La séance est ouverte.
La séance est ouverte à neuf heures.
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « La place dans la société et dans le droit des familles monoparentales ».
Ce débat a été inscrit à l'ordre du jour à l'initiative du groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES. À la demande de ce dernier, il se tient en salle Lamartine, afin que des personnalités extérieures puissent être auditionnées.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde, en présence de personnalités invitées, d'une durée d'une heure. Puis nous procéderons, après avoir entendu une intervention liminaire du Gouvernement, à une nouvelle séquence de questions-réponses, d'une durée d'une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
Je souhaite la bienvenue à Mme Marine Malberg, chargée de mission auprès de la Fédération des acteurs de la solidarité, à M. Thierry Malbert, professeur des universités et Mme Isabelle Sayn, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), centre Max Weber.
La parole est à Mme Marine Malberg.
Je suis très contente que la Fédération des acteurs de la solidarité ait pu être auditionnée. Cette fédération est un réseau regroupant 900 associations adhérentes qui luttent en faveur des personnes précaires et surtout les accompagnent au niveau national – parmi elles, et à titre d'exemple, vous connaissez sans doute Emmaüs, Groupe SOS ou Aurore –, ainsi que de nombreuses associations locales.
Je commencerai par les constats qui remontent du terrain. Comme vous le savez, nous constatons une importante féminisation de la précarité, qui a fait l'objet de nombreux rapports. Ce phénomène n'est pas le seul qui nous inquiète : il y a également la précarité des familles, en particulier des familles monoparentales, qui sont de plus en plus nombreuses à solliciter les structures d'hébergement d'urgence et à y être accueillies alors que ces dernières sont moins adaptées à l'accueil des familles – des femmes, pour la plupart – et des enfants. Ces familles ont en effet des besoins spécifiques et multiples, liés au cumul des précarités et des violences subies. Je précise que certains parents isolés sont évidemment des hommes, mais j'ai plutôt axé mon propos sur les femmes. Je vous prie de m'en excuser.
Les constats remontés du terrain concernent aussi – je tiens à le souligner – le renoncement et le non-accès aux droits, phénomènes largement répandus qui résultent de la dématérialisation de nombreux services publics. Freinées dans l'exercice de leurs droits, qu'elles ignorent, de nombreuses personnes ne connaissent pas les prestations dont elles peuvent bénéficier, et ne savent pas, par exemple, comment suivre des cours de français.
J'insiste sur la situation des femmes étrangères : elles cumulent plusieurs difficultés à cause de leur statut administratif qui les privent de droits et les empêchent de s'intégrer dans la société, d'accéder à des cours de français et de trouver un emploi.
Nous devons travailler pour résoudre un autre problème : la remontée des données depuis les services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO), qui gèrent les appels du 115. Nous disposons certes de données au sujet des familles, mais nous n'en disposons pas concernant les mères isolées– ou les parents isolés –, ce qui, d'une part, nous empêche de comprendre le phénomène et, d'autre part, invisibilise toujours un peu plus la précarité dans laquelle ces familles se trouvent.
Nous constatons également une sous-estimation de la précarité subie. Réfléchissons aussi à ceci : combien coûte un ou plusieurs enfants à une femme qui, après une séparation, occupe un emploi précaire – pour celles qui en occupent un – et a du mal à répondre à leurs besoins vitaux, notamment en matière d'accès au logement ?
Les mères isolées sont de plus en plus nombreuses : la Fédération nationale des CIDFF – centres d'information sur les droits des femmes et des familles – indique qu'elles représentent aujourd'hui 69 % des publics accueillis dans ce réseau, ce qui est très inquiétant. Les associations de notre fédération qui s'occupent de l'aide alimentaire relèvent également la prédominance des mères isolées. Le coût de l'alimentation est tel que, malheureusement, celles-ci se privent bien souvent de repas pour pouvoir nourrir leurs enfants…
Les modes de garde constituent également des freins. Ils ne sont pas du tout adaptés aux familles précaires, qui ne sont pas considérées comme prioritaires. Je ne pense pas qu'aux modes de garde collectifs, mais aussi aux assistantes maternelles – solution qui pourrait être privilégiée, surtout quand les femmes rencontrent des problèmes liés à la parentalité. Avec une assistante maternelle, on peut développer un lien de confiance et adapter les horaires de garde, sachant que nombre de femmes précaires exercent des métiers précaires avec des horaires atypiques et qu'elles vivent très loin du lieu où elles travaillent. Cela permettrait de s'adapter au temps de la femme, au temps de la mère et au temps de la travailleuse.
Le plan interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027 ne conçoit malheureusement l'accès à l'emploi des femmes que sous l'angle de l'entrepreneuriat féminin, ce qui est assez surprenant car toutes les remontées de terrain des délégués départementaux ou régionaux aux droits des femmes s'accordent à considérer qu'il faut leur permettre d'accéder à un emploi, et donc financer plutôt des structures d'insertion par l'activité économique (SIAE), plus propices à l'élaboration d'un parcours professionnel et, surtout, plus susceptibles de les aider à accéder à leurs droits, à des prestations sociales, à des soins de santé.
Comment peut-on penser l'emploi des femmes les plus éloignées de l'emploi, en particulier dans les territoires ruraux, sans réfléchir à l'insertion par l'activité économique (IAE) ? C'est l'une des grosses carences de ce plan, qui fait abstraction des retours du terrain. France Travail n'a pas non plus suffisamment mesuré la nécessité d'investir. Nous préconisons des mesures dédiées à l'insertion professionnelle.
Je sais qu'il est très frustrant de s'en tenir aux cinq minutes imparties, mais je suis obligée d'appliquer les règles décidées par la conférence des présidents. Vous aurez l'occasion de compléter votre propos liminaire lors de la séquence de questions-réponses.
La parole est à M. Thierry Malbert, professeur des universités.
Je remercie Mme Karine Lebon, députée élue à La Réunion, pour son invitation à ce débat. Enseignant-chercheur au sein de l'université de La Réunion depuis plus de trente ans, j'aborderai l'étude menée par l'Observatoire de la parentalité de La Réunion, qui est le premier du genre parmi tous les départements français.
La Réunion connaît une évolution sans précédent depuis quarante ans. Le département est sorti d'une période de grande misère, avec l'émergence d'une classe moyenne, grâce à la départementalisation. Malgré ces points positifs, la monoparentalité y est bien plus répandue que dans l'Hexagone, puisque le taux de familles monoparentales atteint 36 % sur l'île, contre 25 % dans l'Hexagone. Ce taux est élevé dans tous les territoires ultramarins : 46 % en Guyane, 52 % en Guadeloupe, 59 % en Martinique. Vous comprendrez donc qu'on ne peut aborder la thématique de la monoparentalité sans inclure les problématiques des outre-mer et des espaces ultramarins.
L'étude que nous avons publiée en 2021 sur la famille monoparentale à La Réunion concerne aussi les pays limitrophes, notamment les Seychelles, l'île Maurice, Madagascar ou les Comores. En tant que président de l'Observatoire de la parentalité de l'océan Indien, nous disposons de chiffres probants.
Nos travaux montrent que les mères isolées de La Réunion cumulent les facteurs de risque de pauvreté. Leur faible niveau d'étude et la nécessité de faire garder leurs enfants constituent des freins à leur insertion professionnelle : seul un tiers d'entre elles occupent un emploi.
Notre étude s'articule autour de trois questions : comment la monoparentalité est-elle vécue par le parent solo et ses enfants ? Dans quelle mesure le parent solo est-il entouré et soutenu ? Quel rapport à la monoparentalité entretient-il ?
L'héritage socio-historique de La Réunion, commun aux départements d'outre-mer (DOM) qui sont d'anciennes colonies et sociétés de plantation, se traduit, dans certains cas, par une reproduction du modèle familial : alors que la grand-mère était en situation de monoparentalité, la mère, la ou les filles et les cousines le sont également. Cette matrifocalité qui a été soulignée par d'autres chercheurs s'observe à La Réunion ; il ne faut pas négliger ce terreau-là, dans certaines filiations.
À La Réunion, un parent solo sur trois ne fait pas garder son enfant, le plus souvent à cause de coûts trop élevés ou d'horaires inadaptés. On constate surtout que c'est la famille qui assure la garde des enfants : la mère, la sœur ou la marraine, dont le rôle est très important au sein de la société réunionnaise. Cette solidarité intrafamiliale constitue un marqueur fort, souligné dans l'étude. Bien qu'elle s'effrite avec la modernité, elle persiste. Les personnes interrogées l'expliquent par leur manque de confiance dans les systèmes de garde publics ou privés, l'éloignement géographique et le coût – après tout, la famille, c'est gratuit.
Des propos similaires sont tenus en métropole, mais ils sont là-bas très appuyés. Au bout du compte, seulement 6 % des familles monoparentales réunionnaises déposent leur enfant en crèche et 4 % les font garder par des assistantes maternelles, soit une proportion très faible. En cas de burn-out du parent, c'est encore la famille qui est sollicitée. Les structures des Réseaux d'écoute et d'appui à la parentalité (Réaap) sont très peu fréquentées : seules 5 % des familles monoparentales sollicitent des conseils pour renforcer leurs compétences parentales. C'est très peu.
S'agissant de l'emploi des mamans solos – elles composent 97 % des familles monoparentales à La Réunion, contre 82 % dans l'Hexagone, ce qui marque une véritable différence –, nous observons trois catégories de réaction : certaines de ces mamans solos ne se sentent pas obligées de travailler et se contentent de petits revenus ou de revenus de transfert, mais elles ont choisi leur situation ; d'autres entament un retour vers le marché du travail à la suite de leur entrée dans la monoparentalité, après séparation et divorce, retour qui peut être douloureux ; d'autres, enfin, ne peuvent pas faire autrement que d'arrêter de travailler. Cela engendre bien sûr des frustrations. Il y a un lien entre la monoparentalité et l'obligation de travailler tant du point de vue financier que du point de vue social.
L'image de la monoparentalité est-elle aussi décriée que par le passé ? Souvenez-vous, il y a quelques années, moins de cinquante ans, le droit parlait encore de « fille-mère », d'« enfant naturel ». En 1981, lorsque le terme « monoparentalité » s'est imposé au sein de l'Insee, ces dénominations juridiques ont été balayées, afin que la monoparentalité puisse exister et soit valorisée en tant que telle.
Aujourd'hui, 56 % des personnes interviewées dans le cadre de l'étude – surtout des mamans solos – ont le sentiment que les familles monoparentales sont bien plus valorisées que par le passé : les enfants de ces familles ne sont pas tous pauvres, ils ne deviennent pas tous des voyous ou des délinquants ! Les revenus de transfert aident, évidemment, mais ces progrès dans la perception de la monoparentalité sont aussi liés à la dynamique suscitée par cette condition : les mères n'ont pas choisi, pour beaucoup, d'y entrer, après séparation et divorce – situations qui, par rapport au veuvage, sont les plus nombreuses – mais leur résilience leur permet de s'en sortir et de rebondir. Les clés sont l'organisation et l'anticipation : certaines y arrivent très bien ! On les appelle les « femmes courage » à La Réunion : des femmes libres, égales aux hommes ou plus fortes qu'eux, et indépendantes.
Pour terminer, je dirai d'abord que certains besoins ne sont pas satisfaits, qu'il s'agisse de besoins financiers ou de ceux qui relèvent de la solidarité sociale ou éducative. Je constate ensuite que les mères solos réagissent différemment des pères solos – ces derniers sont beaucoup moins en lien avec leur famille qu'avec leurs amis ou leur milieu professionnel. Les mamans solos portent un regard sur elle-même et nous disent ressentir de la fierté d'y arriver seules, avec pour priorités l'éducation et le bien-être en famille – ce qui suppose de s'écarter de sa vie professionnelle. Il y a une grande volonté de s'en sortir.
On constate également des remises en couple très douloureuses : recomposer un lien conjugal en faisant entrer un conjoint – un beau-père, une belle-mère – n'est pas simple une fois qu'on s'est installé dans la monoparentalité et dans une forme de fusion – les parents solos privilégient d'ailleurs utilement le lien fusionnel qu'ils entretiennent avec leurs enfants.
Enfin, il faut aussi le dire, il existe une forme d'attractivité pour la monoparentalité à La Réunion, de la part de certaines jeunes femmes peu diplômées, qui y voient un statut valorisé.
La parole est à Mme Isabelle Sayn, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), centre Max Weber.
Je m'exprime en tant que chercheure – j'ai participé à la rédaction d'un « état des savoirs » sur les familles monoparentales demandé par la caisse d'allocations familiales (CAF) –, et aussi en tant que juriste.
J'aborderai deux points : le premier concerne l'opportunité de se doter d'une définition ou d'un statut de la famille monoparentale ; le second aborde la nécessité d'une politique de soutien à ces familles qui aille au-delà des politiques sociales, en se plaçant sur les terrains de l'égalité des genres et du droit civil.
Tout d'abord, faut-il se doter d'une définition ou d'un statut des familles monoparentales ? C'est un débat en cours. Le droit ne donne aucune définition de la famille, qu'elle soit monoparentale ou non. Il se contente d'organiser des liens interpersonnels entre les membres d'un groupe ou entre parents et enfants. Le droit établit ces liens, lorsqu'un statut est créé, ou les protège grâce à la règle de la protection de la vie privée et familiale.
L'expression « famille monoparentale », qui remonte aux années 1970, est avant tout statistique ou sociologique. Ce terme pose problème, car il renvoie à des situations très différentes, s'agissant notamment de l'existence, du rôle ou de l'implication de l'autre parent. Il semble exclure a priori la présence d'un autre parent, quel que soit son investissement dans l'éducation de l'enfant. D'autres termes existent, comme ceux de foyer monoparental, qui n'exclut pas d'emblée l'autre parent. Quant aux familles unilinéaires, dans lesquelles un seul lien de filiation est établi – sans lien de filiation paternelle –, elles sont souvent intégrées dans les familles monoparentales. Cette dernière situation existe mais elle n'est pas la plus fréquente.
Une explication à l'utilisation de l'expression « famille monoparentale » se trouve peut-être dans l'opposition initiale, dans les années 1970, entre la famille considérée à cette époque comme normale – un couple marié et des enfants – et les familles monoparentales. Donner un statut à celles-ci serait une façon de consolider cette opposition, qui semble désormais dépassée compte tenu de la fluidité des organisations familiales.
Utiliser une définition statistique, à des fins de dénombrement, ou sociologique, pour mener des analyses scientifiques, ne suppose pas pour autant la production d'une définition juridique. L'absence d'une telle définition ne s'oppose pas à l'instauration d'un soutien aux familles monoparentales, sous réserve de la question des preuves de l'isolement et de la monoparentalité, qui peut être complexe dans le monde de la protection sociale.
Je veux évoquer ensuite l'extension de la politique de soutien aux familles monoparentales au-delà des seules politiques sociales et au-delà des seules familles monoparentales. Les politiques sociales généralistes portent sur les questions de l'emploi, du salaire, des travailleurs pauvres. La création d'un service public de la petite enfance qui soit économiquement accessible et de qualité suffisante – en particulier s'agissant des amplitudes horaires – est un enjeu central pour l'accès à l'emploi des chefs de familles monoparentales.
En matière d'inégalités de genre, 82 % des familles monoparentales sont constituées de mères et de leurs enfants. Ce constat renvoie au type d'activités exercées par les mères et aux montants des salaires qui en découlent : elles relèvent souvent du domaine du care et sont sous-payées. De plus, l'investissement des femmes dans la sphère domestique a des conséquences sur leur emploi, notamment des sorties, en tout ou en partie, du marché du travail.
Parallèlement aux politiques sociales et aux politiques relatives aux inégalités de genre, il existe des enjeux en matière de droit civil, qui organise les relations familiales. Compte tenu de la position spécifique des femmes dans la prise en charge des enfants et dans l'activité domestique en général, le droit civil s'attache à organiser les conséquences de la séparation et de l'isolement d'un parent.
Plusieurs dispositifs, qui ne relèvent pas nécessairement des politiques sociales, méritent d'être discutés. Je pense en particulier aux frontières de la prestation compensatoire et, plus globalement, aux dispositifs relevant du droit civil et organisant les conséquences économiques de la séparation. Ces dispositifs et ces règles protectrices concernent aujourd'hui uniquement les époux qui divorcent, alors que désormais, au moins la moitié des familles n'ont pas recours au mariage, mais au pacte civil de solidarité (Pacs) ou à l'union libre.
Les contours de l'obligation alimentaire représentent également un enjeu. Le montant moyen des pensions alimentaires pourrait être augmenté, d'autant qu'il existe désormais un barème sur lequel s'appuyer pour ce faire. Toutefois, d'autres problèmes se posent : les parents isolés ont l'obligation d'agir en établissement de la dette. Ils sont alors en position de demandeur, assumant la charge administrative et judiciaire de demander et d'obtenir cette pension alimentaire. Une telle logique pourrait être inversée. Le statut socio-fiscal de la pension alimentaire pose également problème : puisque celle-ci est traitée comme un revenu imposable, son versement effectif aboutit parfois à la baisse des revenus globaux de la famille monoparentale.
Un troisième aspect relatif au droit civil tient à la liberté qu'il garantit de ne pas établir de filiation paternelle, ce qui a pour conséquence l'absence de contribution alimentaire du géniteur qui n'est pas identifié comme un père.
Cette approche renvoie à la question du partage entre solidarité collective et solidarité privée. Qui doit assumer les inégalités de genre ? Elle renvoie également aux limites de la solidarité privée, déterminées par les capacités contributives du débiteur. À quel moment la protection sociale doit-elle prendre la suite ?
Nous en venons maintenant aux questions des députés. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes. Les intervenants étant au nombre de trois, j'invite les députés à préciser auquel d'entre eux s'adressent leurs questions.
La parole est à Mme Karine Lebon, qui est à l'initiative de ce débat.
Au XVI
Fort heureusement, elles n'encourent plus la peine de mort aujourd'hui, mais les discriminations qu'elles subissent demeurent. La famille monoparentale, bien qu'appréhendée par le droit social et fiscal sous différents angles, parfois sous la dénomination de « parent isolé », ne renvoie à aucune catégorie juridique. Notre société ne prend en considération que le statut monétaire des familles, en ignorant leurs besoins spécifiques, tels que l'absence de statut, les problèmes d'accès au droit, à l'emploi et au logement.
En 1990, la France comptait 12 % de familles monoparentales ; trente ans plus tard, ce pourcentage a doublé. Ce modèle est particulièrement présent dans les outre-mer. Si les chiffres ont augmenté, il semble que les mentalités aient peu évolué, malheureusement.
En France, 82 % des familles monoparentales ont à leur tête une femme ; à La Réunion, ce sont 97 % d'entre elles. Nombreuses sont les mamans solos à décrire des comportements négatifs liés à leur situation parentale, qui proviennent de leur famille, de leur entourage professionnel et de la société dans son ensemble. En général, un père célibataire bénéficie d'une image positive : il est vu comme courageux et responsable, alors qu'une mère célibataire est souvent perçue comme frivole et défaillante. Les pères seuls, bien que minoritaires, doivent être pris en considération, mais dans l'ensemble, leur situation est moins défavorable que celle des mères seules. La monoparentalité est trop souvent perçue comme un problème de femmes, alors que c'est un fait de société.
En juillet 2022, mon collègue Pierre Dharréville a déposé une proposition de loi visant à lutter contre la précarité des familles monoparentales. Le 7 mars, une mission temporaire a été confiée par le Gouvernement à des parlementaires sur « le soutien aux familles monoparentales ». Parallèlement, une proposition de loi transpartisane est en cours de rédaction.
Selon vous, quels sont les points de blocage à la reconnaissance des familles monoparentales dans le droit ? La représentation négative de la famille monoparentale dans notre société constitue-t-elle un frein à une évolution législative et juridique ?
Je vous remercie pour ces propos, tant la reconnaissance et la valorisation sont importantes. En sciences sociales, ce sont deux termes majeurs pour traiter du développement de l'humain dans sa société, quel qu'il soit et quels que soient ses attributs, ses conditions, ses statuts et les statuts de ses ancêtres.
Dans notre étude, la première sur la monoparentalité à La Réunion, 56 % des répondants indiquent se sentir un peu plus valorisés que par le passé. Bien que ce chiffre soit plutôt encourageant, il pointe certains problèmes, confirmés dans les entretiens qualitatifs qui font ressortir beaucoup de frustrations, de jugements et de souffrances. Les jugements sont particulièrement ressentis par les mamans solos d'enfants ayant des pères différents ; des propos très forts en témoignent.
« Valoriser » et « reconnaître » sont donc les maîtres mots, mais de quelle manière procéder ? Il est clair que des positions fortes doivent être prises, tant en matière juridique qu'en matière de solidarité collective. Dans notre étude, nous avons posé une question précise à ce sujet : « Est-ce que la monoparentalité est pour vous un échec, une réussite ou ni l'un ni l'autre ? » La troisième réponse a été largement majoritaire, à 80 %. Les choses sont en train de changer et j'ai bon espoir que la reconnaissance et la valorisation s'améliorent.
Pour que les institutions se saisissent du problème, il est important que la maman solo ne soit pas considérée uniquement comme la maman qui se sacrifie pour ses enfants ; elle doit avoir du temps pour elle, pour s'épanouir et reconstruire sa vie. En effet, bien souvent, entre le temps de travail, de non-travail et la vie de famille, le manque de temps libre pousse les mères célibataires à se sacrifier au profit de la réussite sociale de leurs enfants. Nous devons porter notre attention sur ce point.
Je remercie les intervenants pour leurs prises de parole. Je voudrais aborder un sujet qui se situe au croisement de plusieurs situations. Lorsqu'une famille a un enfant handicapé, le taux de divorce atteint 85 % et ce sont bien souvent les mères qui ont la charge de cet enfant, seules, pour la plupart d'entre elles. Les difficultés et le coût relatifs au handicap viennent alors s'ajouter à leur situation de famille monoparentale, d'autant que le handicap n'est pas suffisamment pris en charge.
De telles situations posent également la question du rôle d'aidant que doivent assumer les familles monoparentales, dans un contexte de manque d'appui et de considération financière. De nombreuses mères se retrouvent enfermées dans cette situation. Avez-vous des éléments de réponse, voire des préconisations, issus de vos différents travaux ?
Je n'ai pas travaillé spécifiquement sur ces enjeux, mais la prise en charge d'enfants handicapés augmente le coût et le poids de la monoparentalité. La question porte-t-elle spécifiquement sur les familles monoparentales ou s'agit-il d'améliorer la prise en charge des enfants handicapés, l'aide aux aidants ou le soutien à la parentalité ?
Permettez-moi d'évoquer un exemple, bien qu'il ne réponde pas exactement à votre question. Après les émeutes urbaines de l'été dernier, il a beaucoup été question des familles monoparentales, comme si elles ne savaient pas « tenir » leurs enfants, qui se retrouvaient dans la rue. Les premières recherches sur les personnes ayant pris part à ces émeutes, qui commencent à être publiées, montrent qu'il n'y a pas de surreprésentation des enfants de familles monoparentales.
L'image des mères célibataires est donc un enjeu : elles doivent à la fois assumer un travail maternel – considéré comme normal, donc négligeable –, alors qu'elles sont laissées seules face à leurs difficultés, a fortiori si elles ont un enfant handicapé.
Les publics que nous accueillons sont constitués de femmes en situation de grande précarité, bénéficiaires des minima sociaux – qui devraient être revalorisés. Je vous remercie d'évoquer les différentes origines des situations de monoparentalité, qui sont rarement traitées dans la réflexion sur le statut. Qu'est-ce qui amène à devenir parent solo ? Les violences conjugales, pour la majorité des femmes accueillies dans les centres d'hébergement d'urgence spécialisés – mais aussi dans les centres généralistes ; le handicap et la maladie ; la santé mentale de ces femmes, qui est la grande oubliée des politiques publiques.
Nous venons de publier un plaidoyer sur la santé des femmes précaires. Les parents solos sont concernés par des problèmes de santé mentale, puisqu'ils assument de multiples charges : la parentalité, le travail et la précarité, sans avoir de temps pour eux. Malheureusement, on constate une prédominance des difficultés liées à la santé mentale – majoritairement des femmes – et à l'absence de solution d'accès à des soignants formés. La présence d'un enfant handicapé soulève différentes questions pour les parents solos : le soutien dans l'accompagnement de leur enfant ; la violence qui peut résulter de certains handicaps, notamment l'autisme ; le logement.
Lorsqu'un parent isolé vit dans un logement précaire – un hébergement d'urgence ou un studio, par exemple –, il est encore plus compliqué de dégager du temps pour soi, pour se poser dix minutes dans une autre pièce et souffler ; il n'a pas cette possibilité. Le lieu de vie des mères en situation de grande précarité doit être adapté.
Pour finir, je rappellerai que la construction de logements sociaux est un enjeu. Les familles monoparentales sont surreprésentées parmi les occupants de logements sociaux, mais ce constat doit être nuancé au regard des besoins et du nombre de demandeurs et demandeuses. En tous les cas, je pourrai formuler de nombreuses recommandations et nous avons identifié tous les points bloquants.
Depuis quelque temps, nous traitons de nombreux sujets relatifs aux familles monoparentales : si abondance de biens ne nuit pas, nous devons toutefois prendre garde à ne pas nous disperser au point de n'apporter aucune réponse à la situation en question.
Je salue par ailleurs l'accent mis sur la question des familles monoparentales dans les outre-mer. Je pense à la Guadeloupe où est élu notre collègue Olivier Serva, présent ce matin. Le sujet s'y impose encore plus fortement que dans l'Hexagone, alors que, sur place, on cumule un certain nombre d'autres handicaps.
Compte tenu de votre expérience et de votre expertise, quelle serait la mesure que vous préconiseriez s'il s'agissait d'apporter aussi rapidement que possible une première réponse aux problèmes évoqués ?
Disposez-vous de données de suivi psychologique ? Lors des auditions menées en commission, j'ai notamment été impressionné par le fait que certains enfants vivent des situations assez complexes au sein de familles monoparentales. A-t-on recueilli des observations scientifiques sur le suivi psychologique des mamans et des enfants concernés ?
S'il fallait choisir entre les mesures les plus urgentes ou les plus importantes, je donnerai la priorité à la garde des enfants ,
M. Thierry Malbert acquiesce
c'est-à-dire aux structures d'accueil qui permettent aux chefs de familles monoparentales, à ces femmes, de rester dans le marché du travail contre un prix compatible avec leurs ressources.
Je travaillerais également sur le paiement des pensions alimentaires par l'autre parent.
Mêmes mouvements.
À ce sujet, un système d'intermédiation a été mis en place par les caisses d'allocations familiales, en vertu duquel les CAF s'occupent de l'exécution du versement de la pension, pourvu toutefois que ladite pension ait été fixée par décision exécutoire d'un juge. À cette étape, des renoncements ont lieu, car au moment de la séparation, la garde des enfants est négociée contre l'exonération du versement de la pension alimentaire. Ils sont d'autant plus fréquents que nous assistons actuellement à une privatisation de la séparation : si les couples ont été mariés, leurs divorces par consentement mutuel ne sont plus prononcés par un juge, mais s'ils ne l'ont pas été – ce qui est de plus en plus courant –, leurs séparations ne sont plus jugées et la négociation de leurs modalités devient purement privée, c'est-à-dire soumise au rapport de force existant au sein du couple. Ainsi il est possible qu'aucune pension alimentaire ne soit fixée.
La CAF de La Réunion a dernièrement renforcé ses liens avec l'agence de recouvrement et d'intermédiation des pensions alimentaires (Aripa) et travaille de concert avec l'Observatoire de la parentalité de La Réunion et des chercheurs. Elle a donc joué le jeu du transfert des pensions alimentaires qui n'étaient pas payées aux mamans solos et a fourni, en un an et demi, d'importants efforts dans ce domaine.
Je rejoins ma collègue pour préciser que des mesures complémentaires pourraient utilement être décidées, surtout quand on sait que les pensions alimentaires sont imposables – ça peut être un plus pour un moins. Le législateur pourrait améliorer cet état de fait.
Ma question s'adresse à M. Malbert. Vous le savez, nous disposons aujourd'hui de nombreux rapports, études et regards sociologiques, chacun d'entre vous ayant évoqué dans son propos cette littérature scientifique qui devient heureusement riche.
Avec le sénateur Xavier Iacovelli, j'ai été chargée par le Gouvernement d'une mission sur le soutien aux familles monoparentales, devant s'intéresser à cinq aspects de la question. Nous commençons tout juste nos travaux, mais avons déjà décidé de les faire également porter sur les familles monoparentales comptant un ou plusieurs enfants en situation de handicap, sur les familles monoparentales dont le parent est une maman entrepreneur, sur les familles monoparentales et la ruralité, ainsi que sur les familles monoparentales d'outre-mer. À ce dernier sujet, un assez récent rapport du Sénat fournit un certain nombre d'éléments ; j'aimerais toutefois savoir quelles sont, selon vous, les trois principales préconisations que vous formuleriez pour ces territoires.
Nous comprenons en effet que les disparités sont nombreuses et, dans le cadre de notre mission, nous auditionnerons beaucoup de personnes – dont certaines m'ont été signalées par des collègues –, mais j'aimerais profiter de votre expérience, en vous invitant à nous recommander les trois dispositifs dont l'impact serait le plus grand. Si vous ne pouviez pas nous présenter aujourd'hui toutes vos réponses, je ne doute pas que vous le feriez à l'occasion de prochains échanges.
Je ne tiens pas de réponse toute prête à votre disposition, mais notre présence a justement pour objectif d'y réfléchir. Il est évident que les territoires d'outre-mer, où le nombre de familles monoparentales explose depuis dix ou quinze ans, présentent des spécificités. On constate un processus de matrifocalité forte, lié au passé d'une société esclavagiste et à l'ancienne économie de plantation de ces territoires, héritages auxquels se superpose la modernité des outre-mer.
Outre-mer, les parents isolés se tournent rarement vers le réseau de soutien aux compétences parentales. Dès lors se posent plusieurs questions : comment travailler sur le vécu de ces parents et le conforter ? Comment parentaliser ? Comment déstigmatiser la monoparentalité de mères qui, plus souvent qu'en métropole, ont été des jeunes filles aux grossesses précoces entrant dans la maternalité par une situation individuelle ? Il importe donc de dépasser le stigmate, pour conforter et accompagner les mamans solos.
Pour celles qui travaillent, nous préconisons, en outre-mer comme dans l'Hexagone, l'adaptabilité à la fonction au travail : il faut tenir compte du « travailleur-parent », si j'ose dire. Les travailleurs du secteur privé et du secteur public sont parfois parents, mais la fonction parentale ne prime pas sur la fonction laborieuse. Or l'adaptation des horaires de travail et la création de crèches seraient utiles : de telles mesures, déjà applicables aux PME – petites et moyennes entreprises – et aux PMI – petites et moyennes industries –, pourraient être étendues aux microsociétés, fréquentes dans les territoires d'outre-mer. Il s'agit en tout cas de mieux penser le travailleur-parent ou le parent-travailleur, de ne pas négliger cette double composante, quelle que soit la manière dont elle est articulée.
S'agissant toujours de l'outre-mer, nous ne sommes pas là pour formuler des injonctions face à des évolutions sociétales – pour dire « stop, il ne faut plus de monoparentalité » –, mais pour envisager son accompagnement, en tenant par exemple compte des difficultés que suppose le handicap. Selon moi, l'enjeu est la confiance : comment faire en sorte que les mamans solos et les papas solos, qui sont de plus en plus nombreux du fait de la généralisation de la garde alternée, s'épanouissent, jouissent d'une liberté d'accompagner leurs enfants, d'une liberté familiale et d'une liberté individuelle et retrouvent un cadre ?
On trouve aussi dans les espaces ultramarins beaucoup de violences intrafamiliales, il faut le reconnaître. Or les mamans solos, surtout lorsqu'elles sont jeunes, affirment préférer poursuivre leur vie seules que mal accompagnées, pour se protéger de ce type de violences.
Ainsi, les différentes dimensions de la monoparentalité sont liées et nous devons toutes les accompagner, les prendre globalement en compte, afin qu'il y ait davantage d'êtres épanouis.
Ma question portera sur l'application des lois. Le dispositif législatif s'est enrichi, mais nous comprenons sur le terrain que les solutions ne sont pas appliquées. D'après la loi, les auteurs de violences conjugales doivent être éloignés, mais vous l'avez relevé à juste titre, ce sont le plus souvent des femmes qui sont accueillies en hébergement d'urgence, avec leurs enfants. J'en parlais encore la semaine dernière avec les services préfectoraux de l'Aisne, le département rural de ma circonscription, et ceux-ci m'expliquaient que l'application de la loi variait d'un tribunal à l'autre : si quelques hommes violents sont bien éloignés de leur foyer, la loi n'est pas correctement appliquée dans la majorité des cas.
Dès lors, devons-nous voter de nouvelles dispositions légales ? Vous avez évoqué les pensions alimentaires, mais je rappelle que nous avons adopté leur défiscalisation en 2023, à l'occasion de la journée d'initiative parlementaire du groupe Démocrate. Cette mesure, dont le parcours législatif n'est pas encore achevé, n'est donc pas appliquée sur le terrain.
Compte tenu du nombre de mesures déjà adoptées par le Parlement, je me demande s'il ne vaudrait pas mieux exercer une certaine pression sur le pouvoir exécutif, afin que les lois soient appliquées.
Il faut surtout mettre en place des moyens, notamment financiers, pour venir en aide aux femmes victimes de violences et les protéger. Les dispositions juridiques existent, mais il est nécessaire de former les juges : nous constatons en effet des décisions aberrantes d'une juridiction à une autre.
Les droits des femmes victimes de violence doivent être reconnus, pour qu'une protection soit apportée à ces femmes. L'éloignement du conjoint violent n'est pas une solution parfaite : combien de femmes ont été tuées dernièrement par un homme violent qui en avait été auparavant éloigné ? Les conditions de mise en sécurité des victimes doivent être améliorées. En plus des moyens existants, comme le bracelet antirapprochement, des moyens policiers doivent être engagés. En outre, les femmes doivent être accompagnées, tandis que de nombreuses associations plaident pour que les conjoints violents soient éloignés vers d'autres départements, comme c'est souvent le cas en Île-de-France.
Alors qu'il a été annoncé que le budget du ministère chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations serait réduit de 7 millions d'euros et sachant que de nombreuses associations spécialisées estiment à 1 milliard voire 2 milliards d'euros les sommes nécessaires à la lutte contre les violences faites aux femmes, la question des moyens se pose.
Les dispositifs juridiques ont en effet beaucoup évolué ces dernières années et sont désormais assez complets. Se pose donc la question de leur application et des moyens consacrés, mais également de la formation des professionnels, qui prend du temps. Le temps nécessaire à la transformation des cultures professionnelles doit également être pris en compte : chacun le sait ici, il ne suffit pas de voter une loi pour changer une société.
Vos interventions, les données que vous présentez et votre expertise résonnent avec les témoignages des mères isolées, qu'elles soient organisées en collectifs, en syndicats ou selon d'autres modalités. Elles confirment les éléments que le groupe de travail transpartisan dont je fais partie a recueillis.
Vous avez évoqué l'inadaptation de la fiscalité à l'évolution des modèles familiaux, puis des difficultés spécifiques d'accès au droit et d'insertion professionnelles, qui nous invite à réfléchir à la manière dont nous pouvons faire évoluer le droit pour prendre en compte ces spécificités. Des droits spécifiques, adossés au statut de parent isolé, pourraient être envisagés pour octroyer une priorité d'accès au logement ou aux solutions de garde d'enfant.
J'aimerais vous entendre au sujet des politiques globales menées ces dernières années et de leur impact sur les mères isolées. Vous avez évoqué la précarisation, les problèmes d'accès au logement, à l'alimentation et à la santé, ainsi que l'exposition aux violences. Madame Sayn, vous avez posé la question du partage entre la solidarité publique et la solidarité privée. Dans ce contexte, pourriez-vous analyser le coût pour les mères isolées des dernières réformes comme celle du code du travail, de la protection sociale, ou du logement social ? Pour ma part, j'appelle cela une entreprise de casse de nos services publics et de notre système de protection sociale. Quel est le coût spécifique de ces réformes pour les mères isolées ? Et puis, quelle est la crédibilité de dispositifs destinés à aider les mères isolées, par ailleurs confrontées à un océan de mesures dont elles sont potentiellement les premières victimes ?
Je serai brève car je n'ai peut-être pas le recul suffisant pour vous répondre. Votre question renvoie au message que j'ai essayé de faire passer tout à l'heure. Faut-il instaurer des aides dédiées aux familles monoparentales, ou plutôt des aides globales, qui porteraient par exemple sur les salaires des travailleurs pauvres, le travail précaire, la rémunération des activités du soin – le care –, presque exclusivement assurées par des femmes, ou la garde d'enfant ? Dans ce dernier domaine, les réformes ont entraîné une baisse des aides à la garde d'enfant qui touche certes toute la population, mais qui a des conséquences plus graves pour les familles monoparentales : leurs ressources étant moindres, elles ont plus de mal à faire face aux difficultés.
Ces dernières années, plutôt que de verser une aide globale, on a multiplié les aides ciblées en faveur des personnes les plus en difficulté, par exemple les familles monoparentales, car ces aides permettent de réaliser des économies budgétaires. Ce ciblage a conduit à une complexité accrue des dispositifs de protection sociale. Il faut associer cette question à celle de l'accès aux droits et au non-recours aux aides.
Tout d'abord, je remercie ma collègue Karine Lebon, qui est à l'initiative de ce débat ô combien important, et je vous remercie de votre participation.
Ce débat s'inscrit plutôt dans un contexte favorable puisque plusieurs initiatives ont émergé pour répondre aux besoins des familles monoparentales. De nombreux députés appartenant à différentes familles politiques travaillent sur ce sujet, dont mon collègue Pierre Dharréville. Il a été à l'initiative d'une proposition de loi visant à lutter contre la précarité des familles monoparentales.
Je souhaite revenir sur la situation des familles monoparentales qui ont un enfant handicapé. Il s'agit majoritairement de mères qui n'ont pas d'emploi et ne peuvent pas travailler car elles doivent s'occuper de leur enfant, en raison de la défaillance du système éducatif. En effet, il y a un manque criant d'AESH – accompagnants d'élèves en situation de handicap – et d'IME – instituts médico-éducatifs. Cette situation est inacceptable ; nous devons leur apporter un soutien spécifique.
Par ailleurs, un problème de taille se pose dans les outre-mer : le motif de l'éloignement géographique ne peut pas être invoqué en cas de séparation, car lorsque les femmes quittent le territoire, elles sont accusées d'enlèvement d'enfant et perdent la garde, même lorsqu'elles sont victimes de violences familiales. Pourriez-vous développer ce point ?
Enfin, je souhaite parler des femmes étrangères accueillies sur le territoire, qui se retrouvent seules avec des enfants. Elles ont souvent subi des violences et sont complètement démunies, car elles n'ont pas accès aux droits. Avez-vous travaillé sur la question de l'autonomie des femmes étrangères ?
D'après l'étude que nous avons réalisée sur la monoparentalité à La Réunion, les principales difficultés que rencontrent les familles sont les problèmes financiers, puis l'éducation des enfants pour 40 % des personnes interrogées et, enfin, la gestion de l'activité professionnelle.
S'agissant des familles dont un enfant est porteur de handicap, je préconise de faciliter l'accès aux réseaux d'écoute et d'appui à la parentalité, de créer davantage de groupes de parole, auxquels participeraient des professionnels, afin que ces personnes puissent évoquer leurs difficultés et rencontrer d'autres parents confrontés aux mêmes problèmes. En effet, échanger des conseils entre pairs est très important. On le constate dans le cadre du dispositif d'aide aux vacances des familles, appliqué par la CAF – caisse d'allocations familiales – de La Réunion, qui permet d'accueillir dans un village de vacances de la côte ouest des familles avec leur enfant handicapé.
Avec les étudiants en master d'anthropologie, nous avons étudié ces problèmes. Les parents reconnaissent qu'il était temps que des réunions avec d'autres parents soient organisées, pour réfléchir, se soutenir, échanger des bons conseils, notamment sur l'éducation, ou une bonne lecture. Ces dispositifs doivent être multipliés dans tout le territoire. Dans les familles monoparentales, la question de l'éducation familiale est centrale. Bien souvent, à l'adolescence, l'enfant change. Une personne qui élève seule un enfant rencontre les mêmes problèmes, qu'elle soit un homme ou une femme. Alors que les familles élargies peuvent recourir à des médiateurs intrafamiliaux – grand-père, tante, oncle, marraine, parrain, etc. –, au sein des familles monoparentales, les personnes sont vraiment seules.
Ainsi, il est très important de renforcer les réseaux d'écoute et d'appui à la parentalité, en lien avec les spécificités des familles monoparentales, et de mettre les moyens pour que ces réseaux soient proactifs et que les populations les rejoignent. Comme elles sont stigmatisées, elles ne le font pas. Le même problème se pose avec les adultes illettrés à La Réunion. Comment briser la glace et faire en sorte que les personnes soient à l'aise ? Si elles ne rejoignent pas les réseaux, il faut aller vers elles. Le fameux aller vers doit donc être renforcé.
Il faut miser sur les savoirs issus de l'expérience. Au sein de la Fédération des acteurs de la solidarité, nous animons des conseils régionaux avec les personnes concernées, afin d'échanger les bonnes combines relatives à l'aide alimentaire, ou de recommander tel médecin à l'écoute ou tel autre qui proposerait de bonnes orientations vers d'autres praticiens. Cela leur permet de sortir de l'isolement. Il est également nécessaire de financer les dispositifs d'aller vers.
Nous sommes fortement mobilisés par l'importante question des femmes étrangères. Les publics qui migrent en France sont majoritairement des femmes, qui ont toutes subi des violences – traite d'êtres humains, prostitution, viols – durant leur parcours migratoire. De nombreux adhérents ont créé des dispositifs d'accompagnement, notamment pour les enfants issus de viols liés à la traite ou à la prostitution. Ces femmes sont exclues car leur statut administratif est précaire. Elles n'ont donc pas accès aux prestations, leurs conditions d'hébergement sont catastrophiques, et elles vivent dans une grande insécurité. Souvent, elles reproduisent les violences subies, car elles en ont été victimes en permanence.
Les moyens alloués aux besoins spécifiques des femmes étrangères sont insuffisants. Je reviens sur un point important : la coupe budgétaire dans les subventions versées aux associations les met en difficulté pour répondre aux besoins grandissants de ces femmes et assurer leurs missions.
Pour améliorer l'accompagnement des femmes étrangères et mieux répondre à leurs besoins, il faut investir dans le travail social. Or notre secteur traverse une crise : il manque trois professionnels sur dix. Il est en crise car, étant féminisé, son personnel est mal rémunéré et mal considéré – j'ai d'ailleurs organisé une table ronde à ce sujet, il y a deux semaines –, à l'instar du secteur médico-social.
Le cœur du problème est que des précaires accompagnent des précaires. Accompagner des femmes étrangères, parfois avec enfants, pose plusieurs problèmes. Lorsqu'on les héberge à leur arrivée en France, on les place dans une situation d'isolement, car on les sépare leur conjoint – on ne peut pas héberger toute la famille. Il arrive qu'on les éloigne des lieux de vie qu'elles ont connus, par exemple, les fameux sas. Elles n'ont pas l'habitude de s'organiser ni d'identifier des interlocuteurs dans un nouveau territoire, alors que cela leur permettrait de lutter contre l'isolement, de connaître les bonnes combines – les points d'aide alimentaire… –, d'être aidées par des personnes qui traduisent leur langue pour accomplir des démarches administratives et accéder à certains droits, afin d'obtenir un statut administratif moins précaire.
Je vous remercie, mesdames et monsieur, pour votre participation à nos travaux.
Suspension et reprise de la séance
Avant de passer à la seconde phase de notre débat, je vais suspendre brièvement la séance.
La séance, suspendue à neuf heures cinquante-cinq, est reprise à dix heures cinq.
La séance est reprise.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles.
Je remercie le groupe GDR d'avoir inscrit à l'ordre du jour de cette semaine de contrôle un débat sur les familles monoparentales : ce sujet crucial est au cœur de l'actualité et je suis ravie, en tant que ministre déléguée à l'enfance, à la jeunesse et aux familles, de voir qu'il suscite tant d'engagement et d'intérêt. En témoignent la proposition de loi visant à lutter contre la précarité des familles monoparentales, déposée par Pierre Dharréville, mais aussi les propositions de loi sur la défiscalisation de la pension alimentaire présentées par différents groupes de l'Assemblée et le travail des députés Philippe Brun et Sarah Legrain sur la création d'un statut de parent isolé. Cet intérêt est partagé par le Président de la République depuis le début de son premier quinquennat. Plus récemment, le Gouvernement a confié à votre collègue Fanta Berete et au sénateur Xavier Iacovelli la mission d'identifier les mesures qui permettraient de mieux accompagner les mamans solos et d'impliquer davantage le père ou le deuxième parent.
Les familles monoparentales sont une réalité incontournable de notre pays. Elles représentent une famille sur quatre et concernent un enfant sur cinq. La monoparentalité pose trois défis en particulier : celui de la pauvreté, parce que ces familles y sont particulièrement exposées – 33 % d'entre elles vivent sous le seuil de pauvreté – ; celui de l'égalité des chances, car 41 % des enfants de ces familles vivent au-dessous du seuil de pauvreté, contre 21 % de l'ensemble des enfants ; celui de l'égalité entre les femmes et les hommes, le parent isolé étant une femme dans plus de 80 % des cas, et une femme confrontée plus que les autres à la difficulté de concilier sa vie familiale et sa vie professionnelle.
Face à cette réalité, le Gouvernement a pris des mesures ambitieuses dès 2017 pour soutenir ces familles et faciliter leur quotidien. Sous le précédent quinquennat, une avancée majeure a été accomplie avec la création du service public des pensions alimentaires, en réponse à une demande exprimée lors du grand débat. Ce nouveau service permet d'assurer le versement des pensions alimentaires lorsqu'il fait défaut. Depuis octobre 2020, nous avons reçu pas moins de 136 000 demandes d'intermédiation financière, ce qui démontre l'ampleur du problème et l'urgence qu'il y avait à y répondre. Pour aller encore plus loin, le 1er
Nous avons également augmenté de 50 % l'allocation de soutien familial (ASF), passée de 123 à 184 euros par mois et par enfant. Cette allocation, qui correspond à la pension alimentaire minimale, bénéficie à plus de 1,3 million d'enfants et ne sera pas prise en compte dans le calcul du RSA. Nous renforçons ainsi le soutien aux familles monoparentales les plus vulnérables.
Nul ne peut nier que ces différentes mesures améliorent significativement les conditions de vie des familles monoparentales et réduisent les inégalités qui les menacent plus que d'autres, quoiqu'insuffisamment. Je suis consciente de la responsabilité qui m'incombe et de l'immense chantier qui nous attend pour accompagner ces enfants, ces jeunes, dont le potentiel est immense, et leurs familles vers un avenir meilleur. Permettez-moi donc de vous présenter ma feuille de route et mes priorités.
Tout d'abord, je souhaite accompagner la montée en puissance de l'Aripa. Nous ne pouvons tolérer que des familles se retrouvent dans des situations précaires en raison du non-versement des pensions alimentaires. Je veillerai à ce que cette agence dispose des ressources nécessaires pour remplir sa mission de manière efficace et équitable. Dans un monde où concilier vie professionnelle et vie familiale est une gageure pour chacun d'entre nous, les parents solos sont exposés à des défis encore plus complexes car ils disposent moins souvent de relais familiaux, amicaux ou de voisinage pour prendre en charge leurs enfants avant ou après l'école, pendant les petites et les grandes vacances. Afin de faciliter l'accès des familles monoparentales à un mode de garde, le complément de libre choix du mode de garde (CMG) sera étendu jusqu'aux 12 ans de l'enfant à compter du 1er
Tel est également le sens du développement des crèches à vocation d'insertion professionnelle (Avip), que je souhaite accélérer. Je saisis cette occasion pour saluer le travail de la députée Marie-Pierre Rixain, qui a obtenu leur sanctuarisation dans la loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle. Ces crèches jouent un rôle essentiel en proposant aux parents, en particulier aux mamans solos engagées dans un parcours d'insertion professionnelle, un accès rapide et facilité à une place pour leur enfant. Mon objectif est clair : d'ici à 2027, nous visons l'ouverture de 1 000 crèches Avip supplémentaires en métropole et dans les territoires d'outre-mer.
Les entreprises ont aussi un rôle à jouer pour mieux accompagner les salariés dans l'adaptation de leur temps de travail et dans la conciliation de leur vie professionnelle et de leur vie personnelle. Lorsqu'on est parent solo, les réunions tôt le matin, tard le soir, les imprévus et les jours de maladie sont plus difficiles à assumer : on doit s'organiser seul, parfois au prix de sa carrière. Au-delà de l'enjeu de l'efficacité au travail, la question du rôle social de l'entreprise est ici posée.
Outre les aspects financiers et d'organisation du travail propres à la situation des familles monoparentales, nous savons que la séparation fragilise les liens familiaux. Les enfants de parents séparés voient deux fois moins leur père que leur mère une fois adultes. Cette réalité doit nous interpeller. Je souhaite développer la politique d'accompagnement à la parentalité et la rendre plus accessible aux parents. Favoriser la coparentalité et garantir un environnement familial stable et équilibré, y compris en cas de séparation des parents, sont des objectifs de ma feuille de route, au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Je l'ai dit en introduction, le Premier ministre a confié une mission à la députée Fanta Berete et au sénateur Xavier lacovelli afin d'améliorer les dispositifs d'aide aux familles monoparentales. Leur expertise et leur connaissance du terrain en font les meilleurs ambassadeurs de ces hommes et de ces femmes avec lesquels ils vont construire des solutions concrètes, pragmatiques et surtout adaptées aux besoins quotidiens des familles : accès aux droits et au logement, cohérence du système des prestations sociales, prise en compte de la résidence alternée, exercice réel de la coparentalité – autant d'enjeux que nous ne manquerons pas d'aborder dans quelques instants. Je suis convaincue que notre débat ouvrira de nouvelles pistes pour mieux accompagner les familles monoparentales. Mesdames et messieurs les députés, je suis à votre écoute !
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que leur durée est limitée à deux minutes, tout comme celle des réponses.
La parole est à Mme Karine Lebon, dont le groupe est à l'initiative de ce débat.
La monoparentalité est désormais un modèle familial incontournable : une famille française sur quatre est monoparentale ; dans 82 % des cas – 97 % à La Réunion –, le parent est une femme. Ce modèle familial est plus représenté dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et dans les outre-mer. D'après les chiffres de 2023, il représente 25 % des familles dans l'Hexagone, 36 % à La Réunion et 59 % en Martinique. Absence de statut spécifique, prestations sociales insuffisantes, fiscalité inadaptée : le statut des mères seules est particulièrement précaire, sans parler des difficultés qu'elles rencontrent pour faire garder leur enfant, trouver un emploi ou accéder au logement. La majorité des familles monoparentales sont confrontées à ce même cercle vicieux, ce qui explique que 41 % des enfants concernés vivent sous le seuil de pauvreté.
Les politiques publiques en vigueur sont malheureusement obsolètes et inadéquates. Ainsi, l'ASF, versée sous conditions par la CAF à une personne qui élève seule son enfant, est interrompue dès que cette personne se remet en couple, qu'il s'agisse d'un mariage, d'un pacs ou même d'un concubinage. A contrario, le versement de la pension alimentaire au parent gardien se poursuit lorsqu'il se remet en couple : c'est logique puisque la pension alimentaire est destinée à l'enfant. L'interruption de l'ASF revient donc à considérer que le rôle du parent absent doit être assumé par le nouveau conjoint. Ce raisonnement ne tient pas compte de l'intérêt de l'enfant. Les schémas d'emprise économique au sein de certains couples sont pourtant connus.
Au même titre que l'allocation aux adultes handicapés (AAH), récemment déconjugalisée, l'ASF a pour objectif d'améliorer le niveau de vie et de garantir le droit à la dignité des enfants concernés. Leur développement et leur qualité de vie ne peuvent dépendre d'un nouvel arrivant dans le foyer. Il est donc important de maintenir le versement de l'ASF au moins douze mois après la formation du nouveau couple – telle est du moins ma proposition. Cette transition permettrait d'assurer la stabilité financière de la famille. Cette proposition fait écho à la recommandation n° 3 du rapport d'information de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat sur les familles monoparentales. Madame la ministre déléguée, qu'en pensez-vous ?
Des réponses existent mais, vous l'avez dit, elles ne sont pas encore suffisantes. Ce qui est certain, néanmoins, c'est que des mesures fiscales et un accompagnement social permettent de réduire la précarité des familles monoparentales, lesquelles sont très diverses, que ce soit sur le plan de leur situation sociale ou sur celui de la nature des relations, conflictuelles ou non, qu'entretiennent les deux parents. Quoi qu'il en soit, ces familles bénéficient d'un filet de sécurité qui permet de diminuer de 30 % leur situation de pauvreté. Ce modèle a le mérite d'exister, mais il doit être amélioré.
Je ne vais pas éluder votre question. Il y a deux façons d'envisager les choses : soit l'ASF est liée à l'enfant, et son versement doit perdurer quelle que soit l'évolution de la composition familiale ; soit elle est liée à la monoparentalité elle-même ou, plus exactement, à l'isolement du parent – il est essentiel, à ce propos, de clarifier la définition de la famille monoparentale – et son versement dépend de la situation conjugale de ce dernier. Se pose alors la question du rôle du beau-parent – qu'il soit le concubin du parent ou qu'il lui soit lié par un pacs – dans le cadre d'une famille recomposée. Si l'on estime qu'il n'a ni obligation alimentaire ni responsabilités éducatives vis-à-vis des enfants de son partenaire, alors l'ASF – je vous rejoins sur ce point – peut être liée à l'enfant. Le débat est ouvert ; je n'ai pas de position dogmatique à ce sujet.
Je rappelle, par ailleurs, que le montant de l'ASF augmenté de 50 %, ce qui doit être salué : c'était nécessaire pour lutter contre la précarité.
La question que vous soulevez est donc essentielle : soit on réforme l'ASF, soit on définit le statut et les responsabilités du beau-parent, lesquelles doivent s'accompagner de droits.
En préambule, je tiens à remercier à mon tour Karine Lebon pour sa très belle initiative.
Comme le rappelle feu Jacob Desvarieux, bassiste du groupe Kassav', dans un recueil de témoignages publié en hommage à la femme créole, celle-ci est « la personne qui protège les autres, et ma mère a été cette personne. […] Elle a fait tout ce qu'elle pouvait pour […] me permettre de manger tous les jours, que je sois habillé et que je puisse aller à l'école ».
En Guadeloupe, 52 % des familles avec enfant sont monoparentales, contre 25 % des familles avec enfant vivant dans l'Hexagone. Les deux tiers des enfants qui naissent aux Antilles et en Guyane ne sont pas reconnus par le père, contre 10 % des enfants qui naissent dans l'Hexagone. Or, souvent, le schéma familial monoparental exacerbe la précarité. Ainsi, en Guadeloupe, 17 % des membres d'une famille monoparentale sont en situation de grande pauvreté, contre 4 % des personnes qui vivent en couple avec enfant.
Les travaux menés par les sociologues Nadine Lefaucheur, en Martinique, et Stéphanie Mulot, en Guadeloupe, relèvent que, pour expliquer la matrifocalité, on avance souvent l'hypothèse selon laquelle « l'esclavage et son code noir auraient formaté des familles dans lesquelles le père aurait été rendu accessoire, voire périphérique, du fait du rapport de domination et de propriété exercé par les maîtres sur les esclaves et leur progéniture. Cette histoire a contribué à construire l'image […] de femmes virilisées dans leur capacité de résistance, mais violentées moralement et physiquement ».
Ce triste tableau étant dressé, je me dois de vous alerter sur l'inégal déploiement des politiques de soutien à la parentalité dans les territoires ultramarins. Si l'action des CAF doit être saluée, les associations locales manquent bien souvent de moyens financiers et de travailleurs sociaux. Je souhaiterais donc savoir quelles sont les actions concrètes que vous comptez mener pour améliorer les dispositifs en vigueur au profit des familles monoparentales ultramarines.
Puisque vous avez évoqué la maman de Jacob Desvarieux, je peux parler de la mienne : j'ai moi-même fait partie, un temps, à la suite du divorce de mes parents, de l'une de ces familles monoparentales qui représentent un quart de l'ensemble des familles. Ma mère a donc vécu les mêmes galères que beaucoup d'autres : une situation conflictuelle, une pension alimentaire difficile à récupérer… Puis la conflictualité s'est apaisée et les choses sont rentrées dans l'ordre, mais ce n'est pas toujours le cas.
En tout état de cause, la responsabilité du second parent est essentielle. Mais son rôle ne peut se construire que si on le pense dès le début, c'est-à-dire, concrètement – et cela est peut-être plus important encore dans les outre-mer, compte tenu de ce que vous en avez dit –, dès la grossesse, puis lors des 1 000 premiers jours – je compte d'ailleurs relancer avec force la politique conçue par Adrien Taquet dans ce domaine. Deux parents sur cinq estiment ne pas être suffisamment soutenus dans leur parentalité.
Plus que jamais, je crois, il faut prendre en compte la spécificité ultramarine. C'est pourquoi je me suis donné pour règle d'adopter un regard ultramarin sur chacune des politiques sociales qui relèvent de ma responsabilité – je connais mieux, pour avoir eu la chance de travailler dans ce territoire, le bassin caribéen, mais chaque territoire est spécifique. Ainsi, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), que j'ai réinstallée cette semaine, comprend un représentant des outre-mer.
La pauvreté étant plus importante, la question des moyens de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) se pose. Or les crédits qui lui sont alloués dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion (COG) n'ont jamais été aussi importants : ils ont augmenté de 6 milliards d'euros. Nous avons donc des moyens financiers ; ils doivent à présent se traduire par des mesures en faveur de l'accompagnement et du soutien à la parentalité. C'est pourquoi 100 emplois ont été créés ; je vous tiendrai informé de l'arrivée dans les territoires de ces agents ; ils ont pour mission d'accompagner la parentalité et de tenter de rompre avec les inégalités socioculturelles héritées de l'histoire, qui influencent la conception que les parents ont de leur rôle.
Je remercie à mon tour Mme Lebon pour l'organisation de ce débat.
Je souhaite avant tout réitérer mes remerciements pour la mission sur le soutien aux familles monoparentales que le Gouvernement m'a confiée ainsi qu'au sénateur Xavier lacovelli. Je ne reviendrai pas sur les chiffres clés : chacun les a en tête. Cette mission est un signal fort, qui montre que le Gouvernement est à l'œuvre. Les mesures que nous préconiserons doivent reposer sur cinq piliers principaux : l'accès au droit et ses définitions dans le champ de la monoparentalité, la fiscalité et les aides, la coparentalité – lorsqu'elle est possible –, le logement et l'emploi.
Les chantiers sont nombreux, mais il en est un qui fait consensus : il est repris dans l'ensemble des travaux parlementaires, qu'il s'agisse de la proposition de loi transpartisane de mes collègues Philippe Brun et Sarah Legrain ou du récent rapport de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat. Ce chantier, que j'ai fait mien en tirant un à un les fils des revendications des associations de terrain, est, vous l'aurez compris, celui de la création d'une carte parent solo.
À l'instar de la carte famille nombreuse, créée dans les années 1920, qui reflétait la réalité du paysage familial français de l'époque, la carte parent solo permettrait aux familles de bénéficier d'offres de service spécifiques ou de tarifs privilégiés. Avant le remaniement ministériel intervenu au mois de janvier, j'avais obtenu de la ministre Aurore Bergé la création de cette carte, et du ministre Clément Beaune une enveloppe financière qui permettrait à ses titulaires de bénéficier d'une remise importante sur les tarifs de la SNCF, et ce jusqu'à la dernière minute. Mise à jour chaque année, la carte attesterait le statut monoparental de la famille et permettrait ainsi à différents acteurs – employeurs, collectivités territoriales, entreprises privées – de mener des politiques de soutien à ces familles.
Saurez-vous prendre une telle mesure ? Si le Gouvernement a changé, les engagements, quant à eux, doivent rester les mêmes.
Je ne suis pas de ceux qui se défaussent. Une telle carte offrirait en effet un certain nombre de solutions. La mission qui vous a été confiée a notamment pour objet de définir les contours du dispositif, car il ne faut pas susciter de faux espoirs. Il s'agit donc d'identifier les besoins et de déterminer les droits qui pourraient être ouverts. Je conçois qu'il soit intéressant que les collectivités développent des politiques locales spécifiques, en s'inspirant de l'exemple de la carte famille nombreuse. Mais si une carte parent solo était créée, elle devrait être annualisée, car la situation du parent peut évoluer. Celui-ci peut d'ailleurs se trouver dans différentes situations : isolement total sans la participation de l'autre parent, coparentalité…
Toutes ces pistes méritent d'être explorées : il ne faut pas s'interdire de réfléchir aux différents moyens de mieux reconnaître les situations de monoparentalité. Ce qui m'importe, ce sont les mesures que vous préconiserez dans votre rapport pour développer le dispositif de manière matérielle et opérationnelle.
Compte tenu de la réflexion que vous menez depuis plusieurs années et de votre capacité à prendre en compte les différents travaux parlementaires – je pense en particulier à la proposition de loi des députés Legrain et Brun –, je suis certaine que vous parviendrez à créer un consensus et à apporter des réponses qui dépassent les clivages politiques.
Beaucoup a déjà été fait dans le domaine législatif en faveur des familles monoparentales. Pourtant, sur le terrain, l'application de la loi n'est pas à la hauteur. À l'heure où Bruno Le Maire annonce des coupes budgétaires dans l'ensemble des ministères, quel sort sera réservé au vôtre ? Comment pourrez-vous mettre en œuvre, avec moins de moyens, des dispositifs qui peinent déjà à répondre aux attentes ?
Le Parlement a adopté de nombreuses avancées législatives, qu'il s'agisse de l'extension du complément de libre choix du mode de garde, de la garantie du versement de la pension alimentaire ou, concernant les assistantes maternelles, de la sécurisation du versement du salaire en cas d'impayés. Toutefois, des difficultés demeurent, qui nous imposent de mobiliser, au-delà des évolutions législatives, l'ensemble des parties prenantes : entreprises, collectivités territoriales, opérateurs de transport… C'est en effet en mobilisant tout le monde que l'on parviendra à apporter un certain nombre de réponses. Par exemple, ce sont souvent les difficultés d'accès aux modes de garde qui compliquent l'accès à l'emploi.
La situation actuelle nous oblige, c'est vrai, à consentir des efforts budgétaires. Mais le périmètre qui relève de ma responsabilité, celui de l'accompagnement des familles, est plutôt préservé, au titre des priorités retenues par le Gouvernement. L'engagement qui a été pris en faveur de l'accompagnement des plus vulnérables et des plus précaires sera tenu. Au reste, des financements ont déjà été alloués, dans le cadre de la COG, à la Cnaf, donc à la branche famille, qui permettront de financer, au plus près des territoires, via les CAF, un certain nombre de prestations sociales.
J'espère que ma réponse est suffisamment claire. En tout cas, je suis plutôt rassurée.
Les experts réunis par la table ronde à laquelle nous venons de participer confirment toutes les alertes lancées par les familles monoparentales, qui représentent le quart des familles françaises et subissent des inégalités spécifiques ainsi qu'une très forte précarisation.
Je pourrais dresser une liste des mesures revendiquées par les collectifs de mères isolées pour corriger ces inégalités : adaptation du droit fiscal, des prestations sociales et du droit du travail, accès prioritaire au logement social, aux modes de garde et aux services publics… Mais vous les connaissez très bien, et je connais déjà, quant à moi, votre réponse : la mission gouvernementale entendra tout le monde, puis des arbitrages seront rendus et des mesures seront ciblées en fonction de ce qui peut être financé.
Je connais également les réponses apportées jusqu'ici par votre camp. Vous venez d'ouvrir la porte à une déconjugalisation de l'ASF, mais vous avez refusé celle-ci en novembre lorsque je l'ai défendue dans le cadre de la niche du groupe La France insoumise. Quant à la défiscalisation de la pension alimentaire, elle a été adoptée par l'Assemblée en première lecture contre l'avis du Gouvernement, et elle est à présent bloquée au Sénat.
Nous avons donc des raisons d'être sceptiques quant aux mesures que le Gouvernement est prêt à prendre pour corriger ces inégalités.
Je suis d'autant plus sceptique lorsque je vois ce que le Gouvernement fait déjà pour aggraver la précarité. Les mères isolées ne sont pas moins actives, mais elles connaissent un risque plus élevé de chômage ; elles peinent à concilier recherche d'emploi et charge familiale. Avec votre réforme du RSA, qui impose quinze heures d'activité, et avec vos réformes de l'assurance chômage, qui réduisent les indemnités, en quoi les aidez-vous ?
Les mères isolées ont des carrières hachées, d'autant plus lorsqu'elles font face à un manque de places en crèche. Lorsque vous sapez les services publics, dégradez les conditions de travail des professionnels de la petite enfance, et imposez votre injuste réforme des retraites, en quoi les aidez-vous ?
Les mères isolées occupent davantage d'emplois en CDD, en temps partiel subi, mal rémunérés ou à horaires décalés. Dès lors, quand vous détricotez le code du travail et remettez en cause les 35 heures, quand vous refusez nos propositions de loi pour revaloriser les métiers féminisés, augmenter le Smic, indexer les salaires sur l'inflation et bloquer les prix alimentaires, en quoi pensez-vous les aider ?
Les familles monoparentales souffrent plus que les autres du mal-logement ; quand vous rabotez les aides personnalisées au logement (APL) et cassez la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains – dite loi SRU –, favorable au logement social, en quoi pensez-vous les aider ?
Enfin, quand vous profitez des révoltes urbaines pour affirmer que les mères isolées sont dépassées et que les familles monoparentales manquent d'autorité, quand vous les stigmatisez après les avoir tant précarisées, en quoi pensez-vous les aider ?
Madame Legrain, je suis étonnée par la diatribe que vous venez de prononcer. Vous êtes une députée connue et reconnue pour votre travail sur les familles monoparentales, et je ne pensais pas que dans le cadre de cette semaine de contrôle, vous mettriez en scène une accusation à charge si générale, au lieu d'aborder un point spécifique, qui m'aurait permis de vous apporter une réponse précise, comme j'ai pu le faire avec Mme Lebon. En vous livrant – c'est votre droit – à une telle accusation à charge sur tout, il n'y a en réalité de réponse possible sur rien, si ce n'est de dire que votre accusation est fausse.
La réalité est que le soutien apporté aux familles monoparentales a permis de baisser de plus de trente points leur taux de précarité. Ce soutien n'est certes pas suffisant, mais j'ai confiance dans le travail parlementaire, qui permettra de continuer à avancer. Nous avons ouvert le complément de libre choix du mode de garde jusqu'aux 12 ans de l'enfant pour les familles monoparentales, contre 6 ans normalement. Nous avons revalorisé la rémunération des emplois de la petite enfance de 150 euros net par mois en moyenne. Ce sont des avancées réelles, qui contredisent votre propos.
Sans reprendre point par point vos accusations, qui frisent la fausse information par leur généralité, je reste désireuse d'apporter des réponses aux députés qui posent des questions précises, sur le sujet des familles monoparentales qui nous réunit.
Madame la ministre, je suis à mon tour étonné de votre réponse. L'égalité entre les femmes et les hommes est censée être la grande priorité du quinquennat d'Emmanuel Macron ; les mères qui élèvent seules leurs enfants sont censées être la priorité de Gabriel Attal ; or, il faut le dire d'emblée, ni la politique du Gouvernement, ni le programme du Rassemblement national, ne sont capables de sortir ces personnes de leurs difficultés. Sur les 2 millions de familles monoparentales que compte notre pays, une sur trois vit dans la pauvreté ; huit familles monoparentales sur dix sont composées de mères s'occupant seules de leurs enfants – c'est d'elles que je veux parler.
Nous entendons Gabriel Attal et vous-même dire « les femmes, les femmes, les femmes »,…
Oui !
…et vous avez raison. Mais ce ne sont pas seulement des femmes, ce sont aussi des travailleuses. Or lorsqu'on constate que les femmes occupent 80 % des emplois à temps partiel et 60 % des postes en CDD, et que votre gouvernement vote contre l'augmentation de leur salaire, qu'il a voté une nouvelle réforme du code du travail en 2017, qu'il veut refaire une loi qui précarisera leurs conditions de travail, on se dit que vous vous attaquez non seulement à toutes les travailleuses, mais en particulier à celles qui sont des mères isolées.
Ces femmes subissent également le chômage, deux fois plus que la moyenne nationale. Or quand on voit que votre gouvernement a conditionné le versement du RSA à quinze heures hebdomadaires d'activité, sous peine de suspension de ce revenu – qui permet pourtant de nourrir les gosses ! –, on se dit que le Gouvernement s'est attaqué non seulement à toutes les personnes qui galèrent à trouver un emploi, mais particulièrement aux mères isolées qui en recherchent un.
Ces femmes sont aussi des citoyennes. Quand on voit que vous avez asséché le budget des communes, et que les maires de ma circonscription viennent m'expliquer qu'ils n'arrivent absolument pas à subvenir aux besoins en matière de petite enfance, on se dit que vous vous êtes attaqués non seulement à toutes les citoyennes, mais particulièrement à celles qui sont des mères isolées.
Que vous proposiez une aide spécifique, c'est très bien, nous sommes d'accord, il n'y a pas de souci ! Mais cette aide spécifique est nécessaire parce que ces femmes vivent dix fois plus violemment votre politique, qui est déjà très violente pour la majorité de la population. Comment pouvez-vous prétendre soutenir ces femmes, qui vivent dix fois plus fortement la violence que vous infligez à toutes les Françaises et à tous les Français ? Voilà quelle était la question posée par Sarah Legrain.
Les quinze heures d'activité imposées aux bénéficiaires du RSA sont une promesse d'insertion. Il n'y a rien de pire que de se retrouver isolé, dans la solitude la plus complète. Ces quinze heures seront quinze heures de lien, d'accompagnement,…
…qui feront éviter le toboggan de la solitude. Ces quinze heures permettront aux femmes – aux mamans isolées, le cas échéant –, de bénéficier d'un accompagnement à la hauteur, conduit avec beaucoup d'intelligence, car individualisé.
Vous avez évoqué les plus petits salaires, or le Smic a été augmenté douze fois depuis 2017 ; il a crû de plus de 18 %.
Vous ne pouvez pas dire que rien ne se passe. J'ai donné l'exemple précis de la petite enfance, avec la revalorisation mensuelle de 150 euros net en moyenne, décision que j'ai prise il y a un mois à peine, et qui est actuellement mise en œuvre, en particulier par la Cnaf.
S'agissant de l'insertion, il est évident que ces mamans ont davantage de difficultés que d'autres à trouver un emploi ou à le conserver, la conciliation avec la vie familiale ainsi que l'organisation des journées étant plus compliquées. Cependant, face à ce constat général, nous avons ouvert des places en crèches Avip – plus d'un millier seront créées d'ici à 2027. Cela permettra de réserver des places prioritaires aux familles monoparentales, c'est-à-dire aux mamans qui iront à un entretien d'embauche ou qui n'auront pas de moyen de garde parce que leur dossier n'a pas été examiné dans la bonne commission, à la bonne date. Telles sont les réponses concrètes que nous apportons.
Monsieur le député Boyard, je n'ai pas honte d'avoir une politique spécifique pour accompagner celles qui en ont le plus besoin ; c'est nécessaire.
Cette politique spécifique inclut le prolongement du complément de libre choix du mode de garde et des mesures particulières concernant les pensions alimentaires – car ces familles, plus fragiles, ont besoin d'un accompagnement dédié. Nous continuerons à œuvrer dans ce sens. Les difficultés que rencontrent les familles monoparentales ne sont pas la conséquence d'une politique générale, mais la réalité de la vie. Ce n'est pas un drame, si chacun est au rendez-vous, comme nous souhaitons l'être.
Enfin, s'agissant des communes, sachez que la dotation globale de fonctionnement (DGF) n'a jamais autant augmenté que sous ce gouvernement.
Je souhaite aborder la précarisation des travailleurs qui accompagnent les familles monoparentales. Comme Marine Malberg l'a indiqué, « des précaires accompagnent des précaires », ce secteur d'activité étant très peu considéré en raison de sa féminisation. Il faut s'attaquer d'urgence à ce problème et garantir une meilleure rémunération à ces travailleurs sociaux, dont on manque aujourd'hui.
Se pose également la question des coupes budgétaires dans les subventions aux associations : celles-ci ne peuvent plus prendre en charge ni accompagner les femmes isolées avec leurs enfants. Comment leur redonner des moyens, et ainsi favoriser les actions d'aller vers ?
Par ailleurs, dans le domaine de l'aide à la parentalité, des coachs privés se développent. Un article publié dans Le Figaro du 12 octobre 2023 relaie le témoignage suivant : « Certaines CAF financent des coachs parentaux privés, ça nous arrive de récupérer des parents cassés parce qu'ils ont reçu des conseils inadaptés ». Quelle est votre position à l'égard des coachs privés ?
Le constat que vous dressez touche, en réalité, tous les métiers du lien : ceux de la petite enfance, ceux du travail social, et ceux de la protection de l'enfance. Ces métiers manquent d'attractivité. Il convient de leur apporter des revalorisations salariales et d'améliorer leurs conditions de travail, afin qu'elles soient plus dignes et cassent moins les vies. Nous pourrons nous appuyer sur le Livre blanc du travail social remis au Gouvernement par Mathieu Klein le 5 décembre 2023.
S'agissant des coupes budgétaires, la branche famille et les prestations qui lui sont liées – qui accompagnent en particulier les familles monoparentales – sont préservées. Il n'y a pas de coupes aveugles.
En ce qui concerne les associations, je préfère vérifier ce qu'il en est auprès de la ministre déléguée compétente, Prisca Thevenot. Cependant, les associations qui soutiennent la parentalité, qui relèvent de mon ministère et sont financées par les CAF et la Cnaf, ne subiront pas de coupes budgétaires.
Quant aux coachs privés, vous avez raison : il y a des charlatans, qui font énormément de mal, en imposant des injonctions aux familles, parfois jusqu'à ce qu'elles craquent. Nous serons très vigilants. Deux questions se posent : celle de la régulation de l'accompagnement à la parentalité, qui peut se faire par l'instauration de diplômes, comme c'est le cas par exemple pour la médiation familiale ; et celle du développement de labels, comme le label P@rents, parlons numérique, développé avec l'Union nationale des associations familiales (Unaf), qui vise à répondre à la prolifération d'offres de mauvaise qualité. Ce label offre une meilleure sécurité à l'accompagnement des parents, d'autant qu'il est gratuit, financé par la Cnaf et les CAF.
La tribune m'est offerte, j'en profite ! Emmanuel Macron a annoncé un congé de naissance mieux rémunéré, mais plus court, limité à six mois. Qu'en sera-t-il pour les familles monoparentales ? Que ce congé soit mieux rémunéré, c'est tant mieux : cela faisait partie des recommandations du rapport d'information sur les stéréotypes de genre que j'avais réalisé en 2021, avec notre ancien collègue Gaël Le Bohec. En revanche, qu'il soit plus court, alors qu'il n'y a pas assez de places en crèche, n'est-ce pas pousser les mamans solos à la démission ?
Par ailleurs, qu'en sera-t-il de leur indemnisation, de leur droit au chômage, et donc de leur précarisation ? Cela me semble être un angle mort de la mesure annoncée, même si elle n'a pas encore été détaillée. Je tenais à vous alerter dès à présent sur ce point, afin que les familles monoparentales, qui manquent de solutions de garde, soient prises en compte.
Cette alerte est tout à fait justifiée, et je vous rejoins sur ce point. Le congé de naissance est un droit nouveau, qui offrira davantage d'égalité. Le choix devra être laissé – c'est en tout cas l'option que je crois juste – entre le congé de naissance et la prestation partagée d'éducation de l'enfant (Prepare). Cela n'affectera pas le congé de maternité ni le congé de paternité et d'accueil de l'enfant, qui sont sanctuarisés. Le Gouvernement a d'ailleurs doublé la durée de ce dernier, la faisant passer de 14 à 28 jours. Au-delà des pères, cela a été favorable au deuxième parent – ils sont sept sur dix à y recourir.
Le congé de naissance sera effectivement plus court, mais comme le choix demeurera entre ce congé et la Prepare, les mamans solos qui le souhaitent pourront opter pour la seconde, et conserver ainsi un congé plus long. Il me paraît important de laisser cette liberté aux familles.
Le congé de naissance – qui concernera les deux parents – n'a de sens que s'il est déployé parallèlement au développement du service public de la petite enfance et à la création de places supplémentaires, grâce au plan pour l'accueil individuel des enfants de moins de 3 ans. Un soutien accru aux crèches est également nécessaire : la revalorisation salariale a constitué une première étape en ce sens ; les 6 milliards d'euros d'investissements massifs, prévus dans le cadre de la COG, en constitueront une seconde.
Il ne faut rien s'interdire : la création du congé de naissance sera l'occasion de mettre en avant la situation spécifique des familles monoparentales, et de poser la question d'une durée différente de ce congé pour les parents solos. Les diverses hypothèses de durée et de modalités d'application sont en cours d'évaluation, et je n'ai pas, à ce stade, connaissance de l'arbitrage définitif qui sera pris ; mais sur le principe, j'y suis favorable, même si je cherche encore le bon chemin pour son application technique. Dans tous les cas, je prends bonne note de votre alerte, qui est justifiée.
Je souhaite répondre aux accusations de la ministre, selon lesquelles je ne poserais pas de questions précises. Je sais, pour avoir assisté au lancement de la mission gouvernementale sur les familles monoparentales, que vous avez entendu toutes les alertes lancées par les mères isolées. Je pourrais vous en refaire la liste, mais vous me répondrez que vous devez d'abord procéder à des arbitrages et à des montages budgétaires. Vous n'aurez donc pas de réponse précise à nous apporter.
Cela étant, puisque la question du congé parental a été soulevée à juste titre par ma collègue Karine Lebon, je souhaiterais connaître votre position sur la question du congé de paternité. Pour ma part, je serais favorable à le renommer « congé d'accueil de l'enfant » et à lui donner la même durée, ainsi que le même caractère obligatoire que le congé de maternité, afin de permettre aux deux parents d'accueillir ensemble leur enfant.
Nous savons en effet que le congé de maternité n'est en aucune façon un congé de repos post-accouchement, mais un congé d'accueil de l'enfant, au cours duquel la mère se retrouve souvent isolée. Qu'elle soit ou non en situation de monoparentalité, elle est de fait confrontée à un isolement au plus tard vingt-huit jours après son accouchement.
J'ajoute qu'en cas de séparation entre les parents, l'inégalité des rôles se trouve renforcée, étant donné que, dès la naissance, ce sont les mères qui assument davantage la charge des enfants.
Le 12 mars dernier, j'ai déposé une proposition de loi « visant à créer un congé d'accueil de l'enfant identique et obligatoire pour les deux parents », et j'aimerais connaître votre opinion personnelle sur ce sujet, madame El Haïry, d'autant plus que votre nomination en tant que ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles est récente.
À cet égard, j'insiste sur l'importance de rendre obligatoire un tel congé d'accueil, car c'est de cette manière qu'il pourrait avoir un véritable effet sur le monde du travail. Les discriminations à l'embauche dont souffrent les femmes seraient atténuées dans la mesure où toute personne serait alors susceptible de bénéficier un jour de ce congé.
Vous me posez une question claire, madame Legrain : je vous répondrai avec beaucoup de conviction – même si ma position ne sera peut-être pas exactement celle que vous souhaitez.
Pour ma part, j'estime que le congé de maternité est spécifique et qu'il doit le rester, car il protège la maman au cours de la grossesse et après l'accouchement. Il faut le sanctuariser.
Vous avez évoqué le congé de paternité : comme vous, je serais plutôt favorable à en changer le nom. Dans le cas de ma propre famille, où nous sommes deux mamans, cette dénomination n'était typiquement pas la bonne. Il s'agissait davantage d'un congé d'accueil. Très personnellement et intellectuellement, une évolution du nom ne me surprendrait pas, je pense même qu'elle serait plutôt bénéfique.
Quoi qu'il en soit, rappelons que l'accroissement de la durée du congé de paternité de quatorze à vingt-huit jours a constitué une véritable avancée. Cette mesure a répondu à un besoin et les hommes utilisent ce congé allongé. En revanche, je n'ai jamais été très favorable à le rendre obligatoire dès la naissance, car il est bon de pouvoir le prendre quand on en a le plus besoin.
Pour moi, c'est plutôt le congé de naissance qui revêt un enjeu et qui doit faire l'objet d'un complément. Je suis plutôt favorable à ce qu'il soit partagé à parts égales entre les deux parents, afin de renforcer l'égalité dans le couple. La spécificité à considérer – vous l'avez évoquée – est celle d'une séparation des parents ou d'une situation de monoparentalité. Concernant ces cas de figure, comme je l'indiquais à Mme Lebon, il convient étudier la possibilité d'accorder un congé de naissance allongé au parent élevant seul l'enfant ou qui en a la garde, car la réalité de l'accueil est effectivement différente.
Je résume ma position : le congé de maternité doit être préservé, tout comme le congé de paternité, même si nous pourrions le renommer « congé d'accueil ». C'est plutôt le congé de naissance qui devrait évoluer en faveur d'une égalité de fait entre les parents, sauf dans le cas des familles monoparentales dès la naissance de l'enfant.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix heures cinquante, est reprise à onze heures.
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème « Quel grand plan pour l'emploi des seniors, après la réforme des retraites et celle de l'assurance chômage ? »
Ce débat a été demandé par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) et, à la demande de ce dernier, il se tient en salle Lamartine, afin que des personnalités extérieures puissent être auditionnées. La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par l'audition des personnalités extérieures.
Je souhaite la bienvenue à Mme Patricia Drevon, secrétaire confédérale au secteur de l'organisation, des outre-mer et des affaires juridiques de Force ouvrière (FO), à M. Yvan Ricordeau, secrétaire général adjoint de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), à M. Jean-François Foucard, secrétaire national en charge du secteur Parcours professionnels de la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) et à M. Samuel Tual, vice-président du Mouvement des entreprises de France (Medef), président du Medef Pays de la Loire.
Je vais donner la parole à chacun de nos invités pour une courte intervention liminaire, de cinq minutes, puis les questions de nos collègues vous permettront d'évoquer les points que vous n'auriez pas pu aborder.
La parole est à Mme Patricia Drevon, secrétaire confédérale au secteur de l'organisation, des outre-mer et des affaires juridiques de Force ouvrière (FO).
Je vous remercie d'avoir organisé ce débat, qui nous permet d'exposer nos revendications. L'emploi des seniors est un thème d'actualité puisque nous sommes en pleine négociation. Nous nous retrouvons lundi pour une séance qui, nous l'espérons, devrait permettre de conclure – il faudrait tout de même que le texte s'améliore. Nous verrons.
Au moment de la réforme des retraites, nous n'avons cessé de rappeler qu'il fallait prendre les choses par le bon bout, c'est-à-dire d'abord parler de l'emploi des seniors, faiblesse de notre pays, avant d'envisager une réforme des retraites.
En effet, une hausse de quelques points du taux d'emploi des seniors rendait la réforme des retraites inutile. Ce n'est pas ce que le Gouvernement a souhaité, malgré les mobilisations et un refus massif de la population.
Même si elle ne nous semble pas intervenir au moment le plus opportun, la négociation est désormais ouverte sur l'emploi des seniors et, malgré tout, nous y participons puisqu'il s'agissait de l'une de nos revendications.
Nous n'avons eu de cesse de rappeler que le faible taux d'emploi des seniors est d'abord le fait des employeurs : 48 % des motifs d'ouverture des droits de l'assurance chômage sont liés à des ruptures de contrat de travail à l'initiative de l'employeur.
Comment maintenir les seniors dans l'emploi ? Grâce à l'amélioration des conditions de travail, à l'aménagement des fins de carrière, à la création d'un droit à la reconversion professionnelle et au renforcement des prérogatives des représentants du personnel. Nous travaillons sur ces sujets et, petit à petit, nous avançons.
La négociation doit impérativement s'articuler autour de trois points essentiels : le maintien dans l'emploi ; la réduction du temps de travail – retraites progressives ou temps partiels –, et un véritable droit à la reconversion professionnelle quand le salarié ne peut plus se maintenir dans l'emploi qu'il occupait, notamment à cause de sa pénibilité.
J'y insiste, il faut que la reconversion professionnelle devienne un véritable droit. S'il existe des dispositifs, comme le projet de transition professionnelle, à l'initiative du salarié, les fonds sont extrêmement insuffisants par rapport aux demandes. Cela crée des frustrations. En outre, les faiblesses de l'accompagnement ne permettent pas toujours au salarié de réaliser, ensuite, une réelle transition professionnelle.
Il faut sécuriser le parcours de reconversion : pour que la reconversion professionnelle fonctionne, et que les salariés s'inscrivent dans la démarche, il faut garantir un maintien de la rémunération tout le long de la reconversion et ne pas contraindre le salarié à démissionner à la fin de sa formation. Sur ce sujet, l'accord en cours de négociation n'est pas encore totalement satisfaisant, mais nous avons espoir de faire avancer les choses.
Pour les aider dans leur reconversion, les salariés disposent de plusieurs outils. Il y a le conseil en évolution professionnelle que les salariés connaissent souvent, mais il n'est pas toujours bien utilisé. Ainsi, les très petites entreprises (TPE) ne disposent pas toujours de service de RH – ressources humaines –, ni de capacités pour accompagner les transitions professionnelles. Pourtant, faire entrer ce dispositif à l'intérieur de l'entreprise permet de construire de véritables parcours de reconversion, et d'accompagner en même temps le chef d'entreprise et les salariés.
L'entretien de mi-carrière, couplé à une visite médicale, constitue un autre outil sur lequel nous travaillons, tout comme le compte professionnel de prévention (C2P) de la pénibilité qui devrait financer les transitions professionnelles et les réductions du temps de travail.
Nous plaidons pour le bénéfice de la retraite progressive à partir de 60 ans, au lieu de 62 actuellement – le dossier avance assez bien –, mais avec le maintien des cotisations retraite, pour la retraite de base ainsi que pour la retraite complémentaire. Il ne s'agirait pas que le salarié soit pénalisé au moment de la liquidation complète de sa pension.
Pour finir, je dis un petit mot sur l'assurance chômage, sujet d'actualité : le taux de chômage des plus de 50 ans est plus faible que celui des 25-49 ans : 5 % contre 6,5 % à la fin de l'année 2022. Cependant, le retour à l'emploi est plus difficile pour les seniors, la durée d'indemnisation à France Travail étant de 520 jours pour les 50 ans ou plus. Cela explique notre agacement lorsqu'on nous parle de réduire la durée d'indemnisation : nous ne pouvons que répondre que c'est impossible. Si 180 000 allocataires de 57 ans et plus travaillent, soit 41 %, cela signifie que 59 % ne travaillent pas.
La parole est à M. Yvan Ricordeau, secrétaire général adjoint de la CFDT.
Je souscris à la prudence de Mme Drevon : l'exercice est complexe car, lundi, doit se tenir la séance conclusive de la négociation sociale qui porte notamment sur l'emploi des seniors.
Votre invitation était pourtant très opportune car nous aurions dû conclure le 26 mars ,
M. Bertrand Pancher sourit
mais le changement de calendrier complique un peu les choses.
Je partage les propos liminaires de Force ouvrière : l'emploi des seniors est un élément essentiel de toute réforme des retraites. Comment modifier les paramètres de la retraite sans aborder la répercussion sur les carrières, notamment sur la dernière partie de la carrière ?
Le décalage de l'âge de départ en retraite à 64 ans met en exergue la question de l'emploi des seniors. La France était l'un des pays européens qui avait le plus de difficultés à gérer ce sujet de façon qualitative lorsque l'âge de la retraite était fixé à 62 ans. Si nous n'agissons pas, alors que cet âge se décale rapidement de 62 à 64 ans, en prenant en considération la situation des salariés en question, les difficultés vont s'accroître.
Nous avons plaidé pour des mesures correctrices tout au long des négociations sociales sur les retraites, mais nous nous sommes heurtés à une opposition des organisations d'employeurs. La difficulté est similaire dans la négociation actuelle et, le moins que l'on puisse dire pas, c'est que nous n'avons pas beaucoup avancé, alors que nous y avons passé beaucoup de séances, et qu'il n'en reste qu'une.
En outre, pour la CFDT, il faut analyser l'emploi des seniors tant en termes de taux d'emploi – fondé sur le nombre de salariés qui restent en emploi jusqu'à leur départ à la retraite – que de qualité d'emploi. Souvent, on aborde le sujet uniquement par le premier biais, mais on ne peut progresser sur une seule jambe, et il faut également prendre en compte les difficultés des salariés en situation de travail.
Trois points nous semblent fondamentaux. D'abord, la France doit collectivement changer de culture en matière d'emploi des seniors car, depuis deux décennies, nous avons pris l'habitude de faire sortir rapidement ces salariés des entreprises.
J'y insiste, le changement est nécessairement collectif : il faut obliger les partenaires sociaux à discuter qualité et taux d'emploi des seniors dans toutes les branches, et dans l'ensemble des entreprises. Les acteurs doivent être les responsables de ce changement. C'est un passage obligé.
Il faut agir sur l'ensemble des préjugés relatifs à l'emploi des seniors. Quand le salarié atteint 50 ans et quelques, on a souvent tendance à lui montrer la porte de sortie. Pourtant, l'intelligence voudrait que l'on s'appuie et que l'on diffuse l'expérience des salariés seniors, notamment en direction des nouveaux embauchés. Il faut se saisir sérieusement de la question intergénérationnelle en entreprise.
Ensuite, pour progresser sur l'emploi des seniors, il faut s'en occuper bien avant que les salariés ne deviennent seniors. C'est pourquoi, dans le cadre de la négociation, la CFDT plaide pour des rendez-vous à 35, 45 et 55 ans, permettant de réaliser le bilan des compétences mais aussi d'évaluer la pénibilité, et l'usure professionnelle.
Enfin, il faut s'appuyer, si besoin, sur les dispositifs de reconversion évoqués par Mme Drevon car l'emploi des seniors est intimement lié à leurs conditions de travail, et donc à l'usure professionnelle. Certains métiers sont très exposés et doivent faire l'objet de mesures particulières. On ne peut demander à ces salariés de continuer comme si de rien n'était jusqu'à 64 ans !
L'emploi des seniors est avant tout lié au travail et à la qualité de l'emploi. Ce n'est pas un problème lié à l'assurance chômage, nous l'avons constaté lors de la phase du diagnostic, préalable à la négociation. Il s'agit donc de faire en sorte que les salariés restent en emploi dans les entreprises, et ne basculent pas en inaptitude, plutôt que de savoir comment recruter des demandeurs d'emploi seniors – question qui se pose infiniment moins que la précédente.
La parole est à M. Jean-François Foucard, secrétaire national chargé du secteur Parcours professionnels de la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC).
Je vous remercie pour votre invitation. Mon angle sera quelque peu différent de celui des deux autres intervenants, mais dans la continuité de leurs propos.
En traitant de la réforme des retraites avant de s'occuper de la fin de carrière des seniors, on a pris le risque de compter davantage de retraités pauvres – qui ne percevront pas leur pension de retraite à taux plein – et de voir se multiplier les NER, les seniors ni en emploi, ni à la retraite.
Cela dit, à la CFE-CGC, nous pensons que le taux d'activité des seniors n'est rien d'autre que la résultante du travail qui a été fait – ou non – tout au long de la carrière. Il y a trois sujets principaux : la santé, sans qui on ne peut pas travailler, les compétences, qui doivent être mises à jour, et l'attractivité – la qualité du travail, la rémunération afférente, les conditions de travail.
En outre, à partir de 50 ans, les seniors subissent d'importantes discriminations. D'après un sondage de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), 67 % des CV de seniors sont directement mis à la poubelle par les DRH.
S'agissant de la question de la santé, les branches doivent identifier les métiers pénibles et proposer des reconversions adaptées, sans attendre que les gens soient usés. Le sujet est majeur, mais il dépend exclusivement de la volonté des branches, qu'on ne peut forcer à rien – c'est un angle mort de la législation. Tout dépend de la mutualisation entre acteurs de la même branche ; or les intérêts des petites et des grandes entreprises ne convergent pas.
La question des compétences et de la formation continue, notamment de la transition professionnelle, recouvre deux aspects : la reconversion, qui implique généralement de quitter l'entreprise, et la mise à niveau au sein de l'entreprise. Encore faut-il mettre des moyens suffisants sur la table ! Aujourd'hui, les financements consacrés à la transition professionnelle et à la formation continue ne sont pas à la hauteur des enjeux.
On recense 160 000 déclarations d'inaptitude par an – ce n'est pas toujours en lien avec un métier pénible. Le taux d'accidents au travail est l'un des plus élevés d'Europe, si ce n'est le plus élevé. Le développement de l'accidentologie et l'amélioration des conditions de travail sont primordiaux pour progresser sur ces sujets.
Dans notre pays, la capacité d'une personne âgée de plus de 50 ans à rebondir après une perte d'emploi est très faible. Seules 15 % des personnes de plus de 50 ans qui se retrouvent au chômage signent un CDI. C'est l'un des motifs de discrimination les plus courants dans le monde du travail. Le regard des gens est clair : comme l'a dit Yvan Ricordeau, on vous indique la porte et on vous fait sentir que vous êtes un boulet. Dans les sociétés préindustrielles, la vieillesse était considérée comme une source de sagesse ; il serait utile de revenir à cet état d'esprit.
Dans les pays où le taux d'activité des seniors est élevé – la Suède, les Pays-Bas –, le recours au temps partiel est courant. À la CFE-CGC, nous souhaitons que la retraite progressive devienne opposable. C'est un dispositif qui existe déjà et qui ne coûterait rien à l'entreprise, qui doit simplement accepter que certains de ses employés travaillent à temps partiel. Je ne vois pas comment on peut faire sans temps partiel, dans la mesure où plus les gens vieillissent, plus ils ont besoin de temps pour se « ressourcer » – d'autant plus que les rythmes sont de plus en plus intenses.
Il faut travailler sur ces différents volets : la santé, les compétences, la lutte contre les discriminations et l'aménagement des fins de carrière. Cela permettrait d'agir sur les flux – grâce aux reconversions, on prépare l'avenir en faisant en sorte qu'il y ait moins de gens usés à 45 ans –, mais aussi sur les stocks. Si on n'accompagne pas les personnes grâce à des dispositifs spécifiques en généralisant les retraites progressives, on se retrouvera avec des gens qui n'auront rien demandé et deviendront des NER, sans emploi ni retraite. Il y aura plus de retraités pauvres dans les années à venir.
La parole est à M. Samuel Tual, vice-président du Medef, président du Medef Pays de la Loire.
Je rejoins ce qui a été dit sur le contexte particulier de notre rencontre, qui intervient alors que des discussions sont en cours sur la question si importante de l'emploi des seniors.
Au Medef, nous sommes attachés à la croissance responsable, que nous estimons cruciale pour l'avenir de notre pays. La question de la croissance recouvre celles de la productivité, de la durée du travail et du taux d'activité, en berne dans notre pays si l'on compare avec nos voisins européens et la moyenne de la zone euro.
À propos de l'emploi des seniors, sujet important à nos yeux, nous tirons plusieurs constats : on ne peut traiter la question de façon homogène et globale, car la situation diffère selon le secteur d'activité et les situations géographique et personnelle – famille, santé. Il faut analyser la situation pour apporter des réponses adaptées.
Deuxième constat, si le taux de chômage des plus de 55 ans est relativement faible, les personnes de cette classe d'âge restent plus longtemps au chômage quand elles perdent leur emploi. C'est une forme d'injustice. La durée d'indemnisation étant de deux ans environ, il y a là une forme d'injustice. Le taux d'emploi des 50-64 ans est en progression, mais reste trop faible par rapport à celui de nos voisins européens. Quand on fait un zoom sur les plus de 60 ans, on se rend compte que l'écart avec nos voisins allemands est très significatif : le taux d'emploi des 60-64 ans en France est de 35 %, contre 62 % en Allemagne. Ce décrochage est important et montre que nous avons un problème spécifique avec ces classes d'âge en France.
Les chiffres de l'institut Rexecode mettent cependant en lumière une dynamique de rattrapage, notamment par rapport à nos voisins européens, et ce pour deux raisons principales. La hausse tendancielle du taux d'emploi, combinée aux caractéristiques démographiques des générations qui arrivent, a un effet mécanique sur le nombre de départs précoces à la retraite. Si l'on continue à observer les mêmes tendances, on pourrait se retrouver avec 600 000 seniors supplémentaires disposant d'un emploi en 2027, un peu plus de 1 million en 2030. La réforme des retraites a en quelque sorte lancé cette dynamique de rattrapage du taux d'emploi des seniors ; cela s'explique par des raisons démographiques.
Le troisième constat, c'est que le taux d'activité des seniors est insuffisant. Dans certains secteurs d'activité, quatre départs sur dix – un sur dix dans le tertiaire – se font à l'initiative de l'employeur. Ces seniors retrouvent ensuite difficilement un emploi.
Le quatrième constat, pointé par l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, c'est que la France est un peu en retard, et atypique, en matière d'aménagement du temps de travail des seniors, en particulier par rapport à nos voisins européens. Chez ces derniers, les fins de carrière sont aménagées et l'activité partielle est plus développée. Ces conditions permettent de passer de la vie active à la retraite de façon beaucoup plus progressive.
À l'opposé de l'accord national interprofessionnel sur l'emploi des seniors et des contrats de génération, tous les dispositifs contraignants pour l'entreprise qui ont été imaginés par le passé – je fais référence à la contribution Delalande, et plus généralement aux contraintes, aux sanctions, aux index et aux quotas – ont montré leur inefficacité en pratique. Ces mesures avaient des effets pervers, comme la stigmatisation des publics concernés. Ils étaient perçus différemment alors qu'ils disposaient de qualifications dont les entreprises avaient besoin.
Le cinquième constat, c'est que comme le montrent des études récentes de Malakoff Humanis, 99 % des entreprises portent un regard positif sur l'emploi des seniors et que 89 % des dirigeants estiment que les compétences et l'expérience de ces publics sont précieuses pour les entreprises.
Les seniors n'étant pas si étanches aux questions de formation, la situation est finalement très fertile. En guise de synthèse,…
Je dois vous interrompre car votre temps de parole est écoulé, mais vous pourrez finir de développer votre argumentation en répondant aux députés.
Nous en venons aux questions des députés.
Pour poser la première question, la parole est à M. Bertrand Pancher, dont le groupe est à l'initiative de ce débat.
Le groupe LIOT est très attaché au dialogue social, au paritarisme et à la décentralisation. Il est favorable au développement des missions confiées aux organisations les plus proches du terrain. Nous en reparlerons probablement, mais nous regrettons de voir le paritarisme attaqué, alors que vos interventions en montrent la richesse et l'intérêt.
Nous nous étions opposés à la réforme des retraites, non par dogmatisme, mais parce que nous considérions que l'on prenait le sujet par le mauvais bout. Il aurait fallu commencer par régler la question de l'emploi des seniors – un senior sur deux est actuellement au chômage – avant de faire basculer des personnes vers la précarité en repoussant de deux ans l'âge de départ à la retraite. On n'a pas commencé par là.
Quel bilan peut-on déjà tirer de la réforme des retraites s'agissant de l'emploi des seniors ? En repoussant l'âge de départ à la retraite, a-t-on amélioré la situation – nous ne le pensons pas – ou l'a-t-on dégradé – c'est fort possible ? Nous aimerions entendre votre lecture pour que l'opinion publique soit informée.
Non seulement aucun plan n'est prévu pour les seniors, mais nous constatons que les droits des personnes actuellement au chômage se détériorent : il y a une forme d'acharnement incompréhensible contre les personnes qui cherchent du travail. Quel regard portez-vous sur cette dégradation, notamment sur la remise en cause de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) et sur la nouvelle baisse de la durée d'indemnisation ?
Enfin, quels liens établissez-vous entre l'assurance chômage et la baisse du chômage ? On entend un peu n'importe quoi dans ce pays : moins on indemniserait les chômeurs, plus ils seraient contraints de trouver du travail. Je suis élu dans un département rural et je ne pense pas que ce soit tout à fait la réalité. Quel regard portez-vous sur cette question ?
Vous disposez de deux minutes pour répondre, que vous devez partager entre vous ; mais sachez qu'il y aura d'autres questions par la suite.
La parole est à Mme Patricia Drevon.
Je peux le dire d'emblée, même si nous ne disposons que d'un faible recul : le report du départ à la retraite à 64 ans n'a pas amélioré la situation des seniors. Au contraire, il les a précarisés un peu plus. Quelqu'un qui n'est pas en activité à 57 ou 58 ans et qui ne retrouve pas d'emploi doit rapidement s'en remettre aux minima sociaux jusqu'à 64 ans.
Cela pose également la question des allocations chômage. Si on n'améliore pas de manière significative l'emploi des seniors, alors que l'âge de la retraite a été reporté à 64 ans, on va plonger les gens dans la précarité et même dans la misère. Avec la fin de l'ASS, ce sera encore pire.
En effet, l'ASS permettait au moins de garantir des droits. Avec la fin de l'ASS, ceux qui en bénéficiaient basculent au RSA. Peut-être cette décision résulte-t-elle d'un calcul budgétaire pour les mettre à la charge des départements ; en tout cas nous y sommes totalement opposés.
Quand le gouvernement a instauré des mesures de contracyclicité, il nous a vendu ça comme le remède miracle. Désormais, il veut revenir sur ce dispositif à travers une réforme. Cela signifie que le dispositif n'est pas efficace du tout, ce que nous avions annoncé dès le départ.
Je serai bref pour laisser les autres intervenants s'exprimer. Selon la CFDT, aucune étude, dans quelque pays que ce soit, n'a démontré que la baisse du niveau des indemnisations chômage produisait une augmentation du taux d'emploi.
Une telle disposition, comme la suppression de l'ASS, vise à accuser les chômeurs de profiter du système d'assurance chômage financé par ceux qui travaillent. Nous estimons qu'il est très dangereux qu'une telle accusation soit proférée par ceux qui disposent de la parole publique.
Je remercie le président du groupe LIOT, M. Bertrand Pancher, pour l'organisation de ce débat, et chacun des intervenants pour son propos introductif.
Je voudrais revenir sur les carrières dans des postes difficiles. Certains d'entre vous ont parlé de l'implication des branches et de ce qu'elles pouvaient proposer ; je suis entièrement convaincue qu'elles ont un rôle à jouer. Si, dans les grands groupes, je vois comment instaurer un accompagnement à partir de 40 ans pour préparer la seconde partie de carrière, cela me paraît plus difficile dans les toutes petites entreprises.
On parle souvent des grands groupes mais les petites entreprises font également vivre notre économie, notamment dans les petites villes. Comment préparer sereinement la seconde partie de carrière dans les toutes petites structures ? Par exemple, s'il y a seulement cinq collaborateurs, comment faire en sorte que l'un d'entre eux parte pour se former de manière anticipée pour préparer la seconde partie de sa carrière ?
Je veux aussi aborder les ruptures conventionnelles qui ont encore, en quelque sorte, le vent en poupe. Elles sont utilisées comme un outil de sortie pour le management des entreprises. Qu'envisagez-vous pour qu'elles soient moins souvent préconisées et pour que les seniors eux-mêmes en fassent moins souvent la demande ?
Je parlerai moi aussi un peu !
La réforme des retraites étant récente, nous n'avons pas beaucoup de recul, néanmoins, on commence à observer l'un de ses bénéfices : mécaniquement, l'âge des départs précoces recule.
Les entreprises ont besoin des compétences et de l'expérience des seniors. La situation démographique est telle que nous avons besoin de garder plus longtemps les personnes en entreprise ou, pour ceux qui sont sans emploi, de favoriser leur retour à l'emploi. Nous devons alors chercher comment anticiper le maintien dans l'emploi des seniors le plus tôt possible dans la vie professionnelle. Vous avez parlé de la seconde partie de carrière, mais en réalité il faut plutôt distinguer trois étapes. Comment préparer, par des entretiens, l'adaptation des compétences ou la reconversion, le cas échéant, pour maintenir le plus possible les personnes dans l'entreprise ? Le but pour l'entreprise est de garder les compétences le plus possible.
En outre, il faut lever les freins à l'embauche des seniors. Jusqu'à présent, pour de mauvaises raisons, qui touchent notamment aux modalités de départ, l'emploi des seniors n'était pas suffisamment sécurisé pour l'entreprise. Par conséquent, l'embauche d'une personne expérimentée était de fait compliquée. Plus on améliorera la sécurité juridique pour les entreprises, y compris les PME, en particulier en ce qui concerne la façon dont le contrat peut se dénouer à la fin de la vie professionnelle, par le départ en retraite, plus les entreprises seront incitées à embaucher des personnes aux compétences dont elles ont tant besoin.
C'était votre réponse ; je ne pense pas que ça avait un rapport avec la question posée.
Cela dit, vous parlez au nom du Medef : c'est un peu logique ! C'est toujours intéressant.
Pour les petites entreprises, il faut mutualiser le dispositif. Je l'ai expliqué dans mon propos liminaire : les branches doivent identifier les emplois dont la reclassification pose problème, mettre de l'argent sur la table au niveau conventionnel afin de gérer ces transitions en amont de manière mutualisée.
De toute façon, si on prend en considération l'ensemble de la chaîne de valeur, les grandes entreprises utilisent les petites. Elles doivent donc supporter une partie du poids qui pèse sur ces dernières.
Il faut procéder à une mutualisation au niveau des branches sur les questions de pénibilité, afin de proposer aux seniors certains emplois dont toute la collectivité bénéficie. Il faut organiser collectivement le financement de reconversions avant que les gens soient usés, invalides, ou qu'ils décèdent du fait d'un accident du travail.
La rupture conventionnelle est importante. En un sens, les préoccupations des seniors sont assez simples. Le nec plus ultra, c'est de partir à la retraite. Quand l'entreprise en a les moyens, elle élabore parfois des préretraites maison afin de se positionner différemment ; cela permet aux salariés de raconter à leurs proches une histoire valorisante, à la fois pour l'entreprise qui a consenti des efforts et pour eux-mêmes. La rupture conventionnelle permet elle aussi de développer un tel récit. Sans elle, le salarié est licencié et il a souvent du mal à se reconstruire, car il est privé de la capacité de rebondir.
Pour les personnes qui sont juste avant l'âge de la retraite, on constate effectivement un petit pic de 6 000 personnes entre 58 et 59 ans sur l'ensemble des ruptures conventionnelles. Toutefois, je rappelle qu'une classe d'âge en France compte environ 750 000 personnes. Il faut avoir à l'esprit les ordres de grandeur : entre 60 et 64 ans, un tiers des personnes est à la retraite et un tiers en activité. Les 30 % qui restent se décomposent ainsi : environ 10 % sont malades, soit 60 000 personnes, 15 % relèvent des NER, soit 90 000 personnes, tandis que près de 5 % sont au chômage, soit 22 000 personnes. Il ne faut pas se tromper lorsqu'on cherche où se situe le problème : le problème principal réside dans la situation des NER et des invalides.
On parle souvent du problème de l'emploi des seniors, mais en réalité la situation évolue peu. Pour avoir travaillé sur le terrain pendant longtemps, je sais que les entreprises, lorsqu'elles recrutent, recherchent principalement du savoir-être et de l'expérience – je pense que vous serez d'accord avec moi. Or les seniors sont souvent reconnus comme ceux qui manifestent le mieux ces deux qualités. En outre, les entreprises ont souvent besoin de former des jeunes à des métiers que les seniors connaissent et qu'ils peuvent enseigner.
Pourquoi alors ne parvient-on pas à faire évoluer le monde du travail pour que les anciens, avant qu'ils partent en retraite – ce peut être bien avant 62 ans, il n'y a pas de problème – accompagnent les jeunes qui commencent ? Pourquoi ne parvient-on pas à les faire travailler ensemble ? Ils seront peut-être un peu moins productifs à deux qu'ils ne le seraient séparément, mais cela permettra aux jeunes de s'imprégner de l'entreprise et de trouver la motivation pour y rester, et aux anciens de partir avec le sentiment d'avoir accompli leur tâche. En effet, ils peuvent alors se dire qu'ils n'ont pas seulement travaillé dans l'entreprise pendant des années, mais qu'ils ont également transmis ce savoir qui permet au métier de perdurer.
D'après vous, quels moyens permettraient de résoudre cette équation ?
D'abord, les études montrent que le tutorat fonctionne le mieux quand il y a une génération d'écart entre la personne qui enseigne et celle qui apprend. Une personne âgée de 60 ans assurera donc un tutorat efficace pour une personne de 40 à 50 ans, par exemple.
Ensuite, il ne faut pas croire que l'âge suffit à rendre pédagogue. Le nombre de personnes pédagogues dans une entreprise n'augmente pas avec l'âge des salariés. À la limite, certains sont pédagogues toute leur vie. Il ne suffit pas d'avoir de l'expérience pour être capable de la transmettre. Certes, cela peut s'apprendre, mais globalement, il n'y a pas beaucoup de pédagogues.
Vous avez raison, monsieur le député, de souligner l'importance des salariés expérimentés qui connaissent l'entreprise et le métier. Ils constituent une richesse précieuse dans l'entreprise, en particulier pour accueillir les jeunes générations.
Le tutorat peut contribuer à l'aménagement de la fin de carrière pour prolonger celle-ci. C'est un dispositif très intéressant pour donner du sens au travail, dans la transmission de savoir-faire et du savoir-être, comme vous l'avez rappelé. Il faut favoriser le mentorat intergénérationnel et la transmission des connaissances dans le cadre des aménagements de fin de carrière.
Les questions que vous avez soulevées ont été réglées il y a quelque temps par les contrats de génération instaurés par les partenaires sociaux. Or ce contrat aidé qui permettait la transmission des savoirs n'a pas trouvé son public. En effet, très peu de contrats de génération ont été signés.
On parle actuellement d'instaurer un dispositif comparable, mais les contrats de génération avaient rencontré peu de succès.
Je remercie chacun des intervenants.
Ma question porte sur la segmentation du traitement de la sécurisation des parcours. Plusieurs chercheurs soulignent que les pays qui ont le meilleur taux d'emploi des seniors sont ceux qui présentent les meilleures conditions de travail.
En partant de ce constat, on peut se demander s'il est justifié de traiter les salariés expérimentés ou plus âgés de manière distincte des autres salariés. Ainsi la chercheuse Annie Jolivet écrit-elle : « Si les salariés rencontrent des problèmes liés à leur santé, au temps de travail ou à la pénibilité des tâches, ces difficultés sont présentes à n'importe quel âge. » Cela rejoint d'ailleurs ce que vous venez de dire.
Autrement dit, les difficultés qui s'accentuent en fin de carrière seraient révélatrices de problèmes intrinsèques au marché du travail. Sur ce point, je rejoins les propos de M. Ricordeau. Il est urgent d'essayer de réparer les injustices et les inégalités subies par les travailleurs dits seniors. De même, il est essentiel de défendre les droits en matière de santé au travail – M. Foucard l'a souligné –, ainsi qu'en matière de retraite, de formation ou encore de chômage. Cependant, n'est-ce pas un piège que de traiter les seniors de façon séparée, en segmentant des injustices qui, en réalité, touchent l'ensemble des travailleurs, parce qu'elles sont causées par les modalités mêmes de fonctionnement du marché du travail ?
Concentrons-nous sur la formation. Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 12,6 % des seniors ont accès à la formation en France, contre 28 % en Allemagne, soit plus du double. En outre, il existe de fortes disparités selon le niveau de diplôme et le type d'emploi occupé. Selon le Céreq – Centre d'études et de recherches sur les qualifications –, deux fois plus de cadres et de salariés occupant une profession intellectuelle supérieure bénéficient d'un accès à la formation que les ouvriers, alors que le taux d'emploi des cadres âgés de 60 à 64 ans est deux fois supérieur à celui des ouvriers du même âge.
En d'autres termes, les salariés qui ont le plus besoin d'accéder à des opportunités professionnelles en acquérant de nouvelles compétences sont aussi ceux qui accèdent le moins à la formation.
L'urgence commande de corriger ces inégalités, à condition de ne pas perdre la bataille sur le long terme. Cette bataille est celle d'un droit à la formation choisi, pour tous, tout au long de la vie – pas seulement en fin de carrière, quand il est presque trop tard pour évoluer ou se réorienter.
Je souhaite connaître votre opinion sur le sujet, même si vous n'avez que deux minutes pour me répondre, ce qui est assez frustrant.
Votre intervention corrobore les propos que j'ai tenus tout à l'heure : la question de l'emploi des seniors est avant tout une question de travail.
Nous sommes à l'avant-veille de la réunion de négociation conclusive. Or le patronat n'a apporté aucune nouvelle proposition pour mieux prendre en compte les conditions de travail et, ainsi, améliorer les carrières et l'emploi des seniors. Il reste donc un fossé énorme à franchir pour avancer dans la direction que vous indiquez.
Est-ce un piège que de mener une politique spécifique pour les seniors ? En ce qui concerne les conditions de travail, on peut éviter ce piège grâce à l'anticipation et à la prévention. Plus on anticipe, plus on prévient, et moins on a besoin de mesures spécifiques par la suite. C'est pourquoi nous proposons – comme d'autres, désormais – d'organiser des rendez-vous tout au long de la carrière professionnelle, à intervalles réguliers, afin de poser les bonnes questions à 35, 45 et 55 ans, et non plus seulement à 55 ans. Ainsi, le piège ne se refermera pas sur les travailleurs.
Pour autant, nous sommes des syndicalistes : quand des salariés sont confrontés à des problèmes particuliers, notre objectif est d'améliorer leur situation. Je pense aux métiers très exposés : on aura beau anticiper et prévenir, il faudra quand même réparer, en raison de la pénibilité du travail.
Une organisation d'employeurs l'a très bien exprimé lors des négociations, sans que cela n'ait débouché sur des mesures concrètes pour le moment. Les représentants des petits artisans observent ainsi que l'on accepte sans difficulté que les footballeurs commencent très jeunes et doivent changer de métier à 35 ans, mais que l'on ne reconnaît pas ce droit à d'autres professions. Il faudrait étendre ce principe. Les enjeux sont d'une telle ampleur que je doute que nous les résolvions en une journée ou un week-end.
Permettez-moi de compléter les propos de M. Ricordeau, avec qui je suis d'accord. Le problème ne se résume pas à la fin de carrière ; celle-ci doit être anticipée le plus tôt possible. Les conditions de travail doivent être adaptées au gré des âges et des étapes de la vie professionnelle.
C'est pourquoi il est important d'aménager les conditions de travail en fin de carrière – je pense au tutorat, qui donne du sens au travail, mais aussi au temps partiel. Des dispositifs incitatifs doivent encourager à prévoir ces aménagements.
Je vous remercie pour ces informations intéressantes. Le Gouvernement affirme régulièrement que s'il y a autant de chômeurs de longue durée – ou de chômeurs tout court –, c'est parce que le montant des aides est trop élevé. Certaines personnes gagneraient plus à rester au chômage qu'à retrouver du travail.
À ma connaissance, cette thèse n'est corroborée par aucune étude. Les syndicats de salariés, quant à eux, disent qu'elle est fausse. J'aimerais savoir ce que le patronat en pense, car je n'entends ces propos que dans la bouche des membres du Gouvernement et de la majorité.
Êtes-vous d'accord pour affirmer que si le chômage de longue durée existe, en particulier pour les seniors, c'est parce que le montant des aides est trop élevé ? Que pensez-vous des déclarations de Bruno Le Maire, et de celles qu'a faites Gabriel Attal dans son discours de politique générale ?
La baisse du taux de chômage s'est stabilisée sous l'effet de la conjoncture. En début de période, le chômage dépassait légèrement 7 % ; or nous tendons désormais vers l'objectif de plein emploi, à 5 %. Le chômage conjoncturel a donc reculé, laissant la place à un chômage structurel qu'il est plus complexe de résoudre, en raison de l'inadéquation entre l'offre et les besoins. Comment inciter au retour à l'emploi, à l'heure où 400 000 à 500 000 postes ne sont pas pourvus ? Nous demandons que des mesures soient prises pour inciter à un retour à l'emploi le plus rapide possible. C'est l'enjeu de la nouvelle réforme de l'assurance chômage souhaitée par l'exécutif.
À Bruno Le Maire, la CFDT répond que l'assurance chômage est gérée par la ministre du travail, de la santé et des solidarités. Nous souhaitons que les modalités du dialogue social soient respectées et que notre interlocuteur soit bien le ministère du travail.
Au Premier ministre, la CFDT répond qu'elle s'opposera toujours aux paroles accusatoires, qu'elles soient dirigées contre les immigrés ou les demandeurs d'emploi, jugés responsables de leur situation. Le monde du travail est bien plus complexe que de tels éléments de langage.
Les emplois non pourvus dont vous parlez se caractérisent par un niveau de rémunération et des conditions de travail déplorables. Un accompagnement dédié aux seniors est utile, car les gisements d'emplois se trouvent dans des secteurs très physiques comme la restauration ou l'aide à la personne. Les jeunes peuvent s'en accommoder, mais en vieillissant, on peut s'abîmer et se faire mal. Sortons du délire intellectuel qui consiste à frapper les plus faibles ! Il ne suffit pas de traverser la rue pour trouver du travail, même quand on a des compétences.
Pour FO, le chômage n'est pas un choix. En ce qui concerne l'assurance chômage et le travail, notre interlocuteur est bien la ministre du travail, de la santé et des solidarités – même si je sais que Bruno Le Maire a tendance à vouloir être le ministre de tout.
S'il était déjà ministre des finances, ce serait bien !
Sourires.
Je remercie le groupe LIOT, qui est à l'initiative de ce débat, et qui compte en son sein le plus grand nombre de députés ultramarins – après le groupe GDR, bien sûr. Je souhaite vous alerter sur la situation des seniors en outre-mer. Elle est encore plus problématique que dans l'Hexagone.
À La Réunion, territoire où je suis élue, les seniors restent plus longtemps au chômage, souvent de très longue durée : 43 % d'entre eux y sont inscrits depuis trois ans ou plus. Ils sont trois fois moins nombreux que les moins de 50 ans à accéder à une formation, et deux fois moins nombreux à reprendre un emploi. Parmi les demandeurs d'emploi seniors pour lesquels un diagnostic a été effectué, 51 % ont au moins un frein périphérique à l'emploi. Selon l'Insee, les retraités réunionnais sont trois fois plus concernés par un départ pour inaptitude que ceux de la métropole.
Malgré ces difficultés alarmantes, les seniors réunionnais veulent travailler. Leur taux d'emploi a d'ailleurs progressé, même s'ils vivent moins longtemps et en moins bonne santé que dans l'Hexagone. Malheureusement, ce n'est pas parce qu'ils s'épanouissent dans le travail ; c'est parce qu'à La Réunion, les pensions de retraite sont les plus faibles de France, hors Mayotte. Un retraité réunionnais sur deux touche une pension de retraite inférieure à 850 euros. Les carrières incomplètes sont nombreuses. Dans notre territoire, le Smic n'a été aligné sur le montant national qu'en 1996, alors que nous sommes un département français depuis 1946. J'avais déjà lancé une alerte sur le sujet lors de la réforme des retraites, l'année dernière.
Selon vous, des mesures spécifiques doivent-elles être prises en faveur de l'emploi des seniors ultramarins ? Prêtez-vous une attention particulière à ces questions ?
L'accord ne comprend pas de dispositions spécifiques aux départements ultramarins. En revanche, mon secteur confédéral couvre les outre-mer. Votre département est touché par un problème concernant l'indemnité temporaire de retraite (ITR). Mais lors de la réunion d'hier, le ministère a refusé d'inclure La Réunion et Mayotte dans l'accord qui permet une revalorisation à 4 000 euros.
Au problème des revenus s'ajoute celui du coût de la vie. Dans certains départements comme Mayotte, qui est pourtant bien un département français, les minima sociaux et les seuils ne sont pas les mêmes que dans l'Hexagone.
La CFDT est bien consciente que la question de l'emploi se double d'enjeux sociaux aigus dans la plupart des départements d'outre-mer. Nous sommes implantés dans ces territoires et travaillons avec les syndicats locaux.
Il faut accentuer bien davantage la logique de territorialisation. La CFDT l'a d'ailleurs souligné lors de la négociation : notre pays pèche par son incapacité à aborder les questions d'emploi et de compétences de manière territorialisée, en particulier dans les outre-mer. Nous devons progresser en ce sens : c'est la seule façon de répondre correctement à la situation en outre-mer.
Nous sommes favorables à des mesures qui donnent plus à ceux qui en ont le plus besoin. Quand la situation se dégrade, il n'y a aucune raison de ne pas inventer de nouveaux dispositifs ou de ne pas muscler ceux qui existent.
Je rejoins ce qui vient d'être dit. Dans mon propos introductif, j'ai insisté sur le fait qu'il n'y avait pas une solution unique, mais une multitude de solutions. Il faut tenir compte de la situation des entreprises et des secteurs d'activité, donc des branches, mais aussi des territoires et des situations personnelles.
La Réunion a un taux de chômage deux fois supérieur à la moyenne en métropole. Cette situation particulière mérite des solutions spécifiques.
Je vous remercie, mesdames et messieurs, pour les éclairages et les réponses que vous nous avez apportés, ainsi que pour votre participation à nos travaux.
Suspension et reprise de la séance
Avant de passer à la seconde phase de notre débat, je suspends brièvement la séance.
La séance, suspendue à douze heures, est reprise à douze heures cinq.
La séance est reprise.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles.
Depuis 2017, notre action suit un fil rouge : la libération du travail et de l'esprit d'entreprise. La France doit retrouver durablement le chemin de la croissance, et tous ceux qui le peuvent doivent pouvoir trouver un travail qui leur convient, un travail de qualité, porteur de sens et outil d'émancipation, notamment en matière de pouvoir d'achat. Un chômeur qui retrouve un emploi, c'est une respiration pour lui et sa famille.
Le meilleur indicateur de notre santé économique est le taux d'emploi des jeunes et des seniors. Nous avons conduit une action résolue en ce sens : transformation en profondeur du droit du travail, préservation de l'emploi et de l'industrie pendant la crise du covid grâce à l'activité partielle, investissements massifs dans la formation – compte personnel de formation (CPF), plan d'investissement dans les compétences des demandeurs d'emploi, développement historique de l'apprentissage –, valorisation du travail pour qu'il paie mieux – augmentation de la prime d'activité, suppression des cotisations salariales chômage et maladie, prime de partage de la valeur (PPV) dite prime Macron, loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, dynamisation des dispositifs d'intéressement et du partage de la valeur.
Les politiques de l'emploi menées par le Gouvernement ont permis d'atteindre des résultats historiques : le taux de chômage, qui s'élevait à 9,6 % au début de 2017, est à son plus bas niveau depuis 2008 : plus de 2 millions d'emplois créés, voilà la réalité. Le plein emploi est à portée de main pour la première fois depuis quinze ans. Atteindre cet objectif est une priorité absolue.
Néanmoins, la situation n'est pas entièrement satisfaisante. Le taux de chômage structurel demeure élevé : 7,5 % au quatrième trimestre 2023, contre 3,1 % en Allemagne. Les difficultés de recrutement n'ont jamais été aussi intenses à court terme, notamment dans les secteurs de la santé, du social, de l'aide à domicile, du transport de voyageurs et de l'industrie. Elles perdureront à moyen terme – les métiers en expansion à l'horizon de 2030 sont déjà en tension. Le taux d'emploi reste encore trop faible, notamment chez les jeunes et les seniors : 32,2 % chez les 15-24 ans, contre 50 % en Allemagne ; 66 % chez les 50-64 ans, contre 78 % en Allemagne.
C'est pourquoi l'amélioration du taux d'emploi des seniors est la priorité du Gouvernement et de la ministre du travail, de la santé et des solidarités. Si le taux d'emploi des seniors n'a cessé de progresser en France depuis les années 2000, il reste très inférieur à la moyenne de l'Union européenne, en particulier pour les 60-64 ans. Or, la mobilisation des seniors dans notre économie est un levier important de croissance et de prospérité. Nos seniors ont du talent et de l'expérience. Il nous appartient de trouver des solutions pour leur permettre de rester en emploi ou de retrouver rapidement un poste.
La réforme des retraites de 2023 a contribué à l'objectif de plein emploi des seniors. Le décalage progressif de l'âge de départ en retraite permettra en effet d'augmenter le taux d'emploi de cette population. L'étude d'impact de la réforme estimait ainsi à 310 000 le nombre d'emplois créés. Ce sont autant de personnes qui, par leur expérience et leur talent, contribueront au bon fonctionnement de notre économie. Les mesures d'accompagnement de la réforme des retraites permettent par ailleurs d'adapter les conditions de travail des seniors. La retraite progressive a été étendue à la fonction publique, et il est plus facile pour les salariés d'y recourir. C'est un bon moyen pour les seniors de préparer leur départ à la retraite en réduisant leur durée de travail.
Le cumul emploi-retraite est désormais créateur de droits, dès lors que la retraite est liquidée à taux plein : cela permet aux seniors de choisir la façon dont ils entendent organiser leur temps, entre travail et retraite. La prévention de l'usure professionnelle a été renforcée, par la création du fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle (Fipu), doté de 1 milliard d'euros sur cinq ans. L'harmonisation du régime social des indemnités de rupture conventionnelle, avant et après l'âge d'ouverture des droits à la retraite, a mis fin à l'incitation pour les entreprises à se séparer de leurs seniors avant l'âge de départ en retraite.
Pour atteindre le plein emploi des seniors, il faudra toutefois aller plus loin et travailler en particulier sur le maintien dans l'emploi des seniors. Il est établi qu'après la perte d'un emploi, les seniors peinent à réintégrer le marché du travail et connaissent plus souvent un chômage de longue durée. Un effort important doit donc être fourni. À cet égard, il faut souligner que 51 % des départs volontaires dans le cadre de ruptures conventionnelles collectives concernent des salariés de 57 ans et plus ; 21 % des salariés sortent du congé de mobilité par un départ en retraite ; un tiers des départs réalisés dans le cadre des plans de départ volontaires concerne les plus de 57 ans.
Nous devons par ailleurs renforcer l'accès des seniors à la formation. Cela passe par la lutte contre des stéréotypes persistants, en conséquence desquels les seniors sont moins souvent orientés vers la formation. Parmi les salariés qui ont utilisé le projet de transition professionnelle, la part des seniors de plus de 50 ans représente à peine 10 %. Pourtant, la formation augmente significativement les chances des seniors de retrouver un emploi.
L'insertion des seniors sur le marché du travail doit être favorisée, lorsqu'ils sont privés d'emploi.
Il convient également d'accentuer la prévention de l'usure professionnelle, ce qui suppose de travailler sur les transitions professionnelles, indispensables pour répondre aux aspirations des personnes à évoluer vers un nouveau métier, pour préparer une deuxième ou une troisième partie de carrière dans des conditions compatibles avec son état de santé et de fatigue, pour réagir aux mutations économiques qui peuvent entraîner le déclin de certaines activités, et pour préparer les compétences nécessaires aux métiers en tension ou d'avenir, notamment dans le cadre des transitions numériques et climatiques.
Il faut enfin mieux lutter contre les stéréotypes et les discriminations liés à l'âge, qui minent encore beaucoup trop notre pays, et assurer la transparence sur les pratiques, notamment par la création d'outils d'autodiagnostic.
Les partenaires sociaux, qui négocient actuellement sur l'ensemble de ces sujets, doivent rendre leurs conclusions lundi prochain. Le Gouvernement en espère une issue positive, qui lui permettra de revenir vers vous avec un projet de loi.
La parole est à M. Olivier Serva, dont le groupe a pris l'initiative de ce débat.
« Les seniors, bien loin de se tenir en retrait, en position d'assistés, participent activement à la construction de la société et du monde, […] et doivent donc être perçus comme une véritable richesse. » Je fais miens ces mots extraits du manifeste « Perspective » de Planet Media. Je souhaite, à travers cette question, appeler votre attention sur les conditions d'accès des seniors aux allocations chômage. Nous, membres du groupe LIOT, regrettons que l'emploi des seniors n'ait pas été un préalable à la réforme des retraites.
Le taux d'emploi des 55-64 ans s'élève à 56 %, et le taux de chômage augmente au fur et à mesure que les seniors prennent de l'âge. Ces derniers restent plus longtemps au chômage, et la réforme de l'assurance chômage a limité la durée d'indemnisation des plus de 55 ans en la faisant passer de trente-six à vingt-sept mois. Pire, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, envisagerait d'aligner cette durée d'indemnisation sur le droit commun, à savoir dix-huit mois. Néanmoins, les services du ministère du travail, de la santé et des solidarités ne jugent pas opportun cet énième rabotage des droits des travailleurs seniors, la précédente réforme n'ayant même pas encore été évaluée.
J'ai une pensée émue pour les personnes qui frappent à la porte de ma permanence en Guadeloupe et qui, malgré toute leur bonne volonté, ne trouvent pas de travail. Ce sont celles qui prennent un repas par jour, renoncent à se soigner ou subissent une procédure d'expulsion de leur logement, faute de moyens. Dans le même temps, 27 % des jeunes Guadeloupéens de 15 à 29 ans ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation, soit deux fois plus que dans l'Hexagone. Parmi eux, un sur cinq est diplômé. Je vous laisse donc imaginer à quel point la difficulté est de taille pour nos seniors.
Alors, madame la ministre, le groupe LIOT voudrait qu'au lieu d'appauvrir ceux qui le sont déjà, vous actionniez les leviers qui favorisent l'emploi des seniors, tels que la dégressivité des cotisations patronales au-delà de 55 ans ou encore l'amélioration des dispositifs de transition professionnelle.
Je partage vos propos : oui, nos seniors sont une richesse. C'est pourquoi j'ai évoqué la lutte contre les stéréotypes, car on a tendance à méconnaître le rôle des seniors dans la société, en particulier leur engagement dans le monde associatif. Je connais l'attachement de votre groupe à cette dimension. Vous considérez, à juste titre, que le dialogue entre les organisations syndicales est un préalable à toute réforme. Le Gouvernement souhaite lui aussi que ces organisations trouvent un accord et un chemin, pour que nous puissions nous en saisir et le soumettre aux parlementaires qui en débattront et l'enrichiront. Le temps de la négociation est essentiel et je veux vous rassurer : s'agissant de l'indemnisation chômage, les négociations n'ont pas lieu à Bercy, mais bien à l'hôtel du Châtelet, avec la ministre du travail, de la santé et des solidarités. C'est une ancienne responsable syndicale qui vous parle : avant d'avoir un mandat d'élue, j'étais moi-même partie prenante du dialogue social, qui est – j'en suis convaincue – la pierre angulaire des améliorations à apporter à notre système.
Il faut faciliter l'accès rapide à une formation ou à une reconversion pour les personnes les plus âgées en situation de précarité, investir encore davantage dans la protection de leur santé et lutter contre l'usure professionnelle. Je sais que votre groupe est sensible à la question de la prévention. Tout doit être fait pour éviter les trop grandes difficultés de retour à l'emploi, notamment en luttant contre les discriminations à l'embauche : si nous y parvenons, nous aurons gagné une grande bataille. Comme vous, j'attends donc avec beaucoup d'impatience l'issue des négociations entre les partenaires sociaux.
Vous avez commencé votre propos introductif en disant que le Gouvernement voulait libérer le travail, et vous avez évoqué la réforme des retraites qui, selon vous, favoriserait l'emploi des seniors. Je ne peux vous laisser dire cela sans réagir. Non, la réforme des retraites n'a pas permis aux seniors de retrouver plus facilement un emploi ni d'améliorer leurs conditions de travail au sein de l'entreprise. En effet, rien n'a été fait pour l'emploi des seniors, ni dans cette réforme ni dans la loi de 2023 pour le plein emploi, qui a créé France Travail.
Il faudrait, à mon sens, changer de paradigme. La tendance actuelle est d'accompagner les seniors vers la préretraite ou de leur proposer des ruptures conventionnelles, afin qu'ils partent plus tôt à la retraite, alors qu'ils représentent une véritable richesse pour l'entreprise – sur ce point, je suis d'accord avec vous. En effet, ils ont acquis des techniques et une expérience, ils appartiennent à une génération qui fait preuve d'un certain savoir-être, recherché par les recruteurs, et ils ont l'amour de leur métier et l'envie de le transmettre. Ils représentent un exemple en matière de possibilités d'évolution interne, pour les jeunes générations qui intègrent une entreprise – exemple qui inciterait ces dernières à rester au-delà des six ou huit ans d'ancienneté moyenne au sein des entreprises.
Pour toutes ces raisons, nous devons changer de paradigme. Je ne sais pas très bien ce que l'État peut faire de lui-même, mais il faudrait accompagner davantage les entreprises dans la création de dispositifs adaptés : nous avons évoqué tout à l'heure, avec les partenaires sociaux, les contrats aidés ou encore les postes de travail occupés en binôme, qui permettent d'associer un senior avec un jeune apprenti, par exemple.
Quels moyens le Gouvernement entend-il mettre à la disposition des entreprises pour les aider à accompagner davantage les seniors, qui méritent d'être mieux considérés ?
Vous avez évoqué les effets de la réforme des retraites sur l'emploi des seniors. Les évaluations sont en cours et devront étayer ou infirmer ce que je vais vous dire. Toutefois, selon notre analyse, la réforme a permis de repousser l'horizon du départ à la retraite et d'offrir ainsi une chance supplémentaire aux seniors d'accéder à la formation. Celle-ci s'effondre actuellement pour les seniors, comme si l'entreprise ne croyait plus en leur capacité de rester et ne souhaitait plus investir dans ce capital humain. Or moins il est formé, moins le senior a de chance de rester dans l'entreprise et plus la sortie sera difficile. Car, ne soyons pas naïfs : il est plus compliqué pour un senior de retrouver un travail, de surcroît lorsqu'il approche de l'âge de la retraite. C'est ce qui explique le nombre de ruptures conventionnelles subies, qui deviennent une forme de préretraite non souhaitée par le salarié, alors même qu'il serait possible, en effet, d'imaginer un autre modèle.
Un autre modèle, qu'est-ce que cela signifie ? Il faudrait réinvestir dans la formation des seniors, dresser des bilans plus précocement – dans la société actuelle, un salarié peut exercer deux ou trois métiers différents tout au long de sa vie –, renforcer la retraite progressive, sous réserve qu'elle soit choisie par le salarié, et construire des dispositifs permettant de réduire le temps de travail de manière proportionnelle. Je pense également au cumul emploi-retraite, pour ceux qui sont en pleine santé et ont envie de continuer à travailler, parce que nous savons à quel point le travail crée du lien social. D'ailleurs, on ne travaille pas de la même manière selon qu'on est artisan, indépendant, qu'on exerce au sein d'un grand groupe ou d'un petit.
Cela rejoint ce que vous avez évoqué dans votre question : l'importance de créer des liens entre les plus jeunes et les plus âgés, d'autant ces deux populations présentent une vulnérabilité. Si nous voulons construire une société plus humaine, nous devons faire en sorte que les seniors s'impliquent davantage dans le tutorat des apprentis et transmettent non seulement un savoir-faire, mais aussi une culture. Plusieurs pistes peuvent favoriser cette proposition, sur le plan fiscal, économique ou par l'intermédiaire des contrats de travail. La ministre du travail, de la santé et des solidarités mène actuellement des discussions à ce sujet avec les organisations patronales et salariales. C'est une bonne piste, parce que nous ne gagnerions rien à opposer ces deux générations.
Il faut commencer ce débat en évoquant la réforme des retraites, adoptée grâce à un coup de force, en recourant au 49.3, puisque vous ne disposiez pas de la majorité à l'Assemblée nationale, pas plus que vous n'aviez le consentement de la majorité des actifs ni même des Françaises et des Français. D'ailleurs, selon les derniers chiffres dont nous disposons, le système des retraites reste déficitaire malgré la réforme, ce qui illustre le double échec du Gouvernement.
En plus d'être un échec politique et économique, la réforme des retraites augmente le chômage des seniors. La France compte encore davantage de personnes au chômage que d'emplois disponibles. Il y a 60 % de chômeurs de longue durée parmi les plus de 60 ans. Or le Gouvernement évoque désormais une deuxième phase de la réforme de l'assurance chômage : Gabriel Attal annonce vouloir supprimer l'ASS, et Bruno Le Maire souhaite réduire la durée d'indemnisation du chômage, qui passerait de vingt-sept à dix-huit mois pour les seniors.
Ma question est donc simple : alors qu'aucune étude ne démontre qu'une baisse des montants de l'assurance chômage ou de la durée d'indemnisation permettrait de remettre les gens en emploi, et que pratiquement aucun syndicat n'est d'accord avec cette thèse, pourquoi une telle réforme ? À cet égard, permettez-moi de citer la CFE-CGC qui disait tout à l'heure qu'il ne suffit pas de traverser la rue pour trouver du boulot ; la CFDT, qui déclare qu'elle s'opposera à toute proposition accusatoire ; ou encore la CGT, qui parle d'injustice. Je n'ai entendu qu'un seul interlocuteur qui a répété, mot pour mot, ce que n'arrêtent pas de dire les députés de la majorité et le Gouvernement : c'est le Medef. Autrement dit, il existe une thèse selon laquelle les gens ne seraient pas en emploi parce qu'ils percevraient une indemnisation du chômage trop élevée, pendant trop longtemps. Aucune étude, aucun syndicat ne confirme cette thèse, personne n'est d'accord, sauf le Medef !
Par conséquent, madame la ministre, disposez-vous d'un seul élément qui prouve qu'une baisse du montant et de la durée de l'indemnisation chômage permettrait d'améliorer l'emploi des seniors ?
Vous avez mentionné différents points, dont les pénuries d'emploi dans certains secteurs alors qu'il y a encore beaucoup de chômeurs de longue durée. Vous avez évoqué l'ASS et les propositions du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, qui n'ont pas encore été détaillées. Permettez-moi simplement de rappeler que c'est bien la ministre du travail, de la santé et des solidarités qui a la charge et la responsabilité de la question de l'emploi, et personne d'autre. Connaissant la ministre, je peux vous dire qu'elle accorde une importance particulière au dialogue social, qu'il soit syndical ou patronal. Vous comprendrez que je ne puisse m'exprimer sur une réforme ou des pistes qui ne sont ni précisées ni discutées ; ce sont, à ce stade, des hypothèses.
En ce qui concerne le chômage de longue durée, à l'heure où certains secteurs peinent véritablement à recruter, la vraie réponse, la mère des batailles, dirais-je, c'est l'adaptation des postes, la lutte contre l'usure et l'accompagnement des métiers du lien, en particulier du social. Actuellement, 10 000 emplois ne sont pas pourvus dans le domaine de la petite enfance ; les métiers du social craquent, en raison de conditions de travail difficiles et de faibles rémunérations – ces deux aspects sont essentiels et je n'élude rien – ; il en est de même, si l'on prend un peu de hauteur, des métiers de la santé.
Comment répondre à ces difficultés ? Il faut investir davantage dans la formation ou encore accroître la solidarité à la source – car lorsqu'on est senior, on éprouve davantage de pudeur à demander de l'aide. Le non-recours aux droits est élevé parmi cette population. La solidarité à la source, c'est considérer le senior qui recherche un emploi, ou qui subit un temps partiel, dans sa globalité, en lui apportant des réponses et des soutiens plus spécifiques, afin de lutter contre sa précarité.
Voilà, monsieur le député, les éléments que je peux vous apporter, avec une réponse très claire s'agissant de la réforme de l'assurance chômage, qui n'a pas encore fait l'objet de négociations et qui arrivera en temps et en heure. Le dialogue social est en cours ; nous attendrons de connaître, lundi prochain, les propositions des organisations syndicales avant de réfléchir à l'évolution de l'assurance chômage, si besoin est, puisque la situation économique a évidemment changé depuis le début de la législature.
Je remercie le député Serva et le groupe LIOT d'être à l'origine de ce débat. En cette période si particulière, nous entendons tout sur l'emploi des seniors. Pour ma part, j'ai choisi d'échanger avec plusieurs personnes de plus de 45 ans en recherche active d'un emploi en CDI. Voici ce qu'il en ressort : la rupture du contrat de travail est à 81 % des cas à l'initiative de l'employeur pour les cadres de cette tranche d'âge. Or lorsqu'on a plus de 45 ans, on a déjà connu beaucoup de situations d'emploi : des plans sociaux ou de redressement, des changements d'organisation et de fonctions dans des entreprises de taille intermédiaire (ETI), des petites et moyennes entreprises (PME) ou des grands groupes. On a parfois créé son entreprise ou accepté des missions de conseil ou de management de transition. Bref, on a bâti un socle de compétences, que l'on souhaite valoriser pour créer de la valeur ajoutée et être un levier de performance pour l'entreprise et pour l'économie française.
À plus de 45 ans, certains, durant leur parcours professionnel, ont déjà été inscrits jusqu'à huit fois à France Travail. Le collectif de personnes en recherche d'emploi que j'ai rencontré me résume ainsi la situation : certaines entreprises vous disent du jour au lendemain, alors que vous atteignez vos objectifs, qu'elles n'ont plus de missions pour vous et qu'elles souhaitent limiter leurs charges, en vous remplaçant par quelqu'un de plus jeune et, surtout, de moins coûteux. Disons-le franchement : l'âgisme est, en France, l'une des premières discriminations. C'est sur ce plan que nous devons travailler avec les entreprises car le senior, lui, est bien conscient de la nécessité de travailler et de cotiser, sachant qu'il lui reste quatorze ans pour préparer sa retraite.
La France est-elle prête à innover socialement et humainement, afin que nos seniors puissent aller au bout de leur carrière ? Pourrions-nous réfléchir à une loi positive, incitative, collaborative, inclusive, progressive, avec les entreprises, au cœur de la solution ? Car là est le secret, madame la ministre. Je représente le « en même temps » souhaité et voulu par la majorité. C'est l'ancienne DRH qui vous parle : je sais et j'ai vu comment on fait sortir les seniors des entreprises. Qu'envisagez-vous pour contraindre les entreprises à ne plus faire sortir en masse les seniors, afin que leur traitement ne se résume pas, ensuite, à des questions d'employabilité, de salaire ou d'arrêt maladie ? En d'autres termes, comment contraindre les entreprises à traiter les seniors en leur qualité d'êtres humains ? Vous avez répondu partiellement à mon collègue tout à l'heure, mais peut-être pourriez-vous préciser vos propos. Comment imposer au Medef de jouer son rôle ? Nous avons répondu présents lorsque les entreprises avaient besoin de nous ; nous avons besoin désormais des employeurs pour avancer.
En raison de votre expérience personnelle et professionnelle, vous avez un regard de praticienne, si vous me permettez l'expression. Nous ne sommes pas naïfs ; les situations sont très inégales. La réalité, c'est que la rupture conventionnelle est une forme de préretraite forcée. Et le retour à l'emploi est bien plus difficile pour les seniors, pour de nombreuses raisons. C'est pourquoi j'ai dit tout à l'heure que la réforme des retraites permettait de repousser l'horizon et de recréer de l'emploi. Certes, ce n'est pas la seule et unique solution, loin de là.
Il faut repenser la formation, je l'ai dit, parce que 10 % seulement des seniors sont formés – c'est dramatique ! D'ailleurs, s'agissant des seniors, vous parlez des plus de 45 ans, tandis que certains évoquent les plus de 55 ans et que d'autres considèrent qu'il faut s'intéresser à la question plus précocement encore. Il faut briser ce tabou et reconnaître que plus un salarié avance en âge au sein de l'entreprise, plus il apporte de richesse – ce n'est pas une question de coût. Il faut donc lutter contre cette discrimination – j'assume le mot – due à l'âge, qu'elle se traduise à l'embauche ou, parfois, à la sortie, au moyen d'un licenciement abusif.
Pour cela, nous pouvons saisir l'occasion donnée par l'un de vos collègues de la majorité présidentielle, Marc Ferracci, qui a fait adopter en première lecture à l'Assemblée nationale une proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques. Ce texte a légèrement évolué lors de son examen par le Sénat et reviendra avec certitude en commission mixte paritaire (CMP). Il permettra de réaliser davantage de testings et d'identifier les pratiques délictueuses, afin de contraindre ou de rappeler à l'ordre les entreprises qui recourent à une politique discriminatoire vis-à-vis des seniors – voilà, pour ce qui concerne l'aspect le plus ferme.
De l'autre côté, comment créer de l'employabilité ? Grâce à des emplois mieux accompagnés ou encore à une meilleure adaptation des postes. Nous savons qu'il existe de vraies difficultés de recrutement dans certains secteurs, parfois des secteurs d'avenir. Or quel est le trou dans la raquette ? C'est l'adaptabilité.
Les salariés devraient peut-être envisager une reconversion plus tôt dans leur carrière car malheureusement, une fois qu'ils sont cassés, ils sont condamnés à l'expérience d'un chômage de longue durée. Nous ne nous y résignons pas – vous non plus, je le sais. Trois leviers peuvent être actionnés : l'investissement dans la formation, la contrainte lorsque c'est nécessaire, et l'autodiagnostic pour favoriser l'évolution des représentations des seniors au sein des entreprises. Le Gouvernement sera au rendez-vous du dialogue social, même si les mesures dépendront aussi des retours des organisations patronales et syndicales attendus la semaine prochaine. J'aurais souhaité vous en dire plus, mais la ministre du travail, de la santé et des solidarités attend les conclusions des partenaires sociaux – vous le comprendrez.
Il y a un mois environ, lors d'une rencontre réunissant plusieurs parlementaires du groupe LIOT et le président du Medef, Patrick Martin, j'ai évoqué nos réticences à modifier les mécanismes de protection sociale. J'ai été très prudent dans mes propos – je me suis dit que si j'y allais trop fort, il risquait de mal le prendre. Il ne l'a pas mal pris du tout ! Il m'a répondu que le Medef ne souhaitait pas une telle réforme et qu'elle ne faisait pas partie des priorités des entreprises. Ce qui importe pour elles, c'est de relancer l'emploi et l'industrie, de travailler avec les partenaires sociaux et de s'assurer que le dialogue social se passe bien. Lors de la table ronde qui a précédé, les organisations syndicales nous ont dit que, de leur point de vue, modifier à nouveau les conditions d'indemnisation des chômeurs – en particulier des chômeurs de longue durée – était une absurdité.
Premièrement, quels acteurs demandent une telle réforme ? Quelles organisations, syndicales ou patronales, vous ont demandé de sabrer encore les prestations d'assurance chômage ? Si vous ne le savez pas, c'est grave ! Vous lancez des idées qui ne sont pas applicables.
Deuxièmement, vous nous dites de ne pas nous inquiéter car vous écouterez les partenaires sociaux dans le cadre du dialogue social. Mais quand ferez-vous taire Bruno Le Maire ? Il passe son temps, matin, midi et soir, à dire qu'il faut supprimer l'ASS et réduire les durées d'indemnisation. Ce n'est pas sérieux !
Troisièmement, je reprendrai la belle question d'Olivier Serva : alors que le taux de chômage et le coût de la vie sont plus élevés en outre-mer qu'en métropole, les indemnités chômage y sont plus faibles. Quand mettrez-vous fin à cette situation ?
Je ne parle pas au nom des organisations patronales – cela ne vous aura pas échappé. Je représente la ministre du travail, de la santé et des solidarités, dont la priorité est de garantir que l'emploi paye, d'éviter que les actifs soient au chômage, de relancer l'économie, de former les salariés, et d'adapter les postes. C'est son obsession et elle considère que pour y parvenir, nous devons nous appuyer sur le dialogue social – dont elle a la culture profonde.
Les questions liées au travail se décident au ministère du travail, de la santé et des solidarités. Entre le moment où les organisations syndicales ont commencé à discuter et aujourd'hui, la conjoncture a changé : nous observons un ralentissement économique. Dans un tel contexte, il n'est pas interdit de s'interroger et de débattre – c'est même précieux. Les contours de cette réflexion sont-ils posés ? La réponse est non. Il serait indélicat d'anticiper les réponses, alors que les conclusions ne sont pas encore connues. La ministre souhaite attendre les propositions des organisations syndicales et patronales, notamment sur les conditions d'indemnisation ; elles sont attendues mardi. Le débat parlementaire permettra d'avancer sur ces questions. Monsieur le président Pancher, nous n'avons aucun dogme, soyez-en certain.
Quant à créer des emplois grâce à la réindustrialisation, le Gouvernement ne ménage pas ses efforts. Roland Lescure, et avant lui, Agnès Pannier-Runacher, font leur maximum pour accompagner la réindustrialisation des territoires. Ces efforts sont payants : la création d'un emploi industriel génère cinq emplois induits dans le reste de l'économie. Le cap et le chemin sont les bons.
Dans les outre-mer, aux inégalités professionnelles s'ajoutent des inégalités démographiques. Il existe de fortes disparités entre les territoires : certains comptent davantage de jeunes et d'autres davantage de personnes âgées, et certains jeunes sont obligés de quitter leur territoire, faute d'emploi – c'est la réalité. Étant issue d'un mouvement et d'une famille politique qui croient en la territorialisation des politiques publiques, je souscris à la proposition formulée par Olivier Serva lors de la table ronde qui a précédé – je ne peux pas me renier. Nous devons envisager d'une manière spécifique les prestations sociales et l'accompagnement à l'emploi dans les territoires ultramarins. Nous devons avoir systématiquement le réflexe d'analyser les effets des politique publiques et des réformes, et prendre la mesure des besoins locaux afin de proposer des réponses territorialisées. Je suis très à l'aise avec cette proposition qui rejoint la position historique de ma famille politique.
Le fil directeur de votre propos se dessine. Dans vos réponses aux questions se rapportant aux annonces de Bruno Le Maire, vous avez d'abord indiqué que les décisions se prenaient au ministère du travail. Lorsque mon collègue vous a demandé quand Bruno Le Maire se tairait enfin, vous nous avez répondu que les décisions se prenaient au ministère du travail. Mais en avez-vous informé Bruno Le Maire ?
Sourires sur les bancs du groupe LIOT.
Je vous ai interrogée sur les données probantes de la réforme. Je le répète, aucune étude ne prouve qu'il est efficace de réduire le montant ou la durée des prestations pour lutter contre le chômage – des universitaires l'ont souligné. Aucune organisation syndicale – même patronale – ne demande une telle réforme, à l'exception du Medef, qui reproduit mot pour mot les éléments de langage que nous entendons à longueur de journée. Vous me dites que vous ne pouvez pas me répondre car le dialogue social est en cours. Je vais donc changer mon angle d'approche.
Cette réforme de l'assurance chômage est la quatrième. Les trois dernières reposaient sur le même postulat : les chômeurs ne veulent pas retrouver un emploi parce qu'ils sont satisfaits du montant et de la durée de l'indemnisation ; réduire le montant et la durée d'indemnisation permet donc de combattre efficacement le chômage. La plupart des chômeurs vivent tout de même sous le seuil de pauvreté, je le rappelle – beaucoup ne sont même pas indemnisés ! Plutôt que de vous interroger sur la réforme à venir, je vous interroge sur les trois dernières. Aucune étude n'a prouvé l'efficacité de ces mesures, aucune organisation syndicale ne les demande, et seul le Medef adhère à votre discours. Pouvez-vous citer un seul fait qui prouve qu'une réduction du montant ou de la durée de l'indemnisation est efficace pour diminuer le taux de chômage ?
Vous m'invitez à dresser le bilan des précédentes réformes. Les conclusions des recherches académiques convergent : diminuer la durée d'indemnisation du chômage réduit le délai de retour à l'emploi. Toutefois, je ne suis pas de ceux qui pensent qu'une généralité est valable pour tout le monde. La question qui nous occupe est celle de l'emploi des seniors. Le public jeune a ses spécificités, le public senior également. Nous devons porter un regard bienveillant – pour ainsi dire, humain – sur les situations en fonction des tranches d'âge et adapter les réponses. Si vous le souhaitez, je vous transmettrai les recherches académiques qui étayent mon propos.
Depuis 2017, 2 millions d'emplois ont été créés. Nous n'avons jamais connu un taux d'emploi aussi élevé, ce qui prouve que les réformes du travail et l'accompagnement à la formation vont plutôt dans le bon sens. Notre gouvernement et notre majorité – sans toujours avoir bénéficié du soutien d'une large majorité –, ont favorisé le retour à l'emploi, y compris des jeunes. Plus de 1 million de contrats en alternance ont été créés, mais ce n'est pas l'objet de notre débat.
La création d'un bonus-malus sur les cotisations employeur d'assurance chômage et le durcissement des conditions d'éligibilité ont incité les entreprises à maintenir plus longtemps les salariés dans l'emploi. Mon propos répond aussi à la question de la députée Fanta Berete sur les réponses plus fermes – plus incitatives, pour utiliser un langage policé – à apporter pour lutter contre les discriminations liées à l'âge. La réforme de 2019 visait également à inciter les salariés les moins éloignés de l'emploi à retrouver plus rapidement un travail. Or les seniors sont davantage exposés au chômage de longue durée – il ne s'agit pas d'un chômage ponctuel. Nous devons éviter l'entrée dans le chômage de ces publics vulnérables, dont nous savons qu'ils y resteront plus longtemps.
Le rapport intermédiaire du comité d'évaluation de la réforme de l'assurance chômage initiée en 2019, qui a été rédigé par un comité scientifique, apporte des données descriptives. L'analyse montre que des mesures telles que le bonus-malus ou l'allongement de la période minimale d'affiliation ont eu des effets plutôt positifs. Cependant, les analyses de ce rapport ne sont pas suffisamment abouties. Nous manquons de recul sur certains profils : les femmes et les jeunes, en particulier, devraient faire l'objet d'analyses spécifiques. Il n'en reste pas moins que le taux de chômage des jeunes est passé de 23 % à 17 %. La ministre du travail, de la santé et des solidarités est également attentive à la qualité des emplois créés. J'espère vous avoir apporté un éclairage complémentaire.
Je veux bien en poser encore une, si c'est possible, madame la présidente. Les échanges sont intéressants.
Je dois respecter les équilibres entre les groupes politiques. Le débat est organisé à la demande du groupe LIOT, vous avez déjà eu la parole à plusieurs reprises et je n'ai pas reçu d'autres demandes de questions.
Le débat est clos.
Prochaine séance, lundi, à seize heures :
Discussion, sur le rapport la commission mixte paritaire, de la proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels ;
Discussion du projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2023 - 389 du 24 mai 2023 modifiant les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques relatives à la Polynésie française ;
Discussion du projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2023 - 285 du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé ;
Discussion, sur le rapport la commission mixte paritaire, de la proposition de loi visant à soutenir l'engagement bénévole et à simplifier la vie associative ;
Discussion de la proposition de loi visant la prise en charge par l'État de l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap sur le temps méridien.
La séance est levée.
La séance est levée à douze heures quarante.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra