Le débat de ce jour, qui a trait à la prévention en santé, est essentiel tant ce domaine a longtemps été cantonné à une place subsidiaire dans le système de santé français, concentré sur le soin. La prévention revêt une importance croissante face aux défis sanitaires contemporains que constituent l'augmentation des maladies chroniques, le vieillissement de la population ou encore les nouvelles menaces épidémiques. Il y a évidemment urgence.
Chaque année, au moins 1,8 million de nouvelles pathologies ou nouveaux traitements sont attribuables à des facteurs de risque comportementaux ; 40 % des cancers seraient évitables, près de 700 000 personnes seraient atteintes – nous l'avons tous dit – de diabète de type 2 sans le savoir, et j'en passe.
Si depuis 2020, nous assistons à une tentative de virage préventif, force est de constater qu'il s'agit souvent d'actions isolées, qui ne trouvent pas leurs cibles. La mauvaise gestion et l'inaction ont non seulement empêché de répondre aux besoins ciblés en matière de prévention, mais aussi abîmé les structures dédiées préexistantes. Je pense par exemple à la protection maternelle et infantile, dont le rôle essentiel de prévention sanitaire auprès de l'enfant de moins de 6 ans, de la mère et de la future mère est mis à mal par la diversification de ses missions, puisqu'elle est désormais chargée de l'agrément et du contrôle des modes d'accueil de la petite enfance – et je vous épargne un rappel sur l'ampleur de la pénurie touchant l'ensemble des professionnels travaillant auprès de la PMI.
Je veux ensuite évoquer un autre secteur mis en difficulté et abandonné, celui de la santé scolaire. Là encore, le constat, unanime, est dressé de manière transpartisane : nous en avons tous parlé. En dix ans, le nombre de médecins scolaires a chuté de 20 % ; si rien n'est fait, les effectifs des infirmiers scolaires suivront la même trajectoire et un nombre croissant d'établissements sont contraints de demander à la vie scolaire d'assurer les missions du pôle médico-social.
Que dire de la médecine du travail ? Elle aussi fait l'objet d'un véritable abandon. Depuis 2010, elle aurait perdu 21 % de ses praticiens et le nombre d'infirmiers diplômés d'État en santé au travail ne permet pas de combler cette perte.
Par ailleurs – c'est un sujet qui me tient particulièrement à cœur –, la prévention doit concerner les 12 millions de proches aidants : leur épuisement et la diminution de leur espérance de vie ne sont plus à démontrer. Dans le contexte du vieillissement à venir, qui verra augmenter certaines pathologies – notamment des maladies neurodégénératives –, leur vigilance quotidienne permettra de prévenir et de ralentir l'apparition de nouvelles maladies.
La prévention nécessite le développement de nouveaux outils budgétaires. À rebours des « charges » et des « produits » sur lesquels sont fondés ceux qui existent, il faut intégrer la notion d'investissement en prévention, source naturelle d'économies. Par exemple, investir dans la prévention de l'obésité représenterait une économie potentielle de plus de 10 milliards d'euros pour l'assurance maladie, les organismes complémentaires et les entreprises. Cette reconnaissance de l'investissement en prévention doit s'accompagner d'un suivi, qui pourrait prendre la forme d'un plan d'action pluriannuel. Personne n'investit à l'aveugle, sauf peut-être, malheureusement, l'État lorsqu'il esquisse comme il le fait aujourd'hui une stratégie nationale de santé vaste et floue sans réel pilotage national.
Absent, l'État s'est trop longtemps reposé sur les seules associations qui, courageusement, tentent tous les jours de se rendre auprès des publics les plus éloignés. Mais ces associations, devenues presque institutionnelles grâce aux instances régionales d'éducation et de promotion de la santé ou aux centres régionaux de coordination des dépistages des cancers, ne répondent bien souvent à aucun objectif et n'agissent pas de façon coordonnée – elles n'ont pas vocation à combler l'absence de vision de l'État.
Si la mise en œuvre des politiques nationales connaît des difficultés d'harmonisation, leur adaptation au niveau local est encore plus laborieuse. Il est évident que les conditions épidémiologiques varient grandement d'une région à l'autre ; les différences observées dans les taux de prévalence de certaines maladies comme les cancers ou les troubles neuro-cardiovasculaires nécessitent donc une stratégie de prévention adaptée à chaque département, voire à l'intérieur même des départements. Les ARS peinent à diriger ces initiatives de manière efficace et multiplient les organes de consultation à l'échelon régional, en fonction de ce que préconise chaque plan national successif, sans ancrage réel sur le terrain auprès des professionnels de santé.
Les rendez-vous de prévention aux âges clés de la vie dont vous vous félicitez ne suffisent donc pas : ce dont nous avons besoin, c'est bien d'une meilleure lisibilité quant au rôle de chaque acteur et d'une coordination facilitée par une simplification institutionnelle de la prévention. Celle-ci requiert de la souplesse, tant elle s'adresse à des publics divers ; l'accent doit être mis sur ceux qui sont les plus éloignés du système de santé.
Nous ne croyons pas en cette hypocrisie qui consiste en l'accumulation de « bonnes idées » ne servant qu'à cacher ce que les gouvernements successifs, mus par des logiques de rentabilité, ont infligé à notre système de santé. Nous ne croyons pas non plus en une politique globale qui ne prendrait pas en compte le manque d'attractivité des métiers de la prévention. Comment prévenir les conduites addictives à l'école si aucun médecin scolaire n'est disponible pour assurer un repérage médical de la consommation de drogues, de tabac et d'alcool chez l'adolescent ? Comment rattraper notre retard dans le dépistage des cancers du col de l'utérus et du sein alors que plus de 23 % des Françaises vivent dans un désert gynécologique ? Comment prévenir les burn-out au travail alors que seulement quatre-vingts médecins du travail sont formés chaque année ?