Je suis très contente que la Fédération des acteurs de la solidarité ait pu être auditionnée. Cette fédération est un réseau regroupant 900 associations adhérentes qui luttent en faveur des personnes précaires et surtout les accompagnent au niveau national – parmi elles, et à titre d'exemple, vous connaissez sans doute Emmaüs, Groupe SOS ou Aurore –, ainsi que de nombreuses associations locales.
Je commencerai par les constats qui remontent du terrain. Comme vous le savez, nous constatons une importante féminisation de la précarité, qui a fait l'objet de nombreux rapports. Ce phénomène n'est pas le seul qui nous inquiète : il y a également la précarité des familles, en particulier des familles monoparentales, qui sont de plus en plus nombreuses à solliciter les structures d'hébergement d'urgence et à y être accueillies alors que ces dernières sont moins adaptées à l'accueil des familles – des femmes, pour la plupart – et des enfants. Ces familles ont en effet des besoins spécifiques et multiples, liés au cumul des précarités et des violences subies. Je précise que certains parents isolés sont évidemment des hommes, mais j'ai plutôt axé mon propos sur les femmes. Je vous prie de m'en excuser.
Les constats remontés du terrain concernent aussi – je tiens à le souligner – le renoncement et le non-accès aux droits, phénomènes largement répandus qui résultent de la dématérialisation de nombreux services publics. Freinées dans l'exercice de leurs droits, qu'elles ignorent, de nombreuses personnes ne connaissent pas les prestations dont elles peuvent bénéficier, et ne savent pas, par exemple, comment suivre des cours de français.
J'insiste sur la situation des femmes étrangères : elles cumulent plusieurs difficultés à cause de leur statut administratif qui les privent de droits et les empêchent de s'intégrer dans la société, d'accéder à des cours de français et de trouver un emploi.
Nous devons travailler pour résoudre un autre problème : la remontée des données depuis les services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO), qui gèrent les appels du 115. Nous disposons certes de données au sujet des familles, mais nous n'en disposons pas concernant les mères isolées– ou les parents isolés –, ce qui, d'une part, nous empêche de comprendre le phénomène et, d'autre part, invisibilise toujours un peu plus la précarité dans laquelle ces familles se trouvent.
Nous constatons également une sous-estimation de la précarité subie. Réfléchissons aussi à ceci : combien coûte un ou plusieurs enfants à une femme qui, après une séparation, occupe un emploi précaire – pour celles qui en occupent un – et a du mal à répondre à leurs besoins vitaux, notamment en matière d'accès au logement ?
Les mères isolées sont de plus en plus nombreuses : la Fédération nationale des CIDFF – centres d'information sur les droits des femmes et des familles – indique qu'elles représentent aujourd'hui 69 % des publics accueillis dans ce réseau, ce qui est très inquiétant. Les associations de notre fédération qui s'occupent de l'aide alimentaire relèvent également la prédominance des mères isolées. Le coût de l'alimentation est tel que, malheureusement, celles-ci se privent bien souvent de repas pour pouvoir nourrir leurs enfants…
Les modes de garde constituent également des freins. Ils ne sont pas du tout adaptés aux familles précaires, qui ne sont pas considérées comme prioritaires. Je ne pense pas qu'aux modes de garde collectifs, mais aussi aux assistantes maternelles – solution qui pourrait être privilégiée, surtout quand les femmes rencontrent des problèmes liés à la parentalité. Avec une assistante maternelle, on peut développer un lien de confiance et adapter les horaires de garde, sachant que nombre de femmes précaires exercent des métiers précaires avec des horaires atypiques et qu'elles vivent très loin du lieu où elles travaillent. Cela permettrait de s'adapter au temps de la femme, au temps de la mère et au temps de la travailleuse.
Le plan interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027 ne conçoit malheureusement l'accès à l'emploi des femmes que sous l'angle de l'entrepreneuriat féminin, ce qui est assez surprenant car toutes les remontées de terrain des délégués départementaux ou régionaux aux droits des femmes s'accordent à considérer qu'il faut leur permettre d'accéder à un emploi, et donc financer plutôt des structures d'insertion par l'activité économique (SIAE), plus propices à l'élaboration d'un parcours professionnel et, surtout, plus susceptibles de les aider à accéder à leurs droits, à des prestations sociales, à des soins de santé.
Comment peut-on penser l'emploi des femmes les plus éloignées de l'emploi, en particulier dans les territoires ruraux, sans réfléchir à l'insertion par l'activité économique (IAE) ? C'est l'une des grosses carences de ce plan, qui fait abstraction des retours du terrain. France Travail n'a pas non plus suffisamment mesuré la nécessité d'investir. Nous préconisons des mesures dédiées à l'insertion professionnelle.