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Intervention de Isabelle Sayn

Séance en hémicycle du vendredi 5 avril 2024 à 9h00
Place dans la société et dans le droit des familles monoparentales

Isabelle Sayn, directrice de recherche au CNRS :

Je m'exprime en tant que chercheure – j'ai participé à la rédaction d'un « état des savoirs » sur les familles monoparentales demandé par la caisse d'allocations familiales (CAF) –, et aussi en tant que juriste.

J'aborderai deux points : le premier concerne l'opportunité de se doter d'une définition ou d'un statut de la famille monoparentale ; le second aborde la nécessité d'une politique de soutien à ces familles qui aille au-delà des politiques sociales, en se plaçant sur les terrains de l'égalité des genres et du droit civil.

Tout d'abord, faut-il se doter d'une définition ou d'un statut des familles monoparentales ? C'est un débat en cours. Le droit ne donne aucune définition de la famille, qu'elle soit monoparentale ou non. Il se contente d'organiser des liens interpersonnels entre les membres d'un groupe ou entre parents et enfants. Le droit établit ces liens, lorsqu'un statut est créé, ou les protège grâce à la règle de la protection de la vie privée et familiale.

L'expression « famille monoparentale », qui remonte aux années 1970, est avant tout statistique ou sociologique. Ce terme pose problème, car il renvoie à des situations très différentes, s'agissant notamment de l'existence, du rôle ou de l'implication de l'autre parent. Il semble exclure a priori la présence d'un autre parent, quel que soit son investissement dans l'éducation de l'enfant. D'autres termes existent, comme ceux de foyer monoparental, qui n'exclut pas d'emblée l'autre parent. Quant aux familles unilinéaires, dans lesquelles un seul lien de filiation est établi – sans lien de filiation paternelle –, elles sont souvent intégrées dans les familles monoparentales. Cette dernière situation existe mais elle n'est pas la plus fréquente.

Une explication à l'utilisation de l'expression « famille monoparentale » se trouve peut-être dans l'opposition initiale, dans les années 1970, entre la famille considérée à cette époque comme normale – un couple marié et des enfants – et les familles monoparentales. Donner un statut à celles-ci serait une façon de consolider cette opposition, qui semble désormais dépassée compte tenu de la fluidité des organisations familiales.

Utiliser une définition statistique, à des fins de dénombrement, ou sociologique, pour mener des analyses scientifiques, ne suppose pas pour autant la production d'une définition juridique. L'absence d'une telle définition ne s'oppose pas à l'instauration d'un soutien aux familles monoparentales, sous réserve de la question des preuves de l'isolement et de la monoparentalité, qui peut être complexe dans le monde de la protection sociale.

Je veux évoquer ensuite l'extension de la politique de soutien aux familles monoparentales au-delà des seules politiques sociales et au-delà des seules familles monoparentales. Les politiques sociales généralistes portent sur les questions de l'emploi, du salaire, des travailleurs pauvres. La création d'un service public de la petite enfance qui soit économiquement accessible et de qualité suffisante – en particulier s'agissant des amplitudes horaires – est un enjeu central pour l'accès à l'emploi des chefs de familles monoparentales.

En matière d'inégalités de genre, 82 % des familles monoparentales sont constituées de mères et de leurs enfants. Ce constat renvoie au type d'activités exercées par les mères et aux montants des salaires qui en découlent : elles relèvent souvent du domaine du care et sont sous-payées. De plus, l'investissement des femmes dans la sphère domestique a des conséquences sur leur emploi, notamment des sorties, en tout ou en partie, du marché du travail.

Parallèlement aux politiques sociales et aux politiques relatives aux inégalités de genre, il existe des enjeux en matière de droit civil, qui organise les relations familiales. Compte tenu de la position spécifique des femmes dans la prise en charge des enfants et dans l'activité domestique en général, le droit civil s'attache à organiser les conséquences de la séparation et de l'isolement d'un parent.

Plusieurs dispositifs, qui ne relèvent pas nécessairement des politiques sociales, méritent d'être discutés. Je pense en particulier aux frontières de la prestation compensatoire et, plus globalement, aux dispositifs relevant du droit civil et organisant les conséquences économiques de la séparation. Ces dispositifs et ces règles protectrices concernent aujourd'hui uniquement les époux qui divorcent, alors que désormais, au moins la moitié des familles n'ont pas recours au mariage, mais au pacte civil de solidarité (Pacs) ou à l'union libre.

Les contours de l'obligation alimentaire représentent également un enjeu. Le montant moyen des pensions alimentaires pourrait être augmenté, d'autant qu'il existe désormais un barème sur lequel s'appuyer pour ce faire. Toutefois, d'autres problèmes se posent : les parents isolés ont l'obligation d'agir en établissement de la dette. Ils sont alors en position de demandeur, assumant la charge administrative et judiciaire de demander et d'obtenir cette pension alimentaire. Une telle logique pourrait être inversée. Le statut socio-fiscal de la pension alimentaire pose également problème : puisque celle-ci est traitée comme un revenu imposable, son versement effectif aboutit parfois à la baisse des revenus globaux de la famille monoparentale.

Un troisième aspect relatif au droit civil tient à la liberté qu'il garantit de ne pas établir de filiation paternelle, ce qui a pour conséquence l'absence de contribution alimentaire du géniteur qui n'est pas identifié comme un père.

Cette approche renvoie à la question du partage entre solidarité collective et solidarité privée. Qui doit assumer les inégalités de genre ? Elle renvoie également aux limites de la solidarité privée, déterminées par les capacités contributives du débiteur. À quel moment la protection sociale doit-elle prendre la suite ?

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