Vous avez évoqué les effets de la réforme des retraites sur l'emploi des seniors. Les évaluations sont en cours et devront étayer ou infirmer ce que je vais vous dire. Toutefois, selon notre analyse, la réforme a permis de repousser l'horizon du départ à la retraite et d'offrir ainsi une chance supplémentaire aux seniors d'accéder à la formation. Celle-ci s'effondre actuellement pour les seniors, comme si l'entreprise ne croyait plus en leur capacité de rester et ne souhaitait plus investir dans ce capital humain. Or moins il est formé, moins le senior a de chance de rester dans l'entreprise et plus la sortie sera difficile. Car, ne soyons pas naïfs : il est plus compliqué pour un senior de retrouver un travail, de surcroît lorsqu'il approche de l'âge de la retraite. C'est ce qui explique le nombre de ruptures conventionnelles subies, qui deviennent une forme de préretraite non souhaitée par le salarié, alors même qu'il serait possible, en effet, d'imaginer un autre modèle.
Un autre modèle, qu'est-ce que cela signifie ? Il faudrait réinvestir dans la formation des seniors, dresser des bilans plus précocement – dans la société actuelle, un salarié peut exercer deux ou trois métiers différents tout au long de sa vie –, renforcer la retraite progressive, sous réserve qu'elle soit choisie par le salarié, et construire des dispositifs permettant de réduire le temps de travail de manière proportionnelle. Je pense également au cumul emploi-retraite, pour ceux qui sont en pleine santé et ont envie de continuer à travailler, parce que nous savons à quel point le travail crée du lien social. D'ailleurs, on ne travaille pas de la même manière selon qu'on est artisan, indépendant, qu'on exerce au sein d'un grand groupe ou d'un petit.
Cela rejoint ce que vous avez évoqué dans votre question : l'importance de créer des liens entre les plus jeunes et les plus âgés, d'autant ces deux populations présentent une vulnérabilité. Si nous voulons construire une société plus humaine, nous devons faire en sorte que les seniors s'impliquent davantage dans le tutorat des apprentis et transmettent non seulement un savoir-faire, mais aussi une culture. Plusieurs pistes peuvent favoriser cette proposition, sur le plan fiscal, économique ou par l'intermédiaire des contrats de travail. La ministre du travail, de la santé et des solidarités mène actuellement des discussions à ce sujet avec les organisations patronales et salariales. C'est une bonne piste, parce que nous ne gagnerions rien à opposer ces deux générations.