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Intervention de Éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du lundi 13 mai 2024 à 16h00
Modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la nouvelle-calédonie — Présentation

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Cela fait désormais cent soixante et onze ans que la France et l'archipel de la Nouvelle-Calédonie partagent un destin commun et une histoire institutionnelle, à l'image de la population de ce dernier, riche et complexe.

Le texte constitutionnel dont nous allons débattre revêt une importance particulière. Je me suis d'ailleurs rendu en Nouvelle-Calédonie il y a quelques semaines avec mon collègue Gérald Darmanin, en amont de nos débats, afin de dire sur place l'engagement total de l'État et du ministère de la justice en particulier. J'ai pu inaugurer le centre de détention de Koné et entériner la construction tant attendue de la nouvelle prison de Nouméa, dont le coût atteindra un montant record de près d'un demi-milliard d'euros.

Revenons-en toutefois au cœur de nos débats. La démocratie calédonienne est un acquis récent, puisqu'il a fallu attendre un décret de 1957 pour que le suffrage universel soit institué sur l'archipel. Jusqu'aux années 1980, la démocratie locale a joué un rôle important pour canaliser les pulsions les plus violentes.

À la suite des événements survenus en 1984, qui ont brisé la paix, les accords de Matignon signés en 1988, puis ceux de Nouméa conclus en 1998, ont marqué un tournant majeur dans l'histoire démocratique de l'archipel. Ils ont, en effet, fixé un cap, celui la préparation de l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, si tel était le souhait de ses habitants. En 1998, le titre XIII de la Constitution a d'ailleurs été renommé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ».

Depuis, par trois fois, les Calédoniens ont choisi de rester dans la République.

S'il n'est pas question que l'État décide seul de l'évolution institutionnelle de l'archipel, l'un des éléments de l'organisation politique doit toutefois être impérativement réformé : la composition du corps électoral aux élections du Congrès et des assemblées de province. Gelée depuis la révision constitutionnelle de 2007, elle n'est désormais plus conforme aux exigences constitutionnelles et conventionnelles de la France – le caractère transitoire que j'ai évoqué ne peut perdurer.

Consulté sur le sujet, le Conseil d'État a indiqué, sans aucune ambiguïté, que seul le pouvoir constituant pouvait modifier les règles relatives au corps électoral calédonien.

Par conséquent, le Gouvernement a pris ses responsabilités et a déposé devant le Sénat un projet de loi constitutionnelle, qui entendait répondre aux trois impératifs suivants : dégeler, en partie, ce corps électoral restreint, propre aux élections au Congrès et aux assemblées de province ; permettre la tenue de ces élections avant la fin de l'année 2024 ; et laisser aux partenaires politiques calédoniens la possibilité de conclure un accord portant sur l'organisation politique.

Le projet de loi constitutionnelle, dans sa version adoptée par le Sénat, garantit que les prochaines élections au Congrès et aux assemblées de province se tiendront avec un corps électoral conforme aux exigences juridiques et démocratiques de notre pays.

Initialement, l'accord de Nouméa devait s'appliquer durant une période de vingt ans. Or il a été conclu il y a vingt-six ans et le cycle de consultations relatives à l'accession à la pleine souveraineté a pris fin il y a bientôt trois ans. À défaut d'un nouvel accord entre les partenaires politiques, le régime dérogatoire au droit électoral commun doit être repensé. Il y va de sa conformité avec les grands principes constitutionnels : l'égalité devant la loi, le caractère universel du suffrage et le droit de tous les citoyens à concourir personnellement, ou par l'intermédiaire de leurs représentants, à la formation de la loi.

Il n'est pas du tout certain que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) juge, en 2024, que le gel du corps électoral restreint est conforme aux engagements conventionnels de notre pays.

Le Sénat a adopté le projet de loi constitutionnelle, sans remettre en question le dégel du corps électoral proposé par le Gouvernement. Je ne peux que m'en féliciter et je tiens à saluer l'œuvre du rapporteur Nicolas Metzdorf. De même si la Chambre haute a substantiellement modifié le dispositif initialement proposé, le texte adopté devrait néanmoins permettre de respecter l'impératif calendaire.

La substitution du législateur organique au pouvoir réglementaire est conforme à l'esprit de la Constitution et à la démocratie. Elle conforte ainsi le rôle du Parlement dans nos institutions. De même, confier le constat de l'existence d'un accord politique et institutionnel aux présidents des assemblées parlementaires me semble, à la réflexion, tout à fait pertinent. L'avenir de la Nouvelle-Calédonie dépendra ainsi, en grande partie, de la capacité du Gouvernement et du Parlement à trouver, dans les plus brefs délais, le meilleur des compromis. En l'état, le texte adopté par le Sénat me semble finalement constituer un point d'équilibre acceptable.

Au nom du Gouvernement, j'ai l'honneur de défendre devant vous, avec le ministre de l'intérieur et des outre-mer, ce projet de loi constitutionnelle. J'ai conscience que la réforme du corps électoral restreint aux élections au Congrès et aux assemblées de province relève avant tout des négociations entre les partenaires politiques calédoniens. C'est tout le sens de ce qu'a proposé mon collègue Gérald Darmanin concernant les discussions qui pourront se poursuivre dès le vote de ce texte. Toutefois, l'urgence commande au Gouvernement et au Parlement d'intervenir. Il y va de la démocratie calédonienne et, au-delà, de la démocratie sur l'ensemble du territoire national.

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