Nos positions sont très claires, mais le dialogue de sourds se répète : vous reprochez à l'opposition les excès de son vocabulaire, vous l'accusez d'adopter une posture et sans doute levez-vous intérieurement les yeux au ciel chaque fois que vous nous entendez dire « marche forcée », « unilatéralement », « passage en force » ou « avec brutalité » – termes que nous continuerons de marteler dans chacun de nos discours. Nous avons des convictions, des certitudes : nous voulons trouver une solution qui permette à tous les acteurs de revenir autour de la table des négociations. Cependant je crains qu'il ne faille plus de patience que la vôtre pour y parvenir.
Vous vous efforcez de présenter votre position comme celle de la nuance, du compromis, de la recherche de solution. L'opposition, pourtant, n'est pas seulement dans son rôle quand elle s'oppose ; elle l'est lorsqu'elle vous alerte au sujet de la violence qui pourrait resurgir en Nouvelle-Calédonie et vous fait part de ses inquiétudes concernant la méthode brutale que vous employez à dessein : donner quelques mois aux acteurs pour se mettre d'accord sur un compromis, tout en les menaçant de faire voter un projet de loi constitutionnelle tel que vous l'entendez s'ils n'y parviennent pas.
Personne dans l'hémicycle n'est dupe de cette stratégie. De nombreuses voix s'élèvent pour tenter de sortir de l'impasse en proposant une solution de compromis : une mission de médiation conduite par une personnalité de haut niveau afin de favoriser la reprise des discussions et de garantir l'impartialité de l'État, compromise dès lors qu'il présente sa réforme constitutionnelle comme seul aboutissement possible. Cette mission suspendrait le processus constitutionnel jusqu'à la fin de l'année 2025, date limite prévue par le Conseil d'État pour organiser les élections provinciales de mai 2024. Cela laisserait aux parties le temps de construire une solution durable et pacifiée pour parvenir à un accord global. Cette mission semble être la seule issue possible aujourd'hui, pourquoi ne pas l'envisager ?
En 1988, alors que la Nouvelle-Calédonie traversait une période insurrectionnelle tragique, marquée par le drame d'Ouvéa, Michel Rocard avait désigné six personnalités pour renouer le dialogue. Une telle mission avait permis la signature des accords de Matignon.
Nous devons avoir pour objectif de sortir de l'impasse politique par le compromis et le dialogue, afin d'éviter que de nouveaux épisodes de violence, comme ceux dont nous venons d'être témoins, ne surgissent.
Je m'inquiète sincèrement de la brutalité de votre méthode, qui entretient l'illusion du dialogue pour, au fond, venir transposer un modèle colonial, aux antipodes de la recherche du consensus local dont nous avons tant besoin. À cet égard, je tiens à rappeler que l'ONU a classé la Nouvelle-Calédonie parmi les territoires à décoloniser et que ce projet de loi constitutionnelle touche aussi à des considérations de droit international qui appellent à la plus grande des prudences.
Notre priorité devrait être de tout faire pour éviter que ne resurgissent les épisodes tragiques déjà survenus en Nouvelle-Calédonie. Quelle sera la prochaine étape, une fois que vous aurez fait voter une réforme du corps électoral effaçant toute possibilité d'un accord tripartite ?
Les auteurs de ce projet de loi constitutionnelle n'ont rien appris, ni d'Ouvéa, ni du boycott massif des indépendantistes lors du troisième référendum. Le consensus n'est pas une des options possibles : c'est le seul chemin sur lequel le Gouvernement devrait s'engager, quand bien même il serait long et sinueux. Le consensus doit être notre boussole politique.