Quand on monte à la tribune de l'Assemblée nationale pour parler de la Nouvelle-Calédonie, il faut garder à l'esprit deux exigences : celle de l'humilité – Arthur Delaporte l'a dit – et celle de la gravité.
L'humilité à ce propos, je l'ai apprise il y a trente ans, en passant quelques mois merveilleux sur le Caillou, aux côtés d'un haut-commissaire exemplaire. J'ai découvert un pays attachant et complexe ; j'y étais venu avec des certitudes et j'en suis reparti avec beaucoup d'interrogations.
L'humilité est de mise depuis 1988 : si les gouvernements, présidents de la République, Premiers ministres et parlements successifs ont travaillé d'arrache-pied sur le processus qui avait alors été enclenché, c'était en ayant comme horizon le dialogue et le consensus, instaurés en règle. Cette règle doit rester un fil à plomb permanent qui oblige chacun des acteurs à prendre position en tenant compte de l'avis de l'autre, et cet acteur éminent qu'est l'État depuis 1988, à jouer le rôle non pas d'arbitre mais de garant de cette méthode.
La deuxième exigence est celle de la gravité. La Nouvelle-Calédonie est capable de grands moments de crise – c'est là qu'a eu lieu la dernière guerre civile que notre pays ait connue, et tout ce que nous faisons depuis 1988 vise précisément à panser les plaies qu'elle avait laissées et à construire un destin commun. La gravité peut surgir à tout moment : nous en avons été témoins la nuit dernière, alors que le Congrès de Nouvelle-Calédonie s'apprêtait à voter une résolution, immédiatement contestée – tout comme la légitimité même de cette institution, créée à l'issue du processus ouvert en 1988.
D'autres crises risquent de surgir – après nos débats, ou bien si le Congrès se réunit prochainement, lors d'une prochaine visite ministérielle, à l'occasion des élections européennes ou du passage de la flamme olympique. Quand on parle de la Nouvelle-Calédonie, on doit surveiller attentivement la manière dont les acteurs locaux perçoivent notre action. En effet, de part et d'autre, il y a, chez certains, une préférence pour le chaos. Si le dialogue et la recherche du consensus ne représentent plus des chemins praticables, la fuite en avant peut apparaître comme un accélérateur de solutions radicales. Le cocktail entre crise économique et sociale et crise institutionnelle est potentiellement détonant.
L'État, monsieur le ministre, ne peut participer à ce durcissement par son calendrier et sa méthode.