La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures quarante-cinq.
Suite de la discussion d'un projet de loi
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (n° 1514 rectifié, 1674).
Jeudi 5 octobre, l'Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s'arrêtant à l'article 4 bis .
Il s'agit d'un amendement de précision rédactionnelle, madame la présidente.
C'est un tout petit peu plus qu'un amendement rédactionnel, si vous me permettez de vous contredire, madame la rapporteure, chose que je n'aime pas vraiment faire. La simple mention de la publication d'un hypertrucage – j'adore ce mot –, puisque c'est de cette technique qu'il est question au présent article, ne permet pas d'englober tous les moyens employés pour diffuser des contenus malveillants. Nous proposons donc de remplacer le mot « publier » par les mots « porter à la connaissance du public ou d'un tiers », ce qui permettra notamment de sanctionner les personnes repartageant ces contenus. Par souci de cohérence, l'amendement procède à la même modification à l'article 226-8 du code pénal.
Par ailleurs, afin de mieux prendre en compte les caractéristiques de la personne visée, nous proposons de remplacer le mot « reproduisant » par le mot « représentant ». Cela élargira la marge d'appréciation des contenus incriminés.
La parole est à M. le ministre délégué chargé du numérique pour donner l'avis du Gouvernement sur ces deux amendements identiques ?
Je suis d'accord avec vous sur la nécessité de sanctionner la publication des hypertrucages mais la rédaction retenue dans vos amendements pourrait conduire à viser des personnes retweetant, repostant, repartageant des contenus qu'elles ne savent pas être issus de cette technique, d'autant qu'ils peuvent être très bien faits.
Il me paraîtrait plus sage de retravailler le texte afin de cibler les personnes les produisant ou les diffusant sciemment.
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl, pour soutenir l'amendement n° 22 .
Dans le cadre de notre discussion sur les hypertrucages, il me semble important de préciser que le consentement doit être exprès. Sans cela, il me semble que cette exigence peut rester un peu vague.
Cet ajout me paraît problématique. Raisonnons en miroir : que serait un consentement qui ne serait pas exprès ? Comment établir une distinction entre ces deux types de consentement ? La rédaction actuelle est suffisamment claire : la diffusion d'un hypertrucage est sanctionnée pénalement si elle est faite sans le consentement de la personne concernée. Demande de retrait ou avis défavorable.
L'amendement n° 22 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Victor Habert-Dassault, pour soutenir l'amendement n° 1042 .
Nous proposons de supprimer la notion d'évidence et d'ajouter que la sanction s'applique si la publication est intervenue sans le consentement de la personne « ou de celui de ses héritiers légaux lorsque la personne est décédée ».
Votre amendement pose deux problèmes. D'une part, il revient à sanctionner la publication de tous les hypertrucages, y compris ceux qui sont présentés comme ayant été générés en recourant à l'intelligence artificielle. D'autre part, il élargit le consentement aux héritiers légaux alors que, comme l'a rappelé la Cour de cassation dans sa décision du 31 janvier 2018, le droit à l'image s'éteint au décès de son titulaire et n'est pas transmissible aux héritiers.
J'ajouterai un argument : il est important de maintenir la condition posée dans le texte car il existe des hypertrucages qui ne sauraient passer pour des contenus réels. Poursuivant une visée simplement récréative – je pense en particulier à ceux qui sont humoristiques –, ils ne veulent faire du tort ou du mal à personne. Il ne faudrait pas dévitaliser ces possibilités créatives.
L'amendement n° 1042 n'est pas adopté.
L'amendement n° 27 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl, pour soutenir l'amendement n° 20 .
Cet amendement, comme celui que j'ai précédemment défendu, est sous-tendu par la volonté de renforcer la sécurité du dispositif juridique. L'article 4 bis assimile à une infraction déjà présente dans le code pénal en matière de montage « le fait de publier, par quelque voie que ce soit, un contenu visuel ou sonore généré par un traitement algorithmique et reproduisant l'image ou les paroles d'une personne sans son consentement, s'il n'apparaît pas à l'évidence qu'il s'agit d'un contenu généré algorithmiquement ou s'il n'en est pas expressément fait mention ». Je constate, madame la rapporteure, que le mot « expressément » renvoie bien à une réalité juridique puisqu'il en est fait mention dans le projet de loi. Cela dit, je ne reviendrai pas sur le débat soulevé par l'amendement n° 22 .
Le présent amendement a pour but d'ajouter l'adverbe « visiblement » après « expressément » afin d'éviter que la mention ne soit fondue dans l'image ou écrite en trop petits caractères pour qu'elle soit lisible. Cela éviterait tout détournement.
Je salue, monsieur Sitzenstuhl, votre volonté d'apporter des précisions au texte afin qu'il soit pleinement effectif. Nous estimons toutefois que le juge sera capable d'apprécier ces possibles détournements car le mot « expressément » englobe la nécessité de rendre la mention visible. Demande de retrait ou avis défavorable.
Votre souci de la précision a conduit la commission comme le Gouvernement à donner un avis favorable à l'un de vos amendements portant sur un précédent article. Toutefois, en l'espèce, « visiblement » n'ajouterait pas grand-chose à « expressément ». Demande de retrait.
L'amendement n° 20 n'est pas adopté.
Je suis saisie de deux demandes de scrutin public : l'un sur l'article 4 bis, par le groupe Renaissance, l'autre, sur les amendements n° 456 et identique, par le groupe Rassemblement national.
Les scrutins sont annoncés dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Constance Le Grip, pour soutenir l'amendement n° 1059 .
Il a pour objet d'exclure les œuvres cinématographiques et audiovisuelles du champ d'application de l'article 4 bis . Si nous adhérons à la volonté qui l'anime de lutter contre la désinformation et la manipulation en sanctionnant la publication et la diffusion de deepfakes, il nous semble que le fait que son champ d'application soit large comporte un risque. En effet, la sanction pourrait s'appliquer à de nombreuses situations inhérentes à l'acte même de créer : je pense en particulier aux œuvres cinématographiques ou audiovisuelles, qu'il s'agisse de films, de séries, de documentaires ou d'émissions de télévision. Les hypertrucages sont en effet susceptibles de constituer des sources d'inspiration pour les artistes.
Les difficultés à obtenir les autorisations et la complexité technique des solutions à mettre en œuvre pour faire mention de l'utilisation des hypertrucages sont susceptibles de générer une situation d'insécurité juridique pour les réalisateurs et les producteurs mais aussi les exploitants de salles, les opérateurs télévisuels ou les distributeurs dont la responsabilité pourrait être engagée pénalement.
Signalons en outre que le projet de règlement européen dédié à l'intelligence artificielle, en cours d'élaboration, traite précisément de l'utilisation des hypertrucages dans la création artistique. Mieux vaut attendre de savoir où le curseur sera placé avant de légiférer en ce domaine.
Madame la députée, je comprends votre inquiétude mais il est bien indiqué à l'article 4 bis que seuls les contenus dont il n'apparaît pas, à l'évidence, qu'ils sont issus d'hypertrucages seront sanctionnés. Cela ne concerne donc pas les œuvres audiovisuelles qui, à l'évidence, ne se confondent pas avec la réalité.
Par ailleurs, l'article 226-8 du code pénal, qui punit d'ores et déjà le fait de réaliser un montage avec les paroles ou l'image d'une personne sans son consentement, n'a jamais donné lieu à la censure d'œuvres audiovisuelles.
Demande de retrait ou avis défavorable.
En ce cas, je retire mon amendement, madame la présidente. Je suis heureuse que Mme la rapporteure ait apporté des précisions car de fortes inquiétudes règnent dans le monde de création audiovisuelle et cinématographique. Les choses sont dites et clairement dites.
L'amendement n° 1059 est retiré.
Dans cet hémicycle, c'est la première fois, me semble-t-il, que nous évoquons les deepfakes ou hypertrucages et je peux vous assurer que ce n'est pas la dernière. L'intelligence artificielle générative, technologie en plein développement, aboutit à la réalisation de contenus qu'aucun truqueur n'imaginait possible d'obtenir il y a à peine deux ou trois ans.
Le présent article a pour but de sanctionner le fait de « publier, par quelque voie que ce soit » un hypertrucage. Fort bien, mais pour que ce contenu soit diffusé, il faut bien qu'il ait été créé. Or la rédaction actuelle ne fait pas de différences entre la réalisation et la diffusion des hypertrucages, alors que ce sont deux choses différentes – cela répond peut-être aux préoccupations exprimées par Mme Amiot.
Or la personne qui produit un hypertrucage avec un objectif malveillant est à l'origine du délit – deux ou trois prompts suffisent pour obtenir un résultat très réaliste sur l'application MyJourney. Cette personne devrait donc être sanctionnée plus fortement que celle qui porte l'hypertrucage à la connaissance d'autrui.
Sans doute le présent amendement ne sera-t-il pas adopté ; je prends en tout cas rendez-vous avec vous, car nous aurons à en reparler.
Je vous remercie pour votre proposition. Vous souhaitez sanctionner la production d'un hypertruquage en vue de le diffuser, alors que le texte prévoit seulement de sanctionner la diffusion d'un hypertruquage qui ne serait pas présenté comme tel.
En effet, si un producteur présente son hypertrucage comme tel au moment de le diffuser, cela ne pose pas de problème. Seule la dissimulation du caractère truqué est problématique. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
Vous avez raison, monsieur Balanant, ce n'est pas la dernière fois que nous abordons les hypertrucages.
Cela étant, l'adoption de votre amendement ce soir serait prématurée. Outre les raisons qu'a évoquées la rapporteure, nous ne saurions interdire à quiconque de produire un hypertrucage. Vous proposez de punir une telle production, quand elle vise à « porter à la connaissance du public ou d'un tiers » les montages visés. Mais une telle intention est particulièrement difficile à évaluer.
La rédaction actuelle de l'article 4 bis, qui vise certaines formes de diffusion constatables sans ambiguïté est donc préférable. Je vous demande de retirer l'amendement, en convenant que nous aurons à rediscuter de ces questions.
Je précise que l'amendement vise « la production [d'un hypertrucage] aux fins de [le] porter à la connaissance du public ou d'un tiers ». Tout le monde a bien compris : vous proposez de sanctionner la diffusion des hypertrucages sur internet, mais non leur création.
Je comprends vos interrogations et je retire l'amendement. Nous devrons toutefois travailler sur ce point – une telle démarche est en cours au niveau européen. Comme le demandait également Mme Le Grip, pour mieux protéger nos concitoyens, nous devrons distinguer les hypertrucages qui relèvent d'une production artistique ou servent un objectif d'information et ceux qui sont simplement malveillants et qui doivent donc faire l'objet d'une sanction.
L'amendement n° 861 n'est pas adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 103
Nombre de suffrages exprimés 103
Majorité absolue 52
Pour l'adoption 92
Contre 11
L'article 4 bis, amendé, est adopté.
Le présent article crée une peine complémentaire de « bannissement » d'un réseau social, lorsqu'une infraction a été commise en utilisant ce réseau. Pourquoi pas ? Nous vous suivons sur ce point.
Le problème est que vous prétendez interdire à la personne condamnée de créer un nouveau compte sur le réseau social concerné – Facebook, par exemple – en soumettant les plateformes à une obligation de résultat, plutôt que de moyens.
Cela revient soit à accorder une sorte de pouvoir de police aux géants du numérique, dits Gafam, pour qu'ils se renseignent, enquêtent, s'assurent que la personne condamnée n'a pas ouvert d'autre compte sur leur réseau, ce qui serait inadmissible car ce n'est pas leur rôle ; soit à inviter les Gafam à demander une pièce d'identité aux personnes qui créeront un compte – c'est sans doute cette option que les Gafam choisiront, car c'est la moins coûteuse. Ainsi, vous réintroduisez les mesures prévues dans les amendements sur l'anonymat que le rapporteur général avait retirés. C'est un problème.
Outre que vous mettrez fin à l'anonymat en ligne – nous avons bien compris que la majorité n'était pas encline à protéger celui-ci –, vous permettrez aux Gafam et à TikTok – dont les liens avec le gouvernement chinois sont connus – de récolter et de stocker toutes les données inscrites sur les documents d'identités français. C'est inadmissible.
Le groupe Rassemblement national défendra donc un amendement de suppression de ce nouvel article liberticide de la majorité. Si cela ne suffit pas et si vous ne modifiez pas l'article, nous voterons contre.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Effectivement, après que la peine de « bannissement » prévue ici aura été prononcée, le juge pourra enjoindre les plateformes de réseaux sociaux à bloquer un compte, et à adopter tous les moyens à leur disposition pour empêcher que l'auteur du délit ne crée un nouveau compte. Toutefois, soyez rassuré, monsieur Lopez-Liguori, il s'agit là d'une obligation de moyens et non de résultats. Les plateformes ne pourront en aucune manière interpréter cette injonction du juge comme une invitation à collecter davantage de données qu'elles le peuvent actuellement, au titre de la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dite informatique et libertés, de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) ou du règlement européen relatif à un marché unique des services numériques dit RSN – pour règlement sur les services numériques – ou DSA.
L'article précise d'ailleurs que cette peine de suspension ne peut concerner que les plateformes visées par la LCEN ou par le DMA, le règlement européen relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique. L'obligation de moyens éventuellement prononcée par des juges ne vaut donc que dans le cadre défini par le règlement général sur la protection des données (RGPD). Cet article ne permettra donc pas aux plateformes de collecter des données additionnelles afin d'exécuter la peine de suspension.
La position du Gouvernement concernant l'anonymat en ligne relève de la schizophrénie. La semaine dernière, le Gouvernement a fait pression sur le rapporteur général, afin qu'il retire ses amendements portant article additionnel après l'article 4 AC, au motif qu'ils menaçaient l'anonymat en ligne. Or l'article 5 supprimera cet anonymat.
Eh si ! Cet article renforcera les pouvoirs de contrôle et de renseignement des Gafam plutôt que ceux de la justice, alors que seuls ces derniers devraient être confortés, selon nous.
Cet article constitue une grave atteinte à notre souveraineté numérique, car il délègue au secteur privé le pouvoir de récolter des informations d'identification. Nous demandons donc sa suppression.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir l'amendement n° 488 .
Cet article prévoit le bannissement de tous les réseaux sociaux des personnes condamnées.
Le Conseil d'État a évoqué les difficultés d'application de cette disposition. En effet, elle soumet les fournisseurs d'accès à internet (FAI) à une obligation de moyens qui les amènera à collecter les données des comptes de l'ensemble des utilisateurs d'un abonnement, lui-même rattaché à une adresse IP – internet protocol –, laquelle peut être fixe ou dynamique. Or les FAI pourraient, par mesure de précaution, pour satisfaire à leur obligation de moyens, décider de bloquer tous les comptes rattachés à une adresse IP, au détriment, notamment, des membres de la famille de la personne condamnée. Le présent texte ne les préserve nullement de ce problème.
Deuxièmement, à cause de cet article, les plateformes et les FAI collecteront les données de l'ensemble des comptes utilisés avec un abonnement donné, au motif qu'il est très facile de créer plusieurs comptes sur un même réseau social, comme vous le savez. Cette collecte de données pose problème.
Nous demandons donc la suppression de l'article 5. Il est mal rédigé, son effectivité est faible. Ses modalités d'application font l'objet de conjectures et créeront une situation intenable pour les fournisseurs d'accès à internet.
Vous souhaitez empêcher l'application de la peine de « bannissement » des réseaux sociaux. Je suis évidemment défavorable à votre proposition.
Revenons sur la philosophie de cet article : il donnera au juge – oui, au juge – un nouvel outil pour lutter contre le sentiment d'impunité qui règne sur les plateformes en ligne, comme le constatent de nombreux concitoyens. Cette peine sera seulement prononcée dans les cas où l'arsenal juridique actuel est insuffisant et n'accompagnera pas systématiquement les peines principales prononcées pour des infractions commises en ligne.
Les plateformes devront bloquer le compte suspendu ; à défaut, elles seront passibles d'une amende de 75 000 euros. Je vous rappelle que les violences urbaines qui ont eu lieu il y a quelques mois dans notre pays ont trouvé un écho en ligne. Il importe de donner au juge tous les moyens d'action pour répondre à ce type de violences.
Enfin, concernant la collecte de données, comme l'indiquait M. le ministre délégué, celle-ci respectera le cadre fixé par le RGPD, le DSA et la loi pour la confiance dans l'économie numérique, notamment. Voilà qui devrait apaiser vos inquiétudes. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
L'article 5 est important, car il permettra de dissuader celles et ceux qui ont été exclus d'un réseau social de s'y réinscrire pour propager la haine et la violence en ligne. Il autorisera le juge à ordonner le blocage du compte, et à enjoindre la plateforme concernée d'utiliser les moyens nécessaires pour éviter la réinscription de l'auteur.
Nous avons élaboré cette mesure après l'audition de créatrices de contenus en ligne qui avaient subi des harcèlements à répétition. Elles ont constaté que leurs harceleurs tendaient à réapparaître sur la même plateforme sur laquelle elles avaient été agressées malgré le blocage de leur compte – en utilisant parfois un autre pseudo, qui n'empêchait toutefois pas ces créatrices de les identifier.
Dans l'exposé sommaire de vos amendements, vous justifiez la demande de suppression de l'article par une inquiétude particulière, relative à la collecte des données permise par l'alinéa 5. Celui-ci prévoit que les fournisseurs de service concernés devront « mett[re] en œuvre […] des mesures permettant de procéder au blocage des autres comptes d'accès à leur service éventuellement détenus par la personne condamnée et d'empêcher la création de nouveaux comptes par la même personne. »
Or, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, la collecte des données permise par cet alinéa ne pourra en aucun cas excéder le cadre fixé par le RGPD et la loi « informatique et libertés ».
Par ailleurs, si vos amendements sont vraiment justifiés par cette inquiétude, pourquoi ne pas les retirer au profit des amendements n° 288 de M. Lopez-Liguori et 494 de Mme Amiot ? En effet, ces derniers tendent à supprimer la fin de l'alinéa 5, qui obligera les plateformes à prendre des mesures pour empêcher la réinscription de la personne condamnée.
En tout cas, ne faites pas tomber tout l'article au nom d'une telle inquiétude. Vous savez, comme nous, qu'il est indispensable pour prévenir la récidive, dans le cas de violences et de haine en ligne.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Le groupe Renaissance rejettera ces amendements de suppression. Je ne comprends pas votre position. Nous avons tous entendu la réponse du ministre délégué. Vous faites dire à cet article plus qu'il ne contient : la peine complémentaire est facultative ; elle n'est donc en aucun cas systématique ou obligatoire. Il s'agit d'une décision du juge – et de lui seul – et non d'une décision arbitraire, contrairement à ce que vous laissez entendre.
Enfin, cette peine complémentaire ne vise que les infractions les plus graves, que je vais citer pour que l'on sache de quoi on parle : harcèlement, proxénétisme, pédopornographie, provocation et apologie du terrorisme, diffusion de messages violents, pornographiques ou contraires à la dignité, apologie de crimes de guerre, provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, négationnisme. Il n'y a là rien qui pourrait nous empêcher de nous rejoindre.
Doit-on laisser prospérer sur internet des gens coupables d'apologie de crime contre l'humanité par exemple ? Tout le monde sera d'accord pour dire que non, et donc rejeter ces amendements de suppression.
Cet article correspond exactement à ce que nous reprochons au projet de loi depuis le début : vous ouvrez la boîte de Pandore et vous vous attaquez à des principes fondamentaux du numérique et de l'internet. Ainsi, vous bafouez le principe d'anonymat, et vous êtes en train d'inventer une peine de bannissement des réseaux sociaux. C'est dingue !
Il s'agit d'une sorte de punition préventive – l'équivalent d'un sursis. Certes, un juge peut prononcer un sursis mais, là, cela reviendra à créer des fichiers de personnes bannies afin que des sociétés privées – les plateformes – puissent exercer une mission de police. C'est liberticide, et dangereux pour les citoyens français.
À partir du moment où vous confiez cette mission à des plateformes étrangères, comment allez-vous faire ? Vous allez leur fournir les listes des personnes concernées pour qu'elles puissent appliquer la loi française ! Je ne vois pas comment vous pouvez faire autrement !
Vous pouvez vous gratter la tête, monsieur le ministre délégué, mais il n'y a pas d'autre façon de faire ! Qui nous dit qu'elles ne vont pas stocker ces données, voire les utiliser de façon abusive ? Vous n'aurez pas la possibilité de vérifier leur utilisation.
La présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) n'a pas dit autre chose en juin dernier puisqu'elle estime que l'obligation des moyens imposée aux plateformes pour la gestion des comptes tiers du condamné risque de se traduire par une collecte des données personnelles des utilisateurs.
Même le Conseil d'État suggère de ne pas retenir cette disposition dans son avis. Vous comprendrez donc que notre position sur la suppression de l'article 5 soit ferme.
Enfin, la possibilité de prononcer cette peine dans le cadre d'une composition pénale est très injuste : il s'agit d'une forme de chantage sur la personne mise en cause.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Il s'agit d'un débat intéressant. On peut comprendre les inquiétudes suscitées par une telle rédaction. La seule façon dont le ministre délégué nous rassure, c'est en nous expliquant qu'une partie de l'article est inopérante !
Le juge aura la possibilité de prononcer une peine complémentaire de suspension, et les plateformes auront l'obligation de s'assurer de la suspension des comptes. En revanche, monsieur le ministre délégué, vous nous indiquez qu'elles auront du mal à satisfaire l'obligation qui leur est faite de s'assurer qu'il n'y a pas d'autres comptes.
Cela a au moins le mérite de mettre en lumière le côté bancal de votre projet de loi ! Pour autant, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Le principal objectif est bien de suspendre les comptes de personnes condamnées pour harcèlement, harcèlement sexuel, harcèlement de conjoint, harcèlement moral ou harcèlement scolaire par exemple. C'est pourquoi nous n'avons pas le droit de supprimer cet article. Mais, comme il n'est pas totalement convaincant, le dispositif mérite peut-être d'être amélioré en CMP – commission mixte paritaire.
Nous partageons l'analyse de M. Marleix et sommes favorables à cette peine complémentaire de bannissement.
Pour les personnes condamnées, il faut suspendre l'accès au compte qui leur a servi à commettre l'infraction. Nous n'avons aucun problème avec cela.
Nous vous avons fait part de nos craintes concernant la fin de l'anonymat et le fait que les Gafam deviennent des quasi-agents de police. Vous nous répondez qu'il n'y aura pas de collecte de données supplémentaires et que les Gafam ne pourront pas demander une pièce d'identité pour l'ouverture d'un compte. En résumé, ce qui pose problème dans l'article est donc totalement inopérant.
Si tel est le cas, je vous propose de donner un avis favorable à notre amendement n° 288 , qui supprime l'alinéa en question. Dans ce cas, nous retirerons notre amendement de suppression de l'article.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
J'ai entendu de drôles de choses sur cet article 5 qui vise avant tout, je le rappelle, à protéger. Quand une femme est battue par son mari, et le mari condamné, le juge peut prononcer une peine complémentaire, d'interdiction de paraître à proximité du domicile. Qui décide ? C'est bien le juge.
Ici, on n'est pas dans le préventif : le juge condamne. Arrêtez avec vos fantasmes ! Mais ce n'est pas le bon mot car je sais que ceux dont je parle sont trop aguerris et qu'ils ne disent pas n'importe quoi. Vous voulez faire peur aux Français en nous traitant de liberticides mais, depuis le début de l'examen de ce texte, votre position, chers collègues à l'extrême gauche de l'hémicycle, est celle de grands libéraux, de libertariens : on ne touche à rien, on ne légifère pas, on laisse faire !
On laisse faire la grande main invisible du net. Celle-là, selon vous, elle fonctionne !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Je ne vous dis pas que le projet de loi est parfait. Qui atteint la perfection sur ces sujets – ou dans la vraie vie d'ailleurs ? Monsieur Marleix, oui, il arrive parfois que des bandits échappent à la police. Cela arrivera aussi sur les réseaux sociaux. Les délinquants sont parfois plus malins que nous. Il reste que nous essayons d'assurer la protection de tous.
Avançons pour nos enfants ! J'invite tous ceux qui nous regardent à lire l'article. Il vise simplement à exclure de certains réseaux sociaux ceux coupables de harcèlement, harcèlement scolaire, moral ou sexuel. Ne votons pas ces amendements de suppression !
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et RE.
La parole est à M. Paul Midy, rapporteur général de la commission spéciale.
L'article 5 est très important et, si nous le supprimons, nous supprimerons la peine complémentaire de bannissement. Il s'agit pourtant de lutter contre le cyberharcèlement, et une telle peine est nécessaire. Ce n'est pas une invention sortie de nulle part, mais la simple traduction dans l'univers numérique de règles qui existent dans la vie réelle. Quand un ex-mari bat son ex-femme – malheureusement, c'est le scénario le plus fréquent –, le juge peut prendre une mesure d'éloignement en interdisant au mari de se trouver dans telle ville, voire dans tout un département, pendant une certaine durée.
Ce n'est pas le concierge de l'immeuble qui empêche le mari d'entrer. C'est la police !
Nous ne faisons que traduire cette règle dans l'univers numérique : la personne condamnée pour cyberharcèlement doit pouvoir être bannie de la plateforme à partir de laquelle elle a cyberharcelé, six mois ou douze mois en cas de récidive. C'est le minimum ! Rappelons-nous ce que nous combattons !
Monsieur Lopez-Liguori, j'ai presque l'impression que mes amendements sur l'anonymat vous manquent car vous y revenez régulièrement. Je suis désolé de les avoir retirés.
Sourires.
Plus sérieusement, le ministre délégué l'a rappelé, les plateformes doivent empêcher la personne condamnée de créer de nouveaux comptes par tous les moyens légaux – je le répète, par tous les moyens légaux. Ces dispositions s'appliquent donc dans le cadre du RGPD et des lois régissant le fonctionnement des plateformes.
Les excellents amendements qui suivent, n° 292, 655 et identiques, qui je l'espère seront adoptés, créent une nouvelle peine visant les cyberharceleurs bannis qui essaieraient de créer un nouveau compte. Enfin, gardez en tête que les personnes condamnées ont déjà cyberharcelé, et ont donc déjà fait des victimes, souvent informées de leurs pratiques. On peut donc compter sur elles pour identifier les nouveaux comptes si les plateformes ne les ont pas détectés.
Monsieur Coulomme, soit le groupe GDR – NUPES considère qu'il n'y a pas d'anonymat en ligne et la mesure sera effective à 100 %, soit il existe une part d'anonymat et ce ne sera pas le cas. Quoi qu'il en soit nous ferons au mieux.
Je crois que la mesure qui vous est proposée sera efficace et nous permettra de combattre les cyberharceleurs. C'est pourquoi je vous invite à rejeter les amendements de suppression avec force.
Mme la rapporteure et Mme Estelle Folest applaudissent.
Le rapporteur général a très bien parlé. Ce n'est pas parce que j'ai dit que les plateformes ne pourraient pas collecter de données supplémentaires qu'elles n'en collectent pas déjà. La LCEN de 2004 leur impose de conserver certaines données techniques relatives à la connexion, précisément pour répondre aux réquisitions des forces de l'ordre ou de l'autorité judiciaire.
Ces données sont détaillées dans un décret pris en Conseil d'État, après avis de la Cnil. Il s'agit entre autres informations de l'identifiant de la connexion, de l'identifiant attribué à l'abonné, de l'adresse IP et des types de protocoles utilisés pour la connexion au service.
L'alinéa 5 impose une obligation de moyens aux plateformes : elles doivent éviter la création de nouveaux comptes en s'appuyant sur les outils de la loi pour la confiance dans l'économie numérique. Dans ce cadre, la collecte des données n'est pas une possibilité, c'est une obligation.
Enfin, pour répondre aux inquiétudes du président Marleix, une série d'amendements, que vous allez examiner, vise à sanctionner la personne condamnée qui essaierait de contourner la mesure de bannissement d'une peine de deux ans de prison et de 30 000 euros d'amende. Le dispositif me semble donc consistant.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 108
Nombre de suffrages exprimés 107
Majorité absolue 54
Pour l'adoption 37
Contre 70
Je suis saisie de onze amendements, n° 566 , 972 , 292 , 644 , 655 , 867 , 923 , 926 , 945 , 988 et 1064 , pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements n° 292 , 644 , 655 , 867 , 923 , 926 , 945 et 988 sont identiques.
La parole est à Mme Fanta Berete, pour soutenir l'amendement n° 566 .
Il a pour première signataire Mme Astrid Panosyan-Bouvet. Par leur nombre et leur viralité, les violences en ligne, notamment les cyberoutrages sexistes, sont des infractions de masse. Notre justice pénale doit mieux les appréhender. Cet amendement vise à créer une peine complémentaire d'interdiction d'utiliser le compte ayant permis de commettre des cyberviolences sexistes et sexuelles. Cet amendement est issu d'une proposition de l'association StopFisha.
M. Jean Terlier et M. Charles Sitzenstuhl applaudissent.
Une infraction peut être grave au point de nécessiter une peine plus importante qu'une simple suspension. C'est pourquoi cet amendement vise à créer une peine complémentaire d'interdiction d'utilisation du compte ayant permis de commettre l'infraction. Il est entendu que le juge est libre d'appliquer ou non cette peine, puisqu'elle est complémentaire – qui peut le plus peut le moins.
Il résulte d'un débat avec différents groupes, qui s'interrogeaient sur l'interdiction de l'accès aux différents comptes d'une même personne. La peine complémentaire prévue dans le texte repose sur la suspension du compte par les plateformes. Les amendements identiques visent à compléter ce dispositif en interdisant à la personne condamnée non seulement d'accéder à son compte, mais aussi de créer de nouveaux comptes lui permettant d'accéder aux mêmes services de plateforme en ligne. La violation de cette interdiction serait sanctionnée par deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.
J'annonce par avance que je serai bien sûr favorable aux amendements identiques et que je demanderai le retrait des autres amendements en discussion commune.
La parole est à Mme Marie Guévenoux, pour soutenir l'amendement n° 655 .
Il est le fruit du travail d'un groupe transpartisan faisant suite aux violences urbaines qui ont émaillé le pays l'été dernier et dont on sait à quel point elles ont parfois pu être précipitées par les réseaux sociaux.
Dans le projet de loi, seules les plateformes ont des obligations en matière de blocage de comptes. Ces amendements visent à appliquer des obligations – ne plus utiliser les comptes concernés et ne pas en créer de nouveaux – aux personnes condamnées, dans le cadre d'une peine complémentaire sous contrôle du juge. Il s'agit donc bien de faire peser sur celles-ci la responsabilité prévue par la peine complémentaire.
La parole est à M. Christophe Naegelen, pour soutenir l'amendement n° 867 .
Nous avons décidé de déposer cet amendement, issu d'une réflexion transpartisane, dans un objectif de cohérence. Même lorsqu'une personne est condamnée et qu'il lui est interdit d'utiliser ses codes d'accès à une plateforme, on sait avec quelle facilité elle peut créer un nouveau compte sur la même plateforme. Compte tenu de cette facilité, ces amendements visent à interdire à une personne condamnée non seulement d'utiliser ses codes d'accès, mais également d'ouvrir un nouveau compte.
Je ne vais pas répéter ce qui vient d'être bien expliqué par mes collègues. Le groupe Horizons et apparentés soutient cette amélioration du dispositif de peine complémentaire de bannissement des réseaux par l'interdiction de création de nouveaux comptes. Ces amendements sont cohérents avec les réflexions et les constats du groupe de travail transpartisan dont ils sont issus.
La parole est à M. Sébastien Peytavie, pour soutenir l'amendement n° 926 .
Un bannissement des réseaux sociaux, même temporaire, ne doit être considéré que dans le cas de délits graves, car il ne faut pas sous-estimer sa dangerosité. Pour de nombreux jeunes, un tel bannissement s'apparente à une réclusion sociale, qui peut certes avoir des effets dissuasifs forts, mais qui doit toujours être proportionnelle à la nature des délits. Être privé de réseaux sociaux, c'est se retrouver sans un moyen de contact permanent avec ses proches, sans l'un des rares outils permettant de s'exprimer et de défendre ses idées, l'un des rares espaces où l'on peut exprimer sa créativité et retrouver des passions communes.
Cet amendement, rédigé avec le Conseil national des barreaux (CNB), vise à apporter des précisions sur la procédure de notification et les risques encourus par les personnes condamnées. Comme nous l'avons dit précédemment, l'éducation numérique et la sensibilisation des plus jeunes restent notre priorité.
Derniers amendements de cette série d'identiques, les amendements n° 945 de M. Erwan Balanant et 988 de Mme Caroline Yadan sont défendus.
Enfin, dans la discussion commune, l'amendement n° 1064 de M. Victor Habert-Dassault est défendu.
Pouvez-vous nous redonner l'avis de la commission, madame la rapporteure ?
Avis favorable pour les amendements n° 292 et identiques et demande de retrait pour tous les autres amendements en discussion commune.
Même avis que Mme la rapporteure : avis favorable aux amendements n° 292 et identiques, déposés par Mme la rapporteure et par des députés des groupes Renaissance, MODEM, Horizons, LIOT et Écologiste, à la suite des travaux d'un groupe transpartisan. Demande de retrait pour les trois autres amendements.
Comme l'a rappelé Mme Marie Guévenoux, celui-ci s'est réuni à trois reprises après les violences urbaines. Tout le monde n'était pas d'accord sur les remèdes à apporter, mais parmi ceux qui faisaient consensus figurait l'idée reprise dans les amendements identiques ; je suis très heureux que les députés s'en soient emparés.
À ce stade des débats, nous ne pouvons faire l'économie d'une réflexion sur le caractère opérationnel de ces amendements. On ne peut pas se permettre de légiférer avec seulement des bons principes, c'est-à-dire se contenter de dire qu'on a pris des dispositions pour que ceux qui ont été bannis des réseaux sociaux ne puissent pas rouvrir d'autres comptes. Cela satisferait beaucoup de monde, mais je ne suis pas convaincu que nous sommes capables de tenir cet engagement dans le respect des règlements.
Nous n'avons pas le droit de mentir aux Français et de leur faire croire qu'on peut prononcer des peines complémentaires de bannissement, en empêchant celles et ceux qui ont été bannis d'ouvrir un autre compte ailleurs. Chacun sait à quel point il est simple de passer par un réseau privé virtuel (VPN) localisé on ne sait trop où.
Comment envisagez-vous de contrôler ce que vous proposez dans ces amendements identiques, à savoir traquer un internaute qui aurait été banni afin de s'assurer qu'il ne puisse pas ouvrir un autre compte ?
Je souscris aux propos de M. Hervé Saulignac, qui replace au cœur des débats la question de la faisabilité. Compte tenu des technologies actuelles et de la possibilité de partager une adresse IP – au sein d'une famille par exemple – un bannissement effectif obligera forcément les plateformes à demander l'identité des gens lors de leur inscription.
Ce que nous venons de décider pour la pornographie, c'est-à-dire la livraison de données personnelles à des entités privées, s'étendra donc à bien d'autres supports, notamment aux réseaux sociaux. Permettez-moi de vous interroger à ce sujet.
Par ailleurs, je remercie Mme Guévenoux d'avouer que cette mesure ne concernerait pas uniquement des faits de harcèlement, mais aussi des violences urbaines et des manifestations, autrement dit, de la liberté d'expression.
Ces amendements identiques, certes déposés par de nombreux députés, visent à instaurer une sanction assez démesurée, qui s'apparente à celles prévues en cas de violation de l'interdiction de conduire après un retrait de permis ou de violation de l'interdiction du port d'arme. Ce sont des faits très différents et la sanction proposée me semble totalement disproportionnée.
Je tiens à saluer M. Patrick Chaize, corapporteur de la commission spéciale du Sénat : ses positions ont permis d'aboutir, sur proposition du ministre délégué, à la constitution d'un groupe de travail à la suite des violences urbaines. Composé de membres du Sénat et de l'Assemblée nationale, ce groupe transpartisan a mené depuis l'été des travaux très complets, dont résultent ces amendements, largement repris par différents groupes parlementaires. Je me réjouis que nous soyons parvenus à avancer sur ce sujet de façon transpartisane.
Par ailleurs, je vais répondre à Mme Ségolène Amiot comme j'ai répondu à M. Jean-François Coulomme : soit vous considérez qu'il n'y a pas d'anonymat en ligne et vous ne devriez avoir aucune inquiétude quant à l'applicabilité de cette mesure ; soit vous avez des doutes sur l'anonymat en ligne, ce qui nous renvoie au sujet précédent.
Et comment la plateforme fait-elle pour connaître l'interdiction qui pèse sur M. Pilato, par exemple ,
Sourires
Je n'ai rien à avouer, parce qu'il n'y a absolument aucune contradiction entre mes différents propos. L'article 5 vise notamment la provocation à la haine ; or il se trouve que lors des violences urbaines, les réseaux sociaux ont été utilisés pour des faits de provocation à la haine.
Murmures sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Je suis désolée si vous ne l'avez pas vu, mais le pays entier a pu le constater. Cet article a pour objectif de prévoir une peine complémentaire, sous contrôle du juge. Il peut la prononcer si une provocation à la haine est constatée, dans le cadre de violences urbaines ou dans un autre cadre.
S'agissant de la protection des données, je ne reviendrai pas sur les propos très clairs du rapporteur général et du ministre délégué : l'article est encadré et des mesures rappelant le rôle de la Cnil ont d'ailleurs été adoptées au Sénat.
En faisant peser une obligation nouvelle sur les personnes condamnées, nous permettons aux victimes – et non aux plateformes – de constater que ces dernières sont à nouveau connectées et de saisir le juge pour le lui signaler. Il s'agit donc bien d'une mesure de protection des victimes.
Je voudrais répondre rapidement à Mme Ségolène Amiot et lui faire part de ma profonde perplexité : au tout début de l'examen du texte, la semaine dernière, vous expliquiez que les députés de La France insoumise étaient les garants du rôle du juge judiciaire et de la liberté d'expression. Pourtant, alors que nous voulons aujourd'hui donner aux juges un moyen effectif d'agir contre des comportements passibles de sanctions en ligne, ça ne vous convient pas ! Je ne comprends pas votre position sur ces amendements, alors que nous vous donnons satisfaction quant aux moyens dont dispose le juge pour faire appliquer la loi.
M. Luc Lamirault, président de la commission spéciale, applaudit.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 103
Nombre de suffrages exprimés 100
Majorité absolue 51
Pour l'adoption 68
Contre 32
Il vise à s'assurer que l'accès à un compte ne sera pas suspendu si ce compte n'a pas joué un rôle fondamental dans la commission de l'infraction.
Les libertés d'expression et de communication sont des éléments essentiels de notre modèle démocratique. Force est de constater que les réseaux sociaux jouent un rôle primordial dans l'exercice de ces libertés. Ils sont essentiels aux citoyens pour suivre l'information et dans le cadre de leur vie sociale ou de leurs activités professionnelles.
En supprimant la possibilité de suspendre l'accès à des services en ligne qui n'auraient joué qu'un rôle annexe dans la commission d'une infraction, nous dressons un rempart contre l'arbitraire. Par ailleurs, nous garantissons que cette suspension sera limitée aux cas les plus graves, c'est-à-dire lorsque les réseaux sociaux jouent un rôle majeur dans les violations du droit constatées.
Par ailleurs, une disposition introduite en commission vise à créer un stage de sensibilisation aux violences numériques dont le suivi constitue une peine complémentaire pouvant être prononcée par le juge – il la prononce obligatoirement en cas de suspension d'accès à un réseau social. Infligée aux personnes qui ont utilisé de manière accessoire leurs comptes sur les réseaux sociaux pour commettre une infraction, cette peine complémentaire constitue une sanction plus pédagogique que la suspension.
Enfin, je rappelle que la suspension n'est qu'une peine complémentaire pouvant être prononcée par le tribunal. La peine principale demeure : elle constitue le véritable outil de la politique de répression des violations commises.
La parole est à Mme Sophia Chikirou, pour soutenir l'amendement n° 489 .
Je ne répéterai pas les arguments développés par mon collègue, que je partage. Je souhaiterais donner un exemple illustrant la nécessité de limiter cette sanction, qui est disproportionnée.
Empêcher quelqu'un de s'exprimer sur les réseaux sociaux ou d'y avoir accès, même en tant qu'observateur – plus de 40 % des personnes disposant d'un compte sur un réseau social ne sont pas actives…
Toutefois, si vous pouvez être un peu vindicatifs sur Twitter, vous ne l'êtes pas nécessairement sur LinkedIn, qui est votre compte professionnel où figure votre CV et que vous utilisez pour chercher un emploi ou pour développer votre carrière. Certes, vous êtes un peu schizophrène. Du reste, je connais quelques députés dont le compte LinkedIn est raisonnable et le compte Twitter plus virulent. C'est ainsi.
Peut-on concevoir d'être banni de l'accès à tous les réseaux sociaux en raison d'un compte ? Par nos amendements, nous essayons désormais de limiter la casse.
Vous punissez une personne en raison de son comportement sur un réseau social. Nous ne pouvons la bannir de tous les réseaux sociaux.
Une personne peut harceler sur Facebook sans avoir un comportement délictueux sur LinkedIn, qui est un outil utilisé dans un cadre professionnel.
À partir du moment où nous légiférons pour bannir des gens des réseaux sociaux, nous devons savoir de quelles libertés nous les privons. La liberté d'expression politique est, en particulier, entravée, ce qui est très injuste, dangereux et liberticide.
Il n'est pas possible d'invoquer des violences urbaines ou des manifestations pour justifier qu'une personne mériterait d'être bannie des réseaux sociaux. En revanche, si une personne commet des actes susceptibles de faire l'objet d'une sanction pénale, tel le harcèlement, et s'en prend à une personne, alors victime de violences, son comportement doit cesser. Il faut fermer le compte en question sans pour autant bannir la personne des réseaux sociaux.
Vous empêcheriez la personne d'interagir avec d'autres personnes sur d'autres réseaux sociaux, dont l'utilisation vise à atteindre d'autres objectifs.
Harceler un enfant est un acte de violence, bien entendu. Vous pouvez harceler un enfant sur Snapchat – du reste, souvent les enfants se harcèlent les uns les autres –, mais avoir un autre comportement sur un autre réseau social.
Alors, vous avez le droit de les harceler sur Twitter : c'est n'importe quoi !
Nous proposons des amendements qui atténuent la sanction et limitent l'atteinte aux libertés fondamentales dont le droit d'accéder à internet fait partie. En effet, l'accès au numérique est devenu indispensable. Je regrette que votre projet de loi ne prévoit pas un seul article ou alinéa qui favoriserait l'accès au numérique et garantirait l'exercice des droits. Vous ne cherchez pas à défendre des droits…
Mme la présidente coupe le micro de l'oratrice.
Excusez-moi, monsieur Balanant, je n'ai pas encore demandé les avis de la commission et du Gouvernement ; je vous donnerai la parole ensuite !
Ce que vient de dire M. Balanant est une mise en cause personnelle ! Je ferai un rappel au règlement !
Madame Chikirou, monsieur Esquenet-Goxes, j'ai une bonne nouvelle : je suis favorable à vos amendements.
Toutefois, je n'ai absolument pas compris votre argumentaire. Je suis favorable à la suppression des mots : « y compris si ces services n'ont pas constitué le moyen unique ou principal ».
Il s'agit d'éviter la suspension du compte d'accès à un service en ligne, qui ne constituerait qu'un moyen accessoire de la commission de l'infraction. Monsieur Esquenet-Goxes, je vous remercie d'avoir rappelé qu'en commission, nous avons adopté un amendement créant un stage de citoyenneté numérique pour sensibiliser aux bons comportements sur les réseaux sociaux. Nous créons bien un arsenal juridique doté de nombreux outils, notamment de sanctions mais également de dispositifs visant à inciter les internautes à un comportement vertueux.
Madame Chikirou, votre amendement ne prévoit pas le dispositif que vous avez exposé. Vous avez raison, le juge ne peut condamner à une peine de bannissement d'un réseau social qui n'aurait pas été utilisé pour commettre l'infraction ; il ne s'agit pas de prononcer des peines de bannissement de l'ensemble des réseaux sociaux – le Gouvernement y tient absolument et c'est déjà inscrit dans le texte. En effet, l'alinéa 3 de l'article 5 prévoit « la suspension des comptes d'accès à des services en ligne ayant été utilisés pour commettre l'infraction ».
Ces deux amendements bienvenus réduisent le champ d'application du dispositif, en écartant la possibilité pour le juge de prononcer une peine de bannissement dans les cas où le réseau social ne constituerait qu'un moyen très accessoire de la commission de l'infraction. Nos avis favorables montrent la volonté des rapporteurs et du Gouvernement de proposer un dispositif proportionné.
Je l'ai dit : vous m'avez donné la parole trop vite. Je croyais que la rapporteure avait déjà répondu. C'est la raison pour laquelle je me suis un peu fâché contre Mme Chikirou, qui faisait semblant de ne pas comprendre, alors que les amendements et le projet de loi sont très clairs.
Je souhaite revenir sur la banalisation des faits de harcèlement. Pardonnez-moi, madame Chikirou, je m'adresse à vous alors que je ne devrais pas. Ces faits constituent de terribles violences. Or entendre la représentation nationale dire que ce ne sont pas des violences me choque.
Mais ce n'est pas la seule chose qui nous a choqués de votre part ce week-end.
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l'amendement n° 881 .
Il vise à simplifier la référence aux plateformes en ligne en conservant simplement la référence au 4 du I de l'article 6 de la loi du 21 juin 2014 pour la confiance dans l'économie numérique qui comprend bien les réseaux sociaux et les plateformes de partage de vidéo. Cet amendement répond à certaines interrogations formulées en commission.
L'amendement n° 881 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
La parole est à Mme Mireille Clapot, pour soutenir l'amendement n° 507 .
Il vise à exclure les encyclopédies et les répertoires éducatifs ou scientifiques à but non lucratif du champ d'application de la peine de bannissement des plateformes en ligne.
Premièrement, les plateformes collaboratives à but éducatif, tels que les projets Wikimedia, OpenStreetMap ou d'autres acteurs des communs numériques, ne sont presque pas concernées par les questions de harcèlement et très peu de délits en ligne y sont commis. En effet, la viralité de leurs contenus est très faible et leur gestion collective de la modération garantit le respect de leurs règles communautaires.
Deuxièmement, le contributeur – comme son nom l'indique – contribue. Il est donc nécessaire de protéger la confidentialité de ses données et sa vie privée. Rappelons que la sécurité de certains contributeurs peut être gravement menacée lorsqu'ils publient des contenus relatifs à des sujets sensibles.
Troisièmement, la seule solution pour respecter leur vie privée serait de bloquer toute une famille d'adresses IP, qui pourraient être utilisées par l'utilisateur banni – par exemple, les adresses IP de tout un lycée, dans l'hypothèse où le lycéen a utilisé l'ordinateur du lycée. Cette mesure semble disproportionnée.
Enfin, la loi du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne prévoit une exemption similaire pour ces acteurs, concernant les obligations de vérification d'âge. Cet amendement s'inscrit dans la même logique.
Je remercie notre collègue Mireille Clapot de soulever ce problème et de mettre en avant la spécificité des encyclopédies en ligne. L'article que nous examinons vise à éviter les éventuelles réinscriptions sur les plateformes de personnes condamnées pour des faits de cyberharcèlement, précisément sur ces plateformes. On dénombre peu de cas de cyberharcèlement sur les plateformes d'encyclopédie en ligne – vous l'avez souligné. Pourtant, ce dispositif est utile si un fait de cyberharcèlement devait se produire sur ces plateformes, même s'il ne les cible pas spécifiquement.
Par ailleurs, il revient au juge de prononcer la peine complémentaire. Dans le cas du lycéen qui aurait utilisé l'ordinateur du lycée, il s'assurera que seul le lycéen visé est concerné. Ainsi, le dispositif n'empêche en rien l'accès à des plateformes très importantes, telles que les encyclopédies en ligne. Compte tenu de ces éléments, je vous invite à retirer votre amendement ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.
Je rejoins les arguments exposés par le rapporteur général. En effet, la peine ne pourra être prononcée qu'à l'encontre d'un compte d'accès particulier détenu par une personne. Si tel n'était pas le cas, l'obligation des plateformes de bloquer le compte et l'interdiction faite à la personne de se réinscrire serait vaine.
S'agissant des cas visés par votre amendement, il n'y a pas d'inquiétude à avoir. Mais exclure de facto ces plateformes du champ d'application de l'article pourrait créer une voie de contournement dans certains cas particuliers. L'appréciation du juge permettra d'éviter les effets de bord que vous avez évoqués. Avis défavorable.
Je vous remercie de vos explications. Nous nous en remettrons à l'appréciation et au discernement du juge. Par conséquent, je le retire.
L'amendement n° 507 n'est pas adopté.
Ces trois amendements ont trait à la durée maximale de la peine complémentaire de suspension des comptes d'accès, laquelle est fixée à six mois et, en cas de récidive, à un an. En effet, les associations de familles ont souligné que cette durée était relativement courte : elle ne couvre même pas les neuf mois de la période scolaire, durant laquelle se produisent souvent des faits de cyberharcèlement.
Selon l'étude d'impact du Gouvernement, le Conseil constitutionnel a considéré que la peine complémentaire de suspension de l'accès à internet, pour une durée d'un an, de toute personne coupable de contrefaçon, assortie de l'interdiction de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur un service de même nature auprès de tout opérateur, ne méconnaissait aucune règle ni aucun principe constitutionnel. Dans ces conditions, il ne semble pas, contrairement à ce qui m'a été indiqué en commission, qu'une peine complémentaire de suspension de compte, qui relève d'une décision du juge, pour une durée maximale de neuf mois et de dix-huit mois en cas de récidive porterait atteinte à un principe constitutionnel – d'autant que le juge pourra toujours proposer une durée moindre.
L'amendement n° 974 vise donc d'une part à porter la durée maximale de suspension du ou des comptes à neuf mois et, en cas de récidive, à dix-huit mois, d'autre part, à remplacer le mot « maximale » par les mots « au plus », qui s'imposent lorsqu'il s'agit d'une peine complémentaire. Du reste, cette expression signifie bien, encore une fois, que le juge a la possibilité de prononcer une peine inférieure.
L'amendement n° 975 est purement rédactionnel : il tend uniquement à remplacer le mot « maximale » par les mots « au plus ». Quant à l'amendement n° 973 , il a seulement pour objet de porter la durée maximale de la peine complémentaire à neuf mois et à dix-huit mois en cas de récidive.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements en présentation groupée ?
Nous avons eu ce débat en commission. Vous souhaitez laisser la possibilité au juge de fixer la durée de la peine complémentaire à neuf mois, contre six mois dans le texte, et à dix-huit mois en cas de récidive légale, contre un an dans le texte.
Ainsi que je l'ai déjà indiqué, cette peine constitue une restriction très forte de la liberté d'expression. Aussi les délais prévus sont-ils suffisants. Certes, le juge pourrait prononcer une peine inférieure au maximum, mais il est important que le législateur fixe un cadre. Or, six mois, c'est déjà long, surtout si la personne condamnée est mineure. Avis défavorable aux amendements n° 974 et 973 , favorable au n° 975.
Mme la rapporteure vous a répondu sur le fond ; je me situerai quant à moi sur le plan du droit. À cet égard, cette peine de bannissement, qui consiste à priver par avance une personne d'une partie de sa liberté d'expression, n'a pas de précédent.
C'est ce que je disais quand j'insistais sur son caractère préventif ! Merci de nous donner raison !
C'est la première fois que nous introduisons dans notre droit une disposition de cet ordre, et nous l'avons entourée de garanties pour qu'elle soit proportionnée. Premièrement, il n'est pas question de bannir une personne d'un réseau social sur lequel elle n'a pas commis d'infraction ; c'est un aspect de l'article 5 qu'il est impératif de préserver. Deuxièmement, la liste des délits sur le fondement desquels le juge peut prononcer une peine de bannissement est limitative et ces délits sont sanctionnés par des amendes ou des peines de prison suffisamment élevées. Troisièmement, la durée du bannissement a été fixée à six mois.
Ces trois conditions réunies ont permis au Gouvernement d'obtenir un avis favorable, si je puis dire, du Conseil d'État lorsque le projet de loi lui a été soumis. Nous devons donc veiller à les respecter, notamment la durée de la peine. C'est pourquoi je demanderai le retrait des amendements n° 974 et 973 – à défaut, l'avis sera défavorable. En revanche, je suis favorable à l'amendement n° 975 , qui apporte une précision rédactionnelle bienvenue.
J'avoue avoir un peu de mal à comprendre pourquoi vous vous accrochez à une durée de bannissement de six mois. Je doute en effet que le Conseil d'État serait chagriné si on la portait à neuf mois ; or une telle mesure aurait du sens. Mettez-vous à la place d'un collégien victime de cyberharcèlement à qui l'on annoncera que son agresseur a été banni six mois, c'est-à-dire qu'il reviendra avant la fin de l'année scolaire !
Je soutiens donc les amendements de Mme Yadan – si bien que je ne reprendrai pas la parole pour soutenir l'amendement n° 1001 , qui a le même objet. Je le répète, cela aurait du sens de dire à une jeune victime que son agresseur a été banni pour la durée de l'année scolaire et de lui éviter ainsi de voir celle-ci se terminer comme elle a commencé. L'année suivante, en revanche, sera une autre histoire, peut-être dans un autre établissement. Ces amendements sont frappés au coin du bon sens.
Il y a matière à débattre de cette question, car nous avons des points de vue différents. Mais quelque chose sonne faux : à aucun moment, dans votre texte, vous ne distinguez les peines qui seront appliquées aux mineurs de celles qui le seront aux majeurs.
Les juges sont là pour le faire. Il y a le code de la justice pénale des mineurs !
Laissez-moi parler. La peine en question sera appliquée, dans le cas d'un harcèlement scolaire, à des mineurs, dans le cas d'un harcèlement sexuel, à des majeurs. Or, vous ne pouvez pas prévoir une peine qui s'applique indifféremment aux uns et aux autres. Le Conseil constitutionnel tranchera !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Je tiens à remercier Mme Yadan de susciter le débat sur cette question ; c'est une discussion que nous avons eue lors des auditions, et elle est importante. De fait, nous avons tous été sensibles à la remarque selon laquelle six mois ne couvrent pas, comme vient de le rappeler M. Saulignac, une année scolaire complète. Notre intention était donc d'aller plus loin, comme cela est proposé. Néanmoins, nous demandons le retrait des amendements, car nous souhaitons que le dispositif soit le plus proportionné et le plus sécurisé possible pour qu'il puisse s'appliquer.
J'ajouterai deux choses. Premièrement, le cyberharceleur qui récidiverait au terme de la peine de six mois prendrait six mois supplémentaires, puisque la durée du bannissement est portée, dans ce cas, à un an. Deuxièmement, les amendements identiques n° 936 de M. Balanant, 937 de Mme Guévenoux et 938 de Mme Carel, que nous examinerons ultérieurement, ont pour objet de permettre au juge de bannir un cyberharceleur présumé dans le cadre d'un contrôle judiciaire – c'est-à-dire en amont de la décision judiciaire. En cumulant les différentes mesures, il sera donc possible de couvrir une année entière, si nécessaire. Votre intention, qui est aussi la nôtre, est ainsi prise en compte. Cependant, je le répète, il importe de maintenir la durée maximale de six mois afin de respecter le principe de proportionnalité et de sécuriser le dispositif.
J'ai été sensible aux arguments très convaincants du rapporteur général – même si je m'inquiète un peu qu'il ne m'ait pas citée parmi les auteurs des amendements portant sur le contrôle judiciaire, car j'en ai également déposé un à ce sujet. Néanmoins, je maintiens mes amendements.
L'amendement n° 974 n'est pas adopté.
L'amendement n° 975 est adopté.
La parole est à M. Philippe Naillet, pour soutenir l'amendement n° 1002 .
Il s'agit de porter à deux ans la durée de la suspension prévue en cas de récidive. Nous rappelons que cela resterait un maximum et n'empêcherait pas le juge de prononcer une peine moins longue.
L'amendement n° 1002 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Sur les amendements identiques n° 288 et 494 rectifié , je suis saisie par les groupes Rassemblement national et La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Laurent Esquenet-Goxes, pour soutenir l'amendement n° 835 .
Nous proposons de rendre plus opérationnelle la peine complémentaire de suspension du compte ayant été utilisé pour commettre l'infraction, en précisant les informations qui doivent être communiquées aux fournisseurs de services de plateformes en ligne afin qu'ils puissent bien identifier le ou les comptes visés.
Votre amendement part d'une bonne intention, mais la décision de condamnation comportera toutes les informations nécessaires à son exécution. Il ne serait donc pas utile d'apporter une telle précision dans la loi. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
Même avis que Mme la rapporteure. Les plateformes n'étant tenues que de suspendre le compte utilisé pour commettre l'infraction, elles n'ont besoin que de l'identifiant de ce compte, qui figurera dans la décision de l'autorité judiciaire, laquelle sera elle-même signifiée à la plateforme. Par ailleurs, la procédure de signification d'une décision de justice relève du code de procédure pénale.
L'amendement n° 835 est retiré.
Je suis saisie de deux amendements identiques, n° 288 et 494 rectifié .
La parole est à M. Aurélien Lopez-Liguori, pour soutenir l'amendement n° 288 .
Nous abordons l'examen du fameux amendement n° 288 , qui vise à supprimer en partie l'alinéa 5 et qui obéit aux mêmes motifs que notre amendement de suppression de l'article 5.
Ainsi que vous nous l'avez indiqué, il est actuellement impossible aux services de réseaux sociaux de collecter plus d'informations qu'ils n'en ont, notamment d'exiger la carte d'identité de la personne qui souhaite créer un nouveau compte. Ils devront se contenter des données identifiantes en leur possession, à savoir l'adresse IP, par exemple. Or, si cette adresse est commune à l'ensemble des membres du foyer, tous se verront privés de la possibilité de créer un nouveau compte. Ce n'est pas possible ! Par ailleurs, si l'on utilise l'adresse e-mail ou le numéro de téléphone, l'interdiction pourra être aisément contournée, puisqu'il est facile, en ligne, de s'en procurer de nouveaux.
Si nous vous faisons confiance, l'alinéa 5 rendra l'article inopérant, car vous ne pourrez empêcher la création de nouveaux comptes ; si nous vous faisons moins confiance, ce qui est peut-être notre cas, nous serons forcés d'abandonner notre anonymat en ligne.
La parole est à Mme Ségolène Amiot, pour soutenir l'amendement n° 494 rectifié .
L'alinéa 5 est totalement inopérant. Vous demandez aux FAI de faire la police, d'appliquer les sanctions d'un juge. Or il est impossible de distinguer, au sein d'un foyer, qui a utilisé l'ordinateur familial, donc l'adresse IP en cause, à moins de systématiquement demander sa pièce d'identité à la personne qui va aller sur tel ou tel réseau social. Ne serait-ce pas un cheval de Troie pour contraindre les réseaux à demander l'identité de la personne qui se connecte et des preuves de cette identité, seul moyen de faire appliquer la sanction en vertu de laquelle, au sein d'un foyer, telle personne n'a pas le droit de créer un nouveau compte alors que son frère, sa sœur, ses parents le peuvent ?
Aussi, je le répète, soit l'alinéa sera inopérant, soit il contraindra les fournisseurs à demander une preuve d'identité – ce qui serait gravissime en matière de libertés publiques. En outre, cette mesure ne correspond pas à la volonté que vous avez affichée. Quelle est donc la réelle finalité du texte ? Quand vous affirmez ne pas vouloir que l'identité de l'utilisateur soit contrôlée à chaque connexion ou création de compte sur un réseau social, êtes-vous sincères ? Si vous l'êtes, l'alinéa est sans objet ; si vous ne l'êtes pas, il serait peut-être temps d'abattre vos cartes.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Vous voulez supprimer l'obligation de moyens qui incombe aux plateformes. Ainsi vous réduiriez directement la portée du texte et limiteriez la peine complémentaire permettant la suspension des comptes d'accès et l'interdiction de créer de nouveaux comptes. Je ne vous comprends pas : l'obligation en question vise précisément à responsabiliser et à associer pleinement les plateformes à la lutte contre les comportements nuisibles en ligne.
Elle permettra en outre de lutter contre le sentiment d'impunité en ligne. M. le rapporteur général vous apportera également des précisions. J'émets un avis défavorable.
Je tiens à rassurer les députés qui semblent penser qu'il n'est pas possible de retrouver l'auteur d'une infraction ou d'un délit en ligne à partir des données que la LCEN impose aux plateformes de collecter. Je rappelle que dans l'affaire Mila, douze mois de prison ferme ont été prononcés à l'encontre d'un jardinier de 23 ans pour des menaces de viol et de mort. En juillet 2021, dans cette même affaire, quatre à six mois de prison ont été infligés à onze autres personnes. Deux mois plus tard, une personne ayant menacé Mila de mort a été condamnée à dix mois de prison. Dans l'affaire Eddy de Pretto, onze cyberharceleurs ont été condamnés en décembre 2022 à des peines de trois à six mois de prison. Le tribunal correctionnel, au mois de juin dernier, a condamné un des cyberhaceleurs de la chanteuse Hoshi à huit mois de prison dont deux ferme ; le prévenu devra en outre verser 5 000 euros de dommages et intérêts. Autre exemple, celui du député Jean-Marc Zulesi, lui aussi victime de cyberharcèlement de la part d'une personne qu'il ne connaissait pas, et qui a été condamnée à dix mois de prison ferme et six mois assortis d'un sursis probatoire pendant deux ans pour l'avoir menacé par courriel.
Je pourrais également mentionner des condamnations prononcées pendant les violences urbaines du début du mois de juillet. Ainsi, dans le Val-de-Marne, un jeune de 19 ans ayant appelé, sur Twitter, au meurtre d'un policier a écopé de deux ans de prison dont un ferme. Dans les Hauts-de-Seine, ce sont quatre mois de prison ferme et quatre mois avec sursis…
…pour un jeune homme de 20 ans qui avait appelé à l'émeute sur Snapchat ; et ainsi de suite. Si l'article 5 est adopté, avec l'alinéa 5 tel qu'il est rédigé, tout ce que les plateformes auront à faire en cas de condamnation au bannissement sera de prendre des mesures pour éviter la réinscription de la personne sanctionnée, ce qu'elles peuvent très bien faire avec les données qu'elles sont déjà obligées de collecter aux termes de la LCEN. N'ayez donc crainte : j'insiste sur le fait que la disposition dont il est ici question ne contraindra en aucune manière les plateformes à collecter d'autres données identifiantes que celles qu'elles ont déjà l'obligation de collecter, et qui ont suffi à la condamnation des cyberharceleurs dans les affaires que j'ai évoquées.
Murmures.
Madame Amiot, premièrement, n'oubliez pas que nombre de nos concitoyens, après s'être adonnés à une activité illégale, comme le cyberharcèlement, et avoir comparu devant un juge qui les a condamnés, entendent raison, comprennent qu'ils doivent changer de comportement et, par conséquent, ne vont pas tenter par tous les moyens de créer un nouveau compte. Deuxièmement, ainsi que l'a précisé le ministre délégué, les plateformes auront l'obligation d'éviter la création d'un nouveau compte par tous les moyens légaux, dans le cadre du RGPD. Troisièmement, vous venez d'instaurer une sanction supplémentaire à l'encontre des cyberharceleurs bannis qui voudraient créer un nouveau compte. Quatrièmement, les victimes s'apercevraient rapidement de la réapparition de celui qui les harcèle, et pourraient en informer les plateformes et la justice. Toutes ces raisons rendront cette sanction particulièrement opérante, même si elle ne le sera jamais parfaitement, comme c'est malheureusement le cas de beaucoup de sanctions.
Il ne faut pas adopter ces amendements identiques. Les plateformes ont en effet besoin de pouvoir empêcher certaines personnes de créer des comptes. Je vous propose un petit exercice : nous sommes nombreux à avoir sur notre smartphone l'application Telegram. Il y a dans les paramètres de celle-ci une fonction « personnes à proximité ». Qui trouvez-vous d'inattendu à proximité ?
Sourires.
Des gens qui vous proposent des produits illicites, cocaïne, weed, méthamphétamines, ou encore des prostituées. De nombreux réseaux de ce type utilisent ces applications. Pour rester crédibles, pour montrer qu'elles respectent la loi, les plateformes doivent pouvoir les déceler. Je le répète, amusez-vous à faire le test : cela ne prend pas plus de trente secondes et c'est assez surprenant !
Le ministre délégué pourrait nous préciser si le bannissement complémentaire ne concernera que les réseaux sociaux ou bien également des messageries cryptées. En effet, comment des messageries comme Signal ou Olvid pourraient-elles empêcher la création de nouveaux comptes alors qu'elles-mêmes ne peuvent pas savoir qui se trouve derrière ces comptes ? Leur demanderez-vous de casser leur propre cryptage ?
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 102
Nombre de suffrages exprimés 97
Majorité absolue 49
Pour l'adoption 37
Contre 60
Les amendements identiques n° 288 et 494 rectifié ne sont pas adoptés.
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l'amendement n° 885 .
Le présent amendement vise à supprimer un ajout sénatorial qui ne concerne pas directement les plateformes en ligne. L'article 46 de la loi dite informatique et libertés limite à des personnes ou entités précises, dont les juridictions et les auxiliaires de justice, le soin du traitement des données à caractère personnel relatives aux condamnations pénales, aux infractions et aux mesures de sécurité connexes. Il ne s'applique donc pas ici, où il n'est en aucun cas question de transférer aux plateformes des données relatives aux condamnations pénales, mais simplement les décisions de condamnation individuelles, au cas par cas, quand c'est pertinent.
De manière plus générale, il n'est pas nécessaire de faire chaque fois référence à cette loi, puisqu'elle constitue le cadre dans lequel s'inscrivent les dispositions que nous examinons. Ainsi, l'Assemblée a adopté la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique sans mentionner que les fournisseurs de services de réseaux sociaux en ligne devaient, lorsqu'ils vérifient l'identité des mineurs, respecter la loi « informatique et libertés » – il s'agit d'une évidence.
L'amendement n° 885 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
La parole est à Mme Clara Chassaniol, pour soutenir l'amendement n° 806 .
Cet amendement vise à s'assurer que les personnes condamnées à la peine complémentaire de bannissement ne puissent utiliser durant cette période un compte collectif, à savoir un compte lié à une association, un groupe d'habitants ou une entreprise, dont elles auraient la gestion. Le compte collectif devrait alors être administré par un autre membre, afin que la personne condamnée ne puisse l'utiliser pour continuer de s'acharner sur autrui ou de commettre tout autre délit ayant motivé son bannissement.
Tout dépend du fait que ce compte a ou non été utilisé pour commettre l'infraction. Je vous rappelle la disposition que nous avons adoptée : soit il a été utilisé et se trouve dès lors concerné par la peine complémentaire, soit il ne l'a pas été, auquel cas la mesure serait disproportionnée, car pouvant mettre des personnes en difficulté – dans leur vie professionnelle, par exemple. Je vous demande donc de retirer votre amendement ; faute de quoi j'émettrai un avis défavorable.
L'amendement n° 806 , ayant reçu un avis défavorable du Gouvernement, est retiré.
La parole est à Mme Caroline Yadan, pour soutenir l'amendement n° 976 rectifié .
En l'état du projet de loi, quand un compte est suspendu, il n'y a plus rien : la page d'accès disparaîtra sans qu'aucune mention précise que la cause en est une peine de bannissement. On ne saura pas ce qui est arrivé. J'avais donc eu l'idée qu'un avertissement indique que l'utilisateur s'était rendu coupable de cyberviolence ou autre. Puis nous nous sommes rendu compte que ce serait un peu dur.
Ainsi, il s'agirait de faire apparaître sur le compte un message rappelant simplement les conditions d'utilisation de la plateforme utilisée – qui doivent être au minimum conformes à la loi en vigueur –, comme l'interdiction du harcèlement ou des menaces violentes. Outre l'intérêt d'afficher un tel rappel et, je le répète, d'éviter que rien ne s'affiche, l'objectif est ici d'agir sur l'environnement du compte suspendu sans pour autant stigmatiser.
Je répéterai les mêmes explications que je vous avais données lors de l'examen de cet amendement en commission, madame Yadan. Si je partage votre préoccupation, j'estime que votre proposition pourrait être contre-productive, car elle reviendrait à laisser accessible en ligne un compte bloqué. Après en avoir discuté avec certains députés, je vous confirme que notre objectif est bien de suspendre le compte en question pendant toute la durée prévue. Je vous demande donc de bien vouloir retirer l'amendement, à défaut de quoi je lui donnerai un avis défavorable.
Sourires.
L'amendement n° 976 rectifié n'est pas adopté.
La parole est à Mme Mireille Clapot, pour soutenir l'amendement n° 435 .
Je vous propose de rajeunir de quelques jours, chers collègues, car je vais de nouveau aborder la question des référentiels.
Sourires.
Le présent amendement vise à confier à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) le soin de publier, après avis de la Cnil, un référentiel établissant, pour les fournisseurs de services, les devoirs découlant de la nouvelle peine complémentaire de suspension de compte. En effet, alors que les fournisseurs sont rendus responsables de l'application de cette peine, on ne connaît pas avec précision la nature des mesures qu'ils auront à prendre, sachant que le blocage d'un compte est susceptible de présenter des difficultés techniques et des problèmes en matière de respect de la vie privée. Ainsi, en l'absence de directives clairement établies, l'efficacité du contrôle risque de varier d'un fournisseur à l'autre. L'élaboration d'un référentiel permettrait d'y remédier, mais aussi de préciser les mesures attendues de chaque acteur selon ses spécificités, sa taille et ses moyens. Il est évident qu'un bannissement ne présente pas les mêmes enjeux pour les très grands réseaux sociaux que pour les petits forums très spécialisés ou les communs numériques, qui ont peu de moyens.
Je rappelle que la création d'un référentiel permettra à l'Arcom de rendre effectives les mises en demeure qu'elle a adressées à cinq sites hébergeant du contenu à caractère pornographique – sites dont nous avons beaucoup parlé. Je vous propose donc, à l'alinéa 5 de l'article 5, une sorte de parallélisme des formes avec l'article 1er .
Je vous remercie, madame la rapporteure pour les titres V et VI du projet de loi, de raviver le souvenir de nos discussions antérieures, ainsi que pour votre volonté de rendre effectives les dispositions du texte. Cela étant, je ne crois pas utile de créer des référentiels pour tout. Pourquoi en avons-nous établi un pour les sites pornographiques ? Parce que ces derniers, jusqu'à présent, n'appliquaient pas la loi. Ce n'est pas du tout le cas des fournisseurs de services, lesquels pourront créer un référentiel par eux-mêmes. Ainsi, même si je partage votre intention, ajouter cette disposition alourdirait inutilement le texte. Je demande donc le retrait de l'amendement, à défaut de quoi j'émettrai un avis défavorable.
Oui, madame la présidente. Par loyauté envers Mme Métayer, qui l'a déposé, je le maintiens.
L'amendement n° 435 n'est pas adopté.
Il vise à préciser, après l'alinéa 5, que les mesures prises par les services de plateforme en ligne en vue de suspendre de compte n'empêcheront pas d'autres personnes d'utiliser ladite plateforme. En effet, si les fournisseurs de services auront une obligation de moyens, nous ne savons pas lesquels seront utilisés pour empêcher les contrevenants sanctionnés de fréquenter tel réseau ou tel service, sachant que les modes d'inscription varient fortement d'un site à l'autre.
Certaines plateformes, comme Airbnb, demandent la copie numérique d'une pièce d'identité. D'autres s'appuient sur l'adresse IP : fournie par le FAI lors de la délivrance d'une box, elle peut par conséquent être commune à plusieurs membres d'une même famille. Il existe aussi des abonnements directs au fournisseur d'accès à internet, lesquels sont également partagés par plusieurs personnes. Il y a l'adresse MAC (Media Access Control), qui est en quelque sorte la signature numérique unique de tous les périphériques permettant de se connecter, que ce soit par l'Ethernet, le wifi ou la 4G. Il y a des abonnements mutualisés permettant à plusieurs personnes d'utiliser un même compte : je pense, entre autres, à l'abonnement Premium Famille de Spotify. Et n'oublions pas que l'inscription à certaines plateformes passe par l'activation d'un code reçu sur un téléphone mobile, procédé qui s'applique aussi aux mineurs. Voilà pourquoi nous souhaitons que la suspension d'un compte ne puisse empêcher d'autres personnes de recourir à la plateforme. Il est toujours préférable de l'écrire : la fermeture de l'accès à un service doit être circonscrite à la seule personne sanctionnée.
Sur les amendements identiques n° 490 , 605 , 927 et 1065 , je suis saisie par le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Emeline K/Bidi, pour soutenir l'amendement n° 605 .
Identique au précédent, cet amendement reprend une préconisation du CNB. Tel que les choses sont actuellement prévues, lorsqu'une personne est sanctionnée d'une suspension de compte, le fournisseur du service concerné reçoit une notification et doit procéder au blocage. Parmi les mesures pouvant être prises figurent la suspension d'autres comptes détenus par la personne et l'impossibilité d'en créer de nouveaux. Se pose néanmoins le problème de l'identification de la personne sanctionnée et de ses comptes.
Dans la plupart des cas, l'inscription à une plateforme requiert une simple adresse e-mail et la fourniture de quelques informations. Nous aurons donc le plus grand mal à identifier avec précision les personnes sanctionnées, sauf à recourir à l'adresse IP, seul moyen fiable pour ce faire, mais au risque de suspendre les comptes de tout un foyer. C'est bien là que le bât blesse. Voilà pourquoi nous préférons qu'il soit inscrit que les mesures prises par les fournisseurs ne pourront aboutir à empêcher quelqu'un qui n'est pas condamné d'accéder à la plateforme en question. Ce n'est pas aux enfants, au conjoint, ni à aucune autre personne hébergée de subir une sanction qui ne concerne qu'un seul membre de la famille.
La parole est à M. Sébastien Peytavie, pour soutenir l'amendement n° 927 .
Comme viennent de le dire mes collègues, cet amendement de repli suggéré par le CNB vise à s'assurer que le bannissement d'un utilisateur ne bloquera pas l'accès aux plateformes d'autres personnes qui utiliseraient le même ordinateur et donc la même adresse IP.
La parole est à M. Victor Habert-Dassault, pour soutenir l'amendement n° 1065 .
J'adhère à ce qui vient d'être dit : ces amendements identiques visent à ce que le contrôle d'un compte dans le cadre d'une peine de bannissement ne porte pas préjudice aux personnes partageant le foyer ou le compte d'accès de l'intéressé. À cet égard, comment la suspension s'appliquera-t-elle s'agissant des comptes liés, c'est-à-dire des comptes qui donnent accès à plusieurs applications ?
Je partage complètement votre point de vue, chers collègues, mais une telle disposition ne serait pas utile, puisqu'il est dans l'intérêt même des plateformes d'élaborer des mesures qui ne priveront pas d'autres personnes de l'accès à leurs contenus et à leurs services. Nous venons d'adopter une précision supplémentaire à ce sujet et, j'insiste, nous ne visons que les personnes condamnées, non celles éventuellement associées à la même adresse IP. J'émets donc un avis défavorable.
Il est le même que celui de Mme la rapporteure. Je rappelle que l'adresse IP n'est pas la seule donnée identifiante que la LCEN de 2004 impose aux plateformes de collecter. Elles en recueillent d'autres, permettant d'identifier beaucoup plus finement un utilisateur.
Je profite de ces amendements identiques pour éclaircir un point central du dispositif que nous introduisons, point qui contribue à justifier mon avis défavorable. Je comprends que vous souhaitiez éviter qu'une peine de bannissement empêche d'autres personnes de recourir à la plateforme – votre intention est louable –, mais il importe de rappeler que cette peine n'empêchera en rien la personne concernée d'y accéder : seule la création d'un compte, c'est-à-dire la possibilité de s'exprimer, lui sera interdite. Des plateformes telles que YouTube ou TikTok, pour n'en citer que deux, sont accessibles aux internautes qui n'y disposent pas d'un compte : ils peuvent consulter les publications, mais non les commenter. Or, je le répète, la peine complémentaire de bannissement de certaines plateformes – prévue à l'article 5 – que le juge pourra prononcer à l'encontre d'une personne ayant commis un délit en ligne n'interdira pas à celle-ci de continuer de s'informer sur ces réseaux.
Je m'inscris en faux contre vos propos, monsieur le ministre délégué. En effet, certains réseaux sociaux ne sont pas consultables sans inscription préalable : sauf erreur de ma part, c'est le cas d'Instagram ou encore de Facebook. De plus, j'y reviens, pour identifier un utilisateur banni, un réseau social disposera, outre son nom ou son pseudonyme, de l'adresse e-mail renseignée et de l'adresse IP. Or celle-ci, d'ailleurs également enregistrée par les cookies de ces réseaux, peut être commune à une famille ou à des colocataires, tout comme une adresse e-mail peut être partagée avec le conjoint ou les enfants.
J'estime donc que ces amendements identiques sont plutôt protecteurs, sains et de bon sens, en vue de protéger les internautes et d'éviter les effets de bord dont nous avons parlé précédemment. Il faut protéger ceux qui ne sont pas condamnés et ne pas laisser une famille à la porte des plateformes lorsqu'un seul de ses membres est un délinquant. Cela vaut d'ailleurs aussi pour les logements !
Je dois avouer, monsieur le ministre délégué, que votre argumentaire ne m'a pas totalement convaincue. Vous avez indiqué que l'adresse IP n'est pas le seul élément permettant d'identifier un compte. Je vous crois, mais pourquoi venons-nous alors de repousser un amendement de Mme Métayer qui visait justement à créer un référentiel déterminant les caractéristiques techniques applicables par les fournisseurs de services ?
Ils existent déjà !
Vous avancez qu'il existe d'autres moyens, sans toutefois les préciser. Or, au sein d'une famille, par exemple, il arrive que plusieurs utilisateurs partagent la même adresse e-mail, la même adresse IP, le même appareil. Il nous manque des éléments techniques – qui peuvent vous paraître simples – pour mieux comprendre et vous faire confiance.
Par ailleurs, la peine complémentaire prévue par l'article 5 ne concernerait, selon vous, que la création de nouveaux comptes, sans empêcher la consultation. Or le texte dispose que cette peine comporte, en plus de l'interdiction de créer de nouveaux comptes, le blocage des comptes existants, et certaines plateformes ne peuvent être consultées qu'après que l'utilisateur s'est identifié.
Nous devons prendre en compte le problème soulevé par ces amendements, même si les arguments avancés en leur faveur ne sont pas tous bons – notamment concernant les adresses IP, puisqu'il faut distinguer les adresses externes des adresses locales, qu'il est plus compliqué d'identifier. Il n'en demeure pas moins que l'article 5 peut avoir un effet de bord, auquel il conviendrait de remédier par une nouvelle rédaction de ces amendements, voire par un sous-amendement, ou par un autre amendement déposé plus tard : peu soucieuses d'encourir une condamnation, les plateformes pourraient, par mesure de simplification, par habitude, se baser uniquement sur l'adresse IP externe. Le Conseil constitutionnel avait d'ailleurs signalé un effet de bord similaire dans la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia. Nous attendons que vous nous rassuriez sur ce point : peut-être pourrez-vous le faire grâce au décret en préparation. Je le répète, le problème soulevé par ces amendements identiques doit être pris en compte. Tous n'ont pas été déposés par les oppositions et ils ont été conçus avec des praticiens du droit, notamment ceux des barreaux, qui constatent dans les prétoires des difficultés portant sur ces questions.
Madame K/Bidi, je ne vous demande pas de me faire confiance, mais de faire confiance à la LCEN et à son décret d'application. L'article 6 de cette loi prévoit en effet la liste des données identifiantes que les plateformes ont l'obligation de collecter afin de pouvoir répondre à d'éventuelles réquisitions des forces de l'ordre ou de l'autorité judiciaire,…
Nous légiférons aujourd'hui parce que les plateformes ne respectent pas la loi !
…par exemple, l'identifiant de connexion, l'identifiant attribué à l'abonné, l'adresse IP ou encore le type de protocole utilisé pour la connexion.
Monsieur Latombe, je ne comprends pas très bien votre comparaison avec la loi Avia, qui prévoyait des peines de prison et des amendes extrêmement lourdes pour le non-respect des obligations de coopération imposées aux opérateurs. Le présent texte n'impose que des obligations de moyens : il serait difficilement imaginable que la peur de la sanction amène les plateformes à restreindre leur accès de façon excessive. La rédaction actuelle du texte est donc suffisamment protectrice.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 86
Nombre de suffrages exprimés 86
Majorité absolue 44
Pour l'adoption 38
Contre 48
Je suis saisie de deux amendements identiques, n° 497 et 562 .
Sur ces amendements, je suis saisie par les groupes Rassemblement national et La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir l'amendement n° 497 .
Cette mesure de prudence vise à interdire la collecte des informations relatives à l'identité civile de l'utilisateur. En cas de décision judiciaire de suspension d'un compte, si le signalement fait à la plateforme porte sur un pseudonyme, inutile de dire que, dans la minute, l'utilisateur banni en aura choisi un autre et créé un nouveau profil. Il faudrait donc que les plateformes puissent s'assurer de l'identité de celui dont le compte doit être suspendu. Or la plupart des opérateurs des plateformes visées ne sont pas des opérateurs nationaux. Le Chinois TikTok, par exemple, se verrait donc obligé de collecter l'identité d'un utilisateur français par tous les moyens à sa disposition, puisqu'il s'agit d'une obligation de moyens. Cela poserait un problème de souveraineté, en raison de la divulgation d'informations sensibles, et porterait atteinte aux libertés publiques.
La parole est à M. Aurélien Lopez-Liguori, pour soutenir l'amendement n° 562 .
Pour empêcher les utilisateurs concernés de créer de nouveaux comptes, une des possibilités envisagée est la collecte par les opérateurs de réseaux sociaux de l'identité civile des utilisateurs, ce qui mettrait fin à l'anonymat en ligne et reviendrait à fournir les données des cartes d'identité de nos concitoyens à des entreprises américaines ou chinoises.
Vous nous avez assuré, monsieur le ministre délégué, que ce serait impossible, mais nous n'avons pas confiance en ce gouvernement. L'Assemblée considérerait comme une avancée de votre part que vous acceptiez de spécifier dans l'article 5 qu'aucune collecte d'informations relative à l'identité civile ne pourra être réalisée par l'opérateur pour remplir une obligation de blocage de compte.
Ces amendements sont satisfaits par le RGPD. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
Même avis. Les amendements sont effectivement satisfaits, car les données que les plateformes ont l'obligation de collecter pour répondre à une injonction judiciaire, et que j'ai déjà évoquées à plusieurs reprises, sont énumérées dans le décret n° 2021-1362. Il s'agit d'un décret en Conseil d'État, sur lequel la Cnil a rendu un avis et qui a été actualisé au fil du temps. Je ne vois pas de raison de ne pas rester dans ce cadre.
Vous faites valoir que ces amendements sont satisfaits par le RGPD, mais celui-ci ne couvre pas les premiers articles de ce texte,…
…au cours de l'examen desquels nous avons débattu des possibilités de lever l'anonymat des utilisateurs. Le RGPD protège donc dans certains cas, mais pas dans d'autres. Il faut donc inscrire la protection de l'identité civile des utilisateurs dans la loi. On ne peut pas se contenter de dire que le RGPD réglera tous les problèmes dans le cas d'une injonction judiciaire de blocage de compte. Il faut empêcher que l'obligation de moyens se transforme en obligation de résultat par la collecte d'informations relatives à l'identité civile de l'utilisateur. Invoquer la protection du RGPD dans un tel cas relève de la pensée magique.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 80
Nombre de suffrages exprimés 78
Majorité absolue 40
Pour l'adoption 33
Contre 45
Sur l'amendement n° 496 , je suis saisie par le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Sophia Chikirou, pour soutenir l'amendement.
Nous n'arrivons pas à vous convaincre, mais nous persistons à le tenter avec cet amendement, qui vise à créer une peine complémentaire imposant un stage de sensibilisation au cyberharcèlement.
Une telle peine répond à votre logique d'accompagnement des coupables de cyberharcèlement, qu'un tel stage aiderait à mesurer la gravité de leurs actes.
La justice utilise déjà largement les stages de sensibilisation, vous allez apprendre à les apprécier !
Cette sensibilisation est le grand absent de ce projet de loi. Vous avez ainsi transféré la responsabilité de mettre en place des actions de prévention, de pédagogie et d'accompagnement au ministère de l'éducation nationale en ce qui concerne le harcèlement scolaire. De telles actions sont nécessaires pour les mineurs, mais également pour les majeurs, qui n'ont pas toujours conscience des conséquences de leur comportement sur les réseaux sociaux. Parfois, ils ignorent même participer à une opération où des dizaines de comptes en ciblent un seul. Or il suffit de contribuer par un seul post à cet effet de meute pour être convaincu de cyberharcèlement.
Cela doit être pris en compte : le harcèlement n'est pas forcément un acte répété.
Votre amendement reviendrait à créer une peine complémentaire, celle d'un stage de sensibilisation, à une peine complémentaire, celle du bannissement, elle-même déjà prononcée en plus d'une peine principale. Formellement, une telle rédaction ne tient pas la route.
Sur le fond, nous partageons la même ambition. Je vous rappelle que nous avons adopté en commission la possibilité pour le juge d'ordonner un stage de sensibilisation au respect des personnes dans l'espace numérique, ce qui satisfait votre amendement. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
Même avis : l'amendement est pleinement satisfait. Il prévoit en effet que « la juridiction peut également ordonner à titre complémentaire l'obligation de suivre un stage de sensibilisation au cyberharcèlement ». Or la commission spéciale a adopté un amendement de Mme Caroline Yadan et de Mme la rapporteure ajoutant à l'article 131-5-1 du code pénal, qui traite des peines complémentaires, un 9
Je souhaite défendre cet amendement de bon sens. Les comportements de cyberharcèlement sont parfois le résultat d'un manque d'information, notamment chez les jeunes. Il serait donc bienvenu de prévoir des stages de sensibilisation.
Monsieur Balanant, si nous devions nous abstenir de légiférer à chaque fois qu'une loi contient une mesure similaire à celle dont nous débattons, nous ne ferions jamais rien ! En l'occurrence, il ne serait pas idiot d'introduire dans le projet de loi visant à réguler et à sécuriser l'espace numérique cette disposition destinée à lutter contre le cyberharcèlement.
Vous avez raison, monsieur le ministre délégué : la commission spéciale a adopté un amendement instaurant la possibilité d'un stage de sensibilisation au cyberharcèlement. Je retire donc l'amendement, en guise de cadeau de minuit.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.
L'amendement n° 496 est retiré.
Prochaine séance, demain, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Vote solennel sur le projet de loi pour le plein emploi ;
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 ;
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi organique relative à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire ;
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif à l'industrie verte.
La séance est levée.
La séance est levée à minuit.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra