La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Bilan des politiques publiques de défense et de promotion de la laïcité ».
Ce débat, organisé à la demande du groupe Socialistes et apparentés, se tient dans la salle Lamartine afin que des personnalités extérieures puissent être auditionnées. La conférence des présidents a décidé de l'organiser en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence de personnalités invitées, puis, après une intervention liminaire du Gouvernement, nous procéderons à une séquence de questions-réponses. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Patrick Weil, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Permettez-moi, pour commencer, de remercier le groupe Socialistes et apparentés, en particulier M. Guedj, de son invitation.
En 1905, lorsque le Parlement décide la séparation des Églises et de l'État, l'un des principaux conseillers de M. Aristide Briand, rapporteur du projet de loi, souligne : « La séparation des Églises et de l'État a pour conséquence de faire disparaître l'administration des cultes pour ne laisser subsister que la police des cultes ». La police des cultes correspond aux dispositions pénales, inscrites dans une section du même nom, de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État. Elles permettent de punir les atteintes à la liberté de conscience, au libre exercice des cultes et à la séparation des Églises et de l'État. Ces dispositions sont si importantes qu'elles inspirent les articles 1
L'article 1
D'après cette jurisprudence, la liberté de conscience, qui concerne les convictions de chacun en son for intérieur, est une liberté absolue. Le « libre exercice des cultes » désigne le port de signes religieux ou toute manifestation individuelle ou collective d'un culte. L'article 261 du code pénal de 1810 a directement inspiré l'article 1
Au sujet de l'article 31 de la loi de 1905, le principal conseiller d'Aristide Briand évoque la nécessité d'une protection contre les pressions et Aristide Briand lui-même mentionne de possibles actes d'intimidation. Or cet article, qui figure toujours dans la loi et qui a vu ses peines renforcées en 2021, n'est pas appliqué lorsque des pressions s'exercent pour contraindre des personnes à porter des signes religieux – lorsqu'ils sont autorisés – ou à les en empêcher.
Les autres dispositions pénales de la loi de 1905 protègent la séparation des Églises et de l'État. Les intrusions lors de cérémonies religieuses sont punies, tout comme les discours prononcés par des ministres des cultes incitant à la violence contre des fonctionnaires publics ou d'autres citoyens, discours qui font l'objet de peines spéciales et plus sévères que dans le droit commun – Aristide Briand explique bien pourquoi. Mais là encore, ces dispositions pénales qui ont abouti à la condamnation de centaines d'ecclésiastiques entre 1905 et 1914 ont été totalement oubliées. Elles sont certes mentionnées dans la circulaire du garde des sceaux du 22 octobre 2021 faisant suite à l'adoption de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite séparatisme ou CRPR, mais elles sont noyées au milieu de commentaires sur les nouvelles mesures censées protéger la laïcité, sans que les procureurs ou les citoyens français aient conscience que la liberté de conscience, la liberté de culte et la séparation des Églises et de l'État sont déjà protégées par des dispositions pénales.
Permettez-moi, pour conclure, de souligner la dimension éthique des dispositions pénales prévues par la loi de 1905. Nous avons tous appris, même si nous ne savons plus très bien comment, que nous devons assistance à personne en danger. Aux États-Unis, où j'enseigne, cette règle n'existe pas : on n'a pas le réflexe de secourir une personne en danger ; ce n'est pas dans la culture juridique et éthique du pays. En France, la non-assistance à personne en danger repose sur une disposition pénale : elle est punissable d'une amende. Je crois que la protection de la liberté de conscience – la liberté de croire ou de ne pas croire – et de la liberté de manifester sa foi ou non, sans subir de pression, devrait être une éthique enseignée aux citoyens, non pas uniquement par des instructions au procureur, mais dans la vie quotidienne, comme fondement d'une politique de la laïcité collectivement partagée.
Dans l'attente du second invité, M. Vincent Ploquin, qui n'est pas encore arrivé, nous passons à quelques questions.
La parole est à M. Jérôme Guedj, dont le groupe est à l'initiative de ce débat.
Merci, Patrick Weil, d'avoir d'emblée posé les termes de la discussion. Nous tenterons tout à l'heure, lors de l'audition de Mme la secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté, de dresser le bilan des politiques publiques de lutte en faveur la laïcité, notamment de l'action du comité interministériel de la laïcité, créé en 2021, qui a fixé dix-sept priorités.
Merci aussi d'avoir rappelé que la laïcité repose d'abord sur le droit, même si elle renvoie à un ensemble de valeurs et de principes. En vertu de ses deux premiers articles, la loi de 1905 est un texte de protection de celui qui croit et de celui qui ne croit pas, mais également un texte dont le caractère opérationnel s'incarne dans le corpus juridique.
On peut s'étonner que l'article 31 de cette loi ne donne lieu à aucune jurisprudence alors qu'il contient des dispositions claires. Une jeune fille voilée se fait embêter dans son quartier par un individu qui lui demande d'enlever son voile : c'est, en soi, une atteinte à la laïcité. Une personne impose à une autre d'exercer sa religion de telle ou telle manière ou lui reproche un comportement impur : ça l'est aussi. Il ne s'agit pas de circonstances aggravantes d'un autre délit.
Comment expliquez-vous que l'article 31 soit si peu utilisé alors même que le législateur l'a toiletté pour le rendre opérationnel dans la loi « séparatisme », en 2021 ? Aucune circulaire pénale ne l'a explicitement mentionné depuis. Quant à la toute récente circulaire du 29 avril 2024 relative au traitement judiciaire des infractions commises à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance à une religion, dans un contexte séparatiste ou d'atteintes portées au principe de laïcité, elle ne mentionne pas l'article 31 de la loi de 1905 corrigé. Comment comprendre cette frilosité de la politique pénale ? Elle est pourtant la première politique publique de défense de la laïcité.
Les dispositions que vous évoquez ont été massivement utilisées par Aristide Briand et Georges Clemenceau. Je rappelle que ce dernier est devenu président du Conseil en 1906, non pour créer les brigades du Tigre ou mater des grèves, mais pour éviter à la France une guerre civile avec le Vatican – le pape avait ordonné aux ecclésiastiques de ne pas entrer dans les associations cultuelles créées par la loi de 1905. Lorsque certains ont menacé des enfants de les priver de leur première communion s'ils apprenaient l'histoire dans certains livres, ou ont menacé leurs parents de les priver de la confession et des autres sacrements s'ils n'intervenaient pas, Aristide Briand et Georges Clemenceau ont saisi les tribunaux. Les ecclésiastiques, dont le cardinal de Bordeaux, ont été condamnés à des amendes, ce qui a fait la une des journaux de l'époque.
Progressivement, les appels à la violence et les pressions ont diminué et la première guerre mondiale a ramené la paix entre les Français dans l'union sacrée. Après la signature de l'accord entre le gouvernement français et le Vatican faisant entrer les associations diocésaines dans la loi de 1905 – nous venons de fêter le centième anniversaire de cet accord –, la paix a perduré, sauf sur la question scolaire, entre l'Église catholique et la République. Et ces dispositions ont été oubliées. Comme me l'a dit un membre de la commission des lois du Sénat, qui m'a auditionné : c'est une amnésie collective.
Depuis lors, le Conseil d'État, en compétition avec la Cour de cassation sur la protection de la laïcité, a pris le contrôle de la jurisprudence et n'en a pas fait la publicité. Quand des tensions sont apparues avec les fidèles d'une autre religion, personne n'a pensé aux dispositions de l'article 31 de la loi de 1905. Le Gouvernement lui-même les avait oubliées quand il a présenté le projet de loi « séparatisme ».
Laïcité et école de la République sont intrinsèquement liées. La laïcité, en garantissant la stricte neutralité de l'espace scolaire, participe de l'idéal émancipateur de l'école. Or loin d'être perçue comme un outil d'émancipation, la laïcité est aujourd'hui comprise par un nombre croissant d'élèves comme une interdiction, dirigée contre la religion. Face à ce constat, j'aimerais vous interroger sur deux enseignements censés fournir aux élèves les éléments d'une culture indispensable à la compréhension de notre patrimoine commun : l'enseignement moral et civique (EMC) d'une part, l'enseignement du fait religieux d'autre part.
Concernant le premier, les travaux de la mission d'information sur la redynamisation de la culture citoyenne, conduits au Sénat en 2022, ont mis en évidence un contenu des programmes d'éducation morale et civique à la fois disparate et trop fréquemment modifié au gré des faits de société. En résulte un EMC qui place sur le même plan des thématiques diverses et nombreuses, avec des programmes trop ambitieux, abstraits et confus. Comme le relate Mark Sherringham, président du Conseil supérieur des programmes (CSP), « les programmes actuels se caractérisent par une grande profusion. Les professeurs ne savent pas comment les traiter en intégralité. C'est un peu à la carte. Or un programme national n'est pas à la carte ».
Concernant l'enseignement du fait religieux, il n'existe pas en France, dans les programmes scolaires, de cours de fait religieux à proprement parler. Du collège à la terminale, le fait religieux est seulement abordé et analysé comme élément de compréhension des sociétés passées et de notre patrimoine culturel, par le truchement de disciplines comme l'histoire, l'éducation musicale, les arts plastiques ou encore la philosophie. Or tout l'enjeu de l'enseignement du fait religieux à l'école est d'apaiser la perception de ces sujets, d'expliquer aux élèves la différence entre croire et savoir, et de favoriser « une laïcité d'intelligence », comme l'écrivait Régis Debray dans son rapport de 2002, « L'enseignement du fait religieux dans l'école laïque ».
Face à ces constats, ne serait-il pas opportun de repenser entièrement l'enseignement moral et civique, en le centrant davantage sur les institutions et les valeurs républicaines, avec une attention particulière portée à la laïcité ? Quant à l'enseignement du fait religieux, la question n'est plus de savoir s'il est justifié de le mener dans les écoles publiques, mais plutôt comment le faire de manière plus efficace et pertinente.
Pour intervenir de façon quasiment hebdomadaire dans les établissements scolaires, je fais le même constat que vous. Tout d'abord, je suggère d'inscrire l'enseignement de la laïcité – avec ses étapes – dans l'enseignement de l'histoire politique du pays. Les élus locaux – que vous êtes souvent, en plus d'être évidemment des élus nationaux –, et en particulier les maires, doivent soutenir les écoles, par exemple en accueillant des classes au moment des mariages. On apprend ainsi aux élèves qui viennent assister au mariage que ce dernier a été sécularisé lors de la Révolution française. Cela permet de marquer une première étape de l'histoire de la laïcité. Les élus locaux doivent donc être beaucoup plus actifs dans l'enseignement historique et politique de la laïcité. Ensuite, viennent les autres étapes, notamment 1905, qu'il faut replacer dans le moment de construction de la République, après la chute de l'Empire.
Cependant, je suis en désaccord avec vous quant à l'enseignement du fait religieux. Je pense qu'il met extrêmement mal à l'aise beaucoup d'enseignants. Or comme ils ont un programme trop lourd à traiter, ils n'abordent souvent pas le fait religieux, et passent à côté de ce qui est essentiel du point de vue de l'intégration des élèves dans la République, c'est-à-dire dans son histoire politique.
La loi de 1905 interdisait, à l'article 30 – disposition qui figurait dans le titre consacré à la police des cultes –, de faire le catéchisme en même temps que les heures de classe, distinguant très bien les deux. Il faut davantage enseigner l'histoire politique du pays, y compris l'histoire de l'Empire, de la colonisation et de la décolonisation – même si ce sont des sujets qui divisent politiques et historiens –, plutôt que mêler les enseignants à l'histoire du religieux, qui les met mal à l'aise.
Nous accueillons M. Vincent Ploquin, sous-directeur des cultes et de la laïcité au ministère de l'intérieur. Je vous laisse la parole pour une présentation de cinq minutes maximum.
Je présente mes excuses aux parlementaires présents ; la visite du président chinois a rendu les communications entre les rives gauche et droite de la Seine complexes. Je suis néanmoins très heureux de rejoindre vos travaux cet après-midi.
Je suis sous-directeur des cultes et de la laïcité à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques. Je suis accompagné de la cheffe du bureau de la laïcité, Mme Vanessa Seddik. Il s'agit d'une administration de la laïcité créée il y a bientôt trois ans, à la suite des travaux nourris menés, dans cette même salle, par la commission spéciale qui avait été chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République. La nécessité était alors apparue de passer d'une laïcité principielle, qui demeure et qui innerve toute notre tradition constitutionnelle, juridique et nationale, à une laïcité comme politique publique. Pour servir cette dernière, toute une administration a été créée, à vocation interministérielle, au service de toute l'action publique qui touche, de près ou de loin, à la laïcité, dans ses différentes composantes – dont je suis sûr que le professeur Weil vous a brillamment entretenu à l'instant.
Ce choix d'appréhender la laïcité non plus seulement comme un principe, mais comme une politique publique, n'allait pas forcément de soi. Il existait alors, depuis 2013, l'Observatoire de la laïcité – une instance très intéressante, qui permettait de croiser les regards de différents experts, mais qui n'était qu'un observatoire, dont l'objet était surtout de rendre des avis, des interprétations et des lignes directrices, dont les administrations tenaient plus ou moins compte. Le choix de passer de cet Observatoire à un bureau de la laïcité – qui, au sein de l'appareil d'État, constitue le pendant administratif d'une nouvelle instance politique de pilotage : le comité interministériel de la laïcité (CIL), créé au même moment et présidé par le Premier ministre – n'allait pas de soi, et en même temps était évident.
Il n'allait pas de soi, parce que parmi les grands principes cardinaux de la République, la laïcité innerve tellement notre quotidien et notre héritage collectif, que tout le monde la pratique sans le savoir, et sans qu'il paraisse nécessaire d'en faire davantage. Dans le même temps, l'évidence de ce choix s'imposait, tant le paysage religieux de notre pays et la compréhension du fait religieux, de ce qui doit relever strictement de la sphère privée et de la sphère publique, tendaient à s'obscurcir, bien davantage que par le passé. La situation de notre pays se caractérise à la fois par une puissante sécularisation – c'est-à-dire par une désaffiliation à l'égard du fait religieux, qui perd en évidence – et par une diversification et une réaffirmation très forte de l'expression religieuse, au moins chez certaines minorités – mais en réalité, nous l'observons, au ministère de l'intérieur, dans l'ensemble du spectre religieux.
Face à cette situation, dans une société française qui, à l'instar des sociétés modernes, se caractérise par une forme d'archipélisation, où les lieux de rencontre, de connaissance mutuelle, de familiarisation à ce qu'est l'autre – y compris dans sa conviction religieuse – tendent à s'amenuir, il a semblé important de réimpulser une vraie politique publique de la laïcité, pour en revenir aux fondamentaux. C'est le sens des dix-sept mesures arrêtées lors du premier comité interministériel de la laïcité en juillet 2021. Parmi celles-ci figure l'ambition de former l'ensemble des fonctionnaires à la laïcité, dont ils sont censés garantir l'effectivité, dans leurs pratiques quotidiennes.
À l'époque, le plan que nous avions proposé, pour répondre à la volonté du législateur de former les fonctionnaires à la laïcité, avait pu susciter une certaine circonspection. Pourquoi diable…
…vouloir former les fonctionnaires à ce principe que tout le monde connaît ? En réalité, il convient de se méfier des fausses évidences : c'est lorsque « tout le monde connaît » que le diable…
…se cache dans les détails. Chacun, comme nous le constatons à l'occasion des études annuelles de l'opinion publique que nous réalisons, répondra qu'il connaît la laïcité, et qu'il sait très bien ce que cela signifie ; mais lorsque vous entrez dans le détail et la déclinaison de ce principe, dans ce que la laïcité implique ou non, permet ou interdit, les idées sont déjà beaucoup moins précises. Ainsi, c'est en commençant par la brique de la formation que nous avons souhaité impulser cette nouvelle politique de laïcité. J'aurai l'occasion de compléter mon propos lors des questions.
J'ai découvert la laïcité en militant tout jeune dans une amicale laïque. Je crois que le pays en était alors rempli – on y faisait du sport et des activités périscolaires. C'étaient souvent les enseignants qui animaient ces amicales – les mêmes hussards de la République qu'on retrouvait dans les écoles, et qui nous expliquaient les choses, précisant notamment qu'il n'y avait pas de place pour la religion sur le terrain de basket, que je pratiquais en ce temps-là.
À l'époque – vous imaginez l'âge que j'ai –, ces questions ne se posaient pas autant. Mais nous avions un ami qui faisait un signe religieux à chaque fois qu'il entrait sur le terrain : les entraîneurs ainsi que le président du club ont expliqué que ce n'était pas le lieu, tout simplement. Aujourd'hui, on ne peut pas regarder un match de foot sans avoir affaire à ces signes religieux, diffusés à la télévision. On a l'impression, alors que nous – les gens comme moi, les athées – sommes les plus nombreux, d'être un peu has been et à l'écart par rapport aux gens qui pratiquent une religion, quelle qu'elle soit.
Cet engagement dans l'éducation populaire – et non pas seulement dans l'éducation scolaire, même si on a pu évoquer tout à l'heure les programmes éducatifs –, dont nous avons vu fondre le dispositif au fil des décennies, contribuait aussi à la laïcité, à défendre le fait que nous vivions ensemble, en portant des valeurs, notamment celles de la République.
J'entends les dispositions qui ont été prises pour que les fonctionnaires puissent incarner ces valeurs, mais nous devrions être attentifs à l'ensemble de la société. Le service public devrait prendre garde à ne pas nécessairement diffuser l'image de celui qui se signe en entrant sur le terrain, ou qui lève les bras au ciel après avoir marqué un but. Pourquoi favorise-t-on cela ? Ce questionnement doit, une fois encore, concerner l'ensemble de la société.
D'abord, je voudrais rappeler que la loi de 1905 intervient dans une France où la majorité de la population – y compris les instituteurs ! – va à la messe. Les instituteurs, laïques, pouvaient d'ailleurs être menacés par les curés à cette occasion. La loi de 1905 n'est pas une loi antireligieuse, mais areligieuse, qui sépare les Églises et l'État.
Une deuxième chose à préciser, souvent ignorée, est que le législateur a souhaité, après débat – qui a eu lieu surtout au Sénat –, que la loi s'applique en Algérie. Il s'agit donc d'une loi à portée universelle, qui n'était pas réservée aux religions de la France métropolitaine. Alors que le code de l'indigénat organisait la discrimination pénale des musulmans d'Algérie, la loi de 1905 comportait une dimension universelle.
Troisième chose, en instituant la neutralité de l'État et de la fonction publique, la loi de 1905 institue des espaces distincts. L'État est neutre ; chez vous, vous pouvez organiser les cérémonies que vous souhaitez ; dans un lieu de culte, il est possible, dans le respect des lois de la République, de faire des signes ou des prières conformes à la religion qui occupe ce lieu. Voilà déjà trois espaces. Enfin, il y a le reste, c'est-à-dire l'espace public, qui accueille une diversité de situations, gérée en fonction des cas soumis au juge. Dans un État de droit, c'est le juge qui rendra les arbitrages lorsque des tensions surviennent, sur ce qu'il convient de faire ou non dans ces différents espaces.
Votre question est très intéressante, car elle soulève une des grandes tensions du sujet laïque au sens large. Dans l'administration, ce qui oriente est la laïcité comme principe juridique, qui est d'une application somme toute très claire. Il faut se la réapproprier, puisque se posent des questions que l'on ne se posait plus, et que nous avons collectivement à reposer, face à la résurgence de revendications religieuses dans des espaces où l'on avait perdu l'habitude qu'elles s'expriment.
À côté de cela, il y a ce que j'appellerai la régulation par la norme positive de l'expression religieuse dans des sphères où, jusqu'à présent, il n'y avait d'autre norme que celle, non écrite, du contrat social.
La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi El Khomri, en donne un exemple. Elle a introduit dans le code du travail la possibilité pour l'employeur de réguler, par le truchement du règlement intérieur, l'expression religieuse se faisant au moyen du port de signes distinctifs – au nom de considérations relevant certes de l'hygiène et de la sécurité, mais aussi au nom du lien avec le client ou de la bonne marche de l'entreprise. Cette disposition n'a donc, d'une certaine façon, rien à voir avec la laïcité entendue comme un principe juridique réglant les liens entre les citoyens et l'administration, ou bien avec le fonctionnement de cette dernière.
L'enjeu est donc pour nous, d'une part, d'appliquer et de faire appliquer pleinement la laïcité, dans toute sa force juridique, avec de nouveaux instruments tels que le déféré laïcité. C'est là une question de droit, dans le but de prévenir tout empiètement du religieux sur l'action publique, en conformité parfaite avec l'esprit de la loi de 1905. Mais, d'autre part, il existe d'autres sphères, que le professeur Weil vient d'évoquer et qui, par un contrat social implicite, doivent échapper à des revendications de nature religieuse.
Je voudrais vous soumettre un cas pratique. Les élus locaux de Savoie ont reçu, au nom du préfet de Savoie et du maire de Chambéry, une invitation aux commémorations du 8 mai 1945, pour un ensemble de manifestations devant se dérouler tout au long de la matinée.
Nous avons été surpris de trouver, au bas du carton d'invitation, la mention que ces cérémonies seront précédées d'un office religieux dispensé en la cathédrale de Chambéry. Il est tout de même étrange de voir, dans une invitation républicaine, une forme de prise de position en faveur d'une religion – faisant ainsi fi des autres religions ou des athées –, alors que le Gouvernement a prévu, par la loi du 24 août 2021, dite loi séparatisme, un contrat d'engagement républicain (CER) très précis, invitant les associations à prendre des dispositions pour s'affranchir de toute influence religieuse.
Pensez-vous, monsieur Weil, qu'intégrer un office religieux dans une cérémonie républicaine soit du ressort des pouvoirs publics ?
Clemenceau, à la fin de la première guerre mondiale, et alors qu'il a joué un rôle dans la victoire, refuse d'assister à la messe qu'organise l'archevêque de Paris. Il peut bien donner une messe, se disait-il, mais, en tant que président du Conseil, je n'y assisterai pas. C'est la tradition républicaine.
Il peut toutefois exister des traditions locales que le Conseil d'État– et je crois, monsieur Ploquin, que vous y siégez – respecte dans sa jurisprudence.
Je ne sais pas si les autorités de Savoie ont ainsi assisté à des messes, en 1945, pour la Victoire. Mais, même si l'on prend en compte certaines traditions locales, il me semble que la distinction doive être maintenue.
Rien ne s'oppose, d'une manière générale, à ce qu'un élu de la République participe à un culte.
Nous avons développé, au bureau de la laïcité, le site laicité.gouv.fr qui permet à tout citoyen de nous saisir de questions pratiques.
On se rend alors compte que la laïcité, très claire dans son principe, est parfois plus complexe dans ses applications. Mais il est vrai qu'il peut paraître surprenant…
…que figure la mention d'une cérémonie religieuse, comme si elle était incluse au programme officiel, dans un carton émanant d'autorités républicaines. Je le lirais peut-être plus comme une information : « Sachez que par ailleurs… » Mais la présentation est peut-être maladroite – sous réserve d'une tradition locale dont je n'aurais pas personnellement connaissance.
Il est opportun que nous puissions évoquer, à la demande du groupe Socialistes, le bilan des politiques publiques de défense et de promotion de la laïcité.
Il me semble que nous avons besoin d'un puissant corpus politique, et que nous devons refuser, sur ce sujet, l'impuissance politique qui a prévalu, me semble-t-il, pendant de trop nombreuses années.
Je voudrais poser quatre questions au haut fonctionnaire et à l'historien que vous êtes respectivement.
Considérez-vous que la laïcité soit un rempart contre toute forme de fanatisme ou d'intolérance ? N'est-ce pas là, en tout cas, le combat qu'elle doit mener ?
Pensez-vous par ailleurs que la laïcité doive, dans notre vie républicaine, se voir incarnée et, si oui, comment ? Jugeriez-vous opportun d'instaurer dans les écoles, au 9 décembre de chaque année, un moment solennel ?
La laïcité est-elle, selon vous, un attribut de l'autorité de l'État ?
Pensez-vous, enfin, que la laïcité, telle que nous l'héritons de la loi de 1905, soit consubstantielle à notre unité nationale ?
La laïcité, en plus de signifier la séparation des Églises et de l'État et le respect de chaque option spirituelle, est la manifestation de la souveraineté de l'État républicain dans la définition et l'organisation de la liberté religieuse. Le Parlement français a bien rompu sans négociation, contrairement à l'usage, ce traité avec le Vatican qu'était le Concordat : c'était un acte de souveraineté. Et si Atatürk a décidé d'appeler laiklik le régime turc – qui n'est pas un régime de séparation –, c'est afin d'exprimer la souveraineté de la république turque sur les cultes.
Je ne peux faire mieux que de vous citer ce qu'Aristide Briand a dit lors d'un débat parlementaire : « Quand l'État voit l'Église en face de lui, il doit l'examiner sous deux aspects, parce que l'Église a pris deux aspects, parce que son action a deux formes : l'État laïque pour assurer sa sécurité et sa prédominance est forcément anticlérical. Il lui appartient en effet de s'opposer à ce que l'Église, sortant de son domaine religieux, en intervenant sur le terrain politique, mette en péril la prédominance de l'État. Mais si l'Église reste chez elle, si les fidèles se contentent de manifester, sous la forme du culte, leurs sentiments religieux, l'État est tenu de s'arrêter devant ce domaine sacré. »
Pour ce qui est de votre première question, monsieur le député, toute notre histoire montre, à l'évidence, que la laïcité est un rempart, puisque c'est elle qui garantit la liberté de croire, de ne pas croire et de changer de religion. Elle crée surtout les conditions d'existence d'un espace commun profane, affranchi de considérations religieuses qui prétendraient dicter leurs normes à la société civile.
Mais aujourd'hui, le risque pour la laïcité est qu'elle ne soit plus comprise et ne soit vue que comme quelque chose de désincarné et de répressif. Si la laïcité a fait battre, au cours de notre histoire, le cœur de grands républicains, c'est parce qu'elle était perçue comme un idéal d'émancipation, de liberté et de tolérance ; elle était perçue comme une condition du vivre-ensemble, au sens le plus noble du terme : non pas une juxtaposition d'individus qui s'ignorent, mais des citoyens qui, ensemble, font société.
Nous pouvons nous inquiéter de ce que cette laïcité manque aujourd'hui d'incarnation. Je ne suis pas certain qu'il nous faille un monsieur ou une madame laïcité : mais il nous faut des actions concrètes pour donner à voir ce qu'elle est.
Depuis quelques années, par exemple, le ministère de l'intérieur remet le prix de la laïcité de la République française, qui valorise les initiatives de la société civile, notamment des scolaires, qui font vivre la laïcité. Il est très touchant de voir, cette année encore, des porteurs de projet anonymes, très inspirants par la diversité de leurs actions, permettre à des élèves venant parfois de milieux éloignés – voire potentiellement hostiles, a priori, à la laïcité – d'en devenir les meilleurs ambassadeurs, grâce à un travail pédagogique ayant permis d'en faire une expérience concrète. C'est de cela que nous avons besoin.
J'ai deux courtes questions, plutôt destinées à M. Ploquin, en raison de leur caractère opérationnel. Cependant, M. Weill aura peut-être un éclairage à apporter.
Il avait été décidé, en 2021, que le ministère de l'intérieur et le ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales réunirait chaque semestre les associations nationales d'élus, afin de permettre un partage d'informations et de ressources en matière de laïcité. Combien de ces réunions ont eu lieu ? Quels en sont les comptes rendus, et pour quels résultats ?
Il avait été également arrêté qu'un comité réunirait au moins deux fois par an les directeurs des administrations centrales concernées par les orientations du CIL, afin de veiller à la bonne mise en œuvre des mesures en faveur de la laïcité. Là encore, combien de fois ce comité a-t-il été réuni, et pour quelles conclusions ?
Le comité que vous venez d'évoquer s'est réuni trois fois en deux ans, avec une coprésidence des deux ministères concernés et du ministère de la fonction publique, puisque la formation et l'animation de la communauté des fonctionnaires comptent pour une part importante du travail mené.
Pour ce qui est de votre première question, une première réunion des préfets, au niveau départemental, a eu lieu immédiatement après la promulgation de la loi confortant le respect des principes de la République. L'accent y a été mis sur le bloc laïcité, dans ses dimensions législatives et infralégislatives décidées en juillet 2021 lors du premier CIL.
Mais il est vrai que le format d'abord envisagé, devant réunir les grandes associations d'élus, n'a pas pu se concrétiser. Le rapport sénatorial du 6 mars 2024 dressant un premier bilan de la loi confortant le respect des principes de la République regrette d'ailleurs que, dans sa mise en œuvre – et en particulier au sujet de la laïcité – l'implication des élus locaux ait été à géométrie variable et que l'État n'ait pas été à la hauteur de ses ambitions en termes d'animation.
Il reste que, au niveau administratif, nous épaulons beaucoup le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) dans la mise en œuvre de tous ces instruments et, particulièrement, dans la formation à la laïcité des agents de la fonction publique territoriale.
Votre question, monsieur le député, me permet de rappeler qu'on oublie – et c'est là comme l'effet d'un regret, de la part de l'État, du contrôle qu'il exerçait sur la religion – que la loi de 1905 installe le fait religieux au niveau local, le confiant à des associations cultuelles locales. C'est cela qui a provoqué la crise avec l'Église catholique, elle qui craignait de perdre son pouvoir hiérarchique d'organisation du culte.
Indépendamment de la politique nationale, il est donc possible, grâce à des associations cultuelles locales, de pratiquer sa foi et de créer sa propre pratique, que l'on soit, par exemple, musulman chiite, sunnite, ahmadite ou que l'on ait sa propre approche de l'islam. C'est une liberté qui n'existe pas dans tous les pays.
Cette liberté de croire – ou de ne pas croire –, sans pression, est une façon intéressante de présenter la laïcité. C'est d'ailleurs sous cet angle que je la présente dans les établissements scolaires. Au niveau local, les maires peuvent agir beaucoup plus qu'ils ne le font.
Ce débat est intéressant ; il a le mérite de rappeler certaines vérités et de mettre en lumière ce qu'oublient certains de mes collègues. La loi de 1905 visait d'abord à freiner l'emprise du Vatican sur la sphère publique. Mais cette loi de séparation des Églises et de l'État n'est pas un hymne à l'absence de religion – il est fondamental de le rappeler.
Je ne suis pas choquée de certaines traditions. Ainsi, en Savoie, pourquoi ceux qui voudraient participer à un office religieux ne le pourraient-ils pas ? Il ne s'agit pas d'une obligation, que je sache. Monsieur Coulomme, lorsqu'une communauté issue de l'immigration vous invite à assister au repas de fin de ramadan, vous n'êtes pas choqué. Je suis donc surprise de votre réaction à géométrie variable.
Ma question s'adresse au représentant de l'État. Vous nous avez expliqué qu'en France, la laïcité est déclinée en tant que politique publique. En conséquence, comme il est de coutume dans notre pays – où l'on est très fort pour ce genre de choses –, on a créé une administration dédiée. Combien de personnes travaillent au sein de cette administration, quel est son périmètre et quels sujets traitez-vous, concrètement ? Quels sont ceux sur lesquels vous êtes le plus régulièrement sollicités ?
Depuis trois ans, c'est la sous-direction des cultes et de la laïcité qui est chargée de la laïcité au sein de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur et des outre-mer, ministère historique des cultes.
Après 1905, le bureau central des cultes, chargé de la gestion du Concordat, a pris la suite de la direction générale des cultes. En 2021, le bureau de la laïcité a rejoint ce bureau central au sein de la sous-direction. En effet, les deux thématiques sont inséparables, fait religieux et laïcité allant de pair.
Ce bureau est donc une administration nouvelle, modeste dans ses effectifs, qui comptent huit agents. Il n'a pas la prétention de tout régir puisque chaque ministère est compétent. Ainsi nos collègues de l'éducation nationale n'ont-ils pas attendu la création du bureau pour agir résolument, et depuis longtemps.
Nous sommes malgré tout un pôle d'expertise, tous sujets confondus. C'est pourquoi nous administrons le site laicite.gouv.fr, et répondons notamment à toutes les questions des citoyens et des administrations sur la bonne compréhension ou l'application du principe de laïcité.
En lien avec la direction de la fonction publique, nous élaborons tous les dispositifs de formation – et leurs supports – à destination des fonctionnaires de l'État et des fonctionnaires territoriaux, en ligne et en présentiel.
Nous sommes chargés du prix de la laïcité de la République française. Nous animons et participons à la valorisation d'une communauté, composée à la fois de personnes issues de la société civile désireuses de faire connaître, aimer et comprendre la laïcité, et du réseau des référents laïcité de l'État, dont la loi du 24 août 2021 a prévu la création et qui sont désormais 17 000 au sein des administrations de l'État. Un réseau ne sert à rien s'il n'est pas animé et si les personnels qui le composent ne sont pas formés, puisque ces référents doivent être les ambassadeurs de premier niveau de la laïcité au sein de leur communauté de travail.
Je vous remercie pour votre participation à nos travaux. Avant de passer à la seconde partie de ce débat, je suspends la séance pour laisser à Mme la secrétaire d'État le temps d'arriver.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures.
La séance est reprise.
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté.
Monsieur Guedj, je vous remercie pour votre invitation qui me permet de prendre la parole sur la laïcité, ce que j'ai rarement eu l'occasion de faire. Cette thématique relève pourtant de mon portefeuille citoyenneté, qui est très large, même si elle concerne tous les ministères – peu de sujets sont aussi transversaux.
La laïcité ne doit pas être perçue comme une accumulation de règles contraignantes, polémiques et visant à lutter contre une religion, un culte ou une communauté – c'est évident mais cela va mieux en le disant.
En France, la laïcité s'est construite pour donner un socle solide, une assise commune à l'idéal républicain : liberté – l'État garantit à tous la liberté de croire, de ne pas croire, de ne plus croire et de changer de religion –, égalité – l'État laïque est un État impartial, qui n'avantage ni ne désavantage personne du fait de son appartenance religieuse –, fraternité – la laïcité impose le respect par tous des choix et des croyances de chacun, dans un idéal partagé de citoyenneté. La laïcité est donc le socle des valeurs qui nous réunissent.
Pourtant, force est de constater que ce modèle de vivre-ensemble est malheureusement mal connu, mal compris, souvent malmené ou instrumentalisé. Le consensus social autour de la laïcité s'érode, ce qui l'expose à des attaques communautaristes qui le fragilisent. Les administrations, les services publics – l'école, l'hôpital public – sont des sanctuaires républicains où la neutralité est de mise – c'est la loi. L'université est aussi en proie à des tentatives de pressions communautaires. Je l'affirme avec force : l'université est non le lieu de la prise en otage idéologique,…
…mais celui du partage, des savoirs, de la mesure et du discernement. Les pressions doivent être combattues, les règlements des établissements respectés et la loi appliquée. Le voile intégral est interdit partout sur le sol français, tout comme les lieux de prière non déclarés : c'est la loi de la République, qui s'applique à tous.
Si le consensus social autour de la laïcité tend à s'éroder, il continue malgré tout à exister. La dernière étude de l'institut de sondage Viavoice le prouve : plus de sept Français sur dix se déclarent attachés à ce principe républicain. La variation générationnelle est toutefois très marquée : si 85 % des 65 ans et plus se déclarent attachés à la laïcité, ils ne sont que 65 % chez les 18-24 ans. Par ailleurs, près de 40 % des Français souhaiteraient que le sujet soit plus fréquemment abordé et expliqué. Il y a donc une demande de l'opinion publique pour davantage de pédagogie.
Pour répondre à cette exigence d'action et de clarté des Français à notre égard, nous disposons désormais d'outils pour protéger, promouvoir et diffuser le principe de laïcité plus efficacement. Pour rester un trait d'union et garantir la concorde civile et républicaine, la laïcité doit s'adapter aux évolutions de la société française.
Sur le plan juridique, la loi du 24 août 2021 confortant les principes de la République met en place un nouveau cadre destiné à assurer la pleine application de la laïcité à l'ensemble des missions de service public, y compris celles confiées à des entreprises privées sélectionnées lors de marchés publics. Elle permet aussi d'apporter une réponse pragmatique à chaque problème constaté sur le terrain – je pense au déféré laïcité ou au réseau des 17 000 référents laïcité chargés de relayer cette politique publique au sein de leur administration. La création de nouveaux délits, comme celui de mise en danger de la vie d'autrui par diffusion d'informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle, répond à notre stratégie visant à améliorer la protection des élus et des agents publics menacés dans leur activité quotidienne. Cela participe à la défense du socle des valeurs essentielles auxquelles nous sommes tous profondément attachés.
Depuis 2021, nous disposons de nouveaux outils dont nous encourageons l'utilisation, y compris par les services de l'État. Je citerai un seul exemple, récent : dans une circulaire adressée aux membres du parquet le 29 avril 2024, le garde des sceaux a rappelé la nécessité d'assurer un traitement prioritaire aux infractions commises à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance à une religion, dans un contexte séparatiste ou d'atteintes au principe de laïcité.
La laïcité n'est pas qu'un principe juridique, c'est aussi une politique publique, que l'État mène tant au niveau du Gouvernement que de l'administration. En juin 2021, le Gouvernement a créé le comité interministériel de la laïcité, placé sous l'autorité du Premier ministre. Cette instance politique, décisionnelle et opérationnelle réunit les ministres concernés afin d'orienter et de promouvoir la politique publique de la laïcité au sein des administrations de l'État et des collectivités territoriales. Ce comité interministériel pourrait être utilement complété par la nomination d'un référent laïcité au sein de chaque cabinet ministériel pour nourrir ce dialogue qui suscite de fortes attentes – c'est une proposition que je formule.
Le secrétariat d'État placé sous l'autorité du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé de la citoyenneté, s'occupe du suivi proprement politique – j'ai l'honneur d'être à sa tête. Il permet de piloter au quotidien la politique publique de la laïcité et de lui offrir une visibilité auprès du grand public mais aussi auprès des partenaires concernés par les questions de laïcité.
Troisième acteur, administratif celui-ci, le bureau de la laïcité relève de la sous-direction des cultes et de la laïcité au sein de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) du ministère de l'intérieur et des outre-mer. Ce bureau fondé fin 2021 anime et coordonne le travail interministériel mené sur la laïcité, ce qui permet de la promouvoir en fournissant une expertise juridique, politique et sociale au ministère de l'intérieur et des outre-mer, aux autres administrations et au grand public. Il administre aussi le site officiel du Gouvernement laicite.gouv.fr.
Le comité interministériel de la laïcité s'est réuni pour la première fois le 15 juillet 2021 pour valider les orientations de l'action du Gouvernement. À cette occasion, dix-sept décisions ont été prises – plusieurs découlaient directement de la loi CRPR. Elles constituent désormais la feuille de route commune des ministères. Ce plan d'action ambitieux esquisse des mesures que nous devons prendre pour renforcer la connaissance et la compréhension du cadre que fixe la laïcité.
Deux nouvelles obligations s'imposant aux administrations sont particulièrement importantes : former l'ensemble des agents publics au principe de laïcité et nommer un référent laïcité dans chaque administration, qu'elle relève de la fonction publique d'État, territoriale ou hospitalière, ainsi que dans les autres établissements publics.
La formation des agents publics est un sujet majeur ; ce sont les premiers à incarner et à défendre la laïcité dans le service public. Depuis 2021, la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) met à la disposition de tous les agents publics la formation à distance Mentor. Une formation plus spécifique, en présentiel, est proposée aux agents les plus exposés aux problématiques de laïcité dans l'exercice de leurs fonctions. Cette formation très efficace, associant mises en situation et analyses pragmatiques de cas pratiques, est saluée.
Depuis 2021, tous les nouveaux agents se sont vu proposer une formation sur les fondamentaux de la laïcité. S'agissant des agents déjà en poste, le bureau de la laïcité du ministère de l'intérieur et des outre-mer comptabilise environ 570 000 agents formés entre 2021 et 2024. L'objectif est de former 100 % des agents d'ici à 2025, ce qui est ambitieux et inédit. Nous maintiendrons le rythme et garderons le cap pour continuer à atteindre cet objectif au-delà de 2025. En outre, depuis 2015, pas moins de 120 000 agents ont suivi la formation Valeurs de la République et laïcité dispensée par 2 200 formateurs habilités par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).
Le bureau de la laïcité remplit son rôle d'animateur de l'action interministérielle portant sur la laïcité en éditant des guides pratiques sur le sujet à l'usage des professionnels. Le « Guide de la laïcité dans la fonction publique » est devenu un outil de référence, facilement accessible et concret – il a vocation à être actualisé le plus souvent possible. Ce guide commence par poser le cadre théorique grâce à des fiches telles que « Qu'est-ce que la laïcité ? », « Qu'est-ce que la neutralité de l'État ? » ou « Qui sont les acteurs de la laïcité au sein de la fonction publique ? ». Il apporte ensuite des éléments de réponse aux problèmes les plus fréquemment rencontrés à travers une série de cas pratiques : « L'agent peut-il porter un signe religieux dans l'exercice de ses fonctions ? », « Le comportement prosélyte d'un agent public envers ses collègues est-il permis ? », « L'obligation de neutralité s'applique-t-elle durant le temps de pause ? » ou « Un candidat peut-il se présenter à un entretien de recrutement en portant un signe religieux ? ». Un autre document, intitulé « Comprendre la laïcité dans la fonction publique » et destiné aux agents publics, complète ce premier guide.
D'autres ministères que celui de l'intérieur et des outre-mer se sont emparés du sujet et ont produit d'autres guides, tout aussi utiles, à destination de leurs agents. En 2016, l'académie de Paris a ainsi publié le guide « Comprendre, enseigner et faire vivre la laïcité », constamment remis à jour par les services du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse. La Conférence des présidents d'universités (CPU) – devenue France Universités – édite le « Guide de la laïcité à l'université », dont la dernière actualisation date de 2023. Ces productions montrent que l'État et les administrations publiques sont plus que jamais mobilisés pour faire de la laïcité un cadre de pensée, d'action et de cohésion sociale connu et compris de tous. Il faut que ce concept revête le même sens pour tous.
Les professionnels ne sont pas le seul public visé par la politique publique de la laïcité. Parce qu'il est composé de citoyens de tous âges et toutes origines, aux parcours de vie divers, le grand public est une cible prioritaire. Les pouvoirs publics soutiennent et renforcent la pédagogie de la laïcité qui lui est destinée. Il me paraît fondamental de faire en sorte que le grand public comprenne mieux la laïcité pour qu'il puisse y adhérer davantage – c'est un principe exigeant, mais qui protège la liberté de conscience. À la fin de l'année dernière, j'ai présidé la remise d'un prix de la laïcité qui a mis en valeur de très belles initiatives, comme un concours d'éloquence dans un collège alsacien, ou une mallette pédagogique imaginée par les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Il y a quelques semaines, j'ai demandé au bureau de la laïcité du ministère de l'intérieur et des outre-mer de mettre en place un label des ressources en matière de laïcité, pour constituer un vade-mecum des bonnes pratiques qui fonctionnent concrètement sur le terrain. Ce vade-mecum rassemblera les supports, les contenus et les initiatives reconnus pour leur qualité et leur facilité d'accès ; ceux-ci seront mis à disposition de tous ceux qui souhaitent organiser des actions de sensibilisation, de promotion et d'échange autour de la laïcité. Cela va dans le sens de la pédagogie citoyenne de la laïcité.
L'année 2025 marquera les 120 ans de la loi de 1905. Un cycle mémoriel ponctué de nombreux événements marquants pourrait incarner aux yeux de nos concitoyens, en particulier pour les plus jeunes, une laïcité heureuse, source d'apaisement, de cohésion et de communion nationale.
Vous l'aurez compris, je suis pleinement déterminée à faire en sorte que la laïcité continue d'être le cadre collectif de notre liberté à tous ; une laïcité juste, apaisée, exigeante et bienveillante, pour reprendre les mots du Président de la République.
Depuis 2021, nous avons consolidé la prise en charge et l'organisation administrative et gouvernementale de l'action publique en matière de laïcité ; les résultats sont là. Nous devons poursuivre ces efforts dans tous les domaines, avec la société civile et le tissu économique, car c'est collectivement et non séparément que nous parviendrons à préserver les acquis républicains qui nous sont si chers.
Nous en venons aux questions, dont la durée, comme celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Jérôme Guedj.
Madame la ministre, vous êtes connue pour votre franc-parler : permettez-moi d'user ici du mien. Nous avons suscité ce débat précisément pour aller au-delà des paroles et voir comment elles se traduisent. Vous avez mentionné le comité interministériel de la laïcité : installé en 2021, il s'est réuni deux fois, en juillet et en décembre de la même année. Jean Castex, qui le présidait, avait alors annoncé qu'il se réunirait deux fois par an. Or il ne s'est réuni ni en 2022, ni en 2023, ni en 2024. Dès lors, comment accorder du crédit à une quelconque volonté politique en la matière ?
S'agissant des dix-sept mesures qui avaient été mises sur la table à l'époque de cette création, il nous a été confirmé, au cours de la table ronde précédente, qu'aucune réunion n'a été organisée pour mobiliser les associations d'élus locaux. Par ailleurs, le rapport des sénatrices Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien indique que l'objectif de formation de 100 % des agents de la fonction publique d'ici à la fin de l'année 2025 est hors de portée. À peine 10 % des agents des fonctions publiques territoriale, hospitalière et d'État ont été formés à ce jour. Quid des référents laïcité dans les fédérations sportives, que nous avons évoqués tout à l'heure ? Ce sujet irrigue d'autres secteurs que les seuls services publics.
Vous avez évoqué la politique en matière pénale, que nous avons également abordée avec Patrick Weil au cours de la table ronde précédente. L'article 31 de la loi de 1905 permet de sanctionner ceux qui font pression sur un individu qui croit ou qui ne croit pas ; vous l'avez toiletté dans la loi de 2021, mais aucune circulaire de politique pénale ne mentionne cet article – pas même celle que vient de prendre le garde des sceaux, le 29 avril dernier. Nous sommes pourtant convaincus que cet article constitue le levier adéquat. Nous avons le sentiment d'un recommencement permanent. Disposerons-nous d'un bilan complet des activités du comité interministériel de la laïcité, concernant les différents volets de son action ?
Enfin, je vous pose une dernière question, qui nous fait faire un léger pas de côté, mais qui est liée à ce débat. Le 29 mars dernier, Mickaëlle Paty, la sœur de Samuel Paty, s'est adressée au Premier ministre et à la ministre de l'éducation pour demander la reconnaissance de la responsabilité de l'État dans la mort de son frère. L'État doit donner sa réponse avant le 17 mai. À ce stade, Nicole Belloubet a laissé entendre qu'elle ne voulait pas reconnaître la responsabilité de l'État dans l'assassinat de Samuel Paty par un terroriste islamiste. Une réponse sera-t-elle bien apportée ? Correspondra-t-elle aux attentes des enseignants ?
Monsieur Guedj, nous nous connaissons un peu : nous n'allons pas jouer à celui qui a la parole la plus directe. Vous m'avez demandé pourquoi le comité interministériel à la laïcité ne s'était pas réuni depuis 2021 : je ne saurais vous répondre. En revanche, je vous annonce que j'ai demandé au Premier ministre de présider sa prochaine réunion, qui se tiendra en fin d'année. Comme vous, j'ai été frappée de constater qu'il ne s'était pas réuni depuis 2021. Sans vouloir fournir des explications maladroites ou politiques, reconnaissons tout de même que des événements, comme la guerre en Ukraine, contribuent à expliquer cet état de fait. Quoi qu'il en soit, dès ma nomination, c'est l'une des premières choses que j'ai constatées. Je vous garantis qu'un CIL se réunira d'ici à la fin de l'année, ce qui nous permettra d'établir un bilan global.
Avec Stanislas Guerini, nous avons travaillé de concert à la formation des fonctionnaires à la laïcité. L'éducation nationale est l'administration qui compte le plus d'agents formés, avec un taux de 40 % de formation. Cela montre que la volonté politique d'un ministre produit des résultats. Si nous sommes parvenus à ce taux de formation concernant les agents chargés de l'éducation nationale et de la jeunesse, nous pouvons y parvenir dans les autres administrations.
Puis-je faire référence à mon ancien métier ? Afin de sensibiliser les jeunes et le grand public, mais aussi les administrations, j'ai proposé de réfléchir à la question suivante : que serait notre vie sans laïcité ? Nous ne devons plus avoir peur de montrer ce que serait notre société sans laïcité.
Vous avez évoqué Mickaëlle Paty, qui demande la reconnaissance par l'État de sa responsabilité dans la mort de son frère. Je laisserai bien évidemment ma collègue Nicole Belloubet lui répondre. À titre personnel, j'estime que le risque zéro n'existe pas ; j'aurais tout donné pour qu'un tel drame ne survienne jamais. Après…
Votre question est vaste. Il est difficile de vous répondre en deux minutes. Le 17 mai, je suis sûre que l'État apportera une réponse assez ferme à cette sollicitation.
Depuis la loi du 24 août 2021, l'octroi de subventions publiques aux associations et aux fondations est subordonné à la signature d'un CER. Force est de constater les dérives successives dans l'utilisation de ce dispositif par des préfectures et des collectivités qui décident, grâce à la marge d'appréciation laissée par le décret d'application, de retraits de subventions qui soulèvent des interrogations, quand ils ne sont pas retoqués en justice.
Il y a quelques mois, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté une demande du préfet visant à couper des subventions, y voyant un usage détourné et illégal de la procédure. En février 2022, le Planning familial a été visé par un maire, simplement pour avoir collé une affiche sur le droit des femmes où figurait, entre autres, une femme voilée. Là encore, le tribunal administratif a donné raison à l'association ; le Conseil d'État a confirmé cette décision.
Des associations ont attaqué le décret d'application en raison de cet usage manifestement illégal. Toutefois, le Conseil d'État s'est borné, sans plus de précisions, à rappeler l'obligation figurant dans la loi. Cette motivation est un peu légère, alors que le Conseil constitutionnel a considéré que l'obligation figurant dans la loi « vise les actions susceptibles d'entraîner des troubles graves à la tranquillité et à la sécurité publiques ».
Au-delà de notre appréciation sur la pertinence de la possibilité de retirer des subventions à une association, il faut reconnaître que le décret d'application est manifestement contraire à cette décision du Conseil constitutionnel. Le Gouvernement compte-t-il, à tout le moins, revoir ce décret d'application pour se conformer à la décision du Conseil constitutionnel de ne viser que les troubles graves et non une simple affiche collée par une association ?
Nous demandons en effet aux associations financées par de l'argent public de signer un contrat d'engagement républicain. Si elles ne le respectent pas, elles doivent rembourser les subventions versées.
S'agissant de l'affiche dont vous avez parlé, on peut penser à du prosélytisme ou du moins à un défaut de neutralité. Le critère que constitue le trouble à l'ordre public a été rappelé par le Conseil constitutionnel. Quoi qu'il en soit, il me semble judicieux que les associations, notamment sportives, conservent un cadre de neutralité.
Il n'a été fait recours à la procédure de déféré qu'une seule fois, parce que les préfets sont capables de déterminer à quel moment les associations ne respectent pas la loi et à quel moment recourir à cette procédure – ils assurent cette mission.
Coller une affiche justifie-t-il une sanction ou l'arrêt d'une subvention ? Oui, manifestement, puisque cette situation est survenue. Il faut en appeler à la nuance : si cette affiche a été signalée, c'est pour une raison précise. Ainsi, on a pu voir, dans des associations sportives, des actions relevant du prosélytisme ; on en a vu aussi à l'université. Porter un voile est autorisé par la loi, mais sortir un tapis de prière ou prier ne l'est pas, quelle que soit la religion – ne parlons pas uniquement de l'islam.
Le cadre de la loi est suffisamment clair et les membres du Conseil constitutionnel jugent en leur âme et conscience. En tout état de cause, je ne peux revenir sur de telles décisions, mais j'estime qu'il est important de respecter la loi.
Ces derniers mois, l'actualité nous a durement rappelé à quel point il ne suffit pas d'inscrire dans le marbre une valeur pour qu'elle soit respectée, et à quel point notre démocratie, pour se défendre contre ses détracteurs, doit sans cesse se remettre en question pour rendre pleinement effectifs ses principes fondamentaux.
Bien sûr, la laïcité n'est pas le refus de la religion, pas plus que la neutralité n'en est la négation. Cependant, l'État est le protecteur de notre liberté de conscience. Lorsque la religion devient, pour certains, un véritable projet politique ; lorsqu'elle est utilisée comme un instrument de repli identitaire ; lorsqu'elle menace l'égalité entre les sexes, l'État doit intervenir pour marquer clairement et fermement la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas.
Fort heureusement, il y a eu depuis vingt ans des évolutions juridiques : je pense non seulement aux actions conduites par Jean-Michel Blanquer en matière d'éducation, mais aussi à la loi de 2021, qui porte aujourd'hui ses fruits. Toutefois, deux freins majeurs entravent l'application pleine, entière et sereine de la laïcité en France.
Tout d'abord, certaines de nos élites, par lâcheté ou par rejet de la conception de la laïcité à la française, affaiblissent la bonne application de ce principe dans nos politiques publiques. Deux exemples récents en sont l'illustration : à la suite du retrait du proviseur du lycée Maurice-Ravel, le communiqué du rectorat de Paris évoque des convenances personnelles, alors que le proviseur était menacé de mort. Ce communiqué démontre que le « pas de vague », reposant sur une certaine forme de lâcheté, existe toujours. Le second exemple est la présence, jusqu'à une date récente, de M. Alain Policar au sein même du Conseil des sages de la laïcité ; celui-ci considère le voile comme « […] souvent, un vecteur d'émancipation pour les jeunes filles ». Ces deux exemples démontrent que tout le monde n'a pas pris – ou ne veut pas prendre – la mesure de la pression fondamentaliste qui s'exerce, en particulier sur notre jeunesse.
La seconde entrave provient à l'inverse de la base. De toute évidence, l'État et les collectivités locales rémunèrent des personnes, pour des missions associatives, préventives et sociales exercées dans les quartiers, qui jouent contre la République et qui en contestent, sciemment ou non, les principes fondamentaux.
Comment soutenir et former davantage ceux qui font ce qu'ils peuvent dans ces quartiers, au quotidien ? Comment amplifier et systématiser les contrôles des structures accueillant des mineurs, afin de s'assurer que leurs intervenants respectent la laïcité et les valeurs de la République ? Enfin, que pensez-vous de l'idée d'élargir à ces structures l'application de la loi de 2004 sur le port de signes religieux ?
J'ai déjà évoqué la formation des agents du service public. Dans les politiques de la ville, les adultes-relais exercent le rôle de médiateurs. J'ai demandé qu'ils soient formés à la prévention de la délinquance, à la lutte contre la radicalisation, à la lutte contre les dérives sectaires et à la laïcité, dans le cadre de leur formation initiale. Parce qu'ils ont affaire à de jeunes publics, nous devons être certains de leur capacité à transmettre les valeurs de la République. Je suis très heureuse de pouvoir répondre ainsi à votre question.
Mme Amélie Oudéa-Castéra a annoncé l'amplification des contrôles dans les associations et les fédérations sportives. L'école en premier lieu et le cadre sportif ensuite sont les deux secteurs dans lesquels les coups de boutoir portés aux valeurs de la République, notamment à la laïcité, sont les plus puissants. Bien évidemment, la préparation des Jeux olympiques a pu créer des retards, mais les contrôles, commencés en fin d'année dernière, vont s'amplifier dans ces structures.
Vous avez évoqué l'entrisme. Sans doute pensiez-vous à l'entrisme frériste, que j'identifie mieux qu'un autre et qui vise l'instruction, ainsi que les associations culturelles et sportives.
La lutte contre celui-ci est un enjeu important, tout comme la liberté de pratiquer un culte ou le fait de n'avoir pas à justifier de sa religion. Prenons mon cas : je suis de confession musulmane ; ce fait, tout à fait personnel, ne regarde personne.
J'y serai très attentive par la suite, madame la présidente, mais les questions fort intéressantes qui me sont posées invitent à de longues réponses.
Il est véritablement choquant qu'une ministre de la République française fasse état de sa religion devant la représentation nationale. Votre confession vous appartient, madame la ministre, et vous êtes entièrement libre de la choisir, mais, comme vous le disiez à l'instant, elle ne regarde personne.
Je souhaitais vous poser une question au sujet de l'islamisme, problème qu'en quinze minutes de propos liminaire, vous n'avez pas du tout abordé : vous avez parlé de la laïcité, non de la principale menace pour nos valeurs républicaines. La laïcité est mise en péril non par les vœux de joyeux Noël ou par les crèches, mais par l'avancée d'une idéologie mortifère qui s'attaque à notre école, à nos institutions, à nos associations, au monde du sport.
Je souhaitais évoquer avec vous les atteintes que subit l'école de la République. Le lycée Maurice-Ravel de Paris n'en est pas le seul théâtre : au collège Jean-Bertin de Saint-Georges-sur-Baulche, dans l'Yonne, le principal a voulu faire respecter le principe de laïcité en demandant à trois femmes qui s'étaient présentées voilées à une journée portes ouvertes et refusaient de se découvrir de bien vouloir quitter l'établissement. Il a été désavoué, lâché, par le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen), qui lui a demandé de s'excuser. Le recteur s'en est fort heureusement mêlé et a pris fait et cause pour lui, mais l'événement a jeté le trouble et fourni aux représentants locaux de La France insoumise l'occasion de le taxer de racisme et d'islamophobie, accusations qui reviennent à placer une cible dans le dos d'un directeur d'établissement.
Quand apporterez-vous votre soutien aux établissements, à leur direction, pour mettre un terme à de telles situations ? En outre, compte tenu des contournements manifestes et généralisés de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, estimez-vous nécessaire une étape supplémentaire : l'interdiction des signes religieux et politiques dans le cadre des activités, sorties et événements sportifs liés à l'éducation nationale ?
Je vois ce que sont les signes religieux, mais qu'entendez-vous par des signes politiques ?
La loi de 2004 et la circulaire qui en a traduit l'esprit, seules références valables, interdisent les signes religieux à l'école, c'est-à-dire dans les écoles primaires, collèges et lycées. Rappelez-vous ce que disait de l'abaya le Premier ministre, alors ministre de l'éducation nationale. Si les signalements concernant le port de cette tenue ne nous sont pas parvenus par millions, leur nombre a été suffisant pour que Gabriel Attal prenne le problème au sérieux. Il s'est montré ferme ; vous ne pouvez me reprocher de ne pas en avoir fait autant. La religion relève du cadre privé, personnel ; elle se manifeste à la maison, et ce n'est là que pudeur. Nul ne saurait prétendre que nous n'avons pas apporté notre soutien aux proviseurs, aux instituteurs, à tous les représentants de la communauté éducative qui ont été agressés, bousculés ou menacés, et condamné les agissements dont ils ont été victimes.
Vous avez évoqué les signes religieux vestimentaires, parfois désignés sous l'appellation de modest fashion, qui permettraient de contourner les dispositions de 2004 : c'est une bonne chose que de laisser aux proviseurs, aux principaux et aux rectorats l'appréciation des faits et la responsabilité d'appliquer la loi.
Enfin, si je n'avais pas évoqué l'islamisme, c'est parce que je n'avais pas non plus été interrogée à ce sujet. J'ai préféré concentrer mon propos liminaire sur des aspects techniques de la question, car je souhaitais laisser de la matière au débat avec les parlementaires.
À la lecture du titre de ce débat, je me suis demandé de quelle laïcité il était question et quand la laïcité avait été pratiquée en France.
Pour moi, en tant que républicaine, la laïcité est celle de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État, appliquée à la lettre : la garantie du libre exercice des cultes. Or, trop souvent, elle est invoquée pour masquer une forme d'islamophobie.
Des maires issus du Rassemblement national refusent à des enfants un repas sans porc : islamophobie.
Parler d'islamophobie, c'est reprendre un mot utilisé par les islamistes !
Gabriel Attal fustige, à la dernière rentrée scolaire, le port de l'abaya et du qamis et détourne ainsi l'attention des véritables problèmes rencontrés par l'école ; la Fédération française de football s'en prend aux collants, aux casques ou à l'observation du ramadan par ses adhérents : islamophobie ! À force d'être instrumentalisée, la notion de laïcité s'abîme. La laïcité est censée permettre à tous de trouver leur place dans l'espace public, non de stigmatiser nos concitoyens de confession musulmane. Certes, dans une société fragilisée par le capitalisme, il est toujours bon de désigner des boucs émissaires. Le mythe du choc des civilisations permet de faire oublier qu'un petit nombre d'individus possède autant que des millions d'autres.
Cette instrumentalisation n'est pas sans conséquences : elle ferme à des jeunes filles de nombreuses portes, quand elle ne détruit pas leur avenir. La brillante Aya, qui étudie à Sciences Po, se passionne pour la politique. On lui dit qu'avec son voile, elle n'a aucun avenir dans ce domaine : même se présenter sur une liste aux élections municipales est impensable ! Pourquoi un bout de tissu devrait-il ruiner ses rêves ?
Pendant ce temps, le réseau des Parents vigilants – chapeauté par l'extrême droite – infiltre l'école, mais qui s'en soucie ? Chers collègues, tant que vous resterez prisonniers de votre peur de l'étranger, de votre racisme primaire et de l'illusion d'une culture française qui n'a jamais existé, la laïcité ne sera qu'un synonyme de votre islamophobie.
Votre question me surprend : au nom de quoi parlez-vous des musulmans ? À quel titre vous faites-vous leurs défenseurs, leurs porte-drapeaux ?
Premièrement, vous mettez tout le monde dans le même panier. Deuxièmement, il me semble bien avoir rappelé que la loi autorise le port du voile, comme celui d'une croix ou d'une kippa, au sein des établissements d'enseignement supérieur. Cette disposition ne pose aucun problème, puisqu'elle s'applique à des citoyens libres et éclairés, qui ont obtenu le baccalauréat, premier diplôme du supérieur.
Troisièmement, vous mélangez absolument tous les sujets. Ne pas consommer de porc n'empêche en rien de manger autre chose. La liberté de penser, de croire, de manger ou de boire ce qu'on veut ne regarde personne, dans la mesure où elle s'exerce à la maison. Il en va autrement lorsqu'on se place, en France, dans le cadre de l'école et plus largement dans celui de la République. Vous appelez le voile « un bout de tissu » : je vous invite à vous rendre – j'ai vécu quelques années au Maroc – dans un pays où les femmes sont oppressées, menacées, condamnées, afin de les obliger à le porter.
Je ne peux vous laisser dire que ce n'est qu'un tissu, ni vous improviser porte-parole de celles qui ont choisi de le porter – ou de ne pas le porter. La législation impose un cadre. Vous parliez de la loi de 1905 : il est bon de la respecter. Je le répète, vous mélangez tout, vous empilez tout, à tel point que je ne sais comment vous répondre. Je me contenterai donc de réitérer ma question : de quel droit vous considérez-vous comme les porte-parole de la communauté musulmane ?
C'est une bonne chose que de parler de laïcité à l'Assemblée nationale, de faire le bilan des actions visant à promouvoir et à défendre l'un de nos universalismes. À l'heure où certains la contestent, voire s'y opposent, les mots d'un président de la République prônant une laïcité juste et apaisée paraissent faibles : la laïcité doit partout être puissante et proclamée.
Vous avez évoqué l'action du Gouvernement auprès des administrations d'État ou des collectivités territoriales : dont acte, des formations sont ainsi suivies et des guides publiés.
Je tenais à revenir sur les actions menées dans le monde de l'éducation, qu'elle soit nationale ou populaire. Les associations sont trop souvent le lieu d'un entrisme qui permet à certains de se livrer à un prosélytisme inacceptable : la laïcité est en effet plus qu'une valeur, elle constitue l'un des principes sur lesquels repose l'autorité de l'État. Dès lors que nous nous refusons à transiger à son sujet, qu'au contraire nous voulons nous en faire les hérauts, comment pourrions-nous, en dehors de quelques communications, disposer d'éléments portant sur le contrôle par les pouvoirs publics de leurs délégataires ? Je parle ici des associations, fondations, fédérations, structures d'éducation populaire, qui doivent se sentir protégées, aidées ou accompagnées. Ces contrôles doivent être objectifs, ne pas tourner à la chasse aux sorcières, mais il conviendrait que leurs résultats soient régulièrement, méthodiquement portés à la connaissance de l'opinion publique et à la nôtre. Il y va de l'acculturation à la laïcité.
Vous avez raison : le principe de laïcité doit être proclamé, affirmé, parfois hurlé. En guise de bilan de l'action du Gouvernement et d'esquisse de celle qu'il continuera de mener, j'évoquerai la révision de la gouvernance des associations gérant un lieu de culture, prévue par la loi CRPR. Tous les décrets d'application de cette loi ont été pris et les avancées juridiques ont fait l'objet d'une circulaire d'application, afin de guider les services confrontés à l'application opérationnelle du texte – la désignation d'un référent laïcité, par exemple. Je crois beaucoup au réseau des référents. Ils sont déjà 17 000, et cet effectif pourrait croître, puisque ledit réseau a vocation à accompagner des millions de fonctionnaires. J'ai demandé au Premier ministre de présider le prochain CIL, car je suis convaincue que chaque ministère doit développer des actions de promotion et de défense de la laïcité. Je l'ai d'ailleurs déjà rappelé, 40 % des agents du ministère de l'éducation nationale ont été formés.
Ce développement est d'autant plus important que tout relâchement encourage coups de boutoir, mises en cause, attaques et même viols – n'ayons pas peur de désigner la réalité telle qu'elle est – du principe de laïcité, des valeurs de la République. Vous l'avez rappelé, ces enjeux ne concernent pas seulement les administrations et le monde politique : la laïcité nous permet de vivre libres. J'ai proposé au ministre chargé de la fonction publique une campagne de sensibilisation, qui montrerait à chacun ce que serait sa vie sans les valeurs de la République, sans la laïcité. Quand bien même vous prendriez les pays anglo-saxons pour contre-exemple, je vous rappellerais que nous sommes français. À cet égard, vous voyez bien que…
Mon Dieu !
Sourires et exclamations sur les bancs des groupes LFI – NUPES et GDR – NUPES.
Pardon, madame la présidente. Pour résumer, mieux le principe de laïcité est appliqué, moins nous faisons de concessions, plus nous sommes forts.
Ma question sera courte et simple. Le Président de la République a choisi, le 7 décembre dernier, de célébrer Hanoucca au palais de l'Élysée, en présence du grand rabbin de France. Cette célébration est-elle conforme au principe de laïcité, que votre ministère a vocation à défendre ?
Je vous remercie de votre question, monsieur le député. Nous n'allons pas faire semblant de ne pas nous connaître ! Si vous me demandez mon avis, le Président a jugé bon…
Je ne vous rappellerai pas les dispositions de la loi, que vous connaissez aussi bien que moi. Après les attaques terroristes du Hamas, le contexte était tellement particulier – un moment de communion, empreint d'émotion – que le Président a souhaité envoyer à la communauté juive un message de paix. Je vous entends et je suis tout à fait consciente des réactions que cet événement a entraînées, alors que nous parlons séparation entre le fait religieux et la République. Cette réponse vous convient-elle ?
Alors que l'on parle très régulièrement du rôle de l'école en matière de défense et de promotion de la laïcité, celui de l'université est plus rarement évoqué – vous l'avez néanmoins mentionné dans votre propos liminaire. Les étudiants étant majeurs, ils peuvent porter des signes religieux, créer des associations liées à leur croyance, mais non utiliser les locaux universitaires pour pratiquer leur religion. La promotion et la défense de la laïcité dans l'enseignement supérieur ne constituent-elles pas un enjeu ?
Les récents événements qui se sont déroulés à Sciences Po n'ont fait que démontrer la montée en puissance des tensions communautaires au sein des universités. Des minorités agissantes aux revendications religieuses et aux modes d'action radicaux ont recours à l'intimidation, à la violence, afin d'empêcher d'autres étudiants de participer au débat en les essentialisant, en les réduisant à leur identité. Ce sont nos principes républicains – la laïcité au premier chef – qui sont attaqués. L'université est un lieu de fabrication de la pensée, d'émancipation du citoyen. Il est de notre devoir de protéger les enfants, les chercheurs, les fonctionnaires et, plus globalement, nos principes face à la croissance de la place du fait religieux, qui s'impose de plus en plus dans le débat public. Seule la loi doit prévaloir et les étudiants qui refusent de s'y plier doivent être sanctionnés sans hésitation.
Comment rappeler qu'être majeur ne constitue pas une excuse pour s'exonérer des principes républicains ? Comment, tout en respectant le principe d'autonomie des universités, peut-on mieux y combattre les pressions communautaristes qui battent ces principes en brèche – car le guide de la laïcité dans l'enseignement supérieur est insuffisant ?
Les signes religieux, notamment le voile et la kippa, sont autorisés à l'université. Les étudiants, majeurs, peuvent venir comme ils sont.
C'est là toute la subtilité.
Les recteurs, les présidents d'université, les doyens, que je connais bien, savent parfaitement faire respecter la loi. Il suffit de parler avec eux : ils font la distinction entre port d'un signe religieux et prosélytisme, comme le fait d'imposer aux autres le spectacle d'une prière ou d'ablutions. En vertu du principe d'autonomie des universités, les présidents et les doyens ont la capacité juridique de convoquer des conseils de discipline, et de sanctionner, notamment d'exclure, un étudiant.
S'agissant des blocages, le Président de la République et le Gouvernement ont condamné de manière très ferme ce qui s'est passé à Sciences Po. Il y a une différence entre soutenir une cause palestinienne…
En effet ! Il y a, disais-je, une différence entre le fait de soutenir cette cause et celui d'empêcher les autres d'entrer dans l'établissement, ou de les stigmatiser. Au sein de l'enseignement supérieur, les étudiants se construisent intellectuellement et philosophiquement. L'université doit rester un sanctuaire, un lieu de débat où toutes les opinions peuvent se confronter, à condition de respecter la loi.
Vous avez raison : c'est la raison pour laquelle j'ai parlé de Sciences Po.
Je vais préciser et compléter ma première question. Depuis 2004, on constate des tentatives d'encerclement de nos établissements scolaires. En effet, les signes religieux sont interdits dans leur enceinte, mais autorisés lors des sorties et des activités scolaires.
Excusez-moi, je n'ai pas entendu le début de votre intervention.
Depuis le début, la loi de 2004 est contournée, puisque les signes religieux et politiques – le voile manifestant également l'idéologie politique qu'est l'islamisme – sont autorisés lors des activités scolaires organisées en dehors de l'établissement. Lors de cérémonies, des prix sont ainsi remis par le recteur, le sous-préfet ou le préfet à des élèves voilées.
En effet, et cela arrive tout le temps, ce qui pose un vrai problème. Compte tenu du flou entourant les dispositions de la loi de 2004 et de leur interprétation large, les atteintes sont de plus en plus fréquentes. Tout le monde – tous ceux qui veulent bien faire preuve de lucidité – connaît l'objectif final, à savoir la remise en cause de la loi elle-même. Dès lors, ne serait-il pas plus simple, clair et efficace d'interdire les signes religieux, notamment le voile islamique – ne nous leurrons pas, ce ne sont pas les kippas et les croix qui constituent un problème dans notre société –, lors de toutes les activités scolaires, y compris les remises de prix ? Par ailleurs, ce débat ayant été organisé à l'initiative de nos collègues Socialistes, que pensez-vous de l'attitude du maire socialiste des Lilas, Lionel Benharous, qui organise, au sein de la mairie, le comité consultatif lilasien de la jeunesse, auquel participent de jeunes filles voilées ?
La loi de 2004 ne porte pas atteinte à la liberté de conscience – vous le savez parfaitement, mais cela va toujours mieux en le disant. Elle n'interdit pas les signes religieux ostentatoires mais la manifestation ostensible d'une appartenance religieuse ; elle est subtile, c'est là tout son intérêt. Elle n'est ni discriminante ni excluante : les élèves refusant de s'y soumettre s'excluent eux-mêmes de l'école. Je l'avais dit, je le répète.
Le fait que le voile soit pour vous un signe à la fois religieux et politique pose problème. Certaines jeunes femmes portent le voile sans appartenir – allons droit au but– à la mouvance frériste. Il est curieux de faire un tel amalgame. Tout le monde connaît ma position très ferme sur la laïcité.
Il est dangereux de considérer le voile comme un signe politique. Il atteste une appartenance religieuse ; porté dans des lieux où il est interdit, notamment à l'école, il devient ostentatoire. Par ailleurs, je crois comprendre – je n'ai pas suivi cette affaire de près – que vous reprochez au maire des Lilas d'avoir reçu des jeunes filles voilées ?
Lors des sorties scolaires, la loi autorise les signes religieux. Vous pouvez n'être pas d'accord avec le fait que des mamans voilées accompagnent les enfants. Je fais la distinction entre l'enceinte de l'école, qui est un sanctuaire, et l'extérieur, et je ne peux commenter chaque décision des élus ; ils prennent leurs responsabilités.
Je vais préciser la pensée de notre collègue Julien Odoul : lorsqu'il parle de l'incursion du politique dans les universités, il fait certainement allusion à ses amis de la Cocarde étudiante, groupuscule d'ultradroite qui a décoré l'université de Chambéry avec des portraits de Pétain.
Je reviens à votre question : que serait notre vie sans la laïcité ? Les élus de Savoie ont reçu une invitation aux commémorations du 8 octobre 1945, au bas de laquelle était indiqué qu'ils étaient également conviés à un office religieux célébré en la cathédrale de Chambéry. Nos compatriotes juifs, musulmans, agnostiques ou athées, qui ont également combattu sous le drapeau français lors de la Libération, ne sont pas pris en considération. Le Président de la République est chanoine de la basilique Saint-Jean-de-Latran ; coprince d'Andorre avec l'évêque d'Urgel ; chanoine honoraire des cathédrales Saint-Jean-Baptiste de Saint-Jean-de-Maurienne, Saint-Julien du Mans, Saint-Maurice d'Angers, Saint-Jean de Lyon, Saint-Étienne de Cahors, des églises Saint-Hilaire de Poitiers et Saint-Germain-des-Prés à Paris ; proto-chanoine de la basilique Notre-Dame de Cléry et de la cathédrale d'Embrun. Imagine-t-on que le président d'une république réputée laïque, rémunéré par de l'argent public, accepterait d'être nommé proto-mufti d'Alsace, rabbin honoraire de Corse ou co-imam du Finistère ? Comment expliquez-vous que le représentant de tous les Français sans exception persiste à s'affranchir de la loi de 1905 et de la loi « séparatisme » qui a créé l'hypocrite contrat d'engagement républicain, censé s'imposer à toutes les associations françaises ?
Pour répondre à votre première observation, encore une fois, si mon travail consistait à commenter toutes les décisions des élus, je ne parviendrais pas à l'accomplir.
Selon vous, une invitation à une cérémonie catholique ne s'adresserait donc pas à nos compatriotes musulmans.
Il est bizarre de considérer que seuls les chrétiens peuvent entrer dans une église.
Une personne de confession musulmane ou juive ne peut-elle se rendre dans une église ? Je vois bien où vous souhaitez m'emmener, mais je n'irai pas.
Je m'en tiens aux dispositions légales. Si un élu décide d'envoyer une telle invitation, il prend ses responsabilités. Tous ceux qui souhaitent assister à cette cérémonie peuvent s'y rendre. Vous me demandez s'il a eu tort de le faire : si personne n'a saisi le juge, c'est qu'il a eu raison.
S'agissant du Président de la République, ses titres lui sont octroyés lorsqu'il accède à cette fonction. Je ne peux commenter votre propos, je ne sais que vous répondre.
Je vous parle avec mes tripes, c'est ce que je sais faire de mieux.
Sourires sur les bancs des groupes RN et SOC.
Selon moi, la laïcité, c'est lorsqu'on laisse Dieu se reposer. Il s'agit pour chacun de garder sa croyance dans son cœur, de ne l'exprimer que dans la sphère privée, de vivre en liberté, sans en être empêché par les convictions des uns et des autres. C'est la liberté absolue de croyance. Le Président de la République est victime d'attaques incessantes : on lui conteste des titres portés par tous ses prédécesseurs !
Monsieur Coulomme, ce n'est pas un dialogue : laissez répondre Mme la ministre – qui a terminé, du reste.
Le débat est clos. La séance reprendra dans l'hémicycle, dans une dizaine de minutes.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures dix.
L'ordre du jour appelle les questions sur le thème : « Les comptes publics ».
La conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse, sans droit de réplique.
La parole est à M. Philippe Juvin.
On parle beaucoup de la dette française – les fameux 3 000 milliards d'euros –, moins de la dette européenne, alors que l'Union européenne (UE), elle aussi, s'endette sans compter depuis plusieurs années. Il faudra bien que cette dette soit remboursée, soit par l'Union, soit par les États membres. L'Union n'en a pas les moyens, à moins qu'elle n'invente un impôt européen – ce qui n'est pas prévu, nous direz-vous. Le règlement du 29 février 2024 adopté par le Conseil de l'Union européenne prévoit pourtant un instrument, dit instrument Euri (European Union Recovery Instrument), qui ressemble furieusement à un impôt ou à une taxe européenne ; toutefois, celui-ci ne couvrira pas tous les coûts du plan de relance Next Generation EU. Au bout du compte, la dette européenne sera donc majoritairement à la charge des États. En ce qui concerne la France, cette dette cachée, hors bilan, viendra s'ajouter aux 3 000 milliards de la dette publique nationale. Vous aviez, vous aussi, réagi à la déclaration, désormais culte, du président Hollande : « Ça ne coûte rien, c'est l'État qui paye » ;…
…au sujet de la dette européenne, un de vos collègues du Gouvernement, qui cache peut-être un petit côté hollandiste, avait répondu : « Ne vous inquiétez pas, ce n'est pas le contribuable français qui paiera ! » Il paiera pourtant, c'est évident ! Qui d'autre que lui le ferait ? Il la paiera, d'abord parce qu'il est également un contribuable européen et que la France devra assurer sa quote-part du remboursement, ensuite parce qu'il n'y a pas d'argent public, européen ou français, mais seulement l'argent des impôts, que l'on prend toujours dans la poche de quelqu'un. Si l'Union décidait demain d'imposer une taxe aux frontières ou de taxer les entreprises, le consommateur final – c'est-à-dire nous – acquitterait la note, comme toujours, car les États, en définitive, ne paient jamais rien.
Je poserai trois questions : quel est le montant de la dette européenne ? Quelle en est la part garantie directement ou indirectement par le contribuable français ? Qu'est-ce que cet instrument de remboursement européen : une taxe ou un impôt européen ?
La dette européenne est une sacrée avancée : elle nous a permis de sauver l'économie, notre plan de relance ayant été en partie financé grâce à cet emprunt, qui s'élève à 750 milliards pour l'ensemble des États membres. Chacun d'entre eux devrait pouvoir dégager des ressources propres permettant de le rembourser à partir de 2028, donc dans le cadre financier pluriannuel (CFP) 2028-2035. La Commission européenne a évoqué plusieurs pistes en ce sens : le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), les ETS – Emission Trading Scheme, le système communautaire d'échange de quotas d'émission de l'UE –, ou d'autres ressources tirées d'entreprises.
La quote-part française du remboursement de la dette s'établit à 5 milliards d'euros par an. Nous devons nous mettre d'accord avec les autres États membres afin de trouver les ressources qui nous permettront de financer ce grand emprunt sans solliciter les contribuables nationaux, notamment français.
Depuis sept ans, la France se singularise par de très mauvaises performances budgétaires. La dette atteint 3 000 milliards d'euros. Le déficit a plus que doublé, passant de 2,6 % à 5,5 %. La dépense publique n'en finit plus de s'alourdir. La seule année 2023 a battu de bien tristes records, conduisant à l'annulation en catastrophe, par décret, de 10 milliards de crédits budgétaires, seulement deux mois après l'adoption de la loi de finances. Votre refus de présenter un projet de loi de finances rectificative témoigne de votre fébrilité : la trajectoire budgétaire est insoutenable, vous le savez. Tous les indicateurs macroénomiques sont dans le rouge et continuent de se dégrader. La France est montrée du doigt par l'ensemble de ses partenaires européens, qui ne croient plus en sa capacité d'assainir durablement ses finances publiques.
Votre irresponsabilité budgétaire a récemment entraîné un durcissement des règles du pacte de stabilité et de croissance (PSC), et la Commission européenne s'apprêterait à lancer à l'encontre de la France une procédure concernant les déficits excessifs. Le 23 avril, les eurodéputés ont adopté deux mesures qui suscitent une forte inquiétude : une surveillance budgétaire dont l'indicateur sera désormais l'évolution de dépense, et un encadrement plus strict des objectifs de réduction du déficit pour les pays où il dépasse 3 %, lesquels risqueront de lourdes sanctions financières en cas de dérapage – cela concerne évidemment la France, qui a obtenu de l'Allemagne un sursis jusqu'en 2027.
L'étau se resserre dangereusement. Ma question est simple : la France sera-t-elle capable, et à quel prix, de répondre aux nouvelles exigences de la Commission ?
Après avoir constaté la dégradation des recettes à la fin de l'année 2023, nous ne sommes pas restés sans agir. En témoignent le décret d'annulation de 10 milliards de crédits ainsi que le nouveau programme de stabilité et de croissance qu'a examiné l'Assemblée.
Permettez-moi, d'ailleurs, de ne pas partager votre constat. Nos indicateurs macroéconomiques, dites-vous, sont dans le rouge : rien n'est plus faux ! Selon les chiffres du premier trimestre, nous avons déjà, pour l'année 2024, un acquis de croissance de 0,5 %, soit la moitié de l'objectif de 1 % que nous nous sommes fixé. Alors que nos partenaires européens rencontrent des difficultés – les Allemands ont ramené leur prévision de croissance de 1,3 % à 0,2 % –, que nos amis britanniques sont entrés en récession, notre croissance résiste, et résiste bien. Encore une fois, nos indicateurs sont solides, comme en témoignent les évaluations de l'Insee : nous continuons à ouvrir des usines.
Nous avons ajusté le cadre de nos finances publiques en annulant 10 milliards de crédits, et nous allons faire un effort supplémentaire de 10 milliards, afin d'atteindre un autre de nos objectifs : que le déficit public ne dépasse pas 5,1 % cette année. En 2018, je le rappelle, c'est cette majorité qui a permis à la France de sortir de la procédure pour déficit excessif, en ramenant deux années de suite ce déficit en deçà de 3 %. La trajectoire est donc solide, crédible, et je maintiens que nous réduirons de nouveau le déficit à moins de 3 % d'ici à 2027.
Ma question a trait aux finances des collectivités territoriales. En 2017, Emmanuel Macron, qui avait pourtant été le ministre de l'économie de François Hollande, annonçait qu'il cesserait de diminuer les dotations des collectivités territoriales,…
…réduites de plus de 11 milliards entre 2013 et 2017. Or je crois savoir que vous comptez solliciter de nouveau lesdites collectivités, en baissant leurs dotations de 2,5 milliards dans les prochains mois. Vous savez pourtant pertinemment que ce sont elles – régions, départements, bloc communal – qui réalisent les trois quarts des investissements publics. Je souhaiterais donc que vous nous donniez des informations sur cette baisse et ses conséquences pour l'économie française.
Je pense en particulier aux départements, dont l'État est loin de compenser – il faut reconnaître que cela ne date pas de la Macronie – les dépenses en faveur du RSA, des prestations liées au handicap, de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Ils rencontrent, en outre, de véritables difficultés dues au fait que l'État n'exerce absolument pas la compétence régalienne qu'est la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA), dont le nombre a explosé dans nos territoires.
Peut-être ne le savez-vous pas, monsieur le ministre, mais le coût annuel de cette prise en charge s'élève pour un département à 50 000 euros par MNA, soit un total de 3 milliards pour l'ensemble des départements. Celui des Ardennes, où vous vous êtes rendu récemment, dépense chaque année 3 millions à ce titre : la compensation que lui verse l'État n'est que de 250 000 euros. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point ?
Merci de votre question, qui me permettra de clarifier les choses. Tout d'abord, l'État s'est toujours tenu aux côtés des collectivités territoriales pendant la crise du covid-19.
Certes, mais je remets les faits en perspective : cela nous aide à comprendre où nous allons. Nous avons augmenté, en plusieurs étapes, la dotation globale de fonctionnement (DGF) de plus de 320 millions d'euros, instauré un bouclier anti-inflation, créé le fonds Vert, à quoi s'ajoutent les aides versées durant la crise. Encore une fois, nous nous sommes toujours tenus aux côtés des collectivités. Ainsi, récemment, lorsque certains d'entre vous ont demandé le plafonnement de l'évolution des bases foncières, nous avons maintenu leur indexation sur l'inflation, qui procure des ressources au bloc communal. Globalement protégées, les collectivités se trouvent dans une situation tout à fait correcte, à l'exception des départements ; nous avons donc abondé un fonds de sauvegarde afin de remédier à l'effet ciseaux – moins de droits de mutation à titre onéreux (DMTO), plus de dépenses sociales – dont ils pâtissent.
Votre question m'offre l'occasion de tordre le cou à une rumeur : il n'a jamais été question, cette année, de baisser les dotations de 2,5 milliards ! Ce que nous demandons aux collectivités, c'est de s'inscrire dans le cadre de la loi du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, en faisant en sorte que l'augmentation de leurs dépenses de fonctionnement demeure inférieure de 0,5 point à l'inflation – c'est-à-dire qu'elle ne dépasse pas 1,9 % cette année, puisque le taux d'inflation prévu est de 2,4 %. Si elles respectent cet objectif, elles contribueront à modérer la croissance de la dépense publique de 2,5 milliards d'euros. Je le répète, c'est là le seul engagement que nous leur demandons de prendre. J'espère vous avoir rassuré, monsieur le député.
Je souhaitais poser une question technique, mais lorsque vous avez déclaré, tout à l'heure, que les indicateurs de l'économie étaient solides, je n'ai pu m'empêcher de penser que le rétablissement des comptes publics est une question d'état d'esprit – on a parfois le sentiment qu'un bon ministre est un ministre qui dépense – et de confiance dans la véracité de la parole publique. Or, lorsque la France roule en queue de peloton dans des domaines tels que la dette, les dépenses publiques, le montant des impôts et le chômage, on ne peut affirmer que les fondamentaux de l'économie sont solides, pour la bonne raison que ce n'est pas vrai !
On dépense trop et mal, on désincite au travail, on soumet les individus à un contrôle systématique au lieu de leur faire confiance. Vous prétendez dire la vérité, mais ce n'est pas vrai. Vous ne pouvez pas affirmer que nous avons vaincu le chômage de masse quand nous sommes, dans ce domaine, au vingt-quatrième rang sur vingt-sept, que l'État se serre la ceinture quand la dépense publique croît, que vous baissez les impôts quand les taxes augmentent, comme l'atteste la hausse des recettes fiscales.
Entendons-nous, monsieur le ministre : je ne doute ni de votre bonne volonté ni de la difficulté de votre tâche. Au demeurant, vous avez fait de bonnes choses ; je pense notamment à la mesure relative à l'exit tax. Mais lorsqu'on ne cesse de pousser des cocoricos et que l'on choisit toujours l'indicateur favorable dans un océan d'indicateurs défavorables, on ne donne pas envie de croire à la parole publique. Qui plus est, vous jouez contre vous-même : les Français finissent par ne plus ajouter foi aux bonnes nouvelles, aux bons projets – car il y en a, évidemment. Pour réformer le pays, la première bataille à gagner n'est-elle pas celle de la restauration de la confiance dans la parole publique ?
Dire la vérité, sauver l'éducation et la recherche, soutenir ceux qui veulent travailler et non les assistés professionnels, baisser vraiment les impôts, la dépense publique, alléger vraiment le fardeau administratif, inciter le ministre à agir plutôt qu'à communiquer, n'est-ce pas la solution ?
Ce n'est pas le Gouvernement qui le dit, mais l'Insee : notre croissance tient, puisque l'acquis de croissance, je le répète, est déjà de 0,5 %, pour un objectif de 1 %. Il est intéressant de constater qu'en 2023, notre croissance a été de 0,9 %, contre en moyenne 0,5 % pour les pays de l'Union européenne. Nos fondamentaux sont donc solides, grâce au succès de notre politique de l'offre et de soutien de l'investissement. Selon la dernière publication en date, la France est, pour la cinquième année consécutive, le pays d'Europe qui attire le plus d'investissements étrangers !
Cela signifie que des entreprises et des usines ouvrent, donc que des emplois sont créés. Je le redis, notre croissance est solide.
Je n'ai pas dit que nous avions atteint le plein emploi, mais regardez la performance du marché du travail depuis 2017 : le chômage n'a cessé de baisser. C'est une très bonne nouvelle, non seulement pour ceux qui retrouvent un emploi, mais aussi pour les finances publiques.
Encore une fois, monsieur le député, notre modèle économique est solide, mais nous devons poursuivre dans la même direction : si la croissance venait à ralentir, le redressement des finances publiques serait beaucoup plus difficile.
Quand je vous entends, monsieur le ministre, je me demande pourquoi nous nous inquiétons : tout va bien ! La réponse que vous m'avez faite précédemment était ubuesque. On a le sentiment d'un déni total de vos capacités et de vos compétences.
En dix ans, la dette de la France s'est accrue de 1 000 milliards d'euros. En 2024, la charge de la dette – c'est-à-dire les intérêts – s'élèvera ainsi à 57 milliards, lesquels seraient certainement mieux employés s'ils étaient alloués à des politiques publiques en faveur des collectivités territoriales ou de la santé, comme l'ont rappelé mes collègues.
Entre la présentation du projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG), en novembre, et la fin de l'année, le déficit s'est encore aggravé de 2 milliards d'euros, soit une dégradation de 8 milliards par rapport à la loi de finances initiale. C'est extraordinaire ! Entre 2022 et 2023, le déficit s'était déjà creusé de 21 milliards. Ces éléments n'incitent pas à estimer que nous avons affaire à une bonne gestion.
Le budget est un équilibre entre recettes et dépenses : lorsque les premières se dégradent, comme ce fut le cas en 2023, il faut éviter que les secondes n'explosent.
La hausse de 468 milliards de nos dépenses n'est pas supportable durablement. Un véritable coup de frein devient nécessaire. J'ignore quelle technique – coup de rabot généralisé ou révision de certaines politiques – vous utiliserez, mais la lettre adressée au Président de la République par le gouverneur de la Banque de France est édifiante : entre 2015 et 2023, le PIB par habitant a décroché. C'est votre responsabilité. Comment fait-on ?
En effet, la dette a augmenté depuis 2017 : nous avons du reste su nous retrouver pour protéger les emplois, les commerces, les collectivités territoriales, les associations, tout le monde.
Il importe d'analyser la progression de la dette. Vous nous reprochez d'être de piètres gestionnaires, irresponsables et inconséquents ; mais entre 2007 et 2012, lorsque les Républicains étaient aux responsabilités,…
Certes ; reste que la dette a alors augmenté de vingt-six points, contre douze points au cours des dernières années, après plusieurs crises.
L'échec des autres ne vous exonère pas de vos propres responsabilités !
Pour vous répondre, j'attendrai votre question, madame Arrighi. En la matière, il faut prendre en compte le temps long et, avant de donner des leçons, comparer les différentes périodes. Dans le cadre de la loi de fin de gestion, nous avons constaté que les recettes étaient inférieures de 21 milliards aux prévisions. Face à cette baisse soudaine, nous avons fait ce que vous recommandez, madame Dalloz : nous avons immédiatement ajusté les dépenses. Nous avons publié un décret d'annulation de 10 milliards de crédits ; certains nous l'ont reproché, mais c'était la méthode la plus rapide. Nous avons en outre annoncé qu'il faudrait faire un effort de 10 milliards, en recourant à une baisse de la dépense et à un certain nombre de recettes supplémentaires auxquelles ont travaillé les députés – je pense notamment à la rente. Le coup de frein, je le répète, nous l'avons donné : nous sommes conscients qu'une baisse des recettes doit entraîner une réduction des dépenses.
S'agissant de la dépense publique, on parle beaucoup des départements, de l'État ; pour ma part, je me suis intéressé aux agences créées par l'État au fil du temps. Entre 2007 et 2023, le montant des fonds que leur accorde l'État a été porté de 18 à 80 milliards – elles emploient, à l'heure actuelle, quelque 400 000 personnes. Par ailleurs, au cours des cinq dernières années, le montant de leurs fonds propres est passé de 33 à 57 milliards.
Ma question – vous l'aurez compris, monsieur le ministre – est donc la suivante : au moment où l'on cherche à réaliser des économies en améliorant l'efficience de l'action publique, vos services se sont-ils penchés sur le fonctionnement des agences ? Envisagez-vous le rapprochement de certaines d'entre elles, afin de favoriser ce que l'on appelle la synergie renforçatrice ?
Seriez-vous disposé à ce que le Parlement évalue chaque année leur gestion pour la rendre encore plus efficace ? Je ne remets pas en cause la pertinence de leur action, mais alors que la dette publique est sur toutes les lèvres, il convient de nous interroger sur les moyens de mieux dépenser l'argent dont nous disposons. C'est avec insistance qu'après mûre réflexion, nous vous posons la question du financement des agences. J'ai été surpris de découvrir que leurs fonds propres avaient quasiment doublé en cinq ans : encore une fois, l'efficience, l'efficacité, le contrôle doivent être au rendez-vous.
Vous avez raison de souligner la constance de vos interrogations au sujet des agences de l'État : nous avons eu souvent l'occasion d'en débattre en commission des finances. La multiplication de ces opérateurs et l'augmentation de leurs ressources font l'objet d'une attention toute particulière de la part du ministère, notamment en cette période où il convient de faire des économies ; aussi les avons-nous directement mis à contribution lorsque nous avons pris le décret d'annulation de 10 milliards de dépenses publiques. Je citerai les exemples de Business France et d'Atout France, opérateurs dépendants de Bercy sur lesquels nous avons fait porter une partie de l'effort,…
…mais cela est également vrai d'agences opérant dans tous les domaines de la politique publique. Bruno Le Maire et moi préparons un courrier destiné à tous les opérateurs de l'État, par lequel nous leur demanderons d'étudier des possibilités d'économiser tant sur leur fonctionnement que sur leurs effectifs, car ils doivent, tout comme les services de l'État, prendre leur part de l'effort budgétaire.
En ce qui concerne la collaboration avec le Parlement, j'attends beaucoup du travail que mènera la commission des finances dans le cadre du Printemps de l'évaluation. Ce sera l'occasion pour les parlementaires d'émettre des propositions et d'alimenter la réflexion commune qui nous permettra de bâtir ensemble le projet de loi de finances pour 2025.
J'évoquerai cette fois les collectivités territoriales. L'élu local que je suis – et je le resterai aussi longtemps qu'on me fera confiance – souhaite rappeler au Gouvernement qu'il ne faut pas s'en prendre à leur financement. Je sais que ce n'est pas votre intention ; nos collègues du groupe Les Républicains vous ont d'ailleurs interrogé à ce sujet. Vous connaissez les chiffres encore mieux que nous, vous savez donc que l'investissement repose en grande partie sur les collectivités, qui s'acquittent bien de cette tâche.
Toutefois, la question des sociétés d'économie mixte (SEM) et des sociétés publiques locales (SPL) se pose. Créées au fil du temps, souvent pour pallier des déficiences de l'action publique, elles présentent une particularité : leur éventuel déficit n'est pas pris en compte dans le calcul de celui des collectivités en cause. Il serait souhaitable de disposer de ce critère d'appréciation pour évaluer d'éventuelles dérives financières. Je suis un grand défenseur des SEM et des SPL, qui constituent pour les collectivités un outil maniable, mais là aussi, l'efficacité et le contrôle doivent être au rendez-vous.
Par ailleurs, comme l'a signalé M. Cordier et comme vous l'avez reconnu, la situation financière des départements laisse à désirer, raison pour laquelle le Gouvernement a annoncé la création d'un fonds de soutien. Le problème des MNA se pose depuis des années et n'a jamais été résolu. Le Gouvernement doit aller jusqu'au bout de sa réflexion, en liaison avec Départements de France, anciennement Assemblée des départements de France (ADF), et avec le Parlement. Dans mon département, l'Eure-et-Loir, proche de l'Île-de-France, le nombre de MNA a considérablement augmenté au cours des dernières années. N'est-ce pas la responsabilité de l'État ? Je pense notamment au financement des tests visant à distinguer les mineurs des majeurs. Pourrions-nous entamer à ce sujet une discussion productive ?
Les SPL et autres SEM, qui ont rencontré un franc succès, constituent un instrument efficace et souple pour mener à bien les projets des collectivités territoriales. On dénombre plus de 1 400 SPL, qui emploient 60 000 personnes. Il convient néanmoins d'être vigilant ; aussi, même si ces sociétés relèvent du droit privé, leurs comptes font l'objet d'un contrôle de la préfecture et peuvent être examinés précisément par la chambre régionale des comptes (CRC) ou par la Cour des comptes. La loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi 3DS, a considérablement renforcé ce dispositif. Ainsi, les commissaires aux comptes ont désormais le devoir de signaler aux collectivités actionnaires et à la CRC les irrégularités ou inexactitudes constatées.
S'agissant des MNA, les dépenses des départements en la matière ont effectivement augmenté, au point de compromettre les finances de certains d'entre eux. Je rappelle que l'État a considérablement augmenté les crédits qu'il leur alloue pour faire face à cette charge nouvelle : ils s'élèvent en 2024 à 73,5 millions, ce qui représente une hausse de plus de 30 % par rapport à 2023 et le double des dépenses exécutées en 2022. Vous le voyez, nous accompagnons les départements ; de plus, nous avons créé un fonds de secours pour ceux qui connaissent les plus grandes difficultés.
Nous l'avons rappelé ici même lundi dernier, le rétablissement des finances publiques doit être une priorité pour notre pays. Le groupe Horizons et apparentés vous soutiendra dans votre volonté de ramener le déficit public sous les 3 % du PIB d'ici à 2027. En effet, nous sommes convaincus qu'il s'agit d'un enjeu de souveraineté : il y va de notre capacité à nous projeter pleinement dans l'avenir pour relever les immenses défis qui nous attendent. La maîtrise des finances publiques ne doit pourtant conduire à sacrifier ni la croissance, ni des politiques publiques prioritaires. Dès lors, nous devons redoubler d'inventivité – vous faites d'ailleurs appel aux parlementaires pour cela – afin de réaliser des économies intelligentes, servant l'État et nos concitoyens.
J'ai une piste à vous suggérer. Le secteur du logement connaît une période extrêmement délicate ; n'y aurait-il pas lieu de rationaliser l'action publique en la matière pour la rendre plus efficiente ? Je pense notamment à la gestion du parc immobilier de l'État. Selon l'Insee, en 2023, 3,1 millions de logements étaient vacants en France hors Mayotte, soit 8,2 % du parc. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire combien de logements vacants sont possédés ou gérés soit par l'État, soit par des organismes publics ? Avez-vous d'ores et déjà établi une stratégie visant à remettre rapidement ces logements sur le marché, ce qui détendrait celui-ci tout en soulageant nos finances ? Cet enjeu concerne à la fois les finances publiques et l'aménagement du territoire.
La politique immobilière de l'État fait partie de mes priorités. J'entends faire advenir un État plus sobre, c'est-à-dire possédant moins de mètres carrés. Nous comptons ainsi céder 25 % des surfaces de bureaux possédées par l'État, notamment grâce à une reconfiguration de la fonction et à l'expérimentation d'une foncière pour mieux la gérer.
Vous m'interrogez sur les locaux susceptibles de servir de logements et que l'État pourrait mettre sur le marché : il s'agit d'un axe de notre politique de cession. Pour répondre à vos questions et avancer dans cette voie, j'ai souhaité que la direction de l'immobilier de l'État (DIE) identifie précisément les mètres carrés qui, au sein du patrimoine de l'État, correspondent à des logements et pourraient servir à l'effort de reconquête des logements disponibles. Ce travail d'investigation et de recensement a été lancé grâce à vous ; dans les semaines à venir, j'en partagerai avec vous les résultats, qui pourraient contribuer à alimenter une nouvelle initiative en la matière.
Ma seconde question porte sur la lutte contre la fraude, qui constitue un enjeu en matière de finances publiques, mais également de justice fiscale et sociale. Nous considérons tous, et probablement vous le premier, qu'il est inadmissible que des citoyens, des entreprises, s'exonèrent au détriment des comptes publics de leurs obligations sociales, fiscales ou douanières envers la collectivité.
La semaine dernière, vous avez annoncé la préparation pour l'automne d'un projet de loi qui contiendra des mesures de lutte contre la fraude. Nous saluons cette annonce et formons le vœu que la collaboration avec les parlementaires, que nous pouvons déjà mettre largement à votre crédit, se poursuive et aboutisse à un texte solide, utile. Dans la continuité du plan de lutte contre la fraude présenté l'an dernier par Gabriel Attal, alors ministre délégué chargé des comptes publics, et déjà largement mis en œuvre, nous ne doutons pas que ce nouveau volet de l'action du Gouvernement en la matière permettra de consolider les dispositifs existants.
Vous ciblez notamment deux insuffisances des dispositifs actuels : les lacunes dans le domaine de la lutte contre la fraude aux aides publiques et les difficultés à recouvrer les sommes ayant échappé à l'imposition. Concernant le premier point, je pense au dispositif MaPrimeRénov', au certificat d'économie d'énergie (C2E) ou encore au compte personnel de formation (CPF). Ces aides massives, indispensables pour mener à bien nos politiques publiques et soutenir nos concitoyens, font l'objet de nombreux abus. Nous mobilisons chaque année plusieurs milliards d'euros d'argent public pour financer ces mécanismes : il est absolument indispensable de s'assurer qu'ils ne donnent pas lieu à des détournements. Monsieur le ministre, comment comptez-vous mettre fin à la fraude aux aides publiques ? Par ailleurs, avez-vous déjà quantifié, sous la forme d'objectifs chiffrés, les sommes que l'État pourrait récupérer grâce aux mesures que nous allons construire ensemble ?
Vous avez raison de le rappeler, le Gouvernement a déployé, à l'initiative de Gabriel Attal, un plan très ambitieux de lutte contre les fraudes. Beaucoup des mesures qu'il contenait ont d'ailleurs été reprises dans des textes financiers tels que la loi de finances pour 2024 ou la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.
Il reste des domaines dans lesquels nous devons aller plus loin, comme la lutte contre la fraude aux aides publiques. Sur son seul budget, l'État dépense en aides publiques l'équivalent de 100 milliards d'euros. Cela fait quelques semaines que mes services m'ont signalé des risques de fraude touchant des aides considérables, car massivement accompagnées par l'État : s'agissant de MaPrimeRénov', Tracfin évalue à 400 millions le montant correspondant à des déclarations qui, sans que la fraude soit pour l'instant avérée, en suscitent du moins le soupçon. Nous nous penchons également sur le cas des C2E. En effet, il importe de garantir que les aides publiques sont versées à l'euro près
Mme Christine Arrighi s'exclame
et que l'argent n'est pas détourné.
Par ailleurs, une fois la fraude constatée, il faut récupérer l'argent. Ainsi, ayant constaté l'équivalent de 1,2 milliard d'euros de travail dissimulé au sein des entreprises, nous n'avons pu recouvrer que 80 millions. Il convient d'y travailler, notamment en s'intéressant aux sociétés éphémères qui utilisent la procédure de transmission universelle du patrimoine à des fins frauduleuses.
Les textes que nous bâtirons ensemble devront notamment améliorer la transmission d'informations entre les différentes administrations, afin de resserrer suffisamment les mailles du filet. Je défends également la mesure, déjà proposée par mon prédécesseur, consistant à suspendre le versement des aides dès le premier soupçon, car il est ensuite très difficile de récupérer l'argent frauduleusement acquis. Je ne doute pas que nous aurons l'occasion de concevoir ces mesures, puis d'en débattre ici même.
Je vous adresserai cinq questions. Premièrement, en période de croissance inférieure à 2 %, la France n'a jamais pu réduire son déficit de plus de 0,5 %. Quelle méthode comptez-vous employer pour faire exception à cette règle ? Jusqu'à présent, votre gestion du déficit public n'a pas été exceptionnelle : je souhaiterais donc savoir comment vous pensez atteindre votre objectif.
Deuxièmement, alors que les crédits alloués à la recherche étaient déjà inférieurs de 1 milliard d'euros à la trajectoire prévue par la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030, vous y avez pratiqué une coupe budgétaire de 900 millions. Comment le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), dont le budget de 3,7 milliards subira en 2024 une baisse de plus de 387 millions, c'est-à-dire de 10 %, pourra-t-il piloter les missions de recherche dont dépend l'avenir de la France ?
Troisièmement, nous confirmez-vous que vous signerez un arrêté empêchant la cession du laboratoire pharmaceutique Biogaran aux Indiens ou à tout autre acheteur non européen ? Une telle décision peut en effet avoir un impact sur les finances publiques.
Quatrièmement, sachant que la charge de la dette s'élève à plus de 50 milliards par an, quelle lettre de mission avez-vous adressée au directeur de l'Agence France Trésor (AFT) que vous avez nommé à la fin du mois de septembre 2023 ? Comment est organisé le pilotage de cette charge ? En particulier, Philippe Brun et moi avons dénoncé le fait que les obligations indexées sur l'inflation représentent 10 % du stock de dette, mais 30 % du coût de la dette.
Enfin, je vous demanderai de répondre seulement par oui ou par non à ma cinquième question : envisagez-vous de mettre à contribution la Banque publique d'investissement, BPIFrance, afin de réaliser des économies ?
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
J'essaierai de répondre à toutes ces questions, ou presque. Premièrement, il est possible de réduire le déficit public.
Je n'ai pas dit que c'était impossible, mais qu'il n'avait jamais été réduit de plus de 0,5 point lorsque la croissance était inférieure à 2 points.
Vous prétendez que notre performance en la matière n'est pas terrible, mais ce n'est pas vrai. En 2018 et en 2019, nous avons ramené le déficit public au-dessous de 3 % : je ne crois pas que c'était le cas pendant le quinquennat précédent, entre 2012 et 2017. Permettez-moi donc de souligner que nous avons réussi à sortir de la procédure pour déficit excessif et à réduire le déficit public. Malheureusement, nous avons ensuite été frappés par de nombreuses crises ; ne regrettons donc pas à présent la protection que nous avons apportée aux Français et dont la nécessité, à l'époque, faisait l'objet d'un consensus.
Comment diminuer le déficit ? D'une part, je le répète, nous avons réagi immédiatement : dès cette année, nous consentons un effort de 20 milliards, dont 10 milliards d'annulations de crédits. Ensuite, nous préparons le projet de loi de finances pour 2025 : une revue des dépenses est en cours.
Je discuterai avec les groupes qui le souhaitent de leurs propositions d'économies, et j'espère que le groupe Socialistes présentera des suggestions pour nous aider à réduire le déficit public.
Deuxièmement, les crédits prévus dans la loi de programmation de la recherche sont maintenus ; les recrutements prévus seront effectués.
Passons au quatrième point : pour évaluer les émissions d'obligations indexées sur l'inflation par l'AFT, il faut examiner, comme toujours, si une telle décision est bénéfique à long terme. Vous n'ignorez pas l'appétence des investisseurs pour une grande diversification des produits ; ces émissions contribuent à accroître la liquidité de notre dette et à préserver des taux très compétitifs.
Quant à votre cinquième question, la réponse est oui : BPIFrance, comme l'ensemble des opérateurs de l'État, est mise à contribution afin de redresser les finances publiques.
En revanche, je ne peux répondre à votre troisième question, au sujet de la cession de Biogaran ; je ne dispose pas de cette information.
En 2024, le déficit sera supérieur à 5 %, alors que vous prétendiez qu'il ne dépasserait pas 4,4 % ; vous seuls en porterez la responsabilité, car vous avez imposé votre budget sans vote de notre assemblée. Vous voulez faire payer ce déficit aux plus précaires. Après avoir pratiqué 10 milliards de coupes, notamment dans les budgets de l'école, de l'écologie et du logement, vous exigez désormais 20 milliards d'euros de sacrifices pour l'année prochaine. Réforme de l'assurance chômage, baisse de l'indemnisation des personnes souffrant d'une affection de longue durée (ALD), suppression de postes dans l'école publique : encore et toujours, vous voulez imposer une cure d'austérité sans précédent aux Français qui ont le plus besoin de la solidarité.
Vous cherchez à faire des économies : regardez plutôt du côté des aides directes et indirectes aux entreprises, qui s'élèvent à plus de 150 milliards d'euros. Leur part au sein du PIB a plus que doublé en vingt ans. Comment justifiez-vous que l'État soutienne des entreprises qui versent en dividendes plus de 50 % de leur résultat net ? Ce sont 5 milliards de dépenses injustifiées. L'État doit d'abord aider les PME ; il faut accompagner les entreprises quand elles créent de l'emploi, non quand elles enrichissent leurs actionnaires ! Il y a aussi des économies à faire du côté des niches fiscales brunes, qui représentent, selon vos services, 7,6 milliards. Il faut examiner les recettes : quand reviendrez-vous sur la suppression des impôts de production ? Ce cadeau fait aux grandes entreprises, et non aux PME, prive l'État de 15 milliards. Enfin, quand mettrez-vous à contribution les superprofits et les superdividendes ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.
Ils vous rapporteraient 10 milliards, le même montant que vous avez retiré, en février, aux services publics. Quand donc rendrez-vous à l'État les moyens dont il a besoin pour financer ces services ? Quand redonnerez-vous un sens et un cap à ce qu'on appelle la solidarité nationale ?
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
D'abord, je ne qualifierais pas notre politique de « cure d'austérité ». En prévoyant 10 ou 20 milliards d'économies sur 1 600 milliards de dépense publique, nous en sommes loin : les pays réduits à de telles cures ont massivement taillé dans la fonction publique, diminué le traitement des fonctionnaires et les pensions de retraite. Personne ici n'envisage un tel scénario. En revanche, nous devons redresser les finances. Mme Rabault soutenait à l'instant qu'il fallait faire davantage pour réduire le déficit public :…
Si, puisque vous avez prétendu que nous gérions mal les finances publiques. Nous examinons toutes les dépenses ; nous avons ainsi entrepris une revue des aides versées aux entreprises. Si certaines aides ne sont pas assez efficaces, nous les ajusterons, afin que chaque euro investi devienne utile. Il n'y a pas de tabou.
De même, monsieur Petit, vous me demandez ce que nous attendons pour récupérer les superprofits : nous n'avons pas de tabou non plus dans ce domaine. Ainsi examinons-nous les profits des énergéticiens. Des parlementaires de la majorité, Jean-René Cazeneuve, François Jolivet, le président Mattei, travaillent sur ce sujet. Nous regardons la réalité en face ; quand il existe des profits exceptionnels, nous envisageons de les récupérer. Bruno Le Maire et moi sommes également prêts à taxer les rachats d'actions par des entreprises qui les annulent ensuite.
En revanche, nous ne voulons pas casser la croissance. Il ne s'agit pas de faire des cadeaux aux entreprises, mais, par un environnement attractif, de créer davantage d'emplois ; en d'autres termes, c'est en vue du plein emploi, non pour elles-mêmes, que nous aidons les entreprises. Or notre stratégie est payante : la France enregistre une croissance de 1 % et, pour la cinquième année consécutive, elle est le pays le plus attractif d'Europe. Pourquoi voulez-vous que nous changions une façon de faire qui profite au plus grand nombre, notamment à ceux qui n'avaient pas d'emploi il y a encore quelques années et en retrouvent désormais un ?
Le 21 mars, le Gouvernement a pris un décret visant à annuler 10 milliards d'euros de crédits budgétaires. Présentées comme indolores, ces coupes auront au contraire des effets palpables sur les politiques publiques. La preuve en est que les ministres n'ont pas encore rendu leur copie concernant les déclinaisons effectives de ces annulations.
Parmi les principales, citons celle de 2,14 milliards de crédits de la mission "Écologie, développement et mobilité durables" . Ils concernent principalement le dispositif MaPrimeRénov' : la suppression de ces dépenses d'intervention qui financent des travaux de rénovation aura un effet économique mécanique sur le secteur du bâtiment. De manière similaire, la mission "Enseignement scolaire" voit ses crédits pour les dépenses de personnel réduits de 478 millions. Là aussi, la contribution des fonctionnaires au PIB étant appréciée en fonction de leur coût, c'est-à-dire de leur rémunération, la baisse pèsera mécaniquement sur la croissance.
Au-delà de ces deux exemples, je souhaite vous interroger sur les effets économiques de ces coupes. Les avez-vous mesurés ? À combien de points les estimez-vous ? Enfin, vous n'avez jamais répondu à Nicolas Sansu : envisagez-vous, oui ou non, de désindexer les pensions de retraite ?
Pour revenir en détail sur les conséquences du décret d'annulation, prenons des exemples concrets. Vous prétendez qu'en annulant 10 milliards de crédits, nous avons sacrifié des politiques entières, notamment la mission "Écologie, développement et mobilité durables" et en particulier MaPrimeRénov' ; or, depuis, le budget consacré à ce dispositif a augmenté de 800 millions, notamment du fait d'un accroissement des ressources de l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Cette politique continue donc de progresser, certes un peu moins vite, mais ce choix s'explique par le fait que l'an dernier, nous n'avions pas dépensé l'intégralité des fonds prévus pour MaPrimeRénov'.
De même, après le décret d'annulation, le budget 2024 reste le plus vert de notre histoire.
Mme Eva Sas s'exclame.
Il comprend 8 milliards supplémentaires de dépenses vertes : ce n'est peut-être pas assez, mais jamais un budget français n'avait autant favorisé la transition écologique, de la défense de la biodiversité à la rénovation énergétique ou aux transports propres.
En ce qui concerne les dépenses de personnel, l'annulation repose sur le constat d'une sous-exécution du budget consacré à la masse salariale durant les années précédentes ; autrement dit, le décret traduit simplement le fait que, dans une partie des ministères, les crédits alloués aux dépenses de personnel n'étaient pas intégralement utilisés.
Je le redis, notre projet est, à travers le budget pour 2024, de réarmer les services publics. Nous dépensons plus pour la sécurité, l'éducation ou la justice. Nous continuons à recruter. Par ailleurs, nous faisons des choix afin de tenir le budget. Voilà quelle est notre stratégie.
Dans la logique des coups de rabot que vous donnez depuis quelques semaines, deux décrets concernant la formation professionnelle ont été signés mercredi dernier. Le premier de ces décrets acte la suppression de l'aide exceptionnelle accordée pour l'emploi de salariés en contrat de professionnalisation. De l'avis de nombreuses personnes que j'ai auditionnées en tant que corapporteur de la mission d'information sur les dépenses fiscales et budgétaires en matière de formation professionnelle, l'aide exceptionnelle pour l'embauche d'une personne en alternance, qui conduit bien souvent à annuler purement et simplement le coût de cette embauche, constitue un gouffre financier conduisant à des effets d'aubaine massifs. Si la remise en cause de l'aide exceptionnelle s'avère nécessaire, je regrette qu'elle ne s'applique pas à l'ensemble des contrats d'alternance, notamment aux contrats d'apprentissage, qui représentent l'écrasante majorité des 4,4 milliards d'euros d'aides distribuées. Pire, en décidant sa suppression pour les seuls contrats de professionnalisation, vous ciblez un dispositif utilisé majoritairement par les personnes les plus éloignées de l'emploi, alors que l'apprentissage profite relativement plus aux étudiants de niveau licence ou master.
L'aide exceptionnelle à l'apprentissage étant inutile et coûteuse, ma question sera simple : comptez-vous la supprimer également ?
Mme Eva Sas applaudit.
S'il y a une politique que nous défendons avec acharnement depuis 2017, c'est bien celle de l'apprentissage. Le bilan est significatif : nous avons réussi à installer l'apprentissage et l'alternance au cœur des formations, à changer les mentalités, à convaincre les entreprises et les étudiants d'en faire une voie d'excellence – vous ne pouvez le contester. Nous y consacrons des sommes considérables : 4 milliards d'euros pour les primes d'apprentissage, 10 milliards pour les contrats. Cette politique publique est donc largement financée par les aides.
Il est vrai que quelques économies ont été annoncées. Arrêtons-nous un instant sur le contrat de professionnalisation : ce dispositif fait partie des mesures que nous avons instaurées au beau milieu de la crise pour soutenir l'activité économique, l'apprentissage et ses filières. Or, avec Bruno Le Maire et Catherine Vautrin, nous nous efforçons de sortir progressivement de ces dispositifs exceptionnels, dont la pérennisation serait intenable. Un dispositif de crise vise par définition à faire face à la crise ; une fois que celle-ci est derrière nous, on revient à un cadre normal. Par ailleurs, les dizaines de millions d'euros que vous évoquez ne sont pas comparables aux milliards que, je le répète, nous consacrons à cette politique dont les résultats font notre fierté.
La trajectoire présentée par le Gouvernement dans le programme de stabilité 2024-2027 prévoit que le solde public passera de -5,5 % du PIB fin 2023 à -2,9 % en 2027, soit une augmentation de 2,6 points, autrement dit de 70 milliards d'euros. Toujours d'après vos prévisions, le solde des collectivités territoriales passerait pour sa part d'un déficit de 0,4 point en 2023 à un excédent de 0,4 point en 2027. Cela représente une amélioration de 0,8 point de PIB, soit de 22 milliards, près du tiers de l'amélioration prévisionnelle des déficits publics.
Cette prévision est-elle réaliste ? Elle suppose que les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales baissent de 0,5 % par an en volume et que les éventuels excédents soient utilisés pour désendetter ces collectivités, non pour faire de nouvelles dépenses. Mes questions sont donc les suivantes : comment espérez-vous tenir cet objectif concernant les administrations publiques locales (Apul), alors que vous n'avez pas réussi – et c'est heureux – à inscrire dans la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques les pactes de confiance, nouveau nom des contrats de Cahors ?
Par quelle réforme espérez-vous obtenir de tels résultats ? Pouvez-vous nous indiquer où vous en êtes dans l'examen des pistes évoquées lors de la dernière réunion du Haut Conseil des finances publiques locales (HCFPL) ?
Sourires.
Nous ne nous en sommes jamais cachés et vous avez raison de le rappeler : notre trajectoire suppose la participation des collectivités territoriales à l'effort prévu. Je parle bien de participation, car nous n'avons jamais montré du doigt les élus locaux en prétendant qu'ils étaient de mauvais gestionnaires et contribuaient directement au déficit. Le déficit public dépasse le déficit de l'État. Il faut prendre en compte l'ensemble des dépenses et des recettes des administrations publiques. Ces élus et nous avons les finances publiques en partage. En substance, nous leur avons toujours dit : « Les contrats de Cahors ne seront pas renouvelés. En revanche, nous demandons que vos dépenses de fonctionnement évoluent moins vite que l'inflation. Peut-on se mettre d'accord sur ce point ? »
Dans le cadre du HCFPL, Bruno Le Maire, Christophe Béchu, Dominique Faure et moi-même avons échangé avec les associations d'élus. Il n'y aura, je le répète, pas d'autres contrats de Cahors, mais nous devons instaurer ces pactes de confiance pour nous aider mutuellement à tenir les objectifs de déficit public, pour les aider à ralentir l'évolution des dépenses de fonctionnement. Tel est le cadre dans lequel nous nous inscrivons.
Nous avons en partage les finances publiques, je le redis, mais aussi des surcoûts : compétences qui font double emploi, procédures trop longues, excès de normes. Deux rapports importants seront publiés dans les prochaines semaines. D'abord celui de la mission sur la décentralisation confiée au questeur Éric Woerth par le Président de la République : j'attends que ses propositions participent à l'objectif de clarification, de simplification et d'allègement des coûts. Ensuite celui de la mission confiée au maire de Charleville-Mézières, Boris Ravignon, qui doit estimer le surcoût lié à la complexité des normes. Quand le diagnostic sera posé, nous pourrons travailler avec les élus à déterminer quelles mesures – législatives ou réglementaires – les aideront à faire des économies, afin d'atteindre les objectifs des contrats et ceux que nous nous sommes fixés en commun.
Sourires.
Du fait de son insularité, la Corse se trouve dans une situation périphérique à l'origine de nombreux inconvénients et en particulier de surcoûts pour les ménages, les entreprises, par rapport à leurs homologues continentaux. La dotation de continuité territoriale (DCT), qui tend à limiter ce handicap, constitue donc une mesure élémentaire de justice économique et sociale. Or, gelée depuis 2009, elle est désormais en décalage total avec l'évolution des charges depuis quinze ans. Cela fait sept ans que nous demandons sa revalorisation. À chaque projet de loi de finances, nous devons défendre le même objectif, qui est pourtant une requête naturelle. L'an dernier, face à l'explosion des coûts, nous avons plaidé pour une rallonge de 50 millions d'euros : nous en avons obtenu 40. L'année précédente, c'était 33 millions. Cette politique au coup par coup est regrettable.
Je vous demande donc de bien vouloir prendre en considération les besoins objectifs exprimés par le vote unanime de l'Assemblée de Corse. Nous attendons de l'État qu'il pérennise le complément de 40 millions, la dotation étant, je le répète, bloquée à 227 millions depuis quinze ans. Je vous demanderai également de systématiser l'adéquation de cette enveloppe à l'évolution des prix, ce qui nous épargnerait ces pénibles transactions annuelles.
Ces mesures nous permettraient d'attendre le statut fiscal que nous souhaitons, qui rassemblera enfin les relations fiscales, budgétaires et financières de la Corse avec l'État central.
Je vous remercie, monsieur Castellani, pour la continuité – qui n'est pas territoriale – des demandes que vous adressez au Gouvernement. Vous dites que la dotation est gelée depuis quinze ans, que rien n'a bougé depuis 2009 : ce n'est pas tout à fait vrai. Je me souviens d'avoir échangé avec vous, au sujet de la continuité territoriale, lors de l'examen du PLFG : celui-ci nous a permis de corriger le tir. Afin de faire face à l'augmentation des coûts, nous avons prévu une augmentation de 40 millions d'euros pour les secteurs aérien et maritime. Cela rejoint les demandes des élus dont vous faites partie, mais aussi des élus locaux, de tenir compte de votre situation.
Il convient désormais de s'y prendre tôt, comme je vous l'ai proposé, pour préparer le projet de loi de finances pour 2025. Je sais que vous aurez à cœur de débattre du sujet en amont du dépôt du texte, et ma porte vous est ouverte en vue de poursuivre les discussions.
Par votre entêtement idéologique, depuis 2017, à baisser constamment les impôts, vous avez miné les finances publiques. Le désarmement fiscal de la France coûte, au bas mot, 52 milliards par an. Notre budget dépend de recettes de plus en plus volatiles – notamment de l'impôt sur les sociétés, qui représente désormais 18 % des recettes fiscales –, et ce, en raison du transfert massif du produit de la TVA, dont l'État n'est plus attributaire que de 46 % : la majeure partie sert à compenser les exonérations de cotisations sociales, dont le montant exorbitant atteint 2,5 points de PIB, les baisses d'impôts locaux et la suppression de la contribution à l'audiovisuel public.
Selon vous, grâce à l'augmentation des profits des entreprises et des revenus du capital, ces baisses d'impôts seraient indolores pour les finances publiques. Cette illusion n'aura duré qu'un temps ; le roi est nu. L'État n'a plus de marge de manœuvre fiscale. En 2023, le déficit public s'élevait à 5,5 % du PIB, au lieu de 4,9 % annoncés.
Pourtant, nous n'avons cessé de faire des propositions en faveur d'un juste rétablissement de l'impôt : impôt de solidarité sur la fortune (ISF) climatique, contribution exceptionnelle sur le patrimoine financier des plus aisés, extinction des niches fiscales brunes, écocontribution sur les billets d'avion, taxation des superprofits des groupes pétrogaziers. Vous les avez toutes rejetées. Les Français, chaque jour confrontés à la dégradation de leurs services publics, règlent l'addition.
Les fermetures de classe se multiplient à Paris, les transports collectifs sont bondés, l'hôpital est sous-financé. Parmi les premiers budgets sacrifiés se trouve l'écologie : que la planète brûle, si cela peut sauver les bénéfices des grands groupes pétroliers ou des compagnies maritimes !
Quand écouterez-vous les propositions des Écologistes en faveur du redressement des finances publiques ? Quand accepterez-vous de vous attaquer aux ultrariches et aux superprofits des groupes pétrogaziers ? Vous dites que ce n'est pas un tabou pour vous, mais le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie, la plupart des pays européens l'ont déjà fait, et non la France !
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Nous n'avons pas baissé les impôts au point de descendre du podium en la matière. Avec un taux de 43 % de prélèvements obligatoires, il n'y a dans l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) que la Norvège et le Brésil qui nous dépassent. On ne peut donc soutenir qu'il n'y a plus d'impôts dans notre pays, que le roi est nu, pour reprendre votre expression.
En outre, nous avons subi un choc conjoncturel : 21 milliards d'euros de baisses de recettes. On n'y répond pas par un choc fiscal ; ce serait risquer d'aggraver la situation.
Quand nous avons dû revoir notre prévision de croissance, les Allemands ont ramené la leur de 1,3 % à 0,2 % du PIB ; l'Italie a également réduit ses prévisions, tout comme la Commission pour l'ensemble des pays de l'Union européenne. Vous pouvez donc reconnaître que c'est le ralentissement économique, notamment international et européen, qui a pesé sur nos recettes.
Nous avons besoin de préserver la croissance et la création d'emploi. Or, je le répète, le contre-choc fiscal que vous préconisez risquerait de ralentir la croissance, aggravant nos problèmes de recettes, de cotisations sociales et de chômage. Ni vous ni moi ne le souhaitons.
Par ailleurs, vous dites que l'écologie serait sacrifiée. Vous n'aimez pas que je vous réponde ainsi, mais le budget 2024 comporte 40 milliards de dépenses vertes, soit 8 milliards de plus que l'année dernière. Vous pensez que ce n'est pas assez :…
…il s'agit d'un effort considérable, compte tenu de la situation des finances publiques.
Encore une fois, nous n'avons pas de tabou. Concernant la rente des énergéticiens ou les rachats d'actions, nous sommes prêts à travailler avec les députés. Nous souhaitons aussi réfléchir à la taxation des très riches, qui échappent à l'impôt en raison de leur mobilité. Toutefois, nous voulons traiter ce sujet à l'échelle internationale. Si nous le faisons à l'échelle nationale, le jour où nous commencerons, les intéressés passeront la frontière. Il faut donc agir comme nous l'avons fait pour les multinationales en mettant en place un impôt minimal sur les sociétés.
Il ressort des comptes certifiés par la Cour des comptes qu'en 2023, le passif de l'État s'élevait à 3 170 milliards d'euros et son actif à 1 294 milliards. La situation nette est donc très négative : un trou de 1 875 milliards. Malgré cela, à vous entendre, tout va bien.
Cette année, huit semaines après l'adoption du projet de loi de finances par un 49.3 qui avait empêché le bon déroulement du travail parlementaire, vous avez pris un décret d'annulation de crédits portant sur 10 milliards d'euros en autorisations d'engagement, autant en crédits de paiement. Au motif d'une diminution des ressources publiques, ce décret s'applique à plusieurs programmes de la loi de finances. Malgré cela, à vous entendre, tout va bien.
Certains d'entre nous ont demandé aux ministères de leur indiquer les enveloppes les plus affectées par ces annulations : aucun n'a reçu de réponse. Pourtant, à plusieurs reprises, nous avons appelé votre attention sur le budget présenté, en raison de la surestimation de la prévision de croissance. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a jugé celle-ci élevée par rapport à l'hypothèse retenue par le consensus des prévisionnistes, et surtout par rapport au risque de dégradation du déficit public, après le rejet par 49.3 de nos nombreuses propositions visant à augmenter les recettes. Eva Sas les a mentionnées : taxation des superprofits et des superdividendes, contribution des plus hauts patrimoines, suppression des niches fiscales brunes. Tout va bien, vous avez tout refusé.
Cela explique peut-être votre choix injustifiable de ne pas présenter de projet de loi de finances rectificative (PLFR).
Ma question est simple : pendant la discussion du projet de loi de finances pour 2024, puis au moment de la prise du décret d'annulation des crédits, plusieurs notes de Bercy signalaient-elles la dégradation des finances publiques, sans que cette information ait été communiquée au Parlement ? Plus spécifiquement, existait-il une note concernant le très faible rendement de la rente inframarginale : 600 millions d'euros, pour une prévision initiale de 13 milliards ? Si ce n'était pas le cas, c'est inquiétant.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES et LFI – NUPES.
Il n'est pas exact que nous ayons appliqué le 49.3 sans garder aucun de vos amendements. S'agissant des amendes dans le transport aérien, nous avons ainsi intégré au texte l'amendement Arrighi.
Vous pouvez dire que ce n'est pas suffisant, mais ne prétendez pas que nous sommes restés sourds aux demandes des députés, y compris de ceux de l'opposition : dans la rédaction du projet de loi issue du recours au 49.3, nombre d'entre eux ont retrouvé des dispositions qu'ils proposaient. C'est bien normal, même si, encore une fois, je comprends que l'on objecte qu'il n'y en avait pas assez. Quant au décret d'annulation, nous avons bien fait de le prendre en février : quand on constate une baisse des recettes, il faut réagir tout de suite. C'est notre responsabilité.
Concernant le 49.3, je vous ai répondu en vous disant que vous aviez la mémoire courte au sujet du contenu des articles. Selon vous, j'étais informé du problème au moment du PLFG. C'est très grave. Vous savez bien que ce texte a été adopté fin novembre.
Les services de Bercy n'ont commencé à nous alerter que début décembre, à travers une note datée du 7, que j'ai rendue publique et diffusée à tous les députés qui l'ont souhaité, en leur annonçant qu'il y avait de mauvaises nouvelles s'agissant des recettes et que nous ne tiendrions peut-être pas notre objectif de limitation du déficit public. Mais il était encore beaucoup trop tôt pour communiquer, puisque les estimations, qui n'étaient fondées que sur les données de l'année 2023, dont le PLFG venait d'être adopté, restaient très fragiles – les données pour 2024, dont nous étions encore en train de débattre alors, n'avaient pas été prises en compte. Il a fallu attendre le mois de février pour que Bercy confirme que les recettes seraient moins importantes que prévu.
Toutes ces informations étaient à la disposition de la représentation nationale : nous n'avons rien caché, comme celles et ceux qui sont venus sur place, à Bercy, ont pu le constater.
Les déséquilibres successifs de nos comptes publics depuis un demi-siècle alimentent une dette grandissante, dont les seuls intérêts dépasseront bientôt tous nos efforts communs pour l'éducation de nos enfants.
Nous avons affronté la plus grave crise que notre économie ait connue depuis 1929 ; elle a été suivie d'un choc inflationniste sans précédent depuis plus de quarante ans. Si la batterie de mesures déployées pour répondre à ces crises a lourdement grevé les comptes publics, et pour longtemps, elle a permis à des millions de personnes de conserver leur emploi, à des centaines de milliers de petites entreprises de résister, et à notre économie de tenir debout. Comme l'a très bien montré l'Institut des politiques publiques, sans cette politique du « quoi qu'il en coûte », la dette aurait dépassé 140 points de PIB et se serait stabilisée 8 à 10 points au-dessus de son niveau actuel.
Il n'en reste pas moins qu'il est aujourd'hui de notre responsabilité, pour assurer l'avenir de nos enfants et dégager des marges pour de futurs investissements, de retrouver la bonne trajectoire que nous suivions avant la pandémie et qui nous avait permis de sortir de la procédure pour déficit excessif. Pour atteindre cet objectif, notre principal levier est de faire progresser encore et toujours le taux d'emploi dans notre pays. S'il a enfin progressé de quatre points depuis 2017, ce dont nous devons nous féliciter, il reste trois points en dessous de la moyenne des pays de l'Union européenne, et neuf à dix points derrière l'Allemagne. Cette différence, ce sont autant de cotisations sociales non acquittées et de richesses non produites, et cinq points de déficit en plus : avec le taux d'emploi de l'Allemagne, nous serions, à n'en pas douter, en excédent budgétaire.
Sourires.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser quelles sont les mesures du programme de stabilité pour les années 2023 à 2027 qui soutiennent une politique active de l'emploi ? Ces mesures répondront-elles au manque de main-d'œuvre qui touche tant de secteurs – nous le constatons tous – et à ses conséquences sur nos finances publiques ?
Les uns et les autres finissant parfois par l'oublier, je vous remercie de rappeler que protéger nos entreprises pendant la crise nous a, au bout du compte, coûté beaucoup moins cher que si nous ne l'avions pas fait. Aujourd'hui, notre déficit public est certes élevé, mais il l'aurait probablement été beaucoup plus encore si nous avions laissé les entreprises fermer les unes après les autres, ce qui aurait entraîné une hausse du taux de chômage. Notre stratégie était donc la bonne, tant pour la cohésion sociale que pour nos finances publiques.
Notre ambition est désormais, à travers le programme de stabilité, de reprendre le chemin que nous suivions depuis le début du premier quinquennat, et qui nous avait permis de sortir de la procédure pour déficit excessif et de ramener le déficit sous la barre des 3 % de PIB. La crise nous a interrompus, mais c'était une parenthèse, que nous devons refermer.
Et ce sont bien le travail et l'activité qui nous permettront d'atteindre l'objectif de limitation du déficit public à 2,9 % en 2027. Lors du premier quinquennat, nous avons ainsi mené la réforme de la formation professionnelle, du travail, de l'apprentissage, de l'assurance chômage et, pour aller plus loin encore, la réforme des retraites. Puis nous avons conduit la réforme de France travail et du RSA, et nous poursuivons les discussions s'agissant de la réforme de l'assurance chômage – le tout dans l'optique d'atteindre le plein emploi, meilleur allié pour redresser nos finances publiques. Pour cette raison, notre priorité va aux réformes structurelles, notamment celles qui permettront d'augmenter le taux d'emploi, en particulier celui des seniors et des jeunes.
Le niveau de notre déficit public s'inscrit dans un contexte de sortie de crise du covid-19 et d'inflation, sur fond de situation géopolitique tendue entraînant un ralentissement de la croissance mondiale. Dans ce contexte particulier, le Gouvernement et la majorité se sont mobilisés pour maintenir le pouvoir d'achat et la croissance française. Évaluée à 0,2 % au premier trimestre 2024 – un taux supérieur aux prévisions –, celle-ci résiste d'ailleurs mieux que celle de nos voisins.
Face à la dégradation de nos recettes, vous avez pris, en responsabilité, un premier décret d'annulation de 10 milliards d'euros de crédits dès février 2024, et 10 milliards d'euros d'économie supplémentaires seront trouvés cette année.
En tant que rapporteure générale du budget de la sécurité sociale, je suis consciente que ces mesures d'économie pourraient affecter la sphère sociale. En effet, selon les projections du Haut Conseil du financement de la protection sociale, le déficit de nos comptes sociaux, porté par les dépenses d'assurance maladie et d'assurance vieillesse, devrait à nouveau augmenter, mettant sous pression l'Urssaf Caisse nationale et la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), chargée d'amortir la dette sociale à l'horizon 2033. Le retour à l'équilibre de nos comptes sociaux est donc plus que jamais une nécessité.
Cela a été dit, une bonne partie de la solution réside dans l'objectif de plein emploi que nous visons, ainsi que dans notre capacité à poursuivre les réformes structurelles. Ma question est donc simple : quel regard portez-vous sur la situation de nos comptes sociaux, et quelles réformes structurelles avez-vous identifiées ?
Comme vous, madame la rapporteure générale, je constate que le déficit de la sécurité sociale a diminué en 2023 par rapport aux années précédentes – en particulier les années de crise –, s'établissant désormais à 10,8 milliards d'euros, contre 19,7 milliards en 2022 et près de 40 milliards en 2020. Nous suivons donc une bonne trajectoire. Néanmoins, je constate aussi que ce déficit s'est aggravé de 2 milliards d'euros par rapport aux prévisions de la loi de financement de la sécurité sociale, en raison, je l'ai expliqué à l'instant, des moins-values sur les recettes liées au ralentissement économique – celui-ci ayant entraîné une diminution de la masse salariale, donc des cotisations.
Néanmoins, au regard des perspectives dans les différents champs de la sécurité sociale, le maintien d'un déficit permanent jusqu'en 2027 n'est pas une bonne option. Pour redresser la situation, nous devons continuer à prendre des mesures d'économies, qui seront partagées entre les assurés, les industriels et les professionnels.
Mme Clémence Guetté s'exclame.
La lutte contre la fraude, à laquelle je vous sais également très attachée, permettra également de réaliser des économies.
Par ailleurs, il faudra absolument respecter l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) pour 2024, car c'est la clé pour réaliser les 3,5 milliards d'euros d'économies prévus. À cette fin, je travaille avec les différentes administrations concernées à un pilotage de l'Ondam le plus précis possible. Pour l'année 2025 et les suivantes, nous devrons trouver des pistes d'économies supplémentaires : nous aurons l'occasion d'en discuter, et je sais que nous pourrons nous appuyer sur le travail des députés pour alimenter le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
Alors que vous nous parlez enfin d'économies, le Président de la République a récemment déclaré : « Nous n'avons pas un problème de dépenses excessives, mais un problème de moindres recettes » : j'avoue qu'on ne sait plus trop qui croire.
Pour notre part, nous considérons que nous avons à la fois un problème de dépenses et un problème de recettes. S'agissant de ces dernières, par exemple, la crise du logement – et donc de la construction – que vous regardez s'installer depuis des mois, et à laquelle le projet de loi récemment déposé ne répondra pas, engendre des milliards d'euros de pertes de recettes issues de la TVA et des droits de mutation. Quand allez-vous enfin prendre des mesures pour relancer réellement la construction, comme nous vous l'avons proposé ?
S'agissant des dépenses, vous prévoyez de raboter de-ci de-là, alors que des changements majeurs s'imposent. En matière de politique migratoire, par exemple, combien de temps encore allons-nous dépenser des milliards pour des personnes présentes de manière irrégulière sur notre sol ? Quand allons-nous débattre des 1,2 milliard d'euros que coûte l'aide médicale d'État (AME), comme cela nous a été annoncé il y a quelques mois ? Quand rendrons-nous enfin obligatoires les tests visant à vérifier que les prétendus mineurs, qui coûtent 3 milliards par an aux départements, le sont vraiment ?
En matière de comptes sociaux, plutôt que d'augmenter les forfaits à la charge des Français, quand allons-nous enfin mieux contrôler les 6,5 milliards de pensions de retraite versées à l'étranger, comme la Cour des comptes le suggère depuis 2017 ? Quand allez-vous enquêter sur les millions d'assurés sociaux surnuméraires par rapport à notre population ? Sur le plan organisationnel, enfin...
…quand allez-vous supprimer ou internaliser les quelques dizaines d'agences dont les missions font doublon avec celles de l'État, ce qui les complexifie et les opacifie ? Quand arrêterons-nous de transposer, voire surtransposer, des normes bruxelloises qui coûtent des milliards aux Français, aux collectivités et aux entreprises ?
Ces quelques exemples – et mon collègue Franck Allisio en donnera d'autres – prouvent qu'il est possible de redresser les finances publiques. « Là où il y a une volonté, il existe un chemin », disait Guillaume d'Orange. C'est pourquoi nous nous interrogeons et nous vous interrogeons, monsieur le ministre, sur l'existence de cette volonté politique, qui nécessiterait de rompre avec l'actuelle idéologie immigrationniste et européiste.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Le Président de la République a dit que nous avions un problème de recettes, et nous ne disons pas autre chose. À la fin de l'année 2023, nos recettes étaient en baisse de 20 milliards d'euros en raison du ralentissement économique international, et notamment européen – car c'est bien ce dont il est question. Il n'y a donc pas eu une explosion de 20 milliards d'euros des dépenses, mais bien une diminution des recettes de 20 milliards, résultat d'un choc conjoncturel.
En revanche, je vous invite à faire preuve de davantage de mesure concernant l'impact de la crise du secteur de la construction sur nos recettes, car contrairement à ce que prétendent certains, la crise du logement n'explique pas le trou dans nos recettes. Mes services ont estimé à 600 millions d'euros le manque de recettes issues de la TVA par rapport à ce qui avait été prévu dans le projet de loi de finances pour 2023, soit un écart d'environ 10 %. Comme vous le constatez, ce n'est pas du tout le même ordre de grandeur.
S'agissant de l'AME, MM. Claude Evin et Patrick Stefanini ont, comme vous le savez, remis un rapport dans lequel ils ont rappelé son utilité, notamment pour des raisons sanitaires.
Ils ont également souligné la nécessité de garantir une lutte efficace contre la fraude. Le Premier ministre a demandé à l'assurance maladie de travailler sur ce sujet, et j'ai une bonne nouvelle, monsieur le député : alors qu'on comptait près de 2 millions de cartes Vitale surnuméraires en 2018, il n'y en a plus qu'une dizaine.
Les besoins financiers sont considérables, et les pistes que vous proposez, comme l'exemption des moins de 30 ans d'impôt sur le revenu, l'abaissement de la TVA et la nationalisation des autoroutes, ne permettront jamais de redresser les finances publiques.
Il y a un mois, la représentation nationale a pris connaissance des chiffres catastrophiques – et j'insiste sur ce terme – du déficit public pour 2023. Quand on voit la manière dont les comptes publics sont gérés par votre gouvernement, cette situation n'est malheureusement pas surprenante. Les prévisions de croissance de M. Le Maire sont à l'image de l'ensemble de sa stratégie économique depuis plus de sept ans : un véritable scandale d'incompétence et de mensonges. En sept ans, la dette publique a triplé pour atteindre un sommet : 3 000 milliards d'euros, une première dans l'histoire ! En 2027, le remboursement des intérêts de la dette publique sera le premier budget de l'État, devant la défense, l'éducation nationale ou encore la sécurité. Les Français vous demandent ce que vous avez fait de leur argent. Vous êtes ici pour répondre à cette question, monsieur le ministre : qu'avez-vous fait de l'argent des Français ? Où sont passés les milliards d'euros que les Français vous ont versés en contribuant à l'impôt ?
D'ailleurs, bien loin de chercher à réduire ce déficit ou d'œuvrer à renverser la vapeur, vous avez augmenté la dépense publique, passée de 330 milliards d'euros en 2019 à 455 milliards d'euros en 2023. Les 10 milliards d'euros d'économies que vous nous annoncez depuis des semaines ne sont en réalité que de futures annulations de crédits dans des budgets volontairement trop ambitieux, à l'image du fonds Vert devant financer la rénovation thermique des bâtiments.
Monsieur le ministre, la date du 9 juin vous ferait-elle peur ? En cette période électorale, on est en droit de se demander s'il n'y a pas un plan caché de coupes budgétaires et d'austérité à venir, qui serait dévoilé cet été. Un certain nombre des députés Renaissance se posent d'ailleurs eux aussi la question. Ou peut-être préférez-vous simplement attendre que Jordan Bardella demande la dissolution de l'Assemblée nationale, avant d'être nommé Premier ministre et de disposer d'une majorité, dans un hémicycle bleu marine ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
…mais je vais quand même essayer d'y répondre. Vous évoquez la stratégie économique conduite par Bruno Le Maire depuis maintenant sept ans. Je rappelle quelques chiffres, qui ne vous feront pas plaisir : nous avons ramené le taux de chômage à 7,5 %, nous avons créé plus de 2 millions d'emplois,…
…nous avons rouvert des centaines d'usines, nous sommes encore le pays le plus attractif d'Europe. Voilà le résultat de notre stratégie économique !
Je vous invite à consulter l'ensemble des publications qui attestent mes propos. Je comprends que cela ne vous fasse pas plaisir, car vous préférez prospérer sur le malheur des uns et des autres. .
Protestations sur les bancs du groupe RN
Vous avez du mal à vous réjouir qu'on crée des emplois, qu'on lutte contre le chômage de masse, qu'on réindustrialise le pays…
Mais surtout, monsieur Dessigny, ne nous donnez pas de leçons de finances publiques ! Toutes vos propositions sont un gouffre : baisser la TVA, exonérer Mbappé d'impôt sur le revenu,…
…nationaliser les autoroutes. Ce n'est pas sérieux ! Vous ne pouvez pas me donner tranquillement des leçons de finances publiques. Il n'y a pas de plan caché : quand nous avons constaté qu'il y avait moins de recettes, nous avons baissé nos dépenses, en adoptant un plan d'économies de 10 milliards d'euros – c'est un vrai plan, vous verrez qu'il y a bien 10 milliards d'euros de dépenses en moins. Nous réaliserons 10 milliards d'euros d'efforts supplémentaires pour contenir le déficit public à 5,1 % cette année.
Tel est, ne vous en déplaise, le résultat de notre politique économique.
La répétition étant la meilleure des pédagogies, je réitérerai les questions de mes collègues. Mille milliards de dette supplémentaires en sept ans ! Malgré l'extrême humilité à laquelle un tel résultat devrait vous astreindre, vous avez l'indécence de vous poser sans cesse en donneurs de leçons.
Comme vous êtes manifestement incapables d'aller chercher des économies substantielles là où elles se trouvent, voici quelques propositions directement issues du programme de Marine Le Pen, que vous critiquez pourtant avec véhémence : la privatisation de l'audiovisuel public – 4 milliards d'euros d'économies ; la suppression des agences régionales de santé, dont l'inutilité a été démontrée lors de la crise sanitaire – 600 millions d'euros d'économies ; la fin des subventions versées par l'État à des associations sans-frontiéristes – au moins 3 milliards d'euros d'économies ; des mesures d'économies sur l'immigration, telles que la suppression des prestations sociales non contributives aux étrangers ou l'instauration d'un délai de carence de cinq ans pour les prestations contributives – au moins 16 milliards d'euros d'économies.
En moins d'une minute, je vous propose près de 25 milliards d'euros d'économies !
Protestations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Nous les rendrons directement aux Français, en supprimant la cotisation foncière des entreprises (CFE), en baissant le taux de TVA à 5,5 % sur l'énergie et à 0 % sur un panier de cent produits de première nécessité, en baissant les droits de succession et de donation, en créant une part fiscale pleine dès le deuxième enfant.
Fort de ces quelques propositions, monsieur le ministre, aurez-vous, oui ou non, le courage d'aller chercher l'argent là où il se trouve pour le rendre aux Français ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Vous n'avez pas dissipé mes inquiétudes, je juge toujours votre programme aussi peu crédible. Vous avez présenté une série de propositions que je laisse à l'appréciation de chacun – notamment la suppression de l'audiovisuel public pour 4 milliards d'euros – qui conduiraient à faire une vingtaine de milliards d'euros d'économies. Mais après, on y va : baisse du taux de la TVA à 5,5 % et à 0 %, part fiscale, baisse des droits de mutation… Vous proposez, en fait, une perte de recettes considérable qui entraînerait, comme je l'ai dit précédemment, 100 milliards d'euros de déficit supplémentaire !
Vous n'êtes pas crédibles : ce ne sont pas des mesures de redressement des finances publiques que vous présentez, puisque, dès que vous envisagez une économie, vous prévoyez tout de suite une dépense supplémentaire. Comment voulez-vous, dans ce cadre, redresser les finances publiques ? Ce débat permet à tout le monde de se faire une idée de la crédibilité de votre programme.
Quant à nous, nous considérons depuis le début que c'est un exercice difficile, qui exige de la patience et de la méthode. Nous avons réduit le déficit entre 2018 et 2019. Nous avons ensuite ouvert une parenthèse pour protéger massivement – je ne me souviens pas que le Rassemblement national ait alors contesté ces mesures de protection. Maintenant que les crises sont derrière nous, nous redressons progressivement les finances publiques.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
En demandant aux collectivités locales, en 2024, 2,5 milliards d'euros d'économies – ou d'efforts, comme vous l'avez dit à M. Cordier – pour faire face au déficit public, vous cherchez à vous dérober à vos responsabilités, car la dégradation des finances publiques est essentiellement imputable à l'État et aux comptes sociaux. La dette des collectivités, qui ne sert à financer que des investissements, ne représente que 9 % de la dette publique.
Depuis sept ans, vous avez mis à mal l'autonomie financière et fiscale des collectivités, que ce soit par des baisses de dotations, notamment celle de la dotation globale de fonctionnement, ou du moins sa non-indexation sur l'inflation, comme dans le dernier budget, ou par la suppression progressive de la taxe d'habitation (TH) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui auront coûté 35 milliards d'euros à l'État.
Sur la période allant de 2018 à 2022, les contrats de Cahors avaient imposé aux plus grandes collectivités locales un objectif de progression des dépenses réelles de fonctionnement de 1,2 % par an, assorti d'un mécanisme de contractualisation avec l'État et d'un dispositif de sanction. Les collectivités ont ressenti cela comme une mise sous tutelle, qui remettait en cause leur autonomie financière. Ces restrictions imposées les ont, en outre, conduites à réduire leurs investissements, alors qu'elles portent plus de 70 % de l'investissement public, soutenant ainsi la croissance.
Au vu des résultats passés et de la libre administration des collectivités territoriales, comment pouvez-vous leur demander un effort supplémentaire de 2,5 milliards d'euros, correspondant à une augmentation de 0,5 % de leurs dépenses de fonctionnement, alors que, entre 2017 et 2022, les normes nouvelles imposées aux collectivités ont entraîné 2,5 milliards d'euros de dépenses supplémentaires ?
Question subsidiaire : envisagez-vous un dispositif de sanctions, comme dans le cadre des contrats de Cahors ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Les questions s'enchaînent avec leur lot de contradictions : alors qu'il y a un instant, vous appeliez à faire des économies, vous regrettez à présent que nous n'ayons pas indexé la dotation globale de fonctionnement sur l'inflation. Il s'agit à peine de 5 à 6 milliards d'euros – quand je vous disais que c'est toujours plus, toujours plus…
Il faut toujours aller chercher ailleurs d'après vous, mais l'on ne voit pas très bien où est cet ailleurs. S'agissant de la dotation globale de fonctionnement, nous ne l'avons certes pas indexée, mais il est complètement faux de dire que nous l'avons baissée : nous l'avons augmentée de plus de 320 millions d'euros cette année, comme l'année précédente. En outre, nous avons mis en place un bouclier tarifaire contre l'inflation, notamment sur les prix de l'énergie, nous avons créé le fonds Vert – dites-moi si je me trompe –, nous avons élargi le fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) et nous avons compensé la suppression de la taxe d'habitation. En définitive, les collectivités territoriales ont été soutenues par l'État.
Nous leur proposons, non de diminuer leurs dépenses ni de baisser leurs dotations, mais de ralentir l'évolution de leurs dépenses, dans un cadre distinct des contrats de Cahors. Lors du Haut Conseil des finances publiques locales, nous les avons invitées à faire des efforts, avec un taux de progression des dépenses légèrement inférieur à l'inflation, quand l'État supporte la plus grande part des économies : 10 milliards d'euros ont été annulés sur son budget, sans commune mesure avec les 2,5 milliards d'euros que l'on demande aux collectivités territoriales – d'autant que l'État doit encore réaliser 10 milliards d'économies.
L'État assume l'essentiel de la responsabilité. Tout en respectant leur libre administration et leur bonne gestion, nous appelons donc les collectivités territoriales à contribuer à cet effort national d'intérêt supérieur en ralentissant un peu la croissance de la dépense.
Vous êtes des incapables. Vous l'avez de nouveau annoncé aux Français d'un air contrit : il va falloir encore davantage se serrer la ceinture. Cela fait des années que macronistes et lepénistes répètent en chœur qu'il y a urgence à décider toujours plus d'austérité. Pourtant, tout le monde sait que les dépenses publiques sont stables et que la charge de la dette diminue. Le déficit ne vient que des cadeaux fiscaux que vous avez faits aux riches et aux multinationales. .
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES
La Macronie fait perdre 71,6 milliards d'euros aux comptes publics chaque année : 11 milliards d'impôt sur les sociétés, 11 milliards d'impôts de production, 3 milliards d'ISF – la liste est longue. Vous avez sciemment ruiné le pays, par aveuglement dogmatique et par volonté acharnée de servir les milliardaires, les actionnaires et les agences de notation. Nous faisons aujourd'hui face aux conséquences de vos choix.
Vos économies n'en sont pas, elles ruinent nos services publics : dans les quartiers populaires comme dans la ruralité, les écoles ferment et les classes sont surchargées ; les hôpitaux ferment et les Français meurent sur des brancards. Pire, vos économies mal placées font exploser le coût du malheur : moins d'argent pour l'Inspection du travail, et le mal-être en entreprise coûte désormais 15 000 euros par an par salarié ; moins d'argent pour la bifurcation écologique, et la pollution de l'air coûte 100 milliards chaque année.
Le budget de la France n'est pas une suite de petits choix comptables décidés à Bercy, c'est le choix politique du peuple souverain.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Votre budget est insincère, c'est un mensonge – notamment à la jeunesse : il nie l'urgence vitale des investissements écologiques et sociaux.
Il faut, en réalité, dépenser plus au service des classes moyennes et populaires. Robespierre disait : « Vous n'avez donc rien fait pour le bonheur public si toutes vos lois, si toutes vos institutions ne tendent pas à détruire cette trop grande inégalité des fortunes. » Quand allez-vous enfin mener une politique au service du peuple et de ses besoins ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
…et je vous remercie pour les termes tout à fait choisis et élégants que vous avez employés dans cet hémicycle, mais peu importe, seuls les résultats comptent. Est-ce qu'avoir ramené le taux de chômage à 7,5 % ne compte pour rien ? Ce n'est rien d'avoir créé 2 millions d'emplois, d'avoir rouvert des usines ? Tel est le bilan économique de notre politique. Vous ne voulez pas voir que l'objectif ultime est que chacun trouve sa place et qu'il faut créer des emplois à cette fin – c'est notre bilan depuis 2017.
Vous m'expliquez que nous cassons les services publics. .
« Oui ! » sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES
Si vous aviez consulté les chiffres, ce dont je doute, vous sauriez de combien le budget de l'éducation nationale a progressé entre 2023 et 2024. De combien, madame la députée ? Je vais vous le dire : de plus de 3 milliards d'euros.
Protestations sur quelques bancs LFI – NUPES.
Il faut montrer l'exemple, monsieur le député. Le dialogue exige de respecter son interlocuteur.
Je sais que ces chiffres vous contrarient, mais on n'a jamais autant investi dans l'école. Il en est de même pour la transition écologique : nous réalisons 7 milliards d'euros supplémentaires de dépenses vertes. Vous pouvez considérer que ce n'est pas assez, mais cela représente un effort historique.
Bruno Le Maire nous avait demandé de lui envoyer des propositions d'économies, car vous aviez été insincères dans vos prévisions et vous vous rendiez compte que faire des cadeaux aux riches coûte cher. Nous, les Insoumis, avons été bons élèves. Nous vous avions déjà présenté, lors de l'examen du projet de loi de finances, un contre-budget qui, lui, tenait la route ; mais comme vous sembliez de nouveau en difficulté, nous vous avons à nouveau proposé des économies : rétablir l'ISF, taxer les superprofits, créer un impôt universel sur les entreprises, etc.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Vous avez choisi de balayer toutes ces propositions, préférant comme toujours économiser sur le dos des plus pauvres. Je vous en transmettrai quand même une nouvelle : la compensation fiscale.
Vous n'êtes pas sans savoir que les Français qui travaillent au Luxembourg y paient aussi leurs impôts : plusieurs millions d'euros se retrouvent ainsi chaque mois dans les caisses de ce pays, alors même que la France assume seule les dépenses d'hébergement, de formation, de transport et de santé des travailleurs frontaliers concernés. Le Luxembourg ne reverse absolument rien à la France en échange.
Cette situation est déplorable, vous en conviendrez, surtout si on la compare avec ce qui se passe ailleurs. En effet, les travailleurs français qui exercent à Genève y paient également leurs impôts : toutefois, le canton de Genève rétrocède à la France 3,5 % de la masse salariale desdits frontaliers, ce qui permet de financer les transports, les hébergements, les formations et la santé. C'est ce que nous appelons la compensation fiscale. Si un tel dispositif était appliqué au Luxembourg, cela rapporterait à la France 185 millions d'euros par an. Il suffit de le demander, ce qui ne devrait pas vous poser de problème.
Choisirez-vous, monsieur le ministre, de vous asseoir sur ces 185 millions d'euros d'économies, pour protéger, une fois encore, le Luxembourg ? Préférez-vous courber l'échine et accepter une coopération injuste et inéquitable entre nos deux pays ? Ou permettrez-vous, enfin, aux communes concernées de supporter les coûts du travail frontalier ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Non, le budget n'est pas insincère. Si, avec Bruno Le Maire, nous avions été les seuls à revoir nos prévisions de croissance en février dernier, vous auriez peut-être pu dire qu'il y avait un problème. Toutefois, au même moment, l'Allemagne a également reconsidéré ses prévisions de croissance, tout comme l'a fait la Commission européenne s'agissant des États membres. C'est bien la preuve que nous n'avons pas revu nos prévisions tout seuls dans notre coin, mais que nous avons tous été percutés par un ralentissement de l'activité économique au niveau international, et singulièrement au niveau européen.
Le vrai débat, parmi tous ceux qui nous séparent, c'est celui de la dette : vous considérez, en définitive, que ce n'est pas grave et qu'elle ne constitue pas un problème.
Vous estimez que nous ne sommes pas obligés de la rembourser et qu'elle pourrait, un jour, être annulée. C'est d'ailleurs ce qui vous conduit à demander toujours plus de dépenses ! Là est notre principal point de désaccord.
En ce qui concerne les recettes, vous évoquez le rétablissement de l'ISF : permettez-moi de vous rappeler qu'il n'a pas été supprimé, mais transformé en impôt sur la fortune immobilière. Ce dernier a rapporté 2 milliards de recettes supplémentaires.
Or, savez-vous combien a coûté le bouclier énergétique dans le budget pour l'année 2023 ? Plus de 40 milliards !
Les initiatives de ce type ne sont donc pas du tout à la hauteur de l'enjeu qui est le nôtre, à savoir redresser les finances publiques et faire un effort en matière de dépenses. Lorsqu'on applique le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé de l'Union européenne, il est normal qu'on pose la question des dépenses.
Enfin, s'agissant de la convention fiscale qui nous lie avec le Luxembourg, un avenant est en cours de finalisation, qui nous permettra, je l'espère, de récupérer un peu plus de recettes.
Permettez-moi de revenir sur l'annulation de 10 milliards d'euros de crédits, décidée en raison d'une croissance inférieure aux prévisions. Vous nous indiquez qu'il s'agit d'une goutte d'eau, d'une opération indolore puisque ces crédits étaient envisagés au titre de la réserve de précaution. Il n'y aura donc pas lieu, selon vous, de présenter un projet de loi de finances rectificative, dans la mesure où ces annulations ne dépassent pas 1,5 % des crédits totaux.
Cependant, puisque vous annoncez aussi 5 milliards d'euros d'économies supplémentaires qui, même s'ils ne figurent pas encore dans le décret d'annulation et correspondent à des crédits qui seront gelés, seront bien annulés à la fin de l'année, je pense qu'il y a un peu d'esbroufe de votre part à déclarer qu'il n'y a pas matière à présenter un PLFR ; en réalité, à la fin de l'année, ce sont bien 15 milliards de crédits qui seront annulés.
Permettez-moi d'ajouter que l'annulation des crédits prévus au titre de la réserve de précaution n'est pas une opération indolore. De ce fait, les ministères ne sont pas en mesure de répondre à des besoins urgents : c'est ce qui explique, par exemple, que le ministère de l'éducation nationale se trouve dans l'incapacité de satisfaire les enseignants du département de Seine-Saint-Denis qui réclament un projet de loi d'urgence.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Enfin, il ne s'agit pas que de la réserve de précaution. Vous m'avez indiqué récemment que tous les ministères avaient répondu sur le détail de ces annulations de crédits. J'ai donc voulu vérifier et j'ai écrit à Bruno Le Maire, qui m'a précisé : « Cette reprogrammation a donné lieu à des échanges entre les ministères et le ministère chargé des comptes publics, afin de s'assurer de la soutenabilité de chaque programme budgétaire. Mais chaque ministère demeure responsable de ses programmes et de la priorisation de ses dépenses. »
Pour commencer, je suis inquiet de constater que Bercy ne dispose pas d'une vision globale pour la suite, mais passons. J'ai continué à interroger chaque ministère. Or je dois dire que, parfois, les retours sur les programmes – je ne parle même pas des actions – confinent à l'impressionnisme : on nous annonce une réduction de 14,4 millions d'euros des dépenses de personnels au titre de la mission "Action extérieure de l'État" , tout en nous expliquant que ce n'est pas de nature à entraver la croissance des effectifs – croyons-le sur parole. Il en est de même du programme Français à l'étranger et affaires consulaires. Autre exemple, 65 millions de crédits ont été annulés sur les programmes Création et Patrimoines du ministère de la culture, pour lesquels on nous affirme que cela n'aura pas de grandes conséquences. Voilà, à peu près, les détails qui nous ont été communiqués. Permettez-moi de citer encore, en ce qui concerne votre ministère, les 8,2 millions d'euros d'effectifs absorbés par la direction générale des finances publiques (DGFIP) ou les 22 milliards qui ne sont pas des annulations de crédits prévus au titre de la réserve.
Deux ministères n'ont pas répondu du tout : celui de l'éducation nationale, à qui vous demandez 692 millions d'euros d'économies – aucune réponse, mais ce n'est pas un hasard, car c'est la plus grosse somme ; et celui des transports, pour lequel vous prévoyez 221 millions d'annulations de crédits.
Ces annulations ne sont donc ni transparentes ni indolores. Ma question est donc la suivante : à quand un PLFR ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Stéphane Lenormand applaudit également.
En tant que président de la commission des finances, vous savez bien que les 10 milliards d'euros d'annulations de crédits annoncés dans le décret s'appliquent programme par programme. C'est précisément ce que nous définissons avec les ministères, qui seront ensuite libres d'affecter les crédits, à l'intérieur de leur enveloppe, aux actions qu'ils souhaitent – il n'y a rien de nouveau sur ce plan. D'ailleurs, les crédits votés dans le cadre du projet de loi de finances, et qui sont détaillés dans l'annexe notamment, le sont à titre indicatif pour chaque programme ; ensuite, les dépenses varient en cours d'année. Il ne s'agit pas de voter des crédits à un tel degré de précision, qui ne correspondrait pas à la réalité de la gestion du budget ; l'autorisation parlementaire s'applique, vous le savez, au programme.
Enfin, pour quelle raison n'est-il pas nécessaire de présenter un PLFR ? Tout simplement parce que les 10 milliards d'euros annulés sont bien en dessous du seuil des 12 milliards d'euros, autorisés par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf).
Je rappelle que la Lolf était une initiative parlementaire, le législateur souhaitant laisser à l'exécutif la possibilité de procéder à des ajustements. Les 10 milliards d'euros d'efforts supplémentaires correspondent aux crédits prévus au titre de la réserve de précaution, qui sert précisément à cela. Et si, demain, une difficulté particulière apparaît, nous saurons ouvrir des crédits supplémentaires en cours d'année, comme cela nous arrive de le faire en fin d'année – peut-être sera-t-il nécessaire d'ouvrir des crédits sur un programme et d'en fermer sur un autre ; c'est tout à fait classique.
Soyez donc rassuré, monsieur le président : vous avez obtenu toutes les informations par programme que vous souhaitiez ; la commission des finances peut parfaitement auditionner, avec ses rapporteurs spéciaux, les ministres compétents ; le Printemps de l'évaluation est en cours et nous en attendons d'ailleurs beaucoup ; enfin, je reste à votre disposition pour éclaircir, si besoin était, les derniers éléments d'ombre qui persisteraient dans le décret d'annulation.
La séance, suspendue quelques instants, est immédiatement reprise.
L'ordre du jour appelle les questions sur la santé mentale des jeunes. La conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse, sans droit de réplique.
La parole est à M. Pierre Dharréville.
Pour des raisons de forme et de fond, le dispositif Mon soutien psy a davantage été un échec qu'une réussite. Seuls 7 % des psychologues libéraux s'y sont engagés, sans toujours y rester, peu convaincus de pouvoir sérieusement dispenser leur accompagnement dans ce contexte. Il a également raté sa cible, puisque 10 % des bénéficiaires seulement sont en situation de précarité – cela ne veut pas dire que les autres n'ont pas également des besoins.
Ce dispositif a été créé pour se substituer à une prise en charge gratuite, adaptée et non limitée, en centre médico-psychologique (CMP). Toutefois, au lieu de prendre des mesures fortes pour pallier le manque de psychologues dans les structures et à l'hôpital, on a organisé une forme de contournement, qui s'avère défaillant. Les millions d'euros ainsi engagés permettraient pourtant le recrutement de milliers de psychologues dans les CMP. Il est insupportable de devoir attendre six mois, un an, voire plus, pour obtenir un rendez-vous et un suivi. Cette situation résulte d'un sous-investissement chronique dans les soins psychiques.
C'est vrai pour les adultes comme pour les enfants. Une étude de l'assurance maladie et de Santé publique France, publiée en janvier, a démontré que les pathologies psychiatriques, notamment les retards mentaux ou affectifs, sont plus fréquentes chez les 2 à 3 millions d'enfants les plus modestes.
C'est vrai pour les jeunes. Selon le baromètre de Santé publique France, les pensées suicidaires ont été multipliées par deux chez les 18-24 ans depuis 2014. Il manque des psychologues partout, pour accompagner, prendre en charge et pratiquer une psychiatrie humaine, qui ne soit pas réduite aux situations de crise et qui ne soit pas non plus contrainte à l'usage de la contention.
Le Gouvernement compte-t-il conforter la psychiatrie de secteur ou bien continuer sa désagrégation ? Entend-il recruter et créer des postes, mieux rémunérer et reconnaître les métiers dans le service public pour proposer l'accompagnement pluridisciplinaire auxquels nos concitoyennes et concitoyens ont droit et qui ne correspond pas à l'argent englouti par le dispositif Mon soutien psy ?
La parole est à M. le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention.
Vous pointez un dispositif, Mon soutien psy, qui est nouveau : il est apparu il y a tout juste deux ans, au printemps 2022. Comme tous les dispositifs à leur lancement, il peine à donner sa pleine mesure, mais il a, au moins, le mérite d'exister. Plus de 250 000 patients ont déjà été pris en charge, adressés par 500 000 médecins, ce qui représente près de 1,3 million de séances réalisées.
Cependant, vous avez raison, le dispositif méritait d'être revu, comme l'a d'ailleurs annoncé le Premier ministre dans son discours de politique générale. Nous y avons travaillé et nous sommes sur le point de déployer des mesures nouvelles que je vais vous exposer.
Quelles étaient les principales critiques opposées à ce dispositif ? Le tarif appliqué, de 30 euros par séance, était jugé trop peu élevé ; le nombre de huit séances prises en charge était jugé insuffisant ; enfin, la condition d'adressage initial par un médecin constituait un frein pour nombre de patients. Les leçons ont été tirées puisque la fin de l'adressage par le médecin généraliste a été décidée ; le nombre de séances passera de huit à douze – permettant de dessiner un vrai parcours de prise en charge ; enfin, une augmentation du tarif des séances est prévue, puisqu'il passera de 30 à 50 euros. Une lettre de couverture permettra d'accéder directement à un psychologue conventionné. Cette disposition sera effective dès le début de l'été, sans attendre des évolutions législatives, afin de simplifier et d'accélérer la prise en charge d'un plus grand nombre de patients. Enfin, l'arrêté de revalorisation des tarifs – qui passeront à 50 euros, je le répète – sera pris dans les prochains jours. L'objectif est que le dispositif soit très rapidement plus opérationnel.
La France est l'un des seuls pays au monde à proposer aux patients, grâce à ce mécanisme, des parcours de prise en charge gratuits, à hauteur de douze séances désormais. Il faut aussi souligner cette innovation.
Le rapport de notre collègue Marie-George Buffet, publié en décembre 2020, au nom de la commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse nous alertait déjà sur la détérioration de la santé mentale des jeunes dans le cadre de la crise sanitaire. Si les conséquences psychiques ont été mesurées en augmentation dans la population générale, elles répondent à des problématiques bien plus spécifiques chez les jeunes. Il était ressorti de la commission d'enquête que la France ne comptait qu'un psychologue universitaire pour 30 000 étudiants et que le nombre de pédopsychiatres avait baissé de moitié en dix ans. Plus largement, la question des ressources humaines et financières à engager pour permettre un renforcement massif de la pédopsychiatrie, notamment à l'hôpital, était soulevée.
Le secrétaire d'État Adrien Taquet avait alors annoncé à la commission d'enquête la création de postes de chefs de clinique, afin de recréer la filière – tout en expliquant que six à sept ans seraient nécessaires. Où en sommes-nous désormais ?
La commission d'enquête avait également souligné la question du cyberharcèlement et des cyberviolences, et recommandé de sensibiliser les jeunes et les familles. Concernant les étudiants, elle avait proposé de renforcer les moyens humains et matériels de l'ensemble des structures qui participent au dispositif de la santé universitaire, notamment pour la santé mentale.
Si nous créons des commissions d'enquête, c'est précisément pour évaluer et contrôler une politique publique avec précision afin, ensuite, d'en tirer des enseignements. Nous connaissons ces enseignements depuis 2020. Nous nous interrogeons donc sur leur application. Monsieur le ministre, où en est la concrétisation de ces recommandations largement consensuelles ? Trois ans et demi après, le Gouvernement compte-t-il s'en saisir ?
Votre question est très pertinente et nous avons bien identifié les problèmes que vous pointez du doigt. Le suicide est la deuxième cause de mortalité pour les 10-25 ans. Entre les périodes 2015-2019 et 2021-2022, les hospitalisations pour gestes auto-infligés – ce qui inclut les tentatives de suicide et les automutilations – ont augmenté de 63 % pour les filles de 10 à 14 ans et de 42 % pour les adolescentes de 15 à 19 ans. Je citerai quelques chiffres à l'appui de votre constat : entre mars 2020 et juillet 2021, près d'un enfant sur six a eu besoin de soins pour un motif psychologique – l'impact de la crise sanitaire sur l'état de santé mentale de la jeunesse est bien visible.
Face à cette situation, le Gouvernement n'est pas resté les bras ballants. Parmi les dispositifs déployés, j'évoquerai tout d'abord le 3114, le numéro national de prévention du suicide créé en octobre 2021. Le fait que j'évoque un numéro d'appel vous fera peut-être sourire, mais écoutez d'abord les chiffres et vous verrez qu'il est utile. Les dix-sept centres de réponse répartis sur le territoire national, en métropole et en outre-mer, ont répondu à 270 000 appels en 2023 et à plus de 500 000 appels depuis sa création. Ce numéro a pris en charge de très nombreux jeunes grâce à un financement de 24 millions d'euros.
Le dispositif VigilanS, qui consiste à recontacter et à suivre les personnes, notamment les jeunes, ayant fait une tentative de suicide, a été déployé à l'échelle nationale. Depuis sa création, il a pris en charge 145 000 personnes. À la suite des assises de la psychiatrie et de la santé mentale lancées par le Président de la République, les maisons des adolescents (MDA) ont été déployées. Il en existe 125 sur le territoire national, en métropole et en outre-mer. Les moyens des centres médico-psychologiques pour enfants et adolescents (CMPEA) ont été renforcés : 95 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires leur ont été alloués et leur budget a considérablement augmenté.
À l'heure actuelle, 20 % des postes de psychiatres ne sont pas pourvus, soit plus de 1 000 postes. L'état de la psychiatrie en France est catastrophique. À la réflexion, le cœur du problème semble résider dans la politique menée ces dernières décennies : la psychiatrie a été considérée comme une spécialité comme les autres, ce qui, nous le savons, n'est pas le cas. Au contraire, nous devons en faire une priorité, notamment en combattant les préjugés.
La Défenseure des droits estime à six mois le délai d'attente moyen pour consulter un pédopsychiatre. D'après un rapport de 2023 du Conseil de l'enfance et de l'adolescence, intitulé « Quand les enfants vont mal : comment les aider », 597 pédopsychiatres étaient recensés au 1er janvier 2020 et leur âge moyen était de 65 ans. D'après la communication de la Cour des comptes à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, intitulée « La pédopsychiatrie. Un accès et une offre de soins à réorganiser », alors que 1,6 million d'enfants et d'adolescents souffrent d'un trouble psychique, seuls 0,9 % des professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) enseignent la pédopsychiatrie.
Au Havre, où l'existence d'une dizaine d'antennes de centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) permettait une réelle prise en charge des enfants dans leurs lieux de vie, depuis une dizaine d'années, ces antennes ont été regroupées au sein des services de CMPP rattachés au centre hospitalier. Il en reste trois. Désormais, outre les délais d'attente auxquels elles sont confrontées, les familles qui résident en périphérie doivent effectuer des déplacements longs et fastidieux pour que leurs enfants bénéficient d'un accompagnement, ce qui entraîne un grave problème d'éviction des enfants : certains d'entre eux, qui en auraient pourtant besoin, ne s'y rendent plus.
Où en est la stratégie dite d'ampleur promise par le Premier ministre ? Sera-t-elle vraiment déployée ? Grâce à quels moyens ? La création d'un secrétariat d'État à la santé mentale en fait-elle partie ?
Oui, à la suite de vingt à trente ans de sous-investissement chronique, la psychiatrie est depuis des années le parent pauvre du système de santé. Soyons francs, la situation de la pédopsychiatrie est encore plus difficile. Les mesures prises depuis les assises de la santé mentale et de la psychiatrie de 2021, alors que la France était encore touchée par l'épidémie de covid, ont contribué à relancer l'investissement. Le Conseil national de la refondation (CNR) sur la santé mentale, qui se tiendra à partir du 12 juin prochain, amplifiera les mesures annoncées en 2021. Un secrétariat d'État dédié n'est pas nécessaire : le ministère de la santé est responsable du champ de la santé dans sa globalité. Si la nomination d'un secrétaire d'État permettait par miracle de résoudre les problèmes, une telle nomination serait certainement intervenue.
Déployer ces mesures et les budgets correspondants requiert un long travail. Je prendrai un seul exemple : les CMPEA, auxquels vous avez fait référence. De nouveaux moyens leur ont été alloués. La création de 400 ETP sur la période 2023-2025 améliorera la prise en charge proposée par ces structures essentielles, situées en ville et animées par des professionnels de ville, et qui nécessitent des budgets. Le rythme des recrutements constitue le principal écueil. Seuls 94 ETP sur les 400 prévus ont été pourvus en 2023. Même si les créations de postes sont échelonnées sur trois ans, nous devons accélérer les recrutements.
Nous devons peut-être aussi faire bouger certains curseurs. Ainsi, nous encourageons l'implantation de nouveaux métiers, en particulier les infirmiers en pratique avancée (IPA), y compris dans le domaine de la santé mentale et de la psychiatrie, ainsi que la reconnaissance des psychologues, de manière à élargir l'éventail de la prise en charge.
À la suite de la crise sanitaire, de nombreuses études relatives à la santé psychologique des jeunes ont été menées. Leur santé mentale s'est largement dégradée et la situation des jeunes filles est encore plus inquiétante. D'après une étude de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) publiée en février, le nombre d'hospitalisations pour des tentatives de suicide et des automutilations a augmenté chez les jeunes filles. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : l'augmentation atteint 63 % parmi les 10-14 ans et 42 % parmi les 15-19 ans.
Menée conjointement par l'École des hautes études en santé publique (EHESP) et par l'observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) et publiée le 9 avril dernier par Santé publique France, l'enquête nationale en collèges et en lycées chez les adolescents sur la santé et les substances (Enclass) confirme cette tendance : la santé mentale des adolescents s'est nettement dégradée entre 2018 et 2022. Cette dégradation, qui est plus marquée chez les jeunes filles, creuse l'écart, déjà observé auparavant, entre les garçons et les filles. Enfin, d'après les données statistiques disponibles, les troubles du comportement alimentaire (TCA) touchent en moyenne deux à trois fois plus les jeunes filles, ce qui traduit pour partie l'influence des réseaux sociaux sur l'image de la femme.
Dans son discours de politique générale, Gabriel Attal a affirmé vouloir faire de la santé mentale une grande cause de l'action gouvernementale, mais les premières mesures ne répondent pas suffisamment à l'urgence de la situation, qui est de plus en plus préoccupante. Le remboursement de huit à douze séances chez le psychologue dans le cadre du dispositif Mon soutien psy n'est pas à la hauteur des enjeux. Ce dispositif est controversé parmi les professionnels, qui réclament une prise en charge plus générale de la santé psychologique. Enfin, la création d'une maison des adolescents dans chaque département ne suffit pas à répondre à la détresse des adolescents. Il y a urgence : nous ne pouvons pas laisser la situation se dégrader de la sorte. Par quelles mesures entendez-vous répondre au mal-être grandissant des jeunes et plus particulièrement des jeunes filles ?
J'ai déjà cité des chiffres et je partage le constat dressé par les précédents orateurs : le taux de suicide, le désespoir des jeunes et l'état de leur santé mentale s'imposent à notre attention et appellent des réponses. Le renforcement depuis 2021 des moyens alloués à la psychiatrie, à la pédopsychiatrie et aux structures de prise en charge vise à accompagner un nombre croissant de jeunes. J'ai cité tout à l'heure les 500 000 appels reçus par le numéro national d'appel : ce chiffre signifie que des jeunes sont pris en charge. Je le rappelle, ce sont des professionnels qui décrochent les appels, qui accompagnent les jeunes, qui les orientent vers d'autres professionnels sur leur lieu de résidence et qui dirigent les appels vers les centres.
Je ne reviendrai pas sur le dispositif VigilanS. Pas moins de 125 maisons des adolescents sont désormais implantées partout sur le territoire, jusqu'en Polynésie française. Les professionnels jugent ces dispositifs bénéfiques parce qu'ils regroupent en un même lieu des professionnels aux compétences différentes dans l'intérêt de l'enfant. Vous avez cité le dispositif Mon soutien psy. Des mesures telles que la plus grande facilité d'adressage, la hausse de la rémunération des consultations, le passage de huit à douze consultations, qui en fait un vrai parcours – bien sûr, on ne lâche pas les enfants au bout de la douzième séance si une prise en charge plus longue est nécessaire : dans ce cas, ils sont orientés vers d'autres professionnels –, devraient vous rassurer. Elles amélioreront l'adhésion des professionnels – ceux que j'ai rencontrés attendaient de tels signaux et disent que, dorénavant, ils ont très envie d'entrer dans le dispositif.
Le baromètre de Santé publique France publié le 5 février, à l'occasion de la journée mondiale de prévention du suicide, confirme la grave dégradation de la santé mentale des jeunes adultes. Depuis 2014, la prévalence des pensées suicidaires chez les 18-24 ans a doublé. Entre 2017 et 2021, le nombre de tentatives de suicide déclarées dans cette même tranche d'âge a doublé également. L'ampleur de la propagation chez les jeunes de troubles tels que la phobie sociale, la dépression, la schizophrénie, les conduites addictives, voire, dans les cas les plus tragiques, les violences et les actes suicidaires, mérite une prise de conscience collective afin de concevoir une action publique volontaire et ambitieuse.
Mieux détecter les troubles de santé psychique et mieux soigner les jeunes passe inévitablement par un renforcement de la psychiatrie, qui n'en finit pas d'être le parent pauvre de la médecine. Le désarroi des familles confrontées aux délais d'attente, qui peuvent atteindre plus d'un an pour obtenir une place dans un CMPP, est immense. Nous comptons seulement 600 pédopsychiatres pour près de 10 millions de jeunes, ce qui est peu. La profession souffre d'un manque évident d'attractivité. Il en va de même de la médecine scolaire, qui joue un rôle fondamental pour appréhender les troubles psychiques dès le plus jeune âge. Pourtant, selon les syndicats, on dénombre un médecin scolaire en exercice pour 7 800 élèves alors qu'il en faudrait un pour 5 000. Nous devons y consacrer des moyens et revaloriser leurs rémunérations, qui sont trop faibles.
Enfin, il apparaît urgent de réformer le dispositif Mon soutien psy – Gabriel Attal a d'ailleurs reconnu qu'il n'avait pas produit les effets escomptés et a annoncé une réforme. Face à cette situation préoccupante, quelles réponses spécifiques comptez-vous apporter afin d'instaurer une véritable stratégie nationale, qui fasse de la santé mentale des jeunes une grande cause nationale ?
Je profiterai de votre question pour préciser plusieurs points. La feuille de route en santé mentale et psychiatrie, lancée en 2018, comprenait trente-sept actions et était dotée d'un budget de 1,4 milliard d'euros, je le répète. En 2021, lors des assises de la santé mentale et de la psychiatrie, qui ont tiré les conséquences de la pandémie, un budget supplémentaire de 1,9 milliard sur plusieurs années a été alloué au secteur afin de renforcer la prise en charge des Français, adultes comme enfants. J'ai présidé il y a quelques jours le comité de suivi de la feuille de route en santé mentale, qui est animée par le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, le professeur Frank Bellivier. Ce comité a été l'occasion de faire le point sur l'application des mesures.
Puisque vous suivez ces questions, vous connaissez les actions mises en œuvre. Prenons l'exemple du déploiement du secourisme en santé mentale auprès du milieu étudiant : en 2023, 2 700 étudiants et 1 500 autres jeunes de 18 à 25 ans ont été formés aux premiers secours en santé mentale. Une telle formation permet aux jeunes qui en bénéficient de mieux détecter les signaux faibles chez ceux de leurs camarades qui présenteraient des symptômes nécessitant un accompagnement. J'ai déjà indiqué qu'il existe 125 maisons des adolescents. Par ailleurs, une quarantaine de mesures font l'objet d'un suivi régulier – je ne les citerai pas toutes. Les assises de la santé de l'enfant et de la pédiatrie que j'organise le 24 mai, et dont l'un des volets porte sur la santé mentale, seront l'occasion de les renforcer. Enfin, le CNR santé mentale, dédié spécifiquement à cette question, se réunira du 12 juin au 5 juillet, date à laquelle de nouvelles mesures seront annoncées en complément de celles déjà prises en matière de santé mentale.
L'enquête Enclass publiée récemment révèle que 14 % des collégiens et 15 % des lycéens présenteraient un risque important de dépression. D'après les données de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour 2023, la maladie mentale et les troubles psychiques toucheraient près d'un cinquième de la population, soit environ 13 millions de Français. Au sortir de la crise du covid-19, ce phénomène se serait accentué, en particulier chez les jeunes puisqu'on estime qu'environ 15 % d'entre eux ont besoin d'un suivi ou de soins.
Ce constat est encore plus alarmant dans les outre-mer, où la situation de la santé mentale des 18-25 ans est très inquiétante. Il y a moins de professionnels de la santé mentale et moins de moyens pour le suivi et la prévention sur le terrain. Prenons La Réunion : selon l'observatoire régional de santé, les tentatives de suicide, deuxième cause de mortalité chez les jeunes âgés de 15 à 29 ans, ont représenté 1 100 séjours hospitaliers de 2020 à 2022.
Malgré les annonces faites lors des assises de la santé mentale et de la psychiatrie de 2021 et dans le cadre de la feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie pour 2023-2025, des lacunes persistent. Les professionnels de santé observent un déficit d'attractivité de la psychiatrie et de la médecine scolaire, un épuisement accru des professionnels et une certaine inefficacité des dispositifs d'aide destinés aux jeunes, tels que Mon soutien psy ou Santé psy étudiant.
Compte tenu de la situation, le Premier ministre a déclaré l'état d'urgence pour la santé mentale des jeunes le 7 avril dernier et a demandé à ses ministres chargés de la santé de travailler à une stratégie d'ampleur dans les prochains mois. J'aimerais savoir, monsieur le ministre, les mesures concrètes, fortes et urgentes que vous souhaitez privilégier pour faire face à ce fléau dans l'Hexagone et si vous envisagez une déclinaison particulière dans les outre-mer.
Les outre-mer sont pleinement concernés par l'ensemble des mesures que j'ai déjà citées, et il n'y a aucune raison de voir dans la montée en puissance progressive de certains dispositifs une volonté de les en écarter. Le numéro national 3114, grâce auquel 500 000 personnes ont déjà pu être prises en charge, déjà déployé à La Réunion depuis plusieurs années, vient d'être lancé en Guadeloupe et sera mis en place prochainement en Martinique et en Guyane. Précisons aussi que parmi les 125 maisons des adolescents existantes, huit sont installées en outre-mer, dont une en Polynésie.
Il faut aussi avoir à l'esprit que l'outre-mer inspire des dispositifs qui sont ensuite généralisés à l'échelon national. C'est ainsi que l'équipe de liaison et d'intervention auprès d'adolescents en souffrance (Elias), qui vient en appui aux professionnels de l'aide sociale à l'enfance (ASE), de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et de l'éducation nationale lancée par l'établissement public de santé mentale de La Réunion (EPSMR), va être étendue à tout le territoire national.
Vous le voyez, les outre-mer sont non seulement concernés par l'ensemble des dispositifs mis en place nationalement, mais inspirent des innovations appelées à être généralisées.
Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre assurait vouloir faire de la santé mentale des jeunes une grande cause de son action gouvernementale. Les problèmes de santé mentale ne sont pas anodins : comme vous le savez, ils peuvent avoir des conséquences désastreuses. En 2020, 7,4 % des 18-24 ans interrogés confiaient avoir eu des pensées suicidaires, ce qui constitue un chiffre considérable. Avec 9 000 décès par suicide chaque année, la France est l'un des pays les plus touchés d'Europe et parmi ces victimes, on compte de très nombreux jeunes. Après les accidents de la route, les suicides constituent la deuxième cause de décès dans cette tranche d'âge.
Monsieur le ministre, le suicide n'est jamais le fruit d'une cause unique. Cependant, chez les jeunes, les réseaux sociaux constituent un catalyseur de différents maux et sont, à ce titre, régulièrement montrés du doigt. Alors qu'ils devaient ouvrir au monde, ils sont source d'isolement, de complexes, de troubles maladifs, de harcèlement et de violences. En 2023, le Parlement a adopté la loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, qui a permis d'établir une majorité numérique à 15 ans. Quelles mesures concrètes sont mises en œuvre pour contrôler l'accès aux plateformes des mineurs concernés ? S'il n'y en a pas encore, quand seront-elles déployées ?
Je profite de cette intervention, monsieur le ministre, pour vous rappeler que je vous ai adressé deux demandes d'entretien au sujet de l'hôpital de Bastia. Nous devons donner suite aux conclusions du rapport du Conseil national de l'investissement en santé (Cnis), car la situation l'exige. Nous attendons votre réponse, tout comme le personnel de cet établissement et les 60 % de la population de Corse dont il assure la protection. J'espère que ce léger hors sujet me sera pardonné.
Bien sûr, je m'accorde avec vous sur la nécessité de mobiliser des moyens dans le domaine de la santé mentale. Les réseaux sociaux sont un enjeu important de la santé mentale des jeunes et nous pouvons saluer la proposition de loi du président Marcangeli, que j'avais eu l'honneur de voter et qui a été adoptée. L'ambition de ce texte est partagée non seulement au sein de cette assemblée, mais aussi par le Gouvernement et le Président de la République, qui l'a évoquée dans son discours prononcé à la Sorbonne le 25 avril dernier. Des démarches au niveau européen devraient aboutir à des avancées – mais nous nous éloignons de la santé mentale des jeunes.
À l'occasion de la remise du rapport de la commission d'experts sur l'impact de l'exposition des jeunes aux écrans, le 30 avril dernier, remise à laquelle j'ai assisté, le Président de la République a confié à mon ministère et à d'autres la mission de donner une traduction concrète aux recommandations qu'il contient. Je peux d'ores et déjà vous annoncer que nous comptons intégrer certaines de ses préconisations en matière de santé aux premières avancées qui seront présentées lors des assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant organisées le 24 mai prochain.
Alors que nous débattons de la santé mentale de notre jeunesse, je veux me faire l'écho de nos territoires ultramarins, où les moyens de prise en charge manquent souvent à l'appel, alors même que les besoins sont prégnants. En Guadeloupe, une étude menée sur 400 enfants âgés de 10 à 18 ans en octobre dernier par le CMPP Les Lucioles à Grand Camp, dans la commune des Abymes, a montré que 55 % des jeunes Guadeloupéens avaient des idées suicidaires : un chiffre qui fait froid dans le dos. Une autre étude menée en 2020 par le comité scientifique du CMPP sur un échantillon de 893 enfants âgés de 3 à 20 ans a établi que les tentatives de suicide déclarées au cours de la vie ont augmenté de 50 % par rapport à 2017.
Les autres territoires ultramarins ne sont pas en reste s'agissant de la progression inquiétante du mal-être de nos jeunes. À La Réunion, selon l'observatoire régional de santé, un décès tous les quatre jours est dû à un suicide. Après les accidents de la route, le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 18-29 ans. En Guyane, le phénomène de contagion suicidaire au sein des villages amérindiens, pour reprendre les termes du docteur Caroline Janvier, chef du pôle de santé mentale de l'hôpital de Cayenne, inquiète les autorités sanitaires. En 2020, une enquête de Santé publique France portant sur la période 2010 à 2018 a montré que les taux de suicide sont jusqu'à huit fois plus élevés dans les villages isolés de Guyane que dans l'Hexagone.
Ce triste tableau reflète l'état des moyens destinés à la santé mentale dans ces territoires : ils comptent entre 7 et 13,8 psychiatres pour 100 000 habitants contre 22,5 en France hexagonale et jusqu'à 170 à Paris. Quelles actions concrètes comptez-vous lancer pour améliorer la prise en charge de nos jeunes ultramarins, monsieur le ministre ?
J'ai rappelé quelques données concernant l'outre-mer en répondant à votre collègue Lenormand. Malheureusement, les chiffres que vous citez ne sont pas propres à l'outre-mer : à l'échelon national, en 2022, les tentatives de suicide ont augmenté de 63 % chez les 10-14 ans et de 42 % pour les 15-19 ans. Les outre-mer ne font pas l'objet d'un traitement différent. Y sont appliqués les mêmes dispositifs avec la même progressivité : certains départements d'outre-mer n'ont pas encore de centre d'appel 3114 – c'est le cas pour la Martinique et la Guyane, qui en seront dotées prochainement –, mais il va de même pour certains départements de l'Hexagone. Quant aux maisons des adolescents, plébiscitées par les professionnels pour leur utilité, il en existe huit en outre-mer, dont une en Polynésie.
La jeunesse ultramarine vit la même chose que la jeunesse hexagonale. L'ensemble de la jeunesse française est touchée par l'augmentation des situations de fragilité psychologique. Les causes de ce phénomène sont multiples et nous n'avons pas le temps de les détailler. Toujours est-il que les outre-mer ne font pas l'objet d'un traitement différencié.
Je tiens à remercier les groupes GDR – NUPES et LIOT d'avoir proposé ce débat : la santé mentale des jeunes ne peut que nous inquiéter et nous mobiliser. La crise sanitaire a conduit à une dégradation de la santé mentale de manière plus marquée chez les jeunes que dans les autres tranches d'âge. Pourtant, le Gouvernement a continué de détricoter avec la dextérité d'une couturière le service public de santé. Je n'ai pas constaté les effets de la montée en puissance des dispositifs que vous évoquiez, monsieur le ministre. En revanche, j'ai retenu un chiffre tragique : à Nantes, en 2023, 123 jeunes de moins de 15 ans venus aux urgences pour des idées suicidaires n'ont pu être pris en charge. Combien seront-ils en 2024 ?
Les aiguilles plantées en plein cœur du service de santé entraînent une pénurie de soignants. Le manque de moyens a laissé tant de jeunes perdre le fil de leur vie ! La psychiatrie est au bord du gouffre, beaucoup de jeunes aussi, qui risquent de finir par chuter. À l'heure des discours montés en épingle sur la violence de la jeunesse, violence qui dit le mal-être, l'abandon, la souffrance, votre chef de gouvernement ne fait que répéter : matons, réprimons, enfermons ! Ce rapiéçage ne durera qu'un temps avant que la déchirure ne s'élargisse.
Je le dis encore : misons sur le soin et l'accompagnement pour vaincre la violence. Écoutons, accompagnons, retissons les liens d'une société plus sereine et donc apaisée. Imaginons ce que l'on pourrait faire avec les 2 ou 3 milliards du service national universel (SNU) pour proposer une véritable politique dédiée à la jeunesse destinée à lutter contre la vulnérabilité, la fragilité, l'angoisse.
La hausse de l'anxiété généralisée qui semble s'imposer à de trop nombreux jeunes n'est pas une fatalité, monsieur le ministre. Si vous comptez faire de la santé mentale une grande cause nationale, il faudra s'occuper sans délai de celles et ceux qui feront le monde de demain.
Le constat que vous dressez est unanimement partagé. Plusieurs actions ont déjà été mises en œuvre à la suite de la feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie en 2018 ou des assises de la santé mentale et de la psychiatrie qui sont venues amplifier les premières mesures. Les moyens budgétaires eux aussi ont été augmentés dès 2021.
Parmi les dispositifs créés pour les jeunes, j'ai évoqué trop rapidement celui du secourisme en santé mentale : en formant des jeunes, on peut faciliter le repérage de signaux faibles et la prise en charge de ceux qui en auraient besoin. En 2023, 2 700 étudiants ont été formés aux premiers secours en santé mentale ; au 1er
Cette initiative, parmi d'autres – rappelons les moyens supplémentaires donnés aux maisons des adolescents et aux CMP ou la réforme du financement des établissements spécialisés en santé mentale intervenue en 2021 –, contribue à accroître l'arsenal de prise en charge des Français, et plus spécifiquement des jeunes qui ont besoin d'être accompagnés davantage en ce moment.
Ce débat sur la santé mentale résonne encore plus fort après que j'ai reçu ces derniers jours, sans doute comme vous, des e-mails effrayés de parents, de proches et de jeunes trans. Les discriminations, les agressions et les violences, le manque d'accompagnement social ou de soutien ressenti par les personnes trans entraînent inévitablement une dégradation de leur santé mentale. L'anxiété, la dépression, l'automutilation et trop souvent le suicide en sont les conséquences.
Dès lors, comment ne pas comprendre les craintes des parents de ces jeunes face aux attaques transphobes formulées et relayées par la proposition de loi n° 435 visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre, déposée au Sénat par le groupe Les Républicains et qui ferait courir un risque grave sur la santé des jeunes trans si elle venait à être adoptée ? Peut-on imaginer, par exemple, interdire les bloqueurs de puberté pour les mineurs, alors qu'ils contribuent à réduire de 60 % les risques de dépression et de 73 % les risques de suicide ? Nous devons nous attaquer aux sources de ce qui entraîne le profond mal-être des personnes trans, non pas à raison de ce quelles sont, mais au titre de ce que les autres leur font subir. Si tel est notre objectif, nous devons faire cesser le front transphobe qui met en péril la santé de ces jeunes. Dans un témoignage recueilli hier par Libération à l'occasion de la journée de manifestations contre la transphobie, Noé affirmait : « Transitionner m'a sauvé la vie. »
Alors, comment s'assurer, monsieur le ministre, que les enfants, les adolescents, les jeunes trans ne soient plus les victimes d'une société qui les rejette ? Comment garantir un accompagnement adéquat pour ne laisser aucun enfant, aucun adolescent, aucun jeune trans sur le bord du chemin, livré à la vindicte populiste et à la transphobie qui nuira aussi gravement que sûrement à sa santé mentale ?
Je déplore les attaques transphobes que subissent ceux qui, par leur choix personnel, sont discriminés et parfois violentés : c'est inacceptable. Cependant, les accompagnements proposés aux personnes transgenres sont tout à fait appropriés et les victimes des situations que vous évoquez peuvent bénéficier de tous les dispositifs que j'ai évoqués, de Mon soutien psy jusqu'à l'accompagnement professionnel souhaité et nécessaire en matière de santé mentale. Je ne connais pas dans le détail les dispositions de la proposition de loi que vous évoquez et ce n'est ni le lieu ni le moment d'en débattre, mais je sais que la Haute Autorité de santé (HAS) doit publier très rapidement des recommandations inspirantes qui présenteront les méthodes permettant de bien accompagner les jeunes qui souhaitent faire évoluer leur identité sexuelle, ainsi que les bonnes pratiques à appliquer en matière médicale.
Comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, nous constatons une dégradation de la santé mentale des jeunes, notamment depuis la crise sanitaire de la covid-19. Cette situation dramatique chez de nombreux enfants, adolescents et jeunes adultes est due à plusieurs facteurs : des fractures et conflits intrafamiliaux, des violences subies au sein du cercle des proches, des situations de fragilité sociale et économique, de la vulnérabilité causée par un ou plusieurs handicaps – dernier point, mais non le moindre, les situations de harcèlement.
Le Gouvernement s'est déjà saisi avec justesse de ce problème de la santé mentale des jeunes, avec notamment le dispositif Mon soutien psy. Cependant, au vu de l'ensemble des facteurs de vulnérabilité, il nous faut construire de façon transverse, avec l'ensemble des acteurs, un réel parcours d'accompagnement des jeunes. Nous devons poursuivre nos efforts pour que tous les enfants soient mieux accompagnés en matière de santé mentale, en resserrant la focale sur la prévention à l'école, en lien avec les professionnels de l'éducation nationale comme les infirmiers et les médecins scolaires, mais aussi avec les psys-EN (psychologues de l'éducation nationale) et les assistants sociaux.
En effet, l'école est le point de convergence des facteurs de vulnérabilité que je viens d'énumérer. Il faut donc créer un continuum entre santé scolaire, santé de ville et tout l'écosystème qui entoure le jeune, afin de pouvoir construire un parcours global d'accompagnement des jeunes en souffrance. Afin de décupler le travail déjà effectué par les acteurs de la santé et de l'éducation nationale, par quels moyens pouvons-nous accompagner les jeunes de manière plus transversale, de leurs premiers pas à l'école jusqu'à leur entrée dans la vie d'adulte ?
Vous avez raison : l'une des clés de la prise en charge réside dans le lien entre l'école et la médecine de ville, puisque l'école est le lieu où on peut repérer, parfois très en amont, des enfants qui auraient besoin d'être accompagnés. Je rappelle que l'éducation nationale est un des partenaires du réseau des maisons des adolescents, au même titre que les représentants des personnels de santé institutionnels et libéraux, les services d'action sociale, la protection judiciaire de la jeunesse et les collectivités locales. Elle est donc partie prenante des 125 maisons de l'adolescent actuellement déployées.
Il existe aussi les centres régionaux du psychotraumatisme, plutôt tournés vers les mineurs victimes de violences. Au nombre de quinze, ils ont pris en charge un peu moins de 15 000 enfants en 2023 et s'appuient aussi beaucoup sur le réseau de l'éducation nationale, qui collabore toujours aux dispositifs de prise en charge de la santé mentale. Le 24 mai prochain – je le répète –, les assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant présenteront, s'agissant du volet de la santé mentale, des propositions visant à renforcer encore le lien avec l'éducation nationale, le ministère de l'éducation nationale participant à l'organisation de ces assises.
D'après une nouvelle étude de Santé publique France, le risque de dépression concerne 15 % des élèves de la quatrième à la terminale. On estime d'ailleurs qu'entre 2 et 3 millions de jeunes Français souffrent de troubles de santé mentale. À cet égard, les CMP assurent le suivi des jeunes patients et jouent un rôle central pour la mobilisation et la coordination de tous les acteurs du territoire. Or, les délais d'attente pour obtenir un rendez-vous dans les CMP peuvent atteindre plusieurs mois. Cela s'explique notamment par la difficulté à recruter du personnel médical et paramédical. Les CMP sont dirigés par des psychiatres dont le nombre est en baisse, c'est pourquoi la possibilité de déléguer la prise en charge à des professionnels de santé tels que les psychologues ou les IPA va dans le bon sens. Pour que cette ouverture aux professionnels paramédicaux soit effective, il est indispensable de soutenir ces métiers à travers leur rémunération, en prenant en compte leur exercice en multisites ainsi que l'élargissement du périmètre de leurs tâches.
Un autre enjeu est celui de la prévention. À cet égard, je salue la décision du Premier ministre qui, décrétant l'état d'urgence sur la santé mentale, a annoncé l'élargissement du dispositif Mon soutien psy. D'autre part, dans le cadre du projet territorial de santé mentale des Yvelines auquel je participe, l'accent est mis sur la formation des professionnels et non-professionnels aux premiers secours en santé mentale, ainsi qu'au développement des compétences psychosociales dès l'école primaire. Enfin, les maisons des adolescents représentent aussi des ressources appréciables à développer. Monsieur le ministre, pouvez-vous vous prononcer sur la juste reconnaissance des personnels paramédicaux œuvrant au sein des CMP, ainsi que sur la place réservée à la prévention ?
Les centres médico-psycho-pédagogiques ne suffisent pas – vous avez raison – à répondre à l'ensemble des besoins, même si leurs moyens ont été rétablis : il faut s'appuyer sur d'autres professionnels qui, à côté des psychiatres, peuvent faciliter la prise en charge des jeunes qui en ont besoin. C'est pourquoi, comme vous l'avez rappelé, le nouveau dispositif Mon soutien psy va reposer principalement sur les psychologues qui pourront recevoir, sans adressage préalable par un médecin – notamment par un psychiatre –, les jeunes qui en ont besoin. C'est un signal adressé à la profession des psychologues et qui montre l'importance que nous attachons au rôle qui peut être le leur dans le système de santé.
Nous soutenons aussi la formation des IPA pour faciliter les parcours et diminuer les temps d'attente. Sept régions proposent la formation à la mention psychiatrie et santé mentale, et, depuis 2019, 318 IPA en santé mentale et psychiatrie ont été formés : un IPA sur cinq est donc formé dans le secteur de la santé mentale. Les IPA sont compétents pour évaluer l'état de santé des patients en relais de consultation médicale, pour définir et décliner le projet de soin de chacun d'entre eux, et pour les accompagner en collaboration avec l'ensemble des acteurs concernés.
La France fait face à une hausse inquiétante des pathologies psychiatriques chez les enfants et les adolescents depuis la crise sanitaire. Deux rapports récents de la Cour des comptes et du Conseil de l'enfance et de l'adolescence alertent sur l'insuffisance de l'offre pédopsychiatrique face aux besoins croissants des jeunes : environ 1,6 million d'enfants et d'adolescents souffrent d'un trouble psychique et la prévalence de l'ensemble de ces troubles chez les jeunes est évaluée à 11,2 % sur l'ensemble du territoire ; 13 % des enfants de 6 à 11 ans présentent un trouble probable de la santé mentale.
Selon le rapport annuel de la Défenseure des droits, ces enfants et adolescents doivent attendre un délai de six mois pour consulter un pédopsychiatre : ce chiffre ne surprend pas, car de nombreux spécialistes alertent depuis des années sur la terrible pénurie de pédopsychiatres. L'offre de soins est insuffisante : le nombre de pédopsychiatres a baissé de 34 % entre 2010 et 2022, pour n'être plus que 700 aujourd'hui. Nous sommes donc confrontés à une situation alarmante. Près de dix-sept départements sont entièrement dépourvus de pédopsychiatres : là encore, les raisons de cette pénurie sont les conséquences d'un manque de moyens, précisément ceux que votre gouvernement refuse d'accorder.
Les pédopsychiatres comptent parmi les spécialistes les moins bien payés au sein de la psychiatrie, un secteur déjà considéré comme le parent pauvre de la médecine, un repoussoir pour les jeunes médecins. Il faut aussi souligner le manque d'enseignants dans cette spécialité, ce qui nuit à la vocation. La pédopsychiatrie souffre d'un défaut d'encadrement des étudiants par les enseignants, l'un des plus faibles des spécialités médicales, souligne la Cour des comptes – un enseignant pour dix-sept internes. Après sept ans au pouvoir à ignorer cette question de santé publique majeure, allez-vous enfin prendre des mesures afin de répondre à l'urgence de fournir des pédopsychiatres à nos jeunes pour les accompagner au mieux et éviter ainsi de terribles situations ?
Ni la pédopsychiatrie ni la psychiatrie n'ont été les oubliées des efforts généraux qui ont été réalisés en matière de santé. Globalement, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a augmenté de plus de 60 milliards d'euros entre 2018 et 2024, passant de 191 milliards à 255 milliards.
Je rappelle qu'en matière de santé mentale, le budget de la psychiatrie est passé de 9 milliards d'euros en 2020 à plus de 12 milliards d'euros en 2023, soit une augmentation de 32 % en trois ans. Des moyens sont également investis pour mieux former : on compte, en septembre 2023, 25 % d'élèves de plus en deuxième année de médecine qu'en 2019. Cette augmentation conduira davantage de jeunes médecins vers la psychiatrie, et je l'espère vers la pédopsychiatrie. Enfin, les moyens des établissements – publics ou privés – qui portent la politique de santé mentale ont aussi été renforcés dans des proportions inédites depuis des années, par une réforme de leur financement en 2021.
Nous connaissons donc actuellement un renversement de situation, qui ne peut être que progressif, parce qu'il ne peut en aller autrement en matière d'études de médecine ou de réforme du système de santé. Néanmoins, nous sommes sur la bonne voie pour améliorer la situation. Nous souffrons toujours d'un manque de pédopsychiatres – il faut une quinzaine d'années pour en former un –, mais les dispositifs mis en place – Mon soutien psy notamment – et les moyens alloués aux maisons de l'adolescent doivent permettre de surmonter cette difficulté. Tout ne se résume pas au nombre de pédopsychiatres en France.
En analysant de manière approfondie les données disponibles, il est impossible de ne pas reconnaître l'ampleur de la crise de la santé mentale infantile en France. Environ 20 % des enfants et adolescents français présentent des symptômes de troubles mentaux. Face à cette réalité on ne peut plus grave et alarmante, les infrastructures et les services de pédopsychiatrie demeurent insuffisants et incapables de répondre à une demande croissante : seulement 20 % des enfants ayant besoin de soins psychiatriques en bénéficient réellement, laissant ainsi une grande partie de la population juvénile sans accès adéquat à des services de santé mentale. C'est grave !
C'est d'autant plus grave que le rapport de la Cour des comptes, « La pédopsychiatrie : un accès et une offre de soins à réorganiser », publié en mars 2023, indique que « 35 % des pathologies psychiatriques adultes débuteraient avant 14 ans, 48 % avant 18 ans ». Or, quand la maladie mentale n'est pas prise en charge suffisamment tôt, les troubles s'aggraveront largement à l'âge adulte. L'absence d'investissement crée donc une bombe à retardement.
De plus, les disparités régionales sont flagrantes, avec des zones rurales et périphériques particulièrement sous-dotées en infrastructures et en professionnels qualifiés. Dans mon département, la Dordogne, seulement six lits de pédopsychiatrie pour adolescent sont disponibles. Cette absence de lits en pédopsychiatrie fait que des événements qui ne devraient jamais arriver se produisent, notamment quand des mineurs se retrouvent dans des services pour adultes, ce qui donne lieu à des agressions sexuelles. Je vous demande, monsieur le ministre, d'investir dans des lits de pédopsychiatrie dans mon département de Dordogne, dont le faible nombre de lits – six pour un département entier – ressemble à une vaste blague.
Vous dressez le même constat que votre collègue Matthieu Marchio. Je ne répéterai pas tous les chiffres que j'ai déjà cités et me contenterai de rappeler qu'en trois ans, entre 2020 et 2023, le budget alloué à la psychiatrie a été augmenté de 32 %, atteignant 12 milliards d'euros. Je ne rappellerai pas non plus la réforme du financement des établissements en santé mentale. Tous ces éléments contredisent totalement le propos que vous martelez, selon lequel la psychiatrie serait le parent pauvre, laissé de côté, sous-financé. Il faut comprendre que le problème numéro un du système de santé actuel n'est pas lié au financement, mais au nombre insuffisant de professionnels
M. Yannick Neuder rit
aptes à prendre en charge les patients.
Des lits rouvrent dans beaucoup d'établissements de santé, parce que les perspectives de recrutement s'améliorent : c'est le cas de l'AP-HP à Paris ou du centre hospitalier universitaire (CHU) de Besançon, entre autres établissements. Ajouter des lits de pédopsychiatrie sans avoir un nombre suffisant de professionnels pour en assurer le fonctionnement…
…ne servira pas à grand-chose et ne permettra pas d'améliorer la prise en charge des enfants touchés par des problèmes de santé mentale. Nous sommes en train de former davantage de professionnels, de mieux les accompagner – les améliorations des rémunérations à l'hôpital, depuis le Ségur de la santé, en sont le témoignage. Progressivement, nous remontons une pente de vingt ans de laisser-aller qui, depuis le milieu des années 2000,…
…a fait de l'hôpital et du système de santé, public en particulier, le parent pauvre des politiques publiques. Jamais le budget de la santé en général, et de la pédopsychiatrie en particulier, n'a autant été augmenté que durant ces dernières années.
La détérioration de la santé mentale de nos jeunes concitoyens est une préoccupation croissante depuis la crise du covid. Les étudiants, en particulier, constituent une population à haut risque, en raison du stress accru associé aux exigences académiques et aux pressions sociales. Pour faire face à cette situation, le Gouvernement avait présenté, en mars 2021, le dispositif Santé psy étudiant. Même si ce dernier allait dans le bon sens, il s'est révélé peu efficace : seulement 2 % des étudiants y ont eu recours, alors que plus de 30 % d'entre eux présentent des signes de détresse psychologique. Le Premier ministre a annoncé le renforcement et la simplification d'un autre dispositif – Mon soutien psy –, qui est ouvert à tous, et cumulable avec Santé psy étudiant.
Au 1er juin 2024, Mon soutien psy évoluera, alors que Santé psy étudiant stagnera et continuera de souffrir des mêmes défauts – je n'en citerai que deux. Premièrement, ce dernier dispositif souffre d'un nombre insuffisant de psychologues partenaires : alors que la France compte plus de 84 000 praticiens, Santé psy étudiant ne recense qu'un peu plus de 1 200 praticiens partenaires. Je me suis rendu sur la plateforme Santé psy étudiant, afin de trouver un psychologue partenaire dans ma circonscription, située dans le département de l'Aisne, et qui compte 197 communes : je n'en ai trouvé qu'un seul. Est-ce tolérable ?
Deuxièmement, le chèque psy est limité à huit séances par année universitaire. C'est trop peu pour créer un lien et apporter une réponse à certaines situations. La fin des séances ne devrait pas être déterminée par l'État, mais être plutôt le fruit du dialogue entre le patient et le psychologue. Que comptez-vous faire pour renforcer et simplifier le dispositif Santé psy étudiant ?
Santé psy étudiant est un dispositif à parfaire, mais il a quand même permis de prendre en charge 60 000 étudiants – ce n'est pas rien –, avec l'intervention d'environ un millier de psychologues. Je peux d'ores et déjà vous annoncer que nous travaillons, avec la ministre Sylvie Retailleau, à la fusion des dispositifs, de telle sorte que Mon soutien psy devienne le dispositif de référence pour l'ensemble de la population, y compris les jeunes. L'accès à ce dispositif sera facilité, sans adressage médical préalable, avec une consultation mieux rémunérée et un parcours de prise en charge allongé jusqu'à douze séances. Le dispositif Mon soutien psy est financé par l'assurance maladie, ce qui n'est pas le cas du dispositif Santé psy étudiant ; nous sommes en train d'étudier techniquement comment les fusionner. Cela se fera très rapidement, dans les prochains mois, de façon à ce qu'un seul et même dispositif puisse être offert à la rentrée prochaine.
Ce débat portant sur la santé mentale des jeunes me permet d'appeler votre attention sur la situation des étudiants en médecine. Ils sont confrontés à des exigences tant universitaires que personnelles qui nuisent à leur bien-être psychologique. Ces futurs médecins doivent affronter un volume de travail élevé, avec des responsabilités croissantes, des examens, des horaires éprouvants, donnant lieu à une pression constante qui engendre un stress chronique, de l'anxiété, des troubles dépressifs ou encore des burn-out. Fin 2021, 75 % des étudiants en médecine présentent des symptômes anxieux ; 39 % présentent des syndromes dépressifs ; 19 % ont des idées suicidaires. En conséquence, un étudiant en médecine sur deux envisage de changer de voix, et 64,7 % des étudiants en médecine ne recommandent pas leurs propres études, pour de multiples raisons – situation financière, conditions d'études, déroulement des stages, stress, manque de considération. Ainsi, 42 % de ces étudiants envisagent d'abandonner leur parcours pour des raisons financières.
Comme vous le savez tous, la France traverse une crise de l'offre de soins. Les études de médecine doivent retrouver leur attrait, avec des conditions d'études acceptables financièrement et psychologiquement. Si le nombre d'étudiants en deuxième année de médecine a augmenté ces dernières années, le fait qu'ils soient nombreux à envisager l'arrêt de leurs études pourrait accentuer la désertification médicale, malgré l'instauration du numerus apertus.
Les rapports et enquêtes montrent que la santé mentale de ces étudiants est inquiétante. Il faut la prendre en considération. Il semble important d'améliorer la situation financière des internes, d'écouter leurs troubles en créant des cellules d'accompagnement psychologique, mais aussi de réformer le travail des étudiants à l'hôpital comme à l'université. Que comptez-vous mettre en place pour aider nos étudiants ?
Votre question porte sur la situation des internes. Pour les étudiants en médecine comme pour tous les étudiants de France, quelle que soit leur discipline, les mêmes dispositifs sont ouverts .
M. Matthieu Marchio s'exclame
Bientôt, le dispositif simplifié Mon soutien psy permettra à ceux qui le souhaitent et qui ressentent une fragilité psychologique d'accéder à un accompagnement par un professionnel en santé mentale.
Vous avez raison de souligner que les étudiants en médecine sont soumis à des rythmes éprouvants, et ce durant plusieurs années. J'ai commencé à travailler avec les syndicats représentatifs des étudiants en médecine, et avec l'ensemble des représentants des étudiants des autres filières de santé – même si la pression y est apparemment moins forte, elle demeure élevée pour l'ensemble des étudiants en santé –, de manière à améliorer la qualité des stages, en lien avec les hôpitaux qui les organisent, et ainsi adoucir les rythmes imposés aux internes.
Il n'y a pas de préoccupation majeure à avoir quant à l'accompagnement proposé aux internes, mais la situation exige que nous fassions preuve de vigilance et qu'un travail de fond soit conduit, notamment avec les fédérations hospitalières, afin de mieux encadrer les internes en médecine.
Monsieur le ministre, mes chers collègues macronistes, je vais vous vexer, mais l'une des causes de la détérioration de la santé mentale des jeunes, c'est vous !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
C'est vous qui passez la plupart de votre temps à critiquer les réseaux sociaux et les jeux vidéo, sans jamais faire état de votre responsabilité dans le fait qu'un quart des jeunes sont en dépression et que 7 % des jeunes ont des pensées suicidaires. C'est vous qui avez transformé l'école en Hunger Games géants ; c'est vous qui avez mis en compétition des adolescents de 15 à 18 ans pour savoir quel sera le métier de leur vie ; c'est vous qui avez mis des ados dans des classes de quarante élèves, de huit heures à dix-huit heures, où chaque note compte et où Parcoursup constitue une pression et une angoisse – parce que, oui, tracer la destinée d'un adolescent sur la base de ses trois dernières années de lycée, ce n'est pas bon pour sa santé mentale !
Mêmes mouvements.
Ajoutez à cela le fait que les élèves savent très bien que les inégalités sociales sont déterminantes dans la compétition, et à l'angoisse vous ajoutez l'injustice. C'est vous qui entretenez un système économique dans lequel l'ultramajorité des jeunes sont pauvres ; c'est vous qui avez causé le problème de la précarité étudiante ; c'est vous qui conseillez aux jeunes de traverser la rue pour trouver du boulot, dans un pays où il y a dix fois plus de chômeurs que d'emplois disponibles.
Mêmes mouvements.
Ce sont les jeunes qui sont les premières victimes du chômage de masse, c'est à eux qu'on réserve les bas salaires et les emplois difficiles. Face à cela, que leur proposez-vous ? Un service civique, un contrat d'alternance pour moins qu'un Smic ! Ajoutez à cela le fait que les jeunes savent très bien que les inégalités sociales sont déterminantes pour trouver un emploi, et à l'angoisse vous ajoutez l'injustice.
La question de la confiance en l'avenir est au cœur du problème de la santé mentale des jeunes. Demandez à un jeune comment il voit le monde tel qu'il sera dans cinquante ans : cette question est une source d'angoisse terrifiante. La planète est en train de cramer, et c'est comme si la politique et la télévision n'en avaient rien à faire ! Alors que vingt-cinq multinationales sont, à elles seules, responsables de 70 % des émissions de gaz à effet de serre, vous passez votre temps à faire des cadeaux à ces entreprises et nous n'en débattons jamais dans cet hémicycle, alors que cela devrait nous occuper quotidiennement.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Certes, les réseaux sociaux sont également un sujet d'importance considérable ; mais ces réseaux sont avant tout des entreprises géantes qui font de l'argent avec le temps de cerveau des jeunes.
Deux minutes sont bien peu pour parler de la santé mentale des jeunes, mais voici ma question : quand comprendrez-vous, monsieur le ministre délégué, que le problème vient en grande partie de votre politique et de ses logiques capitalistes ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Je ne sais pas très bien comment prendre votre question
« À la lettre ! » sur les bancs du groupe LFI – NUPES
et y esquisser une réponse en deux minutes : ce que je pourrais vous répondre vous semblerait de toute façon à côté de la plaque et – bien entendu – totalement faux.
Vous avez mélangé beaucoup de choses. Il y a certes ce que provoquent les réseaux sociaux, qui ne sont pas conçus par des États, par cette majorité, par une classe politique arriérée qui ne comprendrait rien à la jeunesse, mais qui utilisent effectivement le temps de cerveau des jeunes – comme vous dites –, et qui, même, le détournent. C'est ce que font TikTok et tous ces programmes conçus par les Gafam, dont on ne peut pas dire que les concepteurs soient français. Mais nous sommes loin de la véritable question, et cette façon que vous avez de dire que tout est dans tout et qu'au bout du compte, c'est de la faute du Gouvernement,…
…n'appelle pas de réponse particulière – je connais l'art du résumé et des a priori sur vos bancs. Je détaille depuis tout à l'heure différents dispositifs qui montrent, au contraire, qu'en termes de budget,…
…nous luttons contre l'éco-anxiété. Nous avons une approche globale, comme on le préconise de nos jours, qui ne se résume pas au traitement médical des pathologies, mais qui prend aussi en compte les conditions de vie, les conditions sociales et environnementales. Cette approche est longue à déployer, mais nous le faisons avec détermination.
Pour en revenir à la santé mentale, tous les dispositifs que j'ai décrits sont des dispositifs de prise en charge et d'accompagnement…
…qui sont bien plus utiles que les grandes incantations et les grands discours, vides de sens et de contenu.
Le seul à être bon, c'est vous ? C'est bien ça ? Soyez un peu respectueux !
Monsieur Boyard, il y a des propos qu'on ne doit pas tenir dans cet hémicycle.
La suite des questions est renvoyée à la prochaine séance.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite des questions sur le thème : « La santé mentale des jeunes » ;
Débat sur le thème : « Les conséquences des bouleversements menés par le Gouvernement en matière éducative. »
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra