Votre question est très intéressante, car elle soulève une des grandes tensions du sujet laïque au sens large. Dans l'administration, ce qui oriente est la laïcité comme principe juridique, qui est d'une application somme toute très claire. Il faut se la réapproprier, puisque se posent des questions que l'on ne se posait plus, et que nous avons collectivement à reposer, face à la résurgence de revendications religieuses dans des espaces où l'on avait perdu l'habitude qu'elles s'expriment.
À côté de cela, il y a ce que j'appellerai la régulation par la norme positive de l'expression religieuse dans des sphères où, jusqu'à présent, il n'y avait d'autre norme que celle, non écrite, du contrat social.
La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi El Khomri, en donne un exemple. Elle a introduit dans le code du travail la possibilité pour l'employeur de réguler, par le truchement du règlement intérieur, l'expression religieuse se faisant au moyen du port de signes distinctifs – au nom de considérations relevant certes de l'hygiène et de la sécurité, mais aussi au nom du lien avec le client ou de la bonne marche de l'entreprise. Cette disposition n'a donc, d'une certaine façon, rien à voir avec la laïcité entendue comme un principe juridique réglant les liens entre les citoyens et l'administration, ou bien avec le fonctionnement de cette dernière.
L'enjeu est donc pour nous, d'une part, d'appliquer et de faire appliquer pleinement la laïcité, dans toute sa force juridique, avec de nouveaux instruments tels que le déféré laïcité. C'est là une question de droit, dans le but de prévenir tout empiètement du religieux sur l'action publique, en conformité parfaite avec l'esprit de la loi de 1905. Mais, d'autre part, il existe d'autres sphères, que le professeur Weil vient d'évoquer et qui, par un contrat social implicite, doivent échapper à des revendications de nature religieuse.