À quelques mètres de cet hémicycle, dans la perspective de la salle des quatre colonnes, avant l'ascenseur dit des ministres, se trouve un écriteau doré : « salle Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou ». Nous passons devant chaque jour, sans toujours nous rappeler qu'au cœur même de notre assemblée, nous avons choisi de célébrer ces responsables politiques pacifiques et audacieux qui ont su, au-delà du spectre d'un conflit civil et du fossé tracé par la colonisation, dépasser leurs différences, les inimitiés et les haines. Ils ont pris ensemble le risque des accords de Matignon-Oudinot et ont fondé en 1988 l'édifice sur lequel repose, aujourd'hui encore, le statut de la Nouvelle-Calédonie. Ce risque, Jean-Marie Tjibaou l'a payé de sa vie : il est mort assassiné, avec Yeiwéné Yeiwéné, il y a trente-cinq ans et neuf jours, le 4 mai 1989.
Si notre assemblée rend honneur à ces hommes de paix, c'est qu'elle célèbre à travers eux une méthode, celle du dialogue et du consensus, mais aussi une forme d'humilité et de refus des certitudes établies. L'histoire de la Nouvelle-Calédonie – ses soubresauts comme ses avancées soudainement spectaculaires – nous rappelle aussi la nécessité permanente d'aborder ce sujet avec la même humilité à l'égard de ce territoire si riche et qui, éloigné géographiquement de l'Hexagone, reste trop méconnu.
Pourtant, l'histoire du Caillou est en partie la nôtre : le meilleur de la République qui a su y inventer un processus de décolonisation inédit ; le pire, aussi, des conséquences de la colonisation ; les ombres et les lumières. Cette île fut avec l'Algérie l'une des deux colonies de peuplement françaises – une colonie pénitentiaire pour les communards ou les rebelles algériens, où furent envoyés forçats et déportés ainsi que les orphelines, pour renforcer la présence féminine. Des violences y furent commises contre les peuples premiers, décimés notamment par les épidémies ou la violence des colons, dépossédés de leurs terres.
L'histoire est ainsi faite de soubresauts, de progrès puis, parfois, de reculs. La loi du 23 juin 1956, relative aux mesures propres à assurer l'évolution des territoires relevant du ministère de la France d'outre-mer – dite loi-cadre Defferre –, a octroyé le droit de vote à ceux qui, jusqu'en 1946, n'étaient même pas des citoyens mais des sujets.
Dans les années 1970, les équilibres démographiques ont été bouleversés par une immigration nouvelle liée au boom du nickel, mais aussi à la volonté de limiter les revendications indépendantistes. Le Premier ministre d'alors, Pierre Messmer, souhaitait poursuivre le peuplement pour que « les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire ».