La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Monsieur le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, après les redoutables crues de la Gartempe, de la Vienne et de la Creuse, je veux rendre un hommage appuyé aux services de l'État, aux sapeurs-pompiers, aux gendarmes, aux maires, aux élus et aux habitants du département pour le courage dont ils ont fait preuve tout au long du week-end pascal.
Applaudissements sur tous les bancs.
Tous les habitants évacués ont été relogés chez des amis ou des proches, ce qui témoigne d'une profonde solidarité territoriale.
Je tiens également à souligner combien la réactivité du ministre de l'intérieur et des outre-mer, qui a annoncé rapidement le lancement de la procédure accélérée visant à reconnaître l'état de catastrophe naturelle, a été appréciée des sinistrés et des élus. L'installation aujourd'hui, à Montmorillon, d'une cellule de crise de la direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) à destination des commerçants sinistrés est la traduction de cette même réactivité au niveau préfectoral.
J'associe à ma question mes collègues Nicolas Turquois, député du nord de la Vienne, et Henri Alfandari et Fabienne Colboc, députés de l'Indre-et-Loire, dont les circonscriptions ont également été violemment touchées par les inondations.
Il nous faut passer maintenant à la phase des réparations et vous savez par expérience qu'elle est souvent longue, car chaque cas est particulier et les assurances proposent des évaluations et des procédures différentes. Le rapport de Thierry Langreney sur l'assurabilité des risques climatiques, qui sort aujourd'hui, apportera, je l'espère, des solutions. Les habitants sinistrés doivent être relogés. Comme les commerçants et les associations, ils doivent aussi être rapidement indemnisés.
J'ai une pensée particulière pour l'abbaye de Saint-Savin, classée depuis quarante ans au patrimoine mondial de l'Unesco, dont les cryptes, qui abritent des peintures originales inestimables, ont été inondées. La direction régionale des affaires culturelles (Drac) est mobilisée aux côtés de la commune.
Le Gouvernement a, je l'ai dit, promptement annoncé l'engagement de la procédure accélérée de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Quand cette procédure aboutira-t-elle et quelles mesures seront-elles prises pour soutenir les victimes et les collectivités touchées par ce nouvel événement climatique dramatique ?
Mme la présidente coupe le micro de l'orateur, dont le temps de parole est écoulé. – Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.
La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
En raison des crues de la Creuse et de la Vienne, les cours d'eau des départements de la Vienne et de l'Indre-et-Loire ont en effet connu, ces derniers jours, des niveaux proches de leurs records historiques, voire supérieurs. Mes pensées vont, en cet instant, au kayakiste disparu sur la Vienne, que les forces de secours continuent de rechercher, ainsi qu'à ses proches. Je m'associe par ailleurs à vos propos : le dispositif d'alerte FR-Alert a fonctionné et Vigicrues a annoncé l'état de vigilance rouge. Plus de quatre-vingts sapeurs-pompiers, dont certains des départements voisins, et plus de soixante gendarmes se sont mobilisés et relayés aux côtés des élus de la Vienne pour éviter les pertes humaines pendant les inondations.
Cet épisode, dont je veux croire qu'il est maintenant derrière nous, puisque la décrue a commencé, nous conduit évidemment, comme vous, à nous interroger sur la suite, par une approche en deux temps : après la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, il conviendra de réfléchir aux adaptations nécessaires dans notre pays, mais aussi dans le système assurantiel, face à l'accélération du dérèglement climatique.
En ce qui concerne le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, dont c'est la responsabilité, a annoncé très rapidement qu'une procédure accélérée serait enclenchée. Dès la fin de la semaine, sous son autorité, ou au plus tard au début de la semaine prochaine, la cellule « Cat nat » se réunira pour examiner les dossiers. Quant au système assurantiel, à midi, aujourd'hui, avec Bruno Le Maire, nous avons reçu le rapport Langreney.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe RE.
Ma question s'adresse à Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie.
Le groupe italien Reno de Medici (RDM) vient d'annoncer la fermeture, en août prochain, de la papeterie de Blendecques, dans ma circonscription. Cette entreprise, qui fabrique du carton à emballage issu de matériaux recyclés, est unique en France. Deux cents emplois vont être supprimés. Cette décision est incompréhensible alors que le groupe a reconstruit le site en 2022, à la suite d'un violent incendie, en y injectant près de 70 millions d'euros. Les salariés sont sacrifiés sur l'autel de la rentabilité par le groupe RDM et par son fonds de pension américain Apollo. La désindustrialisation se poursuit dans ce territoire comme ailleurs en France. Alors que les négociations viennent de s'engager avec la direction dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), j'ai rencontré les salariés et les syndicats. À Blendecques et dans l'Audomarois, où cette annonce résonne comme une double peine après les inondations de la fin de l'année 2023 et du début de l'année, c'est la colère qui domine.
Le Gouvernement doit faire preuve de réactivité, d'exigence et surtout de fermeté à l'égard du groupe RDM et de son cabinet de conseil, Oneida, à la réputation peu conciliante.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Charles Fournier applaudit aussi.
L'entreprise doit trouver un repreneur et permettre le maintien d'un maximum d'emplois sur un site qui reste très attractif et qui porte un vrai projet de développement durable pour le territoire. L'exigence et la fermeté sont d'autant plus nécessaires que le groupe RDM a bénéficié, à la suite de l'incendie de 2022, du soutien financier de l'État et du dispositif d'activité partielle de longue durée (APLD).
Quelles sont vos intentions et quelle stratégie entendez-vous mener pour rassurer les salariés, dont certains ont perdu leur maison et leur emploi en quelques semaines ? Ils sont d'autant plus inquiets que pèse désormais sur eux la menace d'une réforme de l'assurance chômage, laquelle réduira encore les droits de ceux qui travaillent et brutalisera les chômeurs.
Mêmes mouvements.
Faute de reprise, ces salariés pourraient très vite se retrouver au RSA…
…si le Gouvernement s'acharne à réduire de dix-huit à douze mois l'indemnisation chômage.
Mme la présidente coupe le micro de l'orateur, dont le temps de parole est écoulé. – Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Pierre-Henri Dumont applaudit aussi.
La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie.
Nous nous connaissons bien et nous avons suffisamment travaillé sur les dossiers industriels de votre région pour que je sois franc avec vous : vous auriez pu éviter la dernière partie de votre question ,
Vives exclamations sur plusieurs bancs des groupes RN, LR et SOC
qui n'a pas grand-chose à voir avec les dossiers industriels que vous traitez aujourd'hui !
Qu'il s'agisse de l'entreprise de Blendecques ou des autres, je n'ai qu'une seule doctrine et vous la connaissez : il faut travailler étroitement avec les élus, les actionnaires et les salariés pour trouver des repreneurs disposés à inscrire les territoires, les usines et les entreprises dans une perspective de reprise durable. L'entreprise que vous évoquez fait face à ce que l'on pourrait qualifier de tempête parfaite : un secteur difficile, la hausse brutale des coûts de l'énergie, un territoire touché par de fortes inondations. Le Gouvernement est évidemment mobilisé pour accompagner les entreprises et j'agirai en faveur de celle-ci comme je le fais pour les autres. L'objectif est de trouver un repreneur solide et de travailler à un plan de développement robuste dans l'optique d'une reprise durable. Si, malheureusement, ces conditions n'étaient pas réunies, notre priorité serait les salariés, les salariés et les salariés ,
M. François Cormier-Bouligeon applaudit
qu'il faudrait accompagner dans la durée grâce à des formations et à des requalifications,…
…dans une région où nous avons créé des emplois et où nous continuerons de le faire.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
La parole est à M. Charles de Courson, qui fête aujourd'hui son trente-et-unième anniversaire de mandat dans notre assemblée !
Applaudissements sur tous les bancs.
Sourires sur les bancs du groupe LR.
C'est aussi mes soixante-douze ans. Je fête deux anniversaires aujourd'hui !
Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, une note confidentielle commune des directions du budget et du Trésor, relative à l'actualisation de la prévision de déficit public pour 2023, vous a été adressée le 7 décembre 2023, alors même que le projet de loi de finances pour 2024 était encore en discussion. Selon cette note, « les dernières informations laissent toutefois anticiper un déficit plus prononcé : il pourrait en effet s'établir à 5,2 % du PIB ». Or vous avez maintenu la prévision initiale d'un déficit public de 4,9 % en 2023 jusqu'à l'adoption, grâce au 49.3, fin décembre 2023, du projet de loi de finances pour 2024.
L'Insee a annoncé le 26 mars 2024, au sujet du compte provisoire des administrations publiques, que le déficit était encore plus dégradé et atteignait 5,5 % du PIB, soit un dérapage de 15 milliards.
Ma question est triple. Tout d'abord, est-il conforme au principe de sincérité budgétaire de dissimuler à la représentation nationale, pendant près de quatre mois, la gravité de la situation des finances publiques ?
Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT, LR, SOC et Écolo – NUPES, ainsi que sur quelques bancs du groupe RN.
Deuxième question : pouvez-vous indiquer à la représentation nationale le niveau prévisionnel du déficit public 2024, que vous aviez estimé, en septembre 2023, à 4,4 % du PIB ?
Enfin, allez-vous attendre le mois d'octobre pour saisir l'Assemblée nationale d'un projet de loi de finances rectificative pour 2024 ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur quelques bancs du groupe LR.
La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Je m'en voudrais d'être désagréable le jour de votre double anniversaire,…
…qui marque votre longévité sur ces bancs et votre anniversaire tout court, mais si vous étiez venu, ainsi que les membres de votre groupe, à la réunion que nous avons organisée avec le ministre délégué chargé des comptes publics la semaine dernière
Approbation sur les bancs du groupe RE. – Rires et exclamations sur les bancs des groupes LIOT et LR
sur la situation des finances publiques,…
…vous auriez pu prendre connaissance de cette fameuse note
Vives exclamations sur les bancs du groupe LR et sur quelques bancs du groupe RN
et constater ma sincérité : nos services nous recommandaient de ne pas faire état d'informations alors toujours incertaines.
Sans vouloir – une nouvelle fois – être désagréable en un jour aussi important, je connais votre attachement au rétablissement des finances publiques, mais croyez-vous vraiment que c'est en votant contre la réforme des retraites qu'on rétablit les finances publiques de notre nation ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – Exclamations sur les bancs des groupes LFI – NUPES, LR et Écolo – NUPES.
Croyez-vous vraiment que c'est en déposant une motion de censure avec la NUPES, dont les membres ne sont pas des parangons de discipline budgétaire, qu'on rétablit les finances publiques de la nation ? Croyez-vous réellement que c'est en refusant la fin du bouclier tarifaire sur le gaz et l'électricité qu'on peut prétendre rétablir les finances publiques de notre nation ?
Croyez-vous vraiment que c'est en proposant une TVA à 0 % dans les départements d'outre-mer – une mesure très généreuse, mais qui coûterait plus de 2 milliards d'euros – qu'on rétablira les finances publiques de la France ?
Exclamations sur les bancs des groupes LFI – NUPES, LR et Écolo – NUPES.
Je connais suffisamment votre expertise en matière de finances publiques pour ne vous demander qu'une chose : puisque nous entendons, avec la majorité, ramener le déficit sous le seuil des 3 % en 2027 et réduire l'endettement du pays,...
…joignez le geste à la parole ! Soutenez-nous et cessez de tourner le dos à vos convictions en matière de finances publiques !
Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – Exclamations sur les bancs des groupes RN, LFI – NUPES, LR et Écolo – NUPES.
Je note que vous n'avez répondu à aucune des trois questions que je vous ai posées.
Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT, RN, LFI – NUPES, LR, SOC et Écolo – NUPES.
S'agissant de la réforme des retraites, je vous rappelle que notre proposition consistait à ne pas toucher à l'âge légal de départ, mais à prévoir des incitations à partir plus tard, afin d'accélérer le mouvement déjà engagé en ce sens : c'était ça, la bonne solution !
Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Monsieur le Premier ministre, vous avez annoncé il y a quelques jours qu'une réforme de l'assurance chômage s'appliquerait avant la fin de cette année. Vous le savez, notre majorité est attachée à l'idée de valoriser le travail…
…plus que l'inactivité. Elle est aussi attachée à l'objectif du plein emploi, qui ne sera atteint qu'à condition de répondre aux difficultés de recrutement des entreprises. Alors que ces difficultés restent fortes, rendre les règles de l'assurance chômage plus incitatives au retour à l'emploi ou au maintien dans l'emploi est un levier pour les résoudre – un levier parmi d'autres, rappelons-le. C'est pourquoi nous avons introduit en 2023 le principe selon lequel la durée d'indemnisation doit diminuer lorsque la situation du marché du travail s'améliore.
Mais notre majorité est également attachée à ce que les réformes menées soient efficaces et justes. Il faut ici le réaffirmer avec force : une réforme de l'assurance chômage devrait avoir pour but premier non pas de faire des économies, mais plutôt d'améliorer le niveau d'activité et la qualité de l'emploi.
Ce fut le cas de la réforme de 2021 : une récente étude de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) montre que le fait de porter de quatre à six mois la durée de travail minimale ouvrant droit au chômage a contribué à rallonger les périodes d'emploi. La même étude montre que le système de bonus-malus appliqué aux cotisations chômage produit lui aussi des effets positifs contre la précarité liée à l'abus de contrats courts par les employeurs.
C'est pourquoi, alors que le taux de chômage a cessé de baisser sous l'effet du ralentissement de la croissance, il apparaîtrait plus efficace et plus juste d'agir sur la durée d'affiliation, qui affecte des personnes déjà en emploi, plutôt que sur la durée d'indemnisation ou sur son montant. Il faut ici rappeler que notre pays se singularise par une condition d'affiliation nettement plus favorable que chez nos voisins : en France, il faut avoir travaillé six mois au cours des deux années écoulées pour bénéficier du droit à l'assurance chômage, contre douze mois sur vingt-quatre en Allemagne, par exemple.
À la lumière de ces constats pouvez-vous préciser les objectifs du Gouvernement avec cette nouvelle réforme,…
…ainsi que le calendrier d'application de cette dernière et les pistes que vous entendez privilégier pour engager la discussion avec les partenaires sociaux ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Nous avons un point commun : nous sommes attachés à notre modèle social et à nos services publics.
Exclamations sur les bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
Or ce qui les finance, c'est le travail.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
C'est cette conviction qui nous a conduits, depuis 2017, à agir résolument en faveur du travail, nous permettant d'afficher – je le redis – le taux de chômage le plus bas depuis quarante ans ,
Mme Clémence Guetté s'exclame
le taux de chômage des jeunes le plus bas depuis vingt-cinq ans et le taux d'emploi le plus élevé depuis que cet indicateur est mesuré.
C'est grâce à cette action que notre pays, qui formait à peine 300 000 apprentis chaque année quand le Président de la République a été élu en 2017, en compte désormais 800 000 et atteindra bientôt le million.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Ce bilan en matière d'emploi et de chômage a évidemment un impact direct sur les finances publiques.
Sans cette baisse du chômage, l'État et la sécurité sociale disposeraient de 40 milliards d'euros de recettes en moins.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Nous le croyons profondément : agir en faveur de l'emploi et lutter contre le chômage, c'est évidemment agir pour nos finances publiques. La réforme que nous projetons n'a pas vocation à réaliser des économies, mais bien à accroître l'activité et la prospérité, en faisant en sorte que notre pays compte davantage d'emplois.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
L'action en faveur du plein emploi passe par différents leviers. Le premier consiste à engager le chantier de la rémunération du travail, donc de la désmicardisation de la société, que j'ai abordé dès ma déclaration de politique générale.
Vous le savez, nous avons missionné en ce sens plusieurs économistes, qui nous feront des propositions d'ici à l'été. Je souhaite que nous fassions évoluer, dans le budget pour 2025, notre système d'allégements de cotisations pour encourager davantage la progression salariale.
Mme Clémence Guetté s'exclame.
Le deuxième levier d'incitation à l'emploi concerne évidemment les conditions de travail. J'ai eu l'occasion de le redire récemment – et Catherine Vautrin, qui partage cet objectif, sera à la manœuvre : nous souhaitons améliorer l'organisation du travail, en promouvant par exemple la semaine de quatre jours ou encore la semaine différenciée pour les familles monoparentales ou divorcées. De grandes assises se tiendront aussi pour lutter contre les accidents du travail et améliorer les conditions de travail.
Le troisième levier consiste à lever tous les freins à l'activité, comme le logement et les mobilités, grâce à l'action menée respectivement par Guillaume Kasbarian et Patrice Vergriete. Ces freins sont encore trop nombreux : nous devons agir.
Enfin, le quatrième levier est celui d'un modèle social incitant davantage à l'activité, ce qui passe par la réforme de l'assurance chômage que j'ai annoncée.
Je répète ici que le premier mot, en la matière, sera laissé aux partenaires sociaux. Ils ont demandé un délai supplémentaire pour conclure la négociation relative à l'emploi des seniors ; Catherine Vautrin et moi-même leur avons laissé jusqu'au 8 avril, date à laquelle ils nous remettront leurs propositions. Ensuite, de nouvelles discussions démarreront en vue d'une réforme plus globale de l'assurance chômage. La ministre du travail, de la santé et des solidarités prépare ces négociations. Plusieurs leviers, que vous avez évoqués, peuvent être actionnés dans ce cadre : la durée d'indemnisation, les conditions d'affiliation et le niveau d'indemnisation. Je n'ai pas de tabou en la matière.
Les partenaires sociaux doivent en discuter et nous soumettre des propositions. Les parlementaires, je le sais, feront de même. Nous en tiendrons compte dans nos décisions, en vue d'une réforme qui devra s'appliquer d'ici à l'automne prochain.
Je le redis ici : notre boussole sera toujours le travail,…
…parce qu'il est un levier d'émancipation, qui permet de faire des choix et de s'engager dans des projets de vie ; parce qu'il est une valeur fondamentale de notre société ; parce qu'il nous permettra d'atteindre la prospérité afin de financer notre modèle social et nos services publics. Je suis fier d'appartenir à une majorité qui a toujours mis le travail au cœur de son action politique. Nous poursuivrons en ce sens.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Madame la ministre du travail, de la santé et des solidarités, la société est prête ; l'êtes-vous ? Alors que 7 millions de femmes et de personnes menstruées souffrent de règles douloureuses, que 2,5 millions de femmes sont atteintes d'endométriose et que 66 % des femmes salariées souhaiteraient bénéficier de l'arrêt menstruel, êtes-vous prête à agir pour que le monde du travail cesse enfin d'imposer aux salariées de souffrir en silence ?
Car avoir des règles incapacitantes au travail, c'est s'exposer à une double peine : celle de travailler dans la souffrance ou celle de s'arrêter en subissant le délai de carence que vous imposez dans pareil cas. À cause de cette double peine, les personnes concernées peuvent perdre jusqu'à 10 % de leur salaire chaque mois et 25 % des personnes atteintes d'endométriose sont forcées de renoncer à leur carrière. Ces jours de carence sont une véritable punition financière, encourue pour le simple fait d'être une femme et d'avoir des douleurs menstruelles, ces mêmes douleurs qu'ont pu expérimenter certains députés de votre majorité la semaine dernière. Le régime de l'affection de longue durée (ALD) n'est pas non plus une réponse à la hauteur, puisqu'il ne concerne que 0,005 % des personnes atteintes d'endométriose, lesquelles subissent jusqu'à dix ans d'errance médicale.
Les premières discriminations, ce sont celles subies par les femmes, parce que les règles sont encore un tabou dans le monde du travail et parce que le régime actuel est incapable de prendre en compte le caractère cyclique des menstruations ou les autres maladies gynécologiques telles que le fibrome ou le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK).
Alors êtes-vous prête à instaurer un arrêt menstruel sans jour de carence, ce qui serait un signe fort de votre engagement à faire enfin de la santé menstruelle un enjeu de santé publique et de solidarité nationale ? L'Espagne, mais aussi les villes de Lyon, de Strasbourg ou de Saint-Ouen, ainsi que les entreprises Carrefour, L'Oréal ou Louis Design ont franchi le pas. L'entrée récente du droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution a montré que nos institutions pouvaient évoluer avec leur temps. La société est prête, alors qu'attendez-vous ?
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES, LFI – NUPES, SOC et GDR – NUPES.
La parole est à M. le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention.
Je tiens d'abord à saluer votre combat et votre engagement sur ces questions ,
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES
dont nous aurons l'occasion de parler jeudi dans cet hémicycle. Vous l'avez rappelé, les dysménorrhées constituent un véritable enjeu de santé publique – rien que pour l'endométriose, une Française sur dix serait concernée, ce qui montre l'étendue du sujet – et entraînent les conséquences que nous connaissons : des douleurs mal prises en charge, voire pas du tout, des règles parfois invalidantes, une errance thérapeutique qui, dans le cas de l'endométriose, peut durer jusqu'à sept années. Ces pathologies sont une des premières causes d'infertilité pour les femmes et un grand motif de préoccupation.
L'enjeu consiste à de les détecter et à les prendre en charge plus tôt que nous ne le faisons actuellement, car des traitements pour amoindrir les douleurs existent. Grâce au déploiement de la stratégie nationale de lutte contre l'endométriose décidée par le Président de la République, qui s'est emparé du sujet depuis 2022, nous avons instauré un accompagnement et une prise en charge loués par les professionnels. J'ai réuni la semaine dernière le comité de pilotage de cette stratégie, dont les membres ont salué les mesures prévues dans ce cadre. Je me suis aussi rendu à l'hôpital Cochin, où j'ai pu constater que les professionnels de santé saluent eux aussi la mobilisation permise par cette stratégie.
Vous l'avez rappelé, cette question concerne également le droit du travail et le cadre applicable aux femmes concernées. Une femme qui souffre de dysménorrhées peut déjà se rendre chez son médecin et obtenir un arrêt de travail.
Néanmoins, de nombreuses entreprises se mobilisent et cette tendance doit s'accentuer : c'est aux entreprises d'organiser le recours au télétravail ,
M. Sébastien Peytavie fait un geste de dénégation
de mieux impliquer la médecine du travail et de faire en sorte que cette question soit prise en compte.
Je soutiendrai les mesures de votre proposition de loi qui vont dans ce sens.
Mme Sandrine Rousseau applaudit.
Samuel Paty, Dominique Bernard : ces deux professeurs ont perdu la vie pour s'être opposés à l'entrisme islamique dans leur établissement scolaire. Malgré les deuils nationaux qu'ont suscités ces actes immondes, la République s'est une nouvelle fois inclinée et ce gouvernement ne semble pas apprendre de ses manquements. Pour n'avoir fait que respecter la loi, le directeur du lycée Maurice Ravel a été contraint à démissionner à quelques mois de sa retraite après qu'une fatwa islamique a été lancée à son encontre, pour le simple fait d'avoir demandé à une élève de retirer son voile.
Madame la ministre de l'éducation et de la jeunesse, ces drames sont les symboles d'un entrisme islamique grandissant dans nos institutions scolaires, phénomène auquel, par lâcheté, vous n'avez jamais voulu faire face. Notre personnel est menacé, des élèves sont cyberharcelés, des directeurs démissionnent et des professeurs sont décapités et tués au couteau. Face à ces problèmes vous proposez un plan de sécurisation numérique ; vous parlez de protection de l'institution ou encore de plan de sensibilisation.
M. François Cormier-Bouligeon s'exclame.
Dans quel monde vivez-vous ? Le gouffre qui sépare votre plan d'action de celui des islamistes est colossal. Le personnel de l'éducation nationale demande autre chose que des portails équipés d'un système vigik ou des médiateurs culturels devant les grilles d'entrées de leur établissement.
Vos réponses face à l'islamisme ne sont pas à la hauteur des enjeux. Dans un élan de lucidité vous avez dit vous-même que le « pas de vague » dans l'éducation nationale était terminé. Assez de Samuel Paty, assez de Dominique Bernard ! Quand allez-vous enfin joindre le geste à la parole et éradiquer, une bonne fois pour toutes, les idéologies islamistes qui sévissent dans nos établissements scolaires ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
La parole est à Mme la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
L'école – je le redis ici et c'est une conviction que nous partageons tous – est un sanctuaire républicain.
Exclamations sur les bancs du groupe RN.
Nous devons donc, avec une intransigeance absolue, y faire respecter la laïcité, qui est le socle de notre République, comme le rappelle l'article 1
Je me suis moi-même rendue dans la cité scolaire Maurice Ravel pour dire à quel point les actes accomplis par le proviseur reflétaient cette volonté de lutter pour la laïcité et de refuser tous les gestes qui s'y opposeraient et qui l'enfreindraient.
De très nombreuses actions ont été entreprises, que je tiens à rappeler ici : des actions de formation ; la préparation de nos personnels à asseoir, lors des concours, les valeurs de la République ; la présence des équipes académiques Valeurs de la République qui peuvent se déplacer pour aider les professeurs ; la création des forces d'intervention mobiles scolaires, qui peuvent soutenir les établissements.
J'y ajoute – nous aurons l'occasion d'y revenir très prochainement – le traitement des élèves susceptibles de radicalisation, qui seront pris en charge de manière très claire.
Voilà ce que je voulais dire et qui me semble essentiel : nos professeurs ne sont pas seuls ,…
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem
…nos équipes éducatives ne sont pas seules. À l'école, on enseigne des connaissances pas des croyances.
Protestations sur les bancs du groupe RN. – Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
Votre bilan appelle à l'humilité, vous qui, lorsque vous étiez garde des sceaux, avez rétabli le délit de blasphème et qui n'avez pas soutenu la jeune Mila alors qu'elle était menacée de mort, humiliée et harcelée. Pour lutter efficacement contre l'idéologie islamiste, prenez exemple sur la proposition de loi présentée par notre présidente Marine Le Pen !
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Nous lutterons et combattrons sans relâche pour que la laïcité soit notre règle. C'est ce à quoi le Gouvernement entier s'emploie, contrairement à ce que vous affirmez.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
Madame la ministre de la culture, dans d'autres cénacles, nous avons eu l'occasion d'échanger à plusieurs reprises sur les voies et moyens de favoriser l'accès à la culture dans les quartiers populaires. Hélas, ce sujet n'a jamais eu l'heur d'intéresser les chapeaux déplumés de notre ancienne famille politique.
Protestations sur les bancs du groupe LR.
Dernier député du groupe LR élu dans des quartiers de banlieue, j'ai malheureusement constaté que ce sujet était ignoré par les dirigeants de mon ancien parti.
Mêmes mouvements.
Considérant, comme vous, que l'accès à la culture est un moyen d'émancipation qui permet de sauver des vies, j'ai construit à Rillieux-la-Pape, en plein cœur des quartiers difficiles, une des plus belles médiathèques de France.
Cet équipement a été protégé par les habitants eux-mêmes lors des émeutes de l'été dernier, démontrant ainsi que les quartiers ne sont pas réductibles aux caricatures que ceux qui ne les connaissent pas veulent en faire.
Murmures sur les bancs du groupe LR.
Depuis 2017, je me bats pour sauver le Centre chorégraphique national (CCN) dans lequel de lourds travaux sont nécessaires consécutivement à un incendie. À la suite du revirement de la région Auvergne-Rhône-Alpes, la moitié des crédits promis et actés ont été rayés d'un trait de plume. Je vous remercie du soutien que vous apportez à cet équipement culturel emblématique.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Je salue avec enthousiasme votre volonté de doubler d'ici 2026 le nombre de centres chorégraphiques nationaux issus du hip-hop et de tracer ainsi un nouvel horizon pour cette discipline. Dans quelle mesure le CCN de Rillieux-la-Pape pourrait-il s'inscrire dans ce programme très attendu par une grande partie de la jeunesse de France ? De quelle manière envisagez-vous d'étendre le bénéfice du pass culture aux zones rurales et aux publics qui se disent trop souvent « la culture, ce n'est pas pour moi », notamment à nos aînés auxquels nous devons tant ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Nous partageons de nombreuses convictions et je sais ce qui peut nous rapprocher.
Vous avez raison de rappeler que les cultures urbaines n'ont toujours pas la place qu'elles méritent dans notre modèle culturel.
Le problème est cependant beaucoup plus large ; en matière culturelle, les quartiers populaires et les zones rurales paupérisées ne bénéficient pas de l'attention qui leur est due malgré quelques initiatives fortes. Je pense au débat apaisé que nous avons pu mener sur la proposition de loi visant à professionnaliser l'enseignement de la danse en tenant compte de la diversité des pratiques. Tous les députés ont adopté ce texte au terme d'un débat constructif.
Comme je l'ai annoncé hier sur Skyrock ,…
Sourires sur les bancs du groupe LR
…je doublerai le nombre de chorégraphes hip-hop dirigeant un centre national chorégraphique d'ici 2026. Le directeur du CCN emblématique de Rillieux-la-Pape doit être remplacé d'ici la fin de l'année : je souhaite qu'un professionnel du hip-hop puisse diriger ce centre.
Sur le pass culture, nous avons eu un débat intéressant lors de mon audition devant la commission des affaires culturelles et de l'éducation. Moins de la moitié des jeunes âgés de moins de dix-huit ans, moins de la moitié des décrocheurs scolaires y ont accès et il est trop souvent un reproducteur d'inégalités loin du rôle émancipateur qui devrait être le sien. Comptez sur moi pour que ce dispositif change profondément.
MM. Cyrille Isaac-Sibille et Sylvain Maillard applaudissent.
Nous apportons tout notre soutien aux professeurs, aux personnels, à leurs syndicats, aux parents d'élèves, aux élèves qui manifestent aujourd'hui
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, SOC, Écolo – NUPES et GDR – NUPES
pour défendre et améliorer ce qu'il y a de plus important, de plus grand, de plus beau, de plus indispensable dans une République réelle : l'école publique, laïque, gratuite et obligatoire.
Mêmes mouvements.
Dans tous nos départements, une profonde protestation se lève contre l'instauration de groupes de niveaux dès la sixième.
« Nous ne trierons pas nos élèves », disent-ils. Aucun pédagogue n'approuve votre réforme, aucun syndicat d'enseignant non plus, aucune fédération de parents d'élèves, aucun député n'en a débattu… Pourtant, vous imposez cette lubie réactionnaire qui va établir un premier tri social dès l'âge de onze ans.
Vous prévoyez également l'interdiction d'accéder au lycée pour ceux qui n'auront pas leur brevet en fin de troisième.
C'est sidérant ! Jusqu'à présent, cette mesure – comme l'uniforme à l'école – appartenait seulement au programme de Marine Le Pen.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Concernant la rémunération des professeurs, vous avez menti. Le mensonge vient d'en haut ; le Président de la République avait promis une augmentation de 10 % pour nos enseignants si mal payés. En réalité, 70 % d'entre eux ont perçu en moyenne 95 euros d'augmentation depuis la rentrée, ce qui représente très peu avec l'inflation actuelle.
Chez moi, en Seine-Saint-Denis, une puissante mobilisation est engagée depuis six semaines
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et GDR – NUPES
en faveur d'un plan d'urgence afin d'obtenir tout simplement des professeurs, des remplaçants, des médecins scolaires, des assistants d'éducation (AED), des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH).
Il faut abandonner la réforme des groupes de niveau. Il faut augmenter les salaires des enseignants et personnels de l'éducation nationale. Il faut un plan d'urgence pour la Seine-Saint-Denis !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES dont plusieurs députés se lèvent, de même que Mme Fatiha Keloua Hachi.
Pourquoi refuser d'entendre ces revendications alors que vous acceptez que les crédits de votre ministère soient amputés de 692 millions d'euros à la rentrée prochaine ?
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, SOC, Écolo – NUPES et GDR – NUPES.
La parole est à Mme la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Je suis d'accord avec vous sur un point : l'école est la chose la plus importante de la République, c'est notre socle commun, lieu d'émancipation pour nos jeunes. L'école peut changer leurs vies.
« Bla bla bla ! » sur les bancs du groupe RN
S'agissant du choc des savoirs, les groupes de niveau se mettront en place l'an prochain…
Protestations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
…car nous pensons que c'est une manière de mieux prendre en compte les besoins de nos élèves et de leur apporter les compétences nécessaires dans les matières pour lesquelles ils sont en attente. Il est donc important de faire cela.
Mêmes mouvements.
Vous avez évoqué la rémunération des enseignants, 7,7 milliards d'euros ont été consacrés à son augmentation depuis 2017. Aujourd'hui un professeur titulaire, un conseiller principal d'éducation (CPE) ou un psychologue scolaire débutants gagnent environ 2 100 euros net par mois, ce qui marque une amélioration sensible et rehausse notre classement par rapport à la moyenne des salaires au sein des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
M. Alexis Corbière s'exclame.
À propos de la grève en Seine-Saint-Denis, je suis toujours attentive aux mouvements sociaux et j'ai reçu les grévistes vendredi soir. Je les ai écoutés et nous avons mené un dialogue exigeant mais clair. Cette grève a mobilisé environ 14 % des personnels dans ce département…
…et 10 % au niveau national. Cela traduit la singularité de ce département. Nous en avons tenu compte puisqu'il y a 1 500 enseignants supplémentaires en Seine-Saint-Denis depuis 2017. Cela méritait d'être rappelé. Je resterai attentive à la situation.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – Protestations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
En cette Journée mondiale de sensibilisation à l'autisme, je souhaite me faire le porte-parole de ces nombreux parents d'enfants porteurs de troubles du neurodéveloppement (TND) qui nous écrivent, nous appellent, viennent nous rencontrer dans nos circonscriptions. Désemparés, parfois mal accompagnés, on leur répond bien souvent qu'il n'y a pas de place en structure adaptée et qu'il leur faut attendre.
Ce qui intéresse ces parents, ce n'est pas ce qui a été fait hier mais ce qui va l'être demain pour améliorer la prise en charge de leur enfant. Allons-nous leur proposer des solutions ?
Pour ce faire, il est nécessaire de connaître les besoins. Pourriez-vous nous indiquer le nombre de personnes en attente d'une place au sein de structures spécialisées et également nous préciser le nombre de personnes originaires de France actuellement suivies dans des structures situées à l'étranger, notamment en Belgique ?
Lors de la dernière Conférence nationale du handicap, votre gouvernement a annoncé la création de 50 000 nouvelles solutions d'accompagnement avec une partie dédiée aux personnes autistes et/ou atteintes de troubles du développement intellectuel. Que représente cette part ? Très concrètement, combien de places voulez-vous créer ?
Je veux aussi vous questionner sur le défi du vieillissement des adultes porteurs de troubles du spectre autistique.
Les personnes accueillies en foyer d'accueil médicalisé (FAM) sont vieillissantes et une majeure partie d'entre elles peuvent relever d'une maison d'accueil spécialisé (MAS). Dans une logique de véritable parcours, alors qu'il est déjà possible d'expérimenter une transformation partielle de places de FAM en places de MAS, combien voulez-vous en transformer de manière à mieux s'adapter aux besoins des personnes accueillies? Allez-vous demander aux agences régionales de santé (ARS) d'accélérer les appels à projets en ce sens en leur allouant les moyens nécessaires ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et des personnes handicapées.
Ce sujet est depuis longtemps une priorité pour le Président de la République.
Il a lancé cet automne la deuxième stratégie nationale 2023-2027 pour les TND, dotée de 680 millions d'euros ; pour mémoire, 550 millions d'euros avaient été alloués à la première stratégie.
Vous évoquez le manque de place en structures spécialisées, toutefois une autre question doit être posée :…
…quelle place voulons-nous donner aux personnes souffrant d'un TND dans notre société ? Quel accompagnement voulons-nous leur garantir ? La stratégie nationale y répond par une approche globale. La société tout entière doit s'adapter pour leur donner la place à laquelle elles ont droit.
Pour cela, nous devons mettre les personnes concernées au cœur de l'action publique.
Dans ce but, nous avons créé un service public gratuit de repérage et d'orientation afin d'éviter les errances médicales et, une fois le diagnostic posé, les parcours chaotiques.
Il nous faut ensuite mieux accueillir les enfants au sein de l'école de la République. Nous allons déployer 380 classes adaptées pour les enfants atteints d'un TND.
Pour être qualitatif, il nous faut faire intervenir les professionnels du médico-social : orthophonistes et ergothérapeutes.
Ces personnes peuvent aussi aller à l'université : il nous faut donc également une université inclusive.
« La question ! » sur les bancs du groupe LR.
Je réponds, je réponds, ne vous inquiétez pas.
Enfin, il nous faut insérer ces personnes dans la vie professionnelle. J'ai visité ce matin une très belle entreprise française fabricant du parfum à Aulnay-sous-Bois – je vous laisse deviner de quelle entreprise il s'agit. J'ai pu échanger avec quatre personnes autistes en insertion professionnelle.
Bruit sur les bancs du groupe LR.
Établir une stratégie, c'est bien, la mettre en œuvre, c'est mieux ! Il reste beaucoup à faire pour que la France soit à la pointe dans la prise en charge de l'autisme.
Nous aurons l'occasion de vous auditionner à l'Assemblée nationale avec le groupe d'études « Autisme » que j'ai l'honneur de présider. J'espère que vous nous apporterez enfin des réponses. Il faudra associer les parlementaires et les territoires pour réussir à ce que cette stratégie permette d'accompagner ces personnes de la meilleure manière possible.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Journée mondiale de l'autisme
En ce 2 avril, Journée mondiale de la sensibilisation à l'autisme, je souhaite appeler l'attention de Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et des personnes handicapées sur les avancées et les défis rencontrés dans le cadre de la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement – les TND – de 2023.
Depuis la première stratégie de l'autisme, notamment ces dernières années, il y a bel et bien eu des avancées. Je tiens ainsi à souligner les initiatives cruciales qui ont été lancées pour offrir un accompagnement adapté aux personnes neuroatypiques mais également pour améliorer la qualité de vie de leurs proches. Il est impératif que la famille et la personne concernée puissent avoir le choix du parcours, que celui-ci soit institutionnel ou non, en cohérence avec leurs besoins et non par défaut.
Vous vous êtes trompés ! Vous lui avez donné la fiche de la réponse de la ministre au lieu de la question !
Car oui – et je sais que vous partagez ce constat –, il est intolérable que ces familles n'aient pas le choix et que l'on continue de les priver de leurs droits. Nous devons répondre à l'ensemble des familles en proposant des solutions adaptées et inclusives afin de sortir de ce système archaïque et écrasant et de nous ouvrir à des solutions nouvelles en accord avec le droit international.
Nous constatons toujours des positionnements différents sur les actions à mener : d'un côté le développement de nouvelles solutions, de l'autre la création de nouvelles places institutionnelles.
Il est de notre devoir de soutenir tous les acteurs du médico-social mais également les familles dans ce changement de paradigme afin d'assurer un accompagnement adapté et sécurisant pour tous.
Dans le cadre de la dernière stratégie pour les TND, je souhaite vous interroger sur l'état actuel de cet accompagnement, de la prise en charge et de la transformation de l'offre. Ainsi, comment le Gouvernement envisage-t-il de concilier les différentes approches, notamment l'institutionnalisation et d'autres solutions d'accompagnement, pour répondre aux besoins diversifiés ?
Je vous remercie pour votre réponse à ces questions cruciales pour nos familles et pour les personnes concernées.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et des personnes handicapées.
Je vous remercie pour cette question importante, posée à l'occasion d'une journée qui contribue à sensibiliser la société tout entière aux troubles du spectre de l'autisme, encore mal connus alors qu'ils concernent 1 % de la population.
Nous avançons. Il y a quelques années encore, personne ne parlait d'autisme ni de troubles du neurodéveloppement. Grâce à la première, puis à la seconde, stratégie nationale, nous avons pu repérer, diagnostiquer et accompagner 70 000 enfants alors qu'en 2019, 150 enfants seulement avaient été diagnostiqués.
Cela permet d'éviter les errances médicales et les parcours chaotiques une fois ces enfants devenus adultes.
J'ai entendu certains députés évoquer les 50 000 solutions pour les enfants et les adultes en situation de handicap. Sachez que nous leur consacrons 1,5 milliard, une somme – je tiens à le préciser – sanctuarisée sur plusieurs années. Cette somme permettra de financer un meilleur accompagnement des personnes, par exemple grâce au déploiement d'un service public du repérage et de l'accompagnement précoce, que j'ai déjà mentionné, mais aussi de trouver des solutions.
Si j'ai évoqué la somme de 1,5 milliard, j'invite les départements à nous accompagner…
…puisque la politique du handicap est une compétence partagée avec eux.
Je note par ailleurs que nous devons trouver des solutions pour les personnes handicapées vieillissantes.
Il n'existe pas une mais plusieurs solutions pour mieux accompagner les enfants en milieu scolaire, à l'université ou dans le monde professionnel.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Nous vivons une nouvelle journée de grève et de mobilisation pour réclamer l'abandon des mesures prévues par la réforme dite du choc des savoirs, notamment l'instauration de groupes de niveau en français et en mathématiques au collège.
Enseignants, chercheurs et parents d'élèves s'opposent en nombre à cette nouvelle offensive contre le collège qui, en plus d'apparaître de plus en plus – disons-le – comme une usine à gaz ingérable, n'aura d'autre effet que d'aggraver des inégalités sociales déjà trop déterminantes dans le parcours scolaire des enfants et adolescents. Faute de moyens humains et budgétaires, ces groupes seront créés, dans la plupart des cas, à nombre de professeurs constant ou en faisant appel à de jeunes retraités.
Mme la ministre de l'éducation nationale, vous venez de dire à mon collègue Corbière que ces mesures répondaient à une attente. Or, pour nous, l'ensemble de ces dispositifs – réforme des lycées professionnels et du bac, sélection accrue à l'entrée de l'université à travers Parcoursup, instauration de groupes de niveau au collège – a pour seul objectif d'introduire des logiques de concurrence, de performance et de spécialisation des formations fonctionnelles pour les adapter aux nécessités du sacro-saint marché.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR – NUPES et sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Olivier Faure applaudit également.
Notre société a mis un siècle – pas moins – à instaurer un système scolaire capable d'accueillir tous les enfants dans un parcours commun jusqu'à 16 ans. Cette réforme organise en première instance l'orientation précoce des jeunes qui n'ont que l'école pour réussir. Force est de constater que nous assistons ainsi au développement d'un système éducatif à deux vitesses où les classes populaires voient s'amoindrir leurs possibilités de s'émanciper par l'éducation alors que les classes supérieures reproduisent leurs privilèges sociaux grâce à une logique de séparatisme éducatif.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR – NUPES et sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Olivier Faure applaudit également.
Outre l'abandon du choc des savoirs que nous appelons de nos vœux, quelles réponses concrètes apportez-vous à ces enseignants et personnels de l'éducation nationale qui, depuis plusieurs mois, vous demandent – à vous aujourd'hui comme à vos prédécesseurs hier – une revalorisation salariale sans contrepartie et des moyens pour l'éducation publique ?
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR – NUPES, LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
La parole est à Mme la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Je l'ai dit, toute mobilisation mérite attention. Je suis donc attentive à tout ce qui se dit voire se murmure – je le répète, les chiffres de la mobilisation indiquent que moins de 10 % de nos personnels se déclarent en grève.
Nous avons affirmé un objectif clair : d'une part, assurer une meilleure maîtrise des matières et des enseignements fondamentaux par nos élèves afin d'élever le niveau, d'autre part – je le redis devant vous –, refuser toute ségrégation sociale et scolaire.
C'est pourquoi nous serons attentifs à la manière dont les groupes se déploieront en sixième et en cinquième. Nous l'avons dit avec M. le Premier ministre : nous allons permettre à nos jeunes de travailler en groupe pour mieux maîtriser les compétences.
Toutefois, des brassages seront possibles entre ces groupes, lors du retour en classe entière.
Oui à la pédagogie différenciée entre les groupes, non au tri social qui pourrait en résulter. Le dispositif que nous avons prévu permettra d'atteindre notre objectif.
Je ne reviendrai pas sur la question de l'augmentation de la rémunération des personnels enseignants car je l'ai déjà évoquée dans ma réponse à M. Corbière. En revanche, j'ajouterai un mot sur les moyens. Je vous rappelle que notre démographie est telle que nous perdons des élèves. Entre 2017 et aujourd'hui, on compte 400 000 élèves en moins dans l'enseignement primaire.
Dans la même période, nous avons créé 12 000 emplois dans l'enseignement du premier degré. C'est dire l'effort qui a été fait.
Enfin, dans le second degré, le nombre d'élèves en moins atteignait, lors de la dernière rentrée, 2 300 et s'élèvera, à la prochaine rentrée, à 7 000. Pourtant nous créons 800 emplois supplémentaires.
Mme Raquel Garrido s'exclame.
Vous le voyez, nous sommes extrêmement attentifs à ce que disent les enseignants. Nous les écoutons mais le Gouvernement continue d'agir.
M. Jean-Louis Bourlanges applaudit.
Ma question s'adresse à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Dimanche 31 mars, la Roumanie et la Bulgarie ont finalement été intégrées dans l'Espace Schengen. Néanmoins, l'Autriche a opposé un véto à l'adhésion totale de ces deux pays en raison, entre autres, de l'afflux supplémentaire de demandeurs d'asile qu'une telle adhésion aurait entraîné. L'adhésion n'est donc que partielle, limitée aux seuls ports et aéroports, les contrôles terrestres des deux pays vers l'Union européenne étant maintenus.
Il convient également de préciser que la Bulgarie et la Roumanie n'apportent aucune garantie s'agissant des mesures qu'elles auraient dû prendre afin de lutter efficacement contre la criminalité et la corruption.
Les frontières extérieures de l'Union européenne sont de véritables passoires. L'entrée dans l'espace Schengen fait disparaître tous les contrôles aux frontières intérieures. La France est envahie par de nombreux flux migratoires qu'elle n'arrive plus à endiguer. J'en veux pour preuve l'empressement de l'État, ces jours-ci, à transférer vers d'autres villes les migrants ayant envahi la capitale afin de rendre Paris présentable pour les Jeux olympiques, ce qui prouve que l'État n'assume pas ses choix ni, surtout, le trouble à l'ordre public provoqué par ces affluences migratoires.
Quelles mesures de contrôle entendez-vous instaurer dans les aéroports et les ports afin de contrôler ces probables nouveaux flux migratoires ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Vous l'avez dit, la Bulgarie et la Roumanie ont fait dimanche leur entrée dans l'espace Schengen, ce qui signifie que les contrôles systématiques seront levés à leurs frontières aériennes et maritimes.
Vous contestez cette entrée en agitant, comme d'habitude, le spectre de l'invasion ou de la submersion. Faut-il rappeler que nous parlons là de deux pays qui ont intégré l'Union européenne il y a dix-sept ans ? Que les Roumains et les Bulgares ne sont pas des citoyens européens de second rang ?
Soit on est favorable à la circulation des personnes, soit on est pour le Frexit.
Mme Anne-Laurence Petel applaudit. – Vives protestations sur les bancs du groupe RN.
Il faut choisir son camp !
Permettez-moi de vous retourner la question. Si les frontières extérieures de l'Union européenne vous inquiètent, pourquoi Jordan Bardella n'a-t-il pas voté le pacte sur la migration et l'asile qui garantit l'effectivité des frontières européennes ?
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.
Comme d'habitude, vous éludez la question – ces non-réponses sont légion dans vos rangs. Il ne tiendrait qu'à vous d'appliquer le 2. de l'article 2 de la Convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 puisque je vous ai tendu la perche en vous parlant du trouble à l'ordre public provoqué par les légions de migrants présents dans nos rues. Cet accord autorise en effet l'État français, en cas de trouble manifeste à l'ordre public, à effectuer des contrôles aux frontières intérieures.
Si vous estimez légitime de déplacer tous ces migrants comme vous le faites actuellement, n'est-ce pas précisément parce que leur présence constitue un trouble à l'ordre public ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Votre question révèle que vous êtes le parti du renoncement, de la défaite et de la peur.
Exclamations prolongées sur les bancs du groupe RN.
Vous avez perdu foi dans la grandeur de la France et dans la puissance de l'Europe. Vous êtes aveuglés par la peur et vous voudriez la propager dans notre pays.
Toutefois vous n'y parviendrez pas car, face à vous, se tient le camp de la fierté, de la conquête et de l'espoir. Nous croyons dans la grandeur de la France et dans l'Europe et dans la capacité de l'une et de l'autre à exporter la liberté, la démocratie et l'État de droit dans bien des pays où des populations opprimées aspirent à de telles valeurs.
Je le dis avec beaucoup de sérénité et de force : bienvenue dans l'espace Schengen aux Bulgares et aux Hongrois, deux grands peuples européens de deux pays amis de la France.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
M. le garde des Sceaux, la justice va mieux à Béziers, comme vous avez pu le constater lors de votre visite au tribunal judiciaire il y a une quinzaine de jours, vous qui en avez salué le fonctionnement « exemplaire ». Nous le devons à des moyens supplémentaires, bien sûr, mais également à l'ambition et à la volonté sans faille de nos équipes judiciaires – magistrats du siège, parquet et greffiers.
Grâce à la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice !
La situation n'est pas la même dans la prison de Béziers. Le premier problème est la surpopulation carcérale, avec un taux d'occupation supérieur à 170 % dans les deux maisons d'arrêt et un sous-effectif du personnel pénitentiaire qui rend le quotidien de ces derniers de plus en plus tendu – ils étaient d'ailleurs en grève ce matin.
S'y ajoute un trafic de stupéfiants structuré et de grande ampleur. Jusqu'à il y a deux ans environ, les envois de colis clandestins avaient lieu quasiment toutes les nuits, au moyen d'échelles collées sur le mur d'enceinte de la prison. Depuis, les pratiques se sont perfectionnées puisque c'est maintenant le plus souvent par drones que les livraisons s'effectuent. En 2022, 15 kilos de drogue et 189 téléphones portables ont été confisqués.
Pour le seul mois de septembre 2023, près d'une trentaine de colis, dont l'un contenait plus de 100 grammes de cocaïne, ont été récupérés. Plus de 700 grammes de cannabis, ainsi que de nombreux téléphones, cigarettes, victuailles et même un couteau en céramique ont également été saisis. J'ajoute que les quantités non interceptées seraient entre deux et quatre fois plus importantes.
Ces trafics incessants ont pour conséquence directe un surcroît de travail pour la police municipale comme pour la police nationale qui, en l'absence d'augmentation de ses effectifs – c'est un appel du pied au ministre de l'intérieur –, n'arrive plus à traiter l'ensemble de ces incidents.
Ma question est donc claire : quand allez-vous donner votre feu vert pour l'installation d'un brouilleur anti-drone à la prison de Béziers ?
La parole est à M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice.
Je sais que vous êtes frustrée de ne pas avoir pu me poser plus tôt cette question, qui vous tient à cœur, mais avant de vous annoncer une bonne nouvelle,…
…je voudrais rappeler ce que nous avons fait sur le plan national : la lutte contre les drones malveillants est évidemment une priorité de l'administration pénitentiaire et, sur la période 2022-2023, un budget de plus de 7 millions d'euros y a été consacré. Il faut bien sûr que l'on s'adapte aux technologies nouvelles et la sécurité des personnels pénitentiaires est pour moi une priorité. Le déploiement des systèmes anti-drones est déjà effectif dans quarante-cinq établissements pénitentiaires pour un montant total de 15 millions d'euros. L'effort se poursuit en 2024 puisque près de 85 millions d'euros vont être consacrés au renforcement de la sécurité des agents pénitentiaires, soit une hausse de 8,9 %.
Venons-en à Béziers. J'étais en effet dans cette ville il y a quelques jours, et je vous indique que le centre pénitentiaire sera doté d'un système anti-drones dès cette année. Le dispositif a été commandé en fin d'année dernière et la date de la visite technique du fournisseur pour définir le plan d'implantation est programmée très précisément pour le 30 avril 2024. J'ajoute qu'à Béziers, il y a une équipe locale de sécurité pénitentiaire, vous le savez sans doute, composée de sept agents, ainsi qu'un dispositif mobile de brouillage de la téléphonie – celle-ci étant bien sûr illicite en détention – et un nouveau mur d'enceinte qui a coûté 1 million d'euros en 2018.
Enfin, puisque vous parlez de la justice et de son amélioration, je tiens à vous donner les chiffres à venir en termes de personnels à Béziers : il y aura, d'ici à 2027, treize recrutements supplémentaires : magistrats, greffiers et attachés de justice confondus.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Merci beaucoup, monsieur le ministre, pour ces bonnes nouvelles. Nous attendons ce système de brouillage depuis deux ans maintenant parce que qui dit trafic, dit violence, et que les guerres de territoire n'ont pas lieu que dans les quartiers de Marseille, mais aussi à l'intérieur des prisons. Ce n'est plus possible pour la sécurité de nos surveillants.
M. Olivier Marleix applaudit.
Monsieur le ministre du logement, voici votre palmarès : après 2023, où les expulsions avec le concours de la force publique se sont accrues de 23 %, depuis le 1er
« Eh oui ! » sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Loin de traiter des urgences, votre loi facilite les expulsions et criminalise les plus vulnérables. Mais cela ne vous suffit pas : vous cherchez désormais à nettoyer les rues des personnes sans domicile, et les Jeux olympiques sont l'occasion rêvée. Le nettoyage social inhumain, décomplexé, est en cours, sans la moindre solution à proposer aux personnes concernées,…
N'importe quoi.
…et en bafouant le droit au logement, pourtant le droit minimum. Monsieur le ministre, on ne nettoie pas la pauvreté : on la combat !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Mais votre victoire, c'est la hausse des expulsions, votre trophée, la violence sociale à un niveau record ; votre renommée, c'est ministre de l'exclusion. Voilà le revers de votre médaille. Mais cette politique est un choix : vous avez trouvé l'argent pour construire 14 500 logements pour les athlètes, alors qu'en Île-de-France 10 700 personnes sont sans abri. Vous avez donc les moyens de construire en urgence.
« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
La rue comme solution, c'est votre choix ! Et puisqu'on peut toujours en faire un autre, quand allez-vous mettre fin à la répression, mettre fin aux expulsions ? Quand allez-vous loger les plus vulnérables en vertu de la loi Dalo, la loi sur le droit au logement opposable ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Vous avez cité beaucoup de chiffres, mais vous en avez oublié un : il y a aujourd'hui en France 7,5 millions de locataires, et la plupart d'entre eux payent leur loyer, chaque début de mois, en bons payeurs.
Mais il y a en effet, malheureusement, une minorité qui ne paye pas. Les services du ministère la prend en charge dès le premier impayé : c'est d'ailleurs en vertu d'un des articles de la loi Kasbarian, que vous dénoncez, que les impayés sont traités à la racine pour prévenir des situations plus difficiles encore.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Et, à l'issue d'une longue procédure judiciaire de plusieurs mois, les juges décident éventuellement en effet, si le problème n'est pas réglé, de l'expulsion.
Maintenant que la trêve hivernale est terminée, quand le juge a décidé d'une expulsion, le rôle du Gouvernement, c'est d'appliquer la décision de justice avec la fermeté et la vigueur nécessaires parce que c'est sa fonction.
Et nous allons continuer à appliquer la loi que vous évoquiez. Il y a eu l'année dernière 21 500 expulsions. Nous, nous faisons le choix de respecter la loi et vous, vous faites manifestement le choix inverse en disant qu'il ne faudrait pas expulser, donc ne pas respecter la loi. Nous, nous assumons de dire : oui, nous appliquons la loi et les décisions de justice qui en découlent.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Je vous invite à aller sur le terrain avec les ONG pour que vous puissiez confronter ce que vous dites à la réalité. De surcroît, puisque vous parlez des locataires qui payent leur loyer, j'en conclus que vous allez les protéger d'Airbnb et de leur exclusion de leur logement au profit de cette plateforme durant les Jeux olympiques !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Je ne vous ai pas attendue pour aller sur le terrain. Vous devriez non seulement écouter les locataires qui payent leur loyer et qui savent qu'ainsi, ils respectent les règles, mais aussi les propriétaires qui parfois souffrent après avoir enduré des années d'impayés, et qui demandent que le droit, la loi, la justice soient respectés.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LR, Dem et HOR.
Quant à Airbnb, nous nous en occupons aussi, parce que l'un n'empêche pas l'autre. Une proposition de loi à ce sujet a été votée à l'Assemblée nationale et elle sera inscrite au mois de mai pour une nouvelle lecture. Nous agissons, vous le voyez, sur tous les fronts.
Mêmes mouvements.
Ma question est un cri d'alarme car notre système de santé est au bord du gouffre.
Face au mur de la dette et du déficit publics, Les Républicains vous ont proposé à l'automne, monsieur le ministre de l'économie, un contre-budget comportant plus de 25 milliards d'économies, que vous avez totalement ignoré. Ce plan ambitieux était pourtant l'une des solutions afin d'épargner le bien le plus précieux des Français, à savoir leur santé. Surtout il aurait évité des annonces très inquiétantes concernant la prise en charge médicale en fonction des revenus, ce qui bafoue les fondamentaux de la sécurité sociale qui permet à chacun, depuis 1945, de se faire soigner quels que soient son âge et son niveau de revenus. Vos arbitrages financiers mettent en grand danger les établissements privés, qui assument un tiers des hospitalisations : ainsi, 70 % des maternités seront déficitaires en 2024. Quant à la diminution du remboursement des affections longue durée, lesquelles concernent 18 % des Français, soit 12 millions de nos compatriotes, il faut rappeler que 120 000 patients en ALD ont déjà un reste à charge de plus de 5 000 euros par an.
Enfin, ces mesures de court terme masquent l'absence de réforme de fond. Pour quel résultat ? 58 % des Français considèrent que le système de santé en France fonctionne mal et, plus grave, 63 % ont déjà renoncé à au moins un acte de soin au cours de ces cinq dernières années. Dès lors, je pose la question : est-ce que la santé des Français est la variable d'ajustement du déficit de l'État ? !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La parole est à M. le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention.
Vous êtes trop fin connaisseur de ce sujet et du système de santé, monsieur le député, pour avancer autant d'approximations qui cachent d'autres réalités, à savoir que l'Ondam, l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, donc la somme que cette majorité consacre au système de santé, a augmenté de 60 milliards depuis 2017, pour atteindre cette année 255 milliards. L'effort d'accompagnement du système de santé est constant. Vous oubliez aussi de dire que le principal dysfonctionnement, c'est le manque de soignants, et que c'est cette majorité qui a supprimé le numerus clausus ce qui permet qu'il y ait 30 % d'étudiants de plus qu'en 2018 dans les filières de formation. Ainsi, dans quelques années, de nouveaux médecins assureront la prise en charge des Français. Nous réparons ainsi plus de quarante ans de dérive d'un système de santé qui, en effet, a fait l'objet d'attaques diverses et variées.
Mais laissons le passé, regardons vers l'avenir et essayons de reconstruire. Lorsque nous leur confions des tâches médicales, nous permettons que les infirmières en pratique avancée, les pharmaciens et tant d'autres professionnels de santé améliorent, aux côtés des médecins, la prise en charge les Français. Nous ne sommes pas toujours suivis sur tous les bancs, mais ce sont pourtant des réalités qui commencent à émerger.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR.
Au final, le système n'est pas du tout tel que vous décrivez : il est en train de redémarrer et suscite de vrais espoirs. Au lieu de toujours voir le verre à moitié vide, regardez ce qui fonctionne mieux dans notre système de santé.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE. – Mme Anne Le Hénanff applaudit également.
Vous ne répondez pas à la question sur la formation en santé. Vous savez pourtant très bien que s'agissant du numerus clausus, le Gouvernement a seulement changé le nom. Si vous nous aviez écoutés, les 25 milliards d'économies que nous proposions auraient permis de revaloriser les actes libéraux des infirmiers et des médecins.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LR.
Ces derniers seront d'ailleurs à La Bastille jeudi et j'espère que vous aurez de meilleures réponses à apporter à ceux dont les actes n'ont pas été revalorisés depuis 2009.
Mêmes mouvements.
J'ai reçu le syndicat des infirmières libérales et j'ai déjà apporté des réponses tout à fait concrètes aux questions que vous soulevez.
S'agissant des économies que vous évoquez, des pistes de réflexion ont été tracées car la santé doit participer à l'effort de maîtrise des finances publiques comme tous les autres secteurs d'activité. Elle le fera sans qu'il soit nécessaire de réduire les soins que l'on doit apporter aux Français.
Mme Anne Le Hénanff applaudit.
…alors que votre gouvernement prétendait depuis des mois que tout se déroulait correctement, nous avons appris par la presse que le rachat par EDF des activités nucléaires et des turbines Arabelle détenues par General Electric était bloqué ! Vendues aux intérêts américains par Emmanuel Macron quand il était ministre de François Hollande, les turbines Arabelle sont un fleuron technologique indispensable à nos centrales nucléaires et à nos exportations en ce domaine. Confronté à l'absurdité de sa propre politique anti-nucléaire, Emmanuel Macron avait annoncé, le 10 février 2022, vouloir finalement racheter les turbines Arabelle après que nos technologies ont été pillées par General Electric. Nous rachetions ainsi à prix d'or ce que nous avions conçu et fabriqué quelques années auparavant. Annoncée pour le 1er
Devant la poursuite de la casse sociale et industrielle des activités de General Electric, on peut légitimement s'inquiéter de votre silence assourdissant. Depuis 2018, les plans sociaux se succèdent et 1 500 emplois sont en péril dans le Nord-Franche-Comté ! Que compte faire le ministre pour dénouer ce dossier afin qu'enfin la France puisse reprendre toute sa souveraineté nucléaire ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie.
Vous parlez d'inconséquence concernant notre politique nucléaire alors que je vous rappelle que votre candidate à la présidence de la République était à fond contre le nucléaire il y a douze ans.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.
Il y a sept ans, c'était « p'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non ». Et il y a deux ans, elle était visiblement pour le nucléaire.
Pour ma part, J'ai présenté devant cette assemblée un projet de loi qui visait à simplifier la gouvernance et à accélérer la relance du nucléaire : le lundi, vous avez voté contre l'article 1er , le mardi, vous avez voté pour, puis, une fois en séance, vous avez passé la semaine à voter tous les articles, avant de finir par voter avec vos collègues contre l'ensemble du texte comme un seul homme !
Je n'ai toujours pas compris si le Rassemblement national était pour ou contre la relance du nucléaire – et vous parlez d'inconséquence ?
Applaudissements sur les bancs du Gouvernement.
Pour nous, les choses sont claires : depuis le discours de Belfort, il y a un peu plus de deux ans, et la relance du nucléaire par le Président de la République,…
…nous travaillons à fond pour accélérer cette relance et assurer la souveraineté industrielle de la France sur cette filière stratégique.
En février 2022, le Président de la République a annoncé un accord entre EDF et General Electric pour la reprise des turbines Arabelle, ce qui permettra de compléter notre filière industrielle dans le cadre de la relance du nucléaire.
Depuis, nous travaillons à la finalisation de cette transaction. Si vous connaissez un peu l'industrie, vous savez que cela prend un peu de temps – c'est tout à fait normal.
Depuis l'accord, il s'est passé plusieurs mois mais la procédure arrive à son terme. Il fallait s'assurer que la totalité des autorisations réglementaires nécessaires dans les différents pays impliqués soient obtenues. Peut-être avez-vous remarqué qu'il y avait une guerre en Ukraine ? Elle complique un peu les choses.
Mais le chantier est en cours, et nous allons finaliser cette transaction, qui servira les intérêts de l'industrie française.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
J'associe à cette question mes collègues de l'Indre-et-Loire, Daniel Labaronne et Henri Alfandari, ainsi que ceux de la Vienne et de l'Indre.
Ce week-end, l'Indre-et-Loire a été frappée par des crues exceptionnelles. À Nouâtre, la Vienne a atteint un niveau historique. À l'Île-Bouchard, un Ehpad a dû être évacué, et un quartier entier à Chinon. Le sud-est du département – Montrésor, dans le bassin de l'Indrois, Courçay, dans le bassin de l'Indre, Descartes, dans le bassin de la Creuse – n'a pas été épargné. Au total, près de 40 communes ont été touchées, 562 personnes évacuées, 400 habitations endommagées – de même que des parcelles agricoles et viticoles, des commerces et des établissements touristiques, comme le camping de Marcilly-sur-Vienne.
Je tiens à rendre hommage à la solidarité citoyenne et à saluer l'engagement exemplaire des acteurs du territoire : le préfet Latron, avec qui j'étais sur le terrain, dimanche, avec Henri Alfandari, les maires, les élus, les services de secours, la gendarmerie, les associations de protection civile, comme la Croix-Rouge. Ils ont tout fait pour protéger la population.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Le dispositif FR-Alert a très bien fonctionné. Il a permis aux habitants d'anticiper les événements et d'évacuer les lieux lorsque cela était nécessaire. Toutefois, du fait des prévisions fluctuantes de Vigicrues, certaines réactions ont été excessives ou tardives. Les acteurs locaux, qui ont une connaissance précise du territoire, ont heureusement pu les compenser. Nous demandons d'ailleurs que les assurances examinent avec attention les situations, notamment dans les zones où les alertes ont été tardives.
Je remercie M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer d'avoir lancé la procédure accélérée de reconnaissance de catastrophe naturelle et activé le régime des calamités agricoles.
Monsieur le ministre de la transition écologique et de la cohésion du territoire, quel sera le délai d'indemnisation des sinistrés ? Comment optimiser le service d'information Vigicrues, de manière à améliorer les prévisions ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Je l'ai dit tout à l'heure à Pascal Lecamp : le dernier week-end a été marqué dans votre département, comme dans celui de la Vienne, par des crues extrêmement importantes. En Indre-et-Loire, les chiffres sont éloquents : plus de 500 personnes ont été évacuées et près de 200 agents des services publics, au sens large, ont été impliqués – vous leur avez rendu hommage. Je veux saluer votre investissement au plus fort de cette crise, ainsi que celui d'Henri Alfandari.
La décrue a commencé. Il va falloir en attendre la fin pour faire une estimation précise des dégâts. J'imagine le désarroi de ceux qui ont été touchés. Le Premier ministre ayant eu l'occasion de se rendre à plusieurs reprises au cours des dernières semaines dans le Pas-de-Calais, nous savons le drame que vivent les inondés.
À très court terme, c'est-à-dire vendredi prochain ou au début de la semaine prochaine, le ministre de l'intérieur réunira la commission de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Il faut que les préfectures concernées nous transmettent la liste des communes susceptibles d'être indemnisées. L'enclenchement de la procédure sera ensuite extrêmement rapide. Le délai de paiement dépendra de plusieurs facteurs, dont la nature des dégâts et le statut des structures concernées – habitat privé ou collectivités territoriales, auquel cas la procédure est particulière. Nous sommes à votre disposition pour toute information complémentaire.
Se pose d'autre part la question de l'alerte et de notre capacité à mieux faire face à des événements appelés à se reproduire. La situation dans votre département est spectaculaire. Le niveau de certains cours d'eau a atteint 9 mètres, contre 3 en temps normal. Les records des années 1980 ont été battus ; certains niveaux historiques ont été atteints, voire dépassés. Notre ambition est de continuer à déployer Vigicrues tout en affinant la granularité et en augmentant l'intensité du dispositif. Le travail est en cours ; nous aurons l'occasion de vous le présenter bientôt dans le cadre du plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc).
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – M. Jimmy Pahun applaudit aussi.
Il y a environ deux ans et demi, une proposition de loi tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote a été adoptée. Ce gaz consommé au moyen d'un ballon de baudruche provoque un état d'euphorie de très court terme apprécié de ses adeptes – en 2021, 11 % d'entre eux étaient des mineurs.
L'ampleur du phénomène en fait un problème de santé publique. En 2021, dans 80 % des cas signalés, des complications neurologiques étaient déclarées ; dans 47 % des cas signalés, il s'agissait d'une consommation quotidienne. En 2023, la presse affirmait que plusieurs tonnes de protoxyde d'azote avaient été saisies ; elle faisait état de nombreux accidents de la route, parfois mortels. Je souhaite avoir ici une pensée pour les familles des victimes.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Sont en cause l'accessibilité de ce gaz à un faible prix sur internet, dans les commerces de proximité et dans les supermarchés, ainsi que sa perception comme une drogue amusante et inoffensive.
Pourtant, les effets délétères de sa consommation sur la santé sont observés depuis plusieurs années : étourdissements, troubles neurologiques, respiratoires ou cardiovasculaires graves ou définitifs, ou encore asphyxie.
Force est de constater que la loi du 1er
Vu l'état des lieux, la gravité de cette consommation sur nombre de jeunes et l'inefficacité de la loi de 2021, que comptez-vous faire, madame la ministre du travail, de la santé et des solidarités – mais elle n'est pas là ! –, pour éloigner les jeunes de ce produit ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur quelques bancs du groupe SOC. – M. Stéphane Peu applaudit aussi.
La parole est à M. le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention.
Les intoxications au protoxyde d'azote – le « gaz hilarant » – sont en effet en augmentation ces dernières années. Elles sont dues à l'usage détourné, à visée récréative, du protoxyde d'azote utilisé en cuisine. Ses conséquences, qu'elles soient neurologiques, cardiaques ou psychiatriques, peuvent être graves ; elles conduisent parfois à une hospitalisation. En 2021, dans 80 % des cas déclarés, des complications neurologiques avaient été signalées. Les intoxications concernent en majorité de jeunes adultes ; l'âge moyen du consommateur est de 22 ans – beaucoup de mineurs sont également touchés. Le nombre de cas graves déclarés aux centres d'addictovigilance a été multiplié par trois entre 2020 et 2021. Près de la moitié des signalements faisaient état d'une consommation quotidienne.
Face à ce phénomène, le Gouvernement n'est pas resté inactif. La vente de protoxyde d'azote a été largement encadrée. Sa vente aux mineurs a été interdite, quel que soit son conditionnement, dans les commerces et sur internet, par la loi du 1er
En outre, les pouvoirs publics ont déployé différentes mesures de prévention. Les agences régionales de santé des Hauts-de-France et d'Île-de-France ont lancé au moyen de vidéos pédagogiques diffusées sur les réseaux sociaux une campagne de sensibilisation aux risques liés à la consommation de ce produit.
Plus largement, nous conduisons une politique globale de prévention des addictions, avec la stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives, qui se déploie jusqu'en 2027 et qui est soutenue par le fonds de lutte contre les addictions, institué en 2019. Nous avons également lancé en 2023 un plan de lutte contre les addictions chez les jeunes afin de mobiliser et d'amplifier les leviers de prévention communs aux différentes addictions, d'identifier les objectifs fédérateurs et, surtout, de mobiliser l'ensemble des réseaux professionnels et les associations qui interviennent auprès des jeunes et des éventuels consommateurs.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Tout va bien, donc ? Pour ma part, j'ai déposé une proposition de loi visant à éloigner ce produit de notre jeunesse. Elle pourrait être bien plus efficace que la loi de 2021. Je vous invite à l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée.
« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur quelques bancs du groupe SOC.
Monsieur le Premier ministre, voilà plus d'un an et demi que notre compatriote Louis Arnaud, originaire de Montceau-les-Mines, a été arrêté alors qu'il visitait l'Iran dans le cadre d'un tour du monde. Il a été incarcéré douze jours après la mort de Mahsa Amini, une jeune femme iranienne arrêtée par la police des mœurs pour « port non conforme du voile islamique ».
Depuis 552 jours, Louis Arnaud est détenu arbitrairement dans les geôles de la république islamique d'Iran, connues pour leurs conditions de détention particulièrement dures, pour ne pas dire inhumaines ; 552 jours d'inquiétude pour ses parents, Jean-Michel et Sylvie Arnaud, pour ses proches, ainsi que pour ma suppléante, Marie-Claude Jarrot, maire de Montceau-les-Mines, que j'associe à ma question.
Détenu depuis le 28 septembre 2022 en Iran, notre compatriote Louis Arnaud a été condamné en novembre dernier à cinq ans d'emprisonnement par la Cour révolutionnaire de Téhéran pour propagande et atteinte à la sécurité de l'État iranien – une condamnation totalement infondée, prononcée à l'issue d'un simulacre de procès, sans respect du principe du contradictoire : lors de l'audience, les avocats de Louis n'ont même pas pu être présents.
À cette heure, trois autres Françaises et Français sont retenus en Iran : Cécile Kohler, Jacques Paris et une autre personne dont l'identité demeure secrète. Je pense aussi à tous nos compatriotes injustement détenus dans d'autres États. À eux, à leurs familles, à leurs proches, je tiens à dire que nous ne les oublions pas !
Bafouant le droit international et les valeurs universelles qui sont celles de la France depuis plus de deux siècles, l'Iran retient arbitrairement quatre de nos compatriotes.
Monsieur le Premier ministre, a-t-on des nouvelles récentes de Louis Arnaud et de nos autres compatriotes ? Quelles actions la France entreprend-elle pour obtenir leur libération ?
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem, HOR et Écolo – NUPES, ainsi que sur quelques bancs du groupe LR. – M. André Chassaigne applaudit aussi.
La parole est à M. le ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité, de la francophonie et des Français de l'étranger.
Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères étant actuellement en réunion avec son homologue américain Antony Blinken, il m'a chargé de vous répondre.
Louis Arnaud, Cécile Kohler, Jacques Paris et leur compagnon d'infortune sont en effet arbitrairement détenus par la république islamique d'Iran dans un contexte que vous avez bien décrit et que vous connaissez bien, puisque vous avez reçu les parents de Louis Arnaud, qui est originaire de votre circonscription.
La libération de nos compatriotes constitue pour nous une priorité. L'État est totalement mobilisé à cette fin, qu'il s'agisse du Président de la République, du Premier ministre, du ministre de l'Europe et des affaires étrangères ou de l'ensemble des services compétents, en France comme en Iran. Stéphane Séjourné a rencontré son homologue iranien à New York, le 23 janvier dernier, pour un entretien entièrement dédié à la détention arbitraire de nos compatriotes et à la nécessité d'avancer concrètement vers leur libération. Il a indiqué qu'il n'y aurait aucun retour à la normale dans nos relations avec l'Iran sans évolution substantielle de la situation de nos ressortissants. Il a également reçu les familles, quelques jours après sa prise de fonction ; il leur a décrit les efforts de la France pour obtenir la libération de leurs proches.
Compte tenu de la sensibilité du sujet, je n'entrerai pas dans les détails, mais je peux vous assurer de la pleine mobilisation du Quai d'Orsay, que ce soit en France, où nous sommes en relation avec les familles, ou en Iran, où notre ambassade apporte un appui à nos compatriotes injustement emprisonnés.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – Mme Cécile Untermaier applaudit aussi.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante, sous la présidence de Mme Caroline Fiat.
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Construire une politique globale de prévention en santé : avec quels objectifs, quelles priorités, quels indicateurs, quelles données et quels financements ? ».
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
La parole est à M. Cyrille Isaac-Sibille.
Nous voici enfin réunis pour parler de santé – celle de nos concitoyens et celle de notre système de santé. Je souhaite remercier le groupe MODEM et son président, Jean-Paul Mattei, d'avoir permis l'inscription de ce débat à l'ordre du jour de notre assemblée.
Chaque automne, nous nous retrouvons en effet pour adopter un projet de loi visant à financer nos politiques de santé – le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) – sans jamais que le Gouvernement et le Parlement puissent exposer et confronter leurs visions de manière globale.
Depuis le vote de la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, déclinant la stratégie Ma santé 2022 définie l'année précédente, l'hémicycle n'a pas connu de débat sur les priorités et sur les réformes structurelles à mener.
Pourtant, tous les cinq ans – durée portée à dix ans en 2023 –, le ministre valide un document élaboré par ses services, la stratégie nationale de santé (SNS), qui établit des priorités, fixe des objectifs et formule des propositions pour les atteindre. Mais la vision que traduit la SNS ne fait l'objet d'aucune discussion devant la représentation nationale. Celle-ci vote pourtant le budget censé la financer !
Je conseille à mes collègues de prendre connaissance de ce document, où figurent de nombreuses propositions intéressantes, comme la création d'un brevet de santé publique – que j'ai défendue – ou la formation de 300 000 secouristes en santé mentale. Nous ne discutons jamais des priorités de la stratégie nationale de santé, qui sont déclinées dans les PLFSS. Sa vision n'étant ni partagée ni validée, tous les acteurs de la santé sont inquiets pour leur devenir. Ils sont un peu désemparés, en manque de perspectives, et le système n'est plus contrôlé.
Quel est le constat ? En 1945, nos prédécesseurs ont promis aux Français de prendre en charge tous leurs besoins individuels de soins, quels que soient leurs comportements. Nous avons ainsi construit un des meilleurs systèmes de soins au monde, au détriment de l'aspect préventif.
Ce système, bâti sur un déséquilibre structurel entre le soin et la prévention, montre aujourd'hui ses limites. Des limites quant à ses résultats : si les Français vivent mieux, l'espérance de vie en bonne santé est faible et tend à se dégrader en raison de la forte augmentation des maladies chroniques. La France détient ainsi le triste record de la plus longue espérance de vie en mauvaise santé. Est-ce vraiment un bon résultat ? Des limites, aussi, quant à son organisation territoriale et quant à ses capacités à investir et à financer.
Malgré un bond de 25 % du budget de l'assurance maladie au cours des six dernières années, soit près de 50 milliards d'euros supplémentaires sur la période, personne n'est satisfait. Ni le monde de l'hôpital, qu'il soit public ou privé, ni les représentants de la médecine de ville, ni le secteur du médicament, ni les acteurs du médico-social, ni, surtout, nos concitoyens, qui sont inquiets, comme le montrent tous les sondages.
La raison de cette situation est que les soins ne représentent qu'une faible proportion – 20 % environ – de ce qui fait notre santé. Les 80 % restants résultent de déterminants qui sont pour une grande part liés aux bons comportements en matière de santé, ceux que l'on acquiert dès l'enfance et que l'on conserve tout au long de la vie. Des aspects socio-économiques et environnementaux entrent également en jeu, mais il nous est encore difficile de les prendre en compte en raison de notre approche individuelle de la santé.
Comment opérer le basculement du soin vers la prévention ? Nous proposons de réorienter notre système de santé afin de mettre en place, comme le pays a su le faire pour le soin, une politique systémique et industrielle de prévention. Il faut mener des actions généralisées de prévention et non un patchwork de mesures non visibles, dans l'objectif que les Français vivent plus longtemps en bonne santé.
C'est pourquoi il est nécessaire de déployer une vaste politique de prévention qui passe par la promotion de la santé, par l'éducation, par les vaccinations, par les dépistages et par le suivi thérapeutique, et qui concerne les Français de tous âges, en ciblant particulièrement les personnes les plus éloignées de ces dispositifs.
Cette politique doit se traduire non par des actions ponctuelles – ce que nous savons si bien faire –, mais par une prise en charge globale et désirable. La santé et la prévention doivent en effet devenir désirables. À cette fin, une politique de prévention a besoin d'un portage politique fort, soutenu et continu. Monsieur le ministre, en votre qualité de ministre délégué chargé de la santé, et désormais de la prévention, il vous revient de promouvoir cette politique publique.
Cette politique a besoin d'être discutée devant la représentation nationale. Nous le faisons cet après-midi, mais cela doit être systématisé à l'avenir. Comment nous prononcer sur un budget sans évoquer les objectifs ni les priorités ? Monsieur le ministre, pourquoi n'exposeriez-vous pas, avant l'examen du PLFSS, votre politique de santé et vos priorités ?
Cette politique de prévention a besoin d'objectifs clairement énoncés : l'aller vers, le bien-être lié aux comportements de santé, la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé liées à certains déterminants,…
…le recul des maladies chroniques, fardeau qui ne fait que s'alourdir.
Cette politique de prévention a besoin de se centrer sur quelques priorités. Nous avons actuellement une centaine de priorités ; autant dire que nous n'en avons aucune !
Cette politique de prévention a besoin de reposer sur des actions évaluées et réplicables, susceptibles d'être généralisées. Ces actions doivent être suivies au moyen d'indicateurs. Nul besoin d'indicateurs complexes : des indicateurs simples tels que le poids et le nombre d'indemnités journalières (IJ) permettent de mesurer l'état de santé d'un individu. Ces actions doivent être objectivées par les données de santé, trésor dont dispose notre pays, mais qui reste sous-utilisé. La recherche médicale s'appuie sur ces données ; notre système de soins ne le fait absolument pas.
Bien qu'essentielles, la collecte et la gestion des données de santé restent un domaine mal maîtrisé, ce qui empêche l'évaluation des actions ainsi que le suivi individuel et collectif de la population. Pendant la crise du covid-19, nous avons pourtant su utiliser l'analyse des données de santé populationnelle à des fins épidémiologiques. Ensuite, nous avons développé le Health Data Hub. C'est grâce à ces outils que nous pourrons privilégier des actions précoces et ciblées, et piloter la politique de prévention. Dans certains pays européens, je le rappelle, le taux de mortalité et le taux d'obésité sont connus au pâté de maison près ! Dans ces pays, il y a de nombreux indicateurs ; en France, nous n'avons rien.
Une politique de prévention doit aller au devant de nos concitoyens, sur leurs lieux de vie : à l'école ou lors des temps périscolaires, pour les plus jeunes ; sur le lieu de travail, pour les actifs ; au domicile ou dans les services médico-sociaux, pour les plus âgés, afin de prévenir la perte d'autonomie, grâce à un système de détection des préfragilités et un centre de ressources probantes permettant de dupliquer, dans tous les territoires, les actions qui ont fait leurs preuves. C'est ce que nous avons su faire avec la proposition de loi portant diverses mesures relatives au grand âge et à l'autonomie, dite proposition de loi bien vieillir.
Ce texte prévoit un centre national de ressources probantes et un service territorialisé. Voilà ce qu'il faut instaurer de manière globale.
C'est en changeant l'environnement…
…que nous changerons les comportements, comme en témoigne le plan Vélo, qui a certainement été l'une des meilleures mesures prises en faveur de la santé. Tout doit être fait pour que les bons comportements de santé deviennent les choix par défaut.
Une politique de prévention nécessite une mobilisation de tous, non seulement des professionnels de santé, bien évidemment, mais aussi des nouveaux métiers : formateurs, préventeurs, médiateurs, référents prévention – désignés dans chaque établissement, dédiés à la prévention et à l'aller vers, ces référents seraient titulaires d'un brevet de santé publique suivant le modèle du brevet de sécurité routière. Une telle politique a besoin de tous les financeurs, publics comme privés : l'assurance maladie, l'assurance vieillesse, les complémentaires santé et les organismes de prévoyance. Elle doit associer l'ensemble des acteurs qui jouent un rôle pour notre santé, notamment ceux de l'éducation nationale, de l'urbanisme et du sport. Le bien-être n'est pas l'apanage du ministre de la santé !
Je propose que nous nous concentrions sur deux pathologies qui sont à l'origine de nombreuses pathologies chroniques associées, consommatrices de soins, et pour lesquelles nous pouvons agir dès maintenant par l'alimentation, l'activité physique et l'activité sociale. Il s'agit d'une part de la surcharge pondérale et de l'obésité, d'autre part de la surcharge mentale et des troubles psychologiques. Si nous nous fixons ces deux priorités en définissant des indicateurs, nous pourrons progresser.
La prévention doit devenir le fer de lance de notre système de santé. Plus vite nous instaurerons cette politique, plus vite nous obtiendrons des résultats. Il est d'usage de dire que si nous agissons maintenant, la prévention ne portera ses fruits que dans quinze ans. C'est faux ! Je l'ai indiqué, le plan Vélo a donné des résultats concrets, au bout de cinq ans ; il a évité des morts. Au Royaume-Uni, des taxes comportementales ont été introduites, et l'on a constaté, en trois ans, une baisse de 13 % de la mortalité liée à l'alcool. Qu'attendons-nous ?
Monsieur le ministre, quels objectifs, priorités, indicateurs, données et financements entendez-vous retenir pour construire une politique globale de prévention en santé ? Je vous en conjure, présentez-nous vos priorités en amont de l'examen du PLFSS ! Cela donnera davantage de lisibilité au budget de la sécurité sociale que nous votons chaque année.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et HOR. – M. Jérôme Guedj applaudit aussi.
La prévention a été définie en 1948 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « l'ensemble des mesures visant à éviter ou réduire le nombre et la gravité des maladies, des accidents et des handicaps ». À la lecture de cette définition, l'importance de la santé physique apparaît évidente, et tel est bien le cas aux yeux tant du grand public que des professionnels de santé et des responsables politiques. En revanche, en cette Journée mondiale de sensibilisation à l'autisme, permettez-moi de m'interroger sur la prise en charge de la santé mentale. L'impact de sa dégradation sur la qualité de vie des individus et son coût pour la collectivité sont parfois perçus de manière plus diffuse et moins immédiate.
Quand il s'agit de la santé physique, même si certaines pathologies suscitent encore un sentiment de peur ou de rejet, la diffusion des connaissances médicales et l'amélioration des traitements ont permis, dans l'ensemble, d'assurer une place prépondérante aux questions de santé publique et de mettre l'accent sur la prévention et sur l'hygiène de vie. En est-il de même pour la santé mentale ? La forte stigmatisation qui entoure les troubles mentaux conduit bien souvent à l'invisibilisation des personnes qui en souffrent.
Cette absence d'intérêt et les représentations négatives de l'ensemble de la société à propos de cette question considérée comme secondaire, quand elle n'est pas méconnue, ont des conséquences néfastes qui vont bien au-delà des conséquences personnelles pour les intéressés. En effet, les problèmes de santé mentale constituent désormais le premier poste de dépenses de l'assurance maladie : le coût annuel des traitements médicamenteux s'élève à 23,4 milliards d'euros ; quant au coût macroéconomique, il est estimé à 109 milliards. Il s'agit donc non seulement d'un enjeu majeur de santé publique, mais aussi d'un enjeu de société global.
C'est pourquoi la santé mentale doit absolument être inscrite dans notre politique globale de prévention en santé. Je salue le Premier ministre, Gabriel Attal, qui s'est saisi du problème : dans son discours de politique générale, il a indiqué vouloir faire de la santé mentale des jeunes une cause nationale. Il est effectivement urgent de s'y atteler.
Dans un contexte de pénurie de médecins, plus encore de psychiatres et de pédopsychiatres, je tiens à vous faire part de ma plus vive inquiétude quant à la santé mentale de la population. Permettez-moi d'illustrer mon propos par un exemple local : je viens encore d'apprendre, avec tristesse, la fermeture à venir d'un centre médico-psychologique dans ma circonscription de Haute-Savoie. Pourtant, ces lieux de soins publics, qui offrent des consultations médico-psychologiques et sociales à toute personne en difficulté psychique, sont essentiels.
Cette fermeture intervient à la suite de celle des derniers lits d'hospitalisation dans ma circonscription.
Je suis inquiète pour la santé mentale de tous, surtout pour celle des jeunes. Leur état de santé mentale se dégrade de manière inquiétante, notamment depuis la crise du covid-19. En 2021, près d'un jeune sur cinq aurait traversé un épisode dépressif, chiffre en augmentation de 80 % par rapport à 2017. Le nombre d'appels passés à SOS Amitié par des jeunes de moins de 14 ans en détresse a augmenté, quant à lui, de 40 %.
Le dispositif Mon soutien psy, lancé par le Gouvernement, va dans le bon sens. Quelque 100 000 patients ont bénéficié de ce suivi, pour 438 000 séances au total. Néanmoins, il est indispensable de rénover ce dispositif de fond en comble, afin d'améliorer l'adhésion des professionnels et de faciliter l'accès des patients. Je propose quelques pistes d'amélioration : un remboursement adapté du coût de la séance aux professionnels ; une redéfinition des indications – il s'agit d'ouvrir le dispositif aux troubles sévères, et non plus seulement aux troubles légers et modérés ; un accès direct aux psychologues.
Dans un contexte d'économies budgétaires, je me permets de souligner les économies que permettrait à terme une véritable politique de santé publique – au-delà, bien évidemment, du bien-être de nos concitoyens. Comment le Gouvernement entend-il se saisir de cette question essentielle et urgente ? Quelles actions claires et concrètes envisage-t-il ? Quand la santé mentale dans sa globalité sera-t-elle considérée comme une cause nationale ?
Je remercie le groupe MODEM d'avoir organisé ce débat. Monsieur le ministre, le groupe Horizons et apparentés se tient prêt à travailler à vos côtés sur ces enjeux essentiels pour nos concitoyens. Il y va du devenir de notre société.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes HOR et Dem.
Je remercie le groupe MODEM et Cyrille Isaac-Sibille d'avoir mis l'accent sur la prévention, qui figure désormais dans l'intitulé du ministère. Lorsque j'ai vu ce thème inscrit à l'ordre du jour de cette semaine de contrôle, je me suis réjoui : nous allions pouvoir exercer nos prérogatives sur cette question essentielle. Toutefois, si nous évoquons ainsi le sujet, de manière limitée, au cours d'une semaine de contrôle, qu'en est-il le reste du temps ? Tout le monde s'accorde à dire que la prévention est centrale dans l'ensemble des politiques de santé, mais à quel moment le législateur en est-il saisi ?
Je le dis d'emblée, je partage le diagnostic et je souscris au combat que mène de longue date Cyrille Isaac-Sibille pour que nous nous dotions d'un espace de débat démocratique, inexistant à ce jour, qui pourrait être une loi de programmation et d'orientation en matière de santé, assortie d'indicateurs en matière de prévention.
Pourquoi dis-je que nous sommes privés d'un tel espace ? Si le PLFSS comprend chaque année des articles additionnels tout à fait bienvenus – la gratuité des préservatifs, le dépistage de telle ou telle pathologie, la facilitation de l'accès au vaccin contre le papillomavirus –, c'est là une action quelque peu pointilliste, qui ne donne pas aux parlementaires que nous sommes une vision globale, panoramique, holistique, transversale des enjeux de prévention. Tel est le principal message qu'il convient de faire passer lors de cette séance de contrôle, qui n'en est d'ailleurs pas une, puisque nous contrôlons non pas l'application d'un dispositif législatif, mais, éventuellement, l'action du Gouvernement.
Là est la difficulté : où et quand pouvons-nous débattre de l'atteinte des objectifs de la politique de santé ? Où et quand pouvons-nous, conformément à notre rôle de parlementaires, contrôler et enrichir cette politique ? Je l'ai dit, le PLFSS ne remplit pas cette mission. Dès lors, notre examen se limite à celui des outils et des objets proposés par le Gouvernement, notamment la stratégie nationale de santé. Cependant, la prévention est déployée dans tant de plans et de stratégies que nous ne pouvons pas l'appréhender de manière globale. Par exemple, comment les mesures de prévention du plan Bien vieillir s'articulent-elles avec celles qui figurent ailleurs, notamment dans le programme national nutrition santé (PNNS) ?
Je m'arrête un instant sur ce sujet essentiel. En vertu de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi climat et résilience, le Gouvernement devait soumettre, au plus tard le 1er juillet 2023, une stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat, répondant au terrible acronyme de Snanc, pour remplacer le PNNS et le programme national de l'alimentation et de la nutrition (PNAN). Où en est-on, monsieur le ministre ? Nous sommes le 2 avril 2024, et il n'y a toujours pas de Snanc !
Vous me répondrez que cela n'empêche pas des actions ciblées, mais il nous manque des objets d'origine gouvernementale dont nous pourrions questionner l'existence et l'effectivité. Pour ma part, j'exprime une préférence pour une loi d'orientation et de programmation en matière de santé, assortie d'objectifs et d'indicateurs qui seraient ensuite déclinés par l'exécutif. Nous sommes attachés à la démocratie sanitaire. Remettons le Parlement au cœur de la politique de santé !
Je tiens à évoquer deux sujets qui me tiennent particulièrement à cœur. J'ai mentionné l'alimentation et la nutrition. Or, depuis très longtemps, nous n'avons pas eu de débat sur la politique de prévention de l'obésité et de lutte contre celle-ci. J'aimerais notamment que dans cet hémicycle, nous discutions du nutri-score, qui est une belle invention française.
Il serait pertinent de le faire passer à l'échelle supérieure, c'est-à-dire au niveau européen, mais nous voyons bien que cette démarche se heurte à un certain nombre de pesanteurs, pour ne pas dire de lobbys, qui cherchent à lui savonner la planche.
J'aimerais aussi que nous parlions des enjeux liés à la dénutrition, non seulement des personnes âgées, mais aussi de l'ensemble des personnes fragiles. Discutons des indicateurs et des solutions que nous pouvons apporter en la matière dans l'ensemble de la politique de santé.
J'aimerais également que nous parlions de l'activité physique adaptée. Nos prédécesseurs ont légiféré en 2016 pour permettre le sport sur ordonnance. Chacun s'accorde à dire que cette mesure est utile et pertinente, notamment pour les affections de longue durée. Néanmoins, le sport sur ordonnance souffre d'une absence de financement. Une logique de prévention permet pourtant d'éviter les dépenses liées à la réparation.
Enfin, j'aurais aimé parler de la santé mentale, mais mon temps de parole touche à sa fin et la question a été abordée par les orateurs précédents. En bref, à quand un réel débat parlementaire sur les objectifs de prévention ?
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et GDR.
Mieux vaut prévenir que guérir : chacun connaît ce proverbe populaire. Malheureusement, la prévention est un maillon faible de notre politique de santé. En 2023, elle représentait seulement 2,3 % du budget du ministère de la santé ; si l'on cumule l'ensemble des dépenses, y compris celles des collectivités et des ménages, le taux atteint à peine 4 %, soit l'un des plus faibles d'Europe. Si l'on y regarde encore de plus près et qu'on zoome sur la santé-environnement, il est encore plus bas.
La semaine dernière, avec la ministre du travail, de la santé et des solidarités, j'ai visité le centre de ressources autisme du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours, qui est tout à fait excellent. En cette Journée mondiale de l'autisme, je voudrais évoquer un sujet qui a été complètement absent de nos discussions : celui des causes environnementales entraînant l'augmentation des cas d'autisme, à savoir les phtalates dans les sols, dans les jouets, et les polluants chimiques d'une façon générale.
Il y a urgence, tant la population est exposée à des agents pathogènes, à des substances toxiques, des polluants et des perturbateurs endocriniens. Nous aurons l'occasion d'en débattre ce jeudi, jour de la niche des écologistes, autour d'une proposition de loi qui vous invitera à faire un premier pas pour sortir des polluants éternels que sont les Pfas – substances polyfluoroalkylées ou perfluoroalkylées –, que M. Isaac-Sibille connaît parfaitement bien, puisqu'il est l'auteur d'un rapport sur le sujet.
L'OMS estime que 23 % des décès et 25 % des pathologies chroniques dans le monde peuvent être attribués à des facteurs environnementaux et comportementaux : qualité de l'air, de l'eau, de l'alimentation, mode de vie… Selon Santé publique France, la pollution de l'air cause à elle seule 48 000 décès prématurés par an.
En 2022, la cinquième limite planétaire a été officiellement dépassée avec les pollutions chimiques. La production de produits chimiques a été multipliée par cinquante depuis le début des années 1950 et pourrait encore tripler d'ici à 2050. Les coûts de la prise en charge des maladies d'origine environnementale sont élevés – pour celles qui sont reconnues. À titre d'exemple, le coût de l'élimination des pesticides dans l'eau en vue de produire de l'eau potable peut être estimé entre 440 000 euros et 1,48 million d'euros par jour.
Dans le domaine de la santé, une large part de l'intervention publique passe par le système de soins. On mise beaucoup sur le curatif, en oubliant d'interroger les modes de production et d'organisation du travail qui induisent le développement des maladies. Regardez les Pfas : 100 % de la population française est contaminée ! Même les ours polaires sont contaminés. Les effets de ces polluants nocifs pour notre santé sont connus. Le budget de la sécurité sociale risque d'exploser, mais le Gouvernement hésite encore à interdire dès maintenant la production de ces polluants éternels. Certains industriels jouent sur la peur de la perte d'emplois.
Les crises sanitaires nous ont rappelé qu'il existe un lien étroit entre la santé humaine, la santé animale et la santé de l'environnement. C'est ce que l'on appelle One Health, le concept d'une seule santé. Regardez ce qui se passe aux États-Unis : la grippe aviaire atteint désormais les bovins, et un être humain a été contaminé par cette maladie. La prévention santé-environnement est au cœur d'une approche unifiée de la santé publique et doit être renforcée de toute urgence. Cela appelle plusieurs changements.
D'abord, une loi de programmation fixant une stratégie nationale de prévention en santé intégrant l'atténuation du changement climatique, la réduction des pollutions anthropiques et la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles.
Ensuite, un meilleur pilotage ministériel – l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) propose une structure interministérielle dédiée – en articulation avec les collectivités, dont le rôle doit être renforcé et les compétences étendues pour intégrer la prévention. Les régions, qui s'occupent d'économie, de biodiversité et de santé, pourraient tout à fait travailler davantage aux côtés de l'État à l'élaboration et à l'application des plans régionaux santé environnement. Pour ce faire, il faudra leur allouer un budget concret.
Troisièmement, le développement d'initiatives visant à mieux informer les populations sur les risques et à les intégrer dans les processus de décision, par exemple par des actions de sensibilisation sur les perturbateurs endocriniens menées dans les lycées.
Quatrièmement, une meilleure évaluation avec des études épidémiologiques d'ampleur. Nous en réalisons trop peu en France, comparativement aux États-Unis. Je pense à l'étude Esteban sur les polluants environnementaux, dont ceux ayant des effets perturbateurs sur les glandes endocrines.
Cinquièmement, la transition vers une industrie réellement verte, tournée vers la protection de la santé des salariés. On sait à quel point les ouvriers des industries chimiques sont contaminés par les Pfas, mais aussi par d'autres polluants. Ils sont en première ligne.
Tout cela nécessitera des moyens financiers renforcés. Selon l'Igas, les dépenses annuelles des différents acteurs de la santé-environnement seraient légèrement supérieures à 6 milliards d'euros. C'est bien trop faible au regard des enjeux. Quand on peut prévenir, c'est une faiblesse que d'attendre pour agir. Agissez, agissons !
MM. Jérôme Guedj et Cyrille Isaac-Sibille applaudissent.
En l'an 2000, la France était classée au premier rang mondial pour son système de soins. Vingt-quatre ans plus tard, notre pays a reculé de seize places. Pourquoi ? Pourquoi la santé de nos concitoyens est-elle moins bonne aujourd'hui qu'hier ? Parce que l'hôpital est malade de l'infection libérale et de la tarification à l'activité, qui l'a saigné, parce que le nombre de soignants formés n'est pas suffisant, parce que les moyens alloués à la santé ont considérablement reculé, mais aussi parce que l'État a abandonné l'ambition d'une stratégie globale en matière de prévention. Depuis vingt-cinq ans, l'adage « prévenir, c'est guérir » a été rangé au placard, au profit d'une politique de rationalisation budgétaire incompatible avec ce que devrait être une véritable politique de prévention.
La porte d'entrée de la politique de prévention, c'est avant tout la médecine de ville. Quand 6 millions de Français n'ont pas de médecin, c'est autant de personnes qui n'accèdent pas à la première étape de la politique de sensibilisation. Les dispensaires ont quasiment disparu ; la médecine du travail, malgré sa mission essentielle, est le parent pauvre du système ; la médecine scolaire est en carafe, comme l'atteste le nombre de médecins scolaires manquants ; je ne parlerai même pas des PMI, les services de protection maternelle et infantile, qui sont en difficulté dans plusieurs départements ; enfin, les associations mobilisent beaucoup d'énergie, souvent sans moyens fixes et durables. Cela ne veut pas dire que ces personnes ne font pas du bon boulot dans le cadre des contrats locaux de santé et des ateliers santé ville. Mais, de ministre en ministre, de quinquennat en quinquennat, on nous a expliqué qu'au fond, ce n'étaient pas les moyens en matière de politique sanitaire qui faisaient défaut, mais les réflexes individuels, ou encore l'organisation du système. Tout y est passé.
Monsieur le ministre, j'espère obtenir de votre part une réponse aux inquiétudes de l'association Asalée, qui œuvre dans le domaine de la prévention. Ce réseau rassemble près de 2 100 infirmières sur tout le territoire. Sa vocation est d'apporter un accompagnement thérapeutique préventif aux patients, dont une grande partie souffrent d'affections de longue durée. Ces infirmières du quotidien, qui sont souvent la porte d'entrée des patients les plus fragiles vers la prévention, sont aujourd'hui inquiètes pour leur avenir : refus de financer les bureaux, absence de convention avec la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), enveloppe globale de financement qui n'est pas à la hauteur… Si nous voulons une politique de prévention efficace, la situation de cette association mérite d'être reconnue.
La France souffre du sous-dimensionnement d'un grand nombre de politiques préventives, comme le dépistage du diabète : près de 700 000 personnes sont atteintes de diabète de type 2 sans le savoir. De même, les politiques de prévention du cancer et des addictions mériteraient des moyens plus importants.
Je veux terminer par le constat qui me semble le plus important : j'ai présidé un conseil de surveillance et un conseil territorial de santé, ce qui fait que je connais bien les outils territoriaux de la politique de santé, et il m'apparaît que l'ARS, l'agence régionale de santé, n'est pas armée pour accompagner correctement les élus des territoires, bien qu'elle soit composée de gens de bonne volonté.
De même, le mode de tarification ne prend pas en compte le temps passé par les médecins hospitaliers à prévenir plutôt qu'à guérir. Les hôpitaux le considèrent comme du temps perdu, puisqu'il n'est pas source de recettes ; c'est pourtant du temps gagné, s'il permet de mener une politique préventive efficace. La Cour des comptes elle-même l'écrit : « le mode de rémunération des soins primaires constitue un obstacle de taille au déploiement de la prévention ».
Vous l'aurez compris, il est impérieux de doter la France d'une véritable politique de santé préventive qui embrasse l'ensemble de ces sujets, y compris la santé environnementale, en s'appuyant sur l'intelligence des territoires et des élus et sur l'énergie des associations, qui manquent cruellement de moyens.
MM. Cyrille Isaac-Sibille, Jérôme Guedj et Charles Fournier applaudissent.
Notre système de santé, tel qu'il a été conçu au siècle dernier, est en crise. Nous sommes à un moment charnière. L'hôpital public va mal, qu'il s'agisse des services d'urgences, de la pénurie de soignants ou de la multiplication des fermetures de lits. La médecine de ville, elle aussi, est en difficulté : l'accroissement des déserts médicaux et du nombre de patients sans médecin traitant renforce un sentiment d'abandon chez nos concitoyens.
S'interroger sur notre modèle de santé, c'est porter un regard critique sur notre politique de prévention. Si l'on peut saluer les efforts menés ces dernières années, notamment les vingt examens médicaux de l'enfance entre 0 et 16 ans, les vaccins obligatoires ou la campagne de vaccination contre le papillomavirus au collège, les résultats sont décevants. Certes, la tâche est difficile : elle associe des facteurs aussi hétérogènes que l'éducation, l'alimentation, l'hygiène, le style de vie, l'environnement ou même la situation géographique. Toutefois, dans un contexte de dégradation de la démocratie médicale dans de nombreux territoires, les résultats et les chiffres à notre disposition sont alarmants.
Si l'espérance de vie dans notre pays est l'une des meilleures au monde, la mortalité prématurée demeure encore trop élevée, tout comme les inégalités de mortalité entre hommes et femmes, entre territoires et entre groupes sociaux. Par ailleurs, la France affiche un taux de dépistage particulièrement bas, notamment pour les cancers : seules 22 % des femmes éligibles ont effectué un dépistage du cancer du col de l'utérus, contre une moyenne de 50 % dans l'Union européenne. Chaque année, 140 000 personnes sont touchées par un cancer dit évitable.
Le constat est posé. Malgré les politiques de prévention déployées, de nombreuses pathologies poursuivent leur progression. Entre 2015 et 2021, la Cnam a recensé plus de 500 000 patients supplémentaires atteints de diabète, 420 000 de maladies psychiatriques et 640 000 de maladies cardio-neurovasculaires, symbole de notre difficulté à les prévenir efficacement.
Les raisons de l'échec relatif de la prévention en France sont multiples. Elles tiennent à des difficultés dans la gouvernance – certes renouvelée en 2016, mais qui souffre de la dispersion des acteurs, tant au niveau national que local – et à une implication limitée des professionnels, notamment des médecins généralistes, en partie parce que les patients consultent avant tout pour des symptômes et que ces professionnels sont rémunérés à l'acte plutôt qu'au parcours de soins. Ces constats sont aggravés par de fortes inégalités sociales et territoriales, qui reflètent la faible efficacité des politiques menées jusqu'ici.
La prévention exige des dirigeants politiques une approche programmatique, de l'anticipation et une profondeur de vue qui ont manqué dans la gestion des politiques de santé ces dernières années. Pour que la prévention soit une réussite, il nous faut dès à présent mobiliser de nouveaux acteurs au-delà des seuls soins, de nouveaux outils comptables permettant un réel investissement dans la prévention, des outils d'évaluation efficaces et une ambition politique forte.
Nous devons nous attaquer en priorité aux inégalités sociales et territoriales d'accès aux soins, qui empêchent la déclinaison satisfaisante de toute politique de prévention. Ces inégalités sont inacceptables. Le premier écueil auquel nous faisons face, c'est le non-recours aux soins d'une partie de la population, qui constitue une véritable double peine pour les personnes les plus fragiles. De fait, le renoncement aux soins frappe davantage les personnes en situation de précarité, qui sont huit fois plus touchées que les autres par ce phénomène. Il faut donc améliorer les dispositifs de lutte contre le non-recours à destination des publics vulnérables.
Je veux également évoquer l'autre parent pauvre de la prévention : la santé mentale. Alors que les besoins sont grandissants, surtout depuis la crise sanitaire et notamment chez les jeunes, les moyens mobilisés sont dérisoires. La prévention doit s'adresser à tous, sur tout le territoire et dès le plus jeune âge. Il faut la rendre systématique, avant que les comportements à risque n'apparaissent.
Nous l'avons vu, la prévention en santé est avant tout un combat pour l'égalité des chances, un facteur d'inclusion et de citoyenneté. Si nous voulons préserver et sauvegarder notre modèle de santé et de solidarité, c'est bien l'ambition qu'il nous faut défendre. Il est temps d'accélérer le virage préventif pour protéger tous les Français et leur donner la possibilité d'accéder à ce à quoi nous aspirons tous : vivre en bonne santé, le plus longtemps possible.
Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT et HOR. – M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit également.
Deux ans après le premier débat organisé sur le sujet à l'initiative de Régis Juanico et Marie Tamarelle-Verhaeghe, je tiens d'abord à remercier le groupe MODEM et notre collègue Cyrille Isaac-Sibille d'avoir mis à l'ordre du jour ce débat sur le pilotage de la politique de prévention en santé dans notre pays.
Nous le savons, les indicateurs concernant l'état de santé de la population ne sont pas bons. Notre population est vieillissante et nous avons devant nous un mur démographique : en 2030, les plus de 65 ans seront plus nombreux que les moins de 15 ans. Notre espérance de vie sans incapacité reste inférieure à celle de certains de nos voisins européens. Elle varie fortement selon d'où l'on vient et où l'on vit, d'autant que les inégalités sociales et territoriales en matière de santé augmentent – la faible participation aux dépistages des cancers en témoigne, tout comme la persistance de certaines habitudes de vie, notamment les addictions et déséquilibres alimentaires ou le manque d'activité physique.
Enfin, les maladies chroniques, qui concernent entre 35 et 40 % de la population, ont largement remplacé les maladies infectieuses. Au total, seul un Français sur deux arrive à l'âge de 65 ans en bonne santé, et on estime que plus d'un tiers des décès prématurés sont évitables.
Construit pour une population plus jeune, en meilleure santé et dans le but de traiter des pathologies aiguës, notre système de santé s'est structuré au fil des dernières décennies autour d'une approche essentiellement curative et cloisonnée. Les dépenses de santé augmentent, représentant 12 % du PIB, et celles consacrées directement à la prévention demeurent très faibles. En outre, la politique de prévention souffre de difficultés de pilotage liées à la multiplication de plans de qualité inégale, qui ne sont d'ailleurs pas toujours appliqués – il y en a eu pas moins de cinquante et un entre 2003 et 2013.
De tels constats, dressés à grands traits, ne signifient pas que rien n'a été entrepris depuis 2017, bien au contraire. Lors de l'examen des deux derniers PLFSS, lorsque nous avons adopté les quatre rendez-vous de prévention aux âges clés de la vie, nous avons fortement investi pour encourager des comportements favorables à la santé et faire évoluer les pratiques professionnelles.
En sept ans, de larges progrès ont également été réalisés dans les domaines de la consommation de tabac, de la vaccination, de la santé sexuelle ou des 1 000 premiers jours de la vie. Ainsi, la prévalence du tabagisme quotidien a atteint des chiffres historiquement bas : il concerne désormais moins de 25 % de la population, contre 30 % en 2017. C'est le résultat d'une politique volontariste liant augmentation du prix du paquet, multiplication des dispositifs d'accompagnement et dénormalisation du tabac dans l'espace public.
D'un point de vue plus structurel, il faut saluer la stratégie nationale de santé 2018-2022 et le déploiement d'un plan national de santé publique comportant des actions aux âges clés de la vie ; ce fut une grande réussite, qui a permis un pilotage fort et interministériel jusqu'à la crise sanitaire.
Le temps de mon intervention étant limité, je souhaite insister sur deux enjeux qui m'apparaissent essentiels pour l'avenir. D'abord, notre pays doit se doter d'un pilotage structuré en matière de prévention. Il faudrait pouvoir remplacer les cinquante et un plans de santé publique que j'évoquais par un document unique plus cohérent. Un tel document permettrait de définir des objectifs clairs, de hiérarchiser des priorités, elles-mêmes intégrées dans un calendrier précis, de désigner des acteurs responsables et d'établir des indicateurs de suivi.
M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit.
C'est ce qu'ont fait nos voisins italiens, anglais ou allemands et il serait opportun de le faire aujourd'hui, au moment où s'achèvent la stratégie nationale de santé, le programme national nutrition santé, la stratégie nationale sport santé et bien d'autres plans et stratégies.
Il y a ensuite, évidemment, un enjeu de financement, à propos duquel deux réflexions doivent nous guider. Premièrement, il est plus que jamais fondamental d'investir dans les services collectifs de prévention, en particulier dans la PMI et la santé scolaire. Les conclusions des assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant doivent nous conduire à agir plus fortement pour intensifier le financement à destination de ces services et pour renforcer l'attractivité des métiers concernés.
La seconde réflexion s'inscrit dans une actualité plus brûlante : il est de notre responsabilité, pour les générations futures, de préserver un système de santé soutenable. Bien sûr, nous devons limiter certaines dépenses ; mais si nous voulons réaliser des économies sur le long terme, il est temps que Bercy considère la prévention comme un investissement et non comme une charge. Il faut s'en souvenir : c'est bien la prévention qui a permis à notre système de santé de résister pendant la crise sanitaire ! J'ajoute qu'une année d'espérance de vie sans incapacité, c'est 1,5 milliard d'euros d'économies par an pour l'assurance maladie.
Sur ces points, je connais la conviction du ministre de la santé et de la prévention – cher Frédéric Valletoux. Mais nous devons également fédérer les autres ministères, pour qu'une culture de la santé publique puisse irriguer nos politiques. Il y va de l'amélioration de la santé de notre population, mais aussi, à terme, de la pérennité de notre système de santé.
M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit.
Le débat de ce jour, qui a trait à la prévention en santé, est essentiel tant ce domaine a longtemps été cantonné à une place subsidiaire dans le système de santé français, concentré sur le soin. La prévention revêt une importance croissante face aux défis sanitaires contemporains que constituent l'augmentation des maladies chroniques, le vieillissement de la population ou encore les nouvelles menaces épidémiques. Il y a évidemment urgence.
Chaque année, au moins 1,8 million de nouvelles pathologies ou nouveaux traitements sont attribuables à des facteurs de risque comportementaux ; 40 % des cancers seraient évitables, près de 700 000 personnes seraient atteintes – nous l'avons tous dit – de diabète de type 2 sans le savoir, et j'en passe.
Si depuis 2020, nous assistons à une tentative de virage préventif, force est de constater qu'il s'agit souvent d'actions isolées, qui ne trouvent pas leurs cibles. La mauvaise gestion et l'inaction ont non seulement empêché de répondre aux besoins ciblés en matière de prévention, mais aussi abîmé les structures dédiées préexistantes. Je pense par exemple à la protection maternelle et infantile, dont le rôle essentiel de prévention sanitaire auprès de l'enfant de moins de 6 ans, de la mère et de la future mère est mis à mal par la diversification de ses missions, puisqu'elle est désormais chargée de l'agrément et du contrôle des modes d'accueil de la petite enfance – et je vous épargne un rappel sur l'ampleur de la pénurie touchant l'ensemble des professionnels travaillant auprès de la PMI.
Je veux ensuite évoquer un autre secteur mis en difficulté et abandonné, celui de la santé scolaire. Là encore, le constat, unanime, est dressé de manière transpartisane : nous en avons tous parlé. En dix ans, le nombre de médecins scolaires a chuté de 20 % ; si rien n'est fait, les effectifs des infirmiers scolaires suivront la même trajectoire et un nombre croissant d'établissements sont contraints de demander à la vie scolaire d'assurer les missions du pôle médico-social.
Que dire de la médecine du travail ? Elle aussi fait l'objet d'un véritable abandon. Depuis 2010, elle aurait perdu 21 % de ses praticiens et le nombre d'infirmiers diplômés d'État en santé au travail ne permet pas de combler cette perte.
Par ailleurs – c'est un sujet qui me tient particulièrement à cœur –, la prévention doit concerner les 12 millions de proches aidants : leur épuisement et la diminution de leur espérance de vie ne sont plus à démontrer. Dans le contexte du vieillissement à venir, qui verra augmenter certaines pathologies – notamment des maladies neurodégénératives –, leur vigilance quotidienne permettra de prévenir et de ralentir l'apparition de nouvelles maladies.
La prévention nécessite le développement de nouveaux outils budgétaires. À rebours des « charges » et des « produits » sur lesquels sont fondés ceux qui existent, il faut intégrer la notion d'investissement en prévention, source naturelle d'économies. Par exemple, investir dans la prévention de l'obésité représenterait une économie potentielle de plus de 10 milliards d'euros pour l'assurance maladie, les organismes complémentaires et les entreprises. Cette reconnaissance de l'investissement en prévention doit s'accompagner d'un suivi, qui pourrait prendre la forme d'un plan d'action pluriannuel. Personne n'investit à l'aveugle, sauf peut-être, malheureusement, l'État lorsqu'il esquisse comme il le fait aujourd'hui une stratégie nationale de santé vaste et floue sans réel pilotage national.
Absent, l'État s'est trop longtemps reposé sur les seules associations qui, courageusement, tentent tous les jours de se rendre auprès des publics les plus éloignés. Mais ces associations, devenues presque institutionnelles grâce aux instances régionales d'éducation et de promotion de la santé ou aux centres régionaux de coordination des dépistages des cancers, ne répondent bien souvent à aucun objectif et n'agissent pas de façon coordonnée – elles n'ont pas vocation à combler l'absence de vision de l'État.
Si la mise en œuvre des politiques nationales connaît des difficultés d'harmonisation, leur adaptation au niveau local est encore plus laborieuse. Il est évident que les conditions épidémiologiques varient grandement d'une région à l'autre ; les différences observées dans les taux de prévalence de certaines maladies comme les cancers ou les troubles neuro-cardiovasculaires nécessitent donc une stratégie de prévention adaptée à chaque département, voire à l'intérieur même des départements. Les ARS peinent à diriger ces initiatives de manière efficace et multiplient les organes de consultation à l'échelon régional, en fonction de ce que préconise chaque plan national successif, sans ancrage réel sur le terrain auprès des professionnels de santé.
Les rendez-vous de prévention aux âges clés de la vie dont vous vous félicitez ne suffisent donc pas : ce dont nous avons besoin, c'est bien d'une meilleure lisibilité quant au rôle de chaque acteur et d'une coordination facilitée par une simplification institutionnelle de la prévention. Celle-ci requiert de la souplesse, tant elle s'adresse à des publics divers ; l'accent doit être mis sur ceux qui sont les plus éloignés du système de santé.
Nous ne croyons pas en cette hypocrisie qui consiste en l'accumulation de « bonnes idées » ne servant qu'à cacher ce que les gouvernements successifs, mus par des logiques de rentabilité, ont infligé à notre système de santé. Nous ne croyons pas non plus en une politique globale qui ne prendrait pas en compte le manque d'attractivité des métiers de la prévention. Comment prévenir les conduites addictives à l'école si aucun médecin scolaire n'est disponible pour assurer un repérage médical de la consommation de drogues, de tabac et d'alcool chez l'adolescent ? Comment rattraper notre retard dans le dépistage des cancers du col de l'utérus et du sein alors que plus de 23 % des Françaises vivent dans un désert gynécologique ? Comment prévenir les burn-out au travail alors que seulement quatre-vingts médecins du travail sont formés chaque année ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
En 2018, dans le rapport du ministère de la santé et de la prévention intitulé « Priorité prévention : rester en bonne santé tout au long de sa vie », le Premier ministre de l'époque, Édouard Philippe, affirmait qu'« une vraie politique de prévention permettrait de préserver près de 100 000 vies par an ». Et c'est seulement cinq ans plus tard qu'Emmanuel Macron annonce vouloir « mettre le paquet sur la prévention », alors qu'aucun budget n'est prévu en la matière dans le PLFSS pour 2024, imposé par 49.3.
Mieux vaut prévenir que guérir, surtout quand on n'a plus les moyens de soigner : la situation désastreuse de l'accès aux soins dans notre pays ne permet plus aux gens d'avoir le contrôle de leur santé. Outre la question des déserts médicaux et la pénurie de professionnels de santé, 37 % des Français ont déjà renoncé à des soins. Des chirurgiens-dentistes expliquent effectuer de plus en plus d'extractions dentaires faute de prise en charge suffisamment rapide et, bien pire, des personnes meurent dans les couloirs des urgences.
La santé de la population se dégrade d'année en année, mais pas pour tout le monde ! Une étude de l'Insee publiée en 2018 révèle que l'espérance de vie des hommes est de 84 ans pour les 5 % les plus aisés, contre 71 ans pour les 5 % les plus pauvres, soit treize ans d'écart.
Mais la santé, ce n'est pas uniquement le soin : c'est, comme le définit l'OMS, « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». Les politiques publiques de santé menées depuis quelques décennies, qui ne parviennent pas à répondre aux besoins urgents en matière de soins, ne cherchent pas non plus à anticiper les risques pourtant identifiés :…
…l'augmentation de la mortalité infantile, le vieillissement de la population, l'augmentation des maladies mentales et des affections de longue durée, les troubles musculo-squelettiques, le changement climatique, les maladies infectieuses et les zoonoses, l'antibiorésistance. La liste est longue mais connue.
M. Macron dit vouloir « mettre le paquet » sur la prévention en santé ; mais pour lutter contre l'obésité et les maladies chroniques, au lieu de s'attaquer à la malbouffe et à l'exposition aux pesticides, il réintroduit les néonicotinoïdes, facilite l'extension des élevages, vecteurs de zoonoses, et recule sur toutes les normes environnementales instaurées pour améliorer la qualité de l'eau, de l'air et des sols. Pourtant, la biodiversité participe de la prévention !
M. Macron dit vouloir « mettre le paquet » sur la prévention en santé ; mais il a démantelé par ordonnances la médecine du travail, l'inspection du travail et les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans les entreprises. Après avoir supprimé les critères de pénibilité, il fait la chasse aux arrêts de travail. Et surtout, il a imposé par 49.3 deux années de travail supplémentaires
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES
…deux années de travail supplémentaires qui accentuent les risques de maladie et d'accident du travail.
Pourtant, les conditions de travail participent de la prévention en santé !
M. Macron dit vouloir « mettre le paquet » sur la prévention en santé ; mais dans le même temps, Bruno Le Maire annonce 10 milliards d'euros de coupes budgétaires, avant les 20 milliards supplémentaires auxquels sera assujettie la loi de finances pour 2025. Pourtant, les services publics participent de la prévention en santé !
Si vous voulez « mettre le paquet » sur la prévention, arrêtez de vider les caisses de la sécurité sociale en ubérisant la société et en réduisant les salaires ,
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES
instaurez le 100 % sécu, rétablissez un code du travail protecteur, faites de la santé publique une discipline majeure du cursus des futurs professionnels de santé et densifiez le réseau des structures relais en augmentant les moyens des PMI et des centres publics de prévention et de santé !
Mêmes mouvements.
Faites face aux lobbys de l'agro-industrie et de l'industrie pharmaceutique : imposez le nutri-score sur les emballages et instaurez un pôle public du médicament, accélérez la transition écologique, explorez la piste d'une sécurité sociale alimentaire, intensifiez la lutte contre la consommation de tabac et d'alcool !
Enfin – c'est d'actualité –, légalisez et encadrez la consommation, la production et la vente de cannabis ,
M. Christophe Bex applaudit
et affectez les recettes des taxes qui en découleront à la lutte contre les addictions et à la prévention !
Comme vous y allez ! Nous avons un grand désaccord ! Vous regardez trop vers l'Allemagne, ce n'est pourtant pas dans vos habitudes !
Arrêtez de privatiser les services de santé, cessez d'utiliser des cabinets de conseil, écoutez les patients, les aidants, les professionnels et les collectifs citoyens ! Ouvrez des places dans les hôpitaux psychiatriques, arrêtez de fermer des lits dans les maternités et les services hospitaliers ! La liste n'est pas exhaustive…
Améliorer la santé des Françaises et des Français et ainsi diminuer les risques d'hospitalisation, en commençant par réduire les inégalités sociales et territoriales d'accès aux soins, en budgétant les financements correspondant aux besoins, permettrait de préserver non seulement près de 100 000 vies par an, mais également le budget de la santé, puisque le nombre de prises en charge onéreuses diminuerait – mais je vous fais confiance, monsieur le ministre : vous l'avez sans doute déjà calculé.
« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Je remercie notre collègue Cyrille Isaac-Sibille d'avoir mis ce débat à l'ordre du jour. « Manque d'anticipation » : c'est peut-être l'une des expressions les plus entendues durant la crise du covid. Anticiper : c'est l'un des réflexes que nous devons faire nôtres collectivement face aux nombreux défis sanitaires qui nous attendent.
J'aborderai trois sujets : les facteurs de risques cardiovasculaires, la cancérologie et l'antibiorésistance – trois bombes sanitaires qui nous menacent.
Le premier défi, celui du dépistage des maladies cardiovasculaires, me tient particulièrement à cœur en tant que cardiologue. En France, le nombre de personnes touchées par une insuffisance cardiaque ne cesse d'augmenter : 1,5 million de Français en souffrent et 400 000 à 700 000 personnes l'ignorent. C'est pourquoi je proposerai très bientôt une initiative visant à renforcer le dépistage de ces maladies. Je suis d'ailleurs surpris par le manque de volontarisme du Gouvernement en la matière. Santé publique France alerte sur une hausse dramatique des maladies cardiovasculaires depuis 2021, qui serait notamment liée aux difficultés d'accès aux soins. Là encore, le virage préventif doit s'accompagner d'une politique vigoureuse de lutte contre la désertification médicale. Vous pouvez, comme toujours, compter sur moi.
Il est à noter qu'en matière de santé cardiovasculaire, les femmes sont sous-diagnostiquées et moins bien prises en charge que les hommes : 200 femmes meurent de maladies cardiovasculaires chaque jour ; 80 % des décès seraient évitables. J'ajoute qu'un tiers d'entre elles l'ignorent, alors même qu'il s'agit de la première cause de mortalité féminine. Ces chiffres alarmants montrent l'étendue du travail que l'État a encore à accomplir.
Je souhaiterais donc connaître l'ambition du Gouvernement : que prévoyez-vous, monsieur le ministre, pour développer le dépistage de ces maladies cardiovasculaires qui tuent deux fois plus que le cancer ou les accidents de la route ?
Le deuxième défi est celui de la prévention et du dépistage des cancers. Entre 1990 et 2023, le nombre de cancers a doublé en France. Avec 433 000 nouveaux cas par an et plus de 157 000 décès, le cancer demeure un enjeu majeur de santé publique. Nous refermons deux séquences de sensibilisation importantes : Mars bleu, dédié à la lutte contre le cancer colorectal, ainsi que la campagne Une jonquille contre le cancer, qui fêtait ses vingt ans.
S'agissant du cancer colorectal, je suis à la fois inquiet et révolté. Inquiet, car avec près de 45 000 nouveaux cas et 18 000 décès par an, il s'agit du deuxième cancer le plus meurtrier en France. Révolté, car notre pays est un mauvais élève en matière de dépistage par rapport aux autres pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : le taux de participation aux dépistages atteint 35 % en France, contre 75 % aux Pays-Bas ou 55 % en Italie.
Je ne me réjouis guère plus de la situation des dépistages des autres cancers, et ne reviens pas sur le taux de vaccination contre le papillomavirus en France – l'un des plus faibles de l'Union européenne.
Selon Santé publique France, le retard de la France sur les autres pays européens en la matière peut s'expliquer par une moindre acculturation au dépistage, des doutes sur son utilité, mais aussi et surtout par l'accélération du phénomène de désertification médicale.
Décidément, le manque de structures et de professionnels de santé est le dénominateur commun de nombreuses défaillances de nos politiques de santé. Cette situation est malheureusement exacerbée par une iniquité sociale dans l'accès aux dépistages. À l'heure de l'aller vers, au pays de Pasteur, cela me paraît inacceptable. Je voudrais donc savoir ce que le Gouvernement prévoit, au-delà des spots publicitaires à la télévision, pour faire évoluer sa stratégie de dépistage des cancers, et notamment faciliter l'accès aux kits ou développer des centres dédiés dans les territoires les plus reculés du pays.
J'évoquerai en aparté l'idée de créer un registre national des cancers, sujet d'une proposition de loi de la sénatrice Sonia de La Provôté, dont l'objectif est de centraliser « les données populationnelles relatives à l'épidémiologie et aux soins dans le domaine de la cancérologie ». Ce texte, adopté à une large majorité par le Sénat, pourrait être inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée.
Enfin, le dernier défi concerne l'antibiorésistance due à la consommation croissante d'antibiotiques, qui affecte notre capacité à combattre les bactéries et pourrait entraîner la mort de 10 millions de personnes chaque année à l'horizon 2050.
Vous l'avez compris, monsieur le ministre, nous allons avoir besoin de bras. Nous ne formons pas assez de médecins, en dépit de la prétendue suppression du numerus clausus, qui a été remplacé par le numerus apertus – vous le savez très bien, nous avons juste changé de nom, soyons honnêtes !
Nous formons le même nombre de médecins qu'en 1970 ! Nous ne compensons pas les départs à la retraite, alors que nous avons 15 millions d'habitants de plus et une population vieillissante.
Il nous faut donc du monde, des bras pour dépister l'hypertension artérielle, le diabète, le cholestérol… De grâce, épargnez les infirmières Asalée et revalorisez les infirmiers libéraux : nous avons besoin d'eux dans les territoires !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES, Dem et SOC.
La parole est à M. le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention.
Je remercie le groupe MODEM d'avoir pris l'initiative de ce débat fort intéressant. J'ai pris beaucoup de notes, parce que de nombreux propos pertinents ont été tenus par l'ensemble des orateurs. Je remercie tous ceux qui sont montés à la tribune. Ils se sont parfois montrés très critiques, mais la critique permet d'avancer. En tout cas, tous ont en commun d'avoir formulé des propositions intéressantes.
Vous l'avez dit, et j'en suis moi-même convaincu : face aux épidémies, au vieillissement de la population et au poids que représentent les maladies chroniques, notre pays ne tiendra que par la prévention. Notre système de santé ne tiendra durablement que si nous déployons un système de prévention efficace et reconnu pour sa pertinence dans de nombreux champs d'intervention. La prévention est la condition de la soutenabilité de notre système de santé. Nous sommes tous attachés à sa pérennité et à sa solidité.
La prévention est aussi le premier des combats contre les inégalités sociales et territoriales. Enfin, elle est une manière de protéger notre système de santé à très court terme : quand on parvient à réduire l'incidence de la bronchiolite ou de la grippe, on a moins besoin de médicaments, moins recours à l'hôpital, et on enregistre en définitive moins de décès. Notre ambition est donc d'opérer dans les prochains mois une transformation de notre politique de prévention en santé. Nous devons basculer d'un système historiquement axé sur le tout curatif à une société qui repose davantage sur la prévention, comme l'a rappelé le député Cyrille Isaac-Sibille, et je salue le combat qu'il mène de longue date pour que chacun prenne conscience de la nécessité d'opérer ce virage.
Parler de prévention, c'est aborder la santé environnementale, la nutrition, l'alimentation – autant de sujets évoqués par les uns et les autres, et notamment par Jérôme Guedj. De nombreux acteurs participent à cette prise de conscience générale, à commencer par l'État, dont l'intervention en matière de santé et donc de prévention est prééminente, mais aussi les collectivités locales, le monde associatif et le monde sportif. Tous se mobilisent à cette fin.
Faut-il, comme l'a proposé Charles Fournier, encadrer l'intervention de chacun et clarifier le rôle des collectivités locales en les dotant de compétences strictes ? Je ne le crois pas. Chacun, me semble-t-il, a conscience de son rôle dans son champ de responsabilité – les départements avec les collèges, les régions avec les lycées, on pourrait allonger la liste… Chacun agit déjà en matière de prévention et a parfaitement conscience des enjeux, par exemple les maires qui composent les menus des cantines au sein des écoles maternelles et primaires.
Je rappellerai juste un chiffre : la nation consacre environ 15 milliards d'euros à la santé selon les études, soit 0,6 % du PIB, ce qui nous situe dans la moyenne des grands pays de l'OCDE. Ce n'est pas merveilleux, mais nous n'avons pas à rougir de ce classement. Nous devons nous améliorer et nous affirmer en la matière, mais ne rougissons pas de l'effort général que nous menons.
Des politiques de prévention ciblées ont été déployées, notamment dans le cadre de la stratégie nationale de santé 2018-2022. Elles ont visé à renforcer la protection vaccinale de la population, ou encore à faciliter les actions de promotion de la santé dans tous les milieux de vie. Je pense par exemple au dépistage néonatal ou à l'extension de l'obligation vaccinale à onze vaccins pour les moins de 2 ans, qui permet d'atteindre une couverture vaccinale très élevée chez les enfants.
La mise en place du nutri-score a permis d'encourager des choix alimentaires plus sains et de réduire les risques de maladies liées à l'alimentation. Je suis d'accord avec Jérôme Guedj, il faut sans doute pousser les feux en la matière, mais notre pays peut au moins se glorifier d'avoir un tel dispositif – ailleurs, il n'existe même pas.
La prévention active et personnalisée s'est par ailleurs incarnée dans des objets numériques très concrets comme Mon espace santé, quotidiennement utilisé par 11 millions de Français.
Plus récemment, le virage de la prévention a connu une accélération : l'hiver dernier, le succès des campagnes de vaccination et d'immunisation a permis d'améliorer significativement la protection de la population. Dans les maternités, le traitement préventif du virus à l'origine de la bronchiolite des nourrissons s'est caractérisé par un taux d'adhésion élevé. L'évolution des mentalités est avérée et déjà enclenchée : les Français acceptent voire réclament de tels progrès et de telles innovations au service de la prévention. Je m'en réjouis et salue la mobilisation collective qui les permet et qui évite aux nourrissons d'être hospitalisés. Le travail se poursuit pour reproduire dès l'hiver prochain cette première campagne d'immunisation couronnée de succès et ces excellents résultats.
En parallèle se déploie depuis octobre dernier la campagne de vaccination contre les infections à papillomavirus humains pour les élèves de cinquième : plus de 117 000 élèves ont reçu leur première dose, entièrement prise en charge par l'assurance maladie ; la campagne se poursuivra en 2024.
Nous pourrions parler de nombreuses pathologies, mais permettez-moi d'évoquer quelques exemples significatifs à l'origine de décès : les cancers, le tabac, ainsi que les maladies cardiovasculaires évoquées par Yannick Neuder.
En matière de lutte contre le cancer, nous devrions atteindre d'ici à 2025 l'objectif de 10 millions de dépistages par an, contre 9 millions aujourd'hui.
Concernant la lutte contre le tabac, le programme national de lutte contre le tabagisme 2018-2022 s'est déjà traduit par de premiers résultats prometteurs : une baisse historique de la prévalence du tabagisme quotidien, passée de 28,5 % en 2014 à 24,5 % en 2022 – vous vouliez mesurer notre engagement en matière de prévention de certaines pathologies, voici des chiffres ! Ces résultats positifs nous encouragent à appliquer rapidement les mesures du nouveau PNLT annoncé il y a quelques mois, qui seront déployées dès cette année : interdiction de la vente des puffs ; élargissement des espaces sans tabac. D'autres mesures qui ont fait leurs preuves, comme le Mois sans tabac et la hausse des prix, sont par ailleurs reconduites : le prix du paquet de cigarettes atteindra ainsi 13 euros d'ici à 2027, avec un premier palier à 12 euros en 2025.
Ces dernières années, nous avons mis l'accent sur la santé sexuelle des jeunes. En 2023, 17 millions de préservatifs masculins ont été distribués gratuitement en pharmacie aux moins de 26 ans, soit quatre fois plus que l'année précédente. Pour cette classe d'âge, le dépistage des infections sexuellement transmissibles est désormais intégralement pris en charge.
Nous n'avons pas oublié la santé menstruelle : dès cette année, les protections menstruelles réutilisables sont remboursées pour les femmes de moins de 26 ans et sans limite d'âge pour les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire.
Enfin, parce que les politiques de prévention doivent toucher l'ensemble de la population, jeunes comme moins jeunes, le programme de détection précoce de la perte d'autonomie des plus de 60 ans fait l'objet d'une expérimentation jusqu'en 2025, dans le cadre de la stratégie Vieillir en bonne santé.
Je veux dire un mot des infirmières Asalée, puisque Sébastien Jumel et Yannick Neuder m'ont interpellé à ce propos. Le dispositif est soutenu par le Gouvernement. Une discussion – serrée, effectivement – est en cours entre l'assurance maladie et l'association Asalée sur l'utilisation par cette dernière des fonds publics qui lui sont affectés, soit un budget annuel de 80 millions d'euros. En effet, ces crédits ont vocation à financer la prise en charge des soins, en particulier l'activité des infirmières Asalée qui participent à cette prise en charge ; ils ne sont pas destinés à d'autres utilisations. Or l'association acquitte des frais de fonctionnement à l'aide de ces sommes.
Nous sommes tous, ici, attachés au bon usage des fonds publics, notamment ceux versés par l'assurance maladie. Que ceux-ci soient utiles aux Français, c'est une chose ; qu'ils financent le fonctionnement général de l'association, c'en est une autre. En tout cas, pour pérenniser le dispositif, une avance de trésorerie de 6 millions d'euros est faite chaque mois par l'assurance maladie à l'association Asalée, de manière à financer les salaires de ses infirmières. La survie du dispositif n'est donc pas remise en cause, bien au contraire : si nous pouvons l'étendre dans les prochains mois ou les prochaines années, nous le ferons.
En matière de dépistage des maladies cardiovasculaires, évoqué par Yannick Neuder, beaucoup a été fait. Prévenir ce type d'affections, c'est parler de tabac, d'alcool, de nutrition, d'activité physique, d'obésité, d'hypertension, de diabète… Je ne citerai pas l'ensemble des mesures prises dans ces différents domaines : elles sont nombreuses. Yannick Neuder le sait, qui a raison d'insister sur cet enjeu majeur.
Dans un contexte où les maladies chroniques progressent et où les inégalités sociales dans le domaine de la santé s'accroissent, il s'agit de franchir une nouvelle étape en matière de prévention. Celle-ci est en effet un enjeu essentiel, si nous voulons non seulement continuer à améliorer la santé des Français et leur espérance de vie sans incapacité, mais aussi alléger la pression sur le système de santé, dans un contexte de vieillissement de la population et de difficultés de recrutement.
Notre ambition est de prendre en compte, pour toute la population et tout au long de la vie, le plus de déterminants de santé possible – pour reprendre une expression employée par plusieurs orateurs. Qu'il s'agisse de facteurs familiaux, sociaux, économiques ou environnementaux, tout ce qui conditionne l'état de santé des individus doit être ciblé par la politique de prévention que nous entendons mener.
Le dispositif Mon bilan prévention constitue un pilier central de cette stratégie, comme l'a rappelé notamment Laurence Cristol. Il permettra, d'ici à quelques semaines, à chaque Français d'accéder à une nouvelle offre personnalisée et de prendre le temps, lors d'un échange avec un professionnel de santé, de faire le point sur sa santé et ses habitudes de vie, et ce à quatre âges clés. Chaque Français pourra ainsi bénéficier de conseils ciblés. L'objectif est de donner à chacun la possibilité de devenir acteur de sa propre santé. Plus de 20 millions de personnes sont concernées par le dispositif et recevront très rapidement une invitation de l'assurance maladie.
Celui-ci est particulièrement novateur, d'une part parce que ces rendez-vous inscrivent résolument notre action dans le temps long, d'autre part parce qu'ils seront pris en charge à 100 % par l'assurance maladie, sans avance de frais. Cette stratégie d'aller vers permettra de lutter efficacement contre les inégalités de santé.
Lors de ces bilans, des thématiques de prévention prioritaires définies en lien avec le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) seront abordées. Je pense à l'activité physique, au sommeil, aux habitudes alimentaires, aux addictions, mais aussi au bien-être mental et à la santé sexuelle et reproductive. Les consultations des 18-25 ans seront aussi l'occasion d'aborder avec les jeunes qui le souhaitent les questions de fertilité, qui feront par ailleurs l'objet d'un plan national dédié. Ces rendez-vous de prévention permettront enfin de lutter contre l'obésité, qui touche 8,5 millions de nos concitoyens – et dont il faut parler, monsieur Guedj. Une feuille de route dédiée sera prochainement déployée et territorialisée, en accordant une attention particulière aux départements et aux régions d'outre-mer.
Bien que central, le déploiement de Mon bilan prévention sera accompagné d'autres initiatives fortes dans les prochains mois. Ainsi, à la fin du mois d'avril – j'ai le plaisir de vous l'annoncer –, les assises de la santé de l'enfant et de la pédiatrie seront l'occasion de faire des annonces concrètes pour créer une dynamique préventive, des 1 000 premiers jours jusqu'à la fin de l'adolescence.
Qu'il s'agisse de l'exposition aux écrans, de l'exposition environnementale, du repérage précoce des handicaps, notre objectif est d'agir dès l'enfance et à tous les niveaux, à une période de la vie où les actions de prévention sont particulièrement efficaces. Nous voulons faire de l'enfant l'acteur principal de sa bonne santé autour de trois axes : bien dormir, bien manger et bien bouger. Le carnet de santé numérique, la promotion d'une bonne hygiène de sommeil ou les 30 minutes d'activité physique quotidienne à l'école sont autant de mesures qui contribuent à améliorer la santé des enfants.
Par ailleurs, dans les prochains mois, nous accorderons une attention toute particulière à la santé mentale – thème cher à Anne-Cécile Violland, qui l'a longuement évoqué –, notamment des jeunes. Le recours aux soins d'urgence pour troubles de l'humeur, idées et gestes suicidaires a fortement augmenté en 2021 et 2022, pour s'établir depuis à un niveau élevé. La situation est donc, vous l'avez rappelé, préoccupante. Chez les jeunes de 18 à 24 ans, la hausse s'est même poursuivie de façon marquée en 2023. Une telle dégradation de la santé mentale des Français, en particulier des jeunes, appelle une réponse forte de notre part. Le volet « santé mentale » du Conseil national de la refondation (CNR), qui débutera en mai et auquel je vous invite tous à participer, nous permettra, je l'espère, de proposer des réponses à la hauteur des enjeux.
En parallèle, et conformément aux engagements pris par le Premier ministre, une rénovation complète du dispositif Mon soutien psy sera opérée dans les prochaines semaines. Nous devons rendre le dispositif plus attractif pour les psychologues et plus facile d'accès pour les Français.
Enfin, nous mettrons l'innovation au service de la prévention, grâce au déploiement à venir d'une feuille de route dédiée à la prévention dans le cadre du volet santé de France 2030, doté de 170 millions d'euros. Cet investissement conséquent permettra de faire émerger des innovations de rupture au service de la prévention. C'est aussi grâce à des technologies de plus en plus personnalisées et prédictives – dans l'accompagnement des prescriptions et l'efficience des traitements, par exemple – que chacun pourra devenir acteur de sa santé.
Reste la question, abordée par plusieurs d'entre vous, d'un rendez-vous démocratique pour débattre de la prévention à la veille de l'examen du PLFSS. Pourquoi pas ? Je suis tout à fait d'accord pour débattre avec vous de cette question, que ce soit en commission ou en séance publique, pour répondre à toutes les questions qui se posent en la matière et préciser les axes qui méritent de l'être.
Sébastien Jumel, Martine Froger et d'autres ont également soulevé la question du financement. Nous nous efforçons, je le rappelle, de faire sortir progressivement le système de santé d'un financement à l'acte pour valoriser le financement par forfait. Tel est l'objet des discussions en cours entre l'assurance maladie et les syndicats de médecins au sujet de la médecine libérale. L'enjeu est d'adosser bien davantage le financement de la prise en charge à des objectifs de santé publique – c'est ce que l'on appelle la responsabilité populationnelle – et de mieux rémunérer au forfait ou les parcours de soins, plutôt que de financer l'acte.
Ce mode de financement suppose peut-être une meilleure lisibilité de ce qu'est la prévention. L'idée d'un sous-objectif de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) consacré à la prévention est régulièrement avancée. Cette solution ne me paraît cependant pas très opérationnelle, car il est très difficile d'isoler une part importante des dépenses de prévention dès lors que des opérateurs très divers participent à ladite prévention. En revanche, on pourrait réfléchir à une amélioration de la gouvernance du financement de la prévention institutionnelle, qui est éclatée entre différents fonds et opérateurs. Il y va de la lisibilité et de l'efficacité de la dépense et de l'action publiques.
Il faut également réfléchir à une meilleure articulation du rôle de l'assurance maladie obligatoire et des organismes complémentaires dans le financement de la prévention. C'est un enjeu majeur.
Toutes ces actions mises bout à bout visent un seul objectif, celui de convaincre chacune et chacun de l'intérêt de prendre soin de sa santé, sans attendre d'être malade ou d'aller mal. Avec Mon bilan prévention, reconnaissez que l'objectif est d'opérer, dans les prochains mois, un véritable changement culturel dans le rapport des Français à leur santé. De fait, ils pourront comprendre directement, lors d'un entretien avec un médecin, combien il est important de valoriser les opérations de santé au cours de sa vie, de son parcours, dans son quotidien.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Nous en venons aux questions.
Je vous rappelle que la durée des questions ainsi que celle des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Philippe Vigier.
Monsieur le ministre, Cyrille Isaac-Sibille a bien identifié l'enjeu. Nous ne pouvons pas nous en tenir à un système qui repose exclusivement sur le curatif et dans lequel le service public et le privé, qui ont tous deux en charge la santé publique, ne se rencontrent jamais. Nous ne pouvons pas nous passer d'une politique de prévention globale car, vous le savez très bien, 1 euro investi dans la prévention permet d'économiser 10 euros dans le curatif. La situation exige donc que nous changions de paradigme. Vous avez du reste abordé le débat dans votre conclusion, en indiquant que vous étiez prêt à discuter, avec le Parlement, d'une nouvelle approche. Sans cette nouvelle approche, nous serons obligés de colmater, çà et là, les brèches que nous connaissons – et toutes les bonnes volontés sont réunies sur ces bancs.
Je souhaite appeler votre attention sur trois questions.
S'agissant, tout d'abord, des infirmières Asalée, je vous demande de prendre le problème à bras-le-corps. Il y a des contraintes, que vous connaissez parfaitement, liées à la discussion entre l'association et l'assurance maladie. Le Gouvernement – en l'espèce, vous-même – peut avoir une position neutre et débloquer la situation de manière que l'on n'attende pas le 4 ou le 5 avril pour payer les salaires du mois de mars.
Sans ces infirmières, il n'y aura plus de politique de prévention dans ce pays. Elles ont fait un boulot formidable – j'y insiste. Or, elles sont en détresse. Il faut donc les aider – je suis convaincu que vous serez au rendez-vous.
Ensuite, Yannick Neuder l'a très bien dit, nous avons un problème de sensibilisation au dépistage du cancer colorectal – qui a fait l'objet d'une animation dans ma commune il y a quelques jours. On peut faire tout ce qu'on veut, installer des cars de détection… Nous sommes les derniers de la classe ! Il est grand temps de s'attaquer à ce problème, qui mérite une attention absolue.
Enfin, mettons le paquet sur la santé mentale des jeunes. Les infirmières scolaires pourraient être mutualisées au niveau des départements et des régions – nous avons tenté de le faire, à titre expérimental, entre un collège et une école élémentaire. Si nous ne sommes pas capables de mener une politique de prévention auprès des enfants, des ados et des préadultes, nous ne nous en sortirons pas.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.
Que les choses soient claires – je le dis à l'intention de l'ensemble des députés : le Gouvernement soutient le dispositif des infirmières Asalée. Je suis le premier à reconnaître le caractère vertueux de leur rôle dans le système de santé, aux côtés des médecins, notamment dans le suivi des patients souffrant de pathologies chroniques. Le débat porte sur la gestion de l'association au niveau national, mais tout est fait pour pérenniser le versement des salaires de l'ensemble de ces infirmières, où qu'elles soient installées sur le territoire. Quant à l'avenir du dispositif, j'ai indiqué que nous irons plus loin si nous le pouvons.
S'agissant du cancer colorectal – je n'ai pas évoqué chacune des pathologies –, vous avez raison : nous continuons d'intensifier le dispositif installé depuis quelques années par l'assurance maladie. Celui-ci consiste à adresser régulièrement un courrier à toutes les personnes concernées, notamment les hommes,…
…pour les inciter à effectuer un test de dépistage – les femmes aussi, monsieur Neuder : j'ai parlé de toutes les personnes concernées.
Enfin, la santé mentale est un enjeu majeur. Le CNR « santé mentale » ne part pas d'une feuille blanche. Je l'ai rappelé, beaucoup a été fait à la suite des assises de la psychiatrie et de la santé mentale, lancées par le Président de la République en 2021, qui ont permis à de nombreux acteurs de travailler et de faire émerger des propositions. Il se trouve que la question était restée en suspens ; nous nous en saisissons à nouveau pour que, dans le courant du mois de mai, des propositions très concrètes permettent de remédier à la détérioration préoccupante de la santé mentale de nos concitoyens, notamment des jeunes.
Au cours des dernières années, nous avons constaté à la fois une dégradation de la santé mentale des Français et une meilleure prise en compte de l'importance de celle-ci au travail, en tant que facteur d'épanouissement ou de souffrance dans la vie professionnelle et personnelle des travailleurs. La crise sanitaire de 2020, les confinements et le développement du recours au télétravail ont marqué une évolution notable.
Il convient de souligner que la santé mentale est mentionnée dans le code du travail, aux articles L. 4121-1 et suivants, qui ont trait aux obligations des employeurs. Ceux-ci doivent ainsi prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, que ce soit en matière de prévention, d'information, de consignes de travail ou de mise à disposition de moyens. Toutefois, et c'est probablement là que le bât blesse, les employeurs ne sont pas toujours formés ou ne disposent pas toujours des outils et moyens nécessaires pour s'assurer de la bonne santé mentale de leurs salariés alors que la responsabilité leur en incombe, de même que celle d'évaluer les risques encourus par ces derniers.
J'appelle tout d'abord votre attention sur la nécessité de renforcer les missions de la médecine du travail, en développant la prévention en santé mentale, à la fois en direction des employeurs et des employés.
De nouvelles méthodes de travail se sont développées depuis la crise sanitaire liée au covid-19, en particulier le télétravail, ainsi que le recours massif au chômage partiel. De nouvelles propositions sont à l'étude, telles que la semaine de quatre jours ou une éventuelle modification de l'indemnisation du chômage.
Dans les premiers résultats de son étude sur l'estimation du fardeau environnemental et professionnel de la maladie en France, publiés le 12 mars 2024, Santé publique France ne mentionne pas la santé mentale. Quels sont les moyens dont dispose le Gouvernement pour mesurer l'incidence des nouveaux modes de travail sur la santé mentale des travailleurs, celle-ci étant désormais considérée comme déterminante ?
Le CNR « santé mentale », qui se réunira en mai, placera la question de la santé mentale au travail au cœur de ses discussions. Il s'agit d'un sujet de préoccupation majeure, comme le montrent toutes les études. Les données fournies par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) pour 2021 – année encore marquée par la crise sanitaire – soulignent la dégradation très forte des conditions de travail, vécue par 40 % des personnes en emploi, et la montée d'angoisses liées à l'insécurité au travail. Ces problèmes ont perduré après la pandémie.
Il convient de redonner des moyens – et ses lettres de noblesse – à la médecine du travail, qui est une spécialité désormais peu courue par les jeunes professionnels de santé. Il faut réarmer la médecine du travail quant à ses objectifs, quant à son statut, et quant à son rôle central dans les relations de travail. Nous allons y travailler dans les prochains mois, en particulier dans le cadre du CNR « santé mentale ».
La crise sanitaire a mis en exergue plusieurs priorités pour les politiques de santé publique. Des rapports récents déplorent leur insuffisance en matière de prévention, et ce sont les publics les plus fragiles qui en pâtissent davantage. Le rapport de la Cour des comptes de novembre 2021, intitulé « La politique de prévention en santé », invite à systématiser les approches de prévention dans les pratiques professionnelles, c'est-à-dire à impliquer de plus larges catégories de professionnels, et à leur permettre d'exercer de plus amples compétences en matière de prévention.
Compte tenu de ces préconisations, je souhaite vous poser, monsieur le ministre, trois questions précises. Tout d'abord, le rôle de l'école est déterminant en matière de prévention ; il s'agit d'un lieu privilégié pour diffuser l'information, anticiper et éviter l'aggravation de nombreuses difficultés. Pourtant, l'école peine à remplir cette fonction, notamment dans le domaine de la santé mentale, tant le manque de moyens humains et financiers est criant : des enfants présentant des troubles du comportement ne sont pas suffisamment accompagnés ; le phénomène du harcèlement prend de l'ampleur ; des jeunes en situation de handicap, mal pris en charge, se retrouvent dans des situations de souffrance qui peuvent renforcer certains troubles. Ne pensez-vous pas que la communauté éducative doit être prioritairement renforcée par des infirmiers, des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), des assistants sociaux et des psychologues ?
Ma deuxième question concerne les infirmières Asalée. Vous nous avez rassurés quant au soutien que le Gouvernement apporte à ce dispositif. Les 80 millions d'euros qui lui sont dédiés pour rémunérer les infirmières financent-ils également le travail de coordination entre ces dernières et les médecins ? Cela me paraît primordial.
Troisièmement, s'agissant du dispositif Mon soutien psy, nous avons réclamé à maintes reprises l'accès direct aux consultations psychologiques. Le Gouvernement envisage-t-il cette possibilité, qui marquerait un premier pas dans la reconnaissance du rôle spécifique des psychologues ?
M. Gérard Leseul applaudit.
S'agissant de la médecine scolaire et de l'importance d'une prise en charge dès l'école, le problème est similaire à celui de la médecine du travail : il faut allouer davantage de moyens aux infirmiers et médecins scolaires, ainsi qu'à l'accompagnement des élèves. Cela fait partie des dossiers dont j'ai hérité lors de ma prise de fonction et sur lesquels je compte avancer. Cependant, en matière de prévention à l'école, nous ne partons pas d'une feuille blanche : le plan interministériel de lutte contre le harcèlement à l'école participe à la prise en charge des élèves.
Quant au dispositif Mon soutien psy, il fera l'objet d'une réorganisation et d'une révision de ses conditions. Nous travaillons à rendre possible l'accès direct aux consultations psychologiques ; il s'agit d'une demande légitime, et qui permettra de fluidifier l'accès à ce dispositif. Nous étudions également la possibilité d'une revalorisation du montant des consultations, afin de les rendre plus attractives pour les psychologues.
Enfin, s'agissant des infirmières Asalée, je le répète, ce dispositif est précieux, utile et soutenu par l'État. Son financement annuel par l'assurance maladie, qui s'élève à 80 millions d'euros, se poursuivra, même si une discussion est en cours avec l'association afin de veiller à ce que ces fonds publics soient bien utilisés. Ce montant est effectivement dédié à la rémunération des infirmières ainsi qu'au financement du travail de coordination.
Monsieur le ministre, je souhaite vous poser deux questions. Premièrement, la semaine passée, plus de 700 soignants vous ont lancé un appel rappelant les données effrayantes de l'Inserm – l'Institut national de la santé et de la recherche médicale : 18 pathologies touchant les professionnels du monde agricole sont liées à leur exposition aux pesticides ; dans la population générale, certaines maladies neurodégénératives, certains cancers et certaines leucémies, touchant les enfants, sont également liées aux pesticides. L'OMS prévoit, d'ici à 2050, une hausse de 77 % du nombre de nouveaux cas de cancer par rapport à 2022. Ce n'est pas une fatalité, mais le résultat de choix politiques. Dès lors, quelle sera la position de votre ministère sur la révision du plan Écophyto ?
Deuxièmement, une concitoyenne de ma circonscription, habitant la petite commune de Chamaret, m'a écrit il y a quinze jours : « Mon médecin traitant se déconventionne, et l'on va généreusement me rembourser mes prochaines consultations à 0,43 centimes la consultation de médecine générale. J'ai écrit à la CPAM de la Drôme, qui me laisse entendre tacitement que si je veux me faire rembourser, je n'ai qu'à prendre un médecin conventionné. Fort bien, alors qu'on m'en désigne un : tous les médecins généralistes sont saturés à 50 kilomètres à la ronde ! »
Monsieur le ministre, êtes-vous conscient de ce problème qui se pose partout dans nos campagnes ? Vous me direz que si le médecin demande à ne pas être remboursé par la sécurité sociale, cela le regarde. Mais les assurés sociaux ne sont pas responsables de ses choix, et ne doivent pas avoir à les payer, a fortiori dans le contexte de pénurie de médecins que nous connaissons. Le risque est connu : la pression accrue sur des services d'urgence déjà saturés ou, pire, le renoncement aux soins, alors que l'espérance de vie en zone rurale est inférieure de deux ans à celle en ville. Nous devons instaurer une régulation et interdire ce genre de pratiques. Comment comptez-vous conduire une politique globale de prévention en santé en laissant de côté 30 % de la population ?
Le ministère de la santé participe aux réunions de suivi du plan Écophyto – deux jours seulement après ma prise de fonction, je participais à une réunion du comité d'orientation stratégique et de suivi de ce plan. Pour le moment, nous prenons notre place dans cette réflexion. J'ai lu avec intérêt l'interpellation des soignants que vous mentionnez, mais nous continuons à suivre, avec cohérence, la stratégie qui est celle du ministère ces dernières années.
Je suis opposé au déconventionnement, qui est un pari perdant, à la fois pour les médecins et – vous l'avez bien décrit – pour les assurés sociaux, c'est-à-dire pour les patients, et donc pour les Français. Ce choix, que font certains médecins, de quitter le système solidaire de financement par l'assurance maladie est sans doute lié aux discussions en cours entre cette dernière et les syndicats de médecins à propos de la prochaine convention médicale. J'espère que ces discussions aboutiront et ramèneront tout le monde à la raison, afin d'endiguer le phénomène et de convaincre les médecins qui s'imagineraient que le déconventionnement a un avenir. Ce n'est pas du tout l'esprit de notre modèle de santé que d'organiser un système à deux vitesses : se déconventionner, c'est ne prendre en charge que ceux qui ont les moyens de payer les consultations ; ce n'est pas le choix historique qu'a fait la France après-guerre, et ce n'est pas le choix du Gouvernement.
J'ai évoqué la politique globale de prévention pendant un bon quart d'heure à la tribune ; j'espère vous avoir un peu convaincue quant à l'existence de certains dispositifs.
Je remercie le groupe Démocrate d'avoir permis la tenue de ce débat. Ma question concerne l'indemnisation des frais d'accompagnement pour les victimes des essais nucléaires réalisés en Polynésie. Le chef de l'État s'est exprimé sur le sujet – notamment lors de son déplacement en Polynésie, en juillet 2021 –, de même que la ministre Catherine Vautrin à l'occasion du débat qui a eu lieu à l'Assemblée le 19 janvier. Mon propos ne vise pas l'indemnisation des victimes de ces essais nucléaires, qui est prévue par la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, mais la prise en charge des frais médicaux de ces personnes. Ces derniers sont assumés, depuis 1977, par la collectivité de la Polynésie française – notre système de sécurité sociale, de santé et de prévention relevant de la compétence de cette collectivité, il est indépendant du système français.
Mme Catherine Vautrin a accepté d'ouvrir une discussion sur la prise en charge de ces patients, reconnus par l'État comme victimes des essais nucléaires ; mais aucune rencontre n'a encore eu lieu. Il s'agit du remboursement de la prise en charge, par la collectivité polynésienne, de ces victimes, ainsi que de la prise en charge des molécules onéreuses et de l'ensemble de la prévention des conséquences liées aux essais nucléaires, dans le cadre de l'Institut du cancer de Polynésie française, créé en novembre 2021. Quelle est la position du Gouvernement sur ce sujet ?
Monsieur le député, vous avez fait à la fois les questions et les réponses. Mme Catherine Vautrin s'est effectivement engagée sur plusieurs pistes lors du débat tenu dans cet hémicycle en janvier, et elle a répondu à votre question. Des moyens sont actuellement mobilisés pour rehausser le niveau des équipements sanitaires en Polynésie, et la nation prend en charge le dépistage et le traitement – y compris les traitements les plus lourds – des personnes atteintes d'un cancer. L'État est donc au rendez-vous, dans le cadre institutionnel qui est celui de la collectivité de la Polynésie française, dont les compétences incluent la politique de santé. Ma position est identique à celle exprimée par Catherine Vautrin.
Je remercie le groupe Démocrate d'avoir inscrit la question de la prévention en santé à l'ordre du jour. Les politiques de prévention sont souvent moins visibles que les politiques de soins, sur lesquelles nos concitoyens nous alertent régulièrement. J'en profite pour saluer les élus locaux, syndicats et acteurs de la société civile qui se mobilisent actuellement en faveur de la rénovation de l'hôpital de Redon.
La prévention est un vaste sujet, qui inclut la sensibilisation aux conduites à risque, ainsi qu'à la nécessité d'une bonne hygiène de vie : l'activité physique et l'alimentation sont, en la matière, des leviers trop souvent négligés, ce qui engendre surpoids, diabète et hypertension.
Mais si je ne devais retenir qu'un sujet, ce serait celui des addictions. Drogues et alcool constituent un fléau dans notre société et l'on pense parfois qu'une politique répressive d'interdiction permet de diminuer la consommation, notamment chez les jeunes.
Selon Santé publique France, notre pays compte 12 millions de fumeurs, dont la moitié déclarent vouloir arrêter. Toutefois, il se trouve que la hausse des prix des produits du tabac n'a pas eu l'effet dissuasif escompté et que nous constatons toujours une consommation plus importante parmi les classes populaires.
Pire encore, avec 900 000 consommateurs quotidiens de cannabis, la France occupe la bien triste première place en Europe dans ce domaine. Notre pays maintient pourtant un arsenal répressif qui, associé au trafic illégal qui en découle, contraste avec la politique menée par certains pays, parmi lesquels l'Allemagne, qui vient de légaliser la consommation récréative de cannabis.
Ainsi, pensez-vous qu'une évolution législative, liée à un accompagnement des consommateurs dans un cadre régulé, pourrait être de nature à limiter davantage le fléau du cannabis dans notre société ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.
Je ne peux pas vous laisser dire que l'augmentation des prix des produits du tabac n'a pas eu d'incidence. Le nombre de consommateurs quotidiens a bien diminué en France. Je répète les chiffres que j'ai déjà donnés : la prévalence du tabagisme est passée de 28,5 % en 2014 à 24 % en 2022. Peut-être trouvez-vous que cette baisse n'est pas assez rapide, mais c'en est bien une.
Là où vous avez raison, c'est sur le fait que la hausse des prix ne saurait être qu'un levier d'action parmi tous ceux devant être mobilisés pour essayer de contenir les méfaits du tabac. Lorsque j'étais député, j'avais déposé une proposition de loi visant à mieux encadrer les livraisons de tabac, afin d'éviter le surapprovisionnement de pays – notamment les États limitrophes de la France – pratiquant des prix moins élevés. Nous savons bien que, du moins en matière de livraisons, c'est moins une stratégie nationale qu'une stratégie européenne qui doit être élaborée. Je ne désespère pas d'avancer dans ce domaine et, devenu ministre, je reste convaincu du bien-fondé de ce que je défendais en tant que député.
S'agissant des addictions aux drogues et plus particulièrement au cannabis, comme vous le savez, une expérimentation sur l'usage médical de cette substance est en cours. Elle prendra fin durant le printemps et sera évaluée par les autorités sanitaires. Nous disposerons ainsi d'éléments probants sur l'intérêt d'un tel recours médical, notamment pour lutter contre les douleurs réfractaires à certaines thérapies.
Enfin, soyez assuré que nous étudierons de près le choix de l'Allemagne, où l'ouverture de la consommation récréative du cannabis sera également suivie avec attention. Cet exemple nourrira les réflexions et les débats ayant cours dans notre pays.
Tout d'abord, je remercie notre collègue Cyrille Isaac-Sibille d'avoir permis ce débat, qui est très important.
La politique de prévention en santé a connu un développement important ces dernières années. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, des moyens y ont été consacrés. Et le nombre d'acteurs concernés est en hausse, ces derniers venant aussi bien des collectivités locales, de l'assurance maladie, des structures professionnelles dédiées, des établissements de santé, des équipes de soins primaires, des associations, des assureurs, que des mutuelles.
Cela étant, malgré cet effort public significatif, la Cour des comptes, dans un rapport de novembre 2021 sur la politique de prévention en santé, souligne que les résultats obtenus dans ce domaine au niveau national sont « éloignés de leurs cibles » et des « performances » de pays comparables.
Par ailleurs, cela a également été dit, les acteurs sont éclatés. Chacun œuvre avec détermination, mais de manière isolée, sans concertation et en silos. Certains ont une approche par âge : par exemple, des professionnels concentrent leur action sur les enfants, à l'instar de la PMI, que je salue. D'autres se chargent des salariés, ou des personnes âgées, avec la prévention des chutes. Certains acteurs ont une approche en fonction du genre, ce qui m'est cher en tant que féministe, ou de pathologies ciblées.
Je le répète, tous ces intervenants participent de façon dispersée aux différentes actions de prévention, comme le dépistage organisé, la vaccination, la lutte contre les addictions, l'incitation à bien se nourrir, à faire du sport, à veiller aux facteurs environnementaux, ou encore l'attention à la santé mentale.
Pareil constat a été fait par les comités que j'ai réunis dans ma circonscription de la Drôme. J'ai pu me rendre compte, au cours de ces réunions, qu'il y avait une véritable maturation, une sensibilité des citoyens sur cette question.
Il est temps d'établir une politique de prévention en santé beaucoup plus globale. Dès lors, ma question sera simple : si vous êtes le chef d'orchestre de cette politique au niveau national, monsieur le ministre, qui est l'interlocuteur au niveau territorial ? S'agit-il de l'hôpital, des médecins traitants, de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) ? Comment pouvons-nous décloisonner les actions entreprises et les centrer sur les bienfaits apportés aux citoyens ? Comment évaluons-nous leurs coûts ? Et comment en mesurons-nous les effets ?
M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit.
Vous l'avez rappelé, les acteurs qui concourent aux actions de prévention sont nombreux, relèvent de statuts différents, et viennent aussi bien des administrations de l'État que de celles des collectivités locales, du monde associatif, ou encore du réseau des soignants. Notre stratégie est de faire en sorte que tous se parlent et se coordonnent, pour que les systèmes se décloisonnent.
C'est le sens de la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, loi que j'ai défendue et qui a été votée assez largement dans cet hémicycle. Elle doit permettre de décliner, dans chaque territoire de santé, les grandes politiques d'intérêt général, ce qui comprend des actions très concrètes en matière de prévention. C'est par la présence de chaque acteur autour de la table que s'organiseront, que seront défendues, que se décideront les politiques de prévention adaptées aux différents besoins de la population, suivant les territoires. Voilà ce qui est essentiel.
Il ne peut y avoir un pilote unique, qu'il s'agisse de l'hôpital ou d'un autre acteur, qui impose ses vues ou assure la coordination à la place de tous les autres. Chacun apporte ses compétences, son financement, son expertise ou, en ce qui concerne les soignants, joue son rôle dans le système de santé. Et c'est parce que les uns et les autres se parleront dans les territoires que nous améliorerons la prise en charge de telle ou telle pathologie.
Nous savons en effet que les caractéristiques de santé de la population sont très différentes selon les territoires, ces derniers n'ayant pas toujours besoin des mêmes programmes de prévention. Ce sera aux acteurs de terrain de définir les priorités, d'identifier les besoins spécifiques des populations et, grâce au décloisonnement, de décliner les programmes qui permettront d'être collectivement plus efficients.
J'y insiste, ce sont l'efficience et l'intelligence collectives qui nous permettront d'avancer en matière de prévention, non la désignation de tel ou tel acteur qui, tout à coup, imposerait ses vues aux autres.
Avant toute chose, je tiens à mon tour à remercier notre collègue Isaac-Sibille d'avoir eu l'initiative de ce débat, qui est essentiel.
La semaine dernière, à Tarbes, je participais au village « promotion de la santé », organisé par une cinquantaine d'acteurs pour faire connaître la plateforme Mon espace santé et le dispositif Mon bilan prévention – qui est pris en charge par la CPAM –, afin d'établir des diagnostics de vaccination, ou encore d'inciter au dépistage du cancer colorectal, soit autant d'actions très utiles.
J'en viens à ma question qui, cela ne vous étonnera pas, monsieur le ministre, concerne la prévention en santé mentale. Je souhaiterais en effet que vous exposiez la stratégie du Gouvernement en la matière, car vous n'ignorez pas que le constat établi par l'OCDE est terrible. Nous avons dix ans de retard diagnostique à partir de l'apparition des premiers symptômes, sachant que les coûts directs et indirects des maladies psychiatriques, qui pèsent sur la productivité, s'élèvent à plus de 163 milliards d'euros.
En matière de prévention en santé mentale, le premier étage est celui qui consiste à bien manger, bien dormir et faire du sport, ce qui n'est pas toujours connu, ni appliqué. Le deuxième étage est celui des premiers recours, fournis par nos médecins généralistes, lesquels sont parfois démunis et ont besoin d'appui pour le diagnostic des pathologies, en lien, bien sûr, avec les acteurs du secteur. Il me semble que la clé est bien d'essayer de consolider la formation des professionnels et de nous appuyer sur les psychologues et les infirmiers en pratique avancée.
Comment, dès lors, mieux cibler les populations à risque, à commencer par les enfants relevant de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ? Et, plus globalement, pourriez-vous présenter les grands axes du Gouvernement dans le domaine de la prévention en santé mentale ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Vous répondre en deux minutes risque d'être compliqué, tant le sujet est vaste, majeur, essentiel.
Ne nous mentons pas et parlons-nous directement : la santé mentale a été un angle mort des politiques de santé pendant de trop nombreuses années. Nous avons donc pris du retard. La crise sanitaire a sans doute aggravé la situation, mais toujours est-il que la situation est encore plus préoccupante qu'elle ne l'était déjà.
C'est pourquoi la mobilisation doit être forte. C'est ce que j'attends de la part de l'ensemble des acteurs du secteur lors du CNR « santé mentale » qui aura lieu au début du mois de mai. Il faut que nous prenions certaines des mesures qui ont été évoquées lors de travaux préparatoires avec l'ensemble des acteurs et qu'elles s'inscrivent dans un système qui ne repose pas uniquement sur les professionnels de santé. En effet, aussi bien les collectivités locales que les institutions et les administrations de l'État ont un rôle majeur à jouer. J'insiste : il est essentiel d'assurer la mobilisation de l'ensemble des acteurs participant à la prise en charge de la santé mentale de nos concitoyens, et particulièrement des jeunes.
Je le répète, c'est à l'occasion du CNR « santé mentale », mais aussi des assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant qui auront lieu dans quelques semaines, que nous déploierons des mesures. Et c'est en établissant une relation de confiance avec les acteurs que nous libérerons les initiatives : j'évoquais celles issues des territoires, ainsi que leur accompagnement. Dans la perspective de la délégation des tâches, il convient aussi de reconnaître le rôle des autres professionnels du soin qui, aux côtés des médecins, contribueront à améliorer la prise en charge de nos concitoyens dans le domaine de la santé mentale.
Rendez-vous au CNR « santé mentale » : le mois de mai, c'est demain !
La construction d'une politique globale de prévention en santé doit impérativement tenir compte des besoins spécifiques des personnes en situation de handicap et des personnes âgées qui utilisent un fauteuil roulant. Ces personnes sont souvent confrontées à des difficultés particulières liées à leur mobilité réduite et à leurs conditions de vie spécifiques.
Ainsi, une approche inclusive de la prévention doit garantir l'accessibilité des services de santé et des programmes de prévention à ces populations, en tenant compte de leurs besoins en matière d'aménagements physiques, de communication et de prise en charge médicale adaptée.
C'est la raison pour laquelle je souhaite appeler votre attention sur les inquiétudes exprimées par les professionnels du secteur et par les personnes en situation de handicap, à l'heure de la réforme de la prise en charge des fauteuils roulants. De nombreux acteurs sont convaincus de la nécessité d'une telle évolution pour répondre efficacement aux besoins des personnes en situation de handicap et des personnes âgées en perte d'autonomie – évolution qui intégrerait des avancées technologiques à même d'améliorer leur qualité de vie.
Cependant, les discussions avec la direction de la sécurité sociale semblent ne pas aboutir, alors même que le Président de la République a annoncé, en clôture de la Conférence nationale du handicap (CNH) d'avril 2023, que les fauteuils roulants manuels et électriques seraient intégralement remboursés en 2024.
Plusieurs préoccupations persistent du fait de la possible cessation de la location de fauteuils roulants pour les personnes âgées dépendantes, de tarifs jugés insuffisants pour une location de six mois, et de la perspective d'une nouvelle classification susceptible de mettre fin aux locations traditionnelles. De plus, les professionnels craignent que le délai imparti pour l'élaboration d'une réforme efficace ne soit trop court. Enfin, la viabilité du modèle économique de certains fabricants et distributeurs est également en jeu.
Je souhaiterais donc connaître l'état d'avancement des discussions, les attendus, ainsi que le calendrier de la réforme à même de satisfaire l'ensemble des acteurs.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
J'évoquerai d'abord quelques chiffres, afin de resituer le débat. En 2022, l'assurance maladie obligatoire a consacré 300 millions d'euros au remboursement des fauteuils roulants. Si l'on ajoute certaines autres prestations, le reste à charge des patients, ainsi que le financement fourni par les organismes complémentaires, ce sont même près de 400 millions d'euros qui ont été dépensés pour la fourniture de fauteuils roulants.
Le Gouvernement a engagé depuis longtemps une révision de la nomenclature des fauteuils roulants inscrits dans la liste des produits et des prestations pris en charge par l'assurance maladie. De plus, comme vous l'avez rappelé, le Président de la République s'est engagé à ce que les fauteuils roulants soient intégralement financés par l'assurance maladie d'ici à la fin de l'année.
Cet objectif, qui sera tenu, donne effectivement lieu à des discussions entre l'assurance maladie, Fadila Khattabi au nom du Gouvernement, mais aussi les associations de personnes handicapées, qui sont étroitement associées à ces discussions. Celles-ci n'aboutissent peut-être pas aussi vite que nous le souhaiterions, mais elles n'ont démarré qu'il y a quelques semaines. Nous ne sommes qu'au début du mois d'avril : l'engagement d'un financement organisé de manière transparente sera tenu d'ici à la fin de l'année.
Nous avons encore quelques semaines, si ce n'est quelques mois, pour faire aboutir cette discussion. Elle n'est pas anodine – les montants en jeu sont considérables – mais, même si cela prend du temps, la promesse sera tenue. C'est important pour les personnes concernées.
Gouverner, c'est prévoir ; soigner, c'est prévenir.
Si la politique de prévention sanitaire passe évidemment par la sensibilisation, notamment à l'importance de l'alimentation, du sommeil et de l'activité physique, elle ne doit pas faire l'impasse sur la détection, le plus rapidement possible, des problèmes de santé.
Dans ma circonscription, le constat est alarmant : en Haute-Gironde, le taux de surmortalité est supérieur à la moyenne nationale tout comme celui des décès évitables par des actions de prévention ou de traitement. Tout aussi inquiétant, le taux de participation aux campagnes de dépistage des différents cancers y est inférieur à la moyenne. On peut ainsi lire sur le site du contrat local de santé (CLS) de la Haute-Gironde que près de la moitié des femmes âgées de 20 à 24 ans n'ont pas consulté de gynécologue dans les deux dernières années, malgré la nécessité d'un examen annuel.
Comment dépister et prévenir les maladies alors que le nombre de médecins généralistes diminue et que l'équipement médical fait défaut ? Les généralistes installés en Haute-Gironde sont de moins en moins nombreux depuis 2017 et la densité de presque tous les autres spécialistes est inférieure à la moyenne nationale.
Dans certaines zones, il est difficile d'accéder à un centre d'imagerie médicale, ce qu'illustre la récente fermeture du centre radiologique de Blaye. Ce type de décision contribue à éloigner encore davantage les malades des structures de santé alors qu'un quart des Français ont déjà renoncé à se soigner en raison de l'éloignement géographique.
Que comptez-vous proposer aux Français qui, comme ceux de ma circonscription, subissent de plein fouet la désertification médicale, qui les empêche de se soigner mais aussi de pouvoir faire dépister leur maladie assez tôt pour bénéficier d'une prise en charge adaptée ?
Le bilan prévention permettra dorénavant aux Français de s'entretenir de leur santé avec un médecin aux quatre moments clés de leur vie. Ils pourront faire le point sur leur mode de vie, leurs besoins et leurs éventuelles pathologies. Les modalités de cette mesure voulue par le Gouvernement et qui entrera en application cette année seront rendues publiques dans quelques semaines. Les Français concernés recevront un courrier dans les prochains mois pour les inviter à prendre rendez-vous.
La prévention doit par ailleurs prendre en compte les caractéristiques et les besoins en santé des habitants de chaque territoire – ils ne sont pas identiques que l'on se trouve en Haute-Gironde, dans le Sud de l'Alsace ou dans le Nord de la Bretagne. En territorialisant l'offre de soins, nous faisons confiance aux divers acteurs – les soignants, les collectivités locales, le monde associatif, les administrations déconcentrées de l'État – pour mettre au point des programmes de prise en charge adaptés aux besoins des habitants mais aussi à l'offre médicale dont dispose chaque territoire.
C'est en alliant les uns aux autres et en décloisonnant leurs missions que nous verrons émerger des programmes de prévention adaptés aux besoins de chacun.
La prévention fait désormais partie intégrante de votre titre puisque vous en êtes officiellement chargé, avec la santé. Ce n'est que justice car la prévention est fondamentale à tous les âges. Elle est d'abord l'affaire des Français. Ils doivent en acquérir le réflexe dès leur plus jeune âge grâce à la médecine scolaire. Une fois salariés, c'est vers la médecine du travail qu'ils peuvent se tourner et lorsqu'ils sont retraités, ils doivent pouvoir consulter dès que le besoin s'en fait ressentir.
C'est aussi l'affaire des soignants et des pouvoirs publics. En l'espèce, le travail qui reste à accomplir est considérable, comme en atteste un rapport de la Cour des comptes de 2021 dans lequel elle souligne le retard que notre pays a pris par rapport à ses voisins européens en ce domaine.
La crise du covid-19 a mis en lumière les prérogatives de l'Union européenne s'agissant de santé publique. À Bruxelles, les dossiers relatifs à la santé et à la prévention ont fleuri, parmi lesquels le plan d'action « Une seule santé », qui vise à renforcer le rôle de l'Agence européenne des médicaments (EMA) et du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), tout en prenant en compte les risques transfrontières pour limiter la propagation des pathologies transmissibles. Ce triptyque réglementaire se targue d'agir en faveur de la prévention.
Si la coopération internationale intra-européenne est une évidence en matière de santé publique, certains souhaiteraient faire de la prévention un cheval de Troie pour attenter à notre souveraineté sanitaire, n'hésitant pas à appeler à la réforme, voire à la suppression, de l'article 168 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui consacre la subsidiarité des États membres dans le domaine sanitaire.
Quel est le positionnement de la France vis-à-vis de l'article 168 du TFUE et de notre libre-arbitre national en matière de santé publique et de prévention ?
Il ne faut pas avoir peur de l'Europe, notamment dans le domaine sanitaire. Souvenons-nous que nous étions bien contents qu'elle nous aide à développer notre stratégie vaccinale ou à financer la fourniture de masques à la population. L'Europe a alors joué un rôle essentiel.
Pour autant, la santé demeure une compétence nationale. Les décisions, les réflexions et les programmes pris au niveau européen viennent en appui aux stratégies et aux ambitions nationales, sans s'y substituer. Il n'y a pas de mélange des genres : chacun est dans son rôle.
Pour mener une politique de prévention efficace, il faut disposer d'une vision claire des enjeux et des risques sanitaires, d'une surveillance sanitaire et d'une recherche de qualité pour établir des diagnostics fiables, et de moyens suffisants.
Je distingue cinq enjeux de santé publique. Le premier est le vieillissement de la population, qui augmente la prévalence des pathologies liées au grand âge comme les maladies d'Alzheimer ou de Parkinson, et engendre des difficultés spécifiques de prise en charge des personnes âgées. Le deuxième est une épidémie d'obésité, avec une prévalence plus élevée des maladies cardiovasculaires. Viennent ensuite les addictions mortelles au tabac et à l'alcool ainsi que les pollutions de l'air, de l'eau et du sol, qui nuisent à la santé des travailleurs et des habitants. Les maladies émergentes causées par le réchauffement climatique représentent enfin le cinquième enjeu.
Pour relever ces défis, nous avons besoin d'une surveillance sanitaire qui couvre tout le territoire et d'un budget suffisant pour la recherche. Or la France est à la traîne dans au moins deux domaines : la santé environnementale et la santé au travail. Comment expliquer que nous ne disposions toujours pas d'études claires sur les effets de la pollution de l'étang de Berre pour la santé des riverains et des salariés ?
Enfin, il faut des moyens pour lancer une grande campagne d'information sur les ravages de l'alcool, du tabac et des autres drogues, des moyens et un peu de courage politique pour rendre obligatoire le nutri-score, des moyens pour renforcer le Planning familial et lancer un grand plan national de dépistage et de traitement du VIH, des moyens pour recruter des médecins du travail et redonner aux CHSCT toutes leurs prérogatives, des moyens pour financer convenablement la médecine scolaire et la PMI.
Comment comptez-vous dégager ces moyens alors que Bercy a décidé d'économiser 20 millions aux dépens de la prévention ?
La meilleure prévention reste une médecine générale de qualité, accessible à toutes et tous, capable d'identifier en amont les risques et les pathologies. Nous en sommes loin : près de 6 millions de nos concitoyens de plus de 18 ans n'ont plus de médecin traitant. Nous devons prendre exemple sur Marseille en construisant sans tarder des maisons publiques de santé rattachées aux hôpitaux de proximité ou aux centres hospitaliers universitaires (CHU), et en nous fixant des objectifs clairs de santé publique. Comptez-vous rapidement généraliser cette initiative ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
À vous entendre, l'État ne ferait rien et se contenterait de regarder la situation se dégrader. Pourtant, nous avons évoqué plusieurs programmes qui ont permis d'améliorer la prise en charge, les taux de dépistage de certaines pathologies et l'accompagnement des populations. Tout n'est pas parfait et je suis le premier à reconnaître qu'en matière de santé mentale notamment, beaucoup reste à faire.
Nous avons tout de même fait beaucoup de progrès dans la prise en charge et le dépistage de maladies comme le VIH.
Les moyens alloués à la prévention – 15 milliards, mais on peut toujours faire plus – proviennent de programmes de prévention institutionnels, mais aussi de divers organismes comme les complémentaires santé. Les ménages participent aussi à leurs propres dépenses de prévention.
S'agissant de l'État, deux fonds existent : le fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaire (FNPEIS), géré par la Cnam et doté d'un budget de 480 millions d'euros pour financer des plans de santé publique, notamment des plans de prévention, et le fonds de lutte contre les addictions, qui dispose d'un budget de 130 millions d'euros. À ces sources de financement s'ajoutent les fonds d'intervention régionaux (FIR), gérés par les ARS, et une large part du budget de l'Agence nationale de santé publique (ANSP), qu'elle consacre à des programmes de prévention.
La prévention ne se cantonne pas à une case isolée du budget de l'État : elle dépend de nombreux dispositifs qui relèvent de l'État, bien sûr, mais aussi de l'assurance maladie ou d'autres organismes. L'État continuera de participer aux efforts engagés en faveur de la prévention, qui est une priorité.
« Là, on va mettre le paquet sur la prévention » : voilà ce qu'Emmanuel Macron a déclaré lors d'un discours à Toulouse en décembre 2023. Et d'ajouter : « [c']est au cœur de nos priorités en santé ». Le « paquet », la « priorité », « on va voir ce qu'on va voir » – sept ans que notre Président est aux responsabilités,…
…sept ans que chaque ministre de la santé – et de la prévention ! – nous arrose de « vous allez voir ce que vous allez voir » en matière de prévention. Pourtant, voilà sept ans que la santé des Français se dégrade et que les maladies chroniques sont en hausse. Les prochaines années ne s'annoncent pas plus roses.
Les infirmières libérales, qui voient leurs patients tous les jours, ont un rôle essentiel à jouer dans la prévention. Cette semaine, elles sont en grève : elles demandent du respect et des moyens pour remplir correctement leurs missions.
Sarah, moins de trente ans, infirmière libérale à Limoges, confie : « Ma génération et les suivantes, on aime notre métier mais nous ne sommes pas d'accord pour travailler autant et sans être reconnues ». Comme Sarah, Anne ou Sophie, les infirmières libérales traversent le pays, des routes de la Dombes jusqu'aux rues pavées de Paris pour prendre soin de nos sœurs et de nos papis, enfiler les bas de contention, mesurer le diabète, et faire prendre les médicaments, même les dimanches, les jours fériés et les lundis.
Les infirmières libérales sont essentielles : pas de soins à domicile, pas de politique de prévention sans elles. Comme Sarah, elles sont des milliers à en avoir ras le bol de ne pas se sentir reconnues : je crois qu'elles ont raison.
Parlons déjà du revenu : les actes infirmiers n'ont pas été revalorisés depuis 2009, ce qui correspond à une perte de pouvoir d'achat de 25 % en quinze ans. Le remboursement des frais kilométriques est aussi bien trop faible au regard de la hausse du prix du carburant.
Parlons aussi de la pénibilité : chaque jour, elles parcourent entre 100 et 200 kilomètres, voient entre vingt et quarante patients, montent 100 à 500 marches ; une fois arrivées, elles doivent soulever nos parents et accomplir toujours plus de missions. Elles sont 90 % à dire que leurs conditions de travail se dégradent. Pire, leur espérance de vie est inférieure à la moyenne française. Résultat : plus de la moitié des infirmières libérales envisagent de changer de métier.
Ce serait un drame absolu : il n'y a pas de système de soins, il ne peut y avoir de politique de prévention sans les infirmières libérales. Il est temps d'agir pour qu'elles soient payées à la mesure de leurs efforts. Que proposez-vous en ce sens ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Pour une fois, je suis d'accord avec La France insoumise : il faut sortir le carnet de chèques !
La priorité à la prévention du Président Macron, nous y sommes ! On ne change certes pas une situation du jour au lendemain. Cependant, la création des bilans de prévention, ces rendez-vous que l'on propose à 20 millions de Français aux quatre âges primordiaux de la vie, c'est bien de la prévention : aller voir un médecin alors que l'on n'est pas immédiatement malade pour faire un point sur sa santé au sens large du terme. Qui mène cette politique, si ce n'est ce gouvernement ? Vous pourriez au moins saluer la mesure !
Quant aux infirmières libérales, elles sont en effet essentielles à notre système de soins, que ce soit à l'hôpital ou en ville. C'est bien pour cette raison que le Gouvernement souhaite revaloriser leur rôle, leur place et leur statut.
Dans les prochains jours, des propositions concrètes seront faites, basées sur les demandes des syndicats qui portent la parole des infirmières libérales.
Le lancement d'une mission de l'Igas sur la pénibilité des métiers représente pour elles un premier motif de satisfaction. Grâce à cette mission, nous disposerons d'une photographie, à l'instant T, de la pénibilité du travail d'une infirmière libérale. Nous serons ainsi à même de la mesurer, afin de prendre les décisions qui s'imposent pour mieux la prendre en considération et l'accompagner. Grâce à cette mission, nous disposerons tous, y compris la représentation nationale, d'éléments objectifs qui nous permettront de nous saisir de ce débat spécifique.
Nous écoutons les demandes des infirmières libérales, nous tenons compte du rôle qu'elles jouent, et nous prendrons des mesures pour mieux reconnaître leur profession. J'espère que vous les soutiendrez car l'avenir du système de santé passe par la reconnaissance et la prise de responsabilités de nombreux professionnels de santé qui interviennent auprès des médecins. Ils auront à l'avenir une place encore plus importante à tenir.
Nous souscrivons tous au constat suivant : la prévention en santé est indispensable pour protéger les Français, réaliser des économies et préserver le système de santé.
En matière de priorités et de financement, je rappelle que nous disposons d'un levier puissant, efficace et financé, pour prévenir et dépister des maladies, mais aussi pour accompagner une grande partie des Français : la médecine du travail.
Elle est un passage obligé pour tous les actifs. Le rôle des médecins du travail est primordial : ils surveillent l'état de santé des travailleurs en fonction de leur âge et des risques en matière de pénibilité, ils préviennent également les risques liés aux addictions, ils conseillent dans le cadre des campagnes de vaccination et de dépistage. Mais recruter un médecin du travail est devenu un exploit !
...s'ajoute l'emprise administrative et normative exercée par nos chères ARS. Permettez-moi d'illustrer mon propos par une situation ordinaire vécue la semaine dernière dans mon département de l'Aube. L'organisme chargé de la médecine du travail a, par miracle, trouvé un médecin souhaitant intégrer le service de prévention de santé au travail interentreprises. Mais au moment de signer la promesse d'embauche, ce recrutement n'a pu être concrétisé : dans l'Aube, il n'y a plus de place à l'issue de la procédure d'autorisation d'exercice.
À l'heure où vous souhaitez faire des économies, cet exemple me semble révélateur. Il faudrait déverrouiller et simplifier le système, et faire confiance aux acteurs de terrain plutôt qu'aux ARS. Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous appliquer pour accompagner la médecine du travail, qui est un acteur essentiel de la prévention en santé ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Madame Bazin-Malgras, vous avez raison.
La médecine du travail souffre d'un manque d'attractivité, et peut-être aussi de reconnaissance. Au cours des études de médecine, elle n'est sans doute pas valorisée comme d'autres spécialités le sont et elle attire trop peu de jeunes médecins. Sa place dans les relations sociales et la responsabilité des médecins dans les organisations de travail mériteraient une plus grande reconnaissance.
Quant à l'emprise administrative des ARS – pour reprendre votre expression –, je partage votre volonté de simplifier et de déverrouiller. Nous devons parvenir à lever les obstacles et les verrous, parfois réglementaires, qui se sont empilés et qui provoquent quelquefois des incohérences.
Je ne sais pas si le cas précis que vous avez évoqué, que je ne connais pas, découle de ces problèmes, mais il est vrai qu'après quelques semaines au ministère de la santé et de la prévention, j'ai identifié des incohérences bureaucratiques et j'ai constaté que des règles pouvaient s'amonceler, parfois en contradiction les unes avec les autres.
L'une de mes missions consistera à favoriser la simplification et le décloisonnement, afin de rétablir la confiance entre les acteurs du territoire et de faire émerger des projets correspondant à l'état des forces en présence et aux besoins de la population. Pour ce faire, l'engagement de tous est nécessaire. Plutôt que de jouer les censeurs, ce qui leur arrive rarement, les ARS devraient faire œuvre d'ingénierie.
Elles permettraient ainsi aux acteurs de terrain de bâtir juridiquement et financièrement les projets qu'ils souhaitent défendre.
L'abandon de la médecine de ville et les carences du système hospitalier ne sont plus à démontrer. Les déserts médicaux ne cessent de progresser, et pas seulement dans les zones rurales. Outre les 60 à 70 heures de travail par semaine des médecins généralistes, un sondage de l'observatoire de l'Ordre des médecins publié en février 2024 révèle que 75,9 % des médecins libéraux en Occitanie déclarent avoir été victimes de violences au cours des trois dernières années. Vous en conviendrez avec moi : pour rendre le métier attirant, on peut mieux faire.
Dans une étude traitant de la démographie médicale, l'UFC-Que choisir déplore une situation catastrophique : plus d'un enfant sur deux vit dans un environnement déserté par les pédiatres, 59,3 % des Français ne trouvent pas d'ophtalmologiste et onze départements sont dépourvus de gynécologue. Dans 20 % des communes les plus défavorisées, il faut attendre en moyenne vingt-cinq jours pour qu'un généraliste rende visite à un patient et six mois pour faire réaliser une mammographie de contrôle. Six mois, c'est long et c'est parfois trop tard.
À Béziers, 86 % des médecins généralistes ont plus de 60 ans et approchent de l'âge de la retraite. Malheureusement, nous formons le même nombre de médecins qu'en 1970, alors que notre population compte 15 millions de Français supplémentaires. C'est en outre une population vieillissante, ce qui induit une augmentation du nombre de maladies chroniques. Autant dire que le compte n'y est pas.
La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) a publié en mai dernier une étude qui révèle que plus de 80 % des médecins généralistes libéraux jugent insuffisante l'offre de médecine générale dans leur zone d'exercice ; 65 % d'entre eux ont déclaré avoir refusé de nouveaux patients en 2022, contre 53 % en 2019.
Ma question est donc simple, monsieur le ministre : qu'attendez-vous pour supprimer le numerus apertus ? Qu'attendez-vous pour ouvrir les portes des universités aux étudiants et pour leur donner les moyens d'étudier en France ?
Comme je l'ai dit tout à l'heure, les étudiants en deuxième année de médecine sont 20 % de plus qu'en 2019. Ce sont les premiers résultats d'un mouvement que nous avons amorcé, qui nous permettra de former progressivement plus d'étudiants. On ne peut pas, du jour au lendemain, doubler le nombre d'étudiants dans les filières d'enseignement, pour différentes raisons : il faut suffisamment de professeurs et de terrains de stage, ainsi que des conditions d'accueil et d'études satisfaisantes.
On crierait à l'hérésie si on doublait d'un coup la fréquentation des amphithéâtres sans anticiper la problématique des stages. Nous devons procéder progressivement ; en tout état de cause, nous formons plus de médecins qu'il y a deux ans.
Vous souhaitez que les médecins se concentrent davantage sur le temps médical, la prise en charge des patients – ce pour quoi ils ont été formés –, plutôt que sur les tâches administratives. Permettez-moi de rappeler que nous avons amélioré la reconnaissance de certains professionnels du secteur médical. Nous avons parlé des infirmières tout à l'heure : qui a créé le statut d'infirmière en pratique avancée, qui permet de prescrire et de prendre en charge les malades aux côtés des médecins ? C'est bien la majorité ! Une plus grande place sera progressivement accordée à ces infirmières.
Nous pourrions également évoquer les 6 000 postes d'assistants médicaux qui ont été financés et mis à disposition de cabinets de ville, pour que les médecins se déchargent des temps administratifs dont ils se plaignent et qui représentent, selon eux, 20 % de leur temps de travail – prises de rendez-vous, rédaction de comptes rendus, transmission d'informations à l'assurance maladie.
Ces postes d'assistants médicaux continueront à être financés ; nous en avons créé 6 000 sur un objectif de 10 000 d'ici à la fin de l'année. La nation fournit cet effort, à travers l'assurance maladie, pour permettre aux médecins de se concentrer sur la prise en charge effective des patients.
Le système de santé évoluera, progressivement. Compte tenu des difficultés et des dysfonctionnements existants, nous ne pouvons améliorer la situation du jour au lendemain ; il s'agit d'une mobilisation de long terme.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures cinq.
L'ordre du jour appelle les questions sur le thème : « Conséquences pour la France de la résolution du Parlement européen du 22 novembre 2023 sur les projets du Parlement européen tendant à la révision des traités ».
Sourires sur divers bancs.
Ne commencez pas ! La conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse, sans droit de réplique.
La parole est à M. Kévin Pfeffer.
Si le groupe Rassemblement national a demandé l'inscription à l'ordre du jour de ces questions, c'est pour donner à ses membres l'occasion d'exprimer leur très vive inquiétude et leur très forte désapprobation.
Une résolution tendant à la révision des traités a en effet été adoptée par le Parlement européen le 22 novembre dernier ; loin de favoriser l'avènement d'une Europe des nations, que désirent pourtant plus de 70 % des Français, elle prend la forme d'un coup d'État fédéraliste.
Soutenu par presque tous les députés européens macronistes, ce coup vise à faire de l'Union européenne (UE) un super-État, dont Bruxelles serait la capitale et Mme von der Leyen la présidente : sauve qui peut !
La suppression du vote à l'unanimité au Conseil des ministres de l'Union européenne est envisagée, au profit d'un vote à la majorité qualifiée dans tous les domaines. Prenons bien la mesure de cette folie, qui constituerait une attaque sans précédent contre la souveraineté de nos nations, alors privées de leur droit de veto. Si ce projet allait à son terme, la France ne pourrait plus, en matière de politique étrangère, opposer son veto au déploiement d'une future armée européenne, c'est-à-dire de militaires français dans des conflits dont elle n'est pas directement partie prenante. La France ne pourrait plus opposer son veto à la création d'un impôt européen ni à l'élargissement sans limite de l'UE aux pays de l'est de l'Europe ; elle ne pourrait plus opposer son veto aux harmonisations fiscales et sociales ; elle ne pourrait plus opposer son veto aux décisions prises dans des domaines de compétences que confisquent les technocrates de Bruxelles année après année, en se nourrissant de toutes les crises.
Monsieur le ministre, votre gouvernement et les députés de la majorité trahiront-ils une fois de plus les Français au sujet de la construction européenne et de la souveraineté de la France ? Encouragerez-vous la suppression de la règle de l'unanimité et donc la dilution et l'affaiblissement de la voix de la France en Europe ? Accepterez-vous que d'autres pays imposent à la France des décisions parfois contraires à ses intérêts ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
De quoi parlons-nous exactement ? À la suite de la conférence sur l'avenir de l'Europe, les institutions européennes ont commencé à réfléchir. Vous avez insisté sur la contribution du Parlement européen à ces réflexions, d'autant plus qu'il a souhaité ouvrir certains débats, notamment celui de la majorité qualifiée, mais son travail ne saurait être confondu avec celui des États membres, encore moins avec celui de la France.
De fait, le Conseil mène ses propres réflexions et adoptera, au début de l'été, la feuille de route des réformes de l'Union européenne. Ces réformes ne se limiteront pas à la révision des règles de prise de décision, la France ayant exprimé la volonté qu'elles concernent les politiques européennes d'abord, les budgets et les ressources associés ensuite et, une fois les objectifs fixés, la gouvernance – laquelle ne pourra évoluer que grâce à une réforme des traités.
Nous sommes prêts à discuter de la majorité qualifiée mais nous ne commencerons pas avant d'avoir trouvé un accord sur les politiques européennes et les ressources qui les financent. Il va de soi que dans certains cas, qui restent limités, l'introduction de la majorité qualifiée pourrait être bienvenue. En revanche, la France s'opposera à ce que la majorité qualifiée fonde la règle de prise de décision dans des domaines comme l'élargissement ou la détermination des politiques de sécurité et de défense, qui requièrent l'unanimité.
Le 22 novembre dernier, l'Union européenne a franchi une étape de plus vers le fédéralisme, en votant une résolution sur la révision des traités. Inspirée par la vision ultrafédéraliste de votre gouvernement, qui souhaite l'avènement d'une nouvelle Union, celle-ci met fin à la règle de l'unanimité au Conseil et étend sa compétence à des domaines dans lesquels les États membres sont souverains, notamment la politique d'immigration. Votre majorité a d'ailleurs soutenu celle de l'Union, alors qu'elle repose sur une harmonisation imposant le traitement et la gestion des migrations au niveau européen et que le flou de ses contours autorise la submersion migratoire de notre pays, contre l'avis des Français et en ignorant celui des parlements nationaux.
Peu de temps après l'adoption de la loi visant à contrôler l'immigration et améliorer l'intégration, la loi « immigration », Bruxelles, avec votre complicité, veut faire adopter le pacte européen sur l'immigration et l'asile. Vous souhaitez abandonner la compétence de la gestion migratoire à Ursula von der Leyen,…
…imposer des procédures uniformisées aux États membres et, plus gravement, leur infliger une amende de 20 000 euros par demandeur d'asile refusé. Cette politique, vous semblez déjà l'appliquer dans nos communes : par exemple, le maire d'Orléans dénonce le déplacement sans concertation de 500 migrants de Paris à sa commune, résultat d'une gestion et d'une répartition désastreuses, dont personne ne veut.
Selon l'agence Frontex (Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes), l'immigration clandestine a progressé de 17 % depuis 2022 et a atteint son plus haut niveau depuis sept ans. La situation est rendue plus incontrôlable encore par cette résolution qui favorise la submersion plus que le contrôle : allez-vous vraiment vider les pays extérieurs à l'Union européenne de leur jeunesse, pour la répartir dans nos campagnes ?
Rappelons d'ailleurs que l'immigration a un coût, estimé à 1,6 % du PIB par le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii). Sachant que le déficit public a atteint 5,5 % en 2023, vous tenez là une source d'économie toute trouvée pour Bruno Le Maire !
Monsieur le ministre, avez-vous estimé le coût de votre politique et jusqu'à quand continuerez-vous d'organiser la submersion migratoire de notre pays ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.
Il y a une dizaine d'années, tout le monde s'accordait pour trouver la situation migratoire insatisfaisante. Pourquoi ? Parce que les demandeurs d'asile ou les migrants arrivés par les pays de première entrée – l'Italie, la Grèce ou l'Espagne – gagnaient ensuite d'autres pays, ce qui créait de très vives tensions entre les membres de l'Union européenne.
Dans le discours intitulé Initiative pour l'Europe qu'il a prononcé à la Sorbonne le 26 septembre 2017, le Président de la République déclarait vouloir prendre à bras-le-corps ce problème, et c'est en 2019 que les parlementaires français ont mis l'ouvrage sur le métier. Il y a quelques semaines, après cinq ans de travail, le pacte européen sur la migration et l'asile a été adopté. Il règle deux problèmes majeurs, le premier étant celui de la solidarité entre les pays de première entrée et les pays de migration secondaire : tous les pays signataires du pacte contribuent à l'accueil des demandeurs d'asile, quitte à ne le faire que financièrement s'ils refusent un accueil sur leur territoire.
Le pacte règle par ailleurs le problème de l'effectivité des frontières extérieures de l'UE : la refonte des systèmes informatiques de l'Union qu'il impulse permettra de suivre les demandeurs d'asile dans leur pays de première entrée et tout au long de leur parcours de migration secondaire.
Dans certains cas, notamment celui des demandeurs d'asile issus de pays « sûrs », auxquels la protection internationale des pays de l'UE n'est que rarement accordée, la demande d'asile pourra être déposée à la frontière, c'est-à-dire sans franchissement de celle-ci par le demandeur. Ce pacte est donc très protecteur et permettra de résoudre les problèmes identifiés il y a déjà dix ans. Je regrette que vous n'ayez pas soutenu son adoption.
Avec la Commission de Bruxelles, votre gouvernement défend l'élargissement de l'Union européenne aux pays des Balkans, à l'Ukraine ou encore à la Turquie. Aux Français qui soutenaient jadis une Europe des nations à quelques États, vous infligez aujourd'hui une Europe technocratique à vingt-sept membres. Demain, vous leur imposerez un État central européen composé de trente-cinq pays, devenus de simples régions administratives.
Les élargissements successifs de l'Union européenne sont contraires aux intérêts de la France. Ils affaiblissent la voix et l'influence du pays au sein de l'UE et l'isolement de la France grandira toujours à mesure que le nombre de pays membres augmentera. Ils menacent notre souveraineté, puisque les difficultés à trouver des accords à trente-cinq États seront le prétexte tout trouvé pour supprimer le droit de veto de la France. Ils provoquent un nivellement social par le bas : vous exposez l'industrie et l'agriculture française à la concurrence déloyale et sauvage de pays dont les normes sociales sont inférieures et où le revenu minimum varie entre zéro et 500 euros par mois. Ces élargissements menacent la sécurité des Français, car les Balkans hébergent la plaque tournante des trafics d'armes destinées à l'Europe et la Turquie alimentera la submersion migratoire. Enfin, ils coûtent cher aux Français, dont les impôts financent le développement des pays dont la population émigre, ces pays qui figurent parfois parmi les plus corrompus du continent européen.
N'oublions pas que les Français versent à l'Union européenne 8 à 10 milliards de plus qu'ils ne reçoivent d'elle.
Ma question est donc simple : aurez-vous le courage d'organiser un référendum avant tout nouvel élargissement de l'Union européen ou continuerez-vous de passer en force, quitte à trahir une nouvelle fois les intérêts de la France et l'avis du peuple français ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Je vous répondrai en deux temps, d'abord en vous expliquant pourquoi la France et l'Europe ont intérêt à un élargissement, puis en vous exposant les raisons pour lesquelles il ne peut se faire qu'à certaines conditions.
Cet élargissement aux Balkans occidentaux est dans l'intérêt de la France et de l'Europe, car nous préférons exporter notre modèle de stabilité, de démocratie et d'État de droit, plutôt que d'importer l'instabilité, laquelle ne manquerait pas de s'inviter sur le continent européen en raison de la situation de ces pays. En restant en dehors de l'Union européenne, ils demeurent en effet soumis à l'influence de pays comme la Russie ou la Chine.
En élargissant l'Union européenne aux Balkans occidentaux, nous ne ferions que la compléter. Si vous avez la carte de l'Europe en tête, vous savez qu'un îlot n'a pas encore réussi à atteindre nos standards mais qu'il chemine pour y parvenir.
Toutefois, l'élargissement ne peut se réaliser qu'à certaines conditions. La première, que le Président de la République a rappelée lors du dernier Conseil européen au cours duquel a été autorisée l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Bosnie-Herzégovine, est le respect du principe des mérites propres. Ces pays doivent faire évoluer ce qu'ils ont de plus intime, c'est-à-dire leur Constitution et leur système judiciaire, en vue de se conformer aux principes fondamentaux de l'Union européenne. Ils doivent ainsi atteindre, palier par palier, nos standards, à commencer par le respect des principes de l'État de droit.
La deuxième condition, que le Président de la République rappelle à chaque occasion, est que le processus d'élargissement doit être mené en parallèle du processus de réforme de l'Union européenne.
L'Union européenne doit être prête à affronter les grands défis qui sont devant nous mais elle doit éviter que l'élargissement ne se fasse au détriment de certains secteurs ou de certains pans de la société européenne.
Exclamations sur les bancs du groupe RN.
La résolution proposant une révision des traités de Lisbonne n'a pas de valeur contraignante et a été adoptée à une courte majorité. Toutefois, ce texte révèle la pensée profonde qui anime l'Union européenne et son objectif de faire disparaître les souverainetés nationales au profit d'un État européen fédéral.
Pour rappel, l'Union européenne n'est pas un État. Elle ne fonctionne plus et se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins : elle doit, soit disparaître et laisser place au retour du concert des nations européennes, soit évoluer à marche forcée vers un État fédéral. Les électeurs français nous feront part de leur volonté à ce sujet le 9 juin prochain.
Les députés européens proposent de partager les compétences dans les domaines de la santé, de la protection civile, de l'industrie et de l'éducation, qui relevaient jusqu'à présent de la compétence exclusive des États membres, mais aussi de développer davantage les compétences partagées dans des secteurs tels que l'énergie, les affaires étrangères, la sécurité extérieure et la défense, la politique des frontières extérieures et des infrastructures transfrontalières. Ce serait donc à l'Union européenne de décider à la place des Français dans ces matières régaliennes qui relèvent, par nature, de la souveraineté de la France. Cette dernière étant, par définition, indivisible, elle ne peut et ne doit être ni partagée, ni divisée, ni même transférée.
La délégation du Rassemblement national au Parlement européen avait proposé un amendement visant à soumettre toute révision des traités à un référendum dans chaque État membre. Malheureusement, cet amendement en faveur du peuple n'a pas été adopté.
M. Sébastien Delogu s'exclame.
Arnaud Montebourg, ancien ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, a rappelé deux points importants : d'une part, la France doit mettre fin unilatéralement à l'Arenh (accès régulé à l'électricité nucléaire historique), au nom de l'urgence et de la souveraineté nationale, d'autre part tous les traités européens doivent prévoir une clause de souveraineté nationale.
Pourquoi le Gouvernement met-il la France au service des intérêts de l'Europe au lieu de faire l'inverse, comme il le devrait, à l'instar de nos voisins, à commencer par l'Allemagne ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Je rappelle que nous sommes en train de débattre d'une résolution du Parlement européen qui ne traduit ni les priorités ni les orientations du gouvernement français.
Nous débattons de l'avenir de l'Union européenne avec les gouvernements des pays partenaires de l'Union européenne. Le moment venu, nous exprimerons certaines réserves s'agissant de la question des compétences partagées. Nous avons beaucoup fait pour la santé, la protection civile, l'énergie, alors même que ces domaines relèvent de la compétence partagée.
Je l'ai dit tout à l'heure à votre collègue, notre méthode est de fixer d'abord des objectifs puis de décider s'il est opportun de faire évoluer les règles de gouvernance.
S'agissant de l'unanimité que vous défendez contre la majorité qualifiée, il ne faut pas croire qu'elle garantisse la bonne expression de la souveraineté.
Je vous donne un exemple. L'Union européenne a voté à la quasi-unanimité un plan de soutien civil à l'Ukraine de 50 milliards d'euros ainsi qu'un train de sanctions contre la Russie mais ils n'ont pu être adoptés en raison du veto d'un des États membres. Si le vote avait eu lieu à la majorité qualifiée, la décision aurait été adoptée.
Ainsi, l'unanimité ne garantit pas les meilleures conditions d'exercice de la souveraineté. Dans certains domaines, un autre système de vote pourrait mieux garantir la souveraineté de la France.
J'espère, monsieur le ministre, que vous répondrez à la question – une fois n'est pas coutume. Cette résolution est encore une belle démonstration de ce qu'Orwell appelait la « double pensée », prémices du « en même temps ».
Au nom de la démocratie, on voudrait diluer la souveraineté du peuple, en abolissant son droit de veto au Conseil de l'Union européenne. Au nom de l'unité, fracturer le peuple en reconnaissant des législations régionales. Au nom de l'État de droit, mettre sa justice et son Parlement sous tutelle. Au nom de la sécurité collective, lui retirer la pleine disposition de ses armées. La moindre des choses serait que les Français soient consultés sur des abandons de souveraineté aussi graves et que, contrairement au référendum de 2005 sur le traité établissant une Constitution européenne, leur vote soit respecté.
Un amendement de notre groupe en ce sens a malheureusement été rejeté par toutes les autres délégations françaises au Parlement européen, dont la vôtre, monsieur le ministre. Rappelons que, depuis plus de mille ans, le peuple français n'a pas attendu l'Union européenne pour asseoir sa prospérité sur son travail, son génie, sa science, pour se lier d'amitié avec d'autres nations, appliquer une justice équilibrée et défendre sa souveraineté grâce à ses armées. À l'heure où celles-ci manquent de matériel et peinent à se financer, malgré une loi de programmation militaire dont les macronistes faisaient grand cas, la priorité n'est pas de les placer sous commandement européen. Le gouvernement de la France a le devoir impérieux de défendre l'héritage des Français, non de l'abandonner à la technocratie bruxelloise.
Si le Gouvernement refuse d'assumer cette charge, il doit laisser le peuple décider de son destin. Dans l'hypothèse où cette triste résolution devait avoir quelques suites, garantissez-vous l'organisation d'un référendum pour chaque modification des traités ? En particulier, comptez-vous, sans consulter les Français, impliquer l'Union européenne dans la direction de leurs armées ? Je vous remercie pour vos réponses précises.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Pour répondre à votre question, nous n'en sommes pas là.
Si une révision des traités devait être adoptée, elle devrait être ratifiée ou, à tout le moins, sa ratification devrait être proposée dans tous les États de l'Union européenne, comme c'est le cas habituellement.
Je souhaite revenir sur mon précédent propos : il n'y a pas d'incompatibilité entre l'expression de la souveraineté française et sa manifestation au travers de la souveraineté européenne. Vous avez parlé du labeur et de l'héritage des Français : chaque jour, l'euro contribue à les protéger. Imaginez un monde dans lequel les Français, leurs économies et leur pouvoir d'achat ne seraient pas protégés par l'euro.
Nous assisterions à un effondrement économique et à la ruine des épargnants. À chaque fois que cela est nécessaire, l'Europe garantit bien une forme de protection de la souveraineté française, tout en respectant le principe de subsidiarité.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la France, anticipant la fin de l'ère du charbon, a poussé les investissements dans la houille blanche et le nucléaire pour s'affranchir du pétrole et garantir sa souveraineté. Aujourd'hui, nous examinons la résolution qui vise à permettre aux instances européennes de décider de la politique énergétique des États.
Malheureusement, nous connaissons les recommandations de l'Union européenne sur l'énergie. Elles sont inspirées des idées du bloc écologiste et de ses différents partis qui mettent en avant leurs convictions au détriment de la science. Ils nous proposent de limiter le nucléaire, de développer à outrance les énergies intermittentes, solaire et éolienne, et de recourir au charbon et au gaz pour compléter le mix énergétique. Cette politique ne ferait qu'aggraver notre dépendance à l'égard de l'étranger et augmenterait considérablement les émissions de CO
La France ne peut pas développer une industrie compétitive si elle s'appuie sur une énergie peu efficace et intermittente. Elle a besoin de disposer de ressources fiables, stables et surtout indépendantes de fournisseurs étrangers. Nous ne pouvons laisser Bruxelles décider de notre politique énergétique, surtout si vous voulez, comme nous, réindustrialiser le pays.
Nous assumons de faire le choix du nucléaire, qui garantit notre indépendance. En plus d'assurer notre souveraineté énergétique, l'énergie atomique nous permet de faire partie des pays les plus verts et les plus vertueux d'Europe, dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique.
Dépouiller les États de leur prérogative en matière énergétique concourt non pas à rendre l'Europe et ses nations plus fortes mais à construire un État fédéral qui ne dit pas son nom. La politique à mener en la matière doit rester de la compétence des États car elle fait intrinsèquement partie de leur souveraineté. Le fédéralisme européen est une vision de l'Europe qui n'est pas celle de mon groupe. Comme le général de Gaulle, nous pensons que « l'Europe des États » est la solution.
Pensez-vous qu'il revienne au président du Conseil de l'Union européenne de décider de la vie ou de la mort du nucléaire français ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
La France est très attachée à ce que les États membres de l'Union européenne puissent choisir leur mix énergétique, en respectant les objectifs que nous nous sommes collectivement fixés, à savoir atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050.
Il est vrai que tout le monde n'est pas aussi convaincu que les Français de la pertinence et de l'intérêt du nucléaire. C'est la raison pour laquelle le Président de la République, le Gouvernement – notamment Agnès Pannier-Runacher, et désormais Roland Lescure –, animent un collectif composé de presque quinze États membres de l'Union européenne, l'Alliance du nucléaire. Il pèse dans les discussions européennes, afin que le principe de neutralité technologique soit respecté, c'est-à-dire que le nucléaire prenne toute sa place. Ils y ont veillé, tout en conservant une ambition très forte en matière de décarbonation qui s'est traduite dans plusieurs règlements et directives adoptés au cours de la législature qui s'achève, mais que vous n'avez pas toujours soutenus.
Ce soir, nous discutons d'une résolution du Parlement européen qui a exclusivement été écrite par quatre eurodéputés allemands et qui vise à réformer toutes les institutions de l'Union européenne, sauf une. Celle qui passe à travers les mailles de la discussion publique, c'est la Banque centrale européenne (BCE). Cet organisme est unique au monde puisqu'il s'occupe de la monnaie sans se soucier de l'emploi ni de l'écologie. C'est même écrit dans ses missions. Un organisme public qui ne se consacre qu'à la finance, il fallait l'inventer. L'Union européenne l'a fait.
Étant donné que cette banque centrale est indépendante, elle est exclue du champ de la résolution. De temps en temps, ses responsables viennent expliquer à la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen ce qu'ils ont déjà décidé de faire, alors qu'aucun débat, qui conduirait à modifier ce qu'ils feront, n'a eu lieu. Bref, nous sommes informés par des personnes qui font de la politique malgré nous. D'ailleurs, la Banque centrale européenne est présidée par Mme Lagarde, qui a obtenu un mandat de huit ans, alors qu'elle a été battue, à plusieurs reprises, à des élections en France et qu'elle n'a jamais remporté de scrutin populaire.
La Banque centrale européenne est néfaste pour ces raisons. En outre, elle mène une politique dangereuse, qui est la conséquence de son indépendance par rapport aux électeurs et aux électrices. Depuis deux ans, elle a décidé seule, sans demander l'avis de personne, d'engager une remontée des taux directeurs, c'est-à-dire le prix auquel elle prête de l'argent aux banques commerciales, qui elles-mêmes nous font des prêts. Ce taux est passé de 0,5 % au mois de juillet 2022, à 4,5 % aujourd'hui. Bilan : l'investissement est totalement brisé dans notre pays. En effet, en 2022, une entreprise qui avait emprunté 50 000 euros devait rembourser 750 euros par mois, contre 2 500 euros aujourd'hui si elle empruntait la même somme. La BCE a étranglé une partie de l'investissement national. C'est donc l'heure de sortir de ce traité qui nous étouffe et de ces résolutions vides.
Pourriez-vous nous expliquer comment vous remettrez cette banque au pas, afin qu'elle serve l'intérêt général, qu'elle réponde aux souhaits des électeurs et des électrices, qu'elle concoure à l'emploi, à l'investissement, à la bifurcation écologique, et non plus exclusivement à la spéculation ?
Lorsque la situation était gravissime, la Banque centrale européenne a pris toute sa part. Je me souviens que M. Draghi, alors gouverneur de la Banque centrale européenne, a dit aux marchés, pris d'une fièvre spéculative, qu'il ferait tout ce qu'il faudrait, quoi qu'il en coûte, pour éviter un effondrement économique de la zone euro.
Par ailleurs, lorsqu'il arrive à la Banque centrale européenne de relever ses taux, elle ne le fait pas par plaisir ni parce qu'elle serait sadique ou cynique et rêverait d'étrangler les emprunteurs de l'Union européenne : elle le fait pour limiter l'impact de l'inflation sur le pouvoir d'achat des Européens. Tel est le mandat qui lui a été confié. Si ses statuts prévoient qu'elle est indépendante, c'est d'ailleurs précisément pour qu'une institution en Europe veille à limiter l'inflation, donc l'érosion du pouvoir d'achat des Européens. Si elle était au contraire soumise au pouvoir politique, elle serait tentée de procéder différemment et de dévier de l'objectif que les législateurs lui ont fixé.
Nous débattons d'une résolution adoptée par le Parlement européen, qui prétend engager la révision des traités européens. Alléluia ! Il aura donc fallu dix-neuf ans après que le vote des Français a été foulé aux pieds pour que la question de la réécriture des traités soit enfin posée. Encore faudrait-il, toutefois, qu'elle le soit en vue d'aller dans le sens des aspirations populaires, et non pour procéder à un nouveau tour de vis austéritaire. Tel n'est manifestement pas le cas : les quelques clins d'œil qui sont faits sur la question écologique ne changent rien aux fondations libérales de l'Union européenne.
Comme souvent d'ailleurs avec les textes européens, l'enrobage sucré n'est là que pour faire passer l'essentiel, bien plus toxique. Ainsi, à l'instant même où cette résolution est adoptée, l'Union européenne, avec l'appui des macronistes, des Républicains et du parti socialiste, impose le retour et le durcissement des règles d'austérité, qui détruisent nos services publics et notre protection sociale.
Au même instant, le chantage à la dette reprend, comme aux plus belles heures de la crise grecque, alors que la Banque centrale européenne devrait au contraire être forcée à annuler la dette liée au covid.
Austérité, Banque centrale, libre-échange : sur tous ces problèmes vitaux, qui martyrisent nos concitoyens et notre économie, la résolution ne dit rien. Tout est passé sous silence. Il est vrai que, dans l'Europe de M. Macron et de ses amis, la démocratie est un problème. Ainsi, alors que le Sénat a rejeté le 21 mars dernier l'Accord économique et commercial global conclu avec le Canada, dit Ceta, vous vous évertuez à refuser de le transmettre à notre assemblée pour qu'elle puisse le rejeter à son tour.
Votre tête de liste aux élections européennes va jusqu'à dire que si notre assemblée le rejetait, cela ne changerait rien ! En 2005, déjà, vous aviez fait comme si le vote des Français ne comptait pas – désormais, c'est le vote du Parlement qui n'aurait plus de valeur à vos yeux !
En réalité, cette résolution ne vise qu'à préparer l'élargissement de l'Union européenne, notamment à l'Ukraine, comme on le lit en son point 2.
La question démocratique reste néanmoins posée : comptez-vous respecter le Parlement français et soumettre sans délai la ratification du Ceta à notre assemblée ? Vous engagez-vous à soumettre toute révision des traités européens au référendum ? Vous engagez-vous à soumettre à cette même procédure l'élargissement de l'Union européenne à l'Ukraine ?
Une de vos trois questions concerne les voies de ratification d'une éventuelle révision des traités. Comme vous le savez, celle-ci peut passer par un vote du Parlement – je suis d'ailleurs étonné d'entendre de nombreux parlementaires exprimer le désir de se dessaisir de cette compétence – ou par un référendum, cette décision étant une prérogative du Président de la République.
Vous me posez la question de l'opportunité d'organiser un référendum sur l'élargissement de l'Union européenne à l'Ukraine. Là encore, je suis surpris. Ce choix relève du Président de la République. Le processus d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne a en outre déjà commencé, le Conseil européen ayant décidé d'ouvrir les négociations en ce sens en décembre dernier.
Votre première question concernait les accords commerciaux. S'agissant du Ceta, la réponse vous a été apportée par le ministre chargé du commerce extérieur : l'Assemblée sera saisie le moment venu. Puisque vous évoquez le libre-échange, je rappelle toutefois que c'est la France qui, sous l'impulsion du Président de la République, a fait évoluer l'approche de la Commission européenne en imposant aux régions du monde avec lesquelles nous commerçons d'appliquer les principes de réciprocité et de soutenabilité. Nous avons ainsi remporté une victoire idéologique sur la Commission européenne qui, c'est vrai, défendait jusqu'à présent une conception très libre-échangiste du commerce, alors que nous estimons qu'il faut utiliser le marché intérieur comme un levier pour obtenir de nos partenaires commerciaux qu'ils avancent dans la même direction que nous et partagent nos objectifs de soutenabilité, de respect des normes sanitaires, etc.
Je suis ravi de pouvoir poursuivre notre discussion, monsieur le ministre, car vous avez avancé quelques éléments surprenants – ou pas, puisqu'ils relèvent du catéchisme le plus euro-libéral.
Vous expliquez d'abord que l'indépendance de la BCE la soustrait aux pressions politiques. Mais en quoi la monnaie, qui est un bien commun, devrait-elle être étrangère aux pressions politiques, c'est-à-dire à la démocratie ? La Banque centrale européenne pilote le crédit, donc le droit des personnes à accéder à un prêt, à s'endetter ou à investir – et vous voudriez que tout cela soit décidé on ne sait où, de manière adémocratique, par un aréopage technocrate, sans qu'on sache pourquoi ! Nous ne serons jamais d'accord avec vous sur ce point.
Vous indiquez aussi que la BCE n'agit pas par plaisir. Encore heureux ! En revanche, elle agit pour faire plaisir aux créanciers et aux actionnaires privés, ce qui n'est pas forcément mieux – c'est même sans doute pire. Vous expliquez que sa politique actuelle vise à casser l'inflation. C'est brillant ! Seulement, personne n'a constaté son efficacité : la remontée des taux n'a pas enrayé l'inflation, mais l'investissement et la croissance – qui parfois, c'est vrai, conduisent à l'inflation. Si vous vouliez stopper l'inflation, il y avait pourtant une solution simple : le blocage des prix. Vous auriez alors eu à la fois l'activité et la baisse des prix. À la place, vous avez choisi la baisse des prix par le chômage. Là encore, nous ne l'accepterons jamais.
Quant aux comptes de l'État, ils pâtissent fortement de la situation. Les créanciers, constatant que les taux remontent – de 0,5 % en juillet 2022, ils atteignent 4,5 % aujourd'hui – ont bien compris que l'heure est venue de sonner l'hallali : les taux d'intérêt exigés pour acheter des bons du trésor français, c'est-à-dire de la dette publique française, ont augmenté, à tel point que le remboursement des intérêts coûte 10 milliards d'euros de plus par an. Ça tombe bien : c'est la somme que M. Bruno Le Maire veut prendre de nos poches en liquidant le service public, en augmentant les impôts, en fermant des bureaux de poste, des hôpitaux, des écoles, etc. Dans le contexte actuel, cette question est donc cruciale.
Je vous le demande donc une nouvelle fois : comment comptez-vous faire en sorte que la BCE soutienne l'emploi et l'écologie et puisse enfin racheter de la dette publique française et européenne pour nous protéger des marchés financiers ?
Ma réponse reste la même que précédemment : lorsque la situation l'a imposé, la Banque centrale européenne a racheté de la dette souveraine et fait tout ce qui était nécessaire, quoi qu'il en coûtât, pour que la folie spéculative à l'œuvre sur les marchés financiers ne provoque pas l'effondrement économique de la zone euro. Son mandat consiste à être la meilleure amie du pouvoir d'achat et à limiter l'inflation. S'il n'a jamais été question d'augmenter les taux de dix points d'un coup pour juguler la hausse des prix, je rappelle que l'Assemblée nationale a adopté plusieurs budgets visant à compenser les effets très lourds de l'inflation sur le pouvoir d'achat des Français. Je ne suis pas certain que vous les ayez votés.
Vous dénoncez des décisions qui seraient prises de façon technocratique. Je salue certes la tenue d'un débat, aujourd'hui, sur une résolution du Parlement européen, mais je vous invite à consacrer certaines de vos questions au Gouvernement aux décisions prises par les ministres français à Bruxelles…
…et à convoquer le ministre de l'Europe et des affaires étrangères en amont de chaque Conseil européen. Faites-le : vous verrez que les négociations menées au Parlement et au Conseil européens n'ont rien de technocratique. Pour ce qui est du Conseil, au moins – puisque je ne suis pas habilité à parler au nom des parlementaires européens –, le Gouvernement défend pied à pied les intérêts de la France : il s'agit d'un processus éminemment politique, auquel je vous invite à vous intéresser.
Le 8 novembre dernier, la Commission européenne a émis un signal clair en approuvant l'engagement des négociations d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne. Cette décision, présentée comme un moment historique par la présidente de la Commission, ouvre la voie à une intégration qui, bien que porteuse d'une promesse de solidarité européenne, bouleverserait les équilibres économiques, notamment dans le secteur agricole français.
La résolution adoptée par le Parlement européen le 22 novembre 2023, qui encourage la réforme des traités et instille l'idée de nouveaux élargissements, place l'Ukraine dans la course à l'adhésion. Avec ses 33 millions d'hectares de terres cultivables – soit bien plus que la surface agricole française –, l'Ukraine se positionne comme une puissance agricole majeure. Son potentiel, soutenu par une productivité croissante et des sols fertiles, laisse présager qu'elle deviendra le principal producteur mondial de grains dans un avenir proche. Cette ascension ne sera pas sans conséquence pour les agriculteurs français.
En effet, l'Ukraine, en quête de modernisation et d'aides, drainerait une part significative des fonds de la politique agricole commune (PAC). La France, première bénéficiaire de la PAC avec 9 milliards d'euros d'aide par an répartis entre 400 000 bénéficiaires, serait directement affectée par l'arrivée de ce géant agricole. Cette situation, combinée à des normes environnementales moins strictes, mettrait irrémédiablement en péril la compétitivité des agriculteurs français.
Alors que la Russie utilise le blé comme une arme alimentaire, une intégration de l'Ukraine dans l'Union européenne est perçue comme une stratégie de paix européenne. Néanmoins, cette intégration doit intervenir de manière progressive et équilibrée, sans sacrifier les intérêts des agriculteurs français. Or comment comptez-vous anticiper les répercussions que cette adhésion aura pour eux, tout en favorisant la solidarité européenne ? À qui profiterait véritablement l'intégration de l'Ukraine dans l'Union européenne ?
Nous devons veiller à ce que les agriculteurs français ne soient pas, une fois de plus, les sacrifiés d'une avancée européenne.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Je confesse être tout à fait d'accord avec vous.
« Ah ! » sur les bancs du groupe LR.
L'élargissement de l'Union européenne à l'Ukraine est dans l'intérêt de la France et de l'Europe, puisqu'il permettrait à l'Union d'exporter son modèle de stabilité politique en Ukraine – dont vous avez justement souligné qu'elle est un grenier à blé – plutôt que de la laisser sous l'influence, ou même sous le contrôle éventuel, de son grand voisin russe.
Cela étant dit, nous ne pouvons pas accepter que les élargissements déstabilisent des filières entières, en particulier la filière agricole. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et le Président de la République ont négocié de façon très détaillée le renouvellement des mesures autonomes commerciales applicables à l'Ukraine, afin de trouver un équilibre entre la solidarité que nous devons aux Ukrainiens et la préservation de nos filières, notamment du secteur agricole.
La résolution du Parlement européen touche à cette question en ce qu'elle mentionne une réforme des règles relatives à la majorité qualifiée. Nous ne sommes pas favorables à une extension de cette modalité de décision au processus d'adhésion, dont je rappelle qu'il prend beaucoup de temps et qu'il ne concerne pas uniquement le rattrapage économique et social des pays concernés, mais aussi ce que les peuples ont de plus intime, c'est-à-dire la Constitution, le système judiciaire, l'organisation de la liberté de la presse, etc. C'est donc sur un long chemin, qu'il lui faudra au moins une dizaine d'années pour parcourir, que l'Ukraine est engagée, l'objectif étant qu'elle ne constitue pas une menace, notamment pour les filières agricoles, lorsqu'elle deviendra membre de plein droit de l'Union européenne.
Le 22 novembre dernier, le Parlement européen réuni à Strasbourg a adopté une résolution sur ses projets tendant à la révision des traités. Il y propose de fixer la taille de l'exécutif à quinze membres au maximum, selon un système de rotation strictement égale entre ressortissants des différents États membres. Concrètement, si ces préconisations étaient suivies, la Commission européenne ne serait plus composée d'un représentant par État, mais de quinze commissaires tournants, sans distinction en fonction du poids respectif des pays.
On pourrait ainsi obtenir une Commission européenne sans commissaire français, allemand, espagnol, italien ou polonais, mais avec des commissaires maltais, chypriote, luxembourgeois ou estonien – une Commission européenne où les sept pays les plus peuplés, regroupant plus de la moitié de la population européenne, ne seraient pas représentés, privant l'Union européenne, qui souffre déjà grandement d'un manque de confiance de la part de nos concitoyens, de légitimité démographique et démocratique. Cette situation sera amplifiée si votre projet d'adhésion rapide des pays des Balkans occidentaux, de l'Ukraine et de la Moldavie se concrétise.
Aussi ma question est-elle simple : le Gouvernement est-il prêt, afin de faire de la place à de nouveaux États membres, à renoncer à un poste de commissaire européen de plein exercice – j'insiste sur ce point – de la France à l'occasion d'une prochaine révision des traités ?
Pour replacer une nouvelle fois le débat dans son contexte, il s'agit d'une résolution du Parlement européen évoquant l'évolution de la gouvernance de l'Union européenne, laquelle constitue l'une des dimensions des réformes à venir de l'Union européenne. La France a clairement indiqué à ses partenaires qu'il convenait d'engager le travail de réflexion sur les réformes au niveau du Conseil, c'est-à-dire des gouvernements des vingt-sept États membres de l'Union européenne, après deux étapes préalables.
La première consiste à définir les objectifs politiques de l'Union européenne. Quelles politiques voulons-nous mener ? Comment voulons-nous partager les compétences ? La deuxième doit porter sur les ressources et le budget alloués à ces politiques.
Ce n'est qu'une fois ces étapes franchies que nous pourrons aborder le sujet de la gouvernance et discuter de la représentativité des États membres et de l'opportunité d'introduire de la majorité qualifiée. Même si la Commission ne se réduit pas à une collection de représentants des États membres puisque sa mission est de s'attacher entièrement à l'intérêt communautaire, il demeure important que la France soit représentée au sein de cette institution. Nous veillerons à ce que cela soit le cas, dans la configuration renouvelée issue des élections européennes. Soyez rassuré !
Dans sa résolution adoptée le 22 novembre 2023 à Strasbourg, le Parlement européen propose de développer davantage les compétences partagées de l'Union dans certains domaines, en particulier ceux des affaires étrangères, de la sécurité extérieure et de la défense.
Il y aurait beaucoup à dire sur cette demande tant les intérêts des États membres en la matière peuvent diverger, tant ces mêmes États membres sont incapables de s'accorder sur des choses aussi élémentaires que de se fournir chez des industriels européens dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix (FEP) mais je ne m'attarderai que sur un seul sujet : la politique étrangère et de sécurité commune (Pesc) dans le cadre d'un potentiel élargissement de l'Union aux pays des Balkans occidentaux, élargissement que le gouvernement auquel vous appartenez soutient. Si la plupart des pays des Balkans occidentaux s'alignent progressivement sur la Pesc à la suite de l'invasion russe en Ukraine, tel n'est pas le cas de la Serbie qui refuse d'appliquer les sanctions européennes à l'encontre de la Russie. En outre, l'entité serbe de Bosnie-Herzégovine, sous l'influence de Belgrade, vient de menacer l'unité du pays par l'adoption de sa propre loi électorale.
La France fait-elle de l'alignement de la Serbie sur la Pesc un préalable à toute avancée dans le processus d'adhésion du pays et, a fortiori, à l'adhésion elle-même ?
Si ce préalable de l'alignement de la Serbie sur la Pesc est posé pour tout élargissement de l'Union aux pays des Balkans occidentaux, la France est-elle prête à n'intégrer que certains pays de la région, c'est-à-dire, en cas d'exclusion de la Serbie, voire de la Bosnie-Herzégovine, à intégrer moins de 40 % de la population de la région, privée de son principal poumon économique ?
Je vous remercie d'avoir rappelé que cette résolution a été votée à Strasbourg, siège du Parlement européen.
La réponse à vos deux questions est positive. Comme d'autres États membres de l'Union européenne, la France est attachée à ce que le processus d'adhésion soit fondé sur les mérites propres des candidats, c'est-à-dire conditionné au franchissement par ceux-ci de toutes les étapes nécessaires à la pleine convergence dans les domaines essentiels du respect de l'État de droit et de la Pesc. Si un État candidat ne franchit pas ces étapes, le processus d'adhésion ne peut pas se poursuivre.
Depuis la dernière réforme des traités de l'Union européenne issue du traité de Lisbonne, entré en vigueur en 2009, le monde a radicalement changé. Que sera l'Union européenne de demain ? Quel rôle y jouera la France ? Nous sommes insuffisamment préparés à ce jour pour le monde plus brutal dans lequel nous sommes entrés.
C'est dans ce contexte que se sont inscrits les débats sur l'avenir de l'Europe qui ont été menés, on l'oublie trop souvent, par les citoyens européens. Après un an de travail, ils ont débouché sur 49 propositions déclinées en 326 mesures. Pour appliquer certaines d'entre elles, le Parlement européen souhaite réviser les traités, ce qu'il a exposé dans sa résolution du 22 novembre 2023.
Le chemin est encore long. Le Conseil européen, qui réunit les chefs d'État et de gouvernement des vingt-sept États membres, doit encore se prononcer sur le sujet et convoquer une révision sur le fondement de l'article 48 du Traité sur l'Union européenne (TUE).
S'il existe un consensus pour donner suite aux propositions des citoyens, les positions pour une révision des traités demeurent nuancées.
Parmi les propositions, la résolution suggère de réviser les articles 42 et 46 du TUE pour que la passation conjointe de marchés et le développement de l'armement soient financés par l'Union grâce à un budget spécifique adopté au moyen de la procédure de codécision et soumis au contrôle du Parlement.
Actuellement, le marché européen de la défense souffre d'une importante fragmentation, avec de nombreux marchés passés à l'étranger alors que nous disposons des compétences industrielles requises en Europe.
La France est-elle favorable à la révision des traités ? Est-elle d'accord pour élargir les domaines de compétences partagées en matière de sécurité extérieure et de défense ? Est-elle prête à soutenir la proposition de révision sur la passation conjointe de marché et de développement en matière d'armement ?
Je salue le travail que vous avez réalisé autour des questions de défense européenne au sein de la commission de la défense nationale et des forces armées de cette assemblée mais aussi au sein de l'Assemblée parlementaire franco-allemande que vous avez contribué à fonder.
Si nous n'excluons pas une réforme des traités à l'avenir, il convient au préalable, le Président de la République l'a rappelé à plusieurs reprises, de définir dans un premier temps nos priorités politiques pour l'Union européenne et, dans un second temps, les ressources et les budgets qui doivent leur être accordés.
La poursuite de la construction d'une Europe de la défense tournée vers ses capacités industrielles figure au nombre de nos priorités politiques. Des progrès considérables ont été réalisés ces dernières semaines sur impulsion française : l'un des compartiments de la FEP réserve le remboursement alloué à des achats conjoints à ceux qui ont été réalisés au sein de la base industrielle et technologique de défense européenne.
Par ailleurs, le 5 mars 2024, la communication de la Commission européenne sur l'avenir de l'industrie européenne de défense a réservé une place importante à la base industrielle et technologique de défense européenne. Nous avons besoin qu'elle grandisse. En effet, la crédibilité de l'Europe dans son effort de soutien de l'Ukraine en dépend.
S'il était envisagé de faire évoluer la gouvernance dans un sens qui faciliterait ces programmes d'achat conjoints, nous pourrions y être favorables à condition que les objectifs politiques aient été antérieurement définis.
Dans le cadre de sa résolution du 22 novembre 2023, le Parlement européen demande une refonte des équilibres institutionnels et des compétences de l'Union européenne. Il souhaite logiquement l'inversion des rôles du Conseil et du Parlement dans la nomination et la confirmation du président de la Commission ainsi que le droit d'initiative législative.
Il préconise de conférer à l'Union européenne une compétence exclusive en matière d'environnement, de biodiversité et de négociations sur le changement climatique. Il envisage d'établir des compétences partagées sur les questions de santé publique, y compris en matière de reconnaissance mutuelle des diplômes et des qualifications des professions de santé.
Il propose de développer davantage les compétences partagées de l'Union dans les domaines essentiels de l'énergie, des affaires étrangères, de la défense, de la politique aux frontières extérieures et des infrastructures transfrontalières.
Enfin et surtout, il souhaite substituer la règle de la majorité qualifiée à celle de l'unanimité pour les décisions relatives aux sanctions, aux mesures provisoires dans le cadre du processus d'élargissement et pour les autres décisions de sécurité et de défense commune.
Ces propositions ne méritent pas les présentations caricaturales qui en ont été faites ce soir. Elles pourraient s'inscrire au contraire dans une démarche réfléchie et pragmatique, chère à Robert Schuman et aux pères fondateurs de l'Europe, celle des petits pas dans l'actualisation du projet européen, projet qui s'inscrit dans le temps long.
Que pense le Gouvernement de ces diverses propositions ? Lui paraissent-elles conformes à la vision cohérente de la construction européenne défendue par la France ?
Je vous remercie d'avoir cité la contribution décisive des pères fondateurs de l'Europe à la civilisation européenne. Ils défendaient un principe essentiel qu'il nous faut protéger : le principe de subsidiarité. Il signifie que le pouvoir doit être exercé là où il peut l'être avec le plus d'efficacité et de justice. Cela est vrai pour la décentralisation de certaines compétences exercées au niveau national et, de même, pour le transfert de compétences nationales au niveau européen lorsque cela est utile, pertinent, nécessaire.
S'agissant de la résolution dont nous discutons, il est naturel pour le Parlement européen de vouloir étendre ses compétences et de faire entendre sa voix au moment où nous entamons une réflexion sur la réforme de l'Union européenne.
Cela étant dit, les événements du passé témoignent que nous sommes parvenus, à compétences inchangées, à construire une Europe des vaccins qui aura permis aux Européens d'être parmi les premiers au monde à bénéficier de sérums contre le covid. De même, poussés par la guerre d'agression russe en Ukraine, nous avons réussi à réveiller notre base industrielle et technologique de défense et à la faire évoluer d'une manière qui aurait paru inconcevable il y a quelques années.
Cela doit nous conduire à définir nos priorités et à réfléchir aux compétences que nous voulons confier à l'Union européenne pour atteindre les objectifs politiques que nous nous serons fixés. Ce n'est qu'après avoir traité des ressources et du budget que nous pourrons éventuellement aborder la question de la gouvernance.
Nous discutons aujourd'hui des conséquences pour la France de la résolution du Parlement européen du 22 novembre 2023 sur les projets du Parlement européen tendant à la révision des traités.
Cette résolution propose une série de réformes de l'Union européenne dans de nombreux secteurs – Pesc, commerce, énergie, santé, migrations, marché unique – mais aussi des réformes concernant les institutions elles-mêmes et les compétences de l'Union.
Cette résolution du Parlement européen manifeste ainsi une position politique de l'institution. Elle donne des pistes de réformes inspirées des conclusions de la conférence sur l'avenir de l'Europe clôturée en 2022. Cette conférence avait invité les citoyens européens à se prononcer sur les réformes de l'Union européenne. Alors que nos concitoyens expriment leurs doutes et leurs incompréhensions face au fonctionnement de l'Europe, cet exercice de démocratie participative à l'échelle de nos institutions supranationales mérite d'être salué.
Concernant les réformes internes de l'Union européenne, le Conseil européen n'a pas acté de décision ; les conséquences pour la France et les autres États membres demeurent suspendues à sa position.
Les réformes proposées concernent de nombreux secteurs d'activité, dont celui du commerce. Des conséquences non négligeables sont à prévoir pour les consommateurs, c'est-à-dire nos concitoyens, et pour les entreprises. Elles ne sont donc pas à prendre à la légère.
Par la voix de leurs représentants, les États membres de l'Union européenne auront le dernier mot pour fixer les termes d'une révision des traités.
Que pense la France d'une telle révision ? Dans quelle mesure cette initiative européenne permettra-t-elle à notre pays de poursuivre ses objectifs en matière de protection des consommateurs et des entreprises dans le cadre des prochains accords internationaux ?
Vous avez rappelé un fait important : certes, avec cette résolution, le Parlement européen a mis sur la table plusieurs propositions mais une éventuelle révision des traités supposerait, de la part des États membres, au préalable une unanimité et a posteriori une ratification. C'est dire à quel point ce processus permettra à chaque pays de l'Union européenne de se faire entendre et à ceux qui le souhaiteraient – ou qui sentiraient leurs intérêts nationaux menacés – de brandir le risque d'un éventuel veto.
La révision des traités ne représente pour nous ni un totem ni un tabou. Nous sommes prêts à l'envisager mais à condition que les objectifs politiques que nous voulons confier à l'Union européenne soient bien précisés. Vous en avez cité deux : la protection des consommateurs et celle des entreprises. Or l'échelon européen me semble le plus pertinent pour les atteindre.
En effet, alors que l'Union européenne prévoit la libre circulation des biens, il n'est pas vraiment concevable que les pays européens ne se dotent pas de règles communes en Europe. Les citoyens européens savent bien que l'Union européenne contribue à les protéger contre les risques émergents, liés aux évolutions dans tel ou tel secteur, puisqu'ils connaissent le marquage CE (certification européenne) qu'ils retrouvent sur différents produits mais aussi les nouvelles règles qui s'imposent désormais dans le monde numérique.
Quant aux entreprises, elles savent, par exemple grâce au plan de relance, financé en partie par l'Union européenne, que par temps de tempête ou d'orage, elles peuvent compter sur la capacité de l'UE à les soutenir tout en les protégeant de la concurrence déloyale d'entreprises étrangères – car, je le répète, nous abordons désormais les accords commerciaux de façon beaucoup plus stratégique.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite des questions sur le thème : « Conséquences pour la France de la résolution du Parlement européen du 22 novembre 2023 sur les projets du Parlement européen tendant à la révision des traités » ;
Questions sur le thème : « L'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ».
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra