Notre système de santé, tel qu'il a été conçu au siècle dernier, est en crise. Nous sommes à un moment charnière. L'hôpital public va mal, qu'il s'agisse des services d'urgences, de la pénurie de soignants ou de la multiplication des fermetures de lits. La médecine de ville, elle aussi, est en difficulté : l'accroissement des déserts médicaux et du nombre de patients sans médecin traitant renforce un sentiment d'abandon chez nos concitoyens.
S'interroger sur notre modèle de santé, c'est porter un regard critique sur notre politique de prévention. Si l'on peut saluer les efforts menés ces dernières années, notamment les vingt examens médicaux de l'enfance entre 0 et 16 ans, les vaccins obligatoires ou la campagne de vaccination contre le papillomavirus au collège, les résultats sont décevants. Certes, la tâche est difficile : elle associe des facteurs aussi hétérogènes que l'éducation, l'alimentation, l'hygiène, le style de vie, l'environnement ou même la situation géographique. Toutefois, dans un contexte de dégradation de la démocratie médicale dans de nombreux territoires, les résultats et les chiffres à notre disposition sont alarmants.
Si l'espérance de vie dans notre pays est l'une des meilleures au monde, la mortalité prématurée demeure encore trop élevée, tout comme les inégalités de mortalité entre hommes et femmes, entre territoires et entre groupes sociaux. Par ailleurs, la France affiche un taux de dépistage particulièrement bas, notamment pour les cancers : seules 22 % des femmes éligibles ont effectué un dépistage du cancer du col de l'utérus, contre une moyenne de 50 % dans l'Union européenne. Chaque année, 140 000 personnes sont touchées par un cancer dit évitable.
Le constat est posé. Malgré les politiques de prévention déployées, de nombreuses pathologies poursuivent leur progression. Entre 2015 et 2021, la Cnam a recensé plus de 500 000 patients supplémentaires atteints de diabète, 420 000 de maladies psychiatriques et 640 000 de maladies cardio-neurovasculaires, symbole de notre difficulté à les prévenir efficacement.
Les raisons de l'échec relatif de la prévention en France sont multiples. Elles tiennent à des difficultés dans la gouvernance – certes renouvelée en 2016, mais qui souffre de la dispersion des acteurs, tant au niveau national que local – et à une implication limitée des professionnels, notamment des médecins généralistes, en partie parce que les patients consultent avant tout pour des symptômes et que ces professionnels sont rémunérés à l'acte plutôt qu'au parcours de soins. Ces constats sont aggravés par de fortes inégalités sociales et territoriales, qui reflètent la faible efficacité des politiques menées jusqu'ici.
La prévention exige des dirigeants politiques une approche programmatique, de l'anticipation et une profondeur de vue qui ont manqué dans la gestion des politiques de santé ces dernières années. Pour que la prévention soit une réussite, il nous faut dès à présent mobiliser de nouveaux acteurs au-delà des seuls soins, de nouveaux outils comptables permettant un réel investissement dans la prévention, des outils d'évaluation efficaces et une ambition politique forte.
Nous devons nous attaquer en priorité aux inégalités sociales et territoriales d'accès aux soins, qui empêchent la déclinaison satisfaisante de toute politique de prévention. Ces inégalités sont inacceptables. Le premier écueil auquel nous faisons face, c'est le non-recours aux soins d'une partie de la population, qui constitue une véritable double peine pour les personnes les plus fragiles. De fait, le renoncement aux soins frappe davantage les personnes en situation de précarité, qui sont huit fois plus touchées que les autres par ce phénomène. Il faut donc améliorer les dispositifs de lutte contre le non-recours à destination des publics vulnérables.
Je veux également évoquer l'autre parent pauvre de la prévention : la santé mentale. Alors que les besoins sont grandissants, surtout depuis la crise sanitaire et notamment chez les jeunes, les moyens mobilisés sont dérisoires. La prévention doit s'adresser à tous, sur tout le territoire et dès le plus jeune âge. Il faut la rendre systématique, avant que les comportements à risque n'apparaissent.
Nous l'avons vu, la prévention en santé est avant tout un combat pour l'égalité des chances, un facteur d'inclusion et de citoyenneté. Si nous voulons préserver et sauvegarder notre modèle de santé et de solidarité, c'est bien l'ambition qu'il nous faut défendre. Il est temps d'accélérer le virage préventif pour protéger tous les Français et leur donner la possibilité d'accéder à ce à quoi nous aspirons tous : vivre en bonne santé, le plus longtemps possible.