-fils de colonisés, de gens qui ont choisi la France et qui ont été enrôlés de force dans l'armée française. N'avancez pas cet argument contre moi : mon grand-père s'est enrôlé pour combattre les nazis ! Dresser cette comparaison à la tribune de l'Assemblée ne me paraît pas digne de tous ceux qui, en Nouvelle-Calédonie, se battent pour l'indépendance – ils en ont parfaitement le droit et nous le respectons –, sans se livrer à de telles comparaisons, qui ne sont pas du niveau de notre débat démocratique.
Cette référence au 8 mai 1945 nous entraîne d'ailleurs assez loin du sujet de notre discussion, la possibilité de voter à des élections locales, et du texte constitutionnel que nous vous soumettons.
Le problème est que vous n'entendez pas ceux qui ne sont pas d'accord avec vous, ce qui rend difficile le débat démocratique. Essayons tout de même d'échanger !
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Monsieur Molac, vous évoquiez la place d'une partie de ceux qui souhaitent depuis très longtemps l'indépendance, pour des raisons politiques tout à fait compréhensibles, que nous respectons évidemment. La Constitution et la France les respectent également.
Vous avez comparé la situation de la Nouvelle-Calédonie avec celle de l'Australie. Mais vous avez pu constater que le dernier référendum australien n'a pas donné raison à ceux qui voulaient conférer davantage de droits aux Aborigènes. Je ne sais d'ailleurs pas dans quelle partie de l'Australie on leur a accordé l'indépendance. Votre comparaison est donc un peu lointaine.
Par ailleurs, contrairement à ce que l'on constate en Australie – j'ai le plus grand respect pour cette grande démocratie –, sur les cinq institutions néo-calédoniennes, quatre sont gouvernées par les indépendantistes. Plus de la moitié des communes de Nouvelle-Calédonie sont gérées par des maires et des conseils municipaux indépendantistes. Je ne connais aucun autre endroit du monde où des gens qui souhaitent mener une politique consistant à lutter pour l'indépendance et pour la séparation d'avec un territoire particulier peuvent occuper de tels postes.
Vous citez l'ONU. Mais l'ONU nous félicite chaque année !
J'ai eu l'honneur de représenter mon pays devant elle pas plus tard qu'il y a trois semaines, comme je le fais chaque année. La France est le seul pays à répondre aux interrogations de l'ONU au sujet des territoires figurant sur la liste du C24, le Comité spécial chargé d'étudier la situation en ce qui concerne l'application de la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, également appelé Comité spécial des Vingt-Quatre. Ni la Grande-Bretagne, ni les États-Unis ne le font. L'ONU constate ainsi que quatre institutions néo-calédoniennes sur cinq sont gouvernées par les indépendantistes. Votre comparaison avec l'Australie me paraît donc un peu rapide. C'est bien la France, au contraire, qui a montré la voie.
Enfin, vous avez évoqué à plusieurs reprises la nécessité pour le Gouvernement de se monter impartial. Il doit bien sûr être impartial, mais il ne doit pas être neutre.
C'est un partenaire, signataire des accords de Nouméa et de Matignon, qui a le droit d'affirmer qu'après trois référendums organisés suivant les règles prévues par la Constitution, il faut accepter et respecter le vote des Calédoniens.
Le Gouvernement est évidemment heureux que la démocratie puisse vivre. Il respecte ceux qui veulent l'indépendance, il permet que l'on discute avec eux : il y a des partis politiques et des syndicats indépendantistes, y compris au sein de la police nationale et de la magistrature.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Cela montre la grandeur et l'ouverture d'esprit de notre nation, et notre respect pour chacune et pour chacun. Le Gouvernement n'en a pas moins le droit de dire qu'il aime la Nouvelle-Calédonie et les Calédoniens, et qu'il est heureux qu'ils aient choisi de rester français.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.
Rassurez-vous, mon intervention sera très brève. J'ai écouté, comme vous sans doute, dans un silence de cathédrale, l'intervention de Nicolas Metzdorf. Il était à l'évidence très ému. Je me demandais : « Qui est-il, celui-là ? N'est-il pas Calédonien ? Qu'est-il alors ? » Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes n'appartiendrait donc pas à un peuple ? Est-ce cela qu'on nous raconte ?
Je veux dire un mot des violences commises hier. Vous auriez pu vous lever et adopter notre attitude de compassion vis-à-vis des militaires blessés.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe RN, du groupe LR et du groupe Dem.
Enfin, je veux rappeler qu'effectivement, à trois reprises, les Calédoniens ont souhaité rester dans la République, avec un corps électoral restreint, comme nous le savons. Sans cette restriction, les résultats de ces consultations eussent sans doute été plus probants encore.
Comme l'a dit Nicolas Metzdorf, on a envisagé successivement de restreindre le corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province aux électeurs nés ou domiciliés en Nouvelle-Calédonie depuis au moins trois, sept, puis dix années. À chaque fois, une concession a été faite. Ces propositions ne sont pas, à l'origine, celles du Gouvernement, mais celles des indépendantistes.
Bien sûr que si ! Vous pouvez bien dire « Mais non ! Mais non ! » C'est : « Mais oui ! Mais oui ! »
Je vais vous dire une dernière chose, toute simple. Quand Gérald Darmanin et moi-même sommes allés en Nouvelle-Calédonie, nous avons rencontré des gens lors de nos pérégrinations, nous les avons salués et nous avons parlé avec eux. Je me souviens en particulièrement d'une jeune femme, qui disait : « Moi, il y a plus de vingt ans que je suis ici. Ce pays, je l'aime ; cette terre, c'est la mienne. Je vis avec toutes les communautés. Et je suis quoi ? Et je suis qui ? » Voilà tout ce que je voulais vous dire, car il me semble important que tous ceux qui font cette terre puissent s'exprimer à son sujet.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe Dem.
J'appelle maintenant les articles du projet de loi constitutionnelle dans le texte du Sénat.
Deux orateurs sont inscrits sur l'article. La parole est à M. Arthur Delaporte.
C'est l'occasion de nouer avec M. le ministre le dialogue que nous n'avons pas pu avoir en commission, puisqu'il ne pouvait être présent.
On ne m'a pas invité !
Je crois que le Gouvernement n'est pas présent lors de la discussion en commission de réformes constitutionnelles. Ce n'est pas un reproche ! Je veux seulement dire que la discussion dans l'hémicycle nous permet de dialoguer et d'échanger des arguments.
Monsieur le ministre, vous dites à peu près : « Nouméa, c'est fini. » Moi, je vous lis l'avis que le Conseil d'État a rendu en décembre dernier, page 3 : « le Conseil d'État considère que le cadre juridique applicable à la Nouvelle-Calédonie en vertu de la loi organique du 19 mars 1999 », c'est-à-dire de l'accord de Nouméa, « demeure applicable après la troisième consultation, qui est intervenue le 12 décembre 2021 et a donné lieu à une réponse négative, aussi longtemps qu'une révision de la Constitution ne sera pas intervenue » pour fixer un nouveau cadre.
Je vais à la page suivante et je lis que « l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie doit demeurer inchangée en cas de réponse négative à la troisième consultation. » Il est également écrit : « Le Conseil d'État considère que la notion d'organisation politique inclut nécessairement le régime électoral des assemblées de province et du Congrès ».
L'esprit de Nouméa, c'est donc le gel du corps électoral. Nous, le législateur, l'avons gelé en raison de conditions singulières et particulières. Oui, ne vous en déplaise, monsieur le ministre, nous sommes engagés dans un processus de décolonisation.
Avec le rapporteur, nous avons évoqué en commission la définition de la décolonisation. La résolution 1514 de l'Assemblée générale de l'ONU, datant de 1960, pose des principes relatifs au processus de décolonisation. La résolution 1541 de cette même assemblée prévoit quatre modalités de décolonisation : accéder à l'indépendance, rester intégré à la puissance administrative, s'associer librement à cette puissance, les colonies conservant un lien avec elle – c'est le projet des indépendantistes –, ou déterminer librement tout autre statut.
Il faut lire la dernière résolution de l'Assemblée générale de l'ONU de décembre 2023 relative au peuple calédonien…
Nous la lirons nous-mêmes, monsieur le député. Votre temps de parole est écoulé.
La parole est à M. Antoine Léaument.
Monsieur le ministre de l'intérieur, si vous souhaitez des débats apaisés, il faut commencer par arrêter de calomnier vos adversaires et de mentir au sujet de nos positions.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Marcellin Nadeau applaudit également.
Il n'y a ici que des républicains, qui veulent défendre pleinement et totalement les principes de la République.
Or ces principes souffrent dans une situation coloniale.
Je veux vous rappeler ce que prévoyait à ce sujet la Constitution de la I
Or, précisément, l'accord de Nouméa reconnaît qu'il y a deux peuples : un peuple colonisé et un autre qui a colonisé. Dès lors, il n'est pas possible de faire comme si cette situation n'existait pas. Il n'y a ici que des gens qui considèrent comme un problème le fait que 20 % de nos compatriotes ne puissent pas faire partie du corps électoral. Mais il y a ici des amis de la paix civile, des gens qui souhaitent que nous restions dans le cadre de l'accord de Nouméa, qui va dans le sens d'un consensus.
Monsieur Darmanin, vous avez menti à plusieurs reprises. Vous avez menti lorsque vous avez dit qu'il y avait un droit à géométrie variable, car c'est vous qui êtes en train d'en créer un, puisque l'accord de Nouméa prévoit justement, dans l'hypothèse d'un vote négatif aux trois référendums, que « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée », « tant que les consultations n'auront pas abouti à la nouvelle organisation politique ».
Ce n'est pas ce que vous faites, et c'est la raison pour laquelle il y a en ce moment des tensions en Nouvelle-Calédonie. Nous vous appelons à respecter le calme et la bienséance dans ce débat, afin qu'il permette d'aboutir à la paix civile. Pour y parvenir, il faudra retirer ce texte.
Exclamations sur les bancs du groupe RE. – Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Marcellin Nadeau applaudit également.
Monsieur Léaument cite souvent la Constitution de la V
Oui, mais il cite souvent celle de la V
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Sourires.
Ah bon, d'accord !
Il a choisi de se référer à la Constitution de Saint-Just, mais celle de 1958 me paraît plus actuelle, puisque c'est la nôtre. Je voudrais le renvoyer à l'article 1er de cette dernière : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. »
C'est l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen !
C'est exactement ce qui nous guide : les citoyens sont libres et égaux devant la possibilité de voter sur une terre qui est la leur !
Applaudissements sur les bancs du groupe RE et quelques bancs du groupe Dem.
J'espérais que vous le souligneriez.
Je voudrais aussi vous renvoyer aux droits reconnus à l'article 2. La liberté, c'est bien sûr notamment – je l'espère pour vous – celle de choisir son destin. La propriété, c'est malheureusement ce qui n'est pas respecté en ce moment même en Nouvelle-Calédonie. Quant à la sûreté, alors que nous sommes obligés d'envoyer le GIGN – Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale – pour sauver des personnes âgées de 80 à 85 ans se trouvant dans des maisons que l'on brûle actuellement en Nouvelle-Calédonie, et que vous n'avez pas un mot pour elles, ni pour les policiers et les gendarmes attaqués ou molestés, je m'interroge.
Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Quant à M. Delaporte…
Les exclamations se poursuivent.
Il est dommage que vous n'ayez pas un mot pour déplorer que nous devions envoyer le GIGN sauver des personnes âgées aux maisons desquelles on met le feu pour des raisons politiques ! Même si vous ne condamnez pas les attaques dont font l'objet les gendarmes, vous pourriez au moins condamner ces agissements !
Mêmes mouvements.
S'il vous plaît ! Monsieur le ministre, merci de conclure ! Monsieur Delaporte !
Je ne parle pas de vous, monsieur Delaporte !
M. Arthur Delaporte brandit le règlement.
On se calme ! Monsieur le ministre, terminez votre propos. Vous aurez la parole pour le rappel au règlement que vous demandez, monsieur Delaporte.
Ne vous énervez pas : je ne confonds pas la NUPES en tous jours et en tous lieux, je vous distingue. Vous avez indiqué à la tribune que vous condamniez ces exactions. Je parlais à l'instant de La France insoumise.
Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Vous n'avez pas non plus le droit d'insulter les insoumis ! Vous attaquez notre honneur, c'est scandaleux !
S'agissant de la question de la décolonisation, monsieur Delaporte, vous avez expliqué qu'il existait plusieurs façons de prendre acte qu'un territoire était décolonisé. Or tel n'est pas l'objet des accords de Nouméa.
Des alertes retentissent, suscitant des exclamations prolongées sur divers bancs.
Nous recevons une alerte sur les téléphones !
La France est en danger, monsieur le ministre ! Nous avons reçu une alerte !
Sourires sur plusieurs bancs.
Monsieur Delaporte, pourriez-vous m'écouter ? Comme cela avait été prévu par les accords de Nouméa, un audit de la décolonisation a été réalisé. Il n'a pas été mené par l'État français mais avec l'aide de dirigeants étrangers choisis par l'ONU, et il a été accepté par chacune des parties.
Les exclamations se poursuivent.
Je n'ai pas terminé !
Certes mais, comme vous l'avez remarqué, des alertes retentissent en ce moment. Par conséquent, le son de votre micro est brouillé et personne ne vous entend.
Personne ne m'entend parce qu'on ne me laisse pas parler !
J'eusse aimé poursuivre mon propos !
Je vous demande d'abréger votre réponse : un député a demandé un rappel au règlement et il est vingt heures, l'heure de lever la séance. De plus, nous n'arrivons pas à nous entendre dans cet hémicycle. Nous ne donnons pas une très belle image de notre assemblée, ce qui, franchement, est bien dommage au moment où nous abordons un thème comme celui-là.
Oui, une très mauvaise image ! Un sujet aussi important exigerait davantage de tenue !
Monsieur Delaporte, demandez-vous toujours la parole pour un rappel au règlement ?
Dans ce cas, je lève la séance en espérant que nous reprendrons ce débat dans de meilleures conditions à vingt et une heures trente.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, portant modification du corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra